Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé que les documents qu’il estimait pertinents aux questions soulevées dans les griefs soient produits préalablement à l’audience – la formation de la Commission a conclu qu’il existait une possibilité réelle que les documents demandés soient pertinents aux principales questions soulevées et qu’ils soient rationnellement liés, sous réserve de restrictions en matière de divulgation convenues entre les parties dans le cadre d’une ordonnance sur consentement et des interdictions dans les dispositions législatives applicables – l’employeur a demandé une ordonnance de mise sous scellés à l’égard d’une ordonnance sur consentement et de la décision, le caviardage et la préservation de l’anonymat des individus, du « Programme » de l’employeur et des dispositions législatives applicables, et le caviardage du dossier – la formation de la Commission a conclu que la liberté d’expression dont il est question dans la Charte inclut le principe de transparence judiciaire, lequel s’applique aux procédures quasi judiciaires comme celles dont est saisie la formation de la Commission – le principe de transparence judiciaire est reconnu dans la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission – les demandes de l’employeur visant la mise sous scellés de l’ordonnance sur consentement et de la décision ont été rejetées – rien dans la preuve ne permettait de conclure à l’existence d’un risque pour à un intérêt important – les demandes de l’employeur de ne pas faire référence aux dispositions législatives applicables et au Programme ont également été rejetées – les dispositions législatives applicables sont disponibles publiquement – certains renseignements relatifs au Programme et aux dispositions législatives applicables sont à la disposition du public – les demandes de l’employeur visant la préservation de l’anonymat et le caviardage du dossier ont été accordées – la bonne administration de la justice ainsi que la sécurité et la sûreté des personnes participant au pProgramme étaient d’intérêt public – un risque peut découler du fait que les adversaires du Programme peuvent établir un lien entre ces personnes et le Programme et, par conséquent, contrevenir non seulement aux dispositions législatives applicables, mais également compromettre leur sécurité.Directives données.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-03-22
  • Dossier:  566-02-10219 à 10222 et 11892 et 11893
  • Référence:  2016 CRTEFP 23

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

A.B.

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Gendarmerie royale du Canada)

employeur

Répertorié
A.B. c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant:
Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Peter Engelmann et Ben Piper, avocats
Pour l'employeur:
Michel Girard, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario)
le 21 septembre 2015.
(Arguments écrits présentés les 9 et 14 octobre 2015.)
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        La présente décision réunit le droit du fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») à une audience équitable, les interdictions de communication prévues à la Loi sur le programme de protection des témoins (L.C. 1996, ch. 15) (la « Loi ») et le principe de transparence judiciaire. La Loi, un document public, prévoit la mise en place et l’exécution d’un programme fédéral (le « Programme ») pour la protection de certaines personnes qui fournissent des renseignements ou de l’aide et portant sur la protection de personnes admises à certains programmes provinciaux ou municipaux de protection.

2        Tel qu’il est décrit dans sa « Politique sur la transparence et la protection de la vie privée », les procédures devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») et devant ses formations sont conformes au principe de transparence judiciaire. Une partie de cette politique prévoit que, dans des circonstances exceptionnelles, il est justifié de limiter le principe de transparence afin d’assurer la bonne administration de la justice.

3        Afin de protéger l’intégrité du Programme, et conformément au prononcé de la Cour suprême du Canada en ce qui concerne le critère communément appelé « Dagenais/Mentuck », je suis d’avis que des mesures de confidentialité sont appropriées et nécessaires dans les circonstances du cas en l’espèce. Par conséquent, j’ai préservé l’anonymat des personnes concernées puisque le contraire ne serait pas avantageux pour le fond de la décision et pourrait nuire au Programme. Par conséquent, la confidentialité est extrêmement importante dans ce contexte. J’ai donc procédé au maintien de l’anonymat comme suit :

i) Le fonctionnaire sera désigné au moyen des initiales « A.B. » et les individus avec qui le fonctionnaire a travaillé seront désignés par leur titre d’emploi, c.-à-d. « superviseur par intérim » et « directeur »;

ii) la structure opérationnelle de l’employeur en litige sera appelée le « Programme » (voir le paragraphe 1).

4        Cette décision provisoire porte sur les demandes suivantes :

1. la demande du fonctionnaire relativement à la production de documents avant l’audience;

2. la demande de l’employeur relativement à la mise sous scellés de la présente décision et de l’ordonnance sur consentement qui a été mise au point et approuvée par les parties le 23 septembre 2015;

3. la demande de l’employeur de préserver l’anonymat du fonctionnaire et des personnes qui travaillent pour le Programme;

4. la demande de l’employeur de ne pas faire référence au Programme et à la Loi;

5. la demande de l’employeur de caviarder le dossier.

5        Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que les documents demandés et les principaux enjeux présentés devant la nouvelle Commission sont rationnellement liés. Les documents pourraient être pertinents à ces enjeux principaux et doivent donc être communiqués aux avocats du fonctionnaire, sous réserve des mêmes mesures strictes de confidentialité auxquelles se sont entendues les parties dans l’ordonnance sur consentement, et des interdictions prévues par la Loi.

6        Je suis d’avis que les mesures de confidentialité et la procédure de divulgation décrites dans l’ordonnance sur consentement sont conformes à l’article 11 de la Loi,tout en accordant au fonctionnaire l’occasion de bénéficier d’une audience équitable.

7        Les demandes de l’employeur en vue de caviarder les renvois à la Loi, et de mettre sous scellés l’ordonnance sur consentement et la présente décision sont refusées. L’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir que ces mesures répondent aux exigences du critère Dagenais/Mentuck.

8        La demande de l’employeur en vue de préserver l’anonymat du fonctionnaire et des personnes qui travaillent pour le Programme est accordée.

9        La demande de l’employeur de caviarder le dossier est accordée.

II. Contexte

10        Le 10 juillet 2014, l’agent négociateur a déposé deux griefs contestant la décision de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de suspendre le fonctionnaire sans traitement en attendant l’issue d’un examen de sécurité et de suspendre la cote de fiabilité de la GRC. Ces mesures ont été imposées parce que le fonctionnaire aurait eu divers comportements indésirables qui ont entraîné une remise en question au sujet de la fiabilité du fonctionnaire et de la confiance qui peut lui être accordée relativement à la protection des renseignements et des biens de la GRC.

11        Lorsque les griefs de suspension ont été déposés, le fonctionnaire travaillait à la division de l’exécution des lois fédérales de la GRC. Dans ses griefs, le fonctionnaire a allégué que la GRC avait enfreint les règles d’équité procédurale et les politiques applicables, y compris, sans toutefois s’y limiter, son [traduction] « Manuel de sécurité ». Il a également déposé un grief au motif que la décision et le processus décrits dans la lettre de suspension constituaient une mesure disciplinaire déguisée et une discrimination fondée sur la déficience, contrairement à l’article 43 de la convention collective du groupe Services de santé (la « convention collective ») conclue entre le Conseil du Trésor et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC ») et à la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP ») (L.R.C. 1985, ch. H-6). Ces griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 5 novembre 2014.

12        Le 25 août 2015, la cote de fiabilité de la GRC du fonctionnaire a été révoquée. Par conséquent, le fonctionnaire a été licencié le 1er septembre 2015, rétroactivement au 19 juin 2014. Ces griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 21 décembre 2015 et ils ont été regroupés aux griefs de suspension. Par conséquent, cette décision s’applique aux dossiers 566-02-10219 à 10222, 566-02-11892 et 11893.

13        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la nouvelle Commission, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « LRTFP ») avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013. Par conséquent, la présente instance est entendue par une formation en vertu de la LRTEFP.

14        Le 21 septembre 2015, une audience a été tenue pour aborder la demande des parties de se servir des dates d’audience pour traiter les questions de divulgation et d’application de la Loi.

15        À ce moment, aucun enregistrement audio ni élément de preuve à l’appui des conclusions de l’employeur de suspendre la cote de fiabilité de la GRC du fonctionnaire et de suspendre ce dernier sans traitement n’avait été déposé. Pendant l’examen de la sécurité, le fonctionnaire n’a pu écouter que des sections d’enregistrements audio choisies et les rapports d’enquête fournis aux fins de commentaires avaient été considérablement caviardés. Le fonctionnaire a allégué qu’il s’agissait d’une infraction à son droit à l’équité procédurale.

16        Le fonctionnaire a demandé que les documents qu’il estimait pertinents aux questions soulevées dans les griefs soient produits avant l’audience. Le 23 septembre 2015, les parties ont conclu une entente sur la façon dont les documents et les renseignements seraient produits et communiqués, à l’exception des deux questions suivantes :

i) des copies de tout courriel, correspondance ou document concernant le fonctionnaire et les employés particuliers de la GRC, y compris le superviseur par intérim, le directeur et tout autre représentant de l’employeur, au sujet du rendement au travail du fonctionnaire;

ii) des copies de tout courriel, correspondance ou document concernant le fonctionnaire et les employés de la GRC et tout autre représentant de l’employeur au sujet de tout conflit ou différend entre le fonctionnaire et le directeur du Programme ou le superviseur immédiat du fonctionnaire.

17        À la demande des parties, j’ai entendu les arguments sur la production et la communication de ces deux questions.

I. Résumé de l’argumentation

A. Demande de production présentée par le fonctionnaire

1. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

18        Lorsque le fonctionnaire a été suspendu sans traitement, il travaillait à la fonction publique depuis plus de 20 ans. Il a commencé à travailler pour la GRC en avril 2013.

19        Après avoir travaillé pendant cinq mois à la GRC, le fonctionnaire a allégué avoir régulièrement fait l’objet de propos agressifs et humiliants de la part du superviseur par intérim. Il a également soutenu avoir fait l’objet de harcèlement de la part du directeur, en plus d’avoir été traité isolément de la part de son superviseur par intérim qui était également un collègue pendant presque toute la durée de son emploi à la GRC. Cette personne était chargée d’examiner les rapports et avait une vaste expérience du Programme. Le fonctionnaire a déposé une plainte de harcèlement contre ces deux personnes.

20        Le fonctionnaire a allégué que le directeur et le superviseur par intérim avaient mentionné qu’il ne convenait pas et qu’ils veilleraient à ce qu’il quitte le Programme, volontairement ou non. Selon ce qui a été soumis, toutes ces questions constituent une partie du fond de la plainte de harcèlement interne qui fait actuellement l’objet d’une enquête. En outre, il a été soumis que la preuve du fonctionnaire à l’appui de l’allégation relative à la mesure disciplinaire déguisée était liée à sa relation avec ces deux individus où il travaillait et que, par conséquent, elle était pertinente aux griefs.

21        Le fonctionnaire a soutenu que le directeur et le superviseur par intérim étaient responsables de la mesure disciplinaire déguisée alléguée. La suspension de la cote de fiabilité de la GRC du fonctionnaire et sa suspension sans traitement subséquente représentaient des mesures de représailles et la continuité d’un conflit en milieu de travail. Pour ce motif, les documents et la correspondance concernant le fonctionnaire et les employés de la GRC ou tout autre représentant de l’employeur relativement à tout conflit entre le fonctionnaire et le directeur du Programme ou le superviseur immédiat du fonctionnaire devraient être produits.

22        L’essentiel de l’examen de sécurité de l’employeur était fondé sur les erreurs que le fonctionnaire avait commises dans l’exercice de ses fonctions. Les allégations de l’employeur pour justifier la suspension de la cote de fiabilité de la GRC et la suspension sans traitement du fonctionnaire sont liées au rendement et, par conséquent, elles justifient la production préalable à l’audience de tous les documents et de toute la correspondance concernant le fonctionnaire et les employés particuliers de la GRC, y compris le directeur, le superviseur par intérim et tout autre représentant de l’employeur, qui portent sur le rendement au travail du fonctionnaire.

23        Le fonctionnaire a affirmé que, selon les règles de justice naturelle, l’employeur doit produire les documents et les renseignements demandés qui sont nécessaires pour permettre au fonctionnaire de participer pleinement au processus d’arbitrage. Les critères de base pour ordonner la production de documents préalablement à l’audience consistent à déterminer s’il est possible d’établir la pertinence des documents, ou de démontrer qu’ils sont potentiellement ou vraisemblablement pertinents, ou s’ils semblent être pertinents aux questions en litige.

24        Selon le fonctionnaire, tous les documents dont la pertinence est défendable, qui sont vraisemblablement pertinents ou qui semblent être pertinents, doivent être produits. Selon les arguments présentés, une interprétation libérale devrait être adoptée relativement à la production de documents à l’étape préalable à l’audience. Le critère de la pertinence à l’étape préalable à l’audience est beaucoup plus large et souple que celui à l’étape de l’audience.

25        Le fonctionnaire a invoqué Sather c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 95, au paragr. 182, et a soutenu que j’ai le pouvoir, en vertu de l’al. 20f) de la LCRTEFP, d’« […] obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont il est saisie ».

26        Le fonctionnaire a invoqué la jurisprudence suivante à l’appui de sa demande de divulgation préalable à l’audience : Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration (4e édition) au paragr. 3.1400, Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé),2010 CRTFP 46, Sather, Toronto District School Board v. C.U.P.E., Loc. 4400 (2002),109 L.A.C. (4th) 20, Nasrallah c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences),2012 CRTFP 12, et Canada (Procureur général) c. Frazee,2007 CF 1176.

2. Pour l’employeur

27        L’employeur a adopté la position selon laquelle seuls les renseignements dont il disposait au moment de décider de suspendre la cote de fiabilité de la GRC du fonctionnaire et ensuite ce dernier sans traitement devraient être divulgués. Il a affirmé que, même si certains renseignements liés au travail du fonctionnaire sont pertinents aux fins de cette audience, ceux-ci contiennent des renseignements de nature délicate dont la divulgation est interdite aux termes de l’article 11 de la Loi et qui sont assujettis au privilège de l’intérêt public. Il a affirmé qu’il ne produirait aucun renseignement visé par la demande de divulgation du fonctionnaire, à moins que la nouvelle Commission ne l’ordonne à le faire.

28        L’employeur a fait valoir que la majorité des renseignements demandés ferait en sorte de révéler l’identité et les rôles des personnes qui offrent une protection ou qui, directement ou indirectement, aident à en fournir, ainsi que les détails des moyens et des méthodes de protection des personnes protégées. Afin que ces moyens et méthodes continuent de fonctionner avec succès, ces détails doivent demeurer confidentiels. Une fois dans le domaine public, ces renseignements pourraient compromettre la sécurité des personnes à risque et, par conséquent, l’intégrité du Programme. Il ne serait pas dans l’intérêt public que ces renseignements fassent partie du domaine public. La GRC invoquera le privilège de l’intérêt public quant à ces renseignements.

29        L’employeur a soutenu que tout renseignement qui révèle l’identité des individus qui pourraient être jugés comme étant protégés, ou leur emplacement, n’est pas pertinent aux griefs. Il a indiqué que la production au fonctionnaire de tels renseignements non pertinents les mettrait tous à risque. En outre, les alinéas 11(1)b) et c) de la Loi interdisent la divulgation de ces renseignements, si elle risque de porter un préjudice important à toute personne protégée ou à autrui.

30        L’alinéa 11.2(2)c) de la Loi confère au commissaire de la GRC le pouvoir discrétionnaire de faire une communication décrite à l’alinéa 11(1)a) si « le commissaire a des motifs raisonnables de croire que la communication est essentielle pour l’administration de la justice, […] ». Selon l’employeur, les renseignements demandés par le fonctionnaire ne sont pas essentiels et ne sont pas pertinents à l’audience.

B. Mise sous scellés de l’ordonnance sur consentement et de la décision relative à la demande de production                                                                                        

1. Pour l’employeur

31        Si la nouvelle Commission accorde la demande de divulgation, l’employeur a fait valoir que l’ordonnance de communication et l’ordonnance sur consentement devraient être mises sous scellés. À l’appui de sa demande, il a réitéré sa position selon laquelle de telles mesures sont nécessaires pour prévenir un risque sérieux à l’intérêt public. Il a soutenu que, même si le principe de transparence judiciaire s’applique aux procédures devant la nouvelle Commission, dans certains cas, des limites peuvent être imposées. Il m’a renvoyé au critère Dagenais/Mentuck, qui a été formulé dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41.

32        À l’origine, la Cour suprême du Canada a élaboré ce critère pour déterminer si des restrictions devaient être imposées au principe de transparence judiciaire. Selon les motifs de ces décisions, l’employeur a soutenu qu’un arbitre de grief doit d’abord décider si une ordonnance pour limiter le principe de transparence judiciaire est nécessaire afin d’écarter un risque à un intérêt important. En deuxième lieu, l’arbitre de grief doit décider si les effets bénéfiques de l’ordonnance l’emportent sur ses effets préjudiciables sur le droit du public à des procédures d’arbitrage transparentes et accessibles.

33        Dans ses arguments écrits, l’employeur a indiqué que plusieurs des documents comportaient des renseignements protégés en vertu des alinéas 11(1)b) et c) de la Loi. Un certain nombre des renseignements demandés ferait en sorte de révéler l’identité et les rôles et les fonctions, ainsi que les renseignements sur les techniques de protection secrètes du Programme. Pour tous ces motifs, il ne serait pas dans l’intérêt public que ces renseignements fassent partie du domaine public. En outre, ils sont protégés par les alinéas 11(1)b) et c) de la Loi.

34        Par conséquent, l’employeur a demandé que l’ordonnance sur consentement et la présente décision soient mises sous scellés. Subsidiairement, les renseignements devraient être retenus, révisés ou caviardés de tout document produit aux fins de ces griefs.

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

35        Les avocats du fonctionnaire ont renvoyé à la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la nouvelle Commission qui indique qu’elle « […] pratique une politique d’ouverture qui favorise la transparence de ses procédures, la responsabilisation et l’équité dans la conduite de ses audiences. » et qu’elle « […] tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles […]. »

36        Les restrictions au principe de transparence judiciaire, comme les ordonnances de mise sous scellés ou les audiences à huis clos, sont habituellement évaluées en fonction du critère Dagenais/Mentuck qui tient compte de ce qui suit :

i) Si une telle ordonnance est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

ii) Si les effets bénéfiques d’une telle ordonnance, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public en ce qui concerne la transparence et l’accessibilité aux procédures judiciaires.

37        Par conséquent, selon ce critère, une ordonnance de mise sous scellés ne doit être rendue que si les trois conditions suivantes sont remplies :

i) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important;

ii) d’autres options raisonnables n’écarteront pas ce risque;

iii) ses effets bénéfiques l’emportent sur ses effets préjudiciables.

38        La Loi traite également de la divulgation des renseignements en litige en l’espèce. L’employeur a laissé entendre que le nom d’une personne interrogée et le lieu où elle a été interrogée sont visés par l’alinéa 11(1)a) de la Loi en tant que renseignements « […] qui permettraient de découvrir le lieu où se trouve une personne […] ou son changement d’identité » d’une personne protégée. Le fonctionnaire a convenu que, dans certains cas, ce pouvait être le cas, pourvu que la personne interrogée devienne ensuite une personne « protégée » en vertu de l’alinéa 11(1)b). Il est impossible de déterminer, de façon abstraite, si la divulgation de ces renseignements « pourrait entraîner un préjudice sérieux » (al. 11(1)b)) pour une personne protégée particulière. L’employeur n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de sa position.

39        En outre, rien ne permet de conclure que les éléments de preuve ne peuvent être rendus publics en caviardant les renseignements de nature délicate. Le fonctionnaire accepte le fait que ces renseignements doivent être caviardés des documents qu’il demande. Ce caviardage devrait être suffisant pour limiter tout risque de préjudice sérieux pour les personnes protégées, particulièrement en l’absence d’une preuve contraire par la GRC.

40        Il a été soutenu qu’au-delà des protections prévues par l’ordonnance sur consentement, aucun renseignement contenu dans cette dernière ou dans la décision relative à la demande de production du fonctionnaire ne compromet quelque individu que ce soit ou la confidentialité des renseignements. Par conséquent, la GRC ne s’est pas acquittée de son fardeau de justifier la mise sous scellés de cette décision ou de l’ordonnance sur consentement.

C. Demande de l’employeur de préserver l’anonymat des personnes concernées

1. Pour l’employeur

41        L’employeur a demandé que certains renseignements soient présentés sous le couvert de l’anonymat en fonction des limites applicables au principe de transparence judiciaire nécessaires pour écarter un risque sérieux à l’intérêt public.

42        L’employeur a demandé l’uniformité du libellé de l’ordonnance sur consentement. Il a également demandé que ni le nom du fonctionnaire ni celui de toute personne identifiée dans les pièces ne soient utilisés.

43        Plusieurs des documents et des enregistrements audio dont la production a été demandée par le fonctionnaire contiennent des renseignements protégés en vertu des alinéas 11(1)b) et c) de la Loi. Les parties ont convenu de [traduction] « mettre sous scellés gris » les renseignements figurant aux alinéas 2c), 3c), 4d), 5c), 7d) et 8c) de l’ordonnance sur consentement, afin d’indiquer qu’il s’agit de renseignements protégés en vertu du privilège de l’intérêt public et des alinéas 11(1)b) et c), tout en leur donnant une façon de les voir.

44        Dans l’ordonnance sur consentement, les parties ont convenu que tout document déposé en preuve qui a été caviardé en gris est assujetti à la demande de mise sous scellés de l’employeur. Dans l’éventualité où il n’est pas mis sous scellés, l’employeur demandera que les sections caviardées en gris soient entièrement caviardées, puisqu’il estime que cette mesure est nécessaire pour écarter un risque sérieux à l’intérêt public pour les motifs décrits antérieurement dans la présente décision.

45        Si la demande de production du fonctionnaire est accordée, l’employeur caviardera en gris les renseignements protégés en vertu de l’article 11 de la Loi. En outre, à l’audience, si des documents qui ont été caviardés en gris sont déposés en preuve, l’employeur demandera que les parties caviardées en gris soient entièrement caviardées, puisqu’il estime que cette mesure est nécessaire pour écarter un risque sérieux à l’intérêt public.

46        L’employeur a invoqué les arguments présentés sur les limites au principe de transparence judiciaire pour mettre sous scellés l’ordonnance sur consentement et l’ordonnance de production à l’appui de sa demande de caviarder et de préserver l’anonymat du dossier.

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

47        En ce qui concerne l’identité des personnes qui pourraient ou non être jugées des personnes protégées, le fonctionnaire a soutenu que l’ordonnance sur consentement prévoit déjà le caviardage de ces renseignements. Ces caviardages ont été consentis parce que la pertinence de ces renseignements pour la présente procédure n’est pas apparente. En l’absence d’une preuve contraire, le fonctionnaire n’était pas d’accord que la divulgation de ces renseignements aux avocats mettrait à risque une personne quelconque, étant donné que l’ordonnance sur consentement contient de nombreuses autres mesures de protection.

48        Le fonctionnaire a admis que de nombreux documents et éléments de preuve qu’il a demandé comprennent des renseignements visés par les alinéas 11(1)b) et c)de la Loi, lesquels pourraient comprendre le nom des employés du Programme, ainsi que des renseignements sur la façon dont le Programme est exécuté.

49        Toutefois, comme les renseignements assujettis à l’alinéa 11(1)a) de la Loi, rien ne permet de conclure que les éléments de preuve ne pourraient être rendus publics si les renseignements de nature délicate sont caviardés. Les employés particuliers du Programme pourraient être identifiés au moyen d’initiales ou d’un autre alias individuel, ce qui serait plus que suffisant pour limiter tout risque de préjudice sérieux pour une personne protégée, pour une personne qui fournit de la protection ou pour tout membre de sa famille, plus particulièrement en l’absence d’une preuve contraire de la GRC.

50        En ce qui concerne l’argument de l’employeur selon lequel [traduction] « la communication de ces renseignements, le nom de la personne interrogée et le lieu où son interrogatoire a été tenu aux avocats du fonctionnaire les mettraient tous à risque, puisqu’ils disposeraient de renseignements d’intérêt aux adversaires de la personne interrogée », le fonctionnaire a soutenu que l’ordonnance sur consentement prévoit déjà le caviardage de ces renseignements. Encore une fois, ces caviardages ont été convenus parce que les renseignements ne sont apparemment pas pertinents à la présente procédure.

51        En ce qui concerne la position de l’employeur selon laquelle les éléments de preuve qui ont été caviardés en gris soient entièrement caviardés, le fonctionnaire s’est fortement opposé à tout caviardage des éléments de preuve qui seraient fournis aux avocats. Étant donné les nombreuses mesures de confidentialité prévues dans l’ordonnance sur consentement, rien ne permet de conclure qu’il pourrait entraîner un préjudice sérieux pour toute personne protégée, pour une personne qui fournit de la protection ou pour tout membre de sa famille.

D. La demande de l’employeur de ne pas faire référence au Programme et à la Loi

1. Pour l’employeur

52        L’employeur a soutenu qu’aucun renvoi ne doit être fait à la Loi. Autrement, une personne pourrait établir un lien entre le fonctionnaire et le Programme. L’employeur a fondé son argument sur son engagement à protéger non seulement les personnes admises au Programme, mais également celles qui aident ou qui fournissent, directement ou indirectement, une protection aux personnes. L’employeur a invoqué les mêmes arguments que ceux qu’il a invoqués à l’appui de sa demande de mettre sous scellés l’ordonnance sur consentement et la présente décision.

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

53        Le fonctionnaire a convenu qu’il ne faudrait pas renvoyer expressément à la Loi. Le renvoi au nom complet de ceux concernés permettrait d’identifier le fonctionnaire et d’autres comme fournissant, directement ou indirectement, une protection et, si le fonctionnaire est rétabli à son poste, cela pourrait contrevenir à la Loi.

E. La demande de l’employeur de caviarder le dossier

1. Pour l’employeur

54        Pour les mêmes motifs et arguments énumérés ci-dessus, l’employeur a demandé que tous les renvois à la Loi ne soient pas divulgués ou publiés dans le cadre de toute la procédure d’arbitrage de griefs, y compris dans toute correspondance. L’employeur a également demandé que certaines pièces, comme les formules de grief et la demande de production déposées auprès de la nouvelle Commission, soient caviardées pour les mêmes motifs.

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

55        Le fonctionnaire ne s’est pas opposé aux demandes de l’employeur.

IV. Motifs

A. Demande de production présentée par le fonctionnaire s’estimant lésé

56        Les affaires dont la nouvelle Commission est saisie soulèvent des questions quant au rendement du fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, à une mesure disciplinaire déguisée et à la discrimination.

57        Le fonctionnaire a demandé les documents et les renseignements suivants :

i) des copies de tout courriel, correspondance ou document concernant le fonctionnaire et des employés précis de la GRC, y compris le superviseur par intérim, le directeur et tout autre représentant de l’employeur, portant sur le rendement au travail du fonctionnaire;

ii) des copies de tout courriel, correspondance ou document concernant le fonctionnaire et des employés de la GRC et tout autre représentant de l’employeur relativement à tout conflit entre le fonctionnaire et le directeur à l’époque du Programme ou le superviseur immédiat du fonctionnaire.

1. Pouvoir de la nouvelle Commission d’ordonner la production de documents

58        Le pouvoir de la Commission d’ordonner la production de documents avant une audience est fondé sur sa loi habilitante. Une formation de la nouvelle Commission a le pouvoir d’exercer tous les pouvoirs de la nouvelle Commission, lesquels sont établis aux articles 20 à 23 et 39 de la LCRTEFP, y compris le pouvoir d’obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont elle est saisie.

59        L’article 20 de la LCRTEFP énonce en partie ce qui suit :

20 Dans le cadre de toute affaire dont elle est saisie, la Commission peut :

[…]

e) accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

f) obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont elle est saisie.

[Je souligne]

60        La première étape pour déterminer si des documents devraient être produits consiste à déterminer si ces documents pourraient être pertinents aux griefs dont est saisie la nouvelle Commission. Pour faire cette détermination, les questions en litige et les documents demandés doivent être rationnellement liés. Dans Canada (Procureur général) c. Quadrini [2011] C.A.F. 115, la Cour d’appel fédérale a énoncé, au paragraphe 37, que le critère juridique à appliquer pour présenter une demande de divulgation est de démontrer qu’il existe une possibilité réaliste que les documents puissent être liés à une question en litige dans le cadre d’affaires devant l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »). Il ne suffit pas de formuler de simples hypothèses quant à leur possible pertinence.

61        Dans Zhang, l’ancienne Commission a cité Brown et Beatty, qui décrit en ces termes les paramètres applicables pour déterminer si une ordonnance de production s’impose :

[…]

3:1400 Communication préalable à l’audience

[…]

[…] la justice naturelle exige que les parties ne se prennent pas par surprise, et c’est pourquoi certains arbitres ont exigé la communication avant l’audience des renseignements et des documents nécessaires pour qu’elles puissent participer correctement à la procédure d’arbitrage des griefs.

[…]

          3:1420 Production de documents

La raison pour laquelle il faut produire des documents diffère quelque peu de celle pour laquelle on doit produire des détails, en ce que la production de documents aide une partie à préparer effectivement sa cause, alors que les détails l’informent simplement de la preuve qu’elle devra réfuter […]

[…]

          3:1422 Ordonner la production

Le critère fondamental pour ordonner la production de documents consiste à décider s’ils peuvent être pertinents relativement aux questions en litige. À cet égard, le critère à l’étape de la communication préalable à l’audience consisterait à déterminer si l’on peut prétendre qu’ils sont pertinents ou s’ils sont « potentiellement pertinents ».

[…]

62        Cet extrait est conforme à la jurisprudence de la nouvelle Commission. Tel que la nouvelle Commission l’a indiqué dans Sather c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 45, à l’étape préalable à l’audience, il suffit de conclure que la pertinence des documents demandés est défendable. Le pouvoir de la nouvelle Commission d’exiger la production est vaste et est fondé sur les exigences de la justice naturelle.

63        Conformément à cette approche, dans Toronto District School Board, l’arbitre de grief a souscrit au principe bien établi selon lequel il faut privilégier une position libérale quant à la production des documents à l’étape préalable à l’audience. Il l’a exprimé en ces termes :

[Traduction]

[…] Tous les documents à propos desquels il est possible d’établir la pertinence, ou de démontrer qu’ils sont potentiellement ou vraisemblablement pertinents doivent être produits. Le critère de la pertinence aux fins de la production avant l’audience est beaucoup plus vaste et souple que celui qui s’applique à l’audience même. Un conseil d’arbitrage, préalablement à l’audience, n’est tout simplement pas en mesure d’imposer des règles précises sur ce qui pourrait être pertinent à l’audience, et il ne devrait pas non plus en imposer. […]

2. L’objet des griefs

64        Selon les principales allégations du fonctionnaire, à la base, la décision de l’employeur de suspendre la cote de fiabilité de la GRC était fondée sur un comportement inapproprié et des erreurs commises dans l’exécution des fonctions du fonctionnaire. Le fonctionnaire a soutenu que, par conséquent, les motifs sous-jacents des suspensions sont liés au rendement. En outre, le fonctionnaire a allégué avoir fait l’objet de harcèlement de la part des personnes dont il relève et qui ont, en fin de compte, décidé de le suspendre sans traitement en attendant l’issue d’une enquête, ce qui équivaut à une mesure disciplinaire déguisée.

65        Dans Frazee, la Cour fédérale a énoncé que le concept de mesure disciplinaire déguisée est un facteur déterminant bien connu et nécessaire qui permet à un arbitre de grief d’examiner les éléments sous-jacents au motif énoncé par l’employeur afin de déterminer quelle était sa véritable intention. En l’espèce, le fonctionnaire a été suspendu sans traitement en attendant une enquête sur l’examen de sécurité. Tel qu’il est indiqué dans le grief, il a été allégué que ces mesures constituaient des mesures disciplinaires déguisées.

66        Lorsqu’il faut déterminer si les mesures prises par un employeur constituent des mesures disciplinaires déguisées, un arbitre de grief doit examiner les effets de ses actions sur l’employé. L’incidence de la décision de l’employeur doit être proportionnelle à sa justification administrative, ce qui soulève la question de savoir si l’action de l’employeur constituait une réponse raisonnable aux considérations opérationnelles sincères.

67        Le fonctionnaire a allégué une mesure disciplinaire déguisée et la discrimination de la part de l’employeur. Il a demandé des copies de tous les courriels, de la correspondance et des documents touchant tout conflit entre lui-même et le directeur du Programme ou son superviseur immédiat. Dans ce contexte, je suis convaincue qu’il existe une possibilité réelle que les documents puissent être pertinents aux griefs. Les documents demandés pourraient clarifier le comportement et les intentions de l’employeur lorsqu’il a suspendu le fonctionnaire sans traitement, ainsi que sa cote de fiabilité de la GRC, et que ces documents devraient être communiqués au fonctionnaire, puisqu’ils pourraient être pertinents aux questions dont est saisie la nouvelle Commission.

3. Établir un équilibre entre les intérêts concurrents

68        La jurisprudence arbitrale a reconnu que la question de savoir s’il faut exiger la production de documents relève du pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il faut soupeser les intérêts concurrents, ceux qui s’opposent à la divulgation pour des motifs de privilège ou de confidentialité par rapport aux intérêts d’une audience équitable, ainsi que le besoin de la partie adverse d’obtenir ces renseignements pour présenter ses arguments de manière adéquate. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont droit à une audience équitable et ils doivent bénéficier d’une véritable possibilité de présenter tous leurs arguments. Un équilibre doit être établi entre ce droit et les préoccupations de l’employeur quant à la confidentialité et le privilège.

69        Je dois déterminer s’il serait préférable que les documents, malgré le fait qu’ils pourraient être pertinents aux questions dont est saisie la nouvelle Commission, ne soient pas divulgués, puisque leur divulgation contreviendrait à l’article 11 de la Loi ou parce qu’ils sont confidentiels. Même si le pouvoir de la nouvelle Commission d’ordonner la production de documents préalable à l’audience est un vaste pouvoir discrétionnaire, il est limité par des exceptions législatives. L’employeur s’est opposé à la divulgation au motif que les renseignements ne sont pas pertinents et que leur divulgation contreviendrait à l’article 11 de la Loi. Le fonctionnaire exige les documents pour présenter ses arguments et pour établir ses allégations de mesure disciplinaire déguisée et de discrimination contre l’employeur.

4. L’article 11 de la Loi interdit-il la divulgation?

70        La Loi porte sur trois catégories de renseignements. L’article 11 énonce ce qui suit :

Protection des renseignements

Interdiction de communication

11(1) Sous réserve des articles 11.1 à 11.5, il est interdit à toute personne de communiquer, directement ou indirectement, selon le cas :

a) des renseignements qui révèlent ou permettraient de découvrir le lieu où se trouve une personne qu’elle sait être une personne protégée ou son changement d’identité;

b) des renseignements concernant les moyens et les méthodes de protection des personnes protégées, sachant que la communication pourrait entraîner un préjudice sérieux pour toute personne protégée, ou ne s’en souciant pas;

c) l’identité et le rôle d’une personne qui fournit de la protection ou qui, directement ou indirectement, aide à en fournir, sachant que la communication pourrait entraîner un préjudice sérieux pour l’une ou l’autre des personnes ci-après, ou ne s’en souciant pas :

(i) cette personne,

(ii) tout membre de sa famille,

(iii) toute personne protégée.

Moyens et méthodes de protection

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)b), les renseignements concernant les moyens et les méthodes de protection des personnes protégées comprennent notamment ceux ayant trait à ce qui suit :

a) les méthodes opérationnelles secrètes qui sont utilisées pour fournir de la protection;

b) les méthodes administratives secrètes qui sont utilisées pour aider à fournir de la protection;

c) les moyens qui sont utilisés pour inscrire ou échanger des renseignements confidentiels relatifs à la protection, ou pour accéder à ces renseignements;

d) les lieux où se trouvent les installations utilisées pour fournir de la protection.

Non-application – personne protégée ou autre

11.1 L’alinéa 11(1)a) ne s’applique pas aux personnes suivantes :

a) la personne protégée qui communique des renseignements à son sujet, dans le cas où cette communication ne pourrait pas entraîner un préjudice sérieux pour toute personne protégée;

b) la personne qui communique des renseignements qu’elle a obtenus d’une personne protégée, dans le cas où cette communication ne pourrait pas entraîner un préjudice sérieux pour toute personne protégée.

71        Le fonctionnaire a demandé des copies de tout courriel, correspondance ou document concernant le fonctionnaire et les employés particuliers de la GRC, y compris le directeur et le superviseur par intérim ou tout autre représentant de l’employeur, portant sur son rendement au travail. Même si l’employeur n’a présenté aucun élément de preuve sur le préjudice sérieux possible pour une personne, il est possible que les documents demandés puissent contenir des renseignements dont la communication est interdite en vertu de l’article 11 de la Loi.

i. Alinéa 11(1)a) : renseignements qui révèlent ou qui permettraient de découvrir l’emplacement ou le changement d’identité d’une personne qu’on sait être une personne protégée                                                                                       

72        L’employeur a soutenu que tout renseignement qui révèle l’emplacement ou l’identité de personnes qui pourraient ou non être jugées comme étant des personnes protégées n’est pas pertinent aux griefs, ce à quoi le fonctionnaire a convenu. Cette question est également soulevée dans l’ordonnance sur consentement, dans laquelle les parties ont consenti à caviarder entièrement les identités et les lieux des personnes protégées et des personnes non protégées. Puisque les parties conviennent que ces renseignements ne sont pas pertinents à la procédure, il s’agit d’une question théorique.

ii. Alinéa 11(1)b) : renseignements concernant les moyens et les méthodes de protection des personnes protégées, sachant que la divulgation pourrait entraîner un préjudice sérieux pour toute personne protégée, ou ne s’en souciant pas                                                                                                  
iii. Alinéa 11(1)c) : identité et rôle d’une personne qui fournit de la protection ou qui, directement ou indirectement, aide à en fournir, sachant que la communication pourrait entraîner un préjudice sérieux pour cette personne, un membre de sa famille ou toute personne protégée, ou ne s’en souciant pa         s                 

73        L’employeur n’a présenté aucun élément de preuve permettant d’établir que les documents demandés contiendraient de tels renseignements. Il est impossible de déterminer, de façon abstraite, si la divulgation de ces renseignements « pourrait entraîner un préjudice sérieux » (al. 11(1)b) de la Loi) pour une personne protégée en particulier ou pour tout membre de sa famille. Malgré l’absence de preuve, étant donné les documents demandés, il est possible que les documents demandés et les éléments de preuve puissent comprendre des renseignements visés par les alinéas 11(1)b) et c) de la Loi, notamment le nom d’employés du Programme et des renseignements sur la façon dont le Programme est exécuté. Dans l’éventualité où elle peut entraîner un préjudice sérieux pour cette personne, un membre de sa famille ou toute personne protégée, la communication de ces renseignements est interdite en vertu des alinéas 11(1)b) et c) et du paragraphe 11(2).

74        Ceci étant, selon l’employeur, on peut également inclure les enregistrements audio dont la communication a été convenue, conformément à ce qui est décrit dans l’ordonnance sur consentement. De façon similaire aux renseignements visés par l’alinéa 11(1)a), rien ne permet de conclure que les éléments de preuve ne pouvaient être mis à la disposition des avocats du fonctionnaire, sous réserve des mêmes mesures de confidentialité strictes qui ont été convenues dans l’ordonnance sur consentement, c.-à-d. le caviardage du nom des personnes protégées et non protégées, des lieux, des emplacements et des moyens et méthodes de protection des personnes protégées.

75        Les employés particuliers du programme devraient être identifiés au moyen d’initiales ou d’un autre alias individuel, ce qui devrait être plus que suffisant pour limiter tout risque de préjudice sérieux pour une personne protégée ou une personne qui fournit de la protection ou les membres de sa famille, plus particulièrement en l’absence d’une preuve contraire de la GRC.

76        L’employeur n’a présenté aucun argument ni élément de preuve quant à la façon dont les courriels, la correspondance ou les documents concernant le fonctionnaire et les employés de la GRC ou tout autre représentant de l’employeur portant sur un conflit ou un différend entre le fonctionnaire et le directeur à l’époque du Programme ou le superviseur immédiat du fonctionnaire, contreviendraient aux dispositions de l’article 11 de la Loi. En l’absence de toute preuve contraire, je ne peux conclure que l’article 11 interdit la communication de ces renseignements. Par conséquent, je conclus que les documents demandés pourraient être pertinents aux questions en litige puisqu’ils sont rationnellement liés aux griefs et doivent être communiqués aux avocats du fonctionnaire.

77        Le fonctionnaire a droit à une audience équitable et il doit bénéficier d’une véritable possibilité de présenter tous ses arguments. Les documents demandés sont rationnellement liés aux questions dont est saisie la nouvelle Commission et ils pourraient être liés aux questions qui sont au coeur du règlement du conflit. Même si j’ai conclu que les documents devraient être communiqués, ils pourraient contenir des renseignements de nature délicate dont la communication est interdite en vertu de la Loi. Pour ce motif, j’estime que des mesures de confidentialité et de protection strictes doivent être mises en œuvre pour assurer le respect de la Loi et la protection des personnes que le gouvernement fédéral souhaite protéger. Par conséquent, à ce stade, la communication sera conforme aux mesures de confidentialité convenues par les parties dans l’ordonnance sur consentement et au caviardage convenu.

78        La présente décision ne concerne pas l’admissibilité des documents en preuve. Il s’agit de l’étape de la communication préalable à l’audience et, si le fonctionnaire souhaite déposer en preuve certains de ces documents pendant l’audience, l’employeur aura toute possibilité de remettre en question leur pertinence et de présenter toute demande de caviardage ou de mise sous scellés, ou de demander que certaines parties de l’audience soient tenues à huis clos.

B. Demandes de confidentialité

79        L’employeur a demandé que l’ordonnance sur consentement et la décision relative à la demande de production soient mises sous scellés. Il a demandé qu’il n’y ait aucun renvoi précis à la Loi et a soutenu que l’identité du fonctionnaire et des personnes dont le rôle consiste à fournir une protection, y compris ceux qui, directement ou indirectement, aident à en fournir, soient divulgués sous le couvert de l’anonymat. En outre, l’employeur a fait valoir que le dossier devrait être caviardé. Il est d’avis que ces mesures sont nécessaires pour écarter un risque sérieux à l’intérêt public, soit l’intégrité du Programme et la sécurité des personnes visées par la Loi.

80        Ces demandes concernent le principe de transparence judiciaire. Les décideurs, comme les formations visées par la LCRTEFP, sont maîtres de leur procédure et ont le pouvoir discrétionnaire de déterminer la procédure qui les régira. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu et doit être exercé conformément aux règles d’équité procédurale et de justice naturelle.

81        La Cour suprême a conclu, à maintes reprises, que le principe de transparence judiciaire constitue l’une des caractéristiques de notre société démocratique et qu’il s’applique aux audiences et aux dossiers des procédures. Il ne peut être limité que dans des circonstances très exceptionnelles, lorsqu’il n’existe aucune autre option pour écarter un risque sérieux.

82        En outre, tel que la Cour suprême du Canada l’a énoncé dans Dagenais c. Société Radio-Canada,[1994] 3 R.C.S. 835, et dans Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, le pouvoir discrétionnaire du décideur doit être exercé dans les limites prescrites par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). L’alinéa 2b) de la Charte garantit la liberté d’expression et énonce ce qui suit :

Libertés fondamentales

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[…]

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; […]

[…]

83        Dans Dagenais, Sierra Club du Canada et Vancouver Sun (Re),la Cour suprême du Canada a déclaré que la liberté d’expression comprenait en outre le droit du public de savoir ce qui se passe dans le cadre des instances judiciaires. Ce principe est communément appelé le « principe de transparence judiciaire ». La Cour a reconnu que le principe de transparence judiciaire constitue une pierre angulaire de notre société démocratique et que, conformément à l’article 1 de la Charte, « [i]ls ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Dans ces cas, la Cour suprême du Canada a conclu que le principe de transparence judiciaire pouvait être limité uniquement dans la mesure nécessaire pour protéger la bonne administration de la justice et que, par conséquent, les instances judiciaires sont, en principe, ouvertes au public.

84        Tel qu’il a été mentionné par l’ancienne Commission dans N.J. c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada),2012 CRTFP 129, le critère de Dagenais/Mentuck a été formulé dans Sierra Club du Canada comme suit :

[…]

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important […] dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

85        Il s’agit d’un critère à deux volets. Il faut d’abord déterminer si une ordonnance est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important dans le contexte de la présente audience, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque. Il faut ensuite déterminer si les effets bénéfiques des ordonnances de mise sous scellés, y compris ses effets sur le droit du fonctionnaire à une audience équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public en ce qui concerne la transparence et l’accessibilité aux procédures judiciaires.

86        Il est bien établi qu’il incombe à la partie qui tente de limiter ou de restreindre le principe de transparence judiciaire de justifier la limitation au droit à l’information protégé par la Constitution. Elle doit non seulement prouver que la limite est nécessaire, mais également qu’il n’existe aucune autre option et que l’ordonnance proposée constitue la façon la moins invasive possible pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important.

87        Les parties ont convenu que le principe de transparence judiciaire s’appliquait à la procédure devant la nouvelle Commission et elles ont présenté des arguments connexes. La nouvelle Commission reconnaît que le principe de transparence judiciaire s’applique aux procédures tenues en vertu de la LCRTEFP et indique clairement que les audiences tenues devant elle sont ouvertes au public et qu’elle dérogera à cette politique uniquement dans des circonstances exceptionnelles. Cette politique énonce ce qui suit :

[…]

Sur son site Web, de même que dans ses avis, bulletins d’information et autres publications, la Commission fait savoir aux parties ainsi qu’à la communauté des relations de travail que ses audiences sont ouvertes au public. Les parties qui recourent aux services de la Commission doivent savoir qu’elles s’engagent dans un processus où il est entendu que le différend qui les oppose sera débattu en public et que les décisions rendues par la Commission seront elles aussi publiques. Les parties et leurs témoins sont assujettis à l’examen du public lorsqu’ils témoignent devant la Commission; ils sont donc plus enclins à dire la vérité si leur identité est connue. Les décisions de la Commission indiquent le nom des parties et des témoins et fournissent toute information à leur sujet qui est pertinente et nécessaire pour décider du différend.

Parallèlement, la Commission reconnaît que, dans certains cas, la mention de renseignements personnels au cours d’une audience ou dans une décision écrite peut avoir des répercussions sur la vie de la personne concernée. Des préoccupations liées à la protection de la vie privée surviennent le plus souvent lorsque des renseignements sur certains aspects de la vie d’une personne deviennent publics. Il peut s’agir de l’adresse domiciliaire de la personne, de son adresse électronique personnelle, de son numéro de téléphone personnel, de sa date de naissance, d’informations financières à son sujet, de son NAS, de son numéro de permis de conduire, ou encore de renseignements figurant sur sa carte de crédit ou son passeport. La Commission s’efforce de ne mentionner ce genre de renseignements que s’ils sont pertinents et nécessaires pour décider du différend.

Devant les progrès de la technologie et la facilité d’afficher électroniquement des documents, y compris ses propres décisions, la Commission reconnaît que, dans certaines circonstances, il puisse être justifié de limiter le concept de transparence en ce qui concerne les circonstances de personnes qui sont parties ou témoins à des affaires dont la Commission est saisie.

[…]

88        Dans des circonstances exceptionnelles, la nouvelle Commission dérogera au principe de transparence judiciaire et pourrait accorder des demandes de protection de la confidentialité d’éléments de preuve spécifiques et adapter ses décisions au besoin de protection de la vie privée d’une personne (notamment en tenant une audience à huis clos, en scellant des pièces présentées en preuve qui contiennent des renseignements médicaux ou personnels de nature délicate ou en protégeant l’identité de témoins ou de tiers). Elle peut accorder de telles demandes lorsque celles-ci sont conformes aux principaux juridiques reconnus.

89        Je suis d’accord avec l’employeur que certains des renseignements figurant dans les documents demandés pourraient poser un risque sérieux pour un intérêt important s’ils étaient rendus publics. Pour ce motif, certaines restrictions quant au traitement des documents sont appropriées. Toutefois, pour les motifs suivants, je ne suis pas d’accord pour dire que l’ordonnance sur consentement et la décision relative à la demande de production devraient être mises sous scellés. Ils ne contiennent aucun renseignement dont la communication est interdite par l’article 11 de la Loi. Par conséquent, à ce stade de la procédure, il n’existe aucun risque sérieux pour un intérêt important.

1. Demande de l’employeur concernant la mise sous scellés de l’ordonnance sur consentement et de la présente décision                                                                 

90        L’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que le fait de rendre public l’ordonnance sur consentement et la présente décision poserait un risque sérieux pour un intérêt important. L’ordonnance sur consentement et la présente décision ne contiennent aucun renseignement dont la communication est interdite par l’article 11 de la Loi. Rien dans la preuve ne permet de conclure à l’existence d’un risque pour un intérêt important. L’ordonnance sur consentement traite simplement de l’acceptation des parties de communiquer certains renseignements précis, conformément à des mesures de confidentialité stricte, tout en respectant les interdictions prévues à la Loi.

2. Demande de l’employeur de préserver l’anonymat des identités

91        En ce qui concerne la demande de l’employeur de protéger l’identité du fonctionnaire, du superviseur, du directeur et des autres employés du Programme sous le couvert de l’anonymat, le fonctionnaire a convenu que les renvois au nom des personnes devraient être remplacés par des initiales ou au moyen d’une autre solution permettant de masquer leur nom au complet tout en permettant de distinguer entre ceux-ci et de les identifier aux parties et à la nouvelle Commission aux fins de l’arbitrage de griefs.

92        Tel qu’il a été discuté, la Loi prévoit des interdictions particulières quant à la divulgation de renseignements. Ainsi, je suis d’accord avec l’employeur que si je permettais la publication des noms du fonctionnaire et des employés du Programme, il y aurait un risque que les adversaires du Programme établissent un lien entre ces individus et le Programme. De plus, non seulement il s’agirait d’une contravention à l’article 11 de la Loi, mais la sécurité de ces individus serait également compromise. Je suis d’avis que cela entraverait la bonne administration de la justice, que ce soit intentionnellement ou non. Cette atteinte poserait un risque sérieux pour un intérêt important dans le contexte de l’arbitrage de griefs en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque.

93        Je dois décider si les effets bénéfiques de ces mesures, y compris les effets sur le droit du fonctionnaire à une audience équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la transparence et l’accessibilité des procédures judiciaires. Même si le public a droit à des procédures judiciaires transparentes et accessibles, en l’espèce, un droit concurrentiel, soit la bonne administration de la justice, ainsi que la sûreté et la sécurité des individus qui participent au Programme, devrait l’emporter.

94        L’intérêt public et la justice seraient mieux servis si le nom complet du fonctionnaire, ainsi que celui des personnes travaillant directement ou indirectement pour le Programme, n’était pas mentionné dans le rôle public ni dans la présente décision. Je crois que, dans ces circonstances exceptionnelles, la bonne administration de la justice justifie que l’anonymat du nom de toutes les personnes associées au Programme soit préservé. Par conséquent, tel qu’il a été mentionné, dans la présente décision, le fonctionnaire sera nommé « A.B. » et ses supérieurs seront nommés le « directeur » et le « superviseur par intérim ».

3. La demande de l’employeur de ne pas faire référence au Programme et à la Loi

95        L’employeur a demandé que les renvois au Programme en vertu de la Loi ne soient ni divulgués ni publiés tout au long de la procédure d’arbitrage de griefs, y compris dans la correspondance, ce à quoi le fonctionnaire ne s’est pas opposé.

96        À l’appui de sa demande de ne pas faire référence spécifiquement à la Loi et au Programme, l’employeur a fait valoir qu’il s’est engagé à protéger non seulement les personnes admises au Programme, mais également celles qui aident ou qui participent, directement ou indirectement, à la protection des personnes protégées. Le fonctionnaire a souscrit à la demande de l’employeur.

97        Comme l’a conclu l’ancienne Commission dans N.J., les parties à l’arbitrage de griefs ne peuvent pas renoncer, sur consentement, au principe de transparence judiciaire. L’arbitre de grief a le pouvoir discrétionnaire exclusif d’examiner de telles demandes et de les soupeser avec le droit du public à des procédures judiciaires transparentes et accessibles.

98        La première étape consiste à déterminer si les renvois au Programme et à la Loi sont nécessaires pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important dans le contexte de la présente procédure d’arbitrage de griefs, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque. Le risque sérieux et l’intérêt important que l’employeur a indiqué sont les capacités de recherche des adversaires du Programme et la protection non seulement des personnes admises au Programme, mais également de celles qui aident ou qui participent, directement ou indirectement, à la protection des personnes protégées. L’employeur se préoccupe du fait qu’en renvoyant à la Loi, les adversaires du Programme pourraient établir un lien entre le fonctionnaire et d’autres avec le Programme, compromettant ainsi leur sécurité.

99        Le concept de l’« intérêt public » auquel renvoie le critère établi par la Cour suprême du Canada comprend le principe de la « bonne administration de la justice ». Dans ce contexte, le rôle d’un décideur est d’assurer la protection du droit du public à des procédures judiciaires transparentes et accessibles. Dans N.J., l’ancienne Commission a reconnu que la bonne administration de la justice constitue un intérêt public important dans le contexte de l’arbitrage de griefs. En l’espèce, l’objet de la Loi est d’assurer la protection de certaines personnes qui fournissent des renseignements ou une aide relativement à la protection de certaines personnes admises à des programmes de protection provinciaux ou municipaux. Cette Loi a été adoptée pour assurer la sûreté et la sécurité des personnes admises à ces programmes, y compris celles qui fournissent, directement ou indirectement, une protection aux personnes admises à ces programmes. Le Programme est considéré comme un outil efficace des organismes d’application de la loi pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé.

100        Pour ce qui est de l’entente des parties de ne pas faire référence directement à la Loi, tel qu’il a été mentionné antérieurement, les parties ne peuvent pas convenir de renoncer au principe de transparence judiciaire. La raison présentée en guise de justification pour ne pas faire référence à la Loi est le risque que les adversaires du Programme puissent établir un lien entre le fonctionnaire et d’autres personnes travaillant à la GRC dans le cadre du Programme, compromettant ainsi leur sécurité.

101        La Loi est un document public. Tel que l’employeur l’a indiqué, certains renseignements sur le Programme et la Loi sont à la disposition du public.À la lumière de mon ordonnance voulant que l’anonymat du fonctionnaire et des personnes qui travaillent dans le cadre du Programme soit préservé, je conclus qu’il n’existe aucun motif impérieux qui pourrait justifier de ne pas renvoyer au Programme ou à la Loi. En l’absence d’une preuve contraire, à ce stade de la procédure, le maintien de l’anonymat suffit pour assurer la protection du fonctionnaire et des personnes travaillant dans le cadre du Programme. Cette mesure représente la mesure la moins envahissante possible au droit du public à des procédures judiciaires transparentes et accessibles.

4. Demande de l’employeur de caviarder le dossier

102        L’employeur a fait valoir que les formules de grief, la demande de production, les pièces et tous les documents liés aux six dossiers soient caviardés, conformément aux caviardages demandés en supprimant les renvois au Programme et à la Loi, ce à quoi le fonctionnaire ne s’est pas opposé.

103        Pour les motifs indiqués ci-dessus, à ce stade de la procédure, il n’existe aucun motif impérieux qui pourrait justifier de ne pas faire référence au Programme ou à la Loi.

104        Toutefois, de son propre chef et pour les motifs indiqués ci-dessus, la nouvelle Commission ordonne que l’on préserve l’anonymat de l’identité du fonctionnaire, du superviseur par intérim et du directeur, et ce, dans tous les documents figurant aux dossiers de la nouvelle Commission. La nouvelle Commission ordonne également que le nom des autres employés dont le rôle consiste à fournir, directement ou indirectement, une protection soit remplacé par un alias.

105        Afin de permettre l’anonymat des documents, la nouvelle Commission mettra temporairement sous scellés les dossiers pendant une période maximale de deux semaines pendant l’exécution du processus de mise en place de l’anonymat. Tel qu’il a été expliqué ci-dessus, cette mesure est nécessaire pour s’assurer que les adversaires du Programme n’établissent pas un lien avec le fonctionnaire ou toute autre personne travaillant au sein du Programme. Cette mesure intérimaire représente la mesure la moins envahissante possible sur le droit du public à des procédures judiciaires transparentes et accessibles. Les effets bénéfiques de cette ordonnance, soit la protection et la sécurité des personnes qui fournissent, directement ou indirectement, une protection en vertu de la Loi,l’emportent sur les effets préjudiciables du droit du public à des procédures judiciaires transparentes et accessibles.

V. Conclusion

106        Si les circonstances de cette affaire changent au fur et à mesure des progrès de l’affaire ou si des questions surviennent dans le cadre de la communication des renseignements au fonctionnaire, la nouvelle Commission est disposée à examiner la demande des parties à l’audience, au besoin, quant à la production à huis clos des éléments de preuve ou à la mise sous scellés des éléments de preuve ou au caviardage des documents.

107        Pour ces motifs, la nouvelle Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

108        Il est ordonné à l’employeur de fournir aux avocats du fonctionnaire des copies des documents suivants, et ce, au plus tard le 18 avril 2016, sous réserve des mêmes mesures de confidentialité strictes convenues entre les parties dans l’ordonnance sur consentement qui a été rendue le 6 novembre 2015, et de caviarder de ces documents tous les noms des personnes protégées ou non, des lieux et des emplacements :

i) des copies de tout courriel, correspondance ou document concernant le fonctionnaire et les employés particuliers de la GRC, y compris le superviseur par intérim, le directeur et tout autre représentant de l’employeur, portant sur le rendement au travail du fonctionnaire;

ii) des copies de tout courriel, correspondance ou document concernant le fonctionnaire et les employés de la GRC et tout autre représentant de l’employeur relativement à tout conflit ou différend entre le fonctionnaire et le directeur du Programme ou le superviseur immédiat du fonctionnaire.

109        Si l’employeur invoque un privilège relativement à un des documents dont la communication est ordonnée, son représentant informera le greffe de la nouvelle Commission par écrit, au plus tard le 8 avril 2016, du motif de privilège allégué et il indiquera de manière générale les documents visés par le motif de privilège allégué. Le représentant de l’employeur ne communiquera au représentant du fonctionnaire aucun document visé par un privilège avant d’en recevoir l’ordre.

110        La demande de l’employeur de mettre sous scellés l’ordonnance sur consentement et la présente décision est refusée.

111        Il est ordonné au Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs (le « SCDATA ») de mettre en place les mesures d’anonymat relativement au rôle de la nouvelle Commission, aux couvertures des dossiers de la Commission et aux décisions futures, le cas échéant :

a) le nom du fonctionnaire sera remplacé par « A.B. »;

b) le nom des personnes pertinentes travaillant dans le cadre du programment sera remplacé par le « directeur » et le « superviseur par intérim »;

c) le nom des autres employés dont le rôle consiste à fournir, directement ou indirectement, une protection sera remplacé par un alias.

112        Tous les documents publics et les pièces déposés en preuve auprès de la nouvelle Commission au cours de cette audience qui contiennent le nom du fonctionnaire et celui des employés du Programme devront préserver l’anonymat de la manière décrite ci-dessus.

113        Aucun renvoi particulier ne sera fait au nom au complet du Programme. Il sera appelé le « Programme » dans cette décision et les décisions futures, le cas échéant.

114        La demande de l’employeur d’expurger le dossier est accordée.

115        Il est ordonné au SCDATA de fournir aux parties une copie des dossiers 566-02-10219 à 10222, 11892 et 11893 de la nouvelle Commission, à l’exception des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat.

116        Les parties devront préserver l’anonymat dans les documents contenus dans la copie des dossiers 566-02-10219 à 10222, 11892 et 11893 de la nouvelle Commission fournis par le SCDATA et elles déposeront ces documents dont l’anonymat a été préservé au plus tard à 16 h, heure locale d’Ottawa, le 8 avril 2016 :

a) le nom du fonctionnaire sera remplacé par « A.B. »;

b) le nom des personnes pertinentes travaillant dans le cadre du programme sera remplacé par le « directeur » et le « superviseur par intérim »;

c) le nom des autres employés dont le rôle consiste à fournir, directement ou indirectement, une protection sera remplacé par un alias.

117        Les dossiers 566-02-10219 à 10222, 11892 et 11893 de la nouvelle Commission seront mis sous scellés temporairement jusqu’à la date à laquelle les parties déposent une copie des dossiers 566-02-10219 à 10222, 11892 et 11893 de la nouvelle Commission fournie par le SCDATA ou à 16 h, heure locale d’Ottawa, le 8 avril 2016, selon la date qui survient en premier.

118        Il est ordonné au SCDATA de remplacer les documents originaux figurant aux dossiers 566-02-10219 à 10222, 11892 et 11893 de la nouvelle Commission par les documents caviardés des parties au moment qu’elles déposent ces documents caviardés.

119         Dans l’éventualité où les parties éprouvent des difficultés à caviarder les documents figurant aux dossiers 566-02-10219 à 10222, 11892 et 11893 de la nouvelle Commission fournis par le SCDATA, je demeurerai saisie de ce grief jusqu’à 16 h, heure locale d’Ottawa, le 29 avril 2016.

120        L’ordonnance relative au caviardage et au maintien de l’anonymat des documents s’appliquera au SCDATA lorsqu’il traite des renseignements liés aux dossiers 566-02-10219 à 10222, 11892 et 11893 qu’il a sous son contrôle, mais qui pourraient ne pas figurer aux dossiers de la nouvelle Commission.

121        Il est ordonné au SCDATA de traiter les renseignements sous son contrôle qui sont liés aux dossiers 566-02-10219 à 10222, 11892 et 11893 de la nouvelle Commission, mais qui n’y font pas partie, conformément à l’article 11 de la Loi sur le Programme de protection des témoins.

122        Si l’employeur n’est pas en mesure de produire les documents à la date mentionnée ci-dessus, son avocat communiquera avec la nouvelle Commission au plus tard le 31 mars 2016, pour fixer une téléconférence avec la formation en vue de discuter des obstacles à la production et de demander une prorogation, au besoin.

Le 22 mars 2016.

Traduction de la CRTEFP

Chantal Homier-Nehmé,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans la fonction publique

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