Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé est depuis longtemps un préposé à l’entretien permanent, mais saisonnier – son lieu de travail est un parc maritime dans le Golfe du Saint-Laurent dont le terrain est accidenté – les problèmes de santé du fonctionnaire s’estimant lésé ont fait l’objet de mesures d’adaptation pendant plusieurs années – lorsqu’un changement a été nécessaire, l’employeur l’a informé qu’il n’avait trouvé aucune tâche qui correspondait à ses limitations fonctionnelles, qu’il continuerait de faire tous les efforts raisonnables pour lui offrir des mesures d’adaptation et qu’il devrait prendre un congé de maladie jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée – le fonctionnaire s’estimant lésé a eu un accès de colère et a proféré des menaces – la police en a été informée – peu après, une mesure d’adaptation appropriée a été trouvée – le fonctionnaire s’estimant lésé a travaillé jusqu’à la fin de la saison – une suspension de 10 jours sans traitement lui a été imposée parce qu’il avait proféré des menaces – la Commission a constaté qu’il y avait eu discrimination prima facie lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a été placé en congé de maladie – cependant, l’employeur a travaillé avec diligence pour lui offrir des mesures d’adaptation – par conséquent, le grief de discrimination a été rejeté – la mesure disciplinaire pour avoir proféré des menaces était justifiée, mais la suspension de dix jours était excessive – l’employeur a tenu compte des années de service et du dossier vierge du fonctionnaire s’estimant lésé à titre de facteur atténuant, mais il n’a pas tenu compte du contexte, c.-à-d. le désarroi du fonctionnaire s’estimant lésé lorsque l’employeur lui a initialement dit qu’il était inapte au travail et qu’il n’y avait aucune possibilité de mesure d’adaptation – la Commission a réduit la suspension de dix jours à trois jours. Grief de discrimination rejeté.Griefs accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20161128
  • Dossier:  566-33-9622, 9623 et 9357
  • Référence:  2016 CRTEFP 111

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

MARTIN CYR

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE PARCS CANADA

employeur

Répertorié
Cyr c. Agence Parcs Canada


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Me Wassim Garzouzi, Raven Cameron Ballantyne & Yazbeck, s.r.l.
Pour l'employeur:
Me Marc Séguin, Justice Canada
Affaire entendue à Sept-Îles (Québec),
du 5 au 7 octobre 2016.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1        Martin Cyr, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a renvoyé deux griefs devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »).

2        Le premier grief (dossier de la CRTEFP 566-33-9357) a été déposé le 3 juillet 2013 et renvoyé à l’arbitrage le 11 décembre 2013. Le grief porte sur une question de discrimination, et un avis a été donné à la Commission canadienne des droits de la personne. Celle-ci a indiqué qu’elle n’avait pas l’intention d’intervenir dans le dossier.

3        Le second grief, qui vise une suspension disciplinaire de 10 jours, a été déposé le 23 août 2013, et renvoyé à l’arbitrage le 5 mars 2014, à deux titres : le dossier de la CRTEFP 566-33-9622, où la mesure disciplinaire est contestée comme étant injuste, et le dossier de la CRTEFP 566-33-9623, où la mesure est contestée en vertu de la clause 16.03 de la convention collective conclue entre l’Agence Parcs Canada (l’« employeur ») et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »), ayant comme date d’expiration le 4 août 2014.

4        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace l’ancienne Commission.

II. Résumé de la preuve

5        L’employeur a cité trois personnes à témoigner : Robin Lessard, directeur de l’unité de gestion de Mingan (Parc national de l’archipel de Mingan (le « Parc »); Chantal Chrétien, spécialiste en ressources humaines pour les parcs nationaux de Mingan et de la Gaspésie; Steeve Vigneault, coordonnateur des services techniques au Parc et gestionnaire du fonctionnaire. Celui-ci a témoigné pour lui-même. Dans l’ensemble, les témoignages ne se contredisaient pas. Je résume donc l’ensemble de la preuve, avec attribution aux témoins lorsque cela est nécessaire pour comprendre les faits.

6        Le fonctionnaire travaille pour l’employeur depuis la création du Parc en 1984. Le fonctionnaire est un employé permanent, mais saisonnier. Chaque année, il travaille pendant la saison d’ouverture du Parc, de la mi-mai à la mi-octobre environ. Les dates varient d’une année à une autre, en fonction de la météorologie.

7        Le Parc est un parc maritime dans le Golfe du Saint-Laurent, qui compte plus de mille îles. Parmi ce nombre, seules quelques îles comptent des infrastructures (abris, sentiers aménagés, terrains de camping, toilettes, etc.). Les visiteurs et les employés se déplacent nécessairement en bateau. Les conditions de travail sont particulièrement affectées par les risques inhérents à un milieu maritime, sujet aux intempéries et baigné par des eaux glaciales tout au long de l’année.

8        Le fonctionnaire est un préposé à l’entretien, classifié au groupe et au niveau GL-MAN-04. M. Vigneault a expliqué que cette classification était particulière au Parc, en reconnaissance du risque posé par les conditions de travail en milieu maritime.

9        Les tâches des préposés à l’entretien sont très diverses. En début de saison, il faut installer les quais et passerelles qui permettront aux visiteurs d’accéder aux îles. Les infrastructures doivent être entretenues (p. ex. centre d’accueil des visiteurs, abris et sentiers aménagés). Les sentiers aménagés comprennent entre autres des passages en bois, des escaliers et des mains courantes. Les sentiers plus sauvages doivent être nettoyés de tout débris, comme des arbres tombés et des branchages.

10        Pendant la saison du tourisme, il est important d’entretenir les sentiers, aménagés et sauvages, et il faut également assurer la propreté des terrains de camping et y apporter des fournitures, dont du bois de chauffage. Enfin, lorsque la saison est terminée, il faut enlever les quais et les passerelles et les remiser pour l’hiver.

11        Les services techniques que dirige M. Vigneault comprennent des opérateurs de bateau. Puisque les déplacements se font sur l’eau, il faut assurer le transport des employés. Les opérateurs de bateau ont une classification supérieure à celle d’un GL-MAN-04, leur classification étant au groupe et au niveau SC-DED-04. Comme l’a expliqué M. Vigneault, toutefois, une fois le transport effectué, l’employeur s’attend à ce que l’opérateur de bateau travaille comme un GL-MAN-04 sur les îles, sinon, il n’aurait rien à faire.

12        En 2007, le fonctionnaire a eu des ennuis de santé, et il a subi cinq pontages. Il est revenu au travail en tant qu’employé saisonnier, sans limitations fonctionnelles. En 2010, il a commencé à ressentir des douleurs et des crampes aux jambes. Son médecin traitant a rempli des formulaires en 2011 faisant état de ses limitations fonctionnelles. Le document indique que la distance pour la marche continue se limite à 500 mètres et que le fonctionnaire doit aller à son rythme pour gravir des escaliers. Le formulaire indique aussi que le fonctionnaire peut soulever un poids allant jusqu’à 50 livres.

13        Pendant les saisons de 2011 et de 2012, le fonctionnaire a occupé à titre intérimaire le poste d’opérateur de bateau, avec d’autres tâches adaptées, l’employeur se conformant ainsi aux limitations fonctionnelles indiquées par le médecin traitant.

14        Au début de la saison de 2013, l’employeur a pris connaissance d’un autre document sur les limitations fonctionnelles du fonctionnaire. Ce document a également été rempli par le médecin traitant, mais à l’intention du ministère des Transports du Québec (le « MTQ ») qui emploie le fonctionnaire l’hiver en tant qu’ouvrier de voirie. Dans ce document, également daté de 2011, le médecin fait état d’une distance limite de marche à 500 pieds.

15        L’employeur a donc envoyé un nouveau formulaire sur les limitations fonctionnelles au médecin en mai 2013 pour obtenir quelques éclaircissements aux questions suivantes : la distance que peut parcourir le fonctionnaire sans arrêter est-elle de 500 mètres ou de 500 pieds? Quelles sont les limitations quant au travail sur des pentes, compte tenu du fait que le terrain des îles est accidenté?

16        Le médecin a répondu, le 31 mai 2013, que le fonctionnaire devait éviter les pentes, ne devait pas marcher plus de 500 pieds à la fois, et devait éviter de monter et descendre les escaliers de façon répétitive. De plus, dans le formulaire, le médecin a coché la case qui indique que le poids maximum que le fonctionnaire peut soulever est 20 livres (il était auparavant de 50 livres).

17        Deux rencontres feront suite à ce rapport du médecin, les 10 et 17 juin 2013. Il convient d’expliquer d’abord le contexte de ces rencontres dans la perspective de l’employeur.

18        M. Vigneault a longuement témoigné sur le détail des tâches d’un GL-MAN-04. Au début de la saison, parce que la majorité du travail est l’installation des passerelles et des quais pour les visiteurs, il y a relativement peu de marche à faire. Par contre, quand les visiteurs commencent à arriver, il est important d’assurer l’entretien des sentiers, des sites de camping et des abris sur les îles. Cela peut représenter beaucoup de marche, avec en plus le transport de l’équipement pour effectuer les travaux. En outre, l’accès aux îles peut être escarpé à partir de la descente du bateau.

19        M. Vigneault a témoigné que la limitation de la distance que pouvait marcher le fonctionnaire, soit 500 pieds, l’inquiétait considérablement, ainsi que les limitations quant aux pentes et aux escaliers. Les sentiers aménagés comptent souvent des escaliers, et les îles sont accidentées. M. Vigneault a déclaré que l’employeur avait la responsabilité de faire en sorte que les conditions de travail n’aggravent pas les problèmes de santé du fonctionnaire.

20        Au début de la saison 2013 (avril ou mai), l’employeur a affiché un poste permanent d’opérateur de bateau, poste que le fonctionnaire avait occupé à titre intérimaire en 2011 et 2012. Le fonctionnaire a posé sa candidature. Le poste exige un certificat médical ainsi qu’un certificat d’opérateur, tous deux délivrés par Transports Canada. En mai 2013, au moment où la pré-sélection des candidats a été faite, le certificat médical du fonctionnaire était échu  (par contre, son certificat d’opérateur de bateau était valide). Pour cette raison, le fonctionnaire a été exclu du processus, malgré le fait que dès le 31 mai 2013, son médecin avait émis un certificat médical temporaire (solution acceptable jusqu’à révision ultérieure par Transports Canada).

21        Lorsque M. Vigneault a reçu la mise à jour du médecin sur les limitations fonctionnelles du fonctionnaire, vers le début de juin 2013, il était un peu dérouté quant aux tâches qu’il pourrait lui donner. La mi-saison s’amorçait, avec la nécessité de faire de longues marches pour assurer l’entretien sur les diverses îles auxquelles accèdent les visiteurs.

22        M. Vigneault a donc rencontré le fonctionnaire le 10 juin 2013, en compagnie de Mme Chrétien, conseillère en ressources humaines. On a discuté à cette rencontre du nouveau formulaire sur les limitations fonctionnelles émis le 31 mai 2013 par le médecin traitant, qui faisait état de la distance limite de marche de 500 pieds, de la recommandation d’éviter les escaliers et les pentes, et de la limite de poids que pouvait soulever le fonctionnaire. Cette dernière limitation a fait réagir le fonctionnaire : il ne comprenait pas pourquoi son médecin aurait modifié sa capacité à soulever des poids. De fait, il s’agissait d’une erreur, corrigée dès le lendemain. À la rencontre du 10 juin 2013, M. Vigneault et Mme Chrétien ont laissé entendre que l’employeur cherchait vraiment à adapter les fonctions du fonctionnaire à ses limitations fonctionnelles, mais que ce n’était pas tâche facile. Le fonctionnaire a réagi en disant qu’il était parfaitement capable de continuer à travailler comme il l’avait fait jusque-là, avec la compréhension de ses compagnons de travail qui s’adaptaient à sa réalité.

23        Le fonctionnaire a été convoqué à une autre rencontre le 17 juin 2013. Cette fois, Mme Chrétien, qui partage son temps entre Havre-Saint-Pierre et Gaspé, était présente par téléphone. Le fonctionnaire s’attendait à ce que M. Vigneault lui présente les façons dont on allait composer avec ses limitations fonctionnelles, peut-être en lui offrant encore une fois un poste intérimaire d’opérateur de bateau. Il a donc déclaré qu’il ne voyait pas l’utilité d’être accompagné par un représentant syndical, comme M. Vigneault lui avait offert.

24        À cette rencontre, M. Vigneault a annoncé au fonctionnaire que l’employeur n’avait pas trouvé de tâches qui correspondaient à ses limites fonctionnelles. On lui ordonnait donc de prendre ses congés de maladie en attendant une solution. Dans la lettre qui fait suite à la réunion, datée du 17 juin 2013, l’essentiel de la rencontre apparaît dans les termes suivants :

[…]

Tel que discuté, l’employeur fera les efforts nécessaires pour vous accommoder en explorant les différentes avenues possibles tout en respectant vos limitations actuelles. Pour le moment, les limitations mentionnées par votre médecin font en sorte que vous ne pouvez effectuer les tâches de votre poste de préposé à l’entretien II (GL-MAN-04).

Par conséquent, comme vous n’êtes pas apte à occuper votre poste, nous n’avons d’autre choix que de vous placer en congé de maladie à compter de 9h30 aujourd’hui et ce pour une durée indéterminée.

[…]

25        La lettre continue en indiquant l’intention de chercher d’autres postes que le fonctionnaire serait apte à occuper, et demandant au fonctionnaire sa collaboration ainsi que celle de son agent négociateur.

26        Tous les témoins étaient d’accord que la lettre reflétait bien ce que M. Vigneault avait dit au fonctionnaire lors de la rencontre. Lorsque le fonctionnaire a pris connaissance de la décision d’être mis en congé de maladie pour une durée indéterminée parce qu’il n’était pas apte à occuper son poste, il a explosé. Les témoins s’accordent également sur ce point.

27        Mme Chrétien a témoigné que le fonctionnaire s’était emporté immédiatement, en criant que l’employeur allait payer, qu’il ferait du grabuge, qu’il prendrait son bateau pour faire le tour des îles et déranger les visiteurs en jouant de la musique très fort. Quand Mme Chrétien a tenté de le calmer en lui disant qu’il y avait différentes options à envisager, il s’est retourné contre elle, l’a insultée, et lui a dit : « Tu vas me payer ça ma calice mec qu’tu reviennes au Havre [sic pour l’ensemble de la citation]. » Le ton était si coléreux que ces mots ont fait peur à Mme Chrétien, pourtant aguerrie aux réactions d’employés qui n’aiment pas toujours ce que les ressources humaines ont à leur communiquer.

28        Mme Chrétien a témoigné que c’est la première fois dans sa carrière qu’elle a eu peur d’un employé, au point de déposer une plainte contre le fonctionnaire à la Sûreté du Québec (« SQ »). À son voyage suivant à Havre-Saint-Pierre (elle y est une semaine sur quatre ou cinq), elle a pris soin de louer une chambre à l’étage supérieur, pour qu’il y ait un escalier à gravir avant d’y arriver. Cette fois-là, elle a évité de sortir dehors la nuit tombée, alors que d’habitude, elle se sentait pleinement en sécurité.

29        M. Vigneault a essentiellement confirmé les dires de Mme Chrétien. Il se rappelait clairement de la colère du fonctionnaire, qui s’adressait à l’employeur et à Mme Chrétien. Il se rappelait des propos visant Mme Chrétien comme étant : « Tu vas payer ça ma christ mec que tu reviennes à Havre-Saint-Pierre » [sic pour l’ensemble de la citation].

30        Mme Chrétien a témoigné que le fonctionnaire avait dit « ma calice ». Lors de l’enquête disciplinaire qui a été tenue après la rencontre du 17 juin, elle a dit « ma ciboire ». En  contre-interrogatoire, elle a expliqué qu’elle était certaine que c’était « un mot d’église ». Le fonctionnaire, pour sa part, se rappelait l’avoir appelée « ma chienne ». Je pense que l’insulte et la colère manifestées à l’endroit de Mme Chrétien ne font pas de doute.

31        Le fonctionnaire ne se rappelait pas avoir menacé Mme Chrétien. Il se rappelait fort bien s’être emporté et avoir insulté et l’employeur et Mme Chrétien. Il n’a pas nié qu’il ait pu proférer des menaces à l’endroit de Mme Chrétien ou déclaré qu’il se promènerait en bateau pour déranger les touristes. Il a témoigné que son bateau, à l’époque, ne fonctionnait pas – selon lui, il s’agissait de mots inspirés par la colère, sans conséquences réelles.

32        Quoiqu’il en soit, Mme Chrétien a été suffisamment ébranlée pour déposer une plainte auprès de la SQ. De son côté, M. Vigneault était assez troublé. Il ne croyait pas vraiment que le fonctionnaire pourrait commettre des actes de violence, d’autant plus que deux heures après la réunion, le fonctionnaire lui avait parlé et paraissait assez contrit de s’être emporté. Il n’en reste pas moins que le fonctionnaire en voulait à l’employeur, et qu’il était amer. M. Vigneault en a parlé avec son supérieur, M. Lessard, qui lui a conseillé de faire une déclaration à la SQ sur ses préoccupations. M. Vigneault a répété à plusieurs reprises à l’audience qu’il était surtout inquiet pour le poste d’essence sur le terrain du Parc à Havre-Saint-Pierre, car  si quelqu’un s’avisait de le faire sauter, les dommages seraient catastrophiques.

33        Le fonctionnaire a témoigné qu’une semaine plus tard (après le 24 juin 2013), la SQ lui a demandé de se présenter au poste de police pour une entrevue, à défaut de quoi un mandat d’arrestation serait émis contre lui. Lors de cette rencontre, il a été mis au courant de la plainte de Mme Chrétien et de la déclaration de M. Vigneault. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait alors été surpris, et effrayé. Il reconnaissait s’être fâché fort, mais les mots prononcés sous l’emprise de la colère n’étaient que des mots. Il n’avait jamais eu l’intention de faire du mal à qui que ce soit ou d’endommager le matériel du Parc. Il n’y a pas eu de suite judiciaire ni à la plainte de Mme Chrétien ni à la déclaration de M. Vigneault.

34        L’ « explosion » du fonctionnaire n’apparaît pas dans la lettre datée du 17 juin 2013 que M. Vigneault lui a adressée immédiatement après la rencontre pour faire le point sur la décision de l’employeur. Dès le 18 juin 2013, M. Vigneault a examiné en détail les tâches d’un GL-MAN-04 pour voir quelles mesures d’adaptation étaient possibles pour le fonctionnaire.

35        Le 5 juillet 2013, M. Vigneault et Mme Chrétien (encore par téléphone) ont rencontré à nouveau le fonctionnaire. Cette fois, un représentant syndical était présent. Au cours de la rencontre, le fonctionnaire s’est excusé à M. Vigneault de s’être emporté. Celui-ci lui a fait remarquer que c’était plutôt à Mme Chrétien qu’il devait des excuses, et le fonctionnaire s’est alors excusé à Mme Chrétien.

36        Sur ce point, les témoignages étaient un peu contradictoires. Tous les témoins étaient d’accord que le fonctionnaire avait présenté des excuses le 5 juillet 2013, mais le fonctionnaire soutenait qu’il l’avait fait dès le lendemain de la rencontre du 17 juin 2013, lorsqu’il avait appelé le bureau de Mme Chrétien pour obtenir des formulaires pour l’assurance-invalidité.

37        Mme Chrétien a témoigné que le fonctionnaire ne lui avait pas parlé jusqu’au 5 juillet 2013. Compte tenu du peu de hargne manifestée par Mme Chrétien, malgré sa frayeur initiale, comme en témoigne sa prompte collaboration pour trouver des solutions d’adaptation pour le fonctionnaire, je crois sa version. Je crois également ce que dit le fonctionnaire, qu’il a appelé le bureau, qu’il a parlé à la secrétaire, que  celle-ci lui a dit qu’il devait parler à Mme Chrétien parce que c’était elle l’experte des formulaires, et qu’il a alors ressenti de la gêne, qu’il a dit à la secrétaire des mots du genre, « je ne peux pas vraiment lui parler, je me suis fâché très fort contre elle hier », ce à quoi la secrétaire aurait répondu que Mme Chrétien était une professionnelle qui s’occupait de tous les employés, y compris le fonctionnaire. Je ne pense pas que le fonctionnaire a parlé à Mme Chrétien ce jour-là. Je crois toutefois qu’il éprouvait des remords, en raison de son récit de cet incident et de son témoignage à l’audience.

38        À la réunion du 5 juillet 2013, il a été décidé que le fonctionnaire occuperait à titre intérimaire le poste d’opérateur de bateau (le poste affiché n’avait pas été comblé) dès la semaine suivante, pour trois semaines, du 8 au 26 juillet 2013. Après cette date, l’employeur s’efforcerait de lui trouver du travail. De fait, après le 26 juillet 2013, le fonctionnaire a repris ses tâches de GL-MAN-04, avec mesures d’adaptation, et il a travaillé jusqu’à la fin de la saison 2013.

39        M. Vigneault a témoigné qu’après la rencontre du 5 juillet 2013, il a dressé un tableau complet des tâches de GL-MAN-04, à l’aide d’un logiciel qu’il avait développé l’année précédente, de tous les travaux qu’il faut effectuer pour l’entretien du Parc, et le temps alloué pour les diverses tâches. Une des solutions pour aider le fonctionnaire était de permettre l’utilisation d’un six-roues (véhicule utilitaire qui peut circuler en forêt) pour l’aider dans le transport de l’équipement et du bois de chauffage qui devait être livré aux terrains de camping. M. Vigneault a dit que la politique du Parc était de restreindre l’emploi du six-roues, pour préserver l’état du terrain, mais que son utilisation était parfois essentielle. L’emploi accru du six-roues était l’une des mesures qui permettaient d’accommoder le fonctionnaire.

40        La situation d’accommodement des limitations fonctionnelles du fonctionnaire était donc réglée dès le 5 juillet 2013. Toutefois, il restait la scène du 17 juin 2013 qui, selon l’employeur, devait faire l’objet d’une enquête dans une optique de discipline éventuelle.

41        L’enquête a été menée par Diane Primeau, une employée qui n’a pas témoigné à l’audience. Le rapport a été rédigé par Mme Primeau et M. Lessard. Les parties ont déposé de consentement le rapport et les notes de Mme Primeau sur ses entrevues avec les personnes qui ont participé à l’enquête : M. Vigneault, Mme Chrétien, le fonctionnaire, et Brigitte Grondin, supérieure hiérarchique de Mme Chrétien, qui était également présente au téléphone le 5 juillet, et qui a dit à l’enquêteuse qu’à son avis les excuses du fonctionnaire étaient sincères; Mme Grondin n’a pas témoigné à l’audience.

42        Le rapport fait état de l’incident du 17 juin, de l’absence d’excuses spontanées de la part du fonctionnaire, et conclut de la façon suivante :

[…] Nous avons observé lors des rencontres (audition de griefs et rencontre lors de cette enquête) démontre [sic] que Martin devient rapidement surexcité et agité, colérique lorsqu’il se trouve dans des situations qu’il ne contrôle pas ou ne comprends [sic] pas. Malgré ce constat, nous devons prendre sérieusement les propos tenus à l’égard de Chantal Chrétien. […]

43        Le 14 août 2013, M. Lessard adresse une lettre de discipline au fonctionnaire. La mesure disciplinaire est de 10 jours de suspension sans solde, et se fonde uniquement sur la menace proférée contre Mme Chrétien dans les termes suivants : « Tu vas payer ma ciboire mec que tu viennes au Havre ». L’employeur en conclut que le fonctionnaire a eu un comportement violent à l’endroit de Mme Chrétien, ce qui est inacceptable en milieu de travail. L’employeur a dit avoir tenu compte de facteurs atténuants, c’est-à-dire les années de service et le dossier disciplinaire vierge du fonctionnaire, et aussi des facteurs aggravants, soit : « […] l’absence de remords, la négation des faits et le sentiment de responsabilité limité affichés […] » lors d’une rencontre avec M. Lessard qui a eu lieu le 12 juillet 2013.

44        Les témoins à l’audience ont parlé de faits et d’événements postérieurs à l’été 2013. Je ne crois pas qu’ils sont pertinents à l’analyse du présent dossier.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

45        Selon l’employeur, les questions suivantes doivent être tranchées dans le cadre de l’arbitrage des deux griefs : D’abord, l’employeur avait-il raison d’imposer une mesure disciplinaire? Le cas échéant, la pénalité était-elle proportionnée compte tenu des circonstances? Ensuite, le fait de placer le fonctionnaire en congé de maladie payé constituait-il de la discrimination?

46        Pour ce qui est de la discrimination, la preuve montre les efforts de bonne foi déployés par l’employeur pour accommoder le fonctionnaire selon ses limitations fonctionnelles. La collaboration avec l’agent négociateur a permis de trouver une première solution à court terme, le 5 juillet 2013, puis une solution pour le reste de la saison, mise en œuvre dès le 26 juillet 2013. La souplesse de l’employeur, qui se traduit par l’utilisation du six-roues, montre sa bonne volonté d’être raisonnable dans sa recherche de solutions.

47        Au début de la saison, l’employeur pensait qu’il pourrait poursuivre sur sa lancée des années antérieures. Il découvre une modification aux limitations du fonctionnaire, et s’empresse de réagir. Les conditions de travail changent au fil de la saison, et l’employeur réagit aussi rapidement que possible pour tenir compte à la fois des conditions de travail et de la nouvelle réalité du fonctionnaire. Comme l’a souligné M. Vigneault dans son témoignage, la réalité géographique et météorologique de l’archipel Mingan joue un rôle important dans les conditions de travail.

48        La période au cours de laquelle le fonctionnaire a dû utiliser ses congés de maladie a été plutôt courte. L’avocat de l’employeur parle de deux semaines (en fait, il s’agit de trois semaines, du 17 juin au 8 juillet; l’employeur a payé une journée de travail au fonctionnaire pour sa présence à la rencontre du 5 juillet).

49        La mise en congé du fonctionnaire n’était pas motivée par la malice, mais bien par un souci du bien-être du fonctionnaire. L’employeur avait le devoir de le protéger et de tenir compte de ses limitations fonctionnelles pour l’assignation des tâches. L’employeur a agi avec toute la célérité possible pour trouver une solution dès le 5 juillet 2013.

50        Quant à l’inconduite reprochée, bien que l’employeur reconnaisse que le fonctionnaire  était surpris à la rencontre du 17 juin, que son dossier était vierge et qu’il comptait de longues années de service, il a tout de même proféré des menaces contre Mme Chrétien. Malgré qu’il soit coupable d’un acte violent, il semble se percevoir lui-même comme victime. Il a cherché, dans son témoignage, à minimiser l’impact de ses paroles qui ont suscité une crainte réelle chez Mme Chrétien. Le fait de proférer des menaces dépasse les bornes, et la suspension de 10 jours était pleinement méritée.

B. Pour le fonctionnaire

51        L’agent négociateur et le fonctionnaire reconnaissent d’emblée qu’il y avait lieu d’imposer une mesure disciplinaire pour les mots inappropriés du fonctionnaire à l’endroit de Mme Chrétien. Le fonctionnaire a reconnu qu’il n’aurait pas dû l’insulter comme il l’a fait, et il le regrette. Il s’est excusé à plusieurs reprises, et encore à l’audience. Cela dit, la mesure imposée est disproportionnée.

52        Il convient d’examiner d’abord la question de la discrimination, parce qu’elle sert de contexte aux deux griefs. Le fonctionnaire convient qu’une mesure d’adaptation raisonnable a été mise en place le 5 juillet 2013. La discrimination tient à ce qui a précédé, soit d’être placé en congé de maladie parce qu’il a été déclaré inapte au travail, et ce pour une durée indéterminée. Le fonctionnaire ne savait pas le 17 juin 2013 que les choses se régleraient le 5 juillet suivant. Il pensait avoir été mis à pied de façon permanente, pour invalidité. Or, il n’était pas invalide. Il avait rempli ses fonctions depuis le début de la saison. Il connaissait à fond la nature du travail, et savait que depuis 2011 il avait trouvé moyen de faire son travail malgré ses limitations fonctionnelles.

53        L’agent négociateur reconnaît qu’il est rare qu’une période de discrimination liée au défaut d’accommodement soit aussi courte. Par contre, cette discrimination était lourde de conséquences, puisqu’elle a mobilisé des ressources inutilement. L’employeur était au courant depuis longtemps des limitations fonctionnelles du fonctionnaire. Il est inexcusable que sa première réaction ait été de le mettre au rancart, de lui faire sentir qu’il était désormais inutile parce qu’inapte au travail. C’est exactement ce genre de traitement que les lois sur les droits de la personne visent à enrayer.

54        L’employeur disposait de nouveaux renseignements à partir du 11 juin 2013. Le fonctionnaire a continué de travailler du 11 au 17 juin 2013. Avant cette date, aucune analyse n’avait été faite, ni du poste ni des tâches. Il faut attendre après le 17 juin pour que M. Vigneault commence une étude sérieuse, qui sera complétée à la mi-juillet. Le fonctionnaire se fait dire qu’il n’est pas apte à travailler. Pourtant, trois semaines plus tard, on trouvera moyen de l’accommoder jusqu’à la fin de la saison, une étude adéquate ayant été réalisée. Le tort de l’employeur, c’est d’avoir d’abord réagi en parlant d’impossibilité, une grave atteinte à la dignité du fonctionnaire, une illustration parfaite de la discrimination.

55        L’agent négociateur soutient que le fonctionnaire a droit à une réparation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6(LCDP).

56        Pour ce qui est de la mesure disciplinaire, il est certain que le comportement du fonctionnaire à la rencontre du 17 juin était inacceptable. Toutefois, il y a eu punition avant même la lettre de discipline du 14 août 2013. Le fait d’être convoqué par la SQ, sous menace d’arrestation, a beaucoup marqué le fonctionnaire, qui n’a jamais eu d’ennuis avec les autorités.

57        Une des considérations dont l’employeur n’a pas semblé tenir compte, et que l’agent négociateur tient à souligner, est que le fonctionnaire est un travailleur saisonnier. Une pénalité de 10 jours est d’autant plus lourde pour un emploi qui ne dure que 20 semaines. Il n’y a pas de chiffre magique, et le fonctionnaire et l’agent négociateur reconnaissent qu’une sanction était méritée, compte tenu de l’inconduite avérée. L’agent négociateur suggère de réduire la sanction à trois jours, le tiers, pénalité proportionnelle au temps d’un emploi saisonnier.

IV. Motifs

58        L’employeur a le fardeau d’établir que la mesure disciplinaire était juste. L’agent négociateur a le fardeau de démontrer qu’il y a eu discrimination.

59        Les deux parties ont fait ressortir les particularités du contexte. L’employeur a mis en lumière les conditions exigeantes du milieu de travail. De son côté, l’agent négociateur a souligné la difficile réalité d’un employé à qui l’on déclare, après 30 ans de service, qu’il n’est plus apte à exécuter ses tâches.

60        Les deux parties ont déposé un certain nombre de décisions à l’appui de leurs prétentions. Dans les circonstances de la présente affaire, en toute déférence, leur utilité est plutôt limitée. Les décisions citées par l’employeur au sujet de la pénalité imposée au fonctionnaire montrent en fait qu’une suspension de dix jours est une très lourde pénalité, pour un geste posé de façon abrupte et irréfléchie. Les décisions présentées par l’agent négociateur sur la discrimination se fondent sur de solides dossiers de discrimination.

61        Il me semble qu’ici les faits sont particulièrement importants, et que la loi qui s’y applique, tant pour la suspension que pour la discrimination, est bien établie et reconnue.

62        L’employeur ne peut tolérer la violence en milieu de travail, quelle que soit sa forme. Il a l’obligation de protéger tous ses employés. Par ailleurs, le contexte d’une inconduite, le passé de l’employé qui la commet, la sincérité de ses remords, le poids punitif de la sanction, sont autant de facteurs dont la jurisprudence arbitrale tient compte.

63        De même, l’obligation de l’employeur de fournir des mécanismes d’accommodement à un employé dont l’emploi est affecté par une règle de l’employeur qui crée une distinction fondée sur un motif interdit tire son origine de la LCDP et est reconnue dans la jurisprudence depuis la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (« O’Malley »). En l’espèce, l’employeur n’a jamais nié son obligation d’offrir au fonctionnaire des mesures d’adaptation. Le reproche du fonctionnaire, c’est que les mesures ont pris trop de temps à être instaurées.

64        Je suis saisie de deux griefs distincts, mais dont l’interaction fait en sorte que l’analyse de l’un influence l’analyse de l’autre. L’inconduite alléguée du fonctionnaire a résulté directement de sa perception qu’il était victime de discrimination. Je commence donc avec le grief de discrimination, pour ensuite passer au grief contre la suspension de 10 jours.

A. Grief de discrimination

65        Le fonctionnaire plaide qu’il est victime de discrimination parce que l’employeur lui a signifié qu’il n’était pas apte à travailler, et ce, pour une durée indéterminée.

66        Pour établir qu’une action de l’employeur est discriminatoire aux termes de la LCDP, il faut d’abord établir qu’il y a eu un acte discriminatoire, autrement dit, qu’à première vue, on constate effectivement une distinction fondée sur un motif illicite. Il convient ici de rappeler les dispositions pertinentes de la LCDP :

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

67        La LCDP interdit un traitement défavorable dans l’emploi fondé sur une déficience physique. Il est bien établi que le fonctionnaire avait des limitations fonctionnelles, donc une déficience physique, et que c’est la raison pour laquelle il a été placé contre son gré en congé de maladie à partir du 17 juin 2013. Il est donc établi qu’il y a eu ici discrimination prima facie.

68        L’employeur peut toutefois se défendre d’avoir agi de façon discriminatoire, en montrant qu’il y avait des raisons opérationnelles pour exiger que l’employé se conforme à ses attentes. Le texte de la LCDP l’énonce comme suit :

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées; […]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

69        Conformément au principe établi dans l’arrêt O’Malley, l’analyse des exigences professionnelles justifiées exige que l’employeur envisage des mécanismes d’accommodement pour l’employé, jusqu’au seuil de la contrainte excessive.

70        Dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a bien fait ressortir que cette analyse doit être individualisée et véritablement tenir compte des capacités de la personne contre qui la discrimination risque d’être exercée pour un motif illicite.

71        Qu’en est-il, donc, de l’accommodement que l’employeur a proposé au fonctionnaire?

72        L’employeur n’a jamais nié son obligation d’accommodement. Pendant les deux saisons qui ont précédé la saison 2013, l’employeur a fourni de l’emploi au fonctionnaire en tenant compte de ses limitations fonctionnelles. Au début de la saison 2013, le fonctionnaire était employé, avec diverses mesures pour tenir compte de ses limitations. M. Vigneault a laissé entendre, lors de son témoignage, que le fonctionnaire éprouvait parfois certaines difficultés au travail, d’après le contremaître (qui n’a pas témoigné). Le fonctionnaire n’a pas contredit ce témoignage. Il a plutôt dit, à l’audience comme aux rencontres des 10 et 17 juin 2013, qu’il arrivait à faire son travail et que ses compagnons de travail s’adaptaient à sa façon de travailler.

73        Je ne pense pas qu’il était déraisonnable pour l’employeur de s’interroger, à la mi-saison, sur la façon dont l’emploi du fonctionnaire devait se poursuivre. Je crois à la sincérité de M. Vigneault lorsqu’il s’inquiète à savoir comment il sera possible de faire travailler le fonctionnaire avec les pentes et les longues marches, compte tenu du formulaire rempli par le médecin le 31 mai 2013.

74        L’employeur s’est efforcé de trouver une solution dès le 5 juillet 2013. La mesure d’adaptation était-elle idéale? Non. Elle l’aurait été si elle avait été proposée dès le 17 juin 2013. Était-elle raisonnable? Je pense que oui, puisque le fonctionnaire a effectivement pu travailler pendant le restant de la saison, à l’exception de la période de sa suspension.

75        L’agent négociateur et le fonctionnaire reprochent à l’employeur de ne pas avoir fait l’étude plus tôt. D’après le témoignage de M. Vigneault, la gestion des services techniques du Parc est très complexe. Il y a une cinquantaine d’employés l’été, et il y a sans cesse les préoccupations météorologiques et maritimes. L’organisation de la saison touristique, sur plusieurs îles et dans des conditions difficiles, n’est pas chose facile. J’estime que l’employeur, une fois saisi du rapport de médecin du 31 mai 2013, a travaillé avec la diligence voulue par l’entremise de M. Vigneault pour trouver une mesure d’adaptation raisonnable pour le fonctionnaire. Le grief de discrimination sera donc rejeté.

B. Grief contre la suspension de 10 jours

76        Il ne fait aucun doute que la violence des propos tenus par le fonctionnaire était démesurée dans les circonstances et démontrait un manque de respect flagrant envers Mme Chrétien et la gestion.  Il y a eu inconduite. Il reste à décider si la sanction était excessive. Je suis d’avis qu’elle l’était, parce que l’employeur, en l’imposant, a négligé certains éléments qui auraient dû jouer dans le calcul.

77        Premièrement, même si j’ai rejeté le grief de discrimination parce que l’employeur a fourni un accommodement raisonnable, il me semble qu’il faut néanmoins reconnaître le désarroi du fonctionnaire quand il se fait dire qu’il est inapte au travail et qu’aucun horizon d’accommodement ne lui est donné. On ne peut excuser le fait de s’être emporté au point de faire peur à Mme Chrétien, mais on peut comprendre la colère.

78        Dans son analyse de la scène du 17 juin, l’employeur n’a pas semblé reconnaître sa part dans la réaction du fonctionnaire. M. Vigneault l’a fait, dans les commentaires qu’il a fournis à l’enquêteuse. Il a reconnu que le fonctionnaire avait eu peur et avait réagi parce qu’il craignait de perdre son emploi. L’employeur, en considérant les facteurs atténuants, n’a considéré que les années de service et le dossier disciplinaire vierge du fonctionnaire. Il aurait dû, à mon sens, reconnaître le contexte dans lequel le fonctionnaire s’était fâché. L’employeur reproche au fonctionnaire d’agir comme s’il était la victime. Comme je l’ai expliqué plus tôt, sans être victime de discrimination parce que l’employeur a fourni un accommodement raisonnable, le fonctionnaire a néanmoins subi une mise en congé temporaire accompagnée de l’incertitude entourant la continuation de son emploi.

79        Deuxièmement, lorsque je considère la jurisprudence déposée par l’employeur, je constate que les sanctions imposées pour les gestes ou mots violents sont en fait généralement moins élevées ou alors diminuées par les arbitres de griefs. (Voir notamment Cahill c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-2-28730 (19990830); Frankel c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-2-26879 (19961011); Lachance c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossier de la CRTFP 166-2-26840 (19960329); Graves c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes, Accise et Impôt), dossiers de la CRTFP 149-2-199 et 166-2-28758 (19990611)).

80        Finalement, l’employeur a reproché au fonctionnaire de ne pas avoir présenté d’excuses spontanées et de n’avoir éprouvé qu’une responsabilité limitée pour ses mots à la rencontre du 17 juin 2013. À l’audience, le fonctionnaire s’est retourné à plusieurs reprises vers Mme Chrétien pour répéter ses excuses. Je ne pense pas que c’était pour épater la galerie. J’ai perçu chez le fonctionnaire à la fois un sentiment qu’on avait été injuste envers lui, d’où sa rationalisation de sa colère, et une gêne de s’être emporté contre Mme Chrétien alors qu’elle ne le méritait pas. L’employeur utilise l’expression « sentiment de responsabilité limité » comme un reproche. Je pense que le fonctionnaire éprouvait des remords en même temps que perdurait le sentiment d’injustice pour avoir été mis au rancart.

81        Dans les circonstances, je pense que la suspension de 10 jours est excessive. Comme le souligne le fonctionnaire, il n’y a pas de chiffre magique. Je retiens sa suggestion d’une suspension de 3 jours (24 heures). Il devrait être remboursé pour les sept autres jours (56 heures).

82        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

83        Le grief portant le numéro de dossier 566-33-9357 est rejeté.

84        Les griefs portant les numéros de dossiers 566-33-9622 et 566-33-9623 sont partiellement accueillis.

85        L’employeur paiera à M. Cyr la somme qu’il aurait gagnée pour 7 jours de travail (56 heures) à l’été 2013. Un intérêt simple calculé annuellement au taux applicable des Obligations d’épargne du Canada doit être ajouté au montant pour la période du 28 août 2013 jusqu’à la date de la présente ordonnance.

86        Je demeure saisie pour une période de 60 jours à partir de la date de la présente ordonnance pour toute question relative à sa mise en œuvre.

Le 28 novembre 2016.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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