Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a licencié le fonctionnaire s'estimant lésé pour avoir commis un geste de violence en milieu de travail – le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que pour en arriver à cette décision, l’employeur n’avait pas tenu compte de son état de santé au moment de l’incident – la preuve a démontré qu’il y a eu inconduite qui mérite une sanction sévère, mais il est probable que l’état d’esprit du fonctionnaire s’estimant lésé et possiblement ses médicaments ait influencé son comportement ce jour-là – au moment de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé, l’employeur était au courant de cette situation médicale qui pourrait expliquer, du moins en partie, le geste du fonctionnaire s’estimant lésé – l’employeur a choisi d’imposer une sanction sans tenir compte de l’état de santé du fonctionnaire et en écartant plusieurs facteurs atténuants – la Commission a jugé que le licenciement était injustifié et a plutôt imposé une suspension – par ailleurs, la Commission a conclu que la déficience du fonctionnaire s’estimant lésé était un facteur dans la décision de le licencier – le fonctionnaire s’estimant lésé a ainsi établi une preuve prima facie de discrimination – l’employeur n’a pas fait la preuve d’une exigence professionnelle justifiée pour sa décision d’imposer le licenciement en réponse à un geste isolé – la Commission a ordonné que le fonctionnaire s’estimant lésé soit réintégré dans son poste et que l’employeur verse 15 000 $ au titre de l’alinéa 53(2)e) et10 000 $ au titre du paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, (L.R.C. (1985), ch. H‐6). Le grief est accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 2016-02-05
  • Dossier: 566-02-8717
  • Référence: 2016 CRTEFP 10

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

NAIM RAHMANI

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Transports)

employeur

Répertorié
Rahmani c. Administrateur général (ministère des Transports)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Marie-Claude Chartier, Agente des relations de travail, Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Me Michel Girard, Services juridiques, Secrétariat du Conseil du Trésor
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 23, 24, 25 et 27 novembre 2015.

1 La présente décision traite d’un grief renvoyé à l’arbitrage le 26 juin 2013 à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission »). Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la «Commission »), qui remplace l’ancienne Commission. En vertu de l'article 393 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

2 Le 4 avril 2013, Transports Canada (« l’employeur ») a licencié Naim Rahmani (le « fonctionnaire ») pour avoir commis un geste de violence en milieu de travail le 10 février 2012. Le fonctionnaire a déposé un grief contestant son licenciement; il allègue que l’employeur n’a pas tenu compte de son état de santé au moment de l’incident.

3 La question en litige est simple : le licenciement était-il justifié?

4 Puisque le licenciement était une mesure disciplinaire, il faut d’abord établir si l’inconduite a eu lieu et, le cas échéant, si la sanction était appropriée. Puisque le fonctionnaire soulève dans son grief une question de discrimination, l’analyse des motifs du licenciement doit inclure les obligations de l’employeur en matière de droits de la personne.

5 Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il y a eu une inconduite qui méritait une sanction sévère, mais que l’employeur a omis de tenir compte de la réalité médicale du fonctionnaire. Ce comportement de l’employeur constitue également un acte discriminatoire. Le licenciement est annulé sous certaines conditions.

II. Résumé de la preuve

6 L’employeur a présenté six témoins : Patrick Desbiens, superviseur immédiat du fonctionnaire et victime de l’acte de violence; Rémy Knoerr, qui, en février 2012, était Chef en ingénierie, Direction des normes, Certification nationale des aéronefs, et supérieur hiérarchique de M. Desbiens; Nicole Pharand, agent de certificat type dans la section où travaillait le fonctionnaire; Branimir Dulic, Ingénieur principal, collègue du fonctionnaire; David Turnbull, Directeur, Certification nationale des aéronefs, et supérieur hiérarchique de M. Knoerr; et Martin Eley, alors Directeur général, Aviation civile, qui a signé la lettre de licenciement.

7 Le fonctionnaire a témoigné pour lui-même; ont également témoigné pour lui le Dr. Richard Bergeron, psychiatre; le Dr. Stanislaw Maziarz, médecin de famille; et le Dr. Gilles Hébert, psychologue clinicien. L’agente des relations de travail qui représentait le fonctionnaire à l’audience a brièvement témoigné au sujet des rencontres disciplinaires auxquelles elle avait participé. L’avocat de l’employeur ne s’est pas opposé à ce témoignage.

8 La preuve porte sur les faits qui mènent à l’incident, sur l’incident et ses conséquences disciplinaires, et sur l’expertise psychologique et médicale. Dans la mesure où les faits ne sont pas contestés, ils sont présentés sans attribution. Lorsque les versions des témoins diffèrent, la contradiction est soulignée et résolue.

A. Historique

9 Le fonctionnaire est ingénieur, membre du groupe Architecture, Génie et Arpentage. Il est représenté par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC »). Le groupe dont il fait partie est visé par une convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’IPFPC, dont la date d’échéance était le 30 septembre 2014.

10 Le fonctionnaire travaillait comme ingénieur principal dans la Direction des normes, Certification nationale des aéronefs, dans la section Assurance de la conception des équipements électroniques. Trois ingénieurs travaillent dans cette section, sous la direction d’un gestionnaire d’équipe. Le rôle des ingénieurs consiste à travailler avec les clients qui cherchent à faire agréer leurs avions pour obtenir un certificat type, condition essentielle pour obtenir l’autorisation d’utiliser l’appareil comme avion au Canada. Le travail de certification d’un aéronef comprend nécessairement plusieurs éléments visant à assurer l’intégrité du moteur, du fuselage, des commandes de bord, etc. La section où travaillait le fonctionnaire est chargée de la vérification des composantes informatiques. Les ingénieurs de cette section doivent donc travailler en étroite collaboration avec l’industrie aéronautique.

11 Le fonctionnaire a commencé à travailler chez l’employeur en 2003, dans cette même section; il était d’abord classifié au niveau ENG-3, pour passer ensuite, vers 2005 ou 2006, au niveau ENG-4.

12 Patrick Desbiens, d’abord collègue puis superviseur du fonctionnaire, est entré au service de l’employeur à peu près en même temps, mais dès le départ au niveau ENG-4. Lorsque la classification du fonctionnaire est passée à ENG-4, leurs fonctions étaient identiques, mais ils travaillaient sur des projets différents qui leur étaient assignés par leur gestionnaire, M. Rao.

13 Pour des raisons restées inexpliquées, la relation entre le fonctionnaire et M. Desbiens s’est détériorée avec le temps. M. Desbiens a témoigné que dès 2008, le fonctionnaire le critiquait pour son incompétence, sa moindre charge de travail, et le favoritisme dont il bénéficiait. M. Knoerr a témoigné que le fonctionnaire dénigrait souvent ses collègues, M Desbiens et M. Dulic, dans ses conversations avec lui. De son côté, le fonctionnaire a témoigné que ses collègues travaillaient moins fort que lui, et que les critiques qu’il formulait à leur égard étaient strictement professionnelles. M. Desbiens a témoigné qu’il lui était arrivé d’exprimer des doutes à la direction sur la façon dont le fonctionnaire avait procédé dans un ou plusieurs dossiers.

14 Jusqu’à la fin de 2008, les évaluations de rendement du fonctionnaire étaient satisfaisantes et témoignaient de la satisfaction des clients. À partir de 2009, l’employeur a semblé manifester de l’insatisfaction, surtout en raison des relations tendues entre le fonctionnaire et ses collègues.

15 À partir de ce moment, les témoins conviennent que le fonctionnaire cherche à quitter la section. Il demande d’être muté ou transféré ailleurs. Un poste en particulier l’intéresse, en avionique, mais on lui signifie qu’il n’a pas les qualifications requises.

16 Il cherche également à prendre un congé sans solde, d’un an ou deux, mais M. Knoerr lui refuse. D’après ce dernier, les besoins opérationnels de la section ne le permettent pas.

17 Pendant toute cette période, soit de 2009 au début de 2012, il semble que les relations du fonctionnaire avec ses collègues et ses supérieurs sont tendues, avec de temps en temps des éclats de la part du fonctionnaire. Celui-ci a toutefois souligné qu’il avait des relations harmonieuses avec les clients et les collègues des autres sections avec qui il travaillait sur les projets de certification d’avion. Il a déposé en preuve quelques courriels de félicitations pour le dévouement des équipes de divers projets auxquels il a travaillé, et bon nombre de certificats types, aboutissement du travail de certification auquel il a participé.

18 Au cours de cette période, le fonctionnaire prend plusieurs congés de maladie justifiés par un certificat médical. Il prend également un congé parental d’environ huit mois à la naissance de son fils, en 2010.

19 Au début de 2012, le fonctionnaire est fort malheureux et cherche désespérément à quitter la section. On vient de lui refuser le poste en avionique, refus injuste selon lui. M. Knoerr a témoigné au sujet de la dotation du poste en question, et il n’y a aucune preuve au dossier qui laisse croire qu’on cherchait à nuire au fonctionnaire en choisissant un autre candidat dont le profil professionnel convenait mieux au poste. Le fonctionnaire prend un congé de maladie de trois semaines en janvier 2012, lequel est justifié par un certificat médical.

20 De retour au travail, il apprend le 10 février 2012 par un courriel que M. Desbiens vient d’être nommé gestionnaire de son équipe. Le fonctionnaire a témoigné qu’il a très mal reçu la nouvelle : il a l’impression qu’on vient de verrouiller à double tour la porte de la cellule dans laquelle il se trouve enfermé.

21 Quelques minutes après le courriel, M. Desbiens se présente dans le bureau du fonctionnaire. D’après M. Desbiens, il cherche à vérifier les heures de travail du fonctionnaire parce qu’il vient de recevoir de ce dernier une demande d’autorisation de voyage qui comprend un calcul des heures supplémentaires à être rémunérées. Le fonctionnaire perçoit cette vérification comme une attaque personnelle, sitôt le mandat de gestionnaire accordé à M. Desbiens. Il réagit négativement. M. Desbiens quitte le bureau du fonctionnaire et retourne dans le sien. Le fonctionnaire se lève pour aller voir M. Knoerr, qui est absent. Il décide alors d’aller mettre les choses au clair avec M. Desbiens. Il entre dans le bureau de celui-ci.

22 Ici, les versions diffèrent considérablement. Comme l’incident est le motif même du licenciement, je résume les deux versions.

23 M. Desbiens a témoigné qu’il était assis devant son ordinateur, le dos tourné à la porte. Tout à coup, il sent la présence du fonctionnaire juste derrière lui et il entend sa voix au-dessus de lui. Le réflexe est immédiat : il se lève et se tourne vers le fonctionnaire, qui l’invective. M. Desbiens lui dit à deux reprises de sortir de son bureau. Le fonctionnaire lui décroche un coup sur le côté gauche du visage qui fait tomber ses lunettes. M. Desbiens ramasse ses lunettes et sort vite de son bureau. Il se dirige vers le bureau de M. Knoerr, qui est encore absent. Il a peur parce que le fonctionnaire le suit. Il descend les escaliers en courant, du troisième étage au rez-de-chaussée, pour demander l’aide de la sécurité au poste des commissionnaires. Le fonctionnaire le suit de près.

24 Le fonctionnaire a témoigné qu’il s’était calmement présenté dans le bureau de M. Desbiens pour lui dire qu’il était regrettable que M. Desbiens commence aussi mal son rôle de gestionnaire. M. Desbiens s’est immédiatement levé pour lui rentrer dedans. Le fonctionnaire l’a repoussé dans un mouvement de défense. Il a admis qu’il l’avait peut-être poussé un peu fort, parce que la joue de M. Desbiens reste rouge au moins une demi-heure, comme l’ont constaté les autres témoins. Selon le fonctionnaire, il n’avait aucune intention de frapper ou de faire mal. Il a suivi M. Desbiens pour être certain que sa version des faits soit entendue, et pas seulement celle de M. Desbiens, qu’il craignait être exagérée.

25 Après l’incident, une enquête externe a été menée. L’enquête a conclu que la version de M. Desbiens était la plus crédible, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, d’après tous les témoins, le visage de M. Desbiens était fortement marqué. Les deux voisins de cubicule de M. Desbiens, Mme Pharand et M. Dubic, ont entendu la claque et les éclats de voix. Les agents de sécurité ont constaté l’état émotif de M. Desbiens. Finalement, l’explication du fonctionnaire est peu plausible : s’il se sentait menacé, il n’avait qu’à quitter le bureau, il n’y avait aucun obstacle entre la porte et lui.

26 Une fois que M. Desbiens et le fonctionnaire se retrouvent au bureau des commissionnaires, la direction prend les choses en main. Les deux hommes sont placés dans des pièces différentes pour que chacun donne sa version des faits. La direction fait immédiatement annuler la carte d’accès du fonctionnaire. Il est placé en situation de télétravail.

27 Le fonctionnaire travaille donc à partir de chez lui sur différents projets. Il se rapporte directement à M. Knoerr. En juillet 2012, il produit un certificat médical ordonnant un congé de maladie de deux mois, du début juillet au début septembre. Le fonctionnaire demande à la direction un congé de maladie. Comme ses crédits de congé de maladie sont presque épuisés, on lui refuse un congé de maladie payé pour ces deux mois. Il demande alors qu’on lui accorde un congé payé à partir de ses congés annuels accumulés. On lui refuse également. Son médecin envoie alors un autre billet pour dire qu’il est apte à travailler.

28 À l’audience, M. Turnbull a expliqué qu’on ne peut accorder un congé ordinaire pour couvrir un congé de maladie. Dans un cas, l’employé est apte à travailler, dans l’autre non, ce serait donc contradictoire.

29 En contre-interrogatoire, la représentante du fonctionnaire lui a fait remarquer qu’il a lui-même offert au fonctionnaire de prendre quatre semaines à partir de ses crédits de congés accumulés, mais qu’il a refusé de lui accorder les sept semaines qui étaient nécessaires pour le congé médical. M. Turnbull n’est pas parvenu à expliquer cette contradiction. Il a toutefois témoigné qu’il était irrité du nombre de congés de maladie déjà pris, et surtout du fait que le fonctionnaire semblait utiliser les congés de maladie pour faire du chantage – à défaut d’obtenir ce qu’il voulait, il menaçait de prendre encore un autre congé de maladie.

30 Comme il est indiqué plus haut, l’incident du 10 février 2012 donne lieu à une enquête. Une fois le rapport d’enquête terminé, on convoque le fonctionnaire en entrevue pour lui donner la possibilité de présenter son point de vue avant de décider quelle mesure disciplinaire sera imposée, l’enquête ayant conclu que le fonctionnaire a commis un acte de violence en milieu de travail. Deux rencontres ont lieu. À la première, le 29 juin 2012, le fonctionnaire déclare que son geste était regrettable et non approprié. Il ajoute que s’il a heurté ou blessé quelqu’un, il s’en excuse. Il refuse de répondre davantage aux questions de l’employeur, qui veut l’interroger sur le contenu du rapport d’enquête. Le fonctionnaire veut que les questions lui soient fournies d’avance.

31 Une deuxième rencontre a lieu le 22 août 2012. Le fonctionnaire maintient sa version des événements du 10 février, et parle des préjudices qu’il a lui-même subis au sein de l’équipe, notamment de la part de M. Desbiens (jalousie, exclusion, commentaires dérogatoires à un client). Vers la fin de la rencontre, sa représentante syndicale produit un certificat médical, daté du 16 août 2012, qui laisse entendre que l’état médical du fonctionnaire ou ses médicaments pourraient expliquer son geste du 10 février. C’est la première fois que l’employeur entend parler d’une explication médicale.

32 M. Turnbull demande alors à Santé Canada de faire l’évaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire. Aucune mesure disciplinaire n’a encore été imposée pour l’incident du 10 février. Le fonctionnaire est toujours à la maison, avec salaire. À compter de septembre 2012, toutefois, il cesse de recevoir du travail. M. Knoerr a témoigné qu’une fois les projets en cours terminés, il était difficile de lui en assigner d’autres. Le travail requiert une collaboration d’équipe, et l’employeur ne voulait pas accorder au fonctionnaire l’accès à ses immeubles.

33 La lettre qu’adresse M. Turnbull à Santé Canada fait état, sous forme de questions, des deux préoccupations principales de l’employeur : la condition médicale du fonctionnaire en février 2012 explique-t-elle son geste? Le fonctionnaire peut-il être réintégré au travail et, le cas échéant, à quelles conditions?

34 Santé Canada charge le Dr Given de faire l’évaluation; celui-ci demande une expertise psychologique au Dr Hébert. Le Dr Given envoie trois lettres à l’employeur.

35 La première, datée du 24 janvier 2013, déclare que le fonctionnaire est inapte au travail. La lettre inclut le passage suivant :

M. Rahmnai [sic] est considéré inapte pour tout travail à présent. Notre spécialiste a proposé certaines initiatives thérapeutiques et une copie de son rapport final a été fourni [sic] à M. Rahmani pour qu’il puisse en discuter davantage avec son médecin. Si les initiatives thérapeutiques s’avèrent efficaces, un retour au travail pourrait se réaliser en mai 2013. Suite à une demande de votre part, nous pourrions réévaluer M. Rahmani avant son retour au travail.

36 M. Turnbull communique alors avec le fonctionnaire pour lui dire qu’il sera en congé de maladie du 24 janvier au 30 avril 2013. Il ne lui reste que 56 heures de crédits de congé de maladie. Le restant, soit 461 heures, est comptabilisé comme congé de maladie sans solde.

37 La lettre du Dr Given ne parle pas du lien entre la condition médicale du fonctionnaire et le geste posé le 10 février. L’employeur demande des précisions à ce sujet. Le Dr Given répond dans une seconde lettre, le 25 janvier 2013, de la façon suivante :

Je ne peux pas me prononcer quant à l’aspect médical des événements du 10 février 2012 puisque je n’ai pas évalué M. Rahmani à ce moment-là. Les conditions médicales pour lesquelles M. Rahmani se fait suivre ont le potentiel d’exercer un effet sur le comportement d’un individu ainsi que sur la capacité de cet individu à réagir au stress.

38 Le Dr Given écrit également qu’il s’attend à revoir l’employé avant son retour au travail de façon à pouvoir faire des recommandations précises sur les modalités du retour au travail.

39 Le 6 février 2013, M. Turnbull écrit de nouveau au Dr Given au sujet du lien de causalité. Il cite la note du Dr Maziarz du mois d’août 2012 qui dit que le comportement et l’agressivité du fonctionnaire pourraient être causés par son état de santé ou sa médication. M. Turnbull pose la question suivante : [traduction] « Est-ce que la preuve médicale objective dans le dossier médical de M. Rahmani appuie les recommandations du Dr Stanley Maziarz qu’il a fournies dans son certificat médical ? »

40 Le 14 février 2013, le Dr Given répond comme suit :

[Traduction]

La documentation médicale au dossier, datant de la récente évaluation d’aptitude au travail de M. Rahmani, serait compatible avec les recommandations ci-haut [le texte de la note du 16 août 2012 est reproduit] si la condition médicale de M. Rahmani était semblable en février 2012. Parce que M. Rahmani n’a pas été évalué par notre service avant le 14 novembre 2012, je ne peux me prononcer davantage sauf pour dire qu’il est plausible et compatible avec les renseignements médicaux dans son dossier que sa condition médicale ait été semblable en février 2012.

41 Il n’y a pas d’autre échange entre l’employeur et Santé Canada. Le 4 avril 2013, M. Rahmani est licencié pour avoir « volontairement commis un acte de violence au travail ». Ce comportement « a irrémédiablement brisé le lien de confiance qui doit exister avec l’employeur ».

42 Dans les remarques des témoins de l’employeur, deux thèmes reviennent souvent : premièrement, le fait que le fonctionnaire ne semble pas avoir éprouvé de véritables remords et n’a jamais présenté d’excuses en bonne et due forme ni à M. Desbiens ni à l’employeur; deuxièmement, ses collègues de travail craignent son retour au travail – l’explosion de colère leur a fait peur.

43 M. Turnbull a témoigné que l’employeur avait mis fin à l’emploi du fonctionnaire parce que ça ne valait pas la peine d’essayer. Le lien de confiance était rompu en raison du geste violent et du fait que le fonctionnaire était difficile, qu’il empoisonnait le milieu de travail et qu’il ne reconnaissait pas ses torts.

B. Preuve médicale

44 La preuve médicale présentée à l’audience n’a pas été contredite. Elle était détaillée, et présentait le diagnostic du fonctionnaire. Afin de respecter la vie privée de celui-ci, je vais présenter les grandes lignes de la preuve présentée. L’accent est donc mis sur la réalité d’une condition médicale, le pronostic et les mesures d’accommodement nécessaires au retour au travail.

45 Le Dr Maziarz, médecin de famille du fonctionnaire, a témoigné à l’audience. Il traite le fonctionnaire depuis 1999. Depuis 2009, le fonctionnaire souffre d’un trouble qui s’est aggravé avec le temps. Il ne fait pas de doute dans l’esprit du Dr Maziarz qu’il y a un lien entre l’incident du 10 février 2012 et l’état de santé du fonctionnaire à ce moment-là. De plus, le fonctionnaire prenait à cette époque un médicament qui, d’après la littérature pharmacologique, peut causer de l’irritabilité et des sautes d’humeur. Selon le Dr Maziarz, le geste ne peut s’expliquer autrement. Selon lui, quelqu’un qui exerce une profession aussi spécialisée, qui gagne un excellent salaire et qui est chef de famille, ne gifle pas son superviseur sans qu’il y ait une explication d’ordre psychiatrique.

46 En décembre 2012, le Dr Hébert, psychologue clinicien, a posé un diagnostic de troubles psychiatriques graves, lorsque le Dr Given de Santé Canada lui a adressé le fonctionnaire. Le rapport soigné et détaillé du Dr Hébert n’a pas été contredit par l’employeur. Le Dr Hébert a également témoigné qu’un syndrome aussi grave ne se développe pas du jour au lendemain. Il est donc très probable, selon lui, qu’en février 2012, le fonctionnaire souffrait déjà d’un trouble qui aurait certainement contribué à exacerber son irritabilité.

47 Enfin, le Dr Bergeron, le psychiatre qui traite actuellement le fonctionnaire, a témoigné au sujet de l’état actuel du fonctionnaire et du pronostic. Il était d’accord avec le diagnostic du Dr Hébert, et a affirmé qu’il était possible de soigner la condition avec des médicaments et une thérapie psychologique, traitements que reçoit le fonctionnaire à l’heure actuelle. Avec ces traitements, les chances que le geste se répète sont très faibles. Toutefois, à son avis, il serait difficile pour le fonctionnaire de réintégrer son équipe, à moins d’efforts sérieux de la part de l’employeur pour faciliter sa réintégration.

III. Résumé de l’argumentation

A. Employeur

48 Selon l’employeur, trois questions se posent dans cette affaire : 1) Y a-t-il eu inconduite de la part du fonctionnaire? 2) la sanction de licenciement était-elle manifestement déraisonnable ou erronée? 3) l’employeur a-t-il violé la clause de non-discrimination de la convention collective? L’employeur soutient qu’il faut répondre par l’affirmative à la première question, par la négative aux deux autres questions.

49 D’abord, l’inconduite. L’enquête a conclu à un acte de violence en milieu de travail. Il s’agit d’une inconduite extrêmement grave, d’autant plus que la victime est le superviseur du fonctionnaire.

50 Ensuite, la sanction. Compte tenu de la gravité de l’infraction, l’arbitre de grief ne doit intervenir pour modifier la sanction que si celle-ci est manifestement déraisonnable. Or, selon les faits, la sanction est proportionnelle à la gravité du geste.

51 Plusieurs facteurs aggravants viennent s’ajouter, dont l’absence de remords du fonctionnaire. Celui-ci n’a jamais présenté de véritables excuses, ni à M. Desbiens, ni à l’employeur. Il a plutôt tenté de minimiser le geste en affirmant avoir poussé M. Desbiens plutôt que de l’avoir frappé. De plus, il justifie son comportement en blâmant M. Desbiens, l’employeur ou la charge de travail. Or, il n’a logé ni plainte ni grief, soit au sujet d’un présumé harcèlement soit au sujet de sa charge de travail soi-disant excessive.

52 On ne peut parler ici d’un égarement momentané. Le fonctionnaire entretenait depuis longtemps un climat négatif avec ses collègues de travail. De plus, selon des témoins, environ 10 minutes se sont écoulées entre le moment où M. Desbiens est venu lui parler de ses heures de travail et le moment où le fonctionnaire l’a frappé. Le fonctionnaire aurait pu régler son conflit autrement.

53 Il ne peut non plus blâmer son niveau de stress; dans sa description de tâches, la section sur les conditions de travail fait état d’un milieu de travail sous pression. Un professionnel doit savoir s’adapter.

54 Il n’y a aucun facteur atténuant. Il n’y a pas eu provocation de la part de son superviseur. En effet, quoi de plus normal que de poser des questions à un subalterne sur ses heures de travail. Le fait que M. Desbiens lui a demandé de quitter son bureau ne constitue pas non plus de la provocation.

55 L’employeur n’était pas au courant de la situation médicale du fonctionnaire. Six mois après l’incident, on lui a remis un billet faisant mention d’un lien possible. Or, la causalité n’a jamais été établie. Il paraît étrange qu’on attende six mois avant de proposer une explication.

56 L’employeur est d’avis qu’aucune preuve médicale ne peut justifier un acte de violence physique. Même si la condition médicale constituait, à la limite, une circonstance atténuante, cela n’enlève rien au fait que le fonctionnaire doit reconnaître sa responsabilité en exprimant des remords et en présentant des excuses. De plus, le fonctionnaire n’a pas établi un lien causal entre sa condition médicale et le geste reproché. La preuve médicale des experts a été établie bien après les événements de février 2012.

57 Parmi les facteurs atténuants qu’on pourrait retenir dans un tel cas, il y a la volonté d’assumer la responsabilité de son geste et d’en reconnaître la gravité. Ce que le fonctionnaire n’a pas fait, bien au contraire. Il a tenté de blâmer autrui, il a minimisé son geste et il n’en a pas reconnu l’impact sur M. Desbiens.

58 Finalement, il n’y a pas eu discrimination de la part de l’employeur. La violence en milieu de travail ne peut être tolérée, c’est une question de santé et de sécurité pour tous les employés sous la responsabilité de l’employeur. L’employeur invoque l’arrêt British Columbia (Public Service Agency) v. British Columbia Government and Service Employees Union, 2008 BCCA 357 (« Gooding ») pour affirmer qu’il ne peut y avoir discrimination lorsque tous les employés sont soumis à la même règle.

59 Dans cette affaire, M. Gooding travaillait pour la régie des alcools de la Colombie Britannique (Liquor Distribution Branch) depuis longtemps. Il est devenu alcoolique, et il a commencé à systématiquement voler de l’alcool sur une période de plus d’un an. La question qui se posait devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique était la suivante : l’employeur a-t-il une obligation d’accommodement à l’égard d’un employé qui vole parce que celui-ci souffre d’une dépendance alcoolique?

60 La majorité de la Cour d’appel a répondu qu’il n’y avait pas d’obligation d’accommodement étant donné l’absence de discrimination prima facie. Pour établir cette discrimination dans le cadre de l’emploi, il faut trois conditions : 1) une caractéristique protégée par la loi sur les droits de la personne, 2) un traitement défavorable de la part de l’employeur, et 3) un lien entre ces deux éléments. Or, dans les circonstances, le lien causal n’était pas établi : M. Gooding n’a pas été congédié parce qu’il était alcoolique, mais parce qu’il avait volé. La même règle s’appliquerait à tout employé qui volerait, par conséquent, il n’y a pas discrimination.

61 De la même façon, en l’espèce, même si on accepte que l’état médical du fonctionnaire ait pu jouer un rôle, la relation causale n’a pas été établie. Le licenciement n’était pas fondé sur une condition médicale que l’employeur ignorait au moment de l’incident; il est plutôt fondé sur un geste de violence. La jurisprudence confirme que la violence peut être un motif de licenciement, même en l’absence d’un dossier disciplinaire antérieur.

62 L’employeur demande donc le rejet du grief. Toutefois, si la Commission décide d’accueillir le grief, l’employeur demande qu’une compensation soit ordonnée plutôt que la réintégration.

B. Fonctionnaire

63 Le fonctionnaire ne conteste pas qu’il y a eu inconduite. Toutefois, selon lui, l’employeur n’a pas tenu compte des circonstances atténuantes et a fait preuve de discrimination, tant aux termes de l’article 44 de la convention collective que des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (« LCDP »).

64 La preuve a démontré qu’il y a eu discrimination. La preuve médicale a clairement établi l’état de santé du fonctionnaire, qui datait probablement de décembre 2011 et même avant, ce qui a été confirmé par le témoignage du Dr Maziarz et par les congés de maladie certifiés pris par le fonctionnaire.

65 L’employeur n’a pas tenu compte de l’avis de Santé Canada selon lequel un lien entre le geste reproché et l’état de santé du fonctionnaire était plausible, et avec un suivi médical adéquat, il serait apte à revenir au travail. L’employeur a plutôt choisi de mettre fin au lien d’emploi sans tenir compte de l’état de santé du fonctionnaire.

66 Dans son témoignage, M. Turnbull a indiqué à quel point l’employeur n’était pas intéressé à donner une autre chance au fonctionnaire. L’employeur était excédé par les relations difficiles entre le fonctionnaire et son milieu de travail et par ses demandes de congé de maladie. Les événements du 10 février étaient le point culminant qui a scellé le sort du fonctionnaire. Toutefois, dans ce raisonnement, l’employeur n’a nullement tenu compte de ses propres obligations en matière de droits de la personne.

67 L’employeur a dit qu’il n’avait pas été informé des ennuis de santé du fonctionnaire. L’employeur a plutôt choisi de fermer les yeux sur des signes de détresse évidents, notamment les nombreux congés de maladie demandés par le fonctionnaire.

68 L’employeur a pris la décision de licencier le fonctionnaire sans attendre la fin du processus de Santé Canada. À la question de savoir pourquoi il avait agi ainsi, M. Turnbull a répondu de façon préoccupante : « À quoi bon attendre? Pourquoi exporter la misère dans un autre bureau? » Autrement dit, l’employeur avait déjà décidé de licencier le fonctionnaire, peu importe la preuve médicale.

69 Comme en témoignent les questions que M. Turnbull a posées à Santé Canada, l’employeur connaissait ses obligations, mais il a décidé de ne pas attendre les réponses.

70 L’employeur a beaucoup insisté sur le fait que le fonctionnaire n’éprouvait pas de remords et ne s’était pas excusé. C’est faux. Le fonctionnaire a présenté des excuses durant les enquêtes disciplinaires. Il a exprimé ses remords à ses médecins. Si la communication était malaisée avec l’employeur, ce n’est peut-être pas entièrement sa faute.

71 Le fonctionnaire a également fait état de l’impact du licenciement sur sa santé. D’après les témoignages médicaux, son état de santé s’est clairement aggravé à la suite du licenciement. Par ailleurs, le fait qu’il soit licencié rendait extrêmement difficile la recherche d’un autre emploi dans ce domaine spécialisé où tout le monde se connaît.

72 L’inconduite vaut sans doute une sanction, mais moindre. Outre la réintégration, le fonctionnaire demande des mesures de redressement prévues par la LCDP, soit l’indemnité pour préjudice moral ainsi que l’indemnité spéciale, parce que l’employeur a agi de façon discriminatoire de manière délibérée ou inconsidérée.

73 Le fonctionnaire demande également une ordonnance afin que ses gestionnaires et collègues assistent à des séances de sensibilisation.

IV. Motifs

A. Inconduite

74 La violence en milieu de travail est une infraction grave, qui peut justifier un licenciement, surtout si la personne qui a commis l’acte violent exprime peu ou n’exprime pas de remords (voir Niagara Health System v. Service Employees International Union, Local 204 (Risto Grievance), [2005] O.L.A.A. no 426 (QL); TNT Logistics and U.S.W.A., Local 9042 (Re Herbert), [2003] O.L.A.A. no 798 (QL), 118 L.A.C. (4th) 109; United Food and Commercial Workers, Local 401 v. Lucerne Foods, a Division of Canada Safeway Ltd. (Gamblin Grievance), [2004] A.G.A.A. no 27 (QL).

75 Dans l’appréciation de la sanction dans un cas d’altercation au travail, il faut tenir compte de facteurs aggravants ou atténuants, selon le cas, (voir Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43; Ward et le Conseil du Trésor (Revenu Canada-Impôt), Dossiers CRTFP 166-2-16121 et 16122 (19861229); Re Dominion Glass Co. And United Glass and Ceramic Workers, Local 203 (1975), 11 L.A.C. (2d) 84) et, notamment, les facteurs suivants :

  • l’expression de remords et la présentation d’excuses;
  • la gravité du geste et le tort causé;
  • le geste résulte d’un égarement momentané ou est prémédité;
  • la provocation;
  • le nombre d’années de service;
  • l’état du dossier disciplinaire;
  • une amélioration par la suite de la santé psychique, si celle-ci était en cause dans l’incident donnant lieu au licenciement.

76 La preuve a démontré qu’il y a eu inconduite. Le fonctionnaire a reconnu avoir posé un geste regrettable. L’employeur aurait voulu qu’il exprime davantage de remords. Je crois que le fonctionnaire éprouve des remords, tout en éprouvant aussi un sentiment d’injustice. Après avoir entendu tous les témoins, je peux comprendre qu’il ait eu l’impression d’être seul contre tous. Cela dit, l’employeur a raison de dire que la violence au travail est absolument inacceptable. Elle est traumatisante non seulement pour la victime mais aussi pour ceux qui l’entourent. L’employeur doit veiller à la santé et sécurité au travail et fournir un milieu de travail sain et sauf à ses employés; cette préoccupation est entièrement fondée. C’est pourquoi l’inconduite mérite une sanction sévère.

B. Sanction

77 Une fois l’inconduite établie, il faut déterminer si la sanction de l’employeur est proportionnelle à la gravité de l’inconduite. Selon l’employeur, la sanction est raisonnable et la Commission ne devrait pas intervenir. Selon le fonctionnaire, la sanction est trop sévère et, en outre, discriminatoire.

78 Il y a deux façons pour un arbitre de grief (ici, la Commission) d’aborder la question : sous l’angle de la discipline ou sous l’angle de la discrimination. Les deux aspects m’amènent à la même conclusion : le licenciement est une sanction trop sévère.

79 L’employeur a déclaré avoir tenu compte des facteurs aggravants. Il a ajouté qu'il n'y avait pas de facteurs atténuants. Je ne suis pas d'accord. Je crois que l'employeur a omis de considérer plusieurs facteurs importants, soit l’absence d’un dossier disciplinaire, les témoignages sur le travail sérieux et professionnel du fonctionnaire, la provocation de la part de M. Desbiens et l'état de santé du fonctionnaire.

80 Selon l'employeur, M. Desbiens est l'innocente victime du coup asséné par le fonctionnaire. À mon avis, il me semble que la preuve dévoile une autre réalité.

81 Depuis plusieurs années, aux dires de tous les témoins, il y avait de l’animosité entre le fonctionnaire et M. Desbiens. L’origine de cette animosité n’est pas claire. Le fonctionnaire et M. Desbiens sont d'accord qu'au départ, leur relation était harmonieuse, mais quelque chose est venu l'empoisonner. M. Desbiens a témoigné de sorties, d'invectives soudaines de la part du fonctionnaire, tandis que ce dernier a fait état de propos empreints de jalousie et peu avenants. Il est certain que de part et d'autre, il y a eu des propos désobligeants.

82 Quand, le 10 février 2012, on annonce la nomination de M. Desbiens comme superviseur de l'équipe, il est impossible de croire que ce dernier n'ait pas songé au dépit du fonctionnaire. Pourquoi M. Desbiens s’est-il présenté dans les minutes suivant l’annonce de sa nomination pour interroger le fonctionnaire sur ses heures de travail? Comment ne pas voir dans cette action une affirmation de pouvoir?

83 Cela ne justifie pas le geste du fonctionnaire 10 minutes plus tard. Je suis entièrement d'accord avec le rapport d'enquête : le fonctionnaire n'était pas physiquement menacé, il aurait dû quitter le bureau de M. Desbiens. Il l'a giflé dans un geste de colère.

84 Je reste toutefois sidérée du manque de sympathie de l'employeur, qui refuse de voir le désarroi du fonctionnaire. Son adversaire a été nommé dans un poste de gestion et s’est empressé d'affirmer son autorité. Bien sûr, le superviseur a le droit de vérifier les heures de travail de ses subalternes. À l’audience, l’employeur a présenté le tout dans le contexte d’une demande d’autorisation de voyage qui a été reçue par M. Desbiens, d'après le courriel, à 11h05. Les événements se déroulent immédiatement après. La preuve a établi que la nomination de M. Desbiens venait tout juste d’être annoncée.

85 Pourquoi avoir tourné le fer dans la plaie? Le fonctionnaire revenait d'un congé de maladie. Il était malheureux dans cette section qu’il voulait quitter à tout prix. Les relations avec M. Desbiens étaient négatives. La provocation n'excuse pas le geste de violence, mais on ne peut l'écarter dans l'analyse de l'événement. Les relations tendues entre M. Desbiens et le fonctionnaire, qui remontent à plusieurs années, ne figurent pas dans les conclusions du rapport d'enquête, même si le fonctionnaire tente d'y faire allusion dans sa version des faits.

86 Pour ce qui est de l’état de santé du fonctionnaire, l’employeur soutient que les médecins n’ont pas affirmé un lien de causalité suffisant pour attribuer le geste du fonctionnaire à son état de santé mentale le 10 février 2012. Je pense que, selon la preuve, il est probable que l’état d’esprit du fonctionnaire et peut-être ses médicaments ont influencé son comportement ce jour-là. La prépondérance des probabilités fait pencher la balance dans ce sens, et je pense que l’employeur a tout simplement refusé de considérer cette preuve.

87 À partir de 2009, le fonctionnaire a pris plusieurs congés de maladie. Il a demandé à son employeur un congé de deux ans sans solde, que l’employeur a refusé.

88 Six mois après l’incident du 10 février 2012, soit en août 2012, lors d’une rencontre disciplinaire, le fonctionnaire a produit une note signée par son médecin de famille, le Dr Maziarz, mentionnant que le geste du 10 février pourrait être attribuable à l’état de santé mentale du fonctionnaire ou à ses médicaments. Dans son témoignage, M. Turnbull a manifesté un certain scepticisme à l’égard de ce document. Pourquoi avait-il été présenté si tard et non pas dès le 11 février 2012?

89 Le Dr Maziarz a longuement témoigné à l’audience. Selon lui, depuis 2009, le fonctionnaire souffrait d’un trouble de santé qui s’était aggravé. En mars 2012, il a décidé de modifier les médicaments du fonctionnaire pour traiter sa condition médicale. Auparavant, le fonctionnaire prenait un médicament qui, selon la littérature pharmacologique, peut causer une certaine agressivité. La condition médicale du fonctionnaire pouvait également le rendre irascible et sujet aux sautes d’humeur.

90 En septembre 2012, après avoir reçu la note du Dr Maziarz qui semble expliquer au moins partiellement le comportement du fonctionnaire, M. Turnbull a écrit à Santé Canada pour demander une évaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire et pour avoir leur opinion sur la note du Dr Maziarz.

91 Le fonctionnaire a expliqué à l’audience qu’il avait tardé à demander un billet à son médecin parce qu’il ne voulait pas faire part de ses ennuis de santé au travail. Cet orgueil est tout à fait compréhensible, surtout lorsqu’il s’agit de santé mentale. De toute façon, l’employeur ne peut nier qu’au moment de licencier le fonctionnaire, en avril 2013, il était au courant d’une situation médicale qui pourrait expliquer, du moins en partie, le geste malheureux du fonctionnaire. En outre, selon Santé Canada, un retour au travail était envisageable.

92 M. Turnbull a dit avoir été peu convaincu par le certificat du médecin de famille et par la déclaration du Dr Given voulant que l’état de santé ait pu jouer un rôle dans le comportement du fonctionnaire. Il est vrai que ce n’est pas parce qu’on a des problèmes psychiatriques qu’on réagit avec violence au travail. On ne peut toutefois pas écarter un facteur aussi important et en nier l’existence.

93 L’employeur a choisi d’imposer une sanction sans tenir compte de l’état de santé du fonctionnaire, en écartant les facteurs atténuants suivants : le rendement professionnel du fonctionnaire, attesté par les témoins et les courriels de félicitations qu’il a reçus pour son travail en équipe; l’absence de mesures disciplinaires antérieures (je suis toutefois consciente des difficultés interpersonnelles dont font état les évaluations du rendement); une certaine provocation dans le cadre des évènements qui ont précipité l’incident du 10 février 2012; et le caractère isolé, spontané et unique du geste. En raison de tous ces facteurs, je conclus que la sanction de licenciement est injustifiée, et j’y substituerais une sanction de suspension.

94 Par ailleurs, le fonctionnaire a fait valoir qu’il y a eu discrimination. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le fait que l’employeur refuse de considérer l’état de santé du fonctionnaire au moment du licenciement constitue un acte discriminatoire qui contrevient à la convention collective et à la LCDP.

C. Discrimination

95 La disposition de la convention collective qui interdit la discrimination se trouve à l’article 44.01, qui est libellé comme suit :

44.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, son handicap, sa situation de famille, son état civil, la condamnation pour laquelle il a obtenu son pardon, son adhésion au syndicat ou son activité dans l’Institut.

96 L'article 7 de la LCDP prévoit que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu.

97 L'article 3 prévoit que la déficience fait partie des motifs de distinction illicite.L'article 25 de la Loi précise que le terme déficience comprend la déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée.

98 En matière de droits de la personne, il incombe au plaignant d’établir une preuve prima facie de discrimination, c’est-à-dire il doit présenter une preuve « qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de [l’]intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, au para. 28). Pour établir la discrimination prima facie aux termes de l’article 7 de la LCDP, le plaignant doit établir ce qui suit :

(i) l’intimé a refusé de l’employer ou de continuer à l’employer ou l’a défavorisé en cours d’emploi; et

(ii) il existe un lien entre cet acte et un motif interdit de discrimination selon l’article 3 de la LCDP (Moffat v. Davey Cartage Co. (1973) Ltd., 2015 CHRT 5; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39).

99 À cet égard, il n’est pas nécessaire que la discrimination soit l’unique motif des actes reprochés pour établir la discrimination prima facie; il suffit que la discrimination constitue un facteur, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bombardier au para. 52(voir aussi Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au para. 33).

100 En réponse, l’intimé peut réfuter l’allégation de discrimination prima facie ou présenter une défense fondée sur l’article 15 de la LCDP, dont la disposition pertinente en l’espèce se lit comme suit :

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

101 Le comportement de l'employeur ne sera pas considéré comme discriminatoire s'il peut être établi que son refus à l'égard de tout emploi découle d'exigences professionnelles justifiées (EPJ).

102 La Cour suprême du Canada a précisé dans l'arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3 (arrêt Meiorin), comment déterminer si une norme imposée par l’employeur est effectivement une EPJ. L'intimé doit établir, selon la prépondérance des probabilités:

  1. qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail en cause;
  2. qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, l'intimé doit démontrer qu'il est impossible de composer avec le plaignant sans que l'intimé subisse une contrainte excessive. Il appartient à l'intimé de démontrer qu'il a envisagé et rejeté raisonnablement toute forme possible d'accommodement (Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (arrêt Grismer)).

103 Le paragraphe 15(2) de la LCDP précise que la contrainte excessive se définit en termes de coûts, de santé et de sécurité.

104 En l’espèce, je conclus qu’il y a discrimination prima facie. La preuve démontre la condition médicale du fonctionnaire (sa déficience), le traitement défavorable du licenciement (refus de continuer de l’employer), et le lien entre ces deux faits. Comme je l’ai déjà déterminé, son état d’esprit et peut-être ses médicaments ont influencé son comportement lors de l’incident. Le comportement sanctionné par le licenciement est donc au moins partiellement attribuable à l’état de santé du fonctionnaire. Le motif de distinction illicite n’a pas à être le seul facteur de licenciement, il suffit qu’il en soit un.

105 L’employeur tente de réfuter l’allégation de discrimination prima facie en soutenant, suivant les principes de l’arrêt Gooding, que lorsque la même règle s’applique à tous les employés il n’y a pas de discrimination. Je ne retiens pas le raisonnement de l’arrêt Gooding, pour les raisons suivantes.

106 Premièrement, la Cour suprême du Canada a souligné à maintes reprises l’injustice d’une même règle qui s’applique à tous et qui ne tient pas compte des motifs interdits de discrimination (par exemple, Meiorin ou Grismer). Selon ces arrêts, la règle apparemment neutre a un effet différent d’une persone à l’autre parce qu’elles ne sont pas dans la même situation du fait de leurs caractéristiques personnelles.

107 Deuxièmement, l’arrêt Gooding ne s’inscrit pas dans le dévelopement général des droits de la personne par la Cour suprême du Canada, notamment si l’on tient compte des arrêts récents Bombardier et Moore. Dans la décision majoritaire de Gooding, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a indiqué que même si l’inconduite de l’employé a pu être influencée par sa déficience (l’alcoolisme), ce fait n’est pas pertinent parce que cette déficience n’a pas joué un role dans la décision de licenciement, en l’absence d’un lien de causalité. Pourtant, la Cour suprême du Canada a déclaré clairement dans Bombardier qu’il suffit que le motif illicite de discrimination soit un facteur dans la décision pour qu’on reconnaisse que l’intimé a commis un acte discriminatoire. La Cour a explicitement rejeté la proposition qu’il fallait qu’un « lien causal » soit prouvé. Au paragraphe 51 de la décision, la Cour s’exprime ainsi :

[51] Or, les actions en matière de discrimination fondées sur la Charte [québecoise des droits et libertés de la personne] n’exigent pas un rapport étroit. Conclure autrement reviendrait à faire abstraction du fait que, comme les actes d’un défendeur peuvent s’expliquer par une multitude de raisons, la preuve d’un tel rapport pourrait imposer un fardeau trop exigeant au demandeur. Certaines de ces raisons peuvent bien sûr justifier les actes du défendeur, mais c’est à ce dernier qu’il appartient d’en faire la preuve. En conséquence, il n’est ni approprié ni juste d’utiliser l’expression « lien causal » en matière de discrimination.

[Je souligne]

108  Comme je l’ai déjà indiqué, je conclus en l’espèce que la déficience du fonctionnaire était un facteur dans la décision de le licencier. Les faits ici sont semblables à ceux dans l’affaire Mellon c. Canada (Développement des Ressources humaines), 2006 TCDP 3. Dans cette affaire, la plaignante a plaidé que sa santé mentale était un facteur dans son licenciement, mais l’employeur a plutôt soutenu que son rendement déficient était le seul motif de licenciement. Le Tribunal canadien des droits de la personne a donné raison à Mme Mellon. Une fois mis au courant, l’employeur avait l’obligation de tenir compte de l’état de santé de l’employée avant de prendre sa décision.

109 N’ayant pas refuté la preuve prima facie de discrimination, l’employeur a-t-il établi une défense fondée sur l’article 15 de la LEFP? Comme expliqué plus haut, la justification de l’employeur doit comporter trois éléments (Meiorin) : 1) la norme a été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail; 2) l’employeur croit sincèrement que la norme est necessaire; 3) la norme est raisonnablement necessaire, en ce sens que l’employeur ne peut composer avec la réalité du demandeur sans contrainte excessive.

110 Il ne fait aucun doute que l’interdiction de la violence en milieu de travail est une règle valable, adoptée de bonne foi et assurant la réalisation d’un objectif important de l’employeur, soit assurer la sécurité en milieu de travail. Il faut donc se pencher sur le troisième élément, à savoir si l'intimé a démontré qu'il a envisagé et rejeté raisonnablement toute forme possible d'accommodement.

111 Dans son témoignage, M. Turnbull a simplement écarté la possibilité d’envisager une sanction moindre pour le fonctionnaire et un éventuel retour au travail. Il était clair, d’après son témoignage, que l’employeur était excédé. Il y avait eu plusieurs demandes de congés de maladie, beaucoup de conflits avec les collègues et gestionnaires, et enfin, cet incident culminant qui a effrayé les gens qui en ont été témoins.

112 Il ressort clairement de ce témoignage et des actions de l’employeur que celui-ci a simplement refusé de considérer la preuve médicale. Aux dires de M. Turnbull, elle paraissait invraisemblable et non concluante parce que Santé Canada ne pouvait affirmer catégoriquement qu’il y avait une relation de cause à effet entre la condition médicale du fonctionnaire et le geste qu’il a posé.

113 Ce degré de preuve est à mon sens déraisonnable. Il est suffisant de conclure que la condition médicale du fonctionnaire a probablement influencé son comportement. Le Dr Maziarz a été très clair et n’a exprimé aucun doute sur le rapport entre la condition médicale et le geste reproché. L’employeur a choisi de ne pas le croire, parce que sa note est arrivée six mois plus tard. L’employeur a également choisi de ne pas retenir l’avis de Santé Canada, qui disait le lien fort plausible.

114 Il faut souligner ici l’attitude assez négative de l’employeur à l’égard des congés de maladie du fonctionnaire. Ces demandes de congé auraient dû être un indice. L’employeur, d’après le témoignage de M. Turnbull, y voyait une forme de chantage. Cette désinvolture est déconcertante. Le fonctionnaire a demandé plusieurs congés de maladie, lesquels étaient toujours appuyés par un certificat médical. Le fonctionnaire a également demandé un congé sans solde de deux ans, que l’employeur a refusé.

115 Lorsque le fonctionnaire a demandé d’utiliser ses congés annuels pour prendre un congé de la maladie (alors qu’il était à la maison en télétravail et que M. Knoerr a confirmé qu’il y avait moins de travail), l’employeur a refusé de lui permettre d’utiliser sept semaines de congés annuels, mais il lui aurait permis d’en utiliser quatre. À l’audience, M. Turnbull n’a pu expliquer pourquoi il était possible d’accorder quatre semaines, mais non sept.

116 Il y avait chez l’employeur une réticence à reconnaître le sérieux de la condition médicale du fonctionnaire. Comme il n’a pas retenu l’explication médicale, l’employeur n’a jamais considéré un accommodement. Le refus d’envisager l’accommodement, compte tenu d’une condition médicale réelle qui entraîne un traitement défavorable au travail, est contraire à la LCDP et à la convention collective.

117 L’employeur aurait pu soulever la question de contrainte excessive, mais comme il n’a même pas reconnu la discrimination, et donc n’a pas envisagé un accommodement raisonnable, la contrainte excessive n’a jamais été mentionnée. Par conséquent, l’employeur n’a pas établi de justification pour sa décision d’imposer le licenciement en réponse à un geste isolé. Il n’a pas fait la preuve d’une exigence professionnelle justifiée.

V. Conclusion

118 L’inconduite est avérée, et elle mérite une sanction sévère. Toutefois, le licenciement est une sanction trop sévère. L’employeur n’a pas tenu compte des facteurs atténuants qui s’appliquaient au geste reproché, c’est-à-dire la provocation et l’état de santé. Il n’a pas non plus tenu compte du dossier disciplinaire vierge et du rendement professionnel du fonctionnaire.

119 En ne tenant pas compte de l’état de santé du fonctionnaire et en refusant d’envisager le retour possible au travail, l’employeur a fait montre de discrimination.

120 À partir du 11 février 2012 jusqu’au 24 janvier 2013, le fonctionnaire était en situation de télétravail et recevait son salaire. À partir du 24 janvier 2013, à la suite de la déclaration de Santé Canada qu’il était inapte au travail, il a été placé en congé de maladie, jusqu’à son licenciement, le 4 avril 2013. Entre la date de son licenciement et aujourd’hui, le fonctionnaire a reçu des prestations d’invalidité, auxquelles il avait droit puisqu’il était inapte au travail.

121 Le psychiatre traitant a déclaré que le fonctionnaire serait apte à revenir au travail en janvier 2016. J’ordonne la réintégration du fonctionnaire en date de la présente décision. Les modalités de retour au travail devront être fixées en collaboration avec l’employeur, le fonctionnaire, l’agent négociateur, Santé Canada et, si nécessaire, les médecins traitants.

122 Compte tenu de la gravité de l’acte reproché, le fonctionnaire n’aura pas droit à un remboursement de salaire. Par contre, le lien d’emploi est réputé n’avoir jamais été rompu, aux fins de l’ancienneté et du calcul de la pension.

123 L’alinéa 226(2)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique prévoit que la Commission peut, dans le cadre de toute affaire dont elle est saisie, rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) ou au paragraphe 53(3) de la LCDP. Par conséquent, la Commission peut ordonner à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire d'indemniser jusqu'à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral, en vertu de l'alinéa 53(2)e) de la LCDP.

124 Le fonctionnaire a collaboré avec le processus de Santé Canada, et s’est conformé aux directives de ses médecins. Malgré ces efforts, l’employeur n’a pas compris sa propre responsabilité d’envisager sérieusement l’accommodement.

125 Le fait qu’il s’agit de santé mentale est un facteur très important. Je prends connaissance d’office du fait que la maladie mentale reste stigmatisée dans notre société. Le fonctionnaire a dû s’avouer à lui-même, avouer à ses médecins et, finalement, à son employeur qu’il avait des difficultés d’ordre psychiatrique qui l’empêchaient de fonctionner. Il était indûment humiliant de voir cette démarche difficile entièrement bafouée par l’employeur, qui n’a eu aucun égard pour la situation du fonctionnaire et n’a jamais essayé de comprendre son point de vue. Tous les professionnels de la santé qui ont témoigné ont fait état du caractère dévastateur du licenciement pour le fonctionnaire, compte tenu de sa vulnérabilité psychologique accrue, que l’employeur ne pouvait ignorer.

126  Pour ce qui est de l’indemnisation spéciale, la Commission peut ordonner à un intimé de payer à une victime d'un acte discriminatoire une indemnité maximale de 20 000 $ s'il en vient à la conclusion que l'acte a été délibéré ou inconsidéré. Je conclus que l’acte de l’employeur, de ne pas tenir compte des conclusions des médecins, et notamment du médecin de Santé Canada, était inconsidéré. L’employeur avait des préoccupations louables, soit d’assurer un milieu de travail exempt de violence, mais il avait l’obligation d’envisager la dimension médicale de la situation, ce qu’il n’a pas fait. M. Turnbull a confirmé dans son témoignage qu’il avait écarté d’emblée toute possibilité pour le fonctionnaire de rester au travail. Ce refus, d’après M. Turnbull lui-même, était moins lié au geste de violence du fonctionnaire qu’à ses difficiles relations interpersonnelles. Pour cette raison, j’estime que l’employeur a agi de façon inconsidérée, et qu’une sanction s’impose.

127 Compte tenu toutes ces circonstances, j’accorde 15,000 $ à titre de dommages moraux et 10,000 $ comme indemnité spéciale. Encore une fois, le fait qu’il s’agit de santé mentale pèse lourd dans le calcul, compte tenu de la difficulté particulière d’avouer ce type de problème.

128 Je ne suis pas prête à ordonner des séances de formation ou de sensibilisation à l’intention des gestionnaires ou collègues du fonctionnaire. Dans une démarche d’accommodement, il peut être nécessaire de prévoir, comme l’a proposé le Dr Bergeron, des séances de médiation pour la réintégration. Je préfère que les parties en cause trouvent les solutions appropriées.

129 L’employeur devra collaborer avec le fonctionnaire, son agent négociateur, Santé Canada et, au besoin, les professionnels de la santé, pour permettre la réintégration du fonctionnaire. Des pistes de solution étaient déjà envisagées au moment où le fonctionnaire travaillait en télétravail. S’il peut participer au travail d’autres équipes de certification, comme dans le passé, sans avoir à transiger avec ses anciens collègues, dont M. Desbiens, il me semble qu’il devrait être possible de lui trouver un poste à Transports Canada.

130 Pour sa part, le fonctionnaire a l’obligation de se conformer aux traitements qui seront prescrits pour son état, avec un suivi selon les conseils de ses médecins traitants.

131 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

132 Le grief est accueilli.

133 M. Rahmani est réintégré dans son poste en date de la présente décision, sans interruption de service ni perte d’ancienneté, mais sans rémunération rétroactive.

134 L’employeur versera 15,000 $ à M. Rahmani au titre de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

135 L’employeur versera 10,000 $ à M. Rahmani au titre du paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

136 M. Rahmani devra se conformer au régime de traitement prescrit par ses médecins traitants.

137 Je demeure saisie de ce dossier pendant 90 jours en cas de difficultés dans la mise en œuvre de la présente décision.

Le 5 février 2016.

Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l'emploi
dans la fonction publique

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