Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée était en congé de maladie prolongé – elle a été par la suite déclarée apte à un retour au travail progressif, avec la limitation fonctionnelle permanente indiquant qu’elle ne pouvait plus travailler pour son employeur, à savoir la Gendarmerie royale du Canada (GRC) – l’employeur a tenté de lui trouver un autre emploi dans la fonction publique en l’inscrivant au Système de gestion de l’information des priorités (SGIP), qui est administré par la Commission de la fonction publique (CFP) – par l’intermédiaire du SGIP, elle a été informée de plusieurs possibilités d’emploi, mais elle n’était pas qualifiée pour ces emplois ou n’était pas capable de les effectuer en raison de sa déficience – après 20 mois à ne pas avoir trouvé un emploi dans la fonction publique, elle a choisi de prendre une retraite anticipée – dans son grief, elle a allégué que son employeur avait fait preuve de discrimination à son égard concernant sa déficience, en contravention à la convention collective pertinente et à la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), en ne lui apportant aucun soutien pour favoriser son retour au travail dans un autre ministère – l’employeur a allégué qu’il n’était pas dans l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire s’estimant lésée puisqu’elle ne pouvait pas retourner travailler à la GRC – il a soutenu qu’il avait rempli son obligation en l’inscrivant au SGIP et que c’était à la CFP seule qu’il incombait de renvoyer la fonctionnaire s’estimant lésée à différents postes au sein de la fonction publique – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait établi une preuve prima facie de discrimination en démontrant qu’elle avait une déficience et qu’elle avait subi un préjudice de la part de l’employeur, puisqu’elle n’a pas été en mesure de retourner au travail lorsque son état de santé s’était amélioré – elle a rejeté la défense de l’employeur selon laquelle ce dernier n’avait plus d’obligation de prendre des mesures d’adaptation à partir du moment où il l’avait renvoyée à la CFP – l’employeur ne pouvait pas la nommer dans un nouveau poste dans un ministère différent, mais il aurait dû préparer un plan d’action pour favoriser son retour au travail, l’aider à rédiger un curriculum vitae, et lui offrir une formation, du coaching ou du mentorat, ainsi que des services de soutien afin de l’aider à mieux comprendre le fonctionnement du SGIP et les postes qui y étaient affichés – l’employeur a omis de créer un plan de retour au travail qui aurait tenu compte des contraintes de la fonctionnaire s’estimant lésée relativement à sa déficience – l’employeur n’a pas démontré que ces mesures auraient occasionné une contrainte excessive – les éléments de preuve ont également démontré que la fonctionnaire s’estimant lésée et son agent négociateur avaient fait preuve de collaboration et d’ouverture d’esprit à l’égard des démarches prises pour l’inscrire au SGIP ou pour l’accommoder – la Commission a ordonné qu’elle soit indemnisée pour toutes les sommes perdues au titre de la rémunération, des crédits de congé annuel et des avantages sociaux, et lui a accordé des dommages pour préjudice moral conformément à l’alinéa 53(2)e) de la LCDP ainsi qu’une indemnité spéciale conformément au paragraphe 53(3).Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20161223
  • Dossier:  566-02-8373, 8374 et 8375
  • Référence:  2016 CRTEFP 122

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

LOUISE HOTTE

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Gendarmerie royale du Canada)

employeur

Répertorié
Hotte c. Conseil du trésor (Gendarmerie royale du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Nathalie Daigle, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
James Cameron, avocat
Pour l'employeur:
Zorica Guzina, avocate
Affaire entendue à Montréal (Québec)
Du 17 au 19 mai 2016.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        La fonctionnaire s’estimant lésée, Louise Hotte (la « fonctionnaire »)était une employée de la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC » ou l’« employeur »), qui a tenté d’effectuer un retour au travail à la suite d’un congé de maladie. Toutefois, en raison d’une limitation fonctionnelle permanente, elle ne pouvait pas retourner travailler à la GRC. Elle estime avoir été l’objet de discrimination de la part de son employeur, parce qu’il ne lui a apporté aucun soutien pour favoriser son retour au travail dans un autre ministère. Environ 20 mois plus tard, découragée et sans revenu régulier, elle a choisi de prendre une retraite anticipée faute d’avoir trouvé un emploi.

2        L’employeur soutient que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne relevait pas de la GRC puisque la fonctionnaire n’était pas en mesure de revenir travailler pour son employeur. Il souligne qu’il a néanmoins pris toutes les mesures nécessaires afin de l’inscrire au système de gestion de l’information des priorités (SGIP) dans le but de l’aider à trouver un emploi ailleurs dans la fonction publique.

3        L’avis de renvoi à l’arbitrage du grief a été déposé le 3 avril 2013, auprès de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »). Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « Commission »). La Commission remplace l’ancienne Commission et le Tribunal de la dotation de la fonction publique et exerce maintenant les fonctions qui étaient antérieurement exercées par l’ancienne Commission.

4        Comme je l’expliquerai plus tard dans la présente décision, je conclus que la fonctionnaire a produit une preuve prima facie de discrimination et que l’employeur n’a pas démontré que ses actes n’étaient pas discriminatoires. De plus, l’employeur n’a pas invoqué de moyen de défense prévu par la loi justifiant la discrimination. Par conséquent, l’allégation de la fonctionnaire est fondée.

II. Contexte

5        La fonctionnaire a accumulé 24 ans de service au sein de la fonction publique fédérale. De 1995 à 2008, elle a travaillé à la GRC, puis elle est partie en congé de maladie. En 2008, elle occupait le poste de superviseur(e), bénéfices et services médicaux – Services de santé, classifié au groupe et au niveau AS-02, à Montréal. Elle s’occupait, entre autres, du retour au travail des policiers après un congé de maladie.

6        La fonctionnaire a été en congé de maladie prolongée à partir du 29 septembre 2008, jusqu’à ce qu’elle soit déclarée apte à retourner au travail le 28 novembre 2011. À la  suite d’une évaluation médicale à la demande de l’employeur, Santé Canada a conclu que la fonctionnaire était apte à un retour au travail progressif, mais qu’elle avait une limitation fonctionnelle permanente, soit qu’elle ne devait plus travailler pour la GRC. La lettre précisait que lorsqu’un poste respectant cette limitation serait identifié, le médecin traitant autoriserait le retour progressif au travail de la fonctionnaire.

7        Par la suite, la GRC a pris des mesures pour inscrire la fonctionnaire au SGIP afin de l’aider à trouver un autre emploi dans la fonction publique. Au départ, la GRC a eu des difficultés à obtenir de la fonctionnaire certains renseignements qui étaient requis pour compléter son inscription. En particulier, il y a eu confusion au sujet de la date de retour au travail de la fonctionnaire, qui devait être précisée dans le certificat médical préparé par son médecin traitant. En juillet 2012, son inscription a été complétée avec succès.

8        L’employeur estime qu’il incombait à la Commission de la fonction publique (la « CFP ») de renvoyer la fonctionnaire à différents postes au sein de la fonction publique. Selon lui, l’obligation d’accommoder la fonctionnaire ne relevait pas de lui, puisqu’elle n’était pas en mesure de revenir travailler à la GRC.

9        En décembre 2011, la fonctionnaire a présenté son grief, qu’elle a amendé à l’audience. Le redressement demandé est désormais comme suit :

b) Je demande une protection salariale;

e) Je demande le remboursement complet par l’employeur des contributions à mon fonds de pension, tant ma part que la sienne, et ce, rétroactivement au 29 septembre 2008;

f) Je demande le remboursement de mes journées de maladie accumulées, non utilisées;

g) Je demande le paiement de 12 semaines de congés de vacances depuis 2008 (4 semaines fois 3 ans);

h) Je demande de bénéficier de tous les bénéfices tels les assurances médicales, dentaires et soins de la vue;

j) Je demande la somme de 300 $, pour l’aide et la préparation professionnelle d’un C.V.

k) Je demande un dédommagement de 25 000 $ pour atteinte à la santé psychologique et physique pendant une longue période;

o) Je demande le remboursement de 500 $ pour l’usage de l’ordinateur portable personnel et imprimante.

[10]    Il est à noter que le 29 juin 2012, la fonctionnaire a présenté deux autres griefs (566-02-8373 et 8374) pour dénoncer une mesure disciplinaire que l’employeur lui aurait imposée en date du 6 juin 2012, au sujet d’une plainte de harcèlement qui a été déposée contre elle. Ces griefs ont éventuellement été renvoyés à la Commission, mais ils ont été retirés à l’audience.

III. Question en litige

11        Il n’y a essentiellement qu’une question en litige en l’espèce : Est-ce que l’employeur a fait preuve de discrimination envers la fonctionnaire?

12        Cette question soulève, toutefois, les trois enjeux suivants :

  1. La fonctionnaire a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination?
  2. L'employeur a-t-il fourni une explication raisonnable démontrant que la présumée discrimination n'a pas eu lieu tel qu’il a été allégué ou que la conduite n’était pas discriminatoire?
  3. La fonctionnaire a-t-elle fait preuve de collaboration et d’ouverture d’esprit à l’égard des démarches entreprises par son employeur pour l’inscrire au SGIP ou pour l’accommoder?

IV. Motifs

13        La fonctionnaire allègue que son employeur a fait preuve de discrimination à son endroit relativement à son incapacité, en contravention de la clause 19 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC »), venant à échéance le 20 juin 2014, et de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP »).

14        La clause 19 de la convention collective prévoit qu'il n’y aura aucune discrimination exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son incapacité mentale ou physique, entre autres motifs.

15        Selon l’alinéa 226(2)a) de la LRTFP, un arbitre de grief et la Commission peuvent, en ce qui concerne toute affaire renvoyée à l’arbitrage, « interpréter et appliquer la [LCDP], sauf les dispositions de cette loi sur le droit à la parité salariale pour l'exécution de fonctions équivalentes […] », qu’il y ait ou non un conflit entre la LCDP et la convention collective.

16        L’article 2 de la LCDP prévoit que cette loi a pour objet de promouvoir le principe suivant : « le droit de tous les individus […] à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées, entre autres, sur la déficience ».

17         Selon l’article 7 de la LCDP, le fait de défavoriser un employé en cours d'emploi pour des motifs de distinction illicite constitue un acte discriminatoire. La déficience est un motif de distinction illicite (paragraphe 3(1) de la LCDP). Selon la définition prévue à l’article 25 de la LCDP, une déficience est une « déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue ».

18        Afin d’établir qu'un employeur a fait preuve de discrimination, la fonctionnaire doit d’abord établir une preuve prima facie (ou « à première vue ») de discrimination. Une preuve prima facie « est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante », pour justifier une conclusion en faveur du fonctionnaire s’estimant lésé en l’absence de réplique du défendeur (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears, [1985] 2 RCS 536, au paragr. 28) (« O’Malley »).

19        Le fonctionnaire doit établir qu’il existe un lien entre un motif de distinction illicite de discrimination et la distinction, l’exclusion ou la préférence dont il ou elle se plaint ou, en d’autres termes, que le motif en cause était un facteur dans la distinction, l’exclusion ou la préférence (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 SCC 39, au paragr. 52).

20        Un employeur peut éviter une conclusion défavorable en présentant soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la discrimination, ou les deux. Lorsque l’employeur réfute l’allégation, il doit fournir une explication raisonnable, qui ne peut constituer un prétexte pour dissimuler l’acte discriminatoire (voir Moffat c. Davey Cartage Co. (1973) Ltd., 2015 TCDP 5, au paragr. 38).

21        L’article 15(1)a) de la LCDP constitue un des moyens de défense prévus par la loi. Cette disposition prévoit que la conduite de l’employeur ne sera pas considérée comme discriminatoire si on peut établir que cette distinction, exclusion ou préférence découle d’une exigence professionnelle justifiée (« EPJ ») (art. 15(1)a) de la LCDP). Afin qu’un acte soit considéré comme une EPJ, il doit être démontré que les mesures prises en vue de répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (art. 15(2) de la LCDP).

22        Le fardeau de la preuve dans les affaires concernant la discrimination est le fardeau civil de la prépondérance des probabilités (voir Bombardier, aux paragr. 65-67).

1.  La fonctionnaire a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination?

23        Pour les motifs énoncés ci-dessous, je conclus que la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination.

24        La fonctionnaire a expliqué qu’elle était passionnée par son travail et que, jusqu’en 2008, elle bénéficiait de beaucoup de reconnaissance de la part de son employeur. Elle avait accumulé beaucoup de crédits de vacances et elle a pris un congé annuel pendant les mois d’août et de septembre 2008. Le matin du 29 septembre 2008, à son retour au travail, une supérieure venue d’Ottawa l’a informée qu’une collecte des faits était en cours en raison d’une plainte de harcèlement déposée contre elle. La fonctionnaire a été invitée à retourner à la maison pour préparer sa défense.

25        La fonctionnaire n’est pas retournée au travail. Le 29 septembre 2008, elle est partie en congé de maladie de longue durée. Elle a souligné que, le 21 juin 2010, la Commission des lésions professionnelles (la « CLP ») a rendu une décision lui donnant droit à des indemnités de la Commission de la santé et sécurité au travail (CSST) en raison d’une lésion permanente subie à la suite d’une maladie professionnelle. Le versement de ces prestations, équivalentes à un tiers de son salaire, a commencé le 29 septembre 2008, et prendra fin lorsqu’elle aura 68 ans.

26        La fonctionnaire a précisé qu’à partir de l’été 2011, ses représentants syndicaux ont tenté, sans succès, d’amorcer une discussion avec l’employeur afin de préparer son éventuel retour au travail. De même, ses tentatives de communication avec l’employeur n’ont pas porté ses fruits. Selon elle, elle n’était pas la bienvenue à la GRC à cause de l’enquête qui avait été menée à son sujet. On lui a interdit de se rendre au lieu de travail.

27        L’employeur a ensuite demandé à Santé Canada d’évaluer l’état de santé de la fonctionnaire. Le 28 novembre 2011, Santé Canada a informé l’employeur que celle-ci était apte à un retour au travail progressif, mais avec une limitation fonctionnelle permanente, soit qu’elle ne devait plus travailler pour son employeur, la GRC. La lettre précisait que lorsqu’un poste respectant cette limitation serait identifié, le médecin traitant autoriserait le retour au travail progressif de la fonctionnaire.

28        La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait besoin d’aide pour rédiger un curriculum vitae, puisqu’elle n’avait pas fait de recherche d’emploi depuis plus de 24 ans. Elle avait aussi besoin d’information, d’assistance et, possiblement, de formation. Toutefois, ses tentatives pour obtenir de l’aide ont toutes été infructueuses. Soit l’employeur lui fournissait des réponses vagues, soit il l’ignorait.

29        Selon la plaignante, avant de l’inscrire au SGIP de la CFP, son employeur a persisté à lui demander plusieurs certificats médicaux. À plusieurs reprises, les certificats médicaux qu’elle leur a fait parvenir ont été jugés insuffisants.

30        L’inscription de la fonctionnaire au SGIP a été complétée le 24 juillet 2012. En octobre 2012, la CFP l’a informée d’une première possibilité d’emploi à Service correctionnel Canada. Toutefois, tel qu’il était précisé dans un rapport psychiatrique préparé à son sujet, il était recommandé qu’elle ne se retrouve pas « dans des milieux où il y a une certaine dangerosité comme par exemple les services correctionnels […] ». La fonctionnaire n’a donc pas retenu cette possibilité d’emploi. Ensuite, en novembre 2012, la fonctionnaire a été informée d’une deuxième possibilité d’emploi à la GRC. Toutefois, elle ne pouvait pas retourner à la GRC en raison de sa limitation fonctionnelle permanente voulant qu’elle ne retourne pas travailler à la GRC. Elle n’a donc pas retenu, non plus, cette possibilité d’emploi.

31        La fonctionnaire a, de façon similaire, été informée de quelques autres possibilités d’emploi, mais elle a expliqué qu’elle n’était pas qualifiée pour ces emplois puisqu’ils exigeaient qu’elle soit titulaire d’un diplôme universitaire, ce qui n’était pas le cas. Elle n’a donc pas postulé à ces emplois.

32        À la fin de 2012, la santé de la fonctionnaire a progressivement décliné. Elle a expliqué avoir fait une rechute parce qu’elle ne recevait aucune assistance depuis un an de la part de son employeur pour se trouver un nouvel emploi. Elle s’est découragée. À sa demande, à cause de son inaptitude au travail, son statut à titre de bénéficiaire d’une priorité a été mis en suspens par la CFP.

33        La fonctionnaire a précisé que, à partir du moment où elle a eu droit à des indemnités de la CSST, elle a reçu des indemnités de remplacement du revenu de la CSST équivalentes à un tiers de son salaire. Lorsqu’elle a été déclarée apte à travailler par Santé Canada, ses indemnités de remplacement du revenu de la CSST ont augmenté à 90 p. 100 de son salaire pendant un an. Lorsque cette année de grâce s’est terminée, en décembre 2012, ses indemnités de remplacement du revenu de la CSST ont diminué à un tiers de son salaire.

34        En décembre 2012, la fonctionnaire a utilisé 55 jours de congé de maladie qu’elle avait accumulés. Pendant cette période, soit du 19 décembre au 12 mars 2013, elle a reçu l’intégralité de son salaire. Le 13 mars, la fonctionnaire s’est retrouvée en congé sans solde et son revenu s’est limité aux indemnités de remplacement du revenu de la CSST équivalentes à un tiers de son salaire.

35        En date du 25 mars 2013, le médecin traitant de la fonctionnaire a préparé un nouveau certificat médical indiquant que sa patiente « demeur[ait] inapte au travail et inapte à la recherche d’emploi ».

36        En août 2013, la fonctionnaire a cédé au découragement et a choisi de prendre une retraite anticipée. Elle a expliqué que ses indemnités de remplacement du revenu de la CSST ne lui rapportaient que le tiers de son salaire et que ce n’était pas suffisant pour subvenir à ses besoins. Selon elle, à l’exception du renvoi au SGIP, son employeur ne lui a apporté aucun appui pour trouver un nouvel emploi. Au contraire, il a, de différentes façons, clairement mis en veilleuse ou de côté la question de son retour. Son employeur l’a également avisée de ne pas se présenter à la cérémonie de remise de certificats de mérite pour ses années de services rendus. Elle s’est sentie rejetée par son employeur.

37        La fonctionnaire a cité Guylaine Bourbeau, agente aux griefs et à l’arbitrage, AFPC, à témoigner à l’audience. Mme Bourbeau a précisé avoir 38 ans d’expérience en matière de retours au travail. Elle a expliqué qu’en avril 2011, elle a offert des conseils aux représentants syndicaux de la fonctionnaire. Tel que nous le verrons, elle a aussi, en juin 2011, assisté à une rencontre avec l’employeur et la CSST au sujet de la fonctionnaire.

38        Mme Bourbeau a précisé que, selon son expérience, un retour au travail peut s’effectuer de différentes façons. Parfois, un employé peut avoir besoin de certaines mesures d’adaptation pour retourner à son poste d’attache. Si l’employé ne peut pas retourner à son poste d’attache, il peut dans certains cas être affecté à un autre poste au sein de l’organisation. Si un retour dans l’organisation n’est pas possible, d’autres mesures doivent être envisagées. Mme Bourbeau a souligné que l’organisation est quand même responsable d’établir un plan de retour au travail (plan d’intervention ou d’action), puisque l’employé qui est apte à retourner au travail fait partie de l’organisation. Dans de tels cas, selon elle, il y a lieu de faire preuve d’un esprit inventif et créatif pour trouver les moyens de faciliter le retour au travail de l’employé.

39        D’après Mme Bourbeau, en l’espèce, même si la fonctionnaire ne pouvait pas revenir travailler à la GRC, son employeur aurait dû préparer un plan d’action pour faciliter son retour et son intégration sur le marché du travail, surtout qu’elle faisait partie d’une catégorie à risque puisqu’elle avait plus de cinquante ans et qu’elle souffrait d’un handicap reconnu par la CLP et la CSST. Selon Mme Bourbeau, afin de faciliter son retour au travail, l’employeur aurait dû lui fournir tout ce qui était nécessaire à sa réintégration, notamment de l’aide en matière de rédaction d’un curriculum vitae, de la formation et d’autres services utiles dans le cadre d’une recherche d’emploi (par exemple le coaching et les techniques d'entrevue).

40        Selon Mme Bourbeau, un tel soutien aurait aidéla fonctionnaire à reprendre confiance en elle et à avoir un regain d’énergie. À tout le moins, l’employeur aurait dû identifier une personne ressource au sein du ministère pour l’assister et la soutenir pendant sa période de recherche d’emploi.

41        Mme Bourbeau a ajouté que, à son avis, bien que la CFP joue un rôle essentiel en administrant le SGIP, il ne lui incombait pas de préparer un plan d’action en vue du retour au travail de la fonctionnaire. Cette responsabilité incombait à la GRC, en tant qu’employeur de la fonctionnaire. De plus, elle a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’un simple retour au travail après un congé sans solde, mais bien du retour au travail d’une employée nécessitant une mesure d’adaptation en deçà du seuil de la contrainte excessive.

42        Mme Bourbeau a aussi précisé que le suivi dans le cadre du SGIP peut être fort complexe pour un travailleur qui a été absent du marché du travail pendant un certain temps. En l’espèce, la fonctionnaire n’était pas familière avec les descriptions de postes affichées. Selon Mme Bourbeau, l’employeur aurait notamment dû fournir à la fonctionnaire une assistance technique et des services de soutien pour l’aider à mieux comprendre le fonctionnement du SGIP et les postes potentiels affichés, entre autres choses.

43        Mme Bourbeau a aussi affirmé avoir été témoin, dans le passé, de situations où les employeurs ont facilité de manière proactive le retour au travail de travailleurs revenant d’une absence prolongée. Selon son expérience, lorsqu’un retour dans l’organisation n’est pas possible, certains employeurs font appel à d’autres ministères pour s’informer au sujet d’imminentes possibilités d’emploi. Le bouche-à-oreille demeure aussi un bon moyen d’être informé des possibilités d'emploi. Les employeurs bénéficient très souvent d’un accès à un vaste réseau de connaissances internes et externes auquel les travailleurs n’ont pas accès. En l’espèce, Mme Bourbeau a mentionné que l’employeur aurait pu aviser d’autres employeurs potentiels que la fonctionnaire était prête à revenir au travail. Un détachement aurait aussi été possible et aurait permis à la fonctionnaire de travailler temporairement dans un autre ministère. De même, une entente de partage de son salaire aurait été possible; une telle entente peut être mise en place dans le but de former un travailleur avant de l’embaucher.

44        En juin 2011, Mme Bourbeau et une autre représentante syndicale ont participé à une rencontre avec une représentante de la CSST et une représentante de l’employeur pour discuter du dossier de la fonctionnaire. Au cours de cette rencontre, la représentante de la CSST a demandé si un plan d’action avait été préparé pour faciliter le retour au travail de la fonctionnaire. Mme Bourbeau a affirmé que, par la suite, le syndicat a communiqué à de très nombreuses reprises avec l’employeur pour proposer une rencontre afin de préparer un plan d’action.

45        Finalement, une rencontre a été tenue le 29 septembre 2011, entre la représentante syndicale de la fonctionnaire et Karine Cousineau, Gestionnaire des services intégrés en ressources humaines, Région de Montréal, GRC. Selon Mme Bourbeau, l’AFPC espérait préparer le retour au travail de la fonctionnaire dans le cadre de cette rencontre. Mme Cousineau avait cependant été avisée par la CSST que la fonctionnaire ne pourrait pas revenir à la GRC. Par conséquent, selon Mme Bourbeau, Mme Cousineau ne voyait pas l’utilité de préparer un plan d’action pour faciliter le retour au travail de la fonctionnaire.

46        Mme Bourbeau a précisé que, par la suite, entre le 29 septembre 2011 et le 28 novembre 2011, le syndicat a, à plusieurs reprises, tenté de rencontrer l’employeur pour élaborer un plan d’action, puisque la GRC demeurait l’employeur et le ministère d’attache de la fonctionnaire. Cependant, aucune rencontre n’a eu lieu et aucun plan d’action n’a pu être développé.

47        Par conséquent, ce grief a été déposé en décembre 2011, afin de contester la décision de l’employeur de ne pas accommoder le retour au travail de la fonctionnaire.

48        Personne ne conteste le fait que la fonctionnaire a une déficience. Or, selon la preuve qu’elle a présentée, elle n’a pas eu l’occasion de réintégrer la fonction publique lorsque son état de santé s’est amélioré et qu’elle a été jugée apte à retourner travailler. Elle a finalement pris une retraite anticipée parce qu’elle était isolée, découragée et à court d’argent.

49        En appliquant le critère établi dans O'Malley, je conclus que cette preuve, si je lui fais foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la fonctionnaire, en l’absence d’une réplique de l’employeur. Au moyen de sa preuve, la fonctionnaire a démontré qu'elle avait une déficience et qu’elle a subi un préjudice de la part de l’employeur puisqu’elle n’a pas été en mesure de retourner au travail lorsque son état de santé s’est amélioré. Ceci a contribué à sa précarité financière croissante qui, en fin de compte, a mené à sa décision de prendre une retraite anticipée. Par conséquent, la fonctionnaire a établi une preuve prima facie qu’elle a été défavorisée en cours d’emploi en raison de sa déficience, au sens de l’article 7 b) de la LCDP.

2. L'employeur a-t-il fourni une explication raisonnable démontrant que la présumée discrimination n’a pas eu lieu tel qu’il a été allégué ou que la conduite n’était pas discriminatoire?

A. Allégation que la présumée discrimination n’a pas eu lieu

50        L’employeur n’a pas contesté le fait que la fonctionnaire avait une déficience. Toutefois, il a soutenu qu’elle n’avait pas été traitée différemment des autres employés bénéficiant d’une priorité statutaire ou réglementaire en raison de son incapacité, et qu’il n’y a donc pas eu de discrimination.

51        Ainsi, selon l’employeur, la fonctionnaire n’a pas fait l’objet de discrimination puisqu’elle n’a pas été traitée différemment des autres employés bénéficiant d’une priorité d’emploi. Il a démontré qu’il inscrivait tous ses employés bénéficiant d’une priorité au SGIP de la même façon, tel qu’il est exigé par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13  (la « LEFP ») et le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334  (le « REFP »). L’employeur a aussi fait valoir que la CFP a la responsabilité d’administrer et de surveiller les dispositions de la LEFP et du REFP liées aux droits de priorité (voir les articles 39-46 de la LEFP).

52        Je ne peux conclure que la présumée discrimination n’a pas eu lieu parce que la fonctionnaire n’a pas été traitée différemment des autres employés bénéficiant d’une priorité d’emploi. Bien que l’employeur ait adopté la même approche pour la fonctionnaire que pour tous ses employés qui bénéficient d’une priorité (c’est-à-dire qu’il a respecté les exigences de la LEFP et du REFP), j’estime que c’est plutôt le résultat de cette pratique auprès de la fonctionnaire qui importe. Comme la Cour suprême l’a déclaré dans O’Malley, à la page 551, une condition ou règle d’emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d’affaires, même si elle est applicable à tous ceux qu’elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne d’une manière différente par rapport aux autres personnes auxquelles elle peut s’appliquer. Il y a donc lieu d’examiner, en l’espèce, quel a été le résultat de cette pratique de l’employeur sur la fonctionnaire.

B. Allégation que la conduite n’était pas discriminatoire

53        L’employeur a fait valoir que sa conduite n’était pas discriminatoire parce que l’obligation d’accommoder la fonctionnaire ne lui incombait plus, à l’exception du suivi auprès de la CFP au sujet de son dossier de personne bénéficiant d’un statut prioritaire. L’employeur a invoqué Fontaine c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2012 CRTFP 91, à l’appui de sa position.

54        L’inspectrice Erika Sheridan, qui, de 2009 à 2013 était l’officier responsable des Services de santé et sécurité au travail, GRC, région du Centre, a reconnu à l’audience qu’un employeur a le devoir d’accommoder un employé jusqu’au seuil de la contrainte excessive. Toutefois, selon elle, l’employeur ne peut avoir une telle obligation que si l’employé revient dans son milieu de travail. C’est pourquoi elle a précisé ce qui suit dans sa décision relative au grief datée du 4 juin 2012 : « Il a été clairement établi que vous ne pouvez retourner travailler à la GRC alors l’obligation de vous accommoder ne relève pas du ministère ».

55        En l’espèce, la question consiste à savoir si l’employeur avait le devoir de poser certains gestes afin d’accommoder le retour au travail de la fonctionnaire et si l’effort qu’il a déployé, en l’occurrence l’inscrire au SGIP afin de l’aider à trouver un emploi dans un autre ministère, était raisonnable et suffisant. 

(i) L’employeur avait-il le devoir de poser certains gestes afin d’accommoder le retour au travail de la fonctionnaire?

56        L’employeur a affirmé que l’inscription de la fonctionnaire au SGIP constituait un effort honnête en vue de l’aider. Il a fait valoir qu’il convient également de définir les circonstances dans lesquelles cet effort a été fait. Plus particulièrement, l’employeur a fait valoir qu’il ne savait pas que la fonctionnaire avait des difficultés avec sa recherche d’emploi. Il a précisé que, comme dans Yeats v. Commissionaires Great Lakes, 2010 HRTO 906, la fonctionnaire ne l’a pas informé de ses besoins.

57        Mme Cousineau, en tant que gestionnaire des ressources humaines, a confirmé avoir rencontré les représentants syndicaux de la fonctionnaire le 29 septembre 2011. L’objectif de l’AFPC était de préparer son retour au travail . Mme Cousineau estimait, toutefois, qu’il était prématuré de discuter du retour au travail de la fonctionnaire étant donné qu’il était incertain qu’elle puisse revenir travailler à la GRC. Elle a indiqué qu’aucune demande directe n’avait été faite à ce moment-là par l’AFPC relativement à la préparation d’un plan de retour au travail.

58        Mme Cousineau a affirmé avoir été informée par l’agent d’indemnisation de la CSST, en octobre 2011, que la fonctionnaire ne pourrait pas revenir à la GRC. Elle a donc demandé à Santé Canada d’évaluer l’état de santé de la fonctionnaire.

59        Mme Cousineau a aussi mentionné que l’employeur avait reçu une mise en demeure de la part de la plaignante en date du 17 novembre 2011. La mise en demeure n’a pas été déposée en preuve et son contenu n’a pas été dévoilé à l’audience. Toutefois, Mme Cousineau a précisé qu’elle avait été avisée qu’étant donné la réception de cette lettre, elle ne devait plus discuter de plusieurs sujets ou questions avec la fonctionnaire.

60        Le 28 novembre 2011, Mme Cousineau a pris connaissance de la lettre de Santé Canada qui avisait l’employeur que la fonctionnaire était apte à retourner au travail, mais qu’elle avait une limitation fonctionnelle permanente, soit qu’elle ne pouvait pas revenir à la GRC.

61        Entre-temps, le désaccord entre Mme Cousineau et la représentante syndicale au sujet du rôle que devait jouer l’employeur pour faciliter le retour au travail de la fonctionnaire a incité la représentante syndicale à déposer une plainte contre Mme Cousineau. Une rencontre entre la supérieure de Mme Cousineau et la représentante syndicale a donc eu lieu le 6 décembre 2011. Selon la représentante syndicale, l’employeur devait jouer un rôle plus important pour faciliter le retour au travail de la fonctionnaire, alors que Mme Cousineau était en désaccord au motif que la fonctionnaire ne pouvait pas revenir à la GRC. Mme Cousineau a aussi reconnu qu’il y avait un problème de communication entre la représentante syndicale et elle-même.

62        Le 8 décembre 2011, la fonctionnaire a déposé le présent grief auprès de l’employeur. Dans son grief, elle a fait valoir qu’après avoir reçu la lettre de Santé Canada, au début décembre, elle a demandé à plusieurs reprises à l’employeur de l’accommoder, mais qu’elle n’a reçu aucune réponse, tel qu’il a été expliqué ci-dessus. Dans son grief, elle a notamment demandé d’être réintégrée dans un poste équivalent dans la fonction publique, ainsi que la somme de 300 $ à titre d’aide pour la préparation professionnelle d’un curriculum vitae.

63        Tel qu’il a été mentionné dans Kelly c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2010 CRTFP 80, au paragraphe 105, lorsqu’un employé ne peut retourner à son poste d’attache, le ministère d’attache conserve l’obligation d’accommoder le retour au travail du fonctionnaire. Dans Nicol c. Conseil du Trésor (Service Canada), 2014 CRTEFP 3, au paragraphe 143, et dans Fontaine, au paragraphe 48, les arbitres de grief ont conclu, par exemple, que les employeurs, dans ces deux cas, avaient entrepris une recherche diligente afin de trouver un poste approprié pour chacun des employés visés, étant donné que leur recherche avait été effectuée tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des ministères respectifs.

64        Plus particulièrement, dans Kelly, le fonctionnaire en question ne pouvait pas reprendre son poste de technicien d’entretien d’aéronef au ministère des Transports et il a demandé un nouveau poste à St. John’s (Terre-Neuve). Le fonctionnaire et son ministère d’attache ont alors fait des efforts importants pour faciliter son retour au travail. Toutefois, malgré les efforts déployés par le ministère d’attache, l’arbitre de grief a jugé que ce dernier aurait quand même pu faire davantage pour aider le fonctionnaire à trouver un autre poste avant que ce dernier n’ait à utiliser ses congés. 

65        Les efforts déployés par le ministère d’attache dans cette affaire comprenaient le paiement d’une partie de ses frais de scolarité, puisque le fonctionnaire avait entrepris une formation dans le domaine de la résolution de différends en vue d’une réorientation professionnelle. L’employeur avait aussi envisagé de créer un poste pour le fonctionnaire, mais Santé Canada avait déclaré que ce dernier n’était pas apte à l’occuper. L’employeur avait également offert de payer six mois du salaire du fonctionnaire pour un poste qu’il occuperait dans un autre ministère. Malgré tout, l’arbitre de grief a conclu que les efforts déployés par l’employeur pour trouver un nouveau poste au fonctionnaire ne répondaient pas aux exigences découlant de son obligation de prendre des mesures d’adaptation. En particulier, aucune preuve n’indiquait que l’employeur avait informé les autres employeurs de son offre de payer six mois du salaire du fonctionnaire.

66        L’arbitre de grief a ainsi statué que la responsabilité primaire concernant la prise de mesures d’adaptation pour le fonctionnaire appartient à son ministère d’attache (paragraphe 105) :

La responsabilité primaire concernant la prise de mesures d’adaptation pour le fonctionnaire appartient à son ministère d’attache, le ministère des Transports. Alors que le fonctionnaire a un rôle à jouer dans ces situations, la responsabilité primaire incombe à l’employeur. Quelles mesures a-t-il prises à cet égard, et étaient-elles suffisantes?

67        Je suis d’accord avec cet énoncé et j’applique la même obligation en l’espèce. Il y a donc lieu d’examiner quelles mesures la GRC a prises et si elles étaient suffisantes. En d’autres mots, la GRC a-t-elle fait un effort sérieux pour trouver un travail alternatif à la fonctionnaire?

(ii) La GRC a-t-elle fait un effort sérieux pour trouver un travail alternatif à la fonctionnaire et cet effort était-il raisonnable et suffisant?

68        L’employeur a fait valoir qu’il a pris les mesures nécessaires pour accommoder la fonctionnaire en l’inscrivant au SGIP. Mme Cousineau est celle qui a entrepris des démarches afin de l’inscrire au SGIP. La CFP administre le système lié aux droits de priorité dans la fonction publique. À ce moment-là, la fonctionnaire bénéficiait de la priorité réglementaire accordée à un fonctionnaire qui, en raison de son handicap, n’est plus en mesure d'exercer les fonctions de son poste. L’article 7 du REFPaccorde à cette catégorie de personnes répondant à des conditions particulières le droit d’être nommées en priorité à des postes de la fonction publique fédérale. Il s’agissait d’un droit qui était valide pour une période limitée, c’est-à-dire deux ans.

69        Mme Cousineau a donc envoyé un courriel à la fonctionnaire le 16 décembre 2011, l’informant que puisqu’elle ne pouvait pas revenir à la GRC, l’employeur l’inscrirait au système des priorités de la CFP pour que son nom soit renvoyé en priorité aux autres ministères lors d’un processus de dotation. Mme Cousineau lui a aussi précisé qu’elle devait obtenir dès que possible un certificat médical de son médecin confirmant son aptitude au travail et contenant une date de retour, de même que son curriculum vitae à jour et un formulaire signé aux fins de consentement.

70        Le 19 décembre 2011, la fonctionnaire a fait parvenir une lettre à Mme Cousineau lui demandant de l’aide pour la rédaction de son curriculum vitae. Elle a aussi demandé que toute correspondance lui soit envoyée par courrier plutôt que par courriel.

71        Le 17 février 2012, Mme Cousineau a communiqué par courriel avec la représentante syndicale de la fonctionnaire. Elle lui a demandé que la fonctionnaire lui envoie son curriculum vitae le plus tôt possible en format électronique pour qu’il puisse être sauvegardé dans le SGIP, qui est informatisé.

72        Le 20 février 2012, la représentante syndicale de la fonctionnaire a répondu à Mme Cousineau que la fonctionnaire n’avait toujours pas reçu de réponse à sa demande d’aide pour la rédaction de son curriculum vitae. Elle a ajouté qu’une réponse serait appréciée étant donné que deux mois s’étaient écoulés depuis sa demande.

73        Le même jour, Mme Cousineau a répondu qu’il semblait y avoir une certaine confusion au sujet de la demande d’aide pour la rédaction du curriculum vitae, étant donné que dans le grief déposé par la fonctionnaire auprès de l’employeur, le 8 décembre, elle demandait un montant de 300 $ à titre d’aide pour la préparation de son curriculum vitae. Mme Cousineau lui a donc demandé s’il s’agissait de frais déjà encourus. Elle a également ajouté que puisque cette demande faisait partie du grief, l’employeur n’avait pas l’intention de la traiter à part. Par la suite, Mme Cousineau a précisé ce qui suit dans son courriel au sujet de la demande d’aide pour la rédaction du curriculum vitae:

Pour répondre à la demande de Louise concernant le CV, ce sont les employés qui [sic] responsables et dans l’obligation de fournir un CV. Plusieurs outils sont disponibles sur Internet alors dans le cas présent, pour son inscription au système des priorités, le plus tôt que nous recevrons le CV et les consentements le plus vite elle y sera entrée et pourra être référée. Ceci ne doit nullement être interprété comme une réponse à la demande de redressement […] du grief. Seule l’Insp. Sheridan est déléguée pour rendre une décision à ce niveau. Son entrée dans le système de gestion des priorités est un sujet complètement séparé de tout ça.

74        Mme Cousineau a donc reconnu à l’audience ne pas avoir répondu à la demande d’aide du 19 décembre de la fonctionnaire pour la rédaction de son curriculum vitae. Elle a précisé que seule l’inspectrice Sheridan avait l’autorité nécessaire pour approuver une telle demande.

75        L’inspectrice Sheridan a été citée à témoigner à l’audience. Elle a confirmé qu’elle avait été informée que la fonctionnaire était apte à retourner au travail le 28 novembre 2011. Elle a expliqué qu’au moment des faits, elle était responsable de deux centres de santé, dont celui de Montréal. À ce moment, le centre de santé de Montréal comptait parmi son équipe des médecins, des infirmiers, des psychologues, une directrice de bureau, soit la fonctionnaire, et du personnel de soutien. Lorsque l’inspectrice Sheridan a commencé dans son poste en mars 2009, elle était au courant que la fonctionnaire était en congé de maladie prolongé.

76        L’inspectrice Sheridan a aussi été informée que la fonctionnaire demandait une assistance professionnelle pour la rédaction de son curriculum vitae. L’inspectrice a affirmé qu’elle avait connaissance que la section des ressources humaines de la GRC pouvait lui offrir une telle aide. D’ailleurs, le 29 février 2012, dans le cadre de l’audience au premier palier du grief déposé par la fonctionnaire, elle a offert aux représentants syndicaux de la fonctionnaire d’avoir recours aux services de la gestionnaire de la Dotation et des Relations de travail, à Ottawa, pour aider la fonctionnaire avec la rédaction de son curriculum vitae. Selon l’inspectrice Sheridan, cette offre a été acceptée par les représentants syndicaux de la fonctionnaire. À l’audience du grief, il a aussi été convenu que l’employeur enverrait une version papier du formulaire de consentement d’inscription au SGIP à la fonctionnaire, étant donné qu’elle n’avait pas réussi à ouvrir le document qui lui avait été envoyé en format électronique. Ce formulaire devait lui être envoyé par la poste prioritaire.

77        Le 22 mars 2012, la représentante syndicale de la fonctionnaire a écrit à Mme Cousineau pour l’informer, entre autres, que la fonctionnaire était toujours en attente d’une copie du formulaire de consentement. De même, la représentante syndicale a questionné Mme Cousineau au sujet du fait que, dans un récent courriel, elle suggérait que la fonctionnaire demande l’aide de l’une de ses filles pour la rédaction de son curriculum vitae.

78        Les 22 et 23 mars 2012, Mme Cousineau a répondu à certaines des questions de la représentante syndicale. Elle a précisé, entre autres, qu’elle veillerait à ce que les documents manquants soient envoyés le jour même à la fonctionnaire. Elle a aussi ajouté que cette dernière était censée fournir sa part d’information la concernant pour son curriculum vitae, et elle a demandé si elle le ferait. Enfin, elle a tenté de savoir si la fonctionnaire accepterait de communiquer avec la GRC pour recevoir de l’aide pour la rédaction de son curriculum vitae. Mme Cousineau a aussi précisé dans l’un de ses courriels que la fonctionnaire bénéficierait possiblement d’une priorité statutaire, en plus de sa priorité réglementaire, étant donné qu’elle débutait un congé sans solde.

79        Dans un courriel daté du 26 mars 2012, envoyé à la représentante syndicale de la fonctionnaire, Mme Cousineau a précisé quels documents elle avait envoyés le 23 mars. De plus, elle a demandé à la fonctionnaire de fournir des réponses à certaines questions posées aux usagers du SGIP, notamment au sujet de sa date de disponibilité, de sa mobilité et du genre de poste recherché. Mme Cousineau a ajouté ce qui suit :

Je vais avoir d’autres questions mais pour cela je dois avoir un CV. La charge de travail de ce moment nous permet de pouvoir aider Mme Hotte pour l’élaboration de son CV si elle n’a pas elle-même les ressources, est-ce que le début a été commencé tel qu’entendu (informations personnelles, études, etc.?)

80        Le 28 mars 2012, la fonctionnaire a envoyé à l’employeur, par la poste, le formulaire de consentement rempli.

81        Le 30 mars 2012, la représentante syndicale a fait parvenir à Mme Cousineau les réponses de la fonctionnaire aux questions posées dans le SGIP. Par la même occasion, la représentante syndicale a informé Mme Cousineau que la fonctionnaire était en train de peaufiner son curriculum vitae avec l’aide d’un professionnel, et que le tout devait être prêt dans les jours qui suivent. Le courriel précisait aussi que :

Je te remercie de l’aide offerte à madame Hotte, dans ton dernier courriel du 26 mars dernier, à rédiger son cv, mais étant donné que nous avions conclu, lors de l’audition au premier pallier [sic] du grief soit le 29 février 2012, que de l’aide serait offerte à madame Hotte pour la rédaction de son cv et qu’en date du 19 mars elle n’avait reçu aucune offre de votre part, cette dernière s’est dirigée vers un professionnel afin de l’assister dans la rédaction de son c.v.

82        Au cours de la même période, la gestionnaire qui devait aider la fonctionnaire à rédiger son curriculum vitae a contacté cette dernière pour confirmer leur prochaine rencontre à Montréal. Toutefois, la gestionnaire concernée a rapporté dans un courriel que la fonctionnaire l’avait alors avisée qu’elle n’avait plus besoin de ses services étant donné qu’elle avait complété la rédaction de son curriculum vitae.

83        Le 2 avril 2012, Mme Cousineau a demandé à la représentante syndicale quand la fonctionnaire lui ferait parvenir son curriculum vitae. Enfin, elle a mentionné que si elle avait fait appel à un professionnel pour la rédaction de son curriculum vitae, il n’y avait pas lieu de répondre à sa demande d’aide du 19 décembre 2011.

84        Le 3 avril 2012, après avoir été avisée que la fonctionnaire n’avait plus besoin d’aide pour la rédaction de son curriculum vitae, l’inspectrice Sheridan a fait parvenir un courriel à la supérieure hiérarchique de Mme Cousineau pour l’informer que la fonctionnaire avait renoncé à recevoir l’aide de la gestionnaire concernée pour la rédaction de son curriculum vitae.

85        Par la suite, il y a eu une série d’échanges qui ont porté sur la date de disponibilité ou de retour au travail de la fonctionnaire. D’autres courriels ont été échangés au sujet de la demande de la fonctionnaire à la CFP que son droit de priorité soit interrompu. Enfin, d’autres communications ont porté sur la décision de la fonctionnaire de prendre sa retraite. Les détails de ces échanges sont résumés dans les sections suivantes.

86        En ce qui concerne la position de l’employeur au sujet de la mesure d’adaptation nécessaire en l’espèce, l’inspectrice Sheridan a confirmé au cours de son témoignage que l’employeur ne pensait pas avoir besoin de faire autre chose que d’inscrire la fonctionnaire comme priorité au SGIP de la CFP.

87        Par conséquent, il faut déterminer si l’employeur a démontré que l’effort qu’il a déployé, afin d’aider la fonctionnaire à se trouver un emploi ailleurs dans la fonction publique, en l’occurrence de l’inscrire au SGIP, était raisonnable et suffisant. 

88        La fonctionnaire a fait valoir que la GRC aurait pu consacrer plus d’efforts en vue de la « faire connaitre » au sein de la fonction publique fédérale. En plus de préparer un plan pour faciliter son retour au travail, l’employeur aurait pu avoir recours à des arrangements moins traditionnels afin d’augmenter ses chances d’obtenir un emploi. Il aurait pu aviser d’autres employeurs potentiels qu’elle était prête à revenir au travail, et explorer les possibilités d’un détachement ou d’une entente de partage de son salaire pour une période déterminée. Une telle entente aurait pu avoir pour but de la former avant de l’embaucher. 

89        L’employeur, quant à lui, a fait valoir que la fonctionnaire n’avait présenté aucune preuve démontrant qu’il ne voulait pas collaborer avec elle ou ses représentants syndicaux. Il a aussi fait valoir que, tel qu’il est énoncé dans McNeil c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 84, au paragraphe 91, le rôle de l’arbitre de grief ne consiste pas à déterminer ce que l’employeur aurait pu faire différemment, le cas échéant.

90        Les témoins de l’employeur ont reconnu qu’ils auraient déployé des efforts pour accommoder la fonctionnaire si cette dernière avait été en mesure de revenir travailler à la GRC. Mais, puisqu’elle ne revenait pas à la GRC, ils étaient d’avis qu’aucune obligation en ce sens ne leur incombait.

91        Tel que nous l’avons vu, il est fondé de conclure que lorsqu’un employé ne peut retourner à son poste d’attache, le ministère d’attache conserve l’obligation d’accommoder le retour au travail du fonctionnaire. Ainsi, bien que la fonctionnaire ne pouvait retourner à son poste d’attache, la GRC avait l’obligation d’accommoder son retour au travail.

92        D’une part, je suis d’accord avec l’employeur que, dans une certaine mesure, la GRC a « fait connaitre » la disponibilité de la fonctionnaire pour un poste au sein du gouvernement en l’inscrivant au SGIP. En l’espèce, la fonctionnaire a bénéficié de deux droits de priorité et, à partir de la date de son inscription au SGIP, le 24 juillet 2012, jusqu’au 27 novembre 2012 environ, elle a reçu certaines invitations à postuler pour des emplois. Les droits de priorités accordées en vertu de la LEFP et du REFP ont justement pour objet de favoriser la continuité d'emploi et d’aider à maintenir en poste des fonctionnaires compétents. Même si c’est l’équipe des conseillers en administration des priorités de la CFP qui a pris en charge la fonctionnaire étant donné qu’elle bénéficiait de deux priorités, il demeure que son inscription au SGIP lui a permis d’être renvoyée à des postes dans d’autres ministères au sein de l’organisation de l’employeur (en l’espèce, le Conseil du Trésor).

93        Cependant, l’inscription de la fonctionnaire au SGIP n’était pas suffisante.

94        Mme Cousineau a reconnu que les seuls échanges qu’elle a eus avec la fonctionnaire, entre le 28 novembre 2011 et le moment où cette dernière a été inscrite au SGIP, portaient sur les renseignements que la fonctionnaire devait lui communiquer aux fins de son inscription au SGIP. Selon elle, elle n’était pas en mesure de prêter main-forte à la fonctionnaire et il était impossible d’accommoder cette dernière, étant donné qu’elle n’était pas en mesure de revenir à la GRC. Mme Cousineau a aussi rappelé à plusieurs reprises à la fonctionnaire qu’elle était, elle-même, responsable de la préparation de son curriculum vitae.

95        L’employeur a également fait valoir qu’il a omis d’aider la fonctionnaire puisqu’il ne savait pas qu’elle éprouvait des difficultés dans sa recherche d’emploi. Selon moi, toutefois, il a omis de lui apporter du soutien puisqu’il jugeait qu’il n’avait pas l’obligation de le faire. D’ailleurs, la preuve a démontré que le syndicat et la fonctionnaire ont tenté de maintes façons d’initier une communication avec l’employeur, sans succès.

96        L’employeur n’a donc apporté aucun soutien à la fonctionnaire, autre que de l’inscrire au SGIP pour l’aider à trouver un emploi. Or, il devait faire un effort sérieux pour lui trouver un travail alternatif. J’estime que si l’employeur avait sincèrement souhaité accommoder la fonctionnaire, il se serait donné beaucoup plus de mal pour essayer de trouver une solution adaptée à son cas. Il aurait certainement pu, entre autres, lui fournir de l’aide pour la rédaction de son curriculum vitae, de la formation, du coaching ou du mentorat, de même que des services de soutien pour l’aider à mieux comprendre le fonctionnement du SGIP et les postes qui y étaient affichés.

97        De même, j’estime que l’employeur aurait dû, de concert avec les représentants syndicaux de la fonctionnaire, accepter de préparer un plan d’action pour favoriser son retour au travail. Ce plan aurait pu comporter toutes mesures d’adaptation jugées utiles et toutes interventions destinées à aider la fonctionnaire à retourner au travail. Mme Cousineau a précisé qu’étant donné que la fonctionnaire ne pouvait pas revenir travailler à la GRC, il n’était pas logique ou judicieux de préparer un plan pour son retour au travail, puisque la GRC n’aurait pas eu l’autorité d’élaborer un plan qui aurait lié un autre ministère. Je comprends que ce plan d’intervention ou d’action entre la GRC, comme ministère d’attache, et la fonctionnaire n’aurait pas pu lier le futur employeur de la fonctionnaire. En particulier, tel qu’il est mentionné dans Fontaine, un ministère ne peut nommer un de ses employés dans un nouveau poste dans un ministère différent puisque ceci contreviendrait à la LEFP. Toutefois, le plan d’intervention aurait pu comprendre le genre de démarches que l’employeur pouvait, lui-même, entreprendre et qui sont précisées dans le paragraphe précédent. L’employeur a toutefois omis, ici, de créer un plan de retour au travail qui aurait tenu compte des contraintes de la fonctionnaire relativement à son invalidité.

98        Je note que l’employeur a invoqué McNeil à l’appui de son affirmation voulant que le rôle de l’arbitre de grief ne consiste pas à déterminer ce que l’employeur aurait pu faire différemment. À mon avis, cette affaire se distingue de celle en l’espèce puisque dans McNeil, l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire n’avait pas coopéré comme il aurait dû et que son manque de volonté à s’aider lui-même avait nui aux tentatives de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à son égard. Toutefois, en l’espèce, l’employeur n’a pas tenté d’accommoder la fonctionnaire, sauf en s’acquittant de son obligation statutaire et réglementaire de l’inscrire au SGIP.

99        En fait, l’employeur n’a même pas accepté d’entamer un dialogue avec la fonctionnaire ou ses représentants au sujet des façons de l’appuyer pour faciliter son retour au travail. Pas plus qu’il ne lui a offert une assistance technique. Ce qui était clair, toutefois, c’est qu’elle n’était pas la bienvenue sur le lieu de travail.

100        Mme Cousineau a mentionné qu’étant donné que le ministère avait reçu une mise en demeure de la part de la fonctionnaire en date du 17 novembre 2011, elle avait été avisée de ne plus discuter avec elle. Tel qu’il a été mentionné, la mise en demeure n’a pas été déposée en preuve et son contenu n’a pas été dévoilé à l’audience. Je ne peux donc conclure qu’il s’agit d’une raison valable pour justifier la décision de l’employeur de n’apporter aucun soutien à la fonctionnaire.Selon moi, l’employeur avait l’obligation de fournir à la fonctionnaire toute l’aide requise pour qu’elle puisse retourner au travail dans les plus brefs délais, surtout qu’elle faisait partie d’une catégorie à risque puisqu’elle avait plus de cinquante ans et qu’elle souffrait d’un handicap reconnu par la CLP et la CSST.

101        De même, nonobstant le fait que le grief de la fonctionnaire en date du 8 décembre 2011 contenait, entre autres, la demande suivante : « Je demande la somme de 300.00 $ pour l’aide et la préparation professionnelle d’un C.V. », aucune justification valable n’a été fournie par l’employeur relativement à son défaut de répondre en temps opportun à sa demande d’aide, datée du 19 décembre 2011, pour la préparation de son curriculum vitae. Cette demande méritait une réponse prompte. Bien que l’employeur ait été visé par un grief déposé par la fonctionnaire, cela ne lui donnait pas le droit d’ignorer sa demande d’aide, puisqu’il avait le devoir de prendre des mesures d’adaptation à son égard.

102        Dans la même veine, l’employeur aurait dû respecter son engagement du 29 février 2012, de faire parvenir promptement à la fonctionnaire le formulaire de consentement requis, et ce, sans qu’on ait à lui rappeler, le 22 mars 2012, que le formulaire n’avait pas encore été reçu.

103        Ainsi, je note que bien que la fonctionnaire avait un rôle à jouer dans cette situation, la responsabilité initiale incombait à l’employeur et les mesures qu’il a prises à cet égard n’étaient pas suffisantes. En particulier, la preuve a révélé que la fonctionnaire a elle-même pris les arrangements nécessaires pour obtenir de l’aide pour la rédaction de son curriculum vitae étant donné qu’elle n’avait pas reçu de réponse diligente à sa demande du 19 décembre 2011.

(iii) L'employeur a-t-il démontré que son comportement ne constitue pas un acte discriminatoire puisque son défaut de fournir ce qui était demandé découle d'une exigence professionnelle justifiée (« EPJ »)?

104        Comme il a été expliqué précédemment, aux termes du paragraphe 15(1) de la LCDP, le comportement de l’employeur ne sera pas considéré comme discriminatoire s’il peut être établi que son refus à l’égard de tout emploi découle d’une EPJ. Le paragraphe 15(2) de cette même loi précise que pour qu’un acte soit considéré comme une EPJ, il faut démontrer que le fait de répondre aux besoins de la personne ou d’une catégorie de personnes visées constituerait, pour la personne qui doit répondre à ces besoins, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (voir Audet c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 25).

105        Cette obligation de prendre des mesures d’adaptation a été interprétée dans Sioui c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 44, au paragr. 87, comme suit :

[…] l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est pas sans limite et […] elle n’est pas à sens unique. Elle implique pour l’employeur d’étudier la possibilité de modifier les exigences professionnelles de l’emploi en vue de faciliter le retour au travail de l’employé, ou en faisant des efforts sérieux pour lui trouver un travail alternatif. L’employeur ne peut refuser d’aider le fonctionnaire à réintégrer son travail à moins de pouvoir justifier que l’adaptation de l’exigence professionnelle lui imposerait une contrainte excessive. De son côté, l’employé doit faire preuve de collaboration et d’ouverture d’esprit à l’égard des démarches entreprises par son employeur pour trouver une solution à son retour au travail.

106        Dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, à la page 984, la Cour suprême du Canada a également fait valoir qu’il faut plus que de simples efforts négligeables pour remplir l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Tel que le mentionne la Cour : « L’utilisation de l’adjectif "excessive" suppose qu’une certaine contrainte est acceptable; seule la contrainte "excessive" répond à ce critère ». 

107        En l’espèce, la fonctionnaire estime que son employeur aurait dû lui fournir de l’aide, en temps opportun, pour rédiger son curriculum vitae. Elle aurait également souhaité qu’un plan de travail soit développé pour l’aider à retourner travailler. Le plan de travail aurait pu identifier une personne ressource au sein de la GRC pour l’assister et la soutenir pendant sa période de recherche d’emploi. Le plan de travail aurait pu, aussi, comprendre de la formation pour l’aider à renforcer ses compétences. À plusieurs tentatives, ses représentants syndicaux et elle-même ont approché l’employeur afin d’aborder ces questions, mais sans succès.

108        Il reste à savoir si l’employeur a démontré que ces mesures supplémentaires jugées nécessaires par la fonctionnaire pour répondre à ses besoins constituaient une contrainte excessive en matière de coûts, de santé, et de sécurité.

109        À mon avis, l’employeur ne l’a pas démontré.

110        En fait, l’employeur n’a présenté aucune preuve démontrant que les mesures souhaitées par la fonctionnaire lui auraient occasionné une contrainte excessive. Il n’a pas non plus fait valoir qu’il aurait subi une contrainte excessive s’il avait dû faire appel à des professionnels pour offrir ces mesures d’adaptation à défaut d’avoir les ressources nécessaires à l’interne pour le faire.

111        Enfin, la dernière question qui doit être tranchée est celle de savoir si la fonctionnaire a travaillé de concert avec son employeur pour trouver une solution à son retour au travail.

3. La fonctionnaire a-t-elle fait preuve de collaboration et d’ouverture d’esprit à l’égard des démarches entreprises par son employeur pour l’inscrire au SGIP ou pour l’accommoder?

112        La fonctionnaire a-t-elle manqué à son rôle de collaboration quand est venu le temps de l’inscrire au SGIP ou de l’accommoder?

113        L’employeur a fait valoir que le délai d’inscription de la fonctionnaire au SGIP a été causé par son manque de collaboration au moment de fournir les renseignements nécessaires. Si la fonctionnaire avait fourni les documents au moment où ils lui ont été demandés, son inscription au SGIP n’aurait pas été retardée. De même, l’employeur a soumis que la fonctionnaire avait elle-même demandé que son droit de priorité soit mis en suspens, et que, par conséquent, il n’était pas responsable de sa perte de salaire.

114        Il est important que la personne qui demande des mesures d’adaptation collabore au processus et fasse preuve d’ouverture d’esprit à l’égard des démarches entreprises par son employeur à cet égard. Tel que l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Renaud, au paragraphe 43, les employés qui demandent une mesure d’adaptation sont tenus de collaborer avec leur employeur en lui fournissant des renseignements quant à la nature et l’étendue de la présumée incapacité qui lui permettra de déterminer la mesure d’adaptation nécessaire.

115        Afin de déterminer si le délai d’inscription a été causé par le manque de collaboration de la fonctionnaire, il est opportun de prendre en considération, en plus de la preuve résumée jusqu’ici, les circonstances entourant l’inscription de cette dernière au SGIP. De même, il est opportun d’examiner pourquoi elle a demandé que son droit de priorité soit mis en suspens.

(i) Détails entourant le délai qui a couru avant que le droit de priorité de la fonctionnaire ne soit en vigueur

116        Le 2 avril 2012, Mme Cousineau a fait parvenir un courriel à la représentante syndicale de la fonctionnaire pour confirmer la réception du consentement signé de la fonctionnaire et de son certificat médical. Elle a toutefois souligné que le certificat médical devait préciser sa date de disponibilité. Mme Cousineau a ajouté que bien que l’employeur était prêt à aider la fonctionnaire, cette dernière devait aussi faire « son bout de chemin avec ses informations personnelles ».

117        Entre le 26 mars 2012 et le 9 mai 2012, plusieurs courriels ont été échangés entre les parties au sujet de la date de retour au travail de la fonctionnaire. Cette information était requise pour compléter son inscription au SGIP. Il y a eu confusion au sujet de la date de retour puisque les certificats médicaux soumis par la fonctionnaire précisaient qu’elle était apte à retourner au travail, alors que la CFP exigeait qu’une date de disponibilité soit précisée.

118        Afin de dissiper toute confusion au sujet de la date de retour de la fonctionnaire au travail, une conseillère en administration des priorités de la CFP a informé l’employeur, le 9 mai 2012, que la CFP était d’avis qu’aucune date de disponibilité n’était précisée dans la lettre de Santé Canada, datée du 28 novembre 2011. Toutefois, la CFP a informé l’employeur que s’il était possible d’obtenir « une confirmation de la vraie date d’aptitude de retour au travail de Santé Canada », alors elle estimerait que le droit de priorité de la fonctionnaire serait en partie écoulé étant donné qu’il était en vigueur depuis novembre 2011.

119        Le 28 mai 2012, la fonctionnaire a fait parvenir un nouveau certificat médical à l’employeur.

120        Le 31 mai 2012, la conseillère en administration des priorités de la CFP a envoyé un nouveau courriel à Mme Cousineau afin de l’informer que, selon la CFP, il manquait toujours une information essentielle dans le certificat médical fourni le 28 mai 2012, soit la date de retour au travail. Le certificat précisait que la fonctionnaire était apte « pour un éventuel retour au travail », alors que la CFP exigeait une date de retour au travail.

121        Par la suite, un autre représentant syndical de la fonctionnaire a communiqué avec la conseillère en administration des priorités de la CFP afin d’éclaircir la situation. Cette dernière a répondu au représentant syndical et lui a expliqué que, en vertu du REFP, le droit de priorité commence « le jour où, d’après l’attestation de l’autorité compétente, la personne est apte à retourner au travail », et non à la date où l’attestation de l’autorité compétente est signifiée.

122        Le représentant syndical a ensuite demandé à la conseillère en administration des priorités de la CFP de préciser par écrit que la CFP rejetait les certificats médicaux présentés jusqu’à maintenant. Une chef d’équipe de la section de l’Administration des priorités de la CFP a alors avisé le représentant syndical que la décision de la conseillère en administration des priorités de la CFP était correcte. Selon la CFP, les certificats médicaux soumis ne comportaient pas de « date effective d’aptitude de retour au travail ».

123        Le 10 juillet 2012, la GRC a envoyé une lettre à la fonctionnaire pour lui confirmer que son droit de priorité n’était toujours pas en vigueur puisque l’employeur attendait un certificat médical conforme aux exigences. De même, l’employeur a informé la fonctionnaire qu’étant donné que son poste d’attache avait été pourvu le 26 juin 2012, pour une durée indéterminée, une priorité de nomination absolue lui était accordée en vertu de l’article 41 de la LEFP. L’employeur a donc demandé à la fonctionnaire de lui confirmer si elle était disponible pour travailler dès maintenant, et si elle souhaitait que la CFP soit avisée de son statut de bénéficiaire de priorité légale.

124        Dans un nouveau certificat médical daté du 17 juillet 2012, le médecin traitant de la fonctionnaire a spécifié que la fonctionnaire était apte « à retourner au travail en date du 17 juillet 2012 ».

125        Le 19 juillet 2012, la gestionnaire régionale, dotation et relations de travail par intérim de la GRC, a envoyé à la CFP les documents requis aux fins de l’inscription de la fonctionnaire au SGIP. Le dernier certificat médical a été accepté par la CFP et l’inscription de la fonctionnaire a pu être complétée.

126        Le 19 décembre 2012, la GRC a envoyé une lettre à la fonctionnaire pour lui confirmer le changement de son statut prioritaire, puisque, tel qu’il a été mentionné antérieurement, son poste d’attache avait été pourvu le 26 juin 2012 pour une durée indéterminée.

(ii) Interruption du droit de priorité à la demande de la fonctionnaire

127        À l’audience, il a été question d’un certificat médical daté du 27 novembre 2012, qui stipulait que la fonctionnaire était inapte à être renvoyée à des emplois et à travailler. Ce certificat n’a pas été déposé en preuve, faute d’avoir été repéré. Il est possible que ce certificat ait été remis à la CFP.

128        Par la suite, à la demande de la fonctionnaire, son statut de bénéficiaire d’une priorité a été mis en suspens par la CFP.

129        Le 27 février 2013, une employée des ressources humaines de la GRC a avisé la fonctionnaire que l’employeur n’avait pas reçu de certificat médical permettant de faire cesser les offres de travail par l’intermédiaire du SGIP. La fonctionnaire a alors répondu qu’elle obtiendrait un certificat de maladie lors de sa prochaine rencontre avec son médecin.

130        Le 25 mars 2013, le médecin traitant de la fonctionnaire a précisé dans un nouveau certificat médical que sa patiente « demeure inapte au travail et inapte à la recherche d’emploi (la situation est donc inchangée) ».

131        Le 23 avril 2013, Mme Cousineau a vérifié auprès de la CFP pour voir s’il y avait des développements dans le dossier de la fonctionnaire. Mme Cousineau a ajouté ceci :

[Traduction]

[] Il semble qu’elle soit malade depuis octobre ou novembre. Est-ce que vous communiquez avec elle? Quelle est l’incidence sur son statut et ses droits?

Nous communiquons très peu avec elle. Son cas est très particulier. En novembre 2011, Santé Canada a souligné qu’elle ne reviendrait jamais à la GRC étant donné sa condition permanente.

Néanmoins, le lien employeur-employé existe toujours et nous tentons de traiter son cas avec diligence.

Est-ce qu’elle bénéficie toujours de son statut prioritaire?

(iii) Conclusion au sujet du devoir de collaboration de la fonctionnaire

132        La question est donc celle de savoir si la fonctionnaire a fait preuve de collaboration et d’ouverture d’esprit à l’égard des démarches entreprises par son employeur pour l’inscrire au SGIP ou pour l’accommoder. Je conclus que oui. La fonctionnaire n’a pas manqué à son rôle de collaboration quand est venu le temps de l’inscrire au SGIP ou de l’accommoder. Au regard de la preuve, la fonctionnaire et ses représentants syndicaux ont agi de bonne foi pendant toute la durée du processus.

133        En particulier, je note que dès l’été 2011, la représentante syndicale de la fonctionnaire a fait des efforts considérables pour préparer son retour au travail. La représentante syndicale a invité l’employeur à participer à un processus collaboratif pour préparer son retour, mais aucun plan n’a pu être établi. Le syndicat a donc fait de son mieux pour améliorer la situation, mais n’a pas eu de succès auprès de l’employeur.

134        Au regard de la preuve, la fonctionnaire a aussi fait de son mieux pour communiquer à l’employeur son besoin d’aide. Elle a demandé à l’employeur en toute légitimité de l’aider à rédiger un nouveau curriculum vitae. L’aide a toutefois tardé à venir.

135        Il est vrai que, à un moment donné, la fonctionnaire a demandé que sa représentante syndicale se charge des communications avec son employeur à sa place. Toutefois, elle a formulé cette demande parce qu’elle se sentait démunie et que la situation était tendue entre elle et son employeur.

136        Il est aussi vrai qu’un délai de plus de deux mois a été causé par la confusion qui a régné pendant un bon moment au sujet de « la date effective d’aptitude de retour au travail » de la fonctionnaire. Cette date était requise par la CFP pour compléter son inscription au SGIP. Ni l’employeur ni la fonctionnaire ne sont responsables du malentendu qui a persisté un bon moment à ce sujet. Tant la fonctionnaire que ses représentants syndicaux ne comprenaient pas ce que recherchait la CFP, et c’est pourquoi de nombreux échanges ont été nécessaires pour démêler cette question. À la demande de l’employeur, la fonctionnaire a, à plusieurs reprises, et dans un esprit de collaboration, consulté son médecin et remis les certificats médicaux demandés.

137        De même, je note que, bien que la fonctionnaire ait été ciblée à quelques reprises pour des postes potentiels par l’intermédiaire du SGIP et qu’elle ait choisi de ne pas y donner suite, ces possibilités ne tenaient pas compte des contraintes médicales qu’elle avait communiquées à l’employeur, ou exigeaient des diplômes universitaires qu’elle ne détenait pas. La fonctionnaire a expliqué qu’elle voulait faire preuve d’ouverture relativement à ces possibilités, mais que celles-ci n’étaient pas réalistes.

138        Je conclus donc que la fonctionnaire s’est acquittée de son obligation de collaborer à la mise en place de mesures d’adaptation.

4. Conclusion finale au sujet de l’allégation de discrimination

139        Pour toutes ces raisons, je conclus qu’il a été établi que l’employeur a fait preuve de discrimination envers la fonctionnaire. D’une part, la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination. D’autre part, l’employeur n’a pas fourni une explication raisonnable démontrant que la présumée discrimination n’a pas eu lieu tel qu’il a été allégué ou que la conduite n’était pas discriminatoire. Les efforts de l’employeur pour faciliter son retour au travail étaient insuffisants par rapport à son obligation de prendre des mesures d’adaptation en deçà de la contrainte excessive. Pour ces raisons, j’en arrive à la conclusion que le grief est fondé.

140        Enfin, je note que l’employeur a également cité bon nombre d’autres décisions pour appuyer son allégation qu’il n’y a pas eu discrimination dans le présent cas. J’ai lu et examiné chacune d’elles. Toutefois, j’ai choisi de ne citer que celles qui revêtaient une importance particulière pour la présente affaire.

V. Redressement

1.Rémunération, avantages sociaux et dépenses encourues

141        La fonctionnaire demande « une protection salariale », le remboursement intégral de toutes les contributions (de l’employeur et de l’employé) à son fonds de pension depuis le 29 septembre 2008; le remboursement de ses journées de maladie accumulées et non utilisées; le paiement de 12 semaines de congés annuels depuis 2008 (4 semaines durant 3 ans), les bénéfices tels les assurances médicales, dentaires et soins de la vue, et le remboursement des frais encourus cités dans son grief.

142        La fonctionnaire m’a renvoyé à Kelly, et a maintenu que la même conclusion devrait être appliquée en l’espèce. Dans cette affaire, le fonctionnaire a été forcé de rester à la maison jusqu’à ce qu’il obtienne un nouveau poste dans un autre ministère, dans le domaine de la résolution de différends. Il a donc demandé la restitution des crédits de congés de maladie et de congé annuel qu’il avait utilisés pendant qu’il était à la maison et qu’il cherchait un emploi. L’arbitre de grief Potter a ordonné à l’employeur de rembourser au fonctionnaire les crédits de congé de maladie et de congé annuel qu’il avait dû utiliser au motif que l’employeur était le mieux placé pour assumer les frais lorsque les tentatives des deux parties pour trouver un autre emploi au fonctionnaire sont infructueuses. Il a aussi ajouté ce qui suit, au paragraphe 111 :

L’employeur, ayant décidé qu’il n’avait pas atteint le seuil de la contrainte excessive (car sinon il l’aurait licencié pour invalidité, comme il avait menacé de le faire initialement) et étant disposé à poursuivre la recherche, devrait également assumer le coût de la période où le fonctionnaire était à son domicile et ne travaillait pas. Dans cette affaire, cela constituerait une forme d’adaptation.

143        J’appuie ce principe. Par conséquent, j’ordonne à l’employeur d’indemniser la fonctionnaire pour toutes les sommes perdues au titre de la rémunération, des crédits de congé annuel et des avantages sociaux pour la période du 28 novembre 2011 jusqu’au moment où son médecin traitant l’a déclarée inapte à poursuivre sa recherche d’emploi et à travailler.

144        La fonctionnaire a demandé que j’accorde du temps aux parties pour qu’elles déterminent elles-mêmes les montants qui lui sont dus au titre du salaire perdu, des congés de maladie accumulés, des vacances et des autres avantages sociaux prévus par la convention collective dans l’éventualité où le grief serait accueilli. L’employeur a consenti à cette demande. J’ordonne donc que les parties établissent conjointement le montant dû à la fonctionnaire dans les 60 jours civils suivant la date de la présente décision. Les parties devront également prendre en considération les différentes sommes demandés par la fonctionnaire dans son grief.

145        Il peut être souligné que l’employeur ne peut être tenu responsable de la décision de la fonctionnaire de prendre une retraite anticipée plutôt que d’explorer l’option d’une retraite médicale. Il est généralement plus avantageux financièrement de prendre une retraite médicale, puisque dans le cas de la retraite anticipée, une pénalité est imposée en en ce qui concerne la pension. En l’espèce, si la fonctionnaire s’était qualifiée pour une retraite médicale, elle aurait pu toucher une prestation de retraite plus élevée, tous les ans, du début de sa retraite jusqu’à la fin de sa vie.

146        À ce sujet, je note que le 25 juin 2013, la fonctionnaire a avisé l’employeur qu’elle estimait que son état de santé ne lui permettait plus d’occuper un emploi et qu’elle comptait prendre sa retraite sous peu. Elle a joint à sa lettre un certificat médical qui précisait que son médecin était d’accord avec cette décision.

147        Le 12 juillet 2013, Mme Cousineau a avisé la fonctionnaire que pour officialiser son départ à la retraite, elle devait faire parvenir une lettre de démission de la fonction publique et y inclure la date à laquelle elle souhaitait prendre sa retraite. Mme Cousineau a précisé ce qui suit dans son courriel :

Si jamais il s’agissait d’une retraite médicale, la procédure serait un peu différente, si tel était le cas, vous pouvez m’en informer et je vous fournirai à ce moment-là les informations nécessaires. Ne sachant pas s’il s’agit d’une retraite médicale, je ne vous enverrai pas trop d’informations, ça risquerait de créer de la confusion.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à les demander.

[148]  Le 15 juillet 2013, la fonctionnaire a fait parvenir sa lettre de démission à la GRC, en précisant que sa dernière journée d’emploi serait le 23 août 2013.

149        Mme Cousineau n’a pas reçu de demande d’information de la part de la fonctionnaire ou de ses représentants syndicaux concernant l’option d’une retraite médicale. Étant donné que le médecin de la fonctionnaire entérinait la décision de cette dernière de prendre sa retraite, il aurait été préférable qu’elle explore l’option d’une retraite médicale. Toutefois, l’employeur ne peut être tenu responsable de sa décision de prendre une retraite anticipée plutôt que d’explorer l’option d’une retraite médicale. L’employeur a offert de renseigner la fonctionnaire à ce sujet, mais cette dernière n’y a pas donné suite. 

2. Dommages pour préjudice moral et indemnité spéciale

150        La Commission a le pouvoir, aux termes de l'alinéa 226(2)b) de la LRTFP, d’accorder des dommages à la fonctionnaire en raison de la pratique discriminatoire de l’employeur, conformément à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP, reproduits ci-dessous :

Plainte jugée fondée

53. (2) À l'issue de l'instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire :

[…]

e) d'indemniser jusqu'à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

Indemnité spéciale

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s'il en vient à la conclusion que l'acte a été délibéré ou inconsidéré.

151        Dans ses observations finales, l’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que la demande de sa cliente dans son grief pour un « dédommagement de 25 000 $ pour atteinte à la santé psychologique et physique pendant une longue période » est en fait une demande pour les sommes prévues aux articles 53(2)e) et 53(3) de la LCDP. Il m’a renvoyée aux décisions rendues par la Commission dans Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 41, et Nicol, à titre de comparaison en ce qui concerne l’évaluation des dommages pour préjudice moral et des dommages spéciaux.

152        Dans Kirby, l’arbitre de grief Shannon a accordéune somme de 10 000 $ au fonctionnaire, payable par l’employeur en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, étant donné la décision arbitraire de l’employeur de ne pas prendre de mesures d’adaptation appropriées à l’égard du fonctionnaire et d’autres éléments de preuve. De plus, elle a accordé une somme de 2 500 $ au fonctionnaire, payable par l’employeur en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP, en reconnaissance de son mépris délibéré ou inconsidéré de ses obligations.

153        Dans Nicol, l’arbitre de grief Howes a accordé une somme de 20 000 $ au fonctionnaire, payable par l’employeur en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, pour préjudice moral, attribuable à la discrimination et aux préjudices psychologiques et physiques que le fonctionnaire a subis, et qu’il continuera de subir, en raison de la négligence de l’employeur et de son incapacité à corriger la situation pendant ce qui aurait dû être ses années normales de préretraite. Dans cette affaire, le fonctionnaire avait perdu cette possibilité de retourner travailler en raison de son départ à la retraite pour des raisons médicales. L’arbitre de grief Howes a donc décidé qu’il devait recevoir l’indemnité pécuniaire maximale en raison des répercussions à long terme pour lui. En particulier, les circonstances faisaient en sorte qu’il était impossible de remédier à la situation autrement que financièrement.

154        L’arbitre de grief Howes a aussi jugé qu’il s’agissait d’un cas approprié pour octroyer l’indemnité spéciale en application du paragraphe 53(3) de la LCDP. Elle a noté qu’il ne s’agissait pas d’un exercice académique, ni d’enrichir le fonctionnaire, mais bien de reconnaître les actions de l’employeur et de réparer ce qui découle de ces actions. Elle a donc octroyé près du maximum des dommages, c’est-à-dire 18 000 $, en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP, au motif que l’employeur s’était livré à des pratiques discriminatoires et que sa conduite était répétée, soutenue et calculée, et ce, dans le but de s’assurer que le fonctionnaire ne retournerait pas au travail; cette situation a duré près de quatre ans. Selon l’arbitre de grief, l’incidence de cette conduite justifiait l’octroi de près du maximum des dommages.

155        Je note d’abord que, en ce qui concerne l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, il ressort de la jurisprudence que, dans chaque cas, la preuve mène à une variété d’indemnités pécuniaires. Tel qu’il a été stipulé dans Nicol, chaque cas est différent en ce qui a trait aux montants octroyés en raison de la capacité du plaignant de retourner au travail.

156        En l’espèce, j’estime que si l’employeur avait accepté d’aider la fonctionnaire à préparer son retour au travail, elle aurait eu de bonnes chances de demeurer une employée productive pendant un certain nombre d’années encore. Au lieu de cela, elle a été délaissée à un moment critique de sa carrière. La preuve présentée par la fonctionnaire et sa représentante syndicale a établi qu’elle a considérablement souffert pendant cette période. Son état de santé s’est détérioré. Elle a décidé de prendre une retraite anticipée parce qu’elle était découragée et à court d’argent. En d’autres mots, le défaut de l’employeur d’honorer son obligation d’accommoder la fonctionnaire a eu un impact important sur sa vie.

157        J’accorde donc une somme de 15 000 $ pour préjudice moral, conformément à l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, attribuable à la discrimination et au préjudice moral qu’a subi la fonctionnaire et qu’elle continuera de subir en raison des répercussions à long terme sur elle et du fait que les torts qui lui ont été causés ne pourront être réparés. L’octroi de près du maximum du barème est justifié en raison du fait que la discrimination et le préjudice moral subi par la fonctionnaire ont eu un impact sérieux sur sa carrière et sa santé. Sa souffrance est réelle et ses chances d’épanouissement sont réduites.

158        Enfin, en ce qui concerne le paragraphe 53(3) de la LCDP, je conclus que la conduite de l’employeur est un exemple d’ignorance de ses obligations et d’indifférence envers la fonctionnaire. Il s’agit d’une conduite inconsidérée en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP. Dans les circonstances, j’accorde une somme de 5 000 $ en dommages spéciaux conformément à ce paragraphe. Cette indemnité est justifiable au bas du barème étant donné que l’employeur, malgré son insouciance, a quand même inscrit la fonctionnaire au SGIP, ce qui a atténué son comportement inconsidéré.

159        Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

160        Le grief est accueilli.

161        L’employeur versera à la fonctionnaire le montant de 15 000 $ en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, dans les 60 jours de la présente décision.

162        L’employeur versera à la fonctionnaire le montant de 5 000 $ en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP dans les 60 jours de la présente décision.

163        La question des autres montants compensatoires qui sont dus à la fonctionnaire sera renvoyée aux parties pour une période de 60 jours à compter de la date de la présente décision, période au cours de laquelle les parties devront les établir, comme il est indiqué  dans la présente décision.

164        Au plus tard dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, les parties devront informer la Commission si elles sont parvenues à une entente, tel qu’il est indiqué dans la présente décision.

165        Dans l’éventualité où les parties ne parviennent pas à s’entendre, tel qu’il est indiqué dans la présente décision, une autre audience sera prévue, laquelle aura lieu au plus tard 120 jours suivant la date de la présente décision ou lorsque l’arbitre de grief sera disponible après cette date.

166        Je demeurerai saisie des affaires découlant de la présente ordonnance pour une période de 180 jours à compter de la date de la présente décision.

Le 23 décembre 2016.

Nathalie Daigle,

une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans
la fonction publique

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