Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait comme employé civil à la Gendarmerie royale du Canada – la détention d’une cote de fiabilité était une condition de son emploi – suite à un évènement social où le fonctionnaire s’estimant lésé a consommé de la marijuana, l’administrateur général a suspendu la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé et a suspendu ce dernier de ses fonctions pendant enquête – par la suite, l’administrateur général a révoqué la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé et a licencié ce dernier – le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté ces quatre mesures – il a aussi allégué que l’administrateur général avait fait preuve de discrimination illicite à son égard – l’administrateur général s’est opposé à la compétence de la Commission d’entendre les griefs portant sur la suspension de la cote de fiabilité, la suspension de fonctions pendant enquête, la révocation de la cote de fiabilité et le licenciement – la Commission a conclu qu’elle avait compétence pour trancher la question de la suspension de la cote de fiabilité et de la suspension de fonctions pendant enquête, puisque ces mesures n’étaient pas fondées sur les motifs de sécurité invoqués par l’administrateur général, mais étaient des mesures disciplinaires camouflées – la Commission a aussi conclu qu’elle avait pleine compétence pour trancher la question du licenciement – la Commission a conclu que le licenciement, étant fondé sur un faux prétexte, n’était pas justifié – finalement, la Commission a conclu qu’il n’avait pas été démontré que le fonctionnaire souffrait d’une déficience ni que l’administrateur général avait fait preuve de discrimination à cet égard.Quatre griefs accueillis.Un grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 2016-02-22
  • Dossier: 566-02-9770 à 9772, 10102 et 10375
  • Référence: 2016 CRTEFP 16

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

DAVID FÉTHIÈRE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (Gendarmerie royale du Canada)

Défendeur

Répertorié
Féthière c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Goretti Fukamusenge, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Léa Bou Karam, avocate
Affaire entendue à Montréal, (Québec),
du 29 septembre au 2 octobre 2015.

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1        Le 28 août 2014, le fonctionnaire s’estimant lésé, David Féthière (le « fonctionnaire »), a été licencié de son emploi à la Gendarmerie royale du Canada (« GRC » ou l’« employeur ») après la révocation, le 20 juin 2014, de sa cote de fiabilité de la GRC (« CFG »), une condition essentielle d’emploi. Le fonctionnaire n’est pas un membre de la GRC, il en est un employé civil.

2        Plusieurs griefs relatifs aux événements entourant le licenciement ont été présentés entre le 25 septembre 2012 et le 9 septembre 2014 et renvoyés à l’arbitrage par le fonctionnaire : dossier 566-02-10375 (grief contre le licenciement); 566-02-10102 (grief contre la révocation de la cote de fiabilité); 566-02-9770 (grief contre la suspension de fonctions); 566-02-9771 (grief contre la suspension de la cote de fiabilité) 566-02-9772 (grief alléguant discrimination aux termes de la convention collective).

3        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 393 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) ( « LRTFP ») avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013.

4        Les parties conviennent qu’un événement déclencheur est à l’origine du litige. L’employeur soutient qu’à la suite de cet évènement, l’enquête de sécurité a mené à la suspension, puis à la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire, soit des mesures purement administratives. Le fonctionnaire soutient qu’au contraire, il a été doublement discipliné pour cet événement, et que les mesures prises devraient être vues comme des mesures disciplinaires déguisées.

5        L’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission pour ce qui est de la suspension et de la révocation de la cote de fiabilité ainsi que pour la suspension de fonctions, parce que la LRTFP ne donnerait pas compétence à la Commission sur ces questions. Quant à la compétence de la Commission relativement au licenciement, elle serait nécessairement limitée : la détention d’une cote de fiabilité valable est une condition d’emploi essentielle dans la fonction publique. La perte de la cote de fiabilité entraîne nécessairement la perte de l’emploi. Il s’agit d’un mécanisme purement administratif, où l’inconduite de l’employé n’est tout simplement pas un facteur dans la décision. La décision de licenciement étant motivée par la révocation de la cote de fiabilité; l’analyse s’arrêterait là. Le fonctionnaire est d’avis qu’au contraire, la Commission aurait compétence, puisque toutes les actions de l’employeur seraient disciplinaires.

6        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la suspension de fonctions et le licenciement étaient effectivement des mesures disciplinaires déguisées, et que la suspension et la révocation de la cote de fiabilité constituaient un camouflage des véritables intentions de l’employeur, et qu’elles étaient également des mesures disciplinaires. Je rejette le grief de discrimination parce que sans fondement.

II. Résumé de la preuve

7        Bien que l’employeur soutienne que les mesures prises contre le fonctionnaire étaient administratives et que, par conséquent, le fardeau de la preuve revient au fonctionnaire, il a accepté de procéder en premier, convenant qu’il a à sa disposition beaucoup plus d’information sur les motifs de la suspension et de la révocation de la cote de fiabilité.

8        Le premier témoin est Jacques Rainville. Au moment des incidents qui entourent la suspension de fonctions et le licenciement du fonctionnaire, il était Sergent-Major de la GRC, responsable de l’unité d’enquête pour le Centre opérationnel de lutte contre le télémarketing (le « COLT »).

9        Le fonctionnaire occupait un poste de commis, classifié CR-04, dans cette unité. M. Rainville n’était pas le superviseur immédiat du fonctionnaire, mais le dirigeant de l’unité. Son bureau se trouvait à proximité des différents cubicules où travaillaient les employés de l’unité, dont le fonctionnaire. Il aurait donc eu l’occasion de le croiser et de le saluer à maintes reprises.

10         Une vingtaine d’agents de la GRC travaillaient sous les ordres de M. Rainville aux enquêtes sur le télémarketing frauduleux. Ces agents travaillaient directement avec le fonctionnaire, dont les fonctions étaient d’offrir un soutien administratif aux opérations.

11         M.Rainville témoigne au sujet d’une section du Manuel des employés de la fonction publique qui travaillent à la GRC, chapitre 2.3, Conduite, section 1.1, qui se lit comme suit :

1.1. Les employés de la fonction publique doivent se conduire de façon à respecter les règles établies propres à leur lieu de travail et maintenir les normes les plus élevées dans tous les domaines liés à la conduite, qui sont compatibles avec l’emploi dans la GRC.

12         M. Rainville explique qu’on attend des employés qu’ils respectent les valeurs de la GRC, ce qui comprend le respect des lois, qu’ils fassent preuve d’éthique et d’intégrité, et qu’ils évitent de ternir l’image de la GRC aux yeux de la collectivité.

13         L’employeur présente à M. Rainville une description des tâches du fonctionnaire, ce à quoi le fonctionnaire s’oppose au motif que M. Rainville ne le supervisait pas directement. M. Rainville a d’ailleurs dit qu’il voyait cette description des tâches pour la première fois.

14         J’ai accepté l’objection, mais j’ai tout de même permis à M. Rainville d’énumérer les bases de données auxquelles le fonctionnaire avait accès en raison de son travail, ces outils étant essentiels au travail de l’unité dirigée par M. Rainville.

15         Les bases de données sont les suivantes :

· SRRJ : Système de rapports et renseignements judiciaires

· RSO : Rapport sur les statistiques des opérations

· BNDC : Banque nationale de données criminelles

· CIPC : Centre d’information de la police canadienne (données sur les personnes criminalisées au Canada)

· SIRP : Système des incidents et rapports policiers

16         À la question de savoir quelles ont été ses interactions avec le fonctionnaire, M. Rainville répond qu’il a pu à l’occasion lui donner des tâches, qu’ils n’ont jamais eu le moindre conflit au travail, et qu’il n’a jamais vu le fonctionnaire intoxiqué en milieu de travail. Il sait par ailleurs que le fonctionnaire a eu des problèmes de dos.

17         Le 7 juillet 2012, M. Rainville tient chez lui une grande fête à laquelle il convie tous les employés de son unité, des collègues de la GRC, des membres d’autres corps policiers (comme la Sûreté du Québec et la police de Montréal). La fête a lieu au bord d’un lac, et M. Rainville prend soin d’inviter ses voisins également, par amitié et pour éviter qu’ils se plaignent du bruit. Les gens sont invités à partir de midi, et la fête prendra fin vers minuit, du moins sa dimension bruyante, afin de respecter les règlements de l’endroit.

18         Le fonctionnaire arrive en début d’après-midi. Après un certain temps, il a déjà trop bu. Il demande à M. Rainville s’il peut fumer un joint. M. Rainville lui répond par un non catégorique – en tant qu’officier de la GRC, il ne va quand même pas permettre un geste illégal, en présence d’un grand nombre de policiers, devant ses voisins, qui tous connaissent sa profession.

19         Le fonctionnaire retourne à sa voiture. Une policière rapporte à M. Rainville que le fonctionnaire lui a offert de fumer un joint, qu’elle a refusé. Une autre policière, Julie Lachance, lui dit qu’elle a croisé le fonctionnaire par la suite, accompagné de l’odeur indéniable de la marijuana.

20         M. Rainville demande à Mme Lachance et à une autre policière, France Panneton, d’agir, ce qu’elles font. On retire au fonctionnaire ses clés d’auto, on lui demande de remettre ce qui lui reste de marijuana, ce qu’il fait de bon gré. M. Rainville explique que les policiers décideront le lendemain de détruire la marijuana, une sorte de tolérance qu’on appelle une destruction locale (« no-case seizure »). En réponse à ma question sur cette décision, M. Rainville répond que les policiers agissent ainsi selon les circonstances – ici, la quantité minime de drogue saisie justifiait l’action.

21         Le fonctionnaire dort dans son auto, et finit la nuit sur un sofa dans le salon de M. Rainville. Le lendemain matin, M. Rainville constate que le fonctionnaire est en état de conduire; il remet ses clés au fonctionnaire, qui rentre chez lui.

22         Le lundi suivant, M. Rainville fait un rapport d’incident, la pratique usuelle lorsque quelque chose hors norme se produit. Ce rapport va déclencher deux démarches distinctes : une enquête pour allégation d’inconduite, qui pourrait mener à des mesures disciplinaires, et une enquête de sécurité pour déterminer si le fonctionnaire devrait garder sa cote de fiabilité.

23         Le 10 juillet 2012, le fonctionnaire demande à rencontrer M. Rainville pour discuter de l’incident. Le fonctionnaire s’excuse, mais tente de minimiser l’affaire, notamment en mentionnant que la marijuana est sur le point d’être légalisée. Il avait toujours cru qu’une quantité minime de marijuana était déjà légale.

24         M. Rainville lui répond que la marijuana n’est toujours pas légale, et que le fait d’en consommer met en péril l’image de la GRC. Il souligne l’impact négatif à la fois pour la GRC et pour M. Rainville comme hôte. Vers le 14 ou le 15 août, le fonctionnaire part en congé de maladie (selon le témoignage de M. Rainville, un des rapports indique le 20 août; cette différence n’est pas significative).

25         Le deuxième témoin est Maryse Quesnel. En 2012, elle était gestionnaire de risques pour la sécurité ministérielle dans la Région du Centre (division administrative de la GRC pour l’Ontario et le Québec). Mme Quesnel est agente de la GRC depuis 20 ans. Son rôle en tant que gestionnaire de risques est d’évaluer le risque que pose un postulant ou un employé pour les biens, les employés ou les renseignements de la GRC.

26         Mme Quesnel a expliqué que lorsqu’un rapport d’incident est déposé, la GRC mène un « examen pour motif valable » pour réévaluer l’attribution de la cote de fiabilité. Le cadre de l’examen est donné par le Manuel de la sécurité de la GRC (le « Manuel »).

27         Dans la partie 1.1 du Manuel, on parle du fait que la cote de fiabilité est exigée pour toute personne dont les tâches nécessitent l’accès à des renseignements protégés. Le niveau « Protégé B » comprend des renseignements sur le crime organisé, sur les opérations policières, etc. Les renseignements qui figurent dans les bases de données énumérées au paragraphe 16 contiennent notamment des renseignements de niveau « Protégé B ».

28         Le chapitre 1.10 du Manuel traite de l’examen pour un motif valable, c’est-à-dire le réexamen de l’attribution d’une cote de fiabilité. On y indique que l’examen pour un motif valable a lieu « afin de clarifier tout nouveau renseignement qui pourrait nuire à l’aptitude de la personne à détenir […] une cote de fiabilité de la GRC (CFG) […] ». On précise que dans l’évaluation de la fiabilité, il faut tenir compte des facteurs énoncés à l’annexe 1-10-1 du Manuel. Ces facteurs, explique Mme Quesnel, servent à évaluer la vulnérabilité d’un employé – plus un employé est vulnérable, plus il est susceptible d’être approché par des criminels pour divulguer des renseignements détenus par la GRC.

29         Les facteurs suivants figurent à l’annexe 1-10-1 du Manuel (je retiens ceux qui ont été soulevés à l’égard du fonctionnaire) :

2.1 est solitaire, se tient constamment à part des autres employés et ne semble pas avoir d’amis;

2.3malhonnêteté systématique, tant de vive voix que par écrit;

2.5. est lourdement endetté ou a d’autres difficultés financières;

2.6 entretient des désirs ou des espoirs excessifs, veut être trop bien nanti en très peu de temps ou a des espérances se situant très au-delà de ses capacités;

2.8 abus d’alcool qui nuit au discernement ou à l’intégrité;

2.12 problèmes personnels qui semblent être la cause de grande tension chez l’employé;

2.18 fréquente des criminels ou des personnes suspectes d’une façon qui n’a rien à voir avec les fonctions policières;

2.19 allégations ou aveux concernant des activités criminelles, indépendamment des accusations formelles.

30         Pour mener un « examen pour motif valable », on peut utiliser comme outil l’entrevue de sécurité ou de fiabilité qui figure au formulaire 1020. Le formulaire est utilisé au moment de l’embauche pour déterminer s’il convient d’attribuer une cote de fiabilité. S’il est utilisé par la suite, dans le cadre de l’examen pour motif valable, seules les questions pertinentes seront posées, et non l’ensemble des 88 questions. Le formulaire est utilisé également quand l’employé revient au travail après une absence d’un an, quel que soit le motif de l’absence.

31         Le 9 juillet 2012, Mme Quesnel est informée du rapport d’incident déposé par M. Rainville. Il s’agit de la première fois qu’elle entend parler du fonctionnaire. Le mandat de Mme Quesnel consistait à évaluer le risque posé par l’incident et la situation du fonctionnaire, plus précisément s’il y avait un risque pour la GRC et si la cote de fiabilité devait être maintenue.

32         Pour entamer sa démarche, Mme Quesnel demande un rapport de crédit, et consulte le dossier de sécurité, qui comprend le formulaire 1020 rempli au moment de l’embauche du fonctionnaire en 2008. Elle constate, à la lecture du dossier, que le fonctionnaire a consommé de la marijuana dans le passé. Le dossier comprend également un rapport de crédit qui fait état de dettes existantes.

33         Le 8 août 2012, Mme Quesnel rencontre le fonctionnaire en présence de deux représentantes syndicales. Il s’agit essentiellement de reprendre certaines questions du formulaire 1020, notamment eu égard à la consommation de drogues illicites et à l’endettement.

34         Au cours de l’entrevue, le fonctionnaire déclare à Mme Quesnel que pour lui, sa vie personnelle et sa vie professionnelle sont deux mondes séparés. En soi, cela est un risque, de l’avis de Mme Quesnel : un employé de la GRC doit comprendre qu’il est tenu de respecter les lois canadiennes en tout temps.

35         À la question sur les dettes, le fonctionnaire répond qu’il n’en a plus. En février 2012, alors qu’il était en arrêt de travail pour des raisons de santé, il a fait une proposition de consommateur (sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, (L.R.C. (1985), ch. B-3). Depuis, sa dette consolidée est réglée par versements mensuels. Il fait état des paiements sur sa voiture et de son loyer.

36         À la question sur la consommation de drogues illicites, le fonctionnaire répond qu’il consomme du « pot », et ce, plus régulièrement depuis août 2011 quand il est parti en arrêt de travail. Il en prend pour calmer ses douleurs au dos, sur le conseil de ses amis qui lui fournissent la drogue gratuitement. Il ajoute qu’il a essentiellement arrêté depuis le 7 juillet 2012, mais qu’il ne refuserait pas d’en prendre quelques bouffées si un joint circulait entre amis.

37         Pour ce qui est de l’alcool, le fonctionnaire reconnaît qu’il a un problème. En fait, il se promet d’aller consulter les AA le lundi suivant. Il veut apprendre à contrôler sa consommation. Il n’a pas fait de bêtise sous l’effet de l’alcool, sauf celle du 7 juillet 2012, mais il se réveille 2 ou 3 fois par mois avec une gueule de bois.

38         Le formulaire d’entrevue se termine sur le commentaire suivant de Mme Quesnel :

Suite à l’entrevue, j’ai eu une discussion avec Féthière concernant l’illégalité de la marijuana. Il ne semble pas voir où est le problème, puisqu’il ne consomme pas pendant l’ouvrage et que ça n’affecte pas sa performance. Il ne voit pas le risque pour la Force. Je lui ai mentionné que si ses amis mentionnent au dealer lors de l’achat qu’un employé de la GRC la consomme, que non seulement ça reflèterait mal sur la GRC mais aussi que ça ouvrirait peut-être une porte pour du chantage ou pot-de-vin. Féthière ne semble pas voir la connection.

39         Mme Quesnel conclut de son entrevue avec le fonctionnaire que des facteurs de risque existent dans le dossier : la situation financière assez précaire, la consommation d’alcool, la consommation de drogues illicites. Tous ces faits rendent le fonctionnaire vulnérable, ce qui crée un risque pour la GRC. Elle ajoute que le fonctionnaire ne semble pas prendre la situation au sérieux. À la suite de l’entrevue, la section de la sécurité ministérielle de la Région du centre recommande la suspension de la cote de fiabilité du fonctionnaire. La recommandation est signée par Mme Quesnel et par Michel Bastien, le commandant par intérim de la section. La justification de la recommandation est la suivante :

[TRADUCTION]

FETHIERE avoue consommer de la marijuana de 4 à 6 fois par mois. Cette consommation est décrite comme « usage régulier » dans la politique de recrutement AM 23.10.2.1.5 FETHIERE consomme de la marijuana de temps en temps depuis nombre d’années […]. Il en a consommé le 2012-07-07 à une fête tenue par un membre de la GRC, et encore il y a moins d’une semaine, et il en accepterait quelques bouffées si on lui offrait maintenant. La consommation régulière de drogues par FETHIERE, et ses commentaires à l’effet « qu’il ne voit pas le problème parce que c’est presque légalisé » démontrent un manque de respect pour les autres employés et les lois en vigueur au Canada. Selon le Manuel de sécurité, section 1.5.1.2, une CFG repose sur l’honnêteté, la loyauté, la fiabilité et l’intégrité d’une personne. La loyauté et l’intégrité de FETHIERE sont en doute.

40         Je note que la politique de recrutement AM 23.10.2.1.5 s’applique aux membres de la GRC, et non aux employés civils comme M. Féthière.

41         Le 24 août 2012, le fonctionnaire reçoit une lettre qui l’informe que sa cote de fiabilité est suspendue et que, par conséquent, l’accès sans escorte sur les lieux de travail lui est interdit. Compte tenu de la suspension de sa cote de fiabilité, il est également suspendu de ses fonctions, selon la lettre qui lui est adressée le 28 août 2012. Au moment où il reçoit ces lettres, le fonctionnaire est en congé de maladie.

42         En octobre 2013, Mme Quesnel est avisée d’un courriel du fonctionnaire qui manifeste son intention de revenir au travail. Il propose, sur les conseils de son médecin, un retour au travail en date du 4 novembre 2013.

43         Mme Quesnel est un peu surprise de constater que le fonctionnaire ne semble pas avoir compris que la suspension de sa cote de fiabilité constitue un obstacle à son retour au travail.

44         Encore une fois, il faut faire enquête sur la fiabilité du fonctionnaire, et ce, pour deux raisons : une absence de plus d’un an, et la réévaluation du dossier pour voir si le risque (qui a mené à la suspension de la cote de fiabilité) a changé. Jacques Morin, un employé civil temporaire et ancien agent de la GRC, fait l’entrevue, Mme Quesnel n’étant pas disponible.

45         L’entrevue de sécurité a lieu le 4 novembre 2013. Les notes de M. Morin sont beaucoup moins claires que celles que Mme Quesnel avaient consignées au même formulaire d’entrevue. M. Morin n’a pas témoigné. Mme Quesnel indique avoir lu le rapport et écouté l’enregistrement de l’entrevue.

46         De nouveaux faits ressortent de l’entrevue du 4 novembre 2013, notamment au sujet de la consommation de drogues. En 2008, le fonctionnaire, questionné sur la consommation de drogues illicites, ne parlait que de marijuana et de son usage occasionnel. En 2013, il dit avoir tout essayé, sauf l’héroïne, quand il était jeune.

47         Le fonctionnaire déclare au cours de l’entrevue du 4 novembre 2013 qu’il a consommé de la marijuana depuis la suspension de sa cote de fiabilité, mais de moins en moins. Il évite maintenant d’aller chez un des membres de sa famille, et se tient à l’écart de ses amis. Sa consommation d’alcool a beaucoup diminué; il reçoit une aide psychologique depuis plusieurs mois.

48         Mme Quesnel demande un autre rapport de crédit. Selon le rapport, malgré l’arrêt de travail et le très faible revenu du fonctionnaire, sa situation financière s’est améliorée : il continue de payer selon les termes de sa proposition de consommateur et il paie ses comptes. Il a toutefois accumulé un certain montant en billets de stationnement.

49         Mme Quesnel explique qu’une des données du rapport de crédit indique le rapport entre la dette et le crédit, sous forme de pourcentage. Plus le chiffre est élevé, pire est la situation de crédit. En 2012, le pourcentage était de 89 %; en 2013, il est de 67 % - un constat objectif de l’amélioration de la situation financière du fonctionnaire.

50         Après avoir pris connaissance de l’entrevue menée par M. Morin, Mme Quesnel communique par téléphone avec le fonctionnaire pour obtenir certaines précisions. Elle note que le fonctionnaire a continué de consommer de la marijuana après l’entrevue de sécurité du 8 août 2012 où elle l’avait pourtant averti des dangers auxquels il s’exposait. Le fonctionnaire admet avoir fumé de la marijuana à quelques reprises depuis août 2012. Voici un extrait du rapport de Mme Quesnel, daté du 13 décembre 2013, qui recommande la révocation de la cote de fiabilité :

Lorsque la serg. Quesnel lui a dit être déçue qu’il en a repris depuis leur rencontre d’août 2012, FETHIERE répond « on n’arrête pas comme ça » (d’en consommer).

51         Dans ce rapport, Mme Quesnel fournit la justification suivante pour sa recommandation de révocation de la cote de fiabilité :

FETHIERE a eu sa cote de fiabilité de la GRC suspendue en 2012 suite à sa consommation de drogue illégale. Bien qu’il a fait des changements pour le mieux (quitter de chez [un membre de sa famille]; réduire sa consommation d’alcool) et qu’il a fait des démarches pour chercher de l’aide (centre de désintoxication à l’automne 2012 et psychothérapie, malgré commencée plus d’un an après la suspension), il reste néanmoins qu’il a consommé de la marijuana suite à sa suspension de cote, qui fut la raison même de la suspension. Consommer de la marijuana est illégale et continuer de le faire après avoir reçu une suspension de cote démontre une insouciance et un manque de respect envers la GRC, le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique ainsi que la loi canadienne.

FETHIERE ne semblait pas prendre la situation au sérieux lors de son entrevue en 2012 et il semble qu’il ne la prenne toujours pas au sérieux maintenant. Les réponses de FETHIERE concernant sa consommation de drogue illégale lors de son entrevue de sécurité de 2008, lors de enquêtes administrative/pour motif valable de 2012, et lors de son entrevue et conversation téléphonique avec la serg. Quesnel à l’automne 2013 sont contradictoires. Sa nonchalance, ses problèmes financiers et ses accès à diverses banques de données peuvent le rendre susceptible aux pots-de-vin et à la coercition et le rendent conséquemment un risque à la GRC.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

52         Dans son témoignage, Mme Quesnel indique les facteurs (de l’annexe 1-10-1 du Manuel, vus plus haut) dont elle a tenu compte dans son évaluation :

2.1 est solitaire, se tient constamment à part des autres employés et ne semble pas avoir d’amis : dans son entrevue de 2013, le fonctionnaire a indiqué que désormais, il évite de fréquenter ses amis, il préfère rester seul dans sa chambre.

2.3malhonnêteté systématique, tant de vive voix que par écrit : ses réponses quant à sa consommation de drogues illégales varient d’une entrevue à l’autre.

2.5. est lourdement endetté ou a d’autres difficultés financières : il est lourdement endetté.

2.6 entretient des désirs ou des espoirs excessifs, veut être trop bien nanti en très peu de temps ou a des espérances se situant très au-delà de ses capacités : il n’est pas très réaliste quant à sa situation financière, il semble penser que tout se règlera facilement.

2.8 abus d’alcool qui nuit au discernement ou à l’intégrité : l’abus d’alcool a certainement nui à son discernement.

2.12 problèmes personnels qui semblent être la cause de grande tension chez l’employé : le fonctionnaire a fait allusion à des problèmes de dépression.

2.18 fréquente des criminels ou des personnes suspectes d’une façon qui n’a rien à voir avec les fonctions policières : les personnes qui lui procurent de la marijuana, même gratuitement, font du trafic; ce sont donc des criminels. Un membre de sa famille, qui consomme aussi, est aussi criminel.

2.19 allégations ou aveux concernant des activités criminelles, indépendamment des accusations formelles : le fonctionnaire a avoué avoir acheté de la marijuana à quelques reprises; la consommation de la marijuana est une activité criminelle.

53         On voit donc, aux dires de Mme Quesnel, que plusieurs facteurs de l’annexe 1-10 du Manuel sont présents. À la question « Y a-t-il d’autres facteurs? » elle répond que c’est surtout la malhonnêteté, illustrée par les différentes réponses sur la consommation, le mauvais jugement dont le fonctionnaire a fait preuve et l’abus d’alcool au point de ne pas se souvenir avoir offert à une policière de fumer un joint : tout ça, mis ensemble. En fait, elle a tenu compte dans son évaluation non seulement des facteurs, mais aussi des risques pour la GRC, pour ses biens, ses employés et ses installations.

54         Le rôle de Mme Quesnel dans le cadre de l’enquête de sécurité de 2013 à l’égard du fonctionnaire a pris fin avec le rapport du 13 décembre 2013. Le rapport est envoyé à l’agent de sécurité ministérielle pour analyse ultérieure. L’agent de sécurité ministérielle à l’époque est Michel Aubin, le prochain témoin. Notons qu’à la suite de l’évènement du 7 juillet 2012, une « enquête administrative pour allégation d’inconduite » (enquête disciplinaire) a eu lieu; le rapport est daté du 30 juillet 2012. Le 4 novembre 2013, le fonctionnaire se présente au travail pour l’entrevue de sécurité avec M. Morin. L’employeur lui remet une lettre qui fait état d’une suspension disciplinaire de 10 jours sans solde pour sanctionner la consommation de marijuana du 7 juillet 2012, sanction qui « débutera à la date de votre retour au travail qui sera déterminée à la fin du processus de sécurité ».

55         La lettre de suspension disciplinaire de 10 jours sans solde précise l’inconduite sanctionnée :

La présente fait suite aux conclusions de l’enquête relative aux évènements du 7 juillet 2012 lors desquels vous auriez consommé ou été en possession de marijuana, contrairement à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Notre enquête révèle que le 7 juillet 2012, […] lors d’un évènement relié au travail, vous avez été en possession et avez consommé de la marijuana. Nous concluons que vous avez agi ainsi de façon délibérée et qu’il s’agit, en l’occurrence, d’une inconduite grave. Ce genre de comportement est inacceptable et nous ne le tolèrerons pas. Nous vous invitons à réfléchir aux conséquences pour vos collègues et l’organisation.

56         Dans la même lettre de suspension disciplinaire, l’employeur ajoute ce qui suit :

Nous faisons appel à votre sens des responsabilités pour que ce type de situation ne se reproduise plus. Toute récidive ne sera tolérée et pourra entraîner des mesures disciplinaires plus sévères pouvant aller jusqu’au congédiement.

57         M. Aubin est le directeur général de la sécurité ministérielle à la GRC ou agent de sécurité du Ministère. À ce titre, il a une délégation du Commissaire de la GRC pour suspendre ou révoquer les cotes de fiabilité. Il témoigne au sujet du processus de décision qui a mené à la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire.

58         M. Aubin est un agent de la GRC depuis 33 ans. Il a connu une carrière variée. Il a été agent en uniforme, agent dans le domaine des drogues et stupéfiants et agent d’infiltration. Il a travaillé pendant 4 ans dans des dossiers internationaux de trafic de drogues, en collaboration avec la U.S. Drug Enforcement Administration. Il est reconnu comme témoin expert par les tribunaux ontariens en matière de trafic de stupéfiants et de blanchiment de fonds. Il a également travaillé sur des dossiers touchant le crime organisé.

59         M. Aubin témoigne de l’importance de la cote de fiabilité pour les employés de la GRC. La cote de fiabilité est condition essentielle pour n’importe quel emploi dans la fonction publique, mais elle revêt un caractère particulièrement important pour la GRC, qui détient bon nombre de banques de données contenant des renseignements policiers non seulement de la GRC mais aussi des différents services de police du Canada.

60         Une des menaces qui pèsent sur la GRC est celle du crime organisé qui cherche sans cesse à avoir accès aux renseignements de la GRC. Pour parer à ce risque, la GRC prend des mesures de précaution, dont la cote de fiabilité.

61         M. Aubin témoigne du phénomène du « petit crochet » (« little hook »), c’est-à-dire la technique utilisée par les criminels pour se rapprocher d’un employé de la GRC en « l’accrochant » par une de ses faiblesses – le sexe (services de prostitution), le jeu (prêts usuraires), la consommation de drogues (fourniture de drogues), etc.

62         M. Aubin parle ensuite du processus d’enquête de sécurité. Une fois le rapport d’enquête reçu, il est revu par le bureau de gestion des risques, à Ottawa. Des membres de la GRC ainsi qu’un comité aviseur, composé de cadres supérieurs de la GRC, révisent le rapport. Ceux-ci font une recommandation, qui ne lie pas l’agent de sécurité du Ministère; ultimement, ce dernier est seul responsable de la décision concernant la cote de fiabilité.

63         Avant d’ordonner la révocation de la cote de fiabilité, l’agent de sécurité du Ministère envoie un préavis à l’intéressé pour lui permettre de présenter toute information qu’il estime pertinente. Le 29 mai 2014, M. Aubin, après révision du dossier et recommandation du comité aviseur, a envoyé une lettre de préavis au fonctionnaire pour l’informer qu’il envisageait la révocation de sa cote de fiabilité. Le fonctionnaire n’a pas répondu à cette lettre.

64         Le 20 juin 2014, M. Aubin signe la lettre adressée au fonctionnaire indiquant que sa cote de fiabilité a été révoquée :

[] les causes fondamentales qui ont conduit à la suspension de votre cote de fiabilité de la GRC (CFG) demeurent toujours et posent un risque de niveau inacceptable à la sécurité des opérations, de l’information, des biens et du personnel de la GRC.

L’obtention et le maintien d’une CFG reposent sur les piliers de l’honnêteté, la loyauté, la fiabilité et l’intégrité.

65         M. Aubin témoigne qu’il a tenu compte de tous les éléments du dossier de sécurité du fonctionnaire. Ce dossier ne comprenait pas d’information sur l’enquête disciplinaire. Ce sont deux processus bien distincts; la GRC tient à assurer l’étanchéité entre les deux processus. De part et d’autre, on est conscient de l’autre enquête, sans plus. M. Aubin explique qu’il s’agit d’assurer l’intégrité des deux enquêtes. (En fait, le jour suivant, M. Aubin me dit qu’il a révisé le dossier de sécurité suite à une question que j’ai posée sur les griefs. Outre des documents sur les griefs, le dossier comprend également le rapport de l’enquête disciplinaire. Toutefois, selon lui, ce rapport n’a pas vraiment eu d’incidence sur sa décision).

66         M. Aubin explique les six motifs qui l’ont poussé à révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire.

67         Le premier motif, la consommation de drogue. La cote de fiabilité signifie qu’on pourra faire confiance à l’employé et que l’information à laquelle ce dernier aura accès sera protégée.

68         Le fonctionnaire a indiqué en 2008 qu’il avait consommé de la drogue, mais qu’il n’en consommerait plus. Or, en juillet 2012, on découvre qu’il consomme encore. Pire encore, il a continué de consommer de la drogue même après l’incident de juillet 2012.

69         Le deuxième motif a trait à l’insouciance du fonctionnaire. Selon M. Aubin, il s’agit en fait du problème le plus grave. Le fonctionnaire savait en 2008 qu’il ne devait pas consommer de drogue ni s’associer avec des trafiquants, pourtant, il a continué de le faire. Le fait qu’il a consommé de la drogue sur le terrain privé d’un membre de la GRC, qu’il a continué d’en consommer et qu’il dise que c’est presque légalisé, démontre vraiment de l’insouciance. Après tout, la mission de la GRC est d’appliquer les lois du Canada et donc, dit M. Aubin, cette insouciance « me perturbait ». À titre d’exemple supplémentaire. M. Aubin ajoutera le fait que le fonctionnaire n’a pas répondu à la lettre du 29 mai 2014, qui lui offrait la chance de présenter son point de vue sur la révocation de la cote de fiabilité.

70         Le fonctionnaire semblait prendre à la légère le risque d’être associé à des personnes qui correspondent à la définition de trafiquants. Sa consommation ne s’est pas améliorée après juillet 2012, autre signe d’insouciance.

71         Le troisième motif est justement les liens du fonctionnaire avec des personnes qui lui procurent de la marijuana, peu importe qu’il paie ou ne paie pas pour la marchandise. De son propre aveu, son monde personnel est complètement séparé de son monde professionnel. Or, un employé de la GRC doit faire attention à son choix d’amis. En disant que ses deux mondes sont séparés, il ne fait pas le lien avec les risques.

72         Le quatrième motif concerne la situation financière du fonctionnaire, c’est-à-dire sa capacité de rencontrer ses obligations financières. En soi, ce ne serait pas fatal. Mais ici, son attitude illustre encore une fois sa façon de prendre les choses à la légère.

73         Le cinquième motif est le fait que le travail du fonctionnaire comprend l’accès aux banques de données de la GRC. Il travaille dans l’unité COLT et il a accès à des renseignements « Protégé B ». Il a accès à des renseignements sur les enquêtes et sur le mouvement des agents de la GRC. La fuite de renseignements leur causerait un préjudice.

74         M. Aubin nous a annoncé six motifs et l’avocate de l’employeur lui rappelle le sixième, soit l’honnêteté, ce à quoi M. Aubin répond : « Oui, effectivement, dans les deux sens ». Dans les réponses du fonctionnaire aux questions (sur la consommation de drogues), dans sa façon évasive de répondre aux questions lors de l’enquête sur les évènements de juillet 2012 et dans ses incohérences.

75         L’emploi à la GRC n’est pas un emploi qui convient au fonctionnaire, lequel présente pour l’organisation un risque que M. Aubin ne pouvait tolérer.

76         En outre, compte tenu de ce que représente la GRC, soit le respect et l’application des lois, il est permis de douter de la loyauté du fonctionnaire à l’égard de l’organisation et de ses collègues de travail.

77         À ma question sur sa connaissance des procédures de griefs qui étaient en cours, M. Aubin répond qu’il n’était pas au courant. Il se reprend le lendemain matin et dit qu’il a été informé de l’existence des griefs, mais qu’il s’agissait d’un processus distinct qui n’avait aucune incidence sur son évaluation de la fiabilité du fonctionnaire.

78         En contre-interrogatoire, M. Aubin insiste sur le caractère distinct de l’enquête de sécurité par rapport à l’enquête disciplinaire. L’objet de l’enquête de sécurité est de protéger la GRC contre les risques; en l’espèce, même en l’absence de preuves de fuite ou d’accès non-autorisé aux renseignements, le risque est inacceptable parce que le fonctionnaire est exposé à l’exploitation.

79         M. Aubin précise que la corruption est possible quand un employé est vulnérable. Il a vu des situations semblables à celles du fonctionnaire, qui commencent toujours par un écart, un comportement inacceptable.

80         M. Aubin a bien envisagé la possibilité d’un autre poste pour le fonctionnaire mais, à la GRC, la cote de fiabilité est essentielle partout en raison de la proximité des agents de la GRC, des échanges verbaux sur les opérations et de l’accès aux renseignements sensibles. La révocation n’a pas été faite de gaieté de cœur.

81         La représentante du fonctionnaire interroge M. Aubin sur la raison pour laquelle, si le comportement du fonctionnaire est criminel, il n’y a pas eu de poursuite criminelle. M. Aubin répond que d’autres ont pris cette décision. Il ajoute toutefois que cela n’a rien à voir avec les craintes suscitées par le risque; le fait est que le fonctionnaire ne réunit pas les éléments nécessaires pour maintenir sa cote de fiabilité.

82         Le dernier témoin de l’employeur est Gaétan Courchesne, Surintendant principal. Il est l’officier responsable des enquêtes criminelles de la GRC, le département au sein duquel se trouve le COLT. M. Courchesne a signé la lettre de suspension de fonctions et la lettre de recommandation de licenciement du fonctionnaire, à titre de Commandant par intérim de la Division « C »; seul le Commissaire de la GRC est habilité à signer la lettre de licenciement. Selon son témoignage, une fois franchie l’étape de la suspension ou de la révocation de la cote de fiabilité, la suspension de fonctions ou le licenciement, respectivement, sont automatiques. Il n’y a aucune étude du dossier de sécurité ni du dossier disciplinaire.

83         Finalement, le 28 août 2014, le fonctionnaire est licencié. La lettre de licenciement indique qu’ayant perdu sa cote de fiabilité, le fonctionnaire ne rencontre plus une exigence essentielle de son poste, qu’il est donc licencié pour motif valable au sens de l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11) (« LGFP »).

84         La lettre de recommandation de licenciement, signée par M. Courchesne, se lit comme suit :

Monsieur David Féthière est un employé de la fonction publique rattaché à la section des Délits commerciaux de la Division C.

Une enquête a été menée, révélant que le 7 juillet 2012, […] lors d’un événement relié au travail, l’employé a été en possession et a consommé de la marijuana. Les résultats de cette enquête ont ensuite été transmis à la sous-direction de la Sécurité ministérielle à Ottawa, pour fins de révision et de décision. Subséquemment, la cote de fiabilité de monsieur Féthière a été suspendue le 24 août 2012, puis révoquée de façon permanente le 20 juin 2014.

De ce fait, Monsieur Féthière ne rencontre plus les normes sécuritaires exigées par la Gendarmerie royale du Canada lors de l’embauche, soit la conservation d’une cote de fiabilité pendant la période d’emploi. Ainsi, il nous est impossible de considérer l’employé pour d’autres positions dans l’organisation.

Conséquemment, je recommande le licenciement de Monsieur David Féthière pour des raisons autres qu’un manquement à a discipline ou une inconduite. À cet effet, vous trouverez ci-après toute la documentation pertinente supportant le licenciement de Monsieur Féthière. […]

85         Le fonctionnaire a témoigné pour lui-même.

86         Il travaille maintenant chez Manuvie, depuis le 8 septembre 2015, comme spécialiste de soutien.

87         Auparavant, il était adjoint administratif à la GRC, à la section des délits commerciaux, comme CR-4. Son travail consistait principalement à faire la transcription d’entrevues, à tenir les dossiers à jour, à entrer des données dans le SIRP (Système d’incidents et de rapports de police), et à faire du traitement de texte.

88         Il a été embauché à la GRC en 2008, comme commis-réceptionniste. Il est arrivé à l’unité des délits commerciaux en 2011. Il a été en arrêt de travail à cause de maux de dos, pour lesquels il a subi deux interventions chirurgicales. Il a été absent du travail d’août 2011 à avril 2012, puis à nouveau à partir d’août 2012, jusqu’à son licenciement en août 2014.

89         Interrogé sur les motifs de ses griefs contre la suspension de sa cote de fiabilité et la suspension de fonctions, le fonctionnaire dit qu’il voyait les diverses mesures comme des punitions, trop sévères. L’employeur n’a fait montre d’aucune compréhension.

90         Par ailleurs, le fonctionnaire a retiré le grief qu’il avait d’abord déposé contre la suspension disciplinaire de dix jours sans solde, comme l’indique son courriel daté du 6 janvier 2014. Selon lui, cette sanction était juste. Il espérait qu’avec la sanction le reste de ses problèmes seraient réglés, puisque tout semblait toujours tourner autour de l’évènement initial du 7 juillet 2012.

91         Pour expliquer son grief de discrimination, le fonctionnaire dit qu’il s’est senti traité « comme un torchon », comme si on le laissait tomber. Lorsque son avocate lui demande, « discrimination par rapport à quoi? », il répond « Tout l’ensemble de la situation ».

92         Le fonctionnaire a déposé le grief contre la révocation de sa cote de fiabilité parce qu’il s’agit d’une mesure trop sévère pour punir sa consommation de marijuana. Il comprend maintenant que c’est interdit, il a surtout compris qu’il fallait qu’il fasse des changements.

93         Le grief contre le licenciement était motivé par le fait que le fonctionnaire ne pouvait concevoir que pour une si petite consommation il perdait son emploi.

94         Le fonctionnaire consommait de la marijuana surtout en raison de ses maux de dos. Il n’a jamais obtenu une ordonnance médicale, parce qu’il n’a pas pensé la demander.

95         Le fonctionnaire dit ne pas se rappeler avoir vu la lettre du 29 mai 2014, de M. Aubin, qui lui offrait l’occasion de faire des observations avant qu’on procède à la révocation de sa cote de fiabilité. Il ajoute qu’il était en plein déménagement, et qu’il se peut qu’il ne l’ait pas vue.

96         J’interviens pour indiquer au fonctionnaire que la lettre du 29 mai 2014 a été signifiée en personne, et que sa signature apparaît sur le document de signification, datée du 3 juin 2014. Il répond qu’il n’a pas dit qu’il ne l’avait pas vue, simplement qu’il ne se rappelait pas l’avoir vue. Il a dit qu’il était alors dans tous ses états et qu’il avait peur d’avoir de mauvaises nouvelles.

97         Le fonctionnaire dépose en preuve des évaluations de rendement qui démontrent clairement que le fonctionnaire était un bon employé, bien disposé et bien apprécié de ses supérieurs et de ses collègues. Le ton des évaluations narratives est très positif.

98         Le fonctionnaire dépose aussi un document d’une psychologue traitante à titre de preuve, ce à quoi l’avocate de l’employeur s’oppose. J’accepte le document, tout comme le document du centre Dollard-Cormier du 8 février 2013, comme confirmation de la démarche du fonctionnaire visant à améliorer son état psychologique et à contrôler sa consommation d’alcool. Les documents n’établissent pas une dépendance quelconque au sens médical.

99         Interrogé sur son caractère « insouciant », le fonctionnaire répond qu’il n’est pas insouciant, que son problème d’alcool le rendait insouciant et qu’il se croyait tout permis lorsqu’il était en état d’ébriété. Maintenant, il a changé, il a compris, il a pris des mesures pour remédier à la situation. Il répète qu’il n’est pas insouciant. La preuve en est d’ailleurs qu’il est à son affaire quand il n’est pas en état d’ébriété.

100        Le fonctionnaire nie vigoureusement être malhonnête. Au contraire, il a dit être « véridique et direct ».

101        Le fonctionnaire confirme qu’effectivement, selon lui, ses deux mondes, privé et professionnel, sont complètement séparés. Il ne parle pas de sa vie privée au travail et vice-versa. Il n’a jamais tenté d’accéder à des données au travail qui n’étaient pas directement liées à son travail.

102        Le fonctionnaire dit être endetté parce qu’il a été trop dépensier, qu’il a exagéré sur le crédit. Il essayait quand même de payer ses comptes tous les mois et il appelait le créancier s’il ne pouvait payer. Il a fait en sorte de consolider ses dettes.

103        Au sujet de l’évènement du 7 juillet 2012, il reconnaît avoir manqué de jugement. Par ailleurs, il s’en souvient peu, parce qu’il était en état avancé d’ébriété. Il se rappelle que c’était une quantité minime de marijuana et qu’il a pris quelques bouffées d’un joint. Il ne se rappelle pas d’avoir demandé la permission à M. Rainville, ni d’avoir offert un joint à une policière. Il se souvient de s’être éloigné pour fumer un joint sur la route.

104        Le fonctionnaire ne comprenait pas pourquoi sa minime consommation de marijuana inquiétait tant la GRC. Il ne parlait jamais de son travail à l’extérieur. Il comprend maintenant, il fait beaucoup de changements dans sa vie pour s’améliorer.

III. Résumé de l’argumentation

A. Arguments de l’employeur

105        Dans sa déclaration d’ouverture, l’employeur a dit qu’il y avait trois questions en litige. D’abord, le grief visant la suspension de fonctions est-il rendu sans objet, puisque le licenciement est rétroactif au début de cette suspension? Ensuite, les décisions contestées constituent-elles des mesures disciplinaires? Enfin, le licenciement est-il motivé? L’employeur rejette entièrement les allégations de discrimination, puisqu’aucun motif de discrimination n’a été établi.

106        Dans l’argumentation de l’employeur, ces trois questions reviennent, mais présentées autrement. L’employeur choisit plutôt d’aborder chacun des griefs tour à tour.

107        Le grief de suspension de la cote de fiabilité n’a pas été renvoyé à l’arbitrage de façon appropriée puisque dans le formulaire de renvoi, le fonctionnaire invoque l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP, qui ne couvre que la rétrogradation ou le licenciement pour des motifs autres que disciplinaires. Il n’y a rien dans la loi habilitante qui donne prise à la Commission sur une suspension de la cote de fiabilité.

108        Selon l’employeur, la suspension de fonctions est une mesure administrative, puisque l’unique raison de son imposition est la suspension de la cote de fiabilité et que, par conséquent, le fonctionnaire ne peut remplir ses fonctions. Il serait absurde de le payer alors qu’il ne peut travailler.

109        En outre, le grief contre la suspension de fonctions est sans objet, puisque le licenciement est rétroactif. Des arbitres de grief se sont déjà prononcés à maintes reprises sur la question dans les décisions Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43, et Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107.

110        La révocation de la cote de fiabilité ne peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage; la Commission n’a tout simplement pas compétence sur une telle mesure administrative. À cet égard, l’employeur m’a renvoyé aux décisions Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CRTFP 63, Bergey c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada) et Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2013 CRTFP 80, et Gravelle c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2014 CRTFP 61. La Commission ne peut considérer si les motifs de la révocation sont raisonnables, seule la Cour fédérale est habilitée à le faire. Par conséquent, l’arbitre de grief a fait erreur dans la décision Heyser c. Administrateur général (ministère de l'Emploi et du Développement social) et Conseil du Trésor (ministère de l'Emploi et du Développement social), 2015 CRTEFP 70. L’employeur me cite la décision Myers c. Canada (Procureur général), 2007 CF 947, comme illustration de l’examen d’une révocation de la cote de fiabilité par la Cour fédérale.

111        L’employeur reconnaît que la Commission peut examiner si la révocation de la cote de fiabilité constitue une mesure disciplinaire déguisée, comme le confirment les décisions Braun, Nasrallah c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2012 CRTFP 12, Bergey, Gravelle et Shaver.

112        En l’espèce, la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire était clairement une mesure administrative. Il incombe au fonctionnaire de démontrer qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire (Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176). Or, la preuve n’appuie pas cette prétention. La révocation fait suite à une enquête de sécurité. Il a été établi par les témoignages que l’enquête disciplinaire était complètement distincte et qu’il y avait étanchéité entre ces deux processus parallèles.

113        La GRC a présenté une preuve détaillée du rigoureux processus qui a mené à la décision de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire. Rien n’a été camouflé. La preuve a bien établi qu’il s’agissait d’évaluer les risques. Certes, il y a eu inconduite, un acte répréhensible, mais c’est l’ensemble de la situation dont il faut tenir compte; encore une fois, la question tourne sur l’évaluation du risque. L’employeur me renvoie aux facteurs de risques de l’annexe 1-10-1 du Manuel, qui ont joué dans l’analyse de Mme Quesnel et de M. Aubin.

114        Le grief de licenciement doit aussi être rejeté, puisqu’il suit logiquement la révocation de la cote de fiabilité. L’employeur me renvoie à la décision Bergey. La révocation constitue le motif valable du licenciement au sens des articles 12(1)e) et 12(3) de la LGFP.

115        Dans ses remarques d’ouverture, le fonctionnaire a parlé de double incrimination, de double pénalité. Il n’y a pas double pénalité ici – il s’agit de deux processus décisionnels, dans deux sphères différentes, soit la discipline et la sécurité. L’employeur invoque la décision Koulatchenko c. Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, 2014 CF 206, sur la capacité d’un arbitre de grief à rétablir une cote de sécurité.

116        L’employeur aborde la décision Heyser, où l’arbitre de grief a annulé une révocation de cote de fiabilité et réintégré l’employée dans ses fonctions. La décision est en instance de contrôle judiciaire. L’employeur souligne ce qu’il considère être une erreur, au paragraphe 136 de cette décision, où l’arbitre dit avoir compétence pour considérer la justification de la révocation, unique motif du licenciement. Selon l’employeur, il s’agit d’une erreur de droit, puisque seule la Cour fédérale a ce pouvoir.

117        En l’espèce, donc, la révocation est fondée et, par conséquent, le licenciement aussi. La GRC a conclu que le fonctionnaire n’était pas fiable, en s’appuyant sur plusieurs facteurs de risques, notamment, la consommation de marijuana du fonctionnaire, sa situation financière et son insouciance.

B. Arguments du fonctionnaire

118        La déclaration d’ouverture du fonctionnaire débute par un proverbe : « Avec des si, on mettrait Paris en bouteille ». Selon le fonctionnaire, le raisonnement spéculatif de l’employeur pour justifier les mesures « administratives » prises contre lui ne tient pas : il s’agit clairement d’une manœuvre camouflée pour se débarrasser d’un employé devenu gênant.

119        L’employeur a choisi de traiter les griefs séparément, mais en fait, ils forment un tout, une séquence qui aboutit au licenciement. Le fonctionnaire est d’avis que toutes les mesures prises contre lui sont des mesures disciplinaires, parce qu’elles sont toutes fondées sur une conduite coupable, soit l’incident du 7 juillet 2012. À partir de ce moment-là, on le culpabilise. Il est clair qu’on veut le punir et lui donner une leçon.

120        La jurisprudence est claire (Canada (Procureur général) c. Basra, 2008 CF 606, renvoi à Frazee) : il ne suffit pas pour l’employeur de dire qu’il s’agit de mesures administratives, il faut considérer ces mesures à la lumière de l’intention de l’employeur et de l’effet sur l’employé.

121        Ici, la suspension de fonctions prive l’employé de son revenu. L’employeur blâme ensuite l’employé pour son endettement, alors que la précarité de sa situation financière est due à l’action de l’employeur. La conséquence d’une suspension sans solde aussi longue est si lourde qu’on ne peut pas dire qu’il ne s’agit pas d’une mesure punitive.

122        Dès la réponse au premier palier du grief contre la suspension de fonctions, l’intention de l’employeur est claire : mettre la mesure à l’abri de toute révision par un arbitre de grief. M. Courchesne a indiqué dans sa réponse que la mesure était administrative, donc non arbitrable.

123        L’employeur aurait pu se contenter d’une mesure disciplinaire. Dans la lettre du 4 novembre 2013, qui impose une suspension disciplinaire de dix jours, on voit le vrai visage de la mesure administrative. Il est frappant de noter que les mesures « administratives » reprennent sans cesse l’incident du 7 juillet 2012. Pourtant, le fonctionnaire est puni une fois pour toutes par la mesure disciplinaire du 4 novembre 2013. D’où l’argument de la double pénalité. Le fonctionnaire ne cesse d’être puni pour son erreur de jugement, qu’il a reconnu. La suspension et la révocation de la cote de fiabilité, ainsi que la recommandation de licenciement, rappellent toutes les évènements du 7 juillet 2012.

124        Le fonctionnaire revient sur le caractère rétroactif du licenciement. Selon lui, il s’agit d’un abus de pouvoir. L’employeur prétend que le fonctionnaire était licencié dès août 2012. Pourtant, le motif de licenciement est la révocation de la cote de fiabilité en 2014. Le fonctionnaire ne concède pas que le licenciement est justifié, mais s’il l’était, il serait abusif de dire qu’il date de 2012, alors que le motif du licenciement date de 2014.

125        Le grief de discrimination est fondé sur le fait que l’employeur a refusé de réintégrer l’employé quand celui-ci est devenu apte à revenir au travail en novembre 2013. La discrimination est fondée sur sa dépendance à l’alcool. Depuis juillet 2012, on ne voulait plus rien savoir de lui. Il n’y a pas d’autre raison qui a empêché sa réintégration en novembre 2013.

126        L’’évènement déclencheur de toute la séquence punitive a eu lieu le 7 juillet 2012. Or, cet événement s’est produit à l’extérieur du lieu et des heures de travail. Il faut appliquer à ce genre d’incident extérieur au lieu de travail les critères que l’on trouve dans la décision Millhaven Fibres Limited, Millhaven Works v. Oil, Chemical and Atomic Workers International Union, Local 9-670 (1967), (1A) Union Management Arbitration Cases 328.

127        Ces critères sont les suivants :

· La conduite de l’employé est préjudiciable pour l’employeur, par exemple pour sa réputation. La question a été posée à M. Rainville à savoir s’il y a eu des répercussions dans les médias et des rumeurs au travail, ce à quoi il a répondu la par la négative.

· La conduite rend l’employé incapable de remplir ses fonctions. Les évaluations du rendement du fonctionnaire montrent qu’il est un excellent employé. Il a travaillé encore un mois après le 7 juillet 2012, sans problème.

· Les collègues refusent de travailler avec l’employé – il n’y a eu aucune allégation en ce sens.

· L’employé est coupable ou accusé d’une infraction au Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46)– ce qui n’est pas le cas, au contraire, les policiers ont choisi de jeter la petite quantité de marijuana trouvée, et le fonctionnaire était entièrement coopératif.

· L’employeur aurait de la difficulté à diriger ses opérations et ses effectifs. Il n’y a aucune preuve que le fonctionnaire pose un risque aux opérations, ni qu’il ait porté atteinte aux biens ou renseignements de la GRC.

128        Les craintes de l’employeur sont entièrement fondées sur des hypothèses. Le lien entre la faible consommation de marijuana par le fonctionnaire, le lien éventuel des personnes qui lui procurent de la marijuana avec le crime organisé et l’atteinte possible aux renseignements de la GRC, tout ça n’est pas très convaincant. Bien sûr, la GRC est une organisation particulière; bien sûr, c’est un service de police, mais un employé ne peut être licencié uniquement parce qu’on a des craintes qu’il pourrait peut-être constituer un risque, sans plus.

129        La mesure de licenciement est disciplinaire, et elle est trop sévère. Le fonctionnaire me renvoie à Simoneau c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service Correctionnel), 2003 CRTFP 57, et à Phillips c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-21694 (19911105).

130        Dans le cas du fonctionnaire, il convient de souligner des facteurs atténuants, notamment le fait qu’il a dû attendre longtemps les résultats de l’enquête disciplinaire, qu’il a entrepris une démarche de guérison et qu’il s’est trouvé un emploi après le licenciement.

131        L’employeur reproche au fonctionnaire sa malhonnêteté, alors que c’est tout le contraire. Depuis 2008, le fonctionnaire est un livre ouvert; il ne s’est jamais caché de consommer de la marijuana, il l’a dit dès le départ.

132        La décision Heyser s’applique ici, les faits sont semblables. L’arbitre dans Heyser a raison de dire que l’employeur ne peut se soustraire à l’examen de la révocation de la cote de fiabilité quand celle-ci constitue l’unique motif du licenciement.

133        La GRC aurait les outils nécessaires pour déceler une fuite. Il n’y a aucune preuve de fuite, ni que le fonctionnaire représentait un risque de fuite de renseignements. Il n’y a que des allégations qui ne donnent pas lieu à des poursuites, mais qui servent de prétexte pour licencier en raison d’un risque éventuel.

134        Quant aux mesures de redressement demandées, alors que dans les griefs, le fonctionnaire demandait la réintégration, il a maintenant changé d’idée. Le témoignage de M. Aubin en particulier l’a convaincu qu’il ne serait pas dans son intérêt de retourner travailler pour la GRC, où il semble être perçu comme un indésirable. Il demande donc une indemnisation sur le modèle des décisions Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2011 CRTFP 137, et Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2012 CRTFP 96.

135        Le fonctionnaire demande également des dommages en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) (« LCDP ») pour sanctionner l’employeur d’avoir caché ses intentions véritables derrière des prétentions administratives. On lui a fait perdre son revenu, pour ensuite utiliser sa situation financière contre lui. On l’a caractérisé comme un criminel, et ce, sans fondement. Il a vécu de la tension et de l’humiliation. L’impact sur sa santé est irréversible. Il réclame donc 20 000 $ comme indemnisation du préjudice moral, et 20 000 $ en indemnité spéciale

C. Réplique de l’employeur

136        Dans sa réplique, l’employeur déclare qu’il n’y a aucune preuve pour appuyer le grief de discrimination. En outre, le caractère rétroactif du licenciement ne constitue pas un abus car il est bien établi dans la jurisprudence. L’employeur ajoute que les critères de Millhaven ne s’appliquent pas en l’espèce, puisque la Commission n’est pas saisie d’un grief d’inconduite.

137        En ce qui concerne le redressement demandé par le fonctionnaire, on propose pour la première fois à l’audience une indemnisation plutôt que la réintégration. Il serait nécessaire que la Commission permette à l’employeur de s’exprimer à ce sujet, advenant une décision qui donnerait raison au fonctionnaire.

IV. Motifs

A. Dispositions législatives pertinentes

138        L’employeur s’oppose à la compétence de la Commission en ce qui a trait à la suspension de fonctions du fonctionnaire et à la suspension et révocation de sa cote de fiabilité. Il convient de reproduire les quelques dispositions législatives qui s’appliquent en l’espèce, car elles sont essentielles pour déterminer la compétence de la Commission.

139        Voici les dispositions pertinentes de la LRTFP :

      209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

[…]

140        Dispositions pertinentes de la LGFP qui s’appliquent en l’espèce :

12. (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

[…]

e) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique;

[…]

(3) Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation découlant de l’application des alinéas (1)c), d) ou e) ou (2)c) ou d) doivent être motivés.

B. Analyse

141        L’employeur soutient que la Commission n’a pas compétence pour se prononcer sur la suspension de fonctions, une mesure administrative. La compétence sur le licenciement est très limitée, puisque le licenciement est fondé sur un motif valable, aux dires de l’employeur. Ces deux mesures se fondent sur la suspension et la révocation de la cote de fiabilité, sur lesquelles, toujours selon l’employeur, la Commission n’a pas compétence.

142        Le grief sur la suspension de la cote de fiabilité a été renvoyé devant la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP, alors qu’il aurait dû être renvoyé en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. La position du fonctionnaire sur le caractère disciplinaire de cette mesure a toujours été claire. J’estime donc que le grief est devant moi en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Aux termes du paragraphe 241(1) de la LRTFP, les procédures prévues à la LRTFP ne sont pas susceptibles d’invalidation pour vice de forme ou de procédure.

143        Pour ce qui est du licenciement, quelle qu’en soit la cause, la Commission a compétence, en vertu des alinéas 209(1)b) et c). Le licenciement, selon la lettre du 28 août 2014, est une fin d’emploi pour motif valable aux termes de l’alinéa 12(1)e) de la LGFP, le motif allégué en l’occurrence étant la révocation de la cote de fiabilité. Comme dans l’affaire Heyser, j’estime qu’il incombe à la Commission (comme il incombait à l’arbitre de grief) de considérer si le motif est effectivement valable.

144        Les deux parties ont invoqué la décision Heyser, citant le paragraphe 136 :

136 Selon l’employeur, si je suis convaincu que le licenciement de la fonctionnaire était fondé sur la révocation de sa cote de fiabilité, mon examen des actes commis par l’employeur doit se terminer là. Je ne suis pas d’accord. L’employeur ne peut se soustraire à l’examen de sa décision de révoquer la cote de fiabilité de la fonctionnaire dans un cas où son licenciement se fondait uniquement sur cette décision, où elle a catégoriquement contesté cette décision et où un arbitre de grief a pleine compétence pour trancher le licenciement. Dans ces circonstances, par conséquent, ma tâche consiste à déterminer si la révocation de sa cote de fiabilité constituait un motif valable de licenciement.

145        Selon l’employeur, l’arbitre de grief dans la décision Heyser a commis une erreur, car seule la Cour fédérale serait habilitée à examiner la décision de révoquer la cote de fiabilité. Le fonctionnaire soutient au contraire que l’arbitre de grief avait raison de dire qu’il a le droit d’examiner le « motif valable » allégué, soit la révocation.

146        Je note au passage que la décision Myers, invoquée par l’employeur pour affirmer que seule la Cour fédérale a compétence sur une question de révocation, ne fait pas état d’une compétence exclusive de la Cour fédérale.

147        Comme l’arbitre de grief dans la décision Heyser, je suis d’avis que la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire n’a pas été faite pour un motif légitime de sécurité, contrairement à ce que prétend l’employeur.

148        En l’espèce, la révocation de la cote de fiabilité est plutôt une mesure disciplinaire camouflée, qui vient sanctionner un comportement que la GRC juge inacceptable, soit la consommation de la marijuana. Comme nous le verrons, je ne crois pas que le comportement du fonctionnaire pose « un risque inacceptable à la sécurité des opérations, de l’information, des biens et du personnel de la GRC », contrairement à ce que laisse entendre la lettre du 20 juin 2014 dans laquelle on annonce au fonctionnaire la révocation de sa cote de fiabilité.

149        La démarche de l’employeur, tant pour la suspension que pour la révocation de la cote de fiabilité, est de nature disciplinaire. Pour cette raison, j’estime avoir compétence également sur la suspension de fonctions, puisque la suspension de la cote de fiabilité est effectivement une mesure disciplinaire entraînant la suspension, au sens de l’article 209(1)b) de la LRTFP.

150        Dans un premier temps, je montre comment la révocation de la cote de fiabilité ne répond pas à de réelles préoccupations de sécurité. Dans un deuxième temps, j’expose comment la suspension et la révocation de la cote de fiabilité sont des mesures disciplinaires. Enfin, dans un troisième temps, je constate que le licenciement et la suspension de fonctions sont fondés sur un faux prétexte.

1. La révocation de la cote de fiabilité ne répond pas à de réelles préoccupations de sécurité

151        Mme Quesnel et M. Aubin ont tous deux témoigné quant aux facteurs qu’ils ont retenus pour la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire. Ces facteurs s’appliquaient à la suspension de la cote de fiabilité, mais il est frappant de constater que malgré la nette amélioration dans la situation du fonctionnaire, la révocation de la cote de fiabilité a quand même été imposée. Le facteur principal, aux dires et de Mme Quesnel et de M. Aubin, est le fait que le fonctionnaire a continué à consommer de la marijuana.

152        Reprenons d’abord les facteurs de risque mentionnés par Mme Quesnel.

153        Le facteur 2.1 de l’annexe 1-10-1 du Manuel indique ce qui suit :« est solitaire, se tient constamment à part des autres employés et ne semble pas avoir d’amis ». Selon Mme Quesnel, dans l’entrevue de sécurité de 2013, le fonctionnaire a laissé entendre qu’il était désormais solitaire et qu’il se réfugiait dans sa chambre.

154        Il faut comprendre le contexte. En 2013, le fonctionnaire suit déjà depuis un certain temps une démarche psychologique (il est suivi par une psychologue, il fréquente un centre qui l’aide à diminuer sa consommation d’alcool). De plus, il a rompu ses liens avec un des membres de sa famille et il évite ses anciennes fréquentations. Pourquoi lui reprocher d’avoir tourné la page? Il n’y a rien dans ses évaluations de rendement au travail qui montre quelqu’un d’asocial, bien au contraire, selon celle de janvier à août 2011 : « David qui est très polyvalent et toujours de bonne humeur est un atout pour la section. Celui-ci entretient de bonnes relations interpersonnelles avec tous les employés du secteur. Il est d’ailleurs très apprécié de ces derniers ainsi que de son superviseur ».

155        Le facteur 2.3 de l’annexe 1-10-1 du Manuel indique ce qui suit : « malhonnêteté systématique, tant de vive voix que par écrit ». Selon Mme Quesnel, les réponses du fonctionnaire quant à sa consommation de drogues illégales varient d’une entrevue à l’autre.

156        Effectivement, les réponses du fonctionnaire, à la question de savoir s’il a déjà consommé et s’il consomme actuellement des drogues, ne sont pas les mêmes en 2008, 2012 et 2013.

157        Notons d’abord que le texte a changé entre 2008 et 2012, mais cette variation est moins significative à mon sens que le changement d’intervieweur. Je n’ai aucun renseignement sur la façon dont les questions ont été posées. Je vois d’après la façon dont le questionnaire est rempli que les trois personnes chargées de l’entrevue, en 2008, en 2012, et 2013, sont très différentes. Qu’elles aient obtenu des réponses différentes ne me surprend pas.

158        En 2008, la réponse du fonctionnaire à la question sur sa consommation antérieure et actuelle de drogues illicites ou médicaments d’ordonnance est la suivante :

Consomme de la mari d’un joint quelque touche sur un joint avec des amis en jouant des jeux de société. Dit que la dernière fois il y a plus d’un année.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

159        Dans cette même entrevue, l’intervieweuse a noté ce qui suit relativement à la question sur la consommation future de drogues illicites ou médicaments d’ordonnance par le fonctionnaire :

Dit qu’il n’a pas l’intention de prendre mais qu’il est humain. Dit que si il a emploi Dirais non à ses amis qui offrirait mais ne sera pas Délateur.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

160        En 2012, une question combine la consommation antérieure, actuelle et future du fonctionnaire. Mme Quesnel est alors intervieweuse et le fonctionnaire a répondu comme suit :

Oui drogue – pot – pas de médicaments

Dans le social avant […] ça arrivait plus régulièrement

5 à 6 fois par mois, des fois 10, rare

25-30 fois dans le passé

Plus régulièrement en arrêt de travail août 2011

[maux de dos] 1 fois par 3-4 jours, 4-5 puffs

Besoin d’atténuer douleur pot 1ère fois […] buvard champignons […]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

161        Toutes les lignes sont remplies; à droite, avec un astérisque, c’est moins lisible, mais je déchiffre : « future – si j’ai pris un joint depuis le 7 juillet 2012 […] [dans son témoignage, Mme Quesnel ajoute les mots, « c’est beau »] Prendrais 2-3 Puffs […] si offert. »

162        Finalement, en 2013, les mêmes questions qu’en 2012 ont été posées par M. Morin en ce qui concerne la consommation antérieure, actuelle et future de drogues illicites ou de médicaments d’ordonnance par le fonctionnaire :

Toutes Hash non […]

[Je lis « Hash », mais Mme Quesnel, qui a écouté l’enregistrement nous dit que ça devrait être « Héroïne »]

163        Ainsi, selon Mme Quesnel, le fonctionnaire est malhonnête, puisqu’en 2008 et 2012 il n’a pas dit qu’il avait tout essayé quand il était plus jeune.

164        Encore une fois, je souligne la différence entre les intervieweurs et le fait que je ne sais pas comment les questions ont été posées. Dans son résumé de l’entrevue, M. Morin écrit :

Il a consommé des drogues, il a tout essayé jusqu’à la cocaïne, vers l’âge de […]. Le postulant déclare que c’était naturel pour lui qu’il essaie les drogues. Le postulant dit que la dernière fois qu’il a consommé de la marihuana, c’était l’été passé [l’entrevue a lieu en novembre 2013].

165        Ce qui me frappe, au contraire, c’est l’honnêteté du fonctionnaire. Combien plus facile pour lui de mentir en 2013, pour ravoir sa cote de fiabilité. Quand, le 7 juillet 2012, les policières lui demandent de leur remettre la marijuana qu’il a en sa possession, il le fait promptement. Il avoue à chaque entrevue sa consommation de marijuana, ne la dissimule pas.

166        J’ai constaté lors du témoignage du fonctionnaire qu’il a tendance à être vague, notamment en matière de dates. Par exemple, pour établir les dates où il était en congé de maladie, j’ai dû faire un effort continu, et m’appuyer sur les documents d’évaluation de rendement. Cependant, je ne vois pas dans cette imprécision de la malhonnêteté de la part du fonctionnaire. Je conçois qu’à des moments différents, selon la façon dont l’intervieweur pose les questions, le fonctionnaire puisse avoir répondu différemment. À la question importante pour la GRC sur sa consommation de marijuana, le fonctionnaire n’a jamais menti, alors que la tentation de mentir a dû être forte, en novembre 2013, alors qu’il voulait revenir au travail.

167        Le facteur 2.5 de l’annexe 1-10-1 du Manuel indique ce qui suit : « est lourdement endetté ou a d’autres difficultés financières ». Selon Mme Quesnel, le fonctionnaire est lourdement endetté.

168        Ce problème d’endettement existait déjà en 2008 quand on lui a accordé la cote de fiabilité. Il est encore endetté en 2012, mais il avait pris des mesures, en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité pour consolider sa dette par une proposition de consommateur et la régler par mensualités. Fait extraordinaire, sa situation s’est améliorée, quoique de façon modeste, alors qu’il était suspendu sans solde; il a continué à faire ses paiements malgré ses maigres revenus. Le rapport dette-crédit s’est nettement amélioré de 2012 à 2013.

169        Le fonctionnaire vit avec cette situation d’endettement depuis au moins 2008. Il a pris des mesures pour contrôler la situation. Celle-ci s’est améliorée même en l’absence d’un travail régulier. La préoccupation de l’employeur à cet égard est difficile à comprendre.

170        Le facteur 2.6 de l’annexe 1-10-1 du Manuel parle d’espoirs excessifs, qui dépassent la capacité réelle du sujet. Mme Quesnel l’a mentionné brièvement, en disant que le fonctionnaire semblait penser qu’il pourrait régler tous ses problèmes financiers rapidement, sans trop de difficultés, un exemple, selon elle, de son insouciance. D’après le témoignage du fonctionnaire et ses réponses dans les entrevues, je ne vois pas d’illusion ou d’insouciance, mais plutôt, un optimisme résolu. Je ne vois pas comment on pourrait l’interpréter comme un facteur de risque.

171        Le facteur 2.8 de l’annexe 1-10-1 du Manuel indique ce qui suit : « abus d’alcool qui nuit au discernement ou à l’intégrité ». Selon Mme Quesnel, l’abus d’alcool du fonctionnaire a certainement nui à son discernement.

172        Effectivement, l’abus d’alcool a joué un rôle démesuré dans le malheureux incident du 7 juillet 2012. Mais c’est la seule fois que l’employeur (et encore, à l’extérieur du milieu du travail) a été témoin d’un tel abus. Le fonctionnaire ne s’est jamais présenté au travail en état d’ébriété. De plus, j’accepte le témoignage du fonctionnaire qu’il a pris des mesures depuis pour considérablement diminuer sa consommation d’alcool.

173        Le facteur 2.12 de l’annexe 1-10-1 du Manuel indique ce qui suit : « problèmes personnels qui semblent être la cause de grande tension chez l’employé ». Selon Mme Quesnel, le fonctionnaire a fait allusion à des problèmes de dépression.

174        On parle de problèmes passés. Le portrait du fonctionnaire dans ses évaluations de rendement n’est pas celui d’une personne déprimée. Par ailleurs, je constate que le fonctionnaire a entrepris une démarche psychologique non seulement pour ses problèmes d’alcool mais, de façon plus générale, pour un meilleur ajustement de vie. Je n’ai eu aucune preuve de manifestation de troubles personnels au travail.

175        Le facteur 2.18 de l’annexe 1-10-1 du Manuel indique ce qui suit : « fréquente des criminels ou des personnes suspectes d’une façon qui n’a rien à voir avec les fonctions policières ». Selon Mme Quesnel, les personnes qui procurent de la marijuana au fonctionnaire, même gratuitement, font du trafic; ce sont donc des criminels. Un des membres de sa famille qu’il fréquentait consomme aussi, et serait aussi un criminel.

176        On est ici au cœur de l’argument de risque de l’employeur. D’après Mme Quesnel, le fait de passer un joint constitue du trafic, un acte criminel. On aurait pu croire que la GRC aurait voulu retracer les connaissances du fonctionnaire qui font du trafic lorsque la drogue du fonctionnaire a été saisie le 7 juillet 2012. On a plutôt choisi d’y appliquer la politique de la destruction locale.

177        Mme Quesnel et M. Aubin ont cherché à me convaincre que la consommation d’un joint le vendredi soir par le fonctionnaire risquait de permettre au crime organisé d’avoir accès aux renseignements contenus dans les banques de données de la GRC.

178        Le fonctionnaire travaillait à la section des délits commerciaux, dans la section du télémarketing frauduleux. La principale base de données dont le fonctionnaire se servait était celle qui contient les rapports d’incidents. Il est vrai qu’il avait accès à d’autres banques de données, mais selon son témoignage, non contredit, il s’en servait peu.

179        J’accepte que la GRC a une expérience policière que je n’ai pas. J’accepte aussi que l’évaluation du risque fait partie de son quotidien. Mais l’infiltration de la GRC par le biais du fonctionnaire manipulé par le crime organisé me paraît tellement invraisemblable que je dois rejeter cette hypothèse déraisonnable sur laquelle repose l’ensemble des prétentions de l’employeur. Si on écarte ce risque de fuite (encore une fois, pour un employé qui travaille à titre de commis aux enquêtes sur le télémarketing frauduleux), tout s’écroule.

180        Je crois le fonctionnaire quand il dit qu’il prend un joint quand il passe, et qu’il accepte volontiers les quantités minimes de marijuana qu’on lui donne. J’ai tenté de comprendre la position de l’employeur en posant la question à M. Aubin – quelle est la crainte? Qu’en apprenant que le fonctionnaire fume un joint une fois par semaine, le crime organisé tente d’exercer de la pression par le chantage? En divulguant à la GRC ce qu’elle sait déjà? Qu’on lui offre ce qu’il reçoit déjà? M. Aubin m’a répondu que l’infiltration de la GRC est la préoccupation constante du crime organisé. Soit. Si j’applique la prépondérance de la probabilité, la balance ne penche pas vers l’infiltration possible par l’entremise du fonctionnaire que j’ai devant moi.

181        Le facteur 2.19 de l’annexe 1-10-1 du Manuel indique ce qui suit : « allégations ou aveux concernant des activités criminelles, indépendamment des accusations formelles ». Selon Mme Quesnel, le fonctionnaire a avoué avoir acheté de la marijuana à quelques reprises. Or, la possession de marijuana est une activité criminelle. Il suffit à mon avis de mentionner ici la tolérance policière quand il s’agit de quantités minimes, comme l’illustre la politique de la destruction locale.

182        Selon M. Aubin, six facteurs ont été soupesés dans son évaluation du risque posé par le fonctionnaire et sa détermination quant à la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire.

183        Le premier facteur est la consommation de marijuana. M. Aubin dit avoir été « choqué » d’apprendre que le fonctionnaire avait continué à consommer de la marijuana après les évènements de 2012 (la fête du 7 juillet et la suspension subséquente de sa cote de fiabilité).

184        M. Aubin ne parle pas de risque en premier lieu, il parle du fait que le fonctionnaire continue de consommer de la marijuana alors que la GRC considère cela inacceptable. Le fonctionnaire, selon M. Aubin, avait promis de ne plus fumer de marijuana s’il avait l’emploi en 2008. Or, il a continué. On ne peut pas lui faire confiance.

185        Je tiens à noter que je ne me prononce pas sur l’illégalité de la consommation de la marijuana. La Loi réglementant certaines drogues et autres substances, point de départ pour l’enquête disciplinaire qui fait suite à l’incident du 7 juillet 2012, interdit la possession et le trafic de la marijuana. Dans leurs témoignages, Mme Quesnel et M. Aubin ont laissé entendre à plusieurs reprises que la consommation elle-même était interdite.

186        Le deuxième facteur, et le plus important, selon M. Aubin, est l’insouciance du fonctionnaire. Le fait que le fonctionnaire soit d’avis que la consommation de marijuana n’est pas bien grave constitue de l’insouciance. La GRC est chargée d’appliquer les lois du Canada. Selon M. Aubin, le fonctionnaire ne semble pas prendre au sérieux le risque qu’il encourt en étant associé à des éléments criminels. Encore de l’insouciance.

187        Le fonctionnaire a dit dans son témoignage qu’il n’était pas insouciant du tout. Ce que je comprends, c’est qu’on ne parle pas des mêmes choses. Dans le témoignage du fonctionnaire, au fil des entrevues et des documents au dossier, on comprend que sa vie n’a pas été facile. Par ailleurs, au travail, il s’est toujours fait un point d’orgueil d’être un excellent employé.

188        L’insouciance qu’on reproche au fonctionnaire, c’est de ne pas prendre au sérieux l’interdiction de fumer de la marijuana. Cette interdiction n’a jamais été explicite. Selon M. Aubin, une des représentantes syndicales, lors d’une rencontre sur les griefs, a dit qu’on n’avait jamais formellement interdit au fonctionnaire de consommer de la marijuana chez lui. L’employeur aurait alors répondu qu’il n’interdisait pas non plus aux employés de commettre des meurtres, avant d’ajouter qu’il s’attendait à ce que les employés respectent les lois du Canada.

189        Le troisième facteur est le lien du fonctionnaire avec les personnes qui lui procurent la marijuana, que ce soit gratuitement ou non. Ces personnes sont peu recommandables. Selon M. Aubin, un employé de la GRC doit bien choisir ses amis.

190        Au moment de la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire, la preuve non contredite a démontré que le fonctionnaire avait diminué sa fréquentation de personnes peu recommandables et qu’il n’allait plus chez un des membres de sa famille. D’après l’entrevue de 2013, il évite certaines personnes qui se procurent régulièrement de la marijuana.

191        Le quatrième facteur est la situation financière du fonctionnaire. J’ai traité plus haut de cette question.

192        Le cinquième facteur est l’accès aux renseignements de la GRC, non seulement les bases de données mais le mouvement des agents chargés des enquêtes.

193        J’ai trouvé curieux que ce facteur arrive en cinquième plutôt qu’en première position. Cela laisse entendre que la réelle préoccupation de M. Aubin est la consommation de marijuana du fonctionnaire. J’ai abordé plus haut l’invraisemblance du risque de fuite des renseignements invoqué par l’employeur.

194        Le sixième facteur est l’honnêteté. M. Aubin parle des contradictions dans les réponses aux entrevues de sécurité en 2008, 2012 et 2013. Il a ajouté que le fonctionnaire représentait un risque pour la GRC que M. Aubin ne pouvait tolérer.

195        M. Aubin a mentionné également le manque de loyauté, soit le non-respect des lois, et un autre exemple d’insouciance, le fait que le fonctionnaire n’a pas répondu à la lettre du 29 mai 2014 qui l’informait que M. Aubin envisageait révoquer sa cote de fiabilité.

196        Le fait que le fonctionnaire n’ait pas répondu à la lettre du 29 mai 2014, qui lui donnait l’occasion de s’exprimer sur la révocation proposée, est effectivement curieux. Dans son témoignage à ce sujet, le fonctionnaire a expliqué qu’il n’était peut-être pas en état de répondre à ce moment-là. De toute façon, cette omission ne me paraît pas un motif sérieux pour révoquer une cote de fiabilité.

197        La révocation de la cote de fiabilité ne peut se fonder sur la personnalité ou la façon qu’a un fonctionnaire de réagir, à moins bien sûr que cela pose un risque sérieux. Ici, le seul risque qu’avance l’employeur est l’infiltration de la GRC par le crime organisé, soit un risque qui me parait, je l’ai dit déjà, invraisemblable dans les circonstances.

198        Ce qui ressort dans cette analyse du risque, tant dans le témoignage de Mme Quesnel que celui de M. Aubin, c’est la préoccupation quant à l’image de la GRC et l’incohérence, pour le fonctionnaire, de travailler pour un service de police chargé de l’application des lois tout en consommant de la marijuana.

199        On pourrait accepter la perception par Mme Quesnel et M. Aubin d’une certaine incohérence, voire insouciance, chez le fonctionnaire. Mais le lien avec un risque sérieux n’est jamais établi. D’ailleurs, le risque surgit comme motif pour la suspension de la cote de fiabilité plus d’un mois après le rapport d’incident de M. Rainville, daté du 9 juillet 2012. Ce n’est que le 24 août 2012 qu’on suspend la cote de fiabilité du fonctionnaire; entre-temps, il a continué à travailler dans les mêmes fonctions, même si l’employeur sait qu’il consomme de la marijuana.

200        Je conclus donc que la suspension et la révocation de la cote de fiabilité n’étaient pas justifiées par les facteurs de risque identifiés par l’employeur. Il s’agit de mesures qui camouflent l’intention réelle de l’employeur, son but étant de modifier le comportement du fonctionnaire en ce qui concerne sa consommation de marijuana, et à défaut, de punir l’inconduite.

2. La suspension et la révocation de la cote de fiabilité sont des mesures disciplinaires

201        Les arbitres de grief, à maintes reprises, et la Commission, à quelques reprises, ont eu à se prononcer sur la nature réelle de mesures prises par l’employeur qu’il prétend être administratives. Les parties conviennent des critères qui doivent s’appliquer pour décider si les mesures sont administratives ou disciplinaires. À cet égard, elles m’ont renvoyé à l’arrêt Frazee de la Cour fédérale, et à Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty. Je cite ici un extrait de la décision Braun, qui invoque ces deux sources et résume l’état du droit :

                   […]

135 Il est généralement accepté qu’une suspension sans solde en attendant une enquête et la suspension ou la révocation d’une cote de fiabilité ne sont pas présumées constituer a priori des mesures disciplinaires. Toutefois, cette hypothèse générale n’exclut pas le concept de mesure disciplinaire déguisée. Comme l’expose la Cour fédérale dans Frazee :

          […]

[n]éanmoins, il est admis que la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision ne peut pas être en soi un facteur déterminant. Le concept de mesure disciplinaire déguisée est un facteur déterminant bien connu et nécessaire qui permet à un arbitre de grief d’examiner les éléments sous-jacents au motif énoncé par l’employeur afin de déterminer quelle était sa véritable intention […]

[…]

136 Dans Canadian Labour Arbitration, Brown et Beatty traitent de la façon suivante de la différence entre les mesures disciplinaires et les mesures administratives :

          […]

Afin de déterminer si un employé a fait ou non l’objet d’une mesure disciplinaire, les arbitres examinent à la fois l’objet et l’effet de la mesure prise par l’employeur. La caractéristique essentielle de la mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le punissant d’une certaine façon. Une confirmation de l’employeur déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’imposer une mesure disciplinaire suffit souvent, mais pas toujours, à régler la question.

Lorsque la conduite d’un employé est non coupable et/ou que l’objectif de l’employeur n’est pas de punir, toute mesure qui est prise sera généralement qualifiée de non disciplinaire. S’appuyant sur cette définition, des arbitres ont déterminé que les suspensions […] en attendant le règlement d’accusations criminelles […] [et] la révocation de la « cote de fiabilité » d’un fonctionnaire […] ont tou[te]s été qualifié[e]s de mesures non disciplinaires […]

137 La Cour fédérale dans Basra et dans Frazee a indiqué que le facteur principal pour déterminer si un employé a fait l’objet de mesures disciplinaires a trait à l’intention de l’employeur. Dans Frazee, la Cour a déclaré qu’« [i]l convient de se demander si l’employeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire et si la contestation de sa décision pouvait servir de fondement à une mesure disciplinaire ultérieure […] »

138 Pour statuer sur la question de la compétence, je dois déterminer si les décisions de suspendre le fonctionnaire sans solde, puis de suspendre et de révoquer sa CFG étaient des décisions administratives ou si elles équivalaient à des mesures disciplinaires déguisées.

[…]

[Je souligne]

202        Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Grover, 2007 CF 28, l’employeur avait imposé un congé sans solde à M. Grover, sous prétexte qu’il refusait de se soumettre à un examen médical et que, par conséquent, il mettait sa santé et celles des autres à risque. L’arbitre de grief, après étude soignée de toutes les circonstances, avait conclu que la mesure était disciplinaire, qu’on cherchait en fait à modifier le comportement de M. Grover en le punissant.

203        La Cour fédérale a confirmé l’importance pour l’arbitre de grief de considérer « le fond plutôt que la forme » de la décision de l’employeur :

[46] La LRTFP établit un régime applicable à la résolution des griefs déposés par les employés du secteur public fédéral. Conformément à ce régime, certains griefs sont classés comme griefs non susceptibles d’arbitrage, ce qui signifie que la décision de dernier niveau est celle de l’employeur et que l’employé n’a pas droit à un arbitrage indépendant; cependant, les employés ont le droit à l’arbitrage devant la Commission pour d’autres genres de questions qui sont jugées de portée plus grande. Les tribunaux ont reconnu depuis longtemps que certains employeurs pourraient vouloir se soustraire à un arbitrage en tentant de dissimuler la vraie nature de leurs décisions. Les arbitres de la Commission doivent considérer le fond d’une décision plutôt que sa forme lorsqu’ils se demandent s’ils ont ou non compétence. Selon les mots de la Cour d'appel, « l’on ne peut tolérer que, par l’effet d’un camouflage, une personne soit privée de la protection que lui accorde une loi ». (Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.))

204        La Cour fédérale a rejeté la demande en contrôle judiciaire, jugeant raisonnable l’évaluation faite par l’arbitre de grief de la situation :

                   […]

[53]L’arbitre a aussi relevé que le CNRC n’avait pas donné à M. Grover l’occasion d’épuiser ses congés de maladie et qu’il avait refusé sa demande d’indemnité de congés annuels. Il n’y avait aucune raison d’opposer un tel refus à M. Grover autre que la volonté de le sanctionner ou de le contraindre d’une autre manière à modifier son comportement. C’est là la marque même d’une mesure disciplinaire. L’arbitre a clairement montré qu’elle comprenait les principes propres aux mesures disciplinaires, lorsqu’elle écrivait : « Ces mesures avaient pour but de contraindre le fonctionnaire s’estimant lésé à se conformer aux directives de l’employeur. » […]

                   […]

205        Le caractère disciplinaire des mesures de suspension et de révocation de la cote de fiabilité les rend arbitrables, comme le confirment les décisions suivantes :

Braun :

[…]

138 Pour statuer sur la question de la compétence, je dois déterminer si les décisions de suspendre le fonctionnaire sans solde, puis de suspendre et de révoquer sa CFG étaient des décisions administratives ou si elles équivalaient à des mesures disciplinaires déguisées.

[…]

140 Je peux exercer ma compétence sur les griefs seulement si la preuve étaye une conclusion de mesure disciplinaire déguisée.

[…]

Gravelle :

[…]

103 Selon la Loi [LRTFP], je n’ai pas compétence pour revoir une décision administrative rendue par l’employeur, par exemple la décision d’un employeur de révoquer la cote de fiabilité d’un employé. Je n’aurais pu avoir compétence sur cette question que si la révocation avait constitué une mesure disciplinaire déguisée. […]

[…]

Bergey :

[…]

814 Les deux parties ont reconnu que la jurisprudence dans des affaires de nature judiciaire et arbitrale démontrait que les arbitres de grief avaient une compétence très limitée pour examiner la suspension et la révocation de la cote de sécurité d’un employé par un employeur. La jurisprudence a démontré que, traditionnellement, ces décisions sont de nature administrative et que la Commission n’a pas compétence pour les entendre, sauf si des éléments de preuve démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que ces décisions sont des mesures disciplinaires déguisées plutôt que des mesures administratives, ou qu’elles sont empreintes de mauvaise foi ou ne respectent pas le principe d’équité procédurale à un point tel que la tenue d’une audience de novo (nouvelle) devant un arbitre de grief ne permet pas de redresser la situation.

[…]

838 Je dois maintenant appliquer les principes énoncés dans la jurisprudence à cette affaire, en commençant par la question de savoir si les décisions de l’employeur de suspendre et de révoquer la cote de fiabilité de la GRC de la fonctionnaire étaient de nature administrative ou si elles avaient un aspect disciplinaire. L’employeur ne pouvait s’appuyer sur le processus d’examen de sécurité simplement pour éviter l’arbitrage pour avoir imposé une mesure disciplinaire à un employé. S’il n’a aucune préoccupation valable au sujet de la cote de fiabilité de la GRC d’un employé, il n’est pas correct de la révoquer.

839 Que les gestes de l’employeur aient été de nature administrative ou disciplinaire est une question de fait. Je dois examiner aussi bien le but que l’effet de ces actes pour déterminer leur vraie nature. La fonctionnaire avait le fardeau d’établir que les décisions de suspension et de révocation étaient des mesures disciplinaires déguisées.

[…]

206        À mon sens, l’intention disciplinaire de l’employeur est clairement établie en l’espèce. L’employeur s’efforce de présenter les mesures de suspension et de révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire comme étant purement administratives, mais les deux responsables de l’enquête de sécurité, Mme Quesnel et M. Aubin, en ont trahi l’intention disciplinaire à plusieurs reprises, de bien des façons.

207        À titre d’exemple, lors de la deuxième enquête de sécurité, en 2013, Mme Quesnel exprime sa déception et son mécontentement face au fait que le fonctionnaire a continué de consommer de la marijuana, malgré ses recommandations expresses. Dans sa recommandation de révocation de la cote de fiabilité, elle écrit : « il a consommé de la marijuana suite à sa suspension de cote, qui fut la raison même de la suspension ». On voit ici ce qu’on voyait dans la décision Grover, une volonté de modifier le comportement du fonctionnaire et de l’amener à cesser de prendre de la marijuana : la définition même de la mesure disciplinaire.

208        Dans le témoignage de M. Aubin, on perçoit la désapprobation face au comportement du fonctionnaire. Il ne peut être à la fois employé de la GRC et contrevenir aux lois du Canada. L’idée revient souvent que le comportement du fonctionnaire, par sa consommation de marijuana, pourrait ternir l’image de la GRC.

209        La représentante du fonctionnaire a signalé à juste titre comment les lettres dites « administratives » reprennent les allégations de l’inconduite du 7 juillet 2012, jusqu’à la recommandation finale de licenciement.

210        À la suite des évènements du 7 juillet 2012, le fonctionnaire a reçu une première lettre datée du 11 juillet 2012, où on lit ce qui suit :

La présente vise à vous informer qu’une enquête administrative sera menée sur l’allégation suivante : le ou vers le 7 juillet 2012,  […] lors d’un rassemblement vous auriez consommé ou auriez été en possession de marihuana contrairement à la loi règlement [sic] certaines drogues et autres substances.

Durant l’enquête et avant que la direction prenne une décision définitive, vous aurez l’occasion de présenter des précisions ou circonstances atténuantes qui, selon vous, n’ont pas été étudiées dans le cadre de l’enquête ou qui doivent être prises en compte avant que le rapport d’enquête soit rendu final.

Si nous déterminons que l’allégation portée contre vous est fondée, des mesures administratives et/ou disciplinaires pourraient être prises. Nous comptons sur votre entière collaboration à l’enquête. La direction souhaite que l’enquête soit rigoureuse et rapide. Veuillez consulter votre convention collective pour obtenir des renseignements sur vos droits de représentations, s’il y a lieu. […]

211        La lettre est signée par Roland Garant, à qui M. Rainville se rapportait. Notons que la lettre ne parle que d’une seule enquête, alors que Mme Quesnel et M. Aubin ont bien insisté sur le fait qu’il y a eu deux enquêtes, l’une de sécurité, l’autre « administrative à des fins disciplinaires ». Les témoins ont confirmé qu’il y a effectivement eu deux enquêtes, mais la lettre initiale ne l’annonce pas.

212        La justification de la recommandation de suspension de la cote de fiabilité, datée du 14 août 2012, se lit comme suit :

[TRADUCTION]

FETHIERE avoue consommer de la marijuana de 4 à 6 fois par mois. Cette consommation est décrite comme « usage régulier » dans la politique de recrutement AM 23.10.2.1.5 FETHIERE consomme de la marijuana de temps en temps depuis nombre d’années […]. Il en a consommé le 2012-07-07 à une fête tenue par un membre de la GRC, et encore il y a moins d’une semaine, et il en accepterait quelques bouffées si on lui offrait maintenant. La consommation régulière de drogues par FETHIERE, et ses commentaires voulant « qu’il ne voit pas le problème parce que c’est presque légalisé » démontrent un manque de respect pour les autres employés et les lois en vigueur au Canada. Selon le Manuel de sécurité, section 1.5.1.2, une CFG repose sur l’honnêteté, la loyauté, la fiabilité et l’intégrité d’une personne. La loyauté et l’intégrité de FETHIERE sont en doute.

213        Rappelons que, comme l’a confirmé Mme Quesnel, la politique de recrutement AM 23.10.2.1.5 s’applique aux membres de la GRC, qui sont des agents de la paix, et non aux employés civils comme le fonctionnaire.

214        La lettre de suspension de la cote de fiabilité, datée du 24 août 2012, indique ce qui suit :

La présente est pour vous informer que votre cote de fiabilité de la GRC est immédiatement suspendue.

J’ai été informé par l’entremise de notre bureau de Sécurité ministérielle de la Région du Centre que vous êtes le sujet d’une enquête administrative suite à l’allégation d’avoir consommé et d’avoir été en possession de marijuana, une drogue illégale, le 7 juillet dernier. De plus, vous avez admis en avoir consommé depuis et avoir l’intention d’en consommer encore.

J’ai révisé les circonstances du cas présent, telles qu’elles m’ont été rapportées, et j’y trouve matière suffisante pour immédiatement suspendre votre cote de fiabilité de la GRC. Votre comportement soulève des doutes en ce qui concerne votre intégrité et votre fiabilité. […]

215        La lettre est signée par Pierre Giguère, Directeur général de la Sécurité ministérielle. Rappelons que l’enquête à des fins disciplinaires fait l’objet d’un rapport remis le 30 juillet 2012, et que la sanction disciplinaire qui en découle, soit dix jours de suspension sans solde, sera signifiée au fonctionnaire le 4 novembre 2013.

216        Les passages pertinents de la lettre imposant la suspension disciplinaire de dix jours sont les suivants :

La présente fait suite aux conclusions de l’enquête relative aux évènements du 7 juillet 2012 lors desquels vous auriez consommé ou été en possession de marijuana, contrairement à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Notre enquête révèle que le 7 juillet 2012, […] lors d’un évènement relié au travail, vous avez été en possession et avez consommé de la marijuana. Nous concluons que vous avez agi ainsi de façon délibérée et qu’il s’agit, en l’occurrence, d’une inconduite grave. Ce genre de comportement est inacceptable et nous ne le tolèrerons pas. Nous vous invitons à réfléchir aux conséquences pour vos collègues et l’organisation.

Nous faisons appel à votre sens des responsabilités pour que ce type de situation ne se reproduise plus. Toute récidive ne sera tolérée et pourra entraîner des mesures disciplinaires plus sévères pouvant aller jusqu’au congédiement.

217        La recommandation de révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire se lit comme suit :

FETHIERE a eu sa cote de fiabilité de la GRC suspendue en 2012 suite à sa consommation de drogue illégale. Bien qu’il a fait des changements pour le mieux (quitter de chez [un membre de sa famille]; réduire sa consommation d’alcool) et qu’il a fait des démarches pour chercher de l’aide (centre de désintoxication à l’automne 2012 et psychothérapie, malgré commencée plus d’un an après la suspension), il reste néanmoins qu’il a consommé de la marijuana suite à sa suspension de cote, qui fut la raison même de la suspension. Consommer de la marijuana est illégale et continuer de le faire après avoir reçu une suspension de cote démontre une insouciance et un manque de respect envers la GRC, le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique ainsi que la loi canadienne.

FETHIERE ne semblait pas prendre la situation au sérieux lors de son entrevue en 2012 et il semble qu’il ne la prenne toujours pas au sérieux maintenant. Les réponses de FETHIERE concernant sa consommation de drogue illégale lors de son entrevue de sécurité de 2008, lors de enquêtes administrative/pour motif valable de 2012, et lors de son entrevue et conversation téléphonique avec la serg. Quesnel à l’automne 2013 sont contradictoires. Sa nonchalance, ses problèmes financiers et ses accès à diverses banques de données peuvent le rendre susceptible aux pots-de-vin et à la coercition et le rendent conséquemment un risque à la GRC.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

218        Visiblement, l’inconduite du fonctionnaire le 7 juillet 2012 était très grave aux yeux de l’employeur. Il est clair, d’après tous les témoignages et surtout celui de M. Rainville, que l’inconduite était grave parce qu’elle ternissait l’image de la GRC, organisation chargée d’appliquer la loi, qui employait, selon elle, quelqu’un qui aurait contrevenu à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, ch. 19), au vu et au su de tous les invités à la fête du 7 juillet 2012 chez M. Rainville. En soi, le geste n’était pas si grave, c’est le contexte qui en décuplait la portée. La destruction de la preuve par la police, décidée à l’unanimité par les policiers sur place, est significative. Ce n’est pas la gravité du geste ni, selon moi, les risques allégués qui expliquent la suite des événements : c’est la nécessité pour la GRC de préserver son image.

219        Sous couvert d’une préoccupation au sujet du risque, on reproche au fonctionnaire sa consommation de marijuana. La consommation du fonctionnaire constitue le motif réel, et camouflé, de la suspension et de la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire.

220        Les supérieurs du fonctionnaire ne lui disent jamais de façon non équivoque qu’il est interdit de fumer de la marijuana. C’est pourtant le comportement qu’on punit avec la suspension de la cote de fiabilité et la suspension de fonctions, témoin la réaction de Mme Quesnel quand elle apprend qu’il a continué à consommer de la marijuana malgré la suspension de la cote de fiabilité. D’une part, l’employeur soutient qu’on ne peut faire confiance à quelqu’un qui enfreint les lois, d’autre part, les policiers ont démontré une sorte de tolérance en appliquant la politique de la destruction locale à la marijuana du fonctionnaire. Loin de moi de vouloir reprocher aux policiers d’avoir pris cette décision empreinte de compassion. Toutefois, cette décision des policiers mine quelque peu la thèse de l’employeur au sujet du risque que pose le fonctionnaire. Le caractère disciplinaire de la suspension et de la révocation de la cote de fiabilité me semble bien établi.

3. Le licenciement est fondé sur un faux prétexte

221        L’analyse dans la présente décision se fonde essentiellement sur la nature disciplinaire des mesures administratives prises par l’employeur (suspension et révocation de la cote de fiabilité). La compétence de la Commission est donc établie en vertu de l’article 209(1)b) de la LRTFP. La Commission a compétence sur le licenciement en vertu des alinéas 209(1)b) et c), qui prévoient que la Commission peut être saisie de tout grief renvoyé devant elle portant sur un licenciement. Quel que soit le fondement du licenciement, le paragraphe 12(3) de la LGFP prévoit que le licenciement doit être motivé.

222        L’alinéa 12(1)e) de la LGFP prévoit le licenciement « pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite ». L’employeur soutient que la révocation de la cote de fiabilité constitue une telle raison. Or, comme nous l’avons vu plus haut, la révocation de la cote de fiabilité n’est pas légitime car elle ne s’appuie pas sur de véritables motifs de sécurité. Le licenciement ne peut être fondé sur l’alinéa 12(1)e) de la LGFP puisqu’il n’y a pas de motif valable, pour des raisons autres qu’une inconduite, pour licencier le fonctionnaire.

223        Comme la Cour fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Canada c. Rinaldi, 1997 CanLII 16721 (CF), l’employeur ne peut, pour justifier un licenciement, s’appuyer sur un motif qui est en fait un faux prétexte.

224        Dans l'arrêt Rinaldi, la question était de savoir si l'arbitre de grief avait raison d'affirmer qu'elle avait compétence pour entendre un grief contre une fin d'emploi effectuée en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-33), alors que le renvoi à l'arbitrage était exclus par le paragraphe 92(3) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-35) de l'époque. L'arbitre a décidé qu'elle aurait compétence pour faire droit au grief si le fonctionnaire s'estimant lésé arrivait à établir que sa mise en disponibilité était une ruse ou un subterfuge pour mettre fin à son emploi, pour d'autres motifs.

225        La Cour fédérale a donné raison à l'arbitre et a déclaré que l'employeur ne pouvait faussement invoquer une loi pour empêcher l'arbitrage d'une fin d'emploi. Ce constat a été repris par la Cour fédérale dans l’arrêt Grover. Pour avoir gain de cause, le fonctionnaire s'estimant lésé devait établir que l'invocation par l'employeur de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique est factice, un faux prétexte. À la note 15 de l'arrêt, la Cour écrit:

La seule façon de démontrer que le licenciement n'a pas eu lieu en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique face à son invocation par l'employeur serait de démontrer que de fait les conditions requises pour sa mise en oeuvre n'existaient pas au moment pertinent et que donc le licenciement ne peut avoir eu lieu sous le régime prévu par cette Loi.

226        La révocation de la cote de fiabilité du fonction naire ne résiste pas à cette analyse: le prétexte de sécurité sert à camoufler le véritable motif de licenciement.

227        Nous avons vu en détails les raisons pour lesquelles je considère que la suspension et la révocation de la cote de fiabilité étaient disciplinaires. Au moment où se prend la décision de licencier le fonctionnaire, la lettre qui recommande le licenciement du fonctionnaire comprend le passage suivant :  

Une enquête a été menée, révélant que le 7 juillet 2012, […] lors d’un événement relié au travail, l’employé a été en possession et a consommé de la marijuana. Les résultats de cette enquête ont ensuite été transmis à la sous-direction de la Sécurité ministérielle à Ottawa, pour fins de révision et de décision. Subséquemment, la cote de fiabilité de monsieur Féthière a été suspendue le 24 août 2012, puis révoquée de façon permanente le 20 juin 2014.

De ce fait, Monsieur Féthière ne rencontre plus les normes sécuritaires exigées par la Gendarmerie royale du Canada lors de l’embauche, soit la conservation d’une cote de fiabilité pendant la période d’emploi. Ainsi, il nous est impossible de considérer l’employé pour d’autres positions dans l’organisation.

228        Encore une fois, malgré l'invocation de la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire, ce sont encore les événements du 7 juillet 2012 qui constituent le point de départ.

229        Je conclus donc que le motif invoqué pour le licenciement, soit la révocation de la cote de fiabilité, n'est qu'une façon camouflée de discipliner le fonctionnaire. Cette révocation de la cote de fiabilité, nous l'avons vu plus haut, ne s'appuie pas véritablement sur des préoccupations légitimes de sécurité, mais plutôt sur une volonté cachée de mettre fin à l’emploi d’un employé qui consomme de la marijuana. La révocation de la cote de fiabilité constitue un faux prétexte. La preuve n’appuie aucune justification de sécurité pour expliquer le licenciement du fonctionnaire.

230        Dans le même sens, l’employeur ne peut soutenir que la suspension de fonctions est une mesure administrative justifiée, alors qu’elle est due à la suspension de la cote de fiabilité, mesure disciplinaire.

4. Le grief portant sur la discrimination est-il fondé?

231        Pour établir la discrimination, il faut démontrer une pratique de l’employeur qui s’applique de façon différentielle à l’employé en raison d’un des motifs interdits par la LCDP ou par la convention collective, qui reprend essentiellement les mêmes motifs. L’alcoolisme et la toxicomanie ont été reconnus comme déficiences et, partant, sont des motifs interdits de discrimination qui obligeraient l’employeur à fournir un certain accommodement.

232        Aucune preuve ne m’a été présentée à l’égard d’un problème de dépendance à l’alcool ou à la marijuana. Le fonctionnaire a admis qu’il avait eu des problèmes à contrôler sa consommation d’alcool. Il n’y a aucune indication que cela correspondait à de l’alcoolisme. Le fonctionnaire ne s’est jamais présenté au travail en état d’ébriété. Le fonctionnaire affirme par ailleurs qu’il n’avait pas une dépendance à l’égard de la marijuana, et il n’y a rien dans la preuve devant moi qui le démontre. De plus, rien dans la preuve n’établit que l’employeur croyait que le fonctionnaire avait un problème de dépendance à l’alcool ou à la marijuana.

233        Ni l’abus d’alcool ni la consommation de marijuana ne constituent des motifs interdits de discrimination. Les mesures prises par l’employeur ne sont pas justifiées, mais je ne peux pas dire qu’elles sont discriminatoires. Ce grief sera donc rejeté.

C. Mesures de redressement

234        Le motif allégué de licenciement étant un faux prétexte, le licenciement est annulé. La suspension de fonctions est aussi annulée. La révocation de la cote de fiabilité et sa suspension sont également annulées.

235        À la fin de l’audience, le fonctionnaire a demandé que la réintégration demandée dans les griefs soit remplacée par une indemnisation. Les parties n’ont cependant pas encore eu l’occasion de présenter leur preuve et argumentation à cet égard. Je les invite à tenter de s’entendre sur l’indemnisation à verser au fonctionnaire dans les circonstances.

236        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

V. Ordonnance

237        Le grief 566-02-9772 contre la discrimination est rejeté.

238        Le grief 566-02-9771 contre la suspension de la cote de fiabilité est accueilli.

239        Le grief 566-02-9770 contre la suspension de fonctions est accueilli.

240        Le grief 566-02-10102 contre la révocation de la cote de fiabilité est accueilli.

241        Le grief 566-02-10375 contre le licenciement est accueilli.

242        Je demeure saisie du dossier pendant 90 jours à l’égard de la question de l’indemnisation à laquelle le fonctionnaire a droit dans les circonstances.

Le 22 février 2016.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique

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