Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignantes ont allégué que la nomination de la personne nommée à titre intérimaire dans le cadre d’un processus non annoncé était un abus de pouvoir – la personne nommée avait déjà été nommée à deux reprises dans le cadre d’un processus annoncé afin d’occuper ce poste par intérim – la nomination en litige visait une prolongation de deux mois de la nomination intérimaire de la personne nommée – les deux plaignantes ont été jugées qualifiées dans le cadre du processus annoncé – elles ont soutenu qu’elles se sont vu injustement refuser la possibilité d’occuper ce poste – l’arbitre du grief a conclu que l’intimé avait respecté les exigences relatives à un processus non annoncé – il a publié la notification et fourni une justification rationnelle, y compris la continuité des opérations et la connaissance des nouvelles dispositions législatives; la prolongation était nécessaire pendant que le processus de nomination était en cours afin de pourvoir le poste pour une période indéterminée – la personne nommée satisfaisait aux qualifications essentielles – étant donné qu’au bout du compte l’une des plaignantes a été nommée au poste pour une période indéterminée par suite du processus de nomination qui était en cours, l’arbitre du grief a conclu qu’il était difficile d’attaquer la bonne foi de l’intimé – la décision de l’intimé relève du pouvoir du gestionnaire délégué.Plaintes rejetées.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et Loi sur
l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20160930
  • Dossier:  EMP-2015-9597 et 9598
  • Référence:  2016 CRTEFP 100

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

WHITNEY MARTIN ET KYLENE WILLIAMS

plaignantes

et

SOUS-MINISTRE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

Intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Martin c. Sous-ministre du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien


Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour les plaignantes:
Satinder Bains, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l’intimé:
Nathalie Pruneau, parajuriste, Services juridiques, Secrétariat du Conseil du Trésor
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 4 et 22 juillet et les 4, 19 et 26 août 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        Les plaignantes, Whitney Martin et Kylene Williams, allèguent que le sous-ministre du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (l’ « intimé ») a abusé de son pouvoir en nommant Dana Piilo (la « personne nommée ») à un poste PM-02 d’agent des successions et de l’administration des bandes à titre intérimaire dans le cadre d’un processus non annoncé. La personne nommée avait déjà été nommée à deux reprises afin d’occuper ce poste dans le cadre d’un processus annoncé, pour une période d’un an en tout, débutant immédiatement avant cette nomination. Les deux plaignantes avaient été jugées qualifiées dans le cadre du processus annoncé. Elles soutiennent qu’elles se sont vu injustement refuser la possibilité d’occuper ce poste. En dernier ressort, le poste a été pourvu pour une période indéterminée et Mme Martin a été nommée.

2        L’intimé nie qu’il y ait eu abus de pouvoir.

3        La Commission de la fonction publique (CFP) a présenté des arguments écrits concernant les aspects juridiques de ce cas, mais n’en a pas débattu le fond.

4        Le 13 février 2015, les plaignantes ont déposé chacune une plainte liée à ce même processus de nomination auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »). Les dossiers ont été regroupés aux fins de l’audience et la présente décision s’applique aux deux dossiers, qui portent respectivement les numéros EMP-2015-9597 et EMP-2015-9598.

5        Pour les motifs présentés ci-dessous, je conclus que les plaintes ne sont pas fondées.

II. Contexte

6        Les parties ont déposé un énoncé conjoint des faits, qui est reproduit au présent paragraphe. Les renvois aux documents d’accompagnement présentés à l’appui ont été omis.

[Traduction]

  1. Mme Dana Piilo a initialement été nommée à titre intérimaire au poste PM-02 d’agent des successions et de l’administration des bandes au moyen d’une déclaration d’intérêt, dans le cadre du processus 13-IAN-IA-AO-ON-GIAGR-139439, pour la période du 29 janvier au 29 juillet 2014.
  2. Une prolongation de nomination intérimaire à ce même poste PM-02 a été offerte à Mme Dana Piilo au moyen du processus IAN-IA-AO-ON-GIAGR-153033, du 30 juillet 2014 au 28 janvier 2015.
  3. Les plaignantes, Mmes Martin et Williams, n’ont pas déposé de plainte contre la nomination intérimaire de Mme Piilo en vertu des numéros de processus 13-IAN-IA-AO-ON-GIAGR-139439 et 13-IAN-IA-AO-ON-GIAGR-153033. Les nominations intérimaires initiale et ultérieure découlaient du même processus, mené au moyen d’une déclaration d’intérêt, qui n’a pas été annoncé sur le site Publiservice. Les numéros des deux processus de dotation diffèrent parce qu’il fallait créer une demande d’ouverture de nouveau poste.
  4. Le 12 février 2015, un Avis de nomination intérimaire (ANI) visant le processus de dotation 15-IAN-INA-CB-ON-GIAGR-158162 a été affiché sur le site Publiservice concernant la nomination intérimaire PM-02 de Mme Dana Piilo (la personne nommée) au poste d’agent des successions et de l’administration des bandes à Brantford, en Ontario.
  5. La personne nommée était l’unique candidate retenue pour cette nomination intérimaire non annoncée allant du 29 janvier au 31 mars 2015. Les documents suivants appuient la nomination : 1) l’énoncé des critères de mérite; 2) la déclaration signée des personnes présentes au jury de sélection; 3) le curriculum vitæ de la personne nommée; 4) la justification de la nomination intérimaire (plus de 12 mois); 5) la justification du processus non annoncé.
  6. Le 13 février 2015, Mmes Martin et Williams ont déposé chacune une plainte contre la nomination intérimaire de deux mois de Mme Dana Piilo dans le cadre du processus non annoncé 15-IAN-INA-CB-ON-GIAGR-158162 pour la période du 29 janvier au 31 mars 2015.
  7. Le poste est demeuré vacant pendant le lancement du processus annoncé à l’interne 15-IAN-IA-AO-ON-GIAGR-159715, en mars 2015. Cependant, en raison des nécessités du service et en attendant l’achèvement du processus, une autre nomination intérimaire de moins de quatre mois (ne pouvant faire l’objet d’un recours) a été offerte à Dana Piilo du 12 novembre 2015 au 20 février 2016.
  8. Le 23 février 2016, un avis de nomination, ou proposition de nomination, a été affiché sur le site Publiservice pour annoncer la nomination promotionnelle de Mme Whitney Martin, l’une  des plaignantes, au poste d’agent de programme subalterne (PM-02) à Brantford.
  9. Lorsque les descriptions de travail génériques du groupe PM ont été adoptées aux AANC, le poste d’agent des successions et de l’administration des bandes est devenu un poste d’agent de programme subalterne. Par conséquent, Mme Martin occupe ce même poste qu’a occupé la personne nommée.

7        Comme les faits n’ont pas été contestés, les parties ont consenti à une instruction sur dossier.

III. Arguments des parties

A. Arguments des plaignantes

8        Il était indiqué dans l’Avis de nomination intérimaire (l’« ANI ») publié sur le site Publiservice (à l’époque, le site Web de la dotation interne du gouvernement fédéral) que le poste était à Brantford, en Ontario. Cependant, la personne nommée se trouvait à Thunder Bay, en Ontario, tandis que les deux plaignantes travaillent au bureau de Brantford.

9        Un bassin de candidats qualifiés a été créé lors du processus initial et l’intimé a annoncé le poste en demandant des déclarations d’intérêt aux candidats intéressés. Les plaignantes allèguent qu’elles ont toutes deux été admises dans ce bassin. Elles ont été avisées que sa validité expirerait au 12 décembre 2014. Cependant, la nomination intérimaire en litige a eu lieu après cette date. Les plaignantes maintiennent qu’il est injuste que la validité du bassin ait expiré pour d’autres candidates qualifiées, mais apparemment pas pour la personne nommée.

10        Les plaignantes font valoir que, même si elles étaient parfaitement compétentes, elles ne se sont jamais vu offrir une possibilité de nomination intérimaire. Il leur semble que seule la personne nommée a bénéficié du fait de faire partie du bassin de candidats qualifiés. À leur avis, il s’agissait d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé.

11        Par conséquent, les plaignantes demandent une plus grande transparence dans les futurs processus de dotation, ainsi que l’égalité des chances. En ne se faisant pas offrir la possibilité d’occuper ce poste de façon intérimaire, elles ont le sentiment de ne pas avoir été traitées équitablement. Comme elles l’ont déclaré dans leurs arguments : [traduction] « Nous avons le sentiment qu’un certain nombre de facteurs ont pu entrer en ligne de compte dans cette décision, notamment notre âge et le fait que nous sommes toutes deux des femmes autochtones. »

B. Arguments de l’intimé

12        L’intimé a formulé la question en ces termes : a-t-il abusé de son pouvoir en procédant au moyen d’un processus non annoncé pour prolonger la nomination intérimaire de Mme Piilo du 29 janvier au 31 mars 2015?

13        À titre préliminaire, l’intimé a demandé que les plaintes soient rejetées en raison de leur caractère théorique, puisque l’une des plaignantes a été nommée au poste en litige pour une période indéterminée.

14        Dans le cas où les plaintes ne seraient pas rejetées en raison de leur caractère théorique, l’intimé a présenté les arguments énoncés ci-dessous.

15        L’intimé a maintenu que les plaignantes n’avaient pas établi le bien-fondé de leurs allégations et que, par conséquent, elles ne s’étaient pas acquittées du fardeau de la preuve.

16        Le seuil à atteindre pour conclure à un abus de pouvoir est très élevé et, selon l’intimé, il n’a pas été atteint en l’espèce. L’abus de pouvoir ne doit pas se limiter à des erreurs, des omissions ou une inconduite. Pour y conclure, il faut constater une insouciance ou un manque de diligence grave.

17        Les plaignantes allèguent que l’utilisation d’un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir. Cependant, comme le confirme la jurisprudence (voir Robbins c. l’Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 17), le choix d’un processus non annoncé ne peut pas, en soi, être considéré comme un abus de pouvoir, puisque la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13; (LEFP)) prévoit expressément cette possibilité à l’art. 33.

18        L’intimé soutient qu’en l’espèce, la nomination intérimaire non annoncée était suffisamment étayée pour satisfaire à toutes les exigences. La personne nommée répondait au critère de mérite et le gestionnaire délégué avait signé les justifications des deux nominations intérimaires et de l’utilisation d’un processus non annoncé. L’ANI avait été publié sur le site Publiservice afin de permettre un recours approprié.

19        La personne nommée était parfaitement compétente. Le fait de retenir un seul candidat qualifié pour un poste ne constitue pas une violation de la LEFP (voir Clout c. le Sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile,2008 PSST 22). La personne nommée faisait partie de la zone de sélection. La LEFP ne prévoit aucun recours contre une décision prise par la direction d’autoriser un employé à travailler à distance.

20        L’intimé maintient aussi que les plaignantes ne pouvaient pas se plaindre des multiples possibilités de nomination intérimaire offertes à la même personne nommée, puisque les mesures correctives ordonnées par la Commission ne peuvent viser que les plaintes dont elle est saisie.

21        L’intimé s’est opposé à certains arguments des plaignantes, qui ne faisaient pas partie des allégations initiales, à savoir que la personne nommée a été favorisée, que le gestionnaire responsable de l’embauche siégeait aussi au comité de sélection et que la discrimination fondée sur l’âge et l’origine ethnique ou raciale est entrée en ligne de compte. L’intimé fait valoir qu’il faut avoir l’autorisation de la Commission pour ajouter ou modifier des allégations.

22        En ce qui a trait aux mesures correctives demandées par les plaignantes, l’intimé a déclaré qu’aucune d’elles ne relève de la compétence de la Commission qui est établie en vertu des articles 81 et 82 de la LEFP.

C. Arguments de la CFP

23        La CFP ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de l’affaire, mais elle a présenté des arguments concernant ses politiques telles que ses Lignes directrices en matière d’évaluation et ses Lignes directrices en matière de sélection et de nomination. Celles-ci orientent les gestionnaires délégués, afin que les processus de dotation soient menés en tenant compte des valeurs fondamentales de la LEFP que sontle mérite, la justice et la transparence.

IV. Analyse

24        Les dispositions pertinentes de la LEFP aux fins de ces plaintes sont les suivantes :

[…]

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas […]

[…]

30 (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a)selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir[…]

[…]

(4) La Commission n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite.

[…]

33 La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.

[…]

25        La disposition suivante du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334 (REFP), est également pertinente aux fins des nominations intérimaires :

14 (1) La nomination intérimaire de moins de quatre mois est soustraite à l’application des articles 30 et 77 de la Loi pourvu qu’elle ne porte pas la durée cumulative de la nomination intérimaire d’une personne à ce poste à quatre mois ou plus.

26        Les plaignantes soutiennent qu’elles se sont vu refuser la possibilité de nomination intérimaire qui a été donnée à plusieurs reprises à la personne nommée, malgré le fait qu’elles étaient qualifiées. Cependant, la plainte qu’elles ont déposée ne vise que la nomination intérimaire de deux mois qui prolongeait la période cumulative de la nomination intérimaire de la personne nommée. La question à trancher peut donc être ainsi énoncée : il s’agit de savoir si l’intimé a abusé de son pouvoir en nommant Mme Piilo au poste PM-02 d’agent des successions et de l’administration des bandes à titre intérimaire au bureau de Brantford pour la période de deux mois qui constituait une prolongation de la nomination intérimaire précédente d’une durée d’un an.

27        Le paragraphe 77(1) de la LEFP prévoit qu’une personne qui est dans la zone de recours peut présenter à la Commission une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir. La LEFP ne définit pas l’abus de pouvoir. Elle indique seulement, au paragr. 2(4), qu’« on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».Comme la Cour fédérale l’a déclaré dans Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, au paragr. 34 :

[…] Le législateur a choisi de laisser au Tribunal le soin d’interpréter ce motif de plainte de façon à pouvoir tenir compte des circonstances propres à chaque affaire dont il est saisi […]

28        Comme il est précisé dans Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, au paragr. 66, « […] l’abus de pouvoir exige un acte répréhensible. Par conséquent, l’abus de pouvoir comprendra toujours une conduite irrégulière, mais la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière peut déterminer si elle constitue un abus de pouvoir ou non ». Il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu un acte répréhensible, c’est-à-dire une conduite irrégulière d’une telle ampleur qu’elle constitue un abus de pouvoir. Le Tribunal et la Commission ont dit régulièrement qu’il faut plus qu’une simple erreur ou omission pour conclure qu’il y a eu abus de pouvoir.

A. Argument de l’intimé fondé sur le caractère théorique

29        L’intimé fait valoir que, puisque l’une des plaignantes a été nommée au poste en litige pour une période indéterminée, l’affaire est devenue théorique et il cite les deux décisions du Tribunal présentées ci-dessous.

30        Dans Dubord c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2013 TDFP 10, le plaignant a présenté sa candidature selon un processus de nomination interne annoncé.Sa candidature a d’abord été rejetée, mais après avoir déposé une plainte auprès du Tribunal, le plaignant a fait l’objet d’une réévaluation et a finalement obtenu le poste auquel il avait fait une demande d’emploi.

31        Dans le même ordre d’idées, dans Obioha c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social, 2016 CRTEFP 13, la plaignante avait déposé une plainte contre deux nominations intérimaires à un poste qui l’intéressait. Après le dépôt de sa plainte, elle s’est vu offrir une possibilité de nomination intérimaire à ce même poste et, à la date prévue pour l’audience, elle occupait le poste pour une période indéterminée.

32        Dans les deux cas, il a été remédié à la situation avant l’instruction de l’affaire. Dans le premier cas, la demande a été réévaluée, avec le résultat que le plaignant a obtenu le poste. Dans le deuxième cas, une possibilité de nomination intérimaire a été offerte à la plaignante et, au bout du compte, celle-ci a été promue à ce poste.

33        Le présent cas concerne deux plaignantes. L’une a été nommée au poste pour une période indéterminée, mais l’autre n’a reçu ni possibilité de nomination intérimaire ninomination pour une période indéterminée. De plus, l’essentiel des plaintes est l’occasion manquée, parce que les plaignantes ne se sont pas vu offrir la nomination intérimaire. Même si finalement Mme Martin a été nommée au poste pour une période indéterminée, cela ne change rien au fait qu’elle estime s’être vu injustement refuser la nomination intérimaire. Je suis donc d’avis que les plaintes n’ont pas été résolues comme dans les deux cas cités et qu’elles ne peuvent être rejetées sur le fondement du caractère théorique.

B. Nouvelles allégations

34        Les plaignantes ont soulevé dans leurs arguments des allégations supplémentaires qui ne se trouvaient pas dans leurs allégations initiales, selon lesquelles le favoritisme et la discrimination sont des facteurs qui ont joué dans le refus de leur offrir la possibilité de nomination intérimaire. Il était simplement dit dans les allégations initiales qu’il était injuste que la possibilité de nomination intérimaire leur soit refusée alors qu’elles travaillaient au bureau de Brantford (où se trouvait le poste), tandis que la personne nommée travaillait au bureau de Thunder Bay, qu’elles étaient parfaitement compétentes et que, par conséquent, elles auraient dû se voir offrir la possibilité de nomination intérimaire.

35        Je conviens avec l’intimé qu’il n’est pas possible d’ajouter des allégations supplémentaires à l’étape de la présentation des arguments écrits. La question est visée à l’art. 23 du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique, DORS/2006-6, lequel prévoit que la Commission autorise le plaignant à modifier une allégation, à condition qu’il présente une demande et que, selon le cas, une nouvelle information ait été obtenue ou qu’il convienne d’autoriser la modification par souci d’équité. Dans le présent cas, en vertu de l’équité procédurale, ces allégations ne peuvent être prises en compte. Les plaignantes n’ont pas demandé à modifier leurs allégations. Les parties ont convenu que la décision serait rendue sur le fondement factuel de l’énoncé conjoint des faits. Aucune autre preuve ne devait être reçue.

C. Abus de pouvoir

36        L’article 33 de la LEFP prévoit que le gestionnaire délégué peut mener un processus de nomination non annoncé. Le paragraphe 30(4) prévoit en outre qu’il n’est pas nécessaire de prendre en compte plus d’une personne pour un poste, à condition que la personne satisfasse aux qualifications essentielles. Les qualifications de la personne nommée ne sont pas en litige. De prime abord, donc, le processus de nomination intérimaire ne constitue pas un abus de pouvoir. Les plaignantes font valoir l’injustice de la situation — le fait qu’elles aient été au bureau de Brantford et ne se soient jamais vu offrir la possibilité de nomination intérimaire, alors qu’au moment du dépôt des plaintes, la personne nommée avait occupé le poste à titre intérimaire pendant 12 mois en tout (deux nominations consécutives de six mois, du 29 janvier 2014 au 28 janvier 2015), l’objet de la plainte étant la nomination intérimaire supplémentaire et consécutive, allant du 29 janvier au 31 mars 2015.

37        L’intimé a raison d’affirmer que seule la nomination intérimaire de deux mois qui est contestée est en litige. Les plaignantes n’ont pas déposé de plainte contre les nominations intérimaires antérieures. Cependant, une seule période de deux mois ne pourrait pas faire l’objet d’une plainte, puisque le REFP prévoit l’exclusion des plaintes visant des périodes de quatre mois moins un jour (à l’art. 14). Une plainte peut être déposée à l’égard d’une nomination intérimaire de deux mois si la période cumulative des nominations intérimaires excède quatre mois.

38        L’intimé a précisé dans sa justification de la troisième nomination intérimaire qu’il avait estimé que la continuité à un poste était un facteur important pour les clients. Ce genre de décision de gestion ne peut être révisé par la présente Commission. La jurisprudence est très claire à cet égard.

39        Dans Clout, la plaignante a fait valoir qu’il y avait eu abus de pouvoir parce qu’une personne avait été nommée dans le cadre d’un processus non annoncé, alors que d’autres employés étaient également qualifiés pour le poste. Le Tribunal a déclaré que la loi autorisait clairement le choix d’un processus non annoncé etle fait de prendre en considération une seule candidature. Sans plus, cela n’était pas suffisant pour conclure à l’abus de pouvoir. Dans ce cas, la justification de la nomination suffisait pour repousser les allégations d’abus de pouvoir. La personne nommée a satisfaisait aux qualifications essentielles et il n’y a eu aucune preuve de favoritisme personnel.

40        Dans Morris c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2009 TDFP 9, la plaignante a invoqué le manque de transparence et le favoritisme à l’égard d’un processus de nomination non annoncé à un poste intérimaire de six mois. Le Tribunal a conclu à l’absence de favoritisme personnel et, même si le processus de notification avait été retardé de quatre mois, le Tribunal a estimé que cette erreur ne constituait pas un abus de pouvoir. La sélection de la personne nommée se fondait sur une justification suffisante et ses qualifications pour le poste ne faisaient aucun doute.

41        Dans Robert, le Tribunal a conclu que le manque de diligence de la part du gestionnaire délégué était d’une telle ampleur qu’il constituait un abus de pouvoir. Dans ce cas, une nomination intérimaire de deux mois avait été prolongée trois fois consécutives, soit pour six mois en tout. La notification avait été publiée après l’échéance de la nomination intérimaire et, plus important encore, la personne nommée ne satisfaisait pas à l’une des qualifications essentielles.

42        En l’espèce, l’intimé a respecté les exigences relatives à un processus non annoncé. Il a publié la notification et fourni une justification rationnelle, et la personne nommée satisfaisait aux qualifications essentielles. Dans sa justification de la nomination supplémentaire de deux mois qui a donné lieu aux plaintes, l’intimé explique que la nomination a été accordée à la personne nommée afin d’assurer la continuité pour les clients du bureau responsable des successions, à la suite de deux nominations antérieures. De plus, en décembre 2014, les dispositions législatives concernant les biens immobiliers matrimoniaux avaient été modifiées et la personne nommée semble avoir été la seule personne qui avait reçu la formation sur les nouvelles dispositions législatives à ce moment-là. En dernier lieu, l’intimé affirme que la prorogation s’avérait nécessaire pendant que le processus de nomination était en cours afin de pourvoir le poste pour une période indéterminée.

43        Étant donné qu’au bout du compte l’une des plaignantes a été nommée au poste pour une période indéterminée par suite du processus de nomination qui était en cours, il est difficile d’attaquer la bonne foi de l’intimé. Je peux comprendre les raisons pour lesquelles les plaignantes ont pu percevoir la situation comme un refus de leur offrir une possibilité à laquelle elles estimaient avoir droit, puisqu’elles se trouvaient au bureau de Brantford et possédaient les qualifications nécessaires. Cependant, elles n’ont invoqué ni le favoritisme personnel ni la discrimination dans leurs allégations initiales et n’ont pas non plus demandé à modifier celles-ci. Je me trouve donc face à des décisions de gestion qui relèvent du pouvoir du gestionnaire délégué — notamment celui de choisir une personne qualifiée au moyen d’un processus non annoncé suffisamment justifié, en évoquant la continuité des opérations et la connaissance des nouvelles mesures législatives.

44        Je conclus par conséquent que les plaintes ne sont pas fondées.

45        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

46        Les plaintes sont rejetées.

Le 30 septembre 2016.

Traduction de la CRTEFP

Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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