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Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé deux plaintes alléguant un abus de pouvoir en ce qui concerne le choix du processus relatif à la nomination intérimaire de deux employés au poste d’agent(e) des prestations de Service Canada (« APSC »), résultant de deux processus de nomination internes non annoncés. Après le dépôt des plaintes, la plaignante a participé à un processus annoncé visant à pourvoir un poste d’APSC. Elle a été nommée par la suite à un poste d’APSC pour une durée indéterminée. Par conséquent, le défendeur a présenté une requête à la Commission demandant le rejet des plaintes puisqu’elles étaient théoriques. Pour déterminer si les plaintes devaient être rejetées en raison de leur caractère théorique, la Commission a procédé à une analyse en deux étapes. Tout d’abord, la Commission a établi qu’il n’y avait plus de différend entre les parties, compte tenu de la récente nomination de la plaignante. En deuxième lieu, la Commission a examiné la question de savoir si les circonstances justifiaient qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour entendre les plaintes, nonobstant leur caractère théorique. La Commission a conclu que la plaignante n’avait pas fait d’allégations d’infractions grossières ou flagrantes à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique qui justifieraient l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission pour entendre les plaintes. Par conséquent, la Commission a accueilli la requête du défendeur demandant le rejet des plaintes.Les plaintes sont rejetées.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

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  • Date:  2016-02-08
  • Dossier:  2014-9128 et 2014-9129
  • Référence:  2016 CRTEFP 13

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

FAITH OBIOHA

plaignante

et

LE SOUS-MINISTRE de l’Emploi et du Développement social

défendeur

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Obioha c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social


Affaire concernant une plainte prévue par l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour la plaignante:
Kudas Ganesan et Patricia Homonnay
Pour le défendeur:
Karen Clifford
Pour la Commission de la fonction publique:
Luc Savard
Décision rendue sur la foi d’observations écrites,
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

1        Il est prévu qu’une audience au sujet deces plaintes jointesse tienne les 23 et24 février 2016.Cependant, le défendeur a présenté une requêteà la Commission pour demander que les plaintes soient rejetées, puisqu’elles sont théoriques.Pour lesmotifs qui suivent, j’accède à la demande du défendeur et les plaintes sont rejetées.

2        Le 9 mai 2014, Mme Obioha (la « plaignante ») a déposé une plainte en vertu de l’article 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la « Loi »). Dans sa plainte, elle allègue qu’il y a eu abus de pouvoir en ce qui concerne le choix du processus relatif à la nomination intérimaire de deux employés aux postes d’agent des prestations de Service Canada (APSC; PM-02), résultant de deux processus de nomination interne non annoncés. Puisque la plainte portait sur deux nominations, deux dossiers de plainte distincts ont été ouverts. Ils ont été joints par la suite.

3        Les nominations intérimaires étaient pour une période de sept mois, qui prenait fin le 31 octobre 2014. La plaignante occupait un poste au groupe et niveau PM-01 au moment où les nominations intérimaires ont été effectuées. Elle indiquait dans ses plaintes et dans ses allégations qu’elle voulait qu’on lui [traduction] « accorde la même possibilité ».

4        Le défendeur soutient que les plaintes devraient être rejetées puisque l’affaire est maintenant théorique en raison du fait que la plaignante a participé à un processus de nomination annoncé pour un poste d’APSC et a été nommée à titre intérimaire pour deux périodes successives totalisant huit mois (du 15 septembre 2014 au 30 juin 2015). Le 1er juin 2015, avant la fin de la deuxième période, la plaignante a été nommée à un poste d’APSC pour une durée indéterminée.

5        Pour les motifs suivants, la requête est admise et les plaintes sont rejetées.

6        Le défendeur invoque la décision du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») dans Dubord c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2013 TDFP 0010, à l’appui de sa requête. Dans Dubord, la candidature du plaignant avait d’abord été rejetée, dans le cadre d’un processus de nomination annoncé. À la suite du dépôt de la plainte, lors de la communication de renseignements entre les parties, le plaignant avait soulevé certaines questions au sujet de l’évaluation de ses qualifications. Le défendeur a par conséquent décidé de le réévaluer. Le défendeur a déterminé qu’il était pleinement qualifié et l’a nommé à l’un des postes.

7        Lorsqu’il a jugé que la plainte était [traduction] « devenue théorique », le Tribunal a conclu, au paragraphe 48, qu’il n’y avait « […] plus de litige entre les parties » et que « [l]a décision du Tribunal n’aurait aucun effet sur les droits des parties ».

8        Au paragraphe 40, le Tribunal a renvoyé à la décision de la Cour Suprême du Canada dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, puisque cet arrêt précise le droit canadien de la doctrine relative au caractère théorique. La Cour a noté dans cet arrêt que la « […] doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire […] » lorsque « […] la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties ». Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal peut refuser de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement lorsque l’action ou les procédures sont engagées, mais également au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les droits des parties, l’affaire est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique générale s’applique aux litiges devenus théoriques, à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer.

9        La démarche dans des affaires relatives au caractère théorique comporte une analyse en deux temps. En premier lieu, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si les questions sont devenues purement théoriques. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire.

10        Dans Dubord,au paragraphe 42, le Tribunal a résumé en ces termes l’analyse en deux temps du caractère théorique déterminée dans Borowski :

a. Existe-t-il encore un litige, c’est-à-dire un « différend concret et tangible » entre les parties?

b. S’il n’y a plus de litige entre les parties, le Tribunal devrait-il quand même utiliser son pouvoir discrétionnaire pour décider du fond de la plainte?

11        Puisque la plaignante a été nommée à titre intérimaire à un poste PM-02 dans les deux mois suivant les nominations ayant donné lieu aux plaintes, je conclus que le premier critère de l’analyse en deux temps du caractère théorique, énoncée dans Borowski a été établie. Pour reprendre les termes du Tribunal dans Dubord, il n’existe plus de litige entre les parties et la décision de la Commission en l’espèce ne modifierait pas les droits des parties.

12        Cependant, comme le Tribunal l’a également présenté dans Dubord, au paragraphe 44, une plainte ne devient pas nécessairement théorique simplement parce que le plaignant est nommé au poste qu’il demande. Dans certains cas, un point en litige peut subsister s’il y a des motifs justifiant une mesure corrective, même si la personne a été nommée au poste visé par le litige.

13        Dans sa réponse écrite à la requête du défendeur, la plaignante affirme que la Loi exige des employeurs qu’ils utilisent des pratiques de dotation « équitables et transparentes » et que ceux à qui des pouvoirs de dotation sont délégués ne doivent pas nommer des personnes non qualifiées, ce qui [traduction] « crée et entretient une possibilité de favoritisme ». Ces remarques sont semblables aux déclarations faites dans ses allégations selon lesquelles le favoritisme et les pratiques inéquitables peuvent causer [traduction] « […] un stress et une maladie mentale pour les employés qui ne sont pas favorisés ». Elle semble donc démontrer des préoccupations pour les autres employés.

14        La Cour fédérale s’est prononcée sur la question des vastes pouvoirs de réparation de l’un des prédécesseurs de la Commission, le Tribunal, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618. La Cour remarquait, au paragraphe 18, que « […] toute mesure corrective ordonnée par le Tribunal ne doit porter que sur le processus de nomination faisant l’objet des plaintes dont il est saisi. La mesure corrective doit viser à remédier au défaut identifié par le Tribunal lors de l’audition de la plainte dont il est saisi […] ».

15        En raison de cette déclaration de la Cour fédérale et du fait qu‘un plaignant n’a pas le droit de présenter de plaintes aux termes de l’article 77 au nom de d’autres employés (voir Evans c. le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2007 TDFP 0004), je peux seulement traiter les allégations d’abus de pouvoir précisément soulevées par cette plaignante et non élargir la portée de ma décision à ce qui aurait pu arriver à d’autres ou aux risques pouvant se présenter à d’autres personnes à l’avenir, en raison d’une conduite semblable.

16        La plaignante n’a demandé aucune autre mesure corrective à part celle

qu’on lui [traduction] « accorde la même possibilité », ce qui, tel que mentionné auparavant, a déjà été traité et réglé.

17        Par conséquent, je conclus que la première partie du critère du caractère théorique a déjà été remplie; il n’y a plus de litige entre les parties.

18        La deuxième partie du critère est de déterminer si, malgré le fait que les plaintes soient théoriques, leurs circonstances visées justifient que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour les entendre. Comme le Tribunal l’a remarqué au paragraphe 49 de la décision Dubord, ceci peut être le cas par exemple, lorsque dans une plainte, on soulève des questions importantes pouvant avoir une incidence sur la dotation en général ou si le comportement allégué du défendeur est un manquement grave (ou « flagrant» selon le texte français de la décision originale) à la Loi, ce qui, selon moi, désigne des circonstances dans lesquelles il semble y avoir une grave erreur à première vue.

19        Nous retrouvons, à titre d’exemple, de telles graves erreurs dans Robert et Sabourin c. le sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al., 2008 TDFP 0024, décision dans laquelle le Tribunal a conclu que les plaintes étaient accueillies. Dans cette affaire, on a conclu que le défendeur avait commis six graves erreurs et omissions qui, dans leur ensemble, constituaient un abus de pouvoir.

20        Contrairement aux graves erreurs et omissions alléguées et prouvées dans Robert et Sabourin, la plaignante en l’espèce n’a fait que quelques remarques relatives à des processus non annoncés et a allégué que ses demandes pour obtenir une explication de la justification reliée au choix des personnes nommées ont été rejetées. Dans sa réponse, le défendeur affirme qu’il avait respecté la politique du ministère relative aux « Critères applicables aux processus de nomination non annoncés » et qu’il l’avait également respectée en affichant des « Avis de nomination intérimaire » sur le site Web de « Publiservice ».

21        La plaignante indique qu’elle était qualifiée et qu’elle voulait être prise en compte pour les deux nominations intérimaires qui ont donné lieu à cette affaire. Cependant, l’article 30(4) de la Loi précise qu’il n’y a aucune exigence de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. Dans Jarvo c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 0006, au paragraphe 7, le « Tribunal a établi que le simple fait de recourir à un processus non annoncé ne constitue pas un abus de pouvoir en soi ». De plus, tel que déjà mentionné, les préoccupations générales de la plaignante au sujet des processus non annoncés ne sont pas justifiées, puisque la Loi prévoit précisément d’y avoir recours. En soi, le fait de recourir à des processus non annoncés pour sélectionner les personnes nommées à titre intérimaire n’indique pas d’erreur grave.

22        Par conséquent, à mon avis, la plaignante n’a pas présenté, dans ses plaintes, d’allégations concernant une infraction grossière ou flagrante à la Loi qui justifierait que j’utilise mon pouvoir discrétionnaire pour les entendre, et ce, même si elles sont théoriques.

23        La requête du défendeur visant le rejet des plaintes est admise et je rends l’ordonnance suivante :

Ordonnance

24        Les plaintes sont rejetées.

(Traduction de la CRTEFP)

Bryan R. Gray,
une formation de la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la fonction publique
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