Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur était préoccupé par le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait accordé un traitement préférentiel aux membres de sa famille et qu’il était donc en situation de conflit d’intérêts – à la suite d’une enquête administrative sur la possibilité qu’il ait accédé aux demandes d’assurance-emploi des membres de sa famille contrairement à la règle, le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu sans rémunération pour deux jours – il a soutenu que la mesure disciplinaire imposée était de nature punitive et que l’employeur aurait pu atteindre son objectif au moyen d’une pénalité moindre – la formation de la Commission était convaincue, au vu des éléments de preuve, que le fonctionnaire s’estimant lésé avait accédé aux dossiers personnels des membres de sa famille à leur demande – en outre, la formation de la Commission était convaincue que les accès du fonctionnaire s’estimant lésé n’étaient pas autorisés et qu’ils n’ont pas été effectués dans l’exercice normal de ses fonctions, puisqu’il est interdit de traiter le dossier d’un membre de sa famille – la formation de la Commission est également convaincue que l’employeur s’est acquitté du fardeau de démontrer que le fonctionnaire s’estimant lésé était en situation de conflit d’intérêts et que, par conséquent, sa conduite méritait une mesure disciplinaire – de plus, la formation de la Commission a déterminé que l’employeur avait tenu compte des facteurs atténuants appropriés lorsqu’il a imposé la mesure disciplinaire – la formation a également déterminé que le refus du fonctionnaire s’estimant lésé d’assumer la responsabilité de ses actes était un facteur aggravant considérable aux fins de la mesure disciplinaire imposée. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 2016-02-08
  • Dossier: 566-02-8340
  • Référence: 2016 CRTEFP 11

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

TODD MERCER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

employeur

Répertorié
xxxPartiesTitlexxx

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Rebecca Thompson, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Maureen Crocker, avocate
Affaire entendue à Corner Brook (Terre-Neuve),
du 27 au 30 octobre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), Todd Mercer, a contesté une suspension de deux jours, soit les 27 et 28 avril 2011, sans rémunération qui lui a été imposée. Il a allégué que cette mesure disciplinaire constituait une violation des articles 17 et 18 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration (tous les employés), qui est venue à échéance le 20 juin 2011 (la « convention collective »).

2 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »), et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) (la « Loi ») avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

II. Résumé de la preuve

3 Le fonctionnaire travaillait à titre d’agent des services à la clientèle (« ASC ») au Centre Service Canada de Corner Brook, à Terre-Neuve (le « bureau de Corner Brook »). En qualité d’ASC, il devait offrir certains services aux clients qui communiquaient avec le bureau de Corner Brook au sujet de l’assurance-emploi et d’autres programmes offerts par le ministère de l’Emploi et du Développement social (le « défendeur » ou l’« employeur »). Dans le cadre de ses fonctions d’ASC, le fonctionnaire a autorisé des personnes avec qui il entretenait des relations personnelles à contourner la charte de service fondamental ou le protocole de l’employeur, à savoir [traduction] « appelez, cliquez et visitez » (ACV). Le fonctionnaire a personnellement accédé aux renseignements sur l’assurance-emploi des membres de sa famille et il a offert à ces derniers un service qui n’était pas disponible aux autres citoyens canadiens, lesquels devaient respecter le protocole ACV. Ce faisant, le fonctionnaire a, à tout le moins, créé une apparence de traitement préférentiel, ce que l’employeur a traduit par un conflit d’intérêts et une violation du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique (le « Code »; pièce 3) et des lignes directrices de l’employeur en matière de conduite (les « lignes directrices »; pièce 7).

4 Debbie Evans supervisait le bureau de Corner Brook. Elle a précisé la nature du travail des ASC. Les ASC sont les personnes-ressources pour les Canadiens qui veulent des renseignements ou de l’aide afin d’avoir accès aux programmes administrés par l’employeur. Le fonctionnaire était employé à la ligne de départ du processus et il traitait toutes les personnes qui se présentaient au bureau de Corner Brook. Les clients peuvent obtenir de l’aide de trois façons en ce qui concerne leurs dossiers : en ligne au moyen du site Web de Service Canada, en composant le numéro sans frais de Service Canada et en parlant à un ASC, ou en se rendant à un bureau local. C’est à partir de ces trois moyens que le protocole ACV a été élaboré. Lorsqu’il sert un client en personne, le rôle de l’ASC est limité. Dans le cas des demandes d’assurance-emploi litigieuses, les ASC comme le fonctionnaire n’ont aucun rôle à jouer. Les dossiers sont assignés par numéro d’assurance sociale. Si un employé se voit attribuer un dossier qui appartient à un membre de sa famille, il ou elle doit préciser la relation et demander que le dossier soit réattribué. Un ASC ne doit pas traiter le dossier d’un client qui est un membre de sa famille.

5 Mme Evans a aussi déclaré qu’il avait été porté à l’attention de l’employeur que le fonctionnaire avait offert aux membres de sa famille un traitement préférentiel lorsqu’il a rapporté une conversation entre sa mère et son ex-épouse. Le fonctionnaire et son ex-épouse travaillaient tous deux au bureau de Corner Brook. Son ex-épouse avait dit à la mère du fonctionnaire qu’elle savait que le fonctionnaire avait consulté ses dossiers et qu’il lui avait divulgué certains renseignements confidentiels qui s’y trouvaient. Selon les allégations du fonctionnaire, son ex-épouse, qui était enquêteuse de demandes d’assurance-emploi, a laissé entendre qu’elle pouvait rendre sa vie au travail très difficile si elle communiquait cette information à l’employeur. Le fonctionnaire a rapporté les commentaires de son ex-épouse à Mme Evans, qui a consulté le représentant en relations de travail de l’employeur sur la meilleure façon de traiter cette affaire. Mme Evans a ensuite rencontré le fonctionnaire afin d’obtenir sa version des faits.

6 Une enquête administrative a alors été demandée afin d’examiner les deux allégations voulant que le fonctionnaire ait consulté, de manière appropriée, des renseignements personnels et qu’il les ait divulgués à une personne autre qu’un représentant de l’employeur. Les allégations concernant l’ex-épouse du fonctionnaire ont été examinées séparément. Au cours de l’enquête, l’employeur a pris connaissance du fait que le fonctionnaire avait consulté la demande d’assurance-emploi de sa nièce. L’enquête a donc été élargie afin d’établir si le fonctionnaire avait consulté les demandes d’assurance-emploi d’autres membres de sa famille.

7 S’ils avaient habité dans la même collectivité, il n’aurait pas été inhabituel que la demande d’assurance-emploi d’un ami ou d’un proche soit traitée précisément dans le bureau où travaillait le fonctionnaire. Il existe cependant une distinction entre s’informer au sujet d’une demande, ce qui permet d’obtenir une mise à jour de statut, et consulter une demande, ce qui suppose d’utiliser les écrans des transactions qui permettent de saisir des données et d’apporter des modifications à ce qui se trouve sur les écrans. Pour obtenir une mise à jour du statut de paiement ou pour tout ce qui concerne le traitement d’une demande, il faut consulter un dossier. Indépendamment de la méthode utilisée, si un parent du fonctionnaire était concerné, une autre personne que lui devait aurait dû consulter ces écrans.

8 Karen Young a été impliquée une fois que l’enquête a été terminée et que le rapport d’enquête (pièce 1) a été présenté à Michael Alexander, le dirigeant régional de l’employeur à Terre-Neuve. En collaboration avec M. Alexander, la directrice régionale, Services aux citoyens, Bonnie Pope, et le chef de section, Services aux citoyens, Woody Francis, il a été conclu que les agissements du fonctionnaire constituaient une violation du Code. Mme Young a consulté les représentants des relations de travail au sujet de la mesure disciplinaire appropriée, puis elle a rencontré le fonctionnaire afin de lui remettre une copie du rapport et lui demander de formuler ses observations. Il a été conclu à la suite de l’enquête que le fonctionnaire avait consulté les demandes d’assurance-emploi de sa nièce, de sa mère, de son beau-père et de son frère, ainsi que la sienne. Il a été établi qu’étant donné que le fonctionnaire avait consulté sa propre demande d’assurance-emploi à des fins de formation, aucune mesure disciplinaire n’était justifiée. Cependant, le fait qu’il ait consulté des dossiers de certains membres de sa famille justifiait la prise de mesures disciplinaires. Il avait accédé à la fois aux écrans d’interrogation et aux écrans de transaction. À partir des recommandations des représentants en relations de travail, une suspension de deux jours sans rémunération a été imposée au fonctionnaire.

9 L’employeur était préoccupé par le fait que le fonctionnaire offrait un traitement préférentiel à des membres de sa famille et que, par conséquent, il s’agissait d’un conflit d’intérêts. Habituellement, les citoyens n’ont pas accès aux écrans qu’il a consultés. Dans la lettre disciplinaire qui lui a été adressée (pièce 5), l’employeur voulait lui faire comprendre qu’il devait assumer la responsabilité de ses actes. Lorsque la mesure disciplinaire a été déterminée, l’employeur a tenu compte de ses bons états de service et de sa collaboration tout au long de l’enquête. Le fonctionnaire a affirmé qu’il n’était pas au courant d’avoir agi de manière inappropriée. Il a déclaré que maintenant qu’il le savait, il ne consulterait plus les dossiers de sa famille de cette façon. Cependant, la nature de sa conduite et l’itération de celle-ci constituaient des facteurs aggravants.

10 En signant sa lettre d’offre, le fonctionnaire a reconnu que le Code faisait partie de ses conditions d’emploi (pièce 8). En procurant aux membres de sa famille des renseignements et des services qui n’étaient pas à portée de main des autres Canadiens, le fonctionnaire a violé l’obligation prévue par le Code d’éviter le traitement préférentiel (pièce 3, page 28). De même, en omettant de discuter de la question du conflit d’intérêts potentiel avec son gestionnaire ou superviseur immédiat, le fonctionnaire a violé les exigences du Code sur les conflits d’intérêts (pièce 3, pages 19 à 21). La question de savoir si les dossiers ont été consultés à la demande d’un membre de la famille ou expressément sous son autorisation ne change pas la nature des consultations ni le fait que le fonctionnaire a présenté des lettres d’autorisation à l’employeur après coup (pièce 2, onglet 3). Les membres de sa famille ne pouvaient pas l’autoriser à accéder à des systèmes internes à leur profit, surtout rétroactivement.

11 Pendant l’enquête sur les consultations de dossiers personnels par le fonctionnaire, ce dernier a prétendu ne pas avoir eu connaissance du Code. Il a aussi soutenu que tout le monde faisait la même chose au bureau de Corner Brook. L’employeur n’était pas au courant que d’autres employés jugeaient qu’il était approprié de consulter les dossiers personnels des membres de leur famille. Bien que le fonctionnaire ait semblé se confondre en excuses lors de la réunion disciplinaire, il a maintenu qu’il n’avait rien fait de mal. Il n’a fourni aucune explication quant à savoir pourquoi, selon lui, il était acceptable de consulter des dossiers au moyen de l’écran d’interrogation.

12 Mme Young a déclaré qu’il était possible que le fonctionnaire n’ait pas suivi la formation sur les valeurs et l’éthique. Le fonctionnaire a cependant suivi deux cours, notamment celui intitulé [traduction] « Les citoyens d’abord », que l’employeur offrait en 2009 (voir les notes sur la formation à la pièce 6). Les deux cours comprenaient une formation en matière de valeurs et d’éthique.

13 Depuis 2010, Doug Johnson est directeur général, Services de traitement et de paiement, à Service Canada, dans la région de l’Atlantique. Il a pris part à la discussion sur le rapport d’enquête et a conseillé le sous-ministre adjoint au sujet de la façon de traiter cette affaire. Il a collaboré à la rédaction du mandat et des conditions aux fins de l’enquête et il a élargi le mandat de manière à inclure les consultations alléguées d’un certain nombre de dossiers de membres de la famille du fonctionnaire. Il s’agissait de la première enquête de ce genre au bureau de Corner Brook, bien que d’autres enquêtes de ce genre aient été menées ailleurs à Terre-Neuve.

14 M. Johnson était préoccupé par le fait que le fonctionnaire avait consulté à de nombreuses reprises des dossiers appartenant à des membres de sa famille, même si ses agissements n’avaient ni porté atteinte aux demandes des membres de sa famille ni entraîné des conséquences pour elles. M. Johnson était aussi préoccupé au sujet des renseignements que le fonctionnaire avait fournis aux membres de sa famille et du fait qu’il leur avait offert un niveau de service et un accès qui n’étaient pas à la disposition des autres clients. Le fonctionnaire a fait preuve de favoritisme sur la base des liens familiaux et de son statut en tant qu’employé. Le nombre de consultations démontrait qu’il avait eu accès aux dossiers de manière itérative et délibérée, ce qui a eu une incidence sur la sévérité de la mesure imposée. Il n’avait aucune raison de consulter des dossiers qui ne lui avaient pas été confiés.

15 En 2008, les lignes directrices ont été envoyées par courriel à tous les employés. Tout comme le Code, elles portent sur les conflits d’intérêts. Les gestionnaires en ont discuté avec les employés. Les lignes directrices traitent aussi de la protection des biens de l’employeur, y compris les renseignements. Il est clairement énoncé dans les lignes directrices que les renseignements de l’employeur ne doivent pas être échangés ni utilisés de manière inappropriée (voir la pièce 7, page 15).

16 Kim Pike a témoigné pour le fonctionnaire. Elle a été ASC au bureau de Corner Brook durant les deux dernières années de sa carrière, qui a débuté en 1991. Elle connaît le Code et elle a affirmé qu’il avait été remis aux employés dans une dépêche de dernière minute. Elle n’a reçu aucune formation officielle à ce sujet. Elle a reconnu que la conformité au Code était une condition d’emploi des ASC. Elle n’était pas au courant de ses obligations en vertu du Code, si ce n’était d’avoir à éviter les conflits d’intérêts. Mme Pike connaissait l’approche ACV du service à la clientèle. Elle a admis que le fait d’offrir à un client un service lui permettant d’éviter le protocole ACV constitue un traitement préférentiel et un conflit d’intérêts. Afin d’éviter l’apparence de pratique répréhensible, elle n’offrirait pas de prestation de service à un membre de sa famille immédiate, même en personne. Elle a toutefois ajouté que, dans le cadre d’une formation, il n’avait jamais été question qu’agir comme tel ne soit pas acceptable.

17 Gerard Lee a commencé à travailler à titre d’ASC en 1988, et a pris sa retraite en 2010. De 1998 à 2000, il a été chef d’équipe du traitement des demandes d’assurance-emploi. Il a travaillé avec le fonctionnaire. M. Lee a déclaré qu’il ne connaissait pas le Code et qu’il n’avait reçu aucune formation à son sujet, même s’il savait qu’il était de son devoir de s’y conformer et d’éviter de sembler accorder aux clients un traitement préférentiel. Il a ajouté qu’il n’aurait pas été inhabituel de reconnaître son écriture dans les dossiers de certains membres de sa famille, puisqu’il avait souvent aidé certains d’entre eux à préparer leurs demandes. Il remplissait leurs formulaires, mais ne signait pas leurs demandes et n’authentifiait pas les documents. On ne lui a jamais dit que cela n’était pas autorisé. Une fois les demandes remplies, il n’a jamais demandé qu’elles soient traitées avant les autres et n’a pas consulté des dossiers appartenant à des membres de sa famille. M. Lee ignorait la nature des allégations portées contre le fonctionnaire, ainsi que le fait qu’elles n’avaient rien à voir avec la préparation de demandes de prestations pour des membres âgés de sa famille.

18 Le fonctionnaire a déclaré avoir commencé à travailler à titre d’ASC en 2003. Depuis, il a travaillé dans le secteur du service à la clientèle et a occupé des postes par intérim de chef d’équipe et de PM-02. Lorsqu’il a signé sa lettre d’offre, aucune information relative au Code n’a été examinée avec lui. S’il avait lu le Code, il aurait reconnu que les employés doivent éviter l’apparence de conflit d’intérêts et qu’il devait soulever toute question concernant un conflit d’intérêts auprès de son gestionnaire. L’employeur ne lui a jamais souligné que le défaut de se conformer au Code entraînerait une mesure disciplinaire.

19 Au fil de sa carrière, le fonctionnaire a assisté à plusieurs séances de formation et a eu des possibilités de perfectionnement professionnel. Son unique formation sur les valeurs et l’éthique a été celle qui était exigée dans sa lettre disciplinaire. Il n’avait jamais vu le Code avant l’enquête. L’employeur ne lui a rien dit à ce sujet au moment de son embauche. Il ne se souvenait pas d’avoir reçu une formation sur les valeurs et l’éthique ou sur les conflits d’intérêts à l’occasion de ces séances, même s’il se souvenait de plusieurs composantes liées à des jeux de rôle.

20 En mars 2010, le fonctionnaire a rapporté par écrit une conversation que son ex-épouse avait eue avec sa propre mère. Dans le document, il faisait état de la conduite contraire à l’éthique de son ex-épouse et de sa crainte qu’elle ne se serve de son poste pour enquêter sur les membres de sa famille (pièce 2, onglet 4). Mme Evans a semblé comprendre et a dit au fonctionnaire qu’elle se pencherait sur la question. Le 19 mars 2010, le fonctionnaire a de nouveau rencontré Mme Evans, après quoi il n’a plus entendu parler de cette affaire avant septembre 2010.

21 En septembre 2010, le fonctionnaire a reçu un avis de Mme Young le convoquant à une entrevue le 22 septembre 2010, dans le cadre de l’enquête sur ses consultations non autorisées de dossiers de clients. À ce moment-là, il a pris connaissance de la nature de l’enquête relative à ces consultations. Après avoir expliqué la nature de ses consultations du dossier de sa nièce, il a cru que les questions étaient terminées. Puis il a été prié d’expliquer la nature des liens qui l’unissaient aux quatre autres personnes dont les dossiers avaient été consultés. L’enquêteur lui a montré le Code et lui a demandé s’il l’avait déjà vu. Ce n’était pas le cas.

22 Le lendemain, après la rencontre avec l’enquêteur, le fonctionnaire a avisé Mme Young et un autre membre de l’équipe de direction qu’il avait rencontré l’enquêteur. Il a quitté la réunion en croyant qu’il avait leur appui, puisqu’ils lui avaient dit que tout se passerait bien. Il redoutait l’impression qu’auraient les gens de la collectivité s’ils apprenaient qu’il avait fait l’objet d’une enquête pour inconduite. Il se demandait encore comment l’employeur avait réagi aux allégations qu’il avait portées contre son ex-épouse.

23 Le fonctionnaire a déclaré qu’il ignorait l’existence du Code auparavant. Au bureau de Corner Brook, les réunions du personnel étaient rares et épisodiques. Selon lui, il n’a jamais été question du Code dans le cadre de ses réunions. Quant aux lignes directrices, il les a vues pour la première fois la veille de son témoignage à l’audience. Il supprimait régulièrement les courriels de ce genre sans les lire. S’ils étaient importants, son chef d’équipe effectuait un suivi auprès de lui. La plupart des réunions du personnel auxquelles le fonctionnaire avait assisté concernaient des mesures ou des directives de l’administration centrale de l’employeur, comme l’adoption d’un nouveau programme, et non les politiques de l’employeur.

24 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait rien fait de plus pour les membres de sa famille que ce qu’il était autorisé à faire si un client était devant lui au bureau. Au moment de l’enquête, un ASC était autorisé à effectuer cinq transactions au nom d’un client qui se présentait à un bureau de Service Canada. Auparavant, sept transactions étaient autorisées, mais avec le passage à Service Canada et le protocole ACV, les choses ont changé. Selon l’approche ACV, un client peut consulter des renseignements au moyen d’un compte en ligne de Service Canada. Selon le fonctionnaire, depuis la mise en œuvre de l’approche ACV, si un client se rend au bureau de Service Canada, c’est nécessairement parce que ce dernier a essayé téléphoner et qu’il n’a pas obtenu de réponse ou parce qu’il n’a pas d’ordinateur. Les clients âgés veulent parler à quelqu’un en personne et non régler leurs affaires par voie électronique. Il permettait aux membres de sa famille d’éviter le temps d’attente requis pour obtenir une réponse à leur appel téléphonique ou pour tenter de naviguer sur le site Web de l’employeur. Lorsqu’il a mentionné à sa mère qu’il faisait l’objet d’une enquête pour avoir consulté les dossiers de certains membres de la famille, elle a écrit une lettre de soutien à son intention. D’autres membres de la famille ont écrit à l’employeur, afin d’autoriser les consultations du fonctionnaire (pièce 2, onglet 3).

25 Le fonctionnaire n’était au courant d’aucune norme de service stipulant qu’un client ne devait pas se sentir libre de communiquer directement avec un ASC avec qui il était lié personnellement. Il recevait régulièrement des appels de sa mère et des membres de sa famille, tant au travail qu’à la maison. Il a donné son numéro de téléphone personnel au travail aux membres de sa famille afin qu’ils puissent communiquer avec lui directement, car le numéro de téléphone de son poste de travail n’était pas publié.

26 La question de la demande d’assurance-emploi de sa mère aurait pu être soulevée à l’occasion d’un de ces appels. Le fonctionnaire a déclaré que s’il était au travail, il jetait un coup d’œil dans son dossier et répondait à sa question. Lorsqu’il a consulté le dossier de sa nièce, celle-ci a communiqué avec lui au moyen de sa ligne directe. À l’époque, elle vivait en Nouvelle-Écosse et avait besoin de son aide pour résoudre des questions liées à sa demande concernant le motif pour lequel elle avait quitté son emploi. Elle l’appelait aussi afin d’obtenir des rapports sur l’état d’avancement de la demande.

27 M. Johnson a fourni une contre-preuve relativement aux lignes directrices sur la conduite. Il y est clairement énoncé qu’un employé peut aider un membre de sa famille à remplir des formulaires. Un employé qui s’efforce d’aider un proche en dehors des heures de travail agit en tant que simple citoyen. Si l’employé utilise des renseignements qui sont uniquement à sa disposition dans le cadre de son travail pour remplir un formulaire, alors il outrepasse le rôle d’un simple citoyen. La consultation des renseignements sur l’assurance-emploi au moyen de l’écran d’interrogation et la transmission de ces renseignements à un membre de la famille, afin d’éviter un retard dans le traitement d’une demande, outrepasse le rôle de l’employé en tant que simple citoyen. L’employé n’est pas autorisé à utiliser le système de l’employeur pour fournir à un membre de sa famille des renseignements qui ne sont pas à la disposition du grand public, c’est-à-dire une personne ou un demandeur ordinaire.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

28 L’employeur a reconnu qu’il lui incombait d’établir que les agissements allégués ont eu lieu, qu’ils constituaient un écart de conduite, qu’il a tenu compte des circonstances atténuantes et aggravantes et que la mesure disciplinaire imposée était appropriée. Il n’est pas contesté que le fonctionnaire a consulté les renseignements confidentiels sur l’assurance-emploi de certains membres de sa famille qui sont désignés dans le rapport d’enquête (pièce 1). L’employeur a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les agissements en question ont eu lieu et qu’ils équivalaient à une inconduite, notamment au regard de la condition d’emploi du fonctionnaire prévoyant qu’il devait éviter les conflits d’intérêts. Il avait l’obligation d’éviter les apparences de conflit d’intérêts et de traitement préférentiel. La jurisprudence de la nouvelle Commission et de ses prédécesseurs appuie la position de l’employeur selon laquelle le défaut de respecter cette obligation constitue un écart de conduite justifiant la prise de mesures disciplinaires.

29 La preuve a aussi permis d’établir clairement que, au moment de déterminer la mesure disciplinaire qui devait être imposée au fonctionnaire, l’employeur a tenu compte des circonstances atténuantes et aggravantes. Il lui incombait d’établir les circonstances atténuantes qu’il souhaitait voir prises en compte. La mesure disciplinaire imposée était raisonnable et appropriée dans les circonstances.

30 Les fonctionnaires constituent une catégorie particulière d’employés, qui diffèrent de ceux du secteur privé. Ils ont des conditions d’emploi fondamentales qui visent à protéger l’intérêt public. Chaque employé du secteur public a le fardeau de se conformer. L’employeur a des règles de conduite bien établies dans le Code et les lignes directrices et le fonctionnaire les a violées. Les deux avaient clairement été portés à son attention. L’exigence essentielle pour tous les fonctionnaires est de ne jamais se placer dans une situation où leurs intérêts personnels entrent en conflit avec ceux du public (voir Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62).

31 Au moyen des activités de Service Canada, le secteur de service fondamental de l’employeur est la prestation de services aux Canadiens. Le fonctionnaire, comme les autres ASC, est le visage de première ligne de Service Canada pour les clients qui se rendent à ses bureaux locaux. Les ASC doivent donner l’impression d’être impartiaux et éviter les situations qui pourraient entraîner un conflit d’intérêts ou un traitement préférentiel. Le fonctionnaire aurait dû savoir que le fait d’offrir un niveau de service différent aux membres de sa famille favoriserait l’apparence d’un conflit d’intérêts. Lorsqu’il a fait affaire avec des membres de sa proche famille, il aurait dû faire preuve de prudence au lieu d’offrir un service téléphonique qui n’était pas disponible aux autres Canadiens. En consultant les dossiers de certains membres de sa famille, il a offert un niveau de service inapproprié à des membres de sa proche famille ce qui, par conséquent, était inapproprié et constituait un conflit d’intérêts.

32 Le conflit d’intérêts est une infraction grave à la fonction publique. Éviter le conflit d’intérêts est au cœur même de l’intégrité de la fonction publique (voir Brazeau, aux paragr. 181, 187 et 188). L’écart de conduite du fonctionnaire est au cœur même des activités de l’employeur, dont le but est d’offrir un service équivalent à tous les Canadiens. Si le voisin d’une personne requiert un service, cette personne doit alors respecter le protocole ACV. Les personnes qui avaient un lien personnel avec le fonctionnaire pouvaient se soustraire au processus en l’appelant sur sa ligne directe au travail ou à la maison. Alors que les autres devaient se rendre au bureau de Corner Brook, attendre au téléphone ou tenter de naviguer sur le site Web de Service Canada, les membres de sa famille jouissaient de l’offre permanente de communiquer avec lui, et il effectuait les recherches dans leurs dossiers. Son témoin, Mme Pike, a convenu que les situations évoquées pouvaient donner l’impression qu’il offrait un traitement préférentiel aux membres de sa famille.

33 Au vu de toutes les circonstances de cette affaire, la sévérité de la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire était raisonnable. Dans Perry c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration), dossier de la CRTFP 166-02-17340 (19880620); [1988] C.R.T.F.P.C. no 166 (QL), une suspension de trois jours sans rémunération a été imposée au fonctionnaire pour avoir apporté la demande d’assurance-emploi de sa femme et l’avoir déposée dans la corbeille de courrier. L’employeur a décidé d’invoquer une violation du code de conduite et un conflit d’intérêts, plutôt qu’une insubordination, pour ne pas avoir respecté ses politiques. Il a été conclu que le fonctionnaire avait accordé un traitement préférentiel à son épouse, ce qui aurait pu inciter le public à penser que l’employeur n’était pas tout à fait impartial lorsqu’il traitait ses dossiers.

34 Comme dans Perry, l’idée de consulter les dossiers des membres de sa famille aurait dû déclencher un signal d’alerte pour le fonctionnaire. Par ailleurs, il a offert aux membres de sa famille un service prioritaire, comme ce fut le cas dans Perry, ce qui aurait dû l’alerter. Il avait reçu des copies du Code et des lignes directrices. De plus, la formation sur les valeurs et l’éthique était intégrée à au moins deux séances de formation qu’il avait suivies et qu’il ne nie pas avoir achevées. Il a soulevé le fait qu’il n’avait reçu aucune formation expressément intitulée « Formation sur les valeurs et l’éthique »; il s’agit d’une échappatoire, le titre du cours n’est pas pertinent.

35 Il ne revient pas au fonctionnaire de décider comment l’employeur choisira de sensibiliser les employés aux conditions d’emploi applicables. Dans sa lettre d’offre, il a été avisé qu’il était assujetti au Code, ce qui a été réitéré en 2005 avec le lancement du protocole ACV (voir le courriel à la pièce 4). Il lui a été clairement communiqué que l’employeur s’attendait à ce qu’il remplisse son mandat et évite les conflits d’intérêts. En 2008, l’employeur y a donné suite en communiquant les lignes directrices, qui n’étaient pas de nouvelles conditions d’emploi. Le message transmis par les lignes directrices est essentiellement le même que celui du Code. Si le fonctionnaire n’avait pas supprimé le courriel sans le lire, il aurait vu les lignes directrices supplémentaires qui lui étaient adressées en 2008, lesquelles faisaient expressément référence à ce qui s’est produit dans l’affaire en l’espèce.

36 Rien n’indique que le fonctionnaire a été pris à partie. Les gestionnaires ignoraient que d’autres employés faisaient le même genre de chose. Lorsqu’ils l’ont appris, ces cas ont fait l’objet d’enquêtes et ont été traités. L’employeur n’a pas cautionné ce comportement.

37 La nouvelle Commission ne doit mitiger une mesure que lorsque celle-ci est manifestement déraisonnable ou erronée (voir Ranu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 89 et Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119). L’employeur avait offert une formation au fonctionnaire et l’avait avisé que le Code faisait partie de ses conditions d’emploi (voir Foon c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 126; Blair-Markland c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-28988 (19991103); [1999] C.R.T.F.P.C. no 123 (QL) et Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43).

38 Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire a consulté les dossiers des membres de sa famille plusieurs centaines de fois sur plusieurs années. Le fait qu’il ait exprimé des remords a été pris en compte au moment d’établir la sévérité de la mesure disciplinaire qui lui a été imposée. Néanmoins, pendant tout le processus, il n’a jamais reconnu sa responsabilité relativement à ce qui était arrivé. Il a toujours prétendu ignorer le Code parce qu’il ne l’avait pas lu. Il n’a pas dit une seule fois qu’il aurait dû le lire. Il a reconnu qu’il était au courant du protocole ACV, mais il s’est justifié en invoquant les délais d’attente et les personnes âgées qui ont besoin d’aide, ce qui était peu pertinent. Il a supprimé le courriel annonçant les lignes directrices parce que l’employeur lui envoyait trop de courriels. Il a reproché à l’employeur de ne pas lui avoir offert un cours sur les valeurs et l’éthique.

39 Cela ne change rien au fait que le fonctionnaire avait tout ce dont il avait besoin pour connaître les règles et qu’il ne tenait qu’à lui de les suivre. Il incombe aux employés de respecter le Code (voir Lalla c. Conseil du Trésor (Industrie, Sciences et Technologie), dossier de la CRTFP 166-02-23969 (19940113); [1994] C.R.T.F.P.C. no 4 (QL)). Un fonctionnaire doit connaître les conditions générales des documents importants qui régissent sa conduite au travail (Labadie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 85, au paragr. 245).

B. Pour le fonctionnaire

40 L’affaire en l’espèce porte sur des questions d’avis, d’alerte et d’équité procédurale dans l’administration d’une mesure disciplinaire. Pour établir une règle ayant des conséquences disciplinaires, l’employeur doit porter cette règle à l’attention des employés, tout en précisant la mesure disciplinaire qui peut en découler. Les règles doivent être raisonnables, claires et sans équivoque. Elles doivent être appliquées uniformément une fois qu’elles ont été adoptées (Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragr. 4:1520).

41 Le Code, à titre de condition d’emploi du fonctionnaire, a été invoqué par l’employeur en octobre 2009. Il était en vigueur depuis 2003, mais il n’a pas été porté à l’attention du fonctionnaire. Celui-ci ne se souvenait pas d’avoir reçu une formation particulière sur la question des valeurs et de l’éthique avant de suivre la formation exigée dans sa lettre disciplinaire. Une formation doit être mise en application. M. Johnson a déclaré que la question des valeurs et de l’éthique avait été abordée dans une formation que le fonctionnaire avait suivie, mais ce dernier a déclaré qu’il ne s’en souvenait pas, bien qu’il se soit souvenu des détails d’autres parties de la formation. Il a vu le Code pour la première foislorsque l’enquêteur lui en a remis une copie en 2010. Si l’employeur avait l’intention d’invoquer une violation des règles, il aurait dû en tout premier lieu communiquer clairement ces règles au fonctionnaire, conformément à la décision rendue dans KVP Co. v. Lumber & Sawmill Workers’ Union, Local 2537 (1965), 16 L.A.C. 73 (« KVP »).

42 Selon le témoignage du fonctionnaire, en réalité, les réunions du personnel au bureau de Corner Brook étaient rares et elles étaient principalement de nature opérationnelle. Les témoignages des témoins de l’employeur faisaient valoir la théorie et les attentes de haut niveau concernant les réunions du personnel, tandis que le fonctionnaire a témoigné de ce qui se passait concrètement au bureau de Corner Brook.

43 Le fonctionnaire a répété maintes fois que lorsque cette question a été invoquée comme étant une violation du Code, la direction lui a donné l’impression que tout irait bien. Il n’a pas eu la possibilité de corriger ou de modifier son comportement avant l’imposition d’une mesure disciplinaire. Le défaut de l’employeur de l’avertir est une circonstance atténuante (Brown et Beatty, au paragr. 7:4416). Le premier avertissement lui a été remis lors de la réunion d’enquête. Par la suite, lors d’une rencontre avec Mme Young à sa demande, on lui a dit encore une fois que ce genre de comportement était inacceptable. Maintenant qu’il le sait, il ne récidivera pas. L’enquête était suffisante pour l’amener à modifier son comportement. La mesure disciplinaire qui a été imposée était punitive et ne visait pas à modifier le comportement du fonctionnaire.

44 Les antécédents professionnels du fonctionnaire constituent la seule circonstance atténuante vraiment importante (Brown et Beatty, au paragr. 7:4428). Il avait huit années de service à son actif et un dossier sans tache et il s’était vu confier des responsabilités accrues dans le cadre de postes par intérim en qualité de chef d’équipe et de PM-02. Il était un employé moyen. Il n’y a pas eu de témoignage de la part de ses superviseurs immédiats laissant entendre que son rendement n’était rien de moins que satisfaisant.

45 La lettre disciplinaire ne tient pas compte des excuses du fonctionnaire. L’employeur a accordé une importance indue aux circonstances aggravantes, c’est-à-dire les nombreuses consultations et la nature répétitive de son comportement, lesquelles sont toutes antérieures à la sensibilisation du fonctionnaire à la règle. Le niveau de service qu’il a offert aux membres de sa famille était précisément celui qu’il leur aurait offert s’ils étaient entrés au bureau de Corner Brook. Il leur était simplement offert par des voies différentes. Le fonctionnaire avait l’impression qu’il en avait l’autorisation puisqu’il n’a pas divulgué ces renseignements à un tiers ni apporté des modifications à un dossier. Les membres de sa famille auraient pu obtenir ces renseignements auprès de n’importe quel ASC de Service Canada au moyen du protocole ACV.

46 Les décisions citées par l’avocate de l’employeur se distinguent. Dans ces affaires, les employés ont donné suite aux dossiers, par exemple en accélérant leur traitement, ou encore ils ont pris des mesures qui ont entraîné des frais pour l’employeur. Dans Perry, l’employé avait été averti de ne pas remplir les formulaires pour son épouse. Il l’a fait quand même, puis il a fourni le service de messagerie et un traitement accéléré. Son épouse n’a pas eu à faire d’entrevue ni à remplir d’autres formulaires. En l’espèce, le fonctionnaire n’a pas privilégié les appels des membres de sa famille par rapport à ses fonctions habituelles. Dans Blair-Markland, le fonctionnaire a outrepassé les fonctions qui lui étaient attribuées pour venir en aide à quelqu’un. Il existe une différence importante et pertinente entre lire un écran d’interrogation pour un membre de la famille et traiter une demande.Le fonctionnaire n’a pas exécuté ses tâches différemment pour les membres de sa famille. Il a simplement utilisé un moyen différent.

47 La position adoptée par l’employeur à la présente audience était en conflit avec la notion de service axé sur la clientèle qu’il préconise. Les agissements du fonctionnaire n’auraient pas créé une apparence de partialité notable, en particulier dans un petit centre tel que Corner Brook. Selon sa compréhension, dans le cadre de ses agissements, il offrait aux membres de sa famille le même service qu’aux autres personnes. Mme Pike a déclaré que, selon la formation qu’elle avait reçue, rien n’interdisait expressément ce que faisait le fonctionnaire, même si elle-même ne le ferait pas. Dans son témoignage, M. Lee a décrit le niveau d’assistance qu’il offrait aux membres de sa famille. La simple intervention du fonctionnaire auprès d’un membre de sa famille n’était pas perçue comme étant un conflit d’intérêts. Il n’a pas offert un service supérieur ou allant au-delà de celui qu’il offrait aux autres personnes. Il a simplement répondu à leurs demandes de renseignements.

48 La mesure disciplinaire de l’employeur contre le fonctionnaire était de nature punitive plutôt que corrective. Une mesure disciplinaire moins sévère aurait permis à l’employeur d’atteindre son but. Le fonctionnaire ignorait que ce qu’il faisait était jugé inapproprié et il a cessé de le faire dès qu’il a appris que c’était le cas. Son comportement a changé lorsque l’enquêteur lui a remis une copie du Code. Dix critères doivent être examinés au moment de déterminer une sanction (voir United Steelworkers of America, Local 3257 v. Steel Equipment Co. Ltd. (1964), 14 L.A.C. 356). La conduite du fonctionnaire constituait une violation involontaire et non intentionnelle du Code. Dans le pire des cas, sa conduite pourrait légèrement donner l’impression qu’il s’agissait d’un traitement préférentiel, mais ce niveau de préférence accordée est important lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a eu un acte répréhensible. Il n’y a eu aucune incidence préjudiciable sur les opérations de l’employeur. Le fonctionnaire n’a pas négligé ses fonctions et l’employeur n’a pas assumé de frais supplémentaires tangibles. Le fonctionnaire n’a pas dédaigné les instructions qu’il avait reçues. Il a agi de la manière qu’il jugeait appropriée. Selon le test du Globe and Mail (seriez-vous gêné de voir ce que vous avez dit ou fait à la une du Globe and Mail?), la conduite du fonctionnaire ne portait pas atteinte à la réputation de l’employeur autant que ce dernier l’a fait valoir dans son argumentation.

49 Compte tenu de l’infraction mineure et de l’effet correctif de l’enquête, l’objet visé par l’employeur serait bien servi par une mesure disciplinaire moins sévère, le cas échéant. Une réprimande présentée oralement ou par écrit aurait suffi.

IV. Motifs

50 D’après les témoignages et les documents qui ont été versés en preuve, je suis convaincue qu’à la demande de certains membres de sa famille le fonctionnaire a consulté leurs dossiers personnels qui étaient sous la responsabilité de l’employeur. Je suis également convaincue que ces consultations n’étaient ni autorisées ni effectuées dans le cadre des fonctions ordinaires du fonctionnaire, puisqu’il était évident, selon tous les témoins ainsi que le fonctionnaire, qu’il était interdit de traiter le dossier d’un membre de la famille. Je suis en outre convaincue que l’employeur s’est acquitté du fardeau consistant à démontrer que le fonctionnaire était en conflit d’intérêts, ne serait-ce que mineur. À ce titre, la conduite du fonctionnaire justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire.

51 Même s’il est vrai qu’en vertu des circonstances prévues dans KVP une règle doit être communiquée clairement à un employé avant que celui-ci puisse faire l’objet d’une mesure disciplinaire pour l’avoir violée, il est non moins vrai que l’employeur, dans sa lettre d’offre, a clairement avisé le fonctionnaire qu’il était assujetti au Code et que le respect de ce Code était une condition de son emploi. En signant sa lettre d’offre, le fonctionnaire a reconnu avoir reçu cet avis. Cependant, il n’a pris aucune mesure pour savoir en quoi consistait le Code et quelles seraient les répercussions sur son emploi. Il n’a pas suivi le processus permettant de reconnaître un conflit d’intérêts. Il a fait totalement abstraction des communications de l’employeur en relation avec les lignes directrices, et il a cavalièrement supprimé les courriels de l’employeur lorsque celui-ci a diffusé des nouvelles liées aux lignes directrices. Il incombe au fonctionnaire de prendre connaissance des documents importants qui régissent sa conduite au travail (voir Labadie,au paragr. 245). L’ignorance de la loi n’est pas une excuse pour la violer, pas plus que l’ignorance des politiques de l’employeur, dont le fonctionnaire avait été avisé.

52 La question dont je suis saisie consiste à savoir si l’employeur a tenu compte avantageusement des circonstances atténuantes qui pouvaient avoir une incidence sur la sévérité de la mesure disciplinaire et si, dans les circonstances, la mesure imposée était raisonnable. Il incombait au fonctionnaire de préciser ces circonstances atténuantes. Je n’ai rien entendu sous forme de témoignage et je n’ai rien vu dans les documents présentés démontrant qu’il avait relevé des circonstances atténuantes dont l’employeur n’avait pas tenu compte. Les témoins de l’employeur ont clairement relevé les circonstances qui étaient atténuantes à leurs yeux, notamment les antécédents professionnels du fonctionnaire.

53 En outre, pendant l’ensemble de son témoignage, il était évident que le fonctionnaire n’avait pas encore accepté la responsabilité de ses actes, ce qui, selon mon évaluation, équivaut à une circonstance aggravante importante. Ses tentatives répétées de minimiser la gravité de ses actes en faisant valoir qu’il n’avait offert que le service qu’il aurait offert si les membres de sa famille étaient venus au bureau de Corner Brook sonnent faux. Il n’a pas offert aux membres de sa famille le même service qu’il offrait aux autres personnes de la collectivité locale, lesquelles n’ont pas eu accès à son numéro de téléphone personnel confidentiel. Les autres personnes ont dû respecter le protocole ACV. Le traitement offert aux membres de sa famille était nettement préférentiel, comme en a convenu le témoin du fonctionnaire, Mme Pike.

54 Les conflits d’intérêts ne sont pas toujours apparents. Certains sont très sibyllins, tandis que d’autres reposent sur la perception. Si un employé se demande s’il est en conflit d’intérêts, selon toute probabilité, il l’est. Le fonctionnaire a-t-il porté attention aux parties de sa formation qui traitaient des conflits d’intérêts ainsi que des valeurs et de l’éthique? A-t-il accepté à titre de condition d’emploi l’obligation permanente de se conformer au Code au moment de la signature de sa lettre d’offre? S’il avait pris ces mesures et s’il n’avait pas supprimé aussi cavalièrement les communications stratégiques générales de son employeur, il aurait pu savoir quelles questions se poser et quelles procédures suivre afin de déterminer s’il était en conflit d’intérêts. Il n’a pas pris ces mesures. Par conséquent, il a contrevenu aux règles de l’employeur. L’employeur était justifié d’imposer une mesure disciplinaire suffisamment importante pour renforcer l’exigence de se conformer au Code et aux lignes directrices.

55 Comme je l’ai affirmé dans Ranu et Cooper, un arbitre de grief ne doit mitiger une mesure disciplinaire que lorsque celle-ci est manifestement déraisonnable ou erronée. Dans les circonstances en l’espèce, le fonctionnaire ignorait intentionnellement les conditions de son emploi. Il n’a pris aucune mesure pour savoir s’il se trouvait en conflit d’intérêts. Même à l’audience, il a refusé de reconnaître qu’il avait offert aux membres de sa famille un niveau de service préférentiel qui outrepassait considérablement le service offert à un client ordinaire dans le cadre du protocole ACV. Le fonctionnaire n’a exprimé aucun remords pour ses gestes et s’est efforcé maintes fois d’en rejeter la responsabilité en blâmant l’employeur pour son ignorance ou en faisant allusion au fait que d’autres personnes agissaient de même.

56 Le fonctionnaire ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait, soit de me convaincre qu’il est juste et raisonnable d’alléger la mesure disciplinaire. Ses agissements étaient au cœur même de la prestation de services de l’employeur au public canadien et constituaient clairement une violation du Code et des lignes directrices. Compte tenu de cela et de la jurisprudence citée, la mesure disciplinaire imposée par l’employeur n’était ni déraisonnable ni erronée.

57 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

58 Le grief est rejeté.

Le 8 février 2016.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans la fonction publique

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