Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi était discriminatoire – la Commission a conclu que le licenciement était directement lié à la déficience du fonctionnaire s’estimant lésé – l’employeur n’a pas démontré qu’il s’était acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’au point de la contrainte excessive – il n’a pas établi qu’il n’y avait pas de perspective raisonnable que le fonctionnaire s’estimant lésé retourne au travail – la Commission a conclu que l’employeur n’avait fait aucun effort pour prendre des mesures d’adaptation en vue du retour du fonctionnaire s’estimant lésé à ses fonctions, même si ce dernier pouvait retourner au travail avec une mesure d’adaptation – la Commission a conclu que l’employeur avait manqué à ses obligations prévues par la convention collective et à la Loi canadienne sur les droits de la personne de façon inconsidérée et a accordé au fonctionnaire s’estimant lésé une indemnité spéciale conformément au paragraphe 53(3) de la Loi et des dommages pour préjudice moral prévus par l’alinéa 53(2)e) de la Loi. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et
Loi sur les relations de travail fonction
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20160930
  • Dossier:  566-34-11395
  • Référence:  2016 CRTEFP 101

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

LANCE ROGERS

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Rogers c. Agence du revenu du Canada


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Harinder Mahil et Dulce Amba Cuenca, agents de relations du travail, Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Marc Séguin, avocat
Affaire entendue à Vancouver, en Colombie-Britannique,
du 12 au 14 juillet 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Lance Rogers, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), occupait un poste de vérificateur à l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur »). Il a été licencié le 1er avril 2015. Il était en congé non payé depuis juillet 2012. L’employeur a décidé de le licencier parce qu’il ne pensait pas qu’un retour au travail éventuel était possible. Le fonctionnaire soutient que son licenciement équivalait à de la discrimination fondée sur une déficience et qu’il allait donc à l’encontre des modalités de la convention collective conclue entre son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC »), et son employeur, laquelle est venue à échéance le 21 décembre 2014, (la « convention collective »).

2        Pour les motifs présentés ci-dessous, je conclus que l’employeur a agi de façon discriminatoire lorsqu’il a licencié le fonctionnaire. Le plaignant doit être réintégré dans son poste.

II. Résumé de la preuve

3        L’employeur a cité trois témoins à témoigner : Danny Leung, le superviseur du fonctionnaire; Joanna Ralla, la gestionnaire à qui M. Leung se rapportait; Michael Quebec, le directeur titulaire du pouvoir délégué pour signer la lettre de licenciement. Le fonctionnaire a lui-même agi à titre de témoin et il a cité Jason Brown, un collègue et représentant de l’IPFPC, à témoigner.

4        Dans l’ensemble, il n’existait aucune divergence entre les témoignages, et la documentation écrite a été utile pour confirmer les déclarations des témoins. Par conséquent, je résumerai la preuve sans renvoyer de manière détaillée aux témoignages de chaque témoin.

5        Cependant, en ce qui a trait à un incident, les versions de Mme Ralla et du fonctionnaire étaient contradictoires. Les parties ont convenu que j’allais devoir tirer une conclusion sur la crédibilité à ce sujet, et je le ferai au fur et à mesure que je passerai en revue la preuve.

6        Le fonctionnaire travaillait pour l’employeur et ses prédécesseurs depuis 1977. Il a commencé comme commis aux cotisations, classifié au groupe et au niveau CR-04, et il a progressivement gravi les échelons. En 1979, il est devenu un vérificateur des feuilles de paye, classifié PM-02, et il est ensuite passé à un poste classifié PM-03. Dans les années 80, durant environ trois ans et demi, il était affecté aux enquêtes spéciales, dans un poste classifié AU-01. En 1995, il a été nommé à un poste AU-02, dans lequel il préparait des dossiers aux fins de vérification. En 1998, il a été promu à un poste classifié AU-03, et il est devenu un conseiller technique principal. Dans le cadre de ses fonctions, il devait conseiller les vérificateurs sur des questions précises relatives à des dossiers d’entreprise complexes et difficiles.

7        En juillet 2010, le fonctionnaire a pris un congé de maladie. Il est retourné travailler en décembre 2011. Je n’ai entendu aucun témoignage et n’ai été saisie d’aucun document relatif à ce congé. Il n’est pas question de ce congé dans la lettre de licenciement, il n’est question que d’un autre congé qui a commencé le 3 juillet 2012. Pourtant, il semble que l’employeur ait accordé beaucoup d’importance à ce premier congé. En effet, il y a fait maintes fois allusion dans sa correspondance avec le fonctionnaire, ainsi qu’à sa [traduction] « […] tentative infructueuse de retourner au travail ».

8        En décembre 2011, le fonctionnaire est retourné au travail dans son poste d’attache en tant que conseiller technique. Il est retourné sans aucune contrainte, restriction, mesure d’adaptation, diminution de ses fonctions ou horaire de travail allégé. Selon M. Leung, il s’est acquitté de ses fonctions de manière satisfaisante.

9        Le 27 juin 2012, le fonctionnaire a été convoqué à une réunion au bureau de Mme Ralla, à 9 h 30. Les faits et la lettre (pièce G-2) que Mme Ralla a remise au fonctionnaire de la part de la sous-commissaire de la région du Pacifique, Maureen Phelan, ne sont pas contestés par Mme Ralla et le fonctionnaire.

10        La lettre précise que, dans le cadre du [traduction] « Plan de limitation des coûts », le [traduction] « Programme des conseillers techniques » a été abandonné, avec entrée en vigueur le jour même. La lettre précise également que le fonctionnaire est [traduction] « […] déclaré un employé visé, à compter du 27 juin 2012, en raison de la suppression d’une fonction ». La lettre précise de plus que le fonctionnaire se voit garanti d’une offre d’emploi raisonnable, sans toutefois qu’une date soit précisée relativement à cette offre éventuelle.

11        Dans la lettre, il est également indiqué ce qui suit : [traduction] « Conformément aux dispositions du RE [réaménagement des effectifs] de votre convention collective, vous êtes désormais, à compter d’aujourd’hui, un fonctionnaire excédentaire ». Dans sa lettre, Mme Phelan encourage le fonctionnaire à communiquer avec le conseiller en matière de RE de son employeur et explique qu’il peut avoir accès à des services, notamment le Programme d’aide aux employés (PAE).

12        Le fonctionnaire a déclaré avoir été complètement surpris par cette annonce. Il n’avait reçu aucun préavis; il a été convoqué soudainement au bureau de Mme Ralla et n’a pas eu le temps d’appeler l’IPFPC pour demander qu’un représentant soit présent. Il a déclaré qu’on lui avait indiqué que son poste avait été supprimé et qu’il devait retourner à son pupitre en attendant d’autres directives.

13        Selon la compréhension du fonctionnaire de la conversation et de la lettre, ses fonctions étaient interrompues. Il a appelé ses contacts aux services techniques d’Ottawa, pour rapporter ce qui s’était passé. Ils étaient au courant du Plan de limitation des coûts et ils ont communiqué leurs regrets au fonctionnaire tout en lui indiquant qu’ils étaient désolés qu’il ait perdu son emploi.

14        Le fonctionnaire a raconté qu’il avait passé toute la journée du mercredi 27 juin, le lendemain et le surlendemain avant-midi, soit le vendredi, assis à son pupitre, à attendre d’autres directives; il n’avait rien à faire et aucune tâche à effectuer. Finalement, le vendredi après-midi, il a communiqué avec son médecin de famille pour un rendez-vous; il avait atteint un point de rupture. Son congé de maladie a commencé le jour ouvrable suivant, le 3 juillet 2012.

15        Mme Ralla a fourni une version très différente de ce qui s’est produit à la réunion. Elle a déclaré qu’elle avait tenu un certain nombre de réunions liées aux [traduction] « lettres aux employés visés » et que la démarche suivie était la même dans tous les cas. Un représentant de l’agent négociateur était toujours présent. Les employés visés recevaient toujours la directive de continuer d’exercer leurs fonctions jusqu’à nouvel ordre, en dépit du fait que leurs postes étaient supprimés.

16        Comme ce témoignage contredit directement celui du fonctionnaire, Mme Ralla a fait l’objet d’un contre-interrogatoire minutieux à ce sujet. La décision rendue dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, est habituellement soulevée quand un décideur est saisi de deux témoignages contradictoires. Cette affaire établit que, lorsque deux témoignages sont contradictoires, le décideur doit tenir compte du contexte factuel pour déterminer quelle est la version la plus plausible. En l’espèce, je n’ai aucune difficulté à conclure que la version du fonctionnaire est la plus plausible.

17        Lors de son témoignage au sujet de la réunion, Mme Ralla ne se souvenait pas du nom du représentant de l’agent négociateur qui y avait prétendument participé. À la question, posée à répétition, du représentant du fonctionnaire à savoir si elle était convaincue qu’un représentant syndical avait pris part à la réunion (le fonctionnaire a fait valoir clairement que ce n’était pas le cas), Mme Ralla a répondu à maintes reprises qu’il devait y avoir eu un représentant présent puisqu’il y en avait toujours un, conformément à la procédure. Je lui ai demandé directement si elle avait demandé au fonctionnaire de continuer d’exercer ses fonctions de conseiller technique, et ce, en dépit du fait que la lettre lui précisait que celles-ci étaient terminées, et elle a répondu que c’est ce qu’elle lui aurait dit, puisque c’était toujours ainsi que l’on procédait.

18        En aucun temps, durant cette partie de son témoignage, Mme Ralla n’a utilisé le mode indicatif, par exemple [traduction] « Oui, quelqu’un était présent. Oui, je lui ai dit. » Elle s’est systématiquement exprimée en utilisant le mode conditionnel exprimant une possibilité telle que [traduction] « quelqu’un aurait été présent » ou [traduction] « je lui aurais dit ». J’estime que les réponses directes du fonctionnaire aux questions concernant ce qui s’était passé le matin en question sont plus convaincantes parce qu’il s’exprimait à l’indicatif, parce que c’est lui qui était directement touché, et parce qu’elles se rapprochaient davantage du texte de la lettre qui lui a été présentée, laquelle précisait que ses fonctions prenaient fin le jour même.

19        J’ai également de la difficulté à croire que le fonctionnaire a été invité à poursuivre l’exercice de ses fonctions et qu’il a choisi de s’asseoir à son pupitre et de ne rien faire. D’après son témoignage, celui de son superviseur, M. Leung, et celui de son collègue, M. Brown, j’ai l’impression qu’il est du genre à vouloir travailler et à vouloir rester occupé. Si on lui avait demandé de travailler, c’est ce qu’il aurait fait. Je crois le fonctionnaire lorsqu’il dit avoir été laissé dans le néant, en suspens, sans savoir quoi faire ni ce qui l’attendait, et quand.

20        Le fonctionnaire avait effectué un retour réussi depuis son congé précédent. Cependant, l’élimination de son emploi, sans appui ni explication, et sans fonctions à exercer, lui a porté un coup très dur.

21        Le 1er octobre 2012, M. Quebec a envoyé au fonctionnaire une offre d’emploi raisonnable comme vérificateur de l’impôt, classifié au groupe et au niveau AU-03. Lorsqu’une offre d’emploi raisonnable est refusée, l’employeur, s’étant acquitté de l’obligation d’offrir un autre emploi conformément aux dispositions du PAE, se voit acquitté de toute autre obligation, et l’employé peut faire l’objet d’une mise en disponibilité. Le fonctionnaire a signé l’offre le 23 octobre 2012, laquelle comprenait la phrase suivante : [traduction] « En acceptant cette offre et en y apposant votre signature, vous affirmez avoir examiné le Code de déontologie et de conduite et la Politique sur les conflits d’intérêts [les adresses Internet ont été fournies] et que vous acceptez de les respecter ». En dessous de sa signature, le fonctionnaire a rédigé ce suit : [traduction] « Veuillez noter que je n’ai pas d’ordinateur en bon état de fonctionnement à la maison et que je n’ai pas examiné le Code de déontologie et de conduite et la Politique sur les conflits d’intérêts ».

22        Dans une lettre du 18 juin 2013, un gestionnaire de cas de la Financière Sun Life a informé le fonctionnaire et l’employeur que le fonctionnaire satisfaisait à la définition de [traduction] « déficience complète » et que les versements de prestations avaient été approuvés rétroactivement au 3 juillet 2012.

23        Le 15 octobre 2013, M. Leung a rédigé une lettre au fonctionnaire indiquant en partie ce qui suit :

[Traduction]

La présente lettre a pour objet de présenter les options dont vous disposez en vertu de la politique de l’Agence du revenu du Canada en matière de congé non payé pour des motifs de maladie ou de blessure. Nos dossiers indiquent que vous avez été en congé non payé pour cause de maladie ou de blessure du 15 juillet 2010 au 19 décembre 2011, suivie d’une tentative infructueuse de retourner au travail, dont le résultat a été de retourner en congé de maladie non payé à compter du 3 juillet 2012.

[La lettre énonce alors les éléments de la politique.]

Puisque vous avez été en congé non payé durant trente et un mois cumulatifs et que l’employeur a été informé de votre déficience complète, le règlement relatif à votre situation prendra la forme de l’une des options suivantes.

1. la retraite;

2. la démission.

[…]

24        Le retour au travail n’a pas été offert en guise d’option. Le fonctionnaire a réagi en écrivant une lettre à M. Leung dans laquelle il a exprimé son désarroi de ne pas avoir eu l’occasion de retourner au travail, ce qu’il souhaitait vraiment. Il a ajouté une note de son médecin, le Dr Hyrman, qui avait écrit à son médecin de famille. La note ne contient aucun élément compromettant, mais elle indique qu’il faudrait remettre à plus tard la démission ou la retraite, et n’exclut pas la possibilité que le fonctionnaire puisse retourner au travail. Dans sa lettre, le fonctionnaire a indiqué à M. Leung de communiquer avec le Dr Hyrman pour toute préoccupation qu’il pourrait avoir.

25        M. Leung a accordé une autre prorogation du congé non payé en février 2014; il a demandé une mise à jour en mai 2014.

26        Le 14 mai 2014, M. Leung a envoyé un formulaire et une lettre au Dr Hyrman. Le formulaire était une [traduction] « Évaluation de l’aptitude physique au travail » (EAPT) à remplir par le Dr Hyrman. La lettre expliquait que le formulaire d’EAPT a été conçu de manière à établir toute limite, contrainte, ou mesure d’adaptation qui devrait être prise afin de favoriser un retour au travail réussi de la part du fonctionnaire. Elle mentionnait également qu’un emploi de vérificateur des dossiers de base, classifié AU-03, avait été offert au fonctionnaire, et que l’EAPT tenait compte des diverses exigences de l’emploi. Une description de travail était également jointe à la lettre.

27        Le Dr Hyrman a rempli et renvoyé l’EAPT, en date du 17 juin 2014. Dans L’EAPT, il a répondu à toutes les demandes en indiquant qu’il n’y avait aucune limite ni contrainte ni aucune nécessité visant une mesure d’adaptation quelconque, en raison des exigences physiques, mentales et émotives de l’emploi détaillées dans l’EAPT. Il a indiqué que le fonctionnaire pouvait retourner travailler à plein temps et qu’il consentait à ce que l’on communique avec lui pour de plus amples précisions au besoin. Il a proposé que la date de retour au travail du fonctionnaire soit le 27 juin 2014.

28        Malgré le message sans équivoque exprimé dans l’EAPT, M. Leung était préoccupé. Comme il l’a expliqué à l’audience, il y avait une discordance entre la déficience complète reconnue par la Sun Life, en 2013, et la confirmation du Dr Hyrman, en 2014, que le fonctionnaire pouvait retourner au travail.

29        Le 27 juin 2014, le fonctionnaire n’est pas retourné au travail. Il a plutôt reçu une lettre de M. Leung, qui lui demandait de consentir à une évaluation de son aptitude à travailler qui serait effectuée par un entrepreneur de l’employeur, soit le Workplace Health and Cost Solutions (WHCS).

30        Le fonctionnaire était plutôt mécontent de cette tournure des évènements. Il a répondu par lettre datée du 8 juillet 2014, dans laquelle il a manifesté sa stupéfaction en ce qui concerne la demande de son employeur de subir une évaluation par des professionnels qui ne le connaissent pas, alors que l’employeur avait déjà en main la recommandation du médecin. Le fonctionnaire a souligné que l’évaluation de 2013 de la Sun Life et l’EAPT étaient directement attribuables au Dr Hyrman; de toute évidence, à ce moment-là, selon le fonctionnaire, elle aurait dû suffire à démontrer que la discordance soulevée par M. Leung était en fait due à sa réadaptation.

31        M. Leung a répondu par lettre datée du 11 juillet 2014, laquelle avait pour objet : [traduction] « Précisions relatives au retour au travail », ce qui a malheureusement eu pour conséquence d’embrouiller davantage la situation aux yeux du fonctionnaire. Dans sa lettre, M. Leung a expliqué que l’EAPT ne suffisait pas pour permettre de comprendre le type de mesure d’adaptation nécessaire, étant donné que [traduction] « […] le poste d’attache que vous occupiez avant d’aller en congé n’existe plus dans la structure organisationnelle et qu’un nouveau poste doit vous être offert ». M. Leung a également indiqué dans sa lettre qu’il avait eu une conversation avec le Dr Hyrman le même jour (le 11 juillet), afin de lui expliquer que le fonctionnaire allait changer d’emploi et qu’il effectuerait du travail de vérification, quelque chose qu’il n’avait pas fait depuis 1998, lorsqu’il était devenu conseiller technique. Lors de cette conversation, le Dr Hyrman a indiqué qu’il serait peut-être préférable que le fonctionnaire réintègre graduellement son emploi, en commençant par deux jours ou quinze heures de travail par semaine.

32        Le fonctionnaire a été frappé par l’expression [traduction] « […] un nouveau poste doit vous être offert », puisqu’il avait signé l’offre d’emploi raisonnable en octobre 2012. Il y a donné suite le 21 juillet 2014, en rédigeant une lettre demandant une explication de la part de la haute direction et des ressources humaines afin de connaître leur position concernant l’offre d’emploi raisonnable qu’il avait déjà acceptée.

33        À partir de ce moment, le rôle de M. Leung a pris fin et Mme Ralla a pris la relève du dossier. Il a fallu quelques échanges (jusqu’en novembre 2014) pour démêler le fait que la lettre d’offre avait effectivement été signée, la pierre d’achoppement étant que le fonctionnaire n’avait toujours pas apposé sa signature pour confirmer qu’il avait examiné le Code de déontologie et de conduite et la Politique sur les conflits d’intérêts. Le fonctionnaire a expliqué à l’audience que l’examen du Code de déontologie et de conduite, un document plutôt lourd, était un exercice annuel auquel devaient se soumettre annuellement les vérificateurs de l’employeur. Il fallait un certain temps pour le lire et cette lecture se faisait durant les heures de travail. Par conséquent, il avait envisagé de le lire à son retour au travail, pendant ses heures de travail rémunérées.

34        Le 26 novembre 2014, le fonctionnaire a écrit à Mme Ralla pour lui faire part de ses réserves concernant l’évolution de son dossier de retour au travail. Il a mentionné qu’on faisait en sorte qu’il ne se sente [traduction] « pas très bien accueilli », soit un thème qui envahit la correspondance que le fonctionnaire a fait parvenir à l’employeur, et auquel l’employeur ne répond pas. Il renvoie non seulement à la difficulté d’organiser le retour au travail du fonctionnaire, mais également à des événements qui ne facilitaient pas la transition entre son congé de maladie et son retour au travail.

35        En 2013 et 2014, le fonctionnaire a demandé la permission de participer aux festivités de Noël qui se déroulaient à son bureau. Il accordait une importance particulière à cet événement auquel il avait participé activement par le passé en encourageant les participants à chanter des chants de Noël. En 2013, M. Brown a communiqué au fonctionnaire la décision de Mme Ralla de ne pas lui accorder cette permission. En 2014, M. Brown était en congé durant cette période, et il semblerait que personne n’ait pris la peine de répondre à sa demande. Mme Ralla a déclaré qu’un employé en congé de maladie prolongé n’était pas autorisé à se présenter sur les lieux du travail. Elle n’a pas expliqué pourquoi cette permission lui avait été accordée en 2010, durant la première période prolongée de congé de maladie du fonctionnaire. L’employeur n’a pas contesté le témoignage du fonctionnaire selon laquelle sa participation en 2010 s’était déroulée sans problème.

36        J’ai été saisie de documents (courriels et lettres) qui portaient sur la participation aux festivités de Noël, ainsi que des témoignages de Mme Ralla, de M. Brown et du fonctionnaire. Un autre incident, moins documenté celui-là, a blessé le fonctionnaire. Un dîner de départ à la retraite d’un de ses collègues a été organisé et il n’a pas été autorisé à y participer, même si l’événement avait lieu à l’extérieur du lieu de travail. Le retraité en question l’avait appelé pour l’aviser qu’il serait peut-être préférable qu’il ne s’y présente pas, puisque certaines personnes pourraient ne pas être à l’aise en sa présence.

37        Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait l’impression que la haute direction avait eu un mot à dire dans ce refus. L’employeur (par l’entremise de ses témoins et des observations de son avocat) a déclaré qu’il n’y était pour rien. Compte tenu du témoignage franc du fonctionnaire au sujet de sa relation cordiale avec le retraité, et de l’absence de collaboration de la part de l’employeur quant à l’organisation de son retour au travail, je préfère sa version. L’incident en soi n’est pas déterminant, mais il s’ajoute au sentiment général d’animosité perçue par le fonctionnaire.

38        L’autre thème qui ressort des échanges concerne l’obligation du Dr Hyman à fournir des directives claires en ce qui concerne le retour au travail du fonctionnaire. Les échéances sont établies par l’employeur et, par la suite, elles sont négociées par le fonctionnaire et son représentant, M. Brown. Dans une lettre en date du 22 janvier 2015, Mme Ralla a indiqué au fonctionnaire qu’il devait retourner le 16 février 2015, à défaut de quoi il risquait d’être licencié. Les termes exacts de ce texte sont reproduits ci-dessous :

[Traduction]

Selon votre correspondance la plus récente, vous avez indiqué que vous n’étiez pas prêt à retourner au travail et vous n’avez produit aucun échéancier quant au moment auquel les gestionnaires de l’ARC peuvent s’attendre à recevoir les documents médicaux requis pour faire en sorte que votre retour au travail se fasse d’une manière sécuritaire et appropriée. La seule conclusion que nous pouvons en tirer est qu’à l’heure actuelle, vous n’êtes pas apte à retourner au travail et que vous ne le serez pas dans un avenir prévisible. Bien que je me réjouisse que vous ayez exprimé le désir de retourner au travail à un moment donné, votre congé non payé ne peut être prolongé indéfiniment. Par conséquent, si vous n’êtes pas en mesure de retourner travailler d’ici le 16 février 2015, au plus tard, il sera recommandé au pouvoir délégué de mettre un terme à la relation d’emploi qui vous lie à l’ARC pour raison d’incapacité conformément à l’alinéa 51(1)g) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada.

39        Le fonctionnaire a compris de cette lettre qu’il devait retourner travailler le 16 février 2015. Le 29 janvier 2015, il a écrit à Mme Ralla pour lui expliquer qu’il s’agissait d’un délai trop court pour répondre de manière appropriée et pour organiser son retour au travail en consultation avec le Dr Hyrman, qu’il rencontrait pour la première fois le 2 février 2015. Il semble qu’aucune réponse n’ait été envoyée relativement à cette lettre. Par conséquent, le 11 février 2015, M. Brown a envoyé un courriel à Mme Ralla, l’informant que le fonctionnaire allait se présenter au travail le 16 février 2015.

40        Mme Ralla a répondu rapidement à ce courriel. Dans une lettre en date du 12 février 2015, elle a écrit au fonctionnaire ce qui suit :

[Traduction]

Le 11 février 2015, votre représentant de l’IPFPC, Jason Brow, m’a communiqué votre intention de vous présenter au travail, le lundi 16 février 2015.

Comme je l’ai indiqué dans ma lettre du 22 janvier 2015, l’employeur attendait, et attend toujours, les documents à jour requis de votre médecin traitant afin de s’assurer que vous êtes prêts à retourner au travail et que votre réintégration dans le milieu du travail soit faite de manière sécuritaire et adéquate. Les documents médicaux doivent indiquer que vous êtes apte à retourner au travail et préciser toute contrainte ou limite qui nécessiterait que des mesures d’adaptation soient prises à votre égard, comme l’organisation d’un horaire de retour au travail progressif. Nous attendons ces renseignements depuis le mois de juillet 2014.

Ces renseignements doivent m’être fournis avant que vous puissiez réintégrer le milieu de travail. J’espère que ces propos clarifient la situation.

41        M. Brown a répondu par écrit le même jour, indiquant que le message véhiculé par la lettre de janvier 2015 n’était pas clair; des renseignements médicaux devaient être produits, mais le fonctionnaire devait se présenter au travail. Le 13 février 2015, Mme Ralla a répondu comme suit :

[Traduction]

Merci pour votre rétroaction. Ma lettre du 22 janvier 2015 ne pouvait être plus claire, comme l’a par ailleurs été ma correspondance antérieure avec Lance en ce qui a trait à l’exigence de produire les documents médicaux de son médecin traitant afin de favoriser son retour sécuritaire au travail. Comme vous le savez pertinemment, nous sommes en communications régulières avec Lance depuis juillet, alors que nous nous efforçons d’obtenir des renseignements et de nous assurer qu’il comprend nos attentes à cet égard. J’ignore comment cette exigence aurait pu être communiquée plus clairement. Avant que Lance puisse retourner au travail, il doit fournir des renseignements médicaux produits par son médecin indiquant qu’il est apte à travailler ainsi que toute contrainte ou limite dont il pourrait faire l’objet. J’estime qu’il n’est aucunement nécessaire de réexaminer la lettre.

42        Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait consulté son conseiller du PAE et le Dr Hyrman, et qu’ils avaient convenu qu’il devait retourner travailler le 16 février 2015.

43        L’employeur a accepté d’attendre que le fonctionnaire rencontre le Dr Hyrman, le 26 février 2015, après quoi le Dr Hyrman devait produire une proposition détaillée visant le retour au travail. Le 26 mars 2015, l’employeur a reçu du Dr Hyrman la note qui suit, datée du 25 février 2015, adressée à Mme Ralla :

[Traduction]

Comme vous le savez, M. Rogers est mon patient et je le suis depuis presque cinq ans (troubles psychiatriques). Durant cette période, il a tenté de retourner travailler à plein temps, mais, à l’heure actuelle, il est à nouveau en repos de travail. Son [état] a évolué à un point tel qu’il pourrait retourner travailler, à condition qu’il le fasse progressivement. Selon ma compréhension de la situation, il s’inquiète de l’attitude de l’employeur vis-à-vis de son retour au travail et il serait recommandé qu’on le rassure à cet égard. Je recommanderais qu’il retourne au travail sur une base très progressive en commençant par une demi-journée par semaine et qu’il soit à nouveau examiné au fur et à mesure que les choses évoluent. Si vous avez besoin de plus amples renseignements, je serai ravi d’en discuter avec vous plus en détail.

[Je souligne]

44        Le 1er avril 2015, l’employeur a envoyé une lettre de licenciement au fonctionnaire, laquelle se lisait en partie comme suit :

[Traduction]

Vous êtes en congé non payé depuis le 3 juillet 2012. Dans la lettre du 15 octobre 2013, vous avez été informé des options dont vous disposiez en vertu de la politique de l’Agence du revenu du Canada en matière de congé non payé pour maladie ou blessure.

Après avoir reçu la lettre en question, vous avez indiqué à l’employeur que vous aviez l’intention de retourner au travail. S’appuyant sur la recommandation de votre médecin traitant, le Dr Hyrman, en ce qui a trait à l’échéancier relatif à votre retour au travail, l’employeur a accepté de proroger votre congé non payé.

[…]

Le 26 mars 2015, l’employeur a reçu la lettre du Dr Hyrman en date du 25 février 2015. Dans sa lettre, le Dr Hyrman recommande un retour progressif au travail au rythme d’une demi-journée par semaine, rythme qui serait à nouveau examiné « au fur et à mesure que les choses évoluent ». Aucun plan de retour au travail n’a été formulé afin de permettre une augmentation progressive du nombre d’heures et aucun renseignement n’a été fourni pour indiquer quand vos heures de travail pouvaient être augmentées jusqu’à un niveau significatif, ou si elles pouvaient l’être.

Selon les renseignements fournis, il est évident que vous n’êtes pas apte à retourner au travail. Comme vous n’avez pas réglé la situation au moyen d’une démission ou d’une retraite, je mets fin à votre emploi à l’Agence du revenu du Canada, à compter du 1er avril 2015, pour des motifs autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite. Cette action est prise en vertu du pouvoir qui m’est délégué par l’alinéa 51(1)g) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada

45        M. Quebec a déclaré qu’il avait signé la lettre de licenciement en s’appuyant sur la recommandation préparée par Mme Ralla. Il n’a formulé aucun commentaire en ce qui a trait à la courte période de temps écoulée entre la réception de la dernière note du Dr Hyrman, le 26 mars, et la délivrance de la lettre, le 1er avril, soit moins d’une semaine plus tard. M. Québec a également indiqué qu’il lui paraissait évident qu’un retour à une demi-journée par semaine n’était pas possible aux yeux de l’employeur. Il aurait été impossible de trouver du travail productif pour le fonctionnaire en raison de sa si courte présence au bureau.

46        Le fonctionnaire a déclaré avoir été stupéfait par son licenciement. Il avait participé à la réunion avec le Dr Hyrman, et il s’attendait à ce que la lettre demandée (au sujet d’un calendrier de retour au travail) soit envoyée. Plutôt que de conclure une entente, il a reçu une lettre de licenciement.

47        Le fonctionnaire a présenté une lettre du Dr Hyrman, en date du 5 juillet 2016. L’employeur s’y est opposé, puisque la date de cette lettre dépasse de beaucoup la date du licenciement. Dans celle-ci, le Dr Hyrman explique pourquoi sa note du 25 février 2015 était aussi peu détaillée. Il a fait valoir qu’il s’attendait à un retour complet au travail, mais que celui-ci devait être progressif; par conséquent, il n’aurait pas été en mesure d’être plus précis que de proposer un début très modeste.

48        Je n’ai accordé aucune importance à cette lettre puisque c’est ce que l’employeur savait, ou aurait dû savoir, au moment du licenciement qui importe. La note du 25 février 2015 suffisait pour démontrer l’approche prudente préconisée par le Dr Hyrman, sa reconnaissance des craintes exprimées par le fonctionnaire selon lesquelles sa présence n’était pas souhaitée, et son ouverture en ce qui a trait à la possibilité de communiquer avec lui si d’autres renseignements étaient requis. Je remarque que l’employeur a choisi de ne pas donner suite à son offre.

A. La [traduction] « politique en matière de congé non payé pour des motifs de maladie ou de blessure » de l’employeur

49        La lettre d’octobre 2013 de M. Leung adressée au fonctionnaire lui demandant de choisir entre la retraite et la démission ainsi que la lettre de licenciement d’avril 2015 mentionnent la [traduction] « politique de l’ARC (l’employeur) en matière de congé non payé pour des motifs de maladie ou de blessure ». Mme Ralla a déclaré qu’elle avait examiné [traduction]« les politiques » attentivement avant de recommander le licenciement du fonctionnaire.

50        En fait, deux politiques s’appliquent en l’espèce. Premièrement, il y a la Politique relative aux blessures et aux maladies de l’employeur et, deuxièmement, la Politique sur les congés non payés du Conseil du Trésor. Cette dernière politique a été annulée par le Conseil du Trésor le 1er avril 2009, mais l’avocat de l’employeur a confirmé à l’audience qu’elle s’appliquait toujours à l’ARC, en attendant l’adoption d’une nouvelle politique. L’agent négociateur a reconnu qu’elles’appliquait toujours.

51        L’accent diffère considérablement d’une politique à l’autre. Alors que la Politique relative aux blessures et aux maladies vise à faciliter le retour au travail, la Politique sur les congés non payés, bien qu’elle énonce le droit des employés de recourir à une telle mesure, établit également des limites. Des [traduction] « normes concernant les congés non rémunérés » sont prévues à l’appendice A de cette politique, et comprennent une section intitulée [traduction] « Maladie ou blessure », dans laquelle figure le texte reproduit ci-dessous :

[Traduction]

Les gestionnaires doivent envisager d’accorder un congé non rémunéré aux employés qui ne peuvent travailler pour cause de blessure ou de maladie et qui ont épuisé leurs crédits de congé de maladie ou de congé d’accident du travail.

S’il est clair que l’employé ne sera pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, les gestionnaires doivent envisager d’accorder un congé non rémunéré d’une durée suffisante pour permettre à l’employé de prendre les dispositions nécessaires en prévision de sa cessation d’emploi de la fonction publique pour raisons médicales.

Si la direction est convaincue qu’il y a de bonnes chances que l’employé retourne au travail dans un délai raisonnable (dont la durée variera selon les circonstances), un congé non rémunéré peut être considéré afin qu’il n’y ait pas d’interruption d’emploi. La direction doit réexaminer tous ces cas périodiquement afin de s’assurer que le congé non rémunéré n’est pas prolongé sans raison médicale valable.

La direction doit régler les cas de congé non rémunéré dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, mais cette période peut être prolongée si des circonstances exceptionnelles le justifient.

La période de congé non rémunéré doit être suffisamment souple pour permettre aux gestionnaires de tenir compte des besoins des employés ayant des problèmes particuliers de réadaptation, comme le besoin d’un recyclage.

[Je souligne]

52        Les témoignages de M. Leung, et encore davantage celui de Mme Ralla, ont clairement démontré que l’étape des deux ans était un élément important à prendre en considération au moment de déterminer la voie à suivre avec le fonctionnaire.

53        À l’opposé, la Politique relative aux blessures et aux maladies porte avant tout sur les moyens pour aider un employé blessé ou malade à revenir au travail. Il y est également question du type d’avis médical qui doit être obtenu afin de rendre ce retour possible.

54        La Politique relative aux blessures et aux maladies comprend l’annexe B, intitulée [traduction] « Permettre à un employé de demeurer au travail ou de retourner au travail ». Elle porte sur l’évaluation médicale à laquelle un employé devra se soumettre avant de retourner travailler à la suite d’un congé prolongé dû à une blessure ou à une maladie.

55        À la page 18, la réponse suivante est fournie relativement à la question [traduction] « qui fera l’évaluation médicale? » :

[Traduction]

Le médecin personnel de l’employé devrait être la première source en ce qui a trait à ces renseignements. Lorsque cela n’est pas possible (p. ex. si l’employé n’a pas de médecin ou si les tentatives d’obtenir suffisamment de renseignements de la part du médecin de l’employé n’ont pas été fructueuses), le gestionnaire demandera une évaluation médicale (sous la forme d’une évaluation de son aptitude à travailler) par l’entremise du fournisseur de services de santé de l’ARC – Workplace Health and Cost Solutions (WHCS).

56        À la page 20, à la question [traduction] « Quels renseignements le médecin confiera-t-il à mon gestionnaire? », la réponse est, en partie, comme suit :

[…]

[Traduction]

Après votre évaluation, le médecin remplira l’EAPT, qui précisera votre aptitude à travailler selon un des éléments présentés ci-dessous :

  • apte à travailler et capable d’exercer toutes vos fonctions;
  • apte à travailler, mais avec certaines limites ou contraintes, et capable d’exercer des fonctions modifiées ou d’autres fonctions suivant des heures de travail modifiées;
  • inapte à travailler et incapable d’effectuer une fonction à l’heure actuelle.

57        À la page 20, la prochaine question est la suivante [traduction] « Que faut-il faire une fois qu’a eu lieu l’évaluation médicale? ». La réponse est en partie comme suit :

[Traduction]

Si l’évaluation est effectuée par votre médecin, vous devez fournir à votre gestionnaire une copie de votre rapport médical (c.-à-d. l’EAPT rempli accompagné de toute lettre explicative) […] Une fois le rapport reçu, votre gestionnaire communiquera avec vous pour discuter du contenu et des prochaines étapes. Si des renseignements aux fins de précision sont requis, votre gestionnaire pourrait devoir communiquer avec le médecin pour obtenir les renseignements en question, et vous en informera avant d’agir en ce sens.

Les limites ou contraintes identifiées dans l’EAPT seront utilisées pour appuyer votre demande visant votre maintien ou votre retour au travail au moyen de la prise de mesures d’adaptation à votre égard dans le lieu de travail, comprenant notamment un milieu de travail sain, sécuritaire et favorable. Vous (et votre représentant syndical, s’il y a lieu) participerez à l’élaboration et à la mise en œuvre du plan d’adaptation.

58        Il est également mentionné à la page 14 de la Politique relative aux blessures et aux maladies qu’il incombe au gestionnaire de [traduction] « […] rencontrer l’employé blessé ou malade et son représentant syndical, s’il y a lieu, pour évaluer les limitations d’ordre médical et déterminer la nature des mesures d’adaptation qui devront être prises ». M. Brown et le fonctionnaire ont déclaré qu’aucune rencontre de ce genre n’avait été organisée après que l’employeur ait reçu l’EAPT remplie par le Dr Hyrman.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

59        L’argument de l’employeur se fonde essentiellement sur le fait qu’au moment du licenciement, il n’existait aucune perspective raisonnable que le fonctionnaire retourne au travail après avoir été en congé non payé pendant plus de deux ans. L’employeur a agi conformément à l’alinéa 51(1)g) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (L.C. 1999, ch. 17), qui est libellé comme suit :

51. (1) L’Agence peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion des ressources humaines :

[…]

g) prévoir, pour des motifs autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et préciser dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie; […]

60        Le fonctionnaire a été licencié en raison d’une incapacité. Le licenciement était justifié puisque, selon son médecin traitant, il était incapable de retourner travailler sur une base réaliste et productive. Puisque l’exigence de base de la relation d’emploi ne pouvait être satisfaite, l’employeur n’avait d’autre choix que de mettre un terme à cette relation. Un licenciement dû à un non-respect du contrat de travail ne constitue pas de la discrimination. Dans l’éventualité où le licenciement était considéré comme étant fondé sur l’incapacité et, par conséquent, sur une preuve prima facie de discrimination, l’employeur a indiqué qu’il avait tenté à maintes reprises d’élaborer un plan d’adaptation, sans toutefois y parvenir. Par conséquent, il n’y a pas eu de discrimination.

61        Une fois l’EAPT rempli, M. Leung a communiqué avec le Dr Hyrman. Il était intrigué par la recommandation visant un retour au travail à plein temps, sans contrainte, alors qu’un an plus tôt, il avait été déclaré que le fonctionnaire était atteint d’une incapacité totale. Le Dr Hyrman avait alors recommandé un retour progressif au travail, à raison de deux jours de travail par semaine au début. Aucune autre précision n’a été fournie, bien que l’employeur ait à plusieurs reprises demandé au fonctionnaire de demander à son médecin de lui en faire parvenir.

62        En février 2015, le Dr Hyrman a recommandé que le fonctionnaire retourne travailler de manière très progressive, à raison d’une demi-journée par semaine au début. Après avoir demandé des précisions en ce qui a trait aux mesures d’adaptation et après avoir accordé de nombreuses prorogations, l’employeur ne comprenait toujours pas comment faciliter le retour au travail du fonctionnaire. À cette époque, le fonctionnaire était en congé non payé depuis plus de deux ans et demi.

B. Pour le fonctionnaire

63        Selon le fonctionnaire, l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard et ne s’est pas acquitté de son obligation de prendre une mesure d’adaptation jusqu’à la limite de la contrainte excessive.

64        Il est évident que le fonctionnaire a fait l’objet d’un traitement défavorable en raison de sa déficience; il a donc établi une preuve prima facie de discrimination. L’employeur n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer que le retour au travail recommandé par le Dr Hyrman lui aurait causé une contrainte excessive. Un nombre imposant de vérificateurs travaillent dans le même secteur que le fonctionnaire, et le travail était effectué en son absence. De toute évidence, un retour progressif au travail aurait pu être intégré par l’employeur. Qui plus est, l’employeur n’a pas réussi à s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire en ne s’informant pas davantage, après avoir reçu la dernière note du Dr Hyrman, le 26 mars 2015.

65        La relation d’emploi n’a pas été rompue, contrairement à ce qu’a fait valoir l’employeur. Au moment du licenciement, le fonctionnaire avait reçu un pronostic favorable de la part du Dr Hyrman quant à sa capacité à retourner travailler, bien que progressivement.

IV. Motifs

66        L’employeur et le fonctionnaire ont tous deux présenté une certaine jurisprudence à l’appui de leurs positions respectives. Un certain nombre de principes peuvent se dégager de cette jurisprudence et ils sont résumés dans les paragraphes qui suivent.

67        Dans Scheuneman c. Canada (Procureur général), 2000 CanLII 16701 (CAF), la Cour d’appel fédérale a conclu que l’incapacité de travailler entraîne l’impossibilité d’exécuter le contrat de travail et que, par conséquent, lorsqu’il n’existe aucune possibilité raisonnable de retourner au travail dans un avenir prévisible, le licenciement ne constitue pas une discrimination fondée sur l’incapacité. Dans cette affaire, M. Scheuneman avait été absent du travail durant huit ans et, selon la preuve médicale, il n’était pas en mesure de travailler et il était improbable qu’il soit capable de travailler dans un avenir prévisible.

68        Dans English-Baker c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 24, l’arbitre de grief a conclu que le licenciement d’un employé pour des motifs liés à son incapacité constituait une preuve prima facie de discrimination. L’analyse a dû alors porter sur la question de savoir si l’employeur avait des motifs de bonne foi de procéder au licenciement. Un élément essentiel de l’analyse de l’exigence de bonne foi consiste à déterminer si l’employeur a pris des mesures d’adaptation appropriée à l’égard de l’employé, jusqu’à la limite de la contrainte excessive.

69        Ce courant de jurisprudence, où un licenciement pour incapacité médicale est en question et qui est considéré discriminatoire à première vue, a été confirmé à nouveau par la Cour suprême du Canada dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4 (« McGill »), et Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43 (« Hydro-Québec »).

70        Dans McGill, l’employée a été licenciée après trois ans d’absence pour incapacité, soit la période prévue dans la convention collective pertinente. Dans cette affaire, il fallait déterminer si l’employeur devait évaluer les mesures d’adaptation individuellement ou simplement appliquer les dispositions de la convention collective. La Cour suprême du Canada a conclu que les parties à une convention collective avaient le droit de négocier les exigences relatives à l’assiduité d’un employé, en fixant la limite de trois ans en ce qui concerne la durée du congé de maladie. Néanmoins, une évaluation établissant l’existence de toute perspective raisonnable de retour au travail devait être menée, et ce, même après la période de trois ans. Selon le médecin de l’employé en question, ce dernier était invalide et incapable de travailler pour une période indéterminée. L’employeur avait antérieurement tenté de prendre des mesures d’adaptation à son égard. Au moment du licenciement, il n’existait aucune perspective raisonnable de retour au travail dans un avenir prévisible et, par conséquent, le licenciement était justifié.

71        Dans McGill, selon l’opinion dissidente, le licenciement de l’employée n’est pas considéré comme une preuve prima facie de discrimination, puisqu’il n’y avait aucune perspective raisonnable d’exécuter le contrat de travail. L’analyse de la majorité commence avec l’obligation de prendre une mesure d’adaptation, présumant que l’existence d’une preuve prima facie de discrimination a été démontrée. Les deux analyses mènent au même résultat, c’est-à-dire que le licenciement n’était pas discriminatoire.

72        Dans Hydro-Québec, l’employée avait manqué 960 jours de travail au cours d’une période de sept ans; il était en congé de maladie au moment de son licenciement. Son médecin traitant ne prévoyait aucune possibilité d’un retour au travail sans le même taux d’absentéisme. Au fil des ans, l’employeur a ajusté ses conditions d’emploi afin de tenir compte de ses contraintes, mais en vain. Dans cette affaire, la question était de savoir si l’employeur devait démontrer qu’il était impossible de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de l’employée. La Cour suprême du Canada a statué que, par contrainte excessive, on n’entendait pas une impossibilité, mais bien une demande déraisonnable en ce qui a trait aux ressources de l’employeur. À nouveau, selon la Cour Suprême, le point de départ consistait en l’obligation de prendre une mesure d’adaptation à l’égard d’un employé malade, sans analyser la preuve prima facie de discrimination.

73        La jurisprudence établit clairement que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’incombe pas uniquement à l’employeur. L’employé envers qui des mesures d’adaptation doivent être prises doit collaborer aux efforts en ce sens, ainsi que le syndicat, si l’employé visé est membre d’une unité de négociation (voir Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 (« Renaud »)).

74        La question en litige dans la présente affaire consiste à établir si le licenciement du fonctionnaire était discriminatoire. Si tel est le cas, il contrevenait alors à l’article 42 de la convention collective et aux articles 3 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; la « LCDP »), lesquels sont respectivement reproduits ci-dessous :

[Article 42 :]

42.01 Il n’y a aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique ou nationale, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son état matrimonial, son incapacité mentale ou physique, une condamnation pour laquelle l’employé a été gracié, son adhésion au syndicat ou son activité dans l’Institut.

[…]

[LCDP :]

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

[…]

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

75        Je conclus que le licenciement du fonctionnaire était discriminatoire. Je conclus qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie, et que l’employeur ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombait conformément à la LCDP, soit d’adopter une mesure d’adaptation.

76        Une preuve prima facie de discrimination porte sur les allégations qui, si on leur ajoute foi, sont complètes et suffisantes pour une conclusion en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique du défendeur (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, (« O’Malley »), au paragr. 28).

77        Pour établir une preuve prima facie de discrimination dans le cas d’un emploi, le fonctionnaire doit démontrer les éléments suivants : qu’il était atteint d’une déficience, qu’il a subi un effet préjudiciable en ce qui a trait à son emploi et que sa déficience a été un facteur de cet effet préjudiciable; (voir Moore c. Colombie-Britannique (Education), 2012 CSC 61, au paragr. 33).

78        Le fonctionnaire a-t-il démontré sa déficience, telle qu’elle est définie à l’art. 25 de la LCDP? L’article 25 de la LCDP définit la déficience comme étant notamment une « déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée ». La preuve documentaire présentée à l’audience a corroboré la déficience du fonctionnaire. De plus, l’employeur n’a jamais remis en question la déficience du fonctionnaire, ni dans son témoignage ni dans ses observations. Le fonctionnaire a établi qu’il avait une déficience.

79        Le fonctionnaire a-t-il subi un effet préjudiciable en ce qui a trait à son emploi? Sans aucun doute, il a été licencié.

80        La déficience du fonctionnaire a-t-elle été un facteur du traitement préjudiciable? Le fonctionnaire a été licencié pour incapacité médicale. L’employeur était bien au courant de la déficience du fonctionnaire.

81        À la suite de l’application du critère établi dans O’Malley, je conclus qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie. Les allégations du fonctionnaire, si on leur ajoute foi, sont complètes et suffisantes pour justifier une conclusion favorable à son égard en l’absence de réplique de la part de l’employeur. Selon les éléments de preuve qu’il a produits, il était atteint d’une déficience au sens défini dans la LCDP, il a fait l’objet d’une distinction préjudiciable dans son emploi, et sa déficience a été un facteur dans l’effet préjudiciable en question. Par conséquent, je conclus que le fonctionnaire s’est acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination.

82        Une fois l’existence d’une preuve prima facie de discrimination établie, c’est à l’employeur de démontrer que sa décision était justifiée, y compris de démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. L’article 15 de la LCDP offre une défense à l’employeur : il n’est pas discriminatoire dans une situation d’emploi d’imposer des contraintes ou des limites qui créent un effet préjudiciable à une personne si celles-ci peuvent être justifiées par une exigence professionnelle de bonne foi. Pour que cette exigence soit prise en considération, comme il est indiqué au paragraphe 15(2), il doit être :

[…] démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

83        En l’espèce, l’employeur ne s’est pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’au point de constituer une contrainte excessive.

84        En juin 2014, lorsque le Dr Hyrman a rempli l’EAPT et confirmé que le fonctionnaire était apte à travailler, c’est-à-dire qu’il était capable d’exercer toutes ses fonctions sans contraintes ni limites, l’employeur n’avait aucune raison de ne pas lui permettre de retourner au travail. M. Leung avait des doutes en raison de l’avis antérieur de la Sun Life en ce qui a trait à la déficience complète du fonctionnaire et parce que les fonctions du fonctionnaire allaient bientôt être modifiées. M. Leung a communiqué avec le Dr Hyrman pour discuter de ses inquiétudes. De son côté, le Dr Hyrman a proposé un retour progressif, à raison de deux jours par semaine au début.

85        La Politique relative aux blessures et aux maladies de l’employeur, qui a été citée plus tôt dans la présente décision, prévoit que le gestionnaire doit discuter du retour au travail de l’employé avec ce dernier et son représentant syndical. Cette étape n’a jamais eu lieu.

86        Tenant compte de l’évaluation dont il disposait, de la recommandation du Dr Hyrman et de la politique de l’employeur elle-même, laquelle prévoit que l’avis du médecin doit prévaloir sur celle de WHCS, l’employeur aurait dû inviter le fonctionnaire à revenir au travail, en commençant par un horaire de deux jours par semaine. Il a plutôt mis l’accent sur l’évaluation de son aptitude à travailler et il a demandé un horaire précis de la part du Dr Hyrman, qui avait déjà répondu à toutes les questions. À l’audience, les témoins de l’employeur ont indiqué qu’il leur manquait des détails, par exemple les jours et les heures de travail du fonctionnaire. La réunion prévue dans la Politique relative aux blessures et aux maladies a exactement le même objectif – un avis médical est donné, la logistique visant à mettre en œuvre le retour au travail est laissée à l’initiative des parties, soit l’employé et son gestionnaire, avec l’aide du syndicat, si nécessaire.

87        L’employeur m’a demandé de tirer une conclusion négative du fait que le Dr Hyrman n’a pas été appelé à témoigner. Je refuse de le faire. L’employeur a cité Topping c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2014 CRTFP 74, pour appuyer sa prétention selon laquelle il fallait tirer une inférence négative en raison de l’absence d’une expertise. Dans cette affaire, l’une des questions en litige portait notamment sur la prétendue maladie mentale du fonctionnaire s’estimant lésé, ce qui jetait un doute sur sa capacité à consentir à un règlement. Il fallait de toute évidence que soit produite une preuve médicale.

88        En l’espèce, l’employeur n’a jamais remis en question les lettres et les formulaires signés par le Dr Hyrman. Les éléments liés à la santé mentale qui sont à l’origine du congé n’ont jamais été remis en question. Le fait que le Dr Hyrman ait déclaré le fonctionnaire apte à travailler, le 27 juin 2014, n’a pas non plus été remis en question; pas plus que ne l’a été d’ailleurs le fait qu’en réaction à la réserve exprimée par M. Leung, il a proposé un retour au travail progressif, en commençant par deux jours par semaine. Je vois mal en quoi son témoignage aurait pu contribuer davantage aux faits dont je suis saisie.

89        L’employeur a omis de respecter sa propre politique visant le retour au travail des employés à la suite d’une blessure ou d’une maladie. Aucune raison médicale ne justifiait d’empêcher le fonctionnaire à retourner travailler le 27 juin 2014. Rien n’empêchait le gestionnaire d’utiliser l’EAPT et de convoquer le fonctionnaire et son représentant syndical à une discussion sur la logistique relative à un retour au travail, conformément à la politique de l’employeur.

90        Au moment où le Dr Hyrman a envoyé sa dernière note, en février 2015, sa compréhension de la situation était [traduction] « qu’il [le fonctionnaire] s’inquiète de l’attitude de l’employeur vis-à-vis de son retour au travail et il serait recommandé qu’on le rassure à cet égard ». Sept mois plus tard, il n’était plus question d’un retour progressif à raison de deux jours de travail par semaine, il s’agissait maintenant de le réintégrer encore plus progressivement, à raison d’une demi-journée de travail par semaine.

91        Comme il a été démontré dans McGill et Hydro-Québec, si le retour au travail de l’employé ne peut se réaliser dans un avenir prévisible, après que l’employeur ait fait tout effort raisonnable pour prendre des mesures d’adaptation relativement à ce retour, le licenciement est justifié. En d’autres mots, il incombe à l’employeur de démontrer qu’il a tenté de prendre une mesure d’adaptation à l’égard du fonctionnaire jusqu’à la limite de la contrainte excessive.

92        Je suis convaincue, à la lumière de la preuve présentée à l’audience, que le fonctionnaire était réellement capable de retourner au travail en juin 2014. Par conséquent, en l’espèce, la situation n’est pas identique à celle dans McGill ou Hydro-Québec, où l’employeur avait raison de licencier l’employée en raison de l’absence d’une perspective raisonnable de retour au travail.

93        Dans la jurisprudence citée par l’employeur, comme English-Baker et Gauthier c. Conseil du Trésor (Comité des griefs des Forces canadiennes), 2012 CRTFP 102, l’employeur avait véritablement tenté de rendre possible le retour au travail des employés et il s’était ainsi acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’au point de constituer une contrainte excessive. Dans ces cas, il s’agissait simplement d’objectifs impossibles à atteindre. Dans Scheuneman, le fonctionnaire avait été en congé de maladie pendant huit ans, et son médecin avait déclaré qu’il était impossible qu’il soit capable de travailler dans un avenir prévisible.

94        Dans Calabretta c. Conseil du Trésor (ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 CRTEFP 85, l’employeur avait rencontré l’employée et le représentant de son agent négociateur à maintes reprises dans le but d’établir les modalités favorisant son retour au travail. Dans cette affaire également, l’employeur avait fait des efforts véritables, et le processus de prise de mesures d’adaptation avait réellement franchi le point de la contrainte excessive puisque, malgré ces efforts, il était impossible que l’employée soit capable de travailler dans un avenir prévisible.

95        En l’espèce, même si l’employeur prétend avoir pris des mesures raisonnables d’adaptation à l’égard du fonctionnaire, je n’ai constaté aucune preuve de mesures raisonnables d’adaptation.

96        L’employeur a effectivement prorogé le congé non payé du fonctionnaire, tout en faisant valoir qu’il avait besoin de plus de renseignements de la part du Dr Hyrman. Comme il a été antérieurement souligné, aucun gestionnaire n’a, à aucun moment, tenté de discuter avec le fonctionnaire et son agent négociateur de la prise de mesures concrètes visant le retour au travail du fonctionnaire. En d’autres termes, il n’y a jamais eu de discussion sur la prise de mesures raisonnables d’adaptation. L’employeur a fait valoir qu’il avait besoin de précisions de la part du médecin alors qu’il disposait déjà de l’EAPT, laquelle était précisément conçue pour permettre au médecin de préciser toute contrainte, limite ou mesure d’adaptation. Il est important de souligner que l’employeur a simplement ignoré la confirmation de juin 2014 du Dr Hyrman que le fonctionnaire était apte à retourner au travail. Le processus relatif à la mesure d’adaptation raisonnable à l’égard du fonctionnaire aurait dû commencer à ce moment, à titre d’efforts concertés entre l’employeur, le fonctionnaire et l’agent négociateur. Aucun effort n’a été déployé en ce sens.

97        Au moment du licenciement, l’employeur a soutenu qu’il n’existait aucune perspective raisonnable que le fonctionnaire retourne au travail, puisque le Dr Hyrman recommandait qu’il retourne au travail à raison d’une demi-journée par semaine. Ce point aurait également pu faire l’objet de discussions avec le fonctionnaire et son représentant de l’agent négociateur, en consultation avec le Dr Hyrman. L’employeur n’a jamais reconnu, et encore moins donné suite à l’insécurité qu’il a créée en compliquant le retour au travail, comme l’a souligné le Dr Hyrman dans sa note du 25 février 2015.

98        L’employeur n’a déployé aucun effort pour accommoder le fonctionnaire et le réintégrer dans ses fonctions de vérificateur de l’impôt. Pourtant, il n’existait aucune raison de croire que son retour au travail ne serait pas une réussite. Le fonctionnaire a affirmé sans hésitation que l’exercice de ses fonctions de vérificateur ne serait pas difficile pour lui. Alors qu’il était conseiller technique, il avait côtoyé des vérificateurs et il leur donnait un coup de main dans leur travail. Il connaissait la nature du travail, il avait occupé le poste de vérificateur, et il en connaissait les exigences. S’il devait utiliser de nouveaux outils, il apprendrait comment le faire au même titre que les autres. Rien dans le profil du fonctionnaire ne m’incite à douter de cette déclaration. Contrairement à ce qui a été affirmé à quelques reprises par l’employeur, le retour au travail précédent du fonctionnaire a été réussi, bien qu’il ait été de courte durée en raison d’une annonce mal gérée par l’employeur qui avait entraîné une rechute.

99        La preuve a démontré que le fonctionnaire aurait pu retourner au travail et que l’employeur ne s’était pas acquitté de son obligation de l’aider à y parvenir. L’employeur a soutenu qu’à la lumière de ce qui a été établi dans Renaud, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation doit aller dans les deux sens, et le fonctionnaire n’a simplement pas fourni assez de renseignements pour lui permettre de prendre des mesures d’adaptation à son égard. En fait, le fonctionnaire avait fourni un formulaire d’EAPT dûment rempli en juin 2014, et un suivi de la part de M. Leung a révélé qu’un retour progressif, à raison de deux jours par semaine, ou quinze heures par semaine, au début, aurait été une mesure raisonnable, selon le médecin traitant. À ce moment, il incombait à l’employeur, et non au fonctionnaire, de consulter le fonctionnaire et son représentant syndical en ce qui a trait à ses heures et jours précis de travail éventuel. Cette consultation par l’employeur n’a pas eu lieu, ce qui est contraire à sa propre politique. L’employeur n’a aucunement tenté de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. L’employeur a plutôt utilisé des manœuvres dilatoires jusqu’au licenciement, à commencer par l’évaluation de l’aptitude à travailler, alors que le médecin traitant du fonctionnaire avait déclaré que ce dernier était complètement apte à retourner travailler.

100        L’employeur a fait preuve de discrimination à l’endroit du fonctionnaire en ne lui permettant pas de réintégrer le milieu de travail et en ne cherchant pas activement à prendre des mesures d’adaptation raisonnables à son égard, y compris au moment du licenciement. L’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il avait rempli son obligation de prendre une mesure d’adaptation à l’égard du fonctionnaire jusqu’à la limite de la contrainte excessive.

V. Réparations

101        Le fonctionnaire a demandé les réparations suivantes : sa réintégration avec compensation salariale intégrale ainsi que les avantages sociaux à la date du licenciement, une indemnité de 20 000 $ à titre de préjudice moral, en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, et une indemnité spéciale de 20 000 $ en vertu du paragraphe 53(3) parce qu’il a été victime de discrimination de la part de l’employeur, dont l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

102        Le fonctionnaire doit être réintégré avec pleine rémunération et tous les avantages à partir de la date du licenciement. Selon la preuve dont j’ai été saisie à l’audience et l’EAPT remplie par le Dr Hyrman, j’estime que, si le fonctionnaire était retourné travailler le 27 juin 2014, il est probable qu’en avril 2015, il aurait travaillé à plein temps.

103        L’alinéa 226(2)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) confère à la Commission le pouvoir de rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) ou au paragraphe 53(3) de la LCDP, dont le libellé est reproduit ci-dessous :

53. (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

104        Dans les cas devant le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) et la présente Commission, ainsi que celle qui l’a précédée, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »), l’indemnité à titre de préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) et l’indemnité spéciale en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP varient beaucoup.

105        Dans Stringer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) et Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 110, l’arbitre de grief a examiné un certain nombre de décisions rendues par l’ancienne Commission et le TCDP et, à la page 36, il arrive à la conclusion que voici :

36 Lors de mon analyse des huit décisions pertinentes auxquelles les parties m’ont renvoyé (en écartant donc Hughes), il m’est apparu que la plupart d’entre elles ne proposaient pas de raisonnement détaillé pour arriver à un montant précis à accorder à titre d’indemnité pour préjudice moral ou d’indemnité spéciale, selon le cas.Il m’apparaît toutefois évident que la gravité des répercussions psychologiques subies par les plaignants ou les fonctionnaires s’estimant lésés, selon le cas, et occasionnées par la discrimination à leur égard ou le manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est le principal facteur invoqué pour justifier leur décision.Il ressort également que c’était plutôt la façon inconsidérée de traiter les fonctionnaires s’estimant lésés ou les plaignants, selon le cas, qui était invoquée pour justifier l’imposition d’une indemnité spéciale dans l’ordonnance.

106        Dans Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 41, l’employeur ne s’est pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. L’arbitre de grief a accordé 10 000 $ pour préjudice moral et 2 500 $ à titre d’indemnité spéciale.Le deuxième montant était à l’extrémité inférieure de l’échelle puisque certains efforts ont été déployés dans le but de prendre des mesures d’adaptation.

107        Dans Lloyd c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 15, l’arbitre de grief a conclu que le manque de consultation de la part de l’employeur avait entraîné des mesures d’adaptation insuffisantes et il a accordé à l’employée 6 000 $ pour préjudice moral. Dans Lloyd c. Agence du revenu du Canada, 2015 CRTEFP 67, la même employée a encore une fois obtenu une indemnité en vertu de la LCDP, cette fois, une somme de 7 000 $ parce que l’employeur lui avait imposé une mutation latérale permanente, laquelle a par la suite a été annulée. La Commission a conclu que l’acte n’était pas inconsidéré, mais qu’il était discriminatoire puisque l’employée avait été assujettie à un traitement préjudiciable sans qu’il soit tenu compte de ses besoins, alors que la mesure a été prise sans que son médecin ait été suffisamment consulté.

108        En l’espèce, le fonctionnaire a demandé le montant maximum accordé à titre d’indemnité pour préjudice moral et à titre d’indemnité spéciale en raison d’un acte délibéré ou inconsidéré. L’employeur n’a fait aucune observation eu égard à la réparation.

109        Après avoir tenu compte de tous les éléments de preuve, je conclus que l’employeur a fait preuve de discrimination à l’endroit du fonctionnaire en ne tentant pas sincèrement de favoriser son retour au travail après l’approbation obtenue en ce sens par le Dr Hyrman, en juin 2014. À partir de juillet 2014 jusqu’au moment du licenciement, l’employeur n’a démontré aucune volonté de discuter du retour au travail avec le fonctionnaire et son agent négociateur, ce qui est contraire à sa propre politique. Il a fait preuve de la plus grande indifférence à l’égard des préoccupations du fonctionnaire en ce qui a trait à la validité de sa lettre d’offre (de juillet 2014 à novembre 2014), il n’a rien fait pour faciliter son retour au travail, ou son interaction avec ses collègues, et il a généralement insisté pour obtenir des renseignements supplémentaires de la part du Dr Hyrman sans directement chercher à obtenir son avis, même si ce dernier avait pris la peine, dès le début, de mentionner à l’employeur qu’il était disponible pour répondre à ses questions, avec le consentement du fonctionnaire.

110        Après plus de trente-cinq ans de service, le fonctionnaire a été traité comme une personne non voulue. Je n’ai aucun doute, et cela est clairement ressorti du témoignage du fonctionnaire à l’audience, qu’il s’agissait là d’une très grave atteinte à sa dignité et à son estime de soi. Je conclus également que le fait d’ignorer complètement les dispositions de la Politique relative aux blessures et aux maladies, plus précisément la partie où il est question de favoriser le retour au travail des employés malades ou blessés, constituait une conduite inconsidérée de la part de l’employeur. Ce constat est davantage accentué par le licenciement abrupt, à la suite de la dernière note envoyée par le Dr Hyrman, sans qu’il y ait d’autres consultations.

111        Bien que les faits soient différents, j’estime qu’il est utile de renvoyer à Nicol c. Conseil du Trésor (Service Canada), 2014 CRTEFP 3 (QL). Dans cette affaire, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait délibérément retardé le retour au travail de l’employé, au point où ce dernier a été forcé de prendre sa retraite pour des raisons médicales. Il y a plusieurs similitudes entre ces deux cas, notamment le fait que l’employeur semblait peu enclin à favoriser un réel retour au travail de l’employé. Dans cette affaire, l’arbitre de grief a accordé 20 000 $ en indemnités à titre de préjudice moral, après avoir été saisie d’éléments de preuve étayant le fait que l’employé avait subi une grande détresse et des difficultés financières importantes qui, en fin de compte, l’ont mené à prendre sa retraite pour des raisons médicales, contre sa volonté et à son détriment sur le plan financier. L’arbitre de grief a également accordé 18 000 $ à titre d’indemnité spéciale, parce que, selon ses propres termes, elle a conclu au paragraphe 157 que « […] la conduite était répétée, soutenue et calculée pour s’assurer que le fonctionnaire ne retourne pas au travail et que celle-ci a duré pendant près de quatre ans. ».

112        L’acte discriminatoire de l’employeur en l’espèce n’était pas aussi répréhensible, mais le fonctionnaire en a subi une grande détresse, et l’employeur a été imprudent lorsqu’il a choisi d’ignorer sa propre politique. Par conséquent, j’accorde 15 000 $ au fonctionnaire à titre de préjudice moral, et 10 000 $ à titre d’indemnité spéciale en raison de l’acte inconsidéré de l’employeur.

113        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

114        Le grief est accueilli.

115        Le fonctionnaire doit être réintégré avec pleine rémunération et tous les avantages à partir du 1er avril 2015.

116        J’ordonne à l’employeur de verser au fonctionnaire une indemnité de 15 000 $ à titre de préjudice moral, en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans les 90 jours suivant la date de la présente décision.

117        J’ordonne à l’employeur de verser au fonctionnaire 10 000 $ à titre d’indemnité spéciale, en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans les 90 jours suivant la date de la présente décision.

118        Je demeure saisie du présent grief pour une période de 90 jours suivant la date de la présente ordonnance pour trancher tout différend que pourrait soulever la mise en œuvre de la présente décision.

Le 30 septembre 2016.

Traduction de la CRTEFP

Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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