Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les tentatives du fonctionnaire s’estimant lésé visant à obtenir des avantages en vertu de la Directive sur la réinstallation auxquels il savait, ou aurait dû savoir, qu’il n’avait pas droit, allait à l’encontre des Règles de conduite professionnelle de l’employeur et du Code de valeurs et d’éthique du secteur public – les deux parties ont reconnu qu’une mesure disciplinaire était justifiée – la question consistait à déterminer si la sanction imposée était excessive – la formation de la Commission a conclu que l’éducation et l’ignorance des droits ne constituaient pas des circonstances atténuantes – le dossier de service et le rendement acceptable du fonctionnaire s’estimant lésé constituaient des facteurs atténuants, mais leur effet était insuffisant pour rendre nulle et non avenue la malhonnêteté qu’il avait manifestée – la formation de la Commission a conclu que les facteurs aggravants les plus importants étaient la gravité de l’inconduite, l’intention du fonctionnaire s’estimant lésé et l’absence de reconnaissance de l’inconduite – la formation de la Commission a conclu que lorsque les incohérences, prises dans leur ensemble, correspondent à une tendance à tromper et à une intention de frauder l’employeur, le licenciement n’est pas excessif – le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’enquêteuse était partiale et qu’elle n’aurait pas dû participer à l’enquête disciplinaire – la formation de la Commission a conclu que l’enquêteuse n’avait joué aucun rôle dans la détermination de la mesure disciplinaire qui a été imposée – tout préjudice ou iniquité causé par un problème de procédure a été corrigé par l’audience du grief.Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et
Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20161223
  • Dossier:  566-02-11319
  • Référence:  2016 CRTEFP 121

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

JONATHAN RAHIM

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Rahim c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Margaret T. A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Sheryl Ferguson, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN
Pour le défendeur:
Richard Fader, avocat
Affaire entendue à Kingston (Ontario),
du 5 au 8 juillet 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Jonathan Rahim, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a déposé un grief au motif que son licenciement était excessif et injuste. Il a fait valoir que le licenciement a eu lieu lorsqu’il a prétendument demandé et accepté des avantages en vertu de la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte (la « Directive »), auxquels il n’avait pas droit. Il a également allégué que l’enquête qui a donné lieu à son licenciement était biaisée et que le rapport des enquêteurs ne traduisait pas fidèlement et avec exactitude les déclarations qu’il a formulées devant la commission d’enquête.

2        Le fonctionnaire a fait valoir que d’autres personnes qui ont demandé des avantages auxquels ils n’avaient pas droit n’avaient pas été licenciées. Selon le fonctionnaire, la seule raison pour laquelle il a été licencié était que Scott Thompson, le gardien à l’Établissement Warkworth à l’époque pertinente, avait des préjugés contre lui et sa famille, puisqu’il avait travaillé avec de nombreux membres de sa famille au Pénitencier de Kingston. Le fonctionnaire a également affirmé qu’il avait fait l’objet de discrimination en raison de son ethnicité.

3        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no2 sur le plan daction économique de 2013, une engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no2 sur le plan daction économique de 2013.

II. Résumé de la preuve

4        Le fonctionnaire était un agent correctionnel (CX) dont le poste était classifié au groupe et au niveau CX­01. Au moment de son licenciement, il était au service de l’employeur, le Service correctionnel du Canada, depuis sept ans. Après la fermeture du Pénitencier de Kingston, situé à Kingston, en Ontario, aux environs du 30 septembre 2013, il a accepté un transfert à l’Établissement Warkworth, situé à Warkworth, en Ontario. Puisqu’une réinstallation était possible, le fonctionnaire avait droit à certains avantages en vertu de la Directive.

5        Tout au long de l’enquête et de l’audience disciplinaire, il est devenu évident que le fonctionnaire n’avait pas changé sa résidence principale et qu’il ne s’était pas réinstallé dans le secteur de Warkworth; il est demeuré à sa résidence d’Odessa, près de Kingston et il faisait la navette lors de ses quarts de travail à l’Établissement Warkworth. Pour avoir droit aux avantages liés à la réinstallation qu’il a demandés et reçus, il aurait dû soit vendre sa résidence à Odessa et se réinstaller à Warkworth, soit choisir de ne pas la vendre et demander l’[traduction]« indemnité liée au choix de ne pas vendre ». Dans les deux cas, il était tenu d’établir une nouvelle résidence principale dans le secteur de Warkworth.

6        Le fonctionnaire ne s’est pas réinstallé et a demandé l’indemnité liée au choix de ne pas vendre pour une maison située à Odessa, dont il a affirmé être le propriétaire, mais qui, en réalité, appartenait à sa conjointe de fait. En Ontario, un bien matrimonial n’est pas lié aux biens détenus par un conjoint de fait. Pour avoir droit à l’avantage, en plus d’être le propriétaire inscrit de la propriété en question, le fonctionnaire devait présenter une entente de location signée, ce qu’il a fait. L’autre signataire du bail était un collègue qui a affirmé aux enquêteurs qu’aucune somme d’argent n’avait été échangée et qu’il s’attendait à être payé pour avoir permis au fonctionnaire et à d’autres CX de demeurer dans sa maison s’ils avaient besoin d’un endroit où [traduction] « s’installer temporairement » en raison des mauvaises conditions météorologiques ou des quarts changeants. De plus, pendant l’enquête, il est devenu évident que, entre les mois de novembre et décembre 2013, le fonctionnaire a demandé des avantages liés à un hébergement provisoire, des indemnités de repas et des indemnités pour frais accessoires pour les mêmes jours pour lesquels il a demandé une indemnité de transport quotidien pour chaque quart, ce qui constitue un cumul d’indemnités.

7        Vicki Liscumb était la coordonnatrice de la réinstallation de l’employeur pour la région de l’Ontario et était responsable de la vérification des dossiers de réinstallation après leur fermeture. Elle a déclaré que lorsqu’un dossier de réinstallation était ouvert, il était attribué à un tiers fournisseur de services, soit Services globaux de relogement Brookfield (« Brookfield »), qui nommait ensuite un agent afin qu’il travaille avec l’employé réinstallé. Toutes les communications relatives au déménagement étaient tenues entre Brookfield et l’employé. L’agent de Brookfield et l’employé effectuaient ensuite une série de conférences téléphoniques, durant lesquelles le déménagement était planifié et les droits aux avantages déterminés et traités. L’agent de Brookfield n’aurait pas pu savoir si l’employé était propriétaire de la propriété inscrite à titre de résidence d’origine à Odessa. Une fois le déménagement terminé, Brookfield a envoyé son dossier à Mme Liscumb aux fins de vérification. Au cours de sa vérification du dossier du fonctionnaire, des écarts ont été relevés.

8        Lorsque le Pénitencier de Kingston a fermé, le fonctionnaire s’est vu offrir un poste à l’Établissement Warkworth et l’a accepté. La lettre d’offre qu’il a signée (pièce 12) contenait un lien vers la Directive sur les voyages. Il avait le choix de faire la navette de plus de 40 km pour se rendre à l’Établissement Warkworth et obtenir des avantages liés aux déplacements ou de déménager dans le secteur de l’Établissement Warkworth et demander des dépenses de réinstallation. L’un des avantages liés à la réinstallation était l’indemnité liée au choix de ne pas vendre relativement à sa résidence principale, que le fonctionnaire a demandé. Pour demander cette indemnité, il devait se réinstaller dans le secteur de l’Établissement Warkworth, comme l’indiquait la note de service que l’employeur a envoyée à la coordonnatrice de la réinstallation pour la région de l’Ontario (pièce 5), qui a été communiquée à l’agent négociateur en juillet 2013 après que des griefs ont été déposés concernant cette interprétation (pièce 6).

9        Si un employé réinstallé choisit l’indemnité liée au choix de ne pas vendre, 80 % de la commission immobilière versée si sa résidence principale est vendue lui est remis. Le fonctionnaire a choisi de demander l’indemnité liée au choix de ne pas vendre le 29 avril 2014 (pièce 2, onglet 9). Pour y avoir droit, il devait fournir à Brookfield et à l’employeur une entente de location signée pour une propriété dans le secteur de Warkworth et une évaluation de sa propriété d’Odessa, qu’il a fournis. Il a également présenté un document hypothécaire afin de démontrer qu’il était propriétaire de la maison en question (pièce 2, onglet 15). Par conséquent, un crédit de 12 000 $ a été ajouté à son enveloppe de financement aux fins de réinstallation en mai 2014. Tout ce qui reste dans l’enveloppe personnalisée est payé à l’employé à la fermeture du dossier.

10        Le fonctionnaire avait également droit à trois mois d’aide au transport, du 7 novembre 2013 au 7 janvier 2014, en attendant de prendre une décision relative à la réinstallation. L’indemnité de transport était de 500 $ par mois et il ne l’a demandé qu’une seule fois. Il a demandé l’indemnité pour hébergement provisoire pour la période du 9 novembre au 8 décembre 2013, et de nouveau pour la période du 9 décembre 2013 au 7 janvier 2014. L’indemnité pour hébergement provisoire comprend les coûts d’hôtel ou d’hébergement privé, les repas et les frais accessoires pendant que l’employé est en déplacement. Les taux sont établis dans la Directive. L’aide au transport vise à défrayer les coûts du transport entre le lieu de résidence de l’employé et son lieu de travail pendant la période de prise de décision de trois mois. Le fonctionnaire n’est pas resté dans le secteur de Warkworth au cours de la période pour laquelle il a demandé l’indemnité pour hébergement provisoire, il a plutôt fait la navette entre Kingston et l’Établissement Warkworth, soit une distance d’environ 130 km pour l’aller.

11        L’indemnité pour hébergement provisoire est versée uniquement pour les périodes où le fonctionnaire a travaillé à l’Établissement Warkworth et non celles où il faisait la navette de sa résidence principale à l’Établissement Warkworth. Des reçus sont exigés afin de justifier une demande relative à un hébergement provisoire, tandis que l’indemnité liée au transport est fondée sur le kilométrage qui sépare la résidence principale de l’employé du lieu de travail. Aucun reçu n’est exigé pour l’indemnité liée au transport.

12        Un examen plus minutieux du document hypothécaire présenté par le fonctionnaire révèle que la propriétaire inscrite était une certaine Mme H. Woodhouse et qu’elle n’était pas l’épouse de M. Rahim. Selon la liste des propriétés à vendre par S.I.A.,  H. Woodhouse était la propriétaire de la propriété d’Odessa. Le fonctionnaire a indiqué à Brookfield que H. Woodhouse était sa conjointe de fait, mais n’a fourni aucune des preuves requises. Puisqu’il a demandé l’indemnité liée au choix de ne pas vendre, il devait acheter ou louer une unité d’habitation unifamiliale semblable à celle dont il affirmait être propriétaire. Aucune preuve d’un tel achat ou d’une telle location n’a été présentée.

13        Par conséquent, une ordonnance de convocation disciplinaire a été émise ordonnant à Mme Liscumb et à Vicki Willis de mener une enquête disciplinaire sur les demandes du fonctionnaire liées à la réinstallation et aux heures supplémentaires relativement à son déménagement du Pénitencier Kingston à l’Établissement Warkworth. Il a rencontré les enquêteurs le 21 novembre 2014, en compagnie de Curtis Jones, le représentant de son agent négociateur, même si l’employeur ne lui avait pas fourni le préavis de 48 heures exigé. Les enquêteurs ont également discuté avec le directeur et John McLaughlin, de qui le fonctionnaire louait apparemment une chambre près de l’Établissement Warkworth.

14        Les enquêteurs ont conclu que, pour les mêmes journées, une indemnité pour l’hébergement provisoire avait été versée au fonctionnaire, ainsi qu’une indemnité liée au transport, qu’il a reçue et demandée; les demandes de remboursement de frais de voyage présentées par le fonctionnaire aux fins de paiement (pièce 2, onglet 6) confirment la conclusion des enquêteurs. Le fonctionnaire a également demandé et reçu un versement pour des heures supplémentaires pendant ses déplacements. Il a indiqué que sa résidence principale se trouvait toujours à Odessa et qu’il restait parfois chez M. McLaughlin entre ses quarts. Il avait conclu une entente pour une chambre seulement, qu’il payait à M. McLaughlin conformément à l’entente qu’il a présentée en preuve à l’appui de l’arrangement et du nombre de jours où il est resté avec ce dernier. Pour obtenir l’indemnité liée au choix de ne pas vendre, le fonctionnaire a dit à l’employeur qu’il avait déménagé de façon permanente à la résidence de M. McLaughlin, bien qu’il ait fourni peu de détails, ou pas du tout, concernant les coûts de location. À la fin de l’entrevue d’enquête, le fonctionnaire a offert de rembourser tout paiement en trop qu’il aurait reçu.

15        Étant donné tous les écarts dans les documents, les multiples demandes présentées et le manque de clarté relativement à l’arrangement avec M. McLaughlin, les enquêteurs ont conclu que le fonctionnaire ne s’était pas réinstallé et qu’il avait demandé et reçu des avantages auxquels il n’avait pas droit. Par conséquent, il a contrevenu au « Code de conduite » de l’employeur et aux normes professionnelles auxquelles sont tenus tous les CX. Cette conclusion a été consignée dans le rapport d’enquête (pièce 2, onglet 6) présenté au directeur de l’Établissement Warkworth.

16        Amanda Schmatkow travaillait pour Brookfield en 2013. Son rôle en tant qu’agente de Brookfield était d’administrer la Directive, de fournir des conseils aux employés concernant les avantages et de traiter les demandes de remboursement qu’ils présentent. Leah Spooner et Jason Tyre, les agents affectés au dossier du fonctionnaire, relevaient de Mme Schmatkow. Les deux ont participé à la formation en salle de classe qui a eu lieu en novembre 2012, où les modifications à l’indemnité liée au choix de ne pas vendre ont été expliquées et où il a été précisé qu’un employé devait se réinstaller pour être admissible à l’indemnité liée au choix de ne pas vendre, contrairement à la pratique antérieure.

17        La première séance de planification du fonctionnaire s’est tenue par téléphone le 28 octobre 2013. Lors de cette séance, d’après les notes au dossier (pièce 7), ils ont discuté de son intention de vendre sa résidence principale, ainsi que des avantages auxquels il aurait droit s’il choisissait de ne pas se réinstaller. Le 31 janvier 2014, le représentant de Brookfield a effectué un suivi auprès du fonctionnaire afin d’obtenir une évaluation de la propriété. Le 24 mars 2014, le fonctionnaire a été informé que s’il choisissait l’indemnité liée au choix de ne pas vendre, il devait retourner le formulaire d’option dans les 15 jours après avoir reçu le rapport d’évaluation de la propriété, ce qu’il a fait. Ce formulaire a ensuite été envoyé au coordonnateur national de la réinstallation aux fins de signature. Le 7 avril 2014, le fonctionnaire a informé Brookfield qu’il n’était pas d’accord avec l’évaluation de la propriété. Il a été informé qu’une deuxième évaluation pouvait être réalisée et son adresse de destination lui a été demandée. Le 2 juin 2014, on a demandé au fonctionnaire de fournir un bail à l’appui de sa nouvelle adresse, ce qu’il a fait (pièce 2, onglet 10). Le formulaire qu’il a présenté n’avait pas été créé ou fourni par Brookfield. Le fonctionnaire a également dû fournir une preuve du titre de la propriété en question, ce qu’il a fait, sous la forme d’un document hypothécaire (pièce 2, onglet 15) qui indiquait que Mme H. Woodhouse était l’unique propriétaire de la propriété.

18        M. Thompson a été directeur de l’Établissement Warkworth du 4 janvier 2015 au 4 avril 2016. Lorsqu’il est arrivé, plusieurs enquêtes étaient en cours concernant des demandes liées à la réinstallation, y compris celles du fonctionnaire. Il a examiné le rapport de Mmes Liscumb et Willis et a été convaincu qu’il était clair et qu’une audience disciplinaire était nécessaire. L’audience a eu lieu le 24 mars 2015. Le fonctionnaire et le représentant de son agent négociateur y ont participé et ont eu l’occasion de fournir d’autres précisions et de réfuter les conclusions du rapport. L’essentiel de l’argumentation du fonctionnaire était que l’employeur avait commis une erreur en approuvant des paiements auxquels il n’avait pas droit.

19        Les paiements ont été approuvés selon les formulaires présentés par le fonctionnaire. M. Thompson a demandé des précisions sur l’entente de location conclue entre M. McLaughlin et le fonctionnaire. Selon M. Thompson, il était clair qu’aucun montant d’argent n’avait été échangé; le loyer était payé en pizza, en bière ou en épicerie lorsque le fonctionnaire demeurait là. De plus, il était clair que l’entente de location n’avait été créée que lorsque le fonctionnaire a réalisé qu’elle était nécessaire pour obtenir l’indemnité liée au choix de ne pas vendre. Lorsqu’on lui a demandé les dates de ses séjours dans des hébergements provisoires, il n’a pas été en mesure de fournir de dates et n’a jamais fourni les renseignements à M. Thompson. Selon M. Thompson, M. McLaughlin n’était pas crédible et ne pouvait confirmer si le fonctionnaire était demeuré avec lui, ou quand, le cas échéant. Malgré l’argument de l’Union of Canadian Correctional Officers Syndicat des agents correctionnels du Canada – Confédération des syndicats nationaux (le « syndicat ») selon lequel il était clair que les actes du fonctionnaire indiquaient qu’il n’avait jamais eu l’intention de déménager, il a activement cherché à obtenir des avantages auxquels il n’avait pas droit en présentant des documents à l’appui de sa demande.

20        Au sujet de la réunion disciplinaire, M. Thompson a dit qu’elle visait à établir que le fonctionnaire n’était pas à blâmer pour les demandes qu’il a présentées. Selon son représentant à la réunion, l’employeur et Brookfield avaient commis une erreur. Le fonctionnaire n’a démontré aucun remords pour ses actes. Il a offert de restituer tout montant auquel il n’avait pas droit. Il y a une différence entre des remords et une restitution.

21        Le fonctionnaire est demeuré au travail en attendant que M. Thompson prenne sa décision. Il a abordé les préoccupations procédurales cernées par le syndicat et les a prises en considération au moment de prendre sa décision, laquelle a été communiquée au fonctionnaire trois semaines et demie après la réunion disciplinaire. Entre­temps, il n’a fourni aucune autre information.

22        M. Thompson a fait valoir qu’il était confronté à un employé qui s’était donné beaucoup de mal pour obtenir des avantages auxquels il n’avait pas droit. Il a été jusqu’à falsifier des documents pour un montant d’argent minime, ce qui a grandement préoccupé M. Thompson, selon son témoignage. Il s’est questionné à savoir jusqu’où le fonctionnaire pourrait aller pour en obtenir davantage. Étant donné que l’Établissement Warkworth était connue, à l’époque, pour son nombre important d’agents corrompus, la confiance de l’employeur à l’égard du fonctionnaire était essentielle à son emploi continu. Il n’a pas coopéré tout au long de l’enquête ou durant l’audience disciplinaire. À aucun moment il n’a admis qu’il avait fait quelque chose de mal; il a plutôt continué de blâmer tout le monde. M. Thompson s’est demandé comment le fonctionnaire pouvait continuer de clamer son innocence alors qu’il était clair qu’il s’était donné beaucoup de mal pour obtenir des avantages auxquels il n’avait pas droit.

23        D’autres agents touchés par le déménagement du Pénitencier de Kingston à l’Établissement Warkworth ont reçu des sanctions disciplinaires à la suite des vérifications de leur dossier de réinstallation. L’un a présenté sa démission au lieu d’être licencié. Le même choix a été offert au fonctionnaire, mais il a refusé. Un autre a vendu une propriété que sa femme et ses enfants occupaient. Il a fourni une explication raisonnable pour sa demande et a reçu une réprimande écrite avec une exigence de restitution. Un troisième, qui a utilisé une entente de location semblable à celle que le fonctionnaire a présentée, s’était en fait réinstallé pendant une brève période. Il a indiqué clairement à Brookfield qu’il n’avait jamais eu l’intention de se réinstaller de façon permanente. Cet agent a également reçu une réprimande écrite et a versé une restitution. Les documents qu’il a créés n’avaient pas pour but d’obtenir un avantage.

24        M. Thompson a déclaré qu’il était directeur adjoint des opérations au Pénitencier de Kingston lorsque le fonctionnaire a commencé à y travailler. Il savait que le père et le frère du fonctionnaire travaillaient également au Pénitencier de Kingston dans le secteur des services alimentaires. Il ne se rappelait pas avoir vu le fonctionnaire au Pénitencier de Kingston ni avoir signé ses évaluations du rendement.

25        Au moment de décider s’il devait licencier le fonctionnaire, M. Thompson a tenu compte des années de service du fonctionnaire, de son dossier disciplinaire, de ses antécédents à l’Établissement Warkworth, de son absence de remords et de sa participation au processus disciplinaire. La gravité et l’incidence des actes du fonctionnaire ont été des facteurs clés au moment de prendre sa décision. Pour tous ces motifs, M. Thompson a conclu qu’il y avait eu rupture de la relation de confiance et que celle-ci ne pouvait être réparée. Aucun employé ne pourrait regagner sa confiance dans ces circonstances. Le fonctionnaire a violé les règles 1 et 2 des Règles de conduite professionnelle et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public. Le fait que les montants dus ont été recoupés de sommes qui étaient dues au fonctionnaire n’est pas pertinent.

26        M. Jones était le représentant syndical du fonctionnaire au moment de la recherche des faits. Le 21 novembre 2014, il a conseillé au fonctionnaire de ne pas se présenter à la réunion de recherche des faits, puisqu’il n’avait pas reçu le préavis de 48 heures exigé dans la convention collective. Néanmoins, le fonctionnaire a accepté de participer et de coopérer avec les enquêteurs. M. Jones se rappelle vaguement quelques discussions relativement à la personne qui était propriétaire de la maison d’Odessa, mais il ne pouvait se rappeler la réponse. Toutefois, il se rappelait que le fonctionnaire avait informé les enquêteurs que Mme Woodhouse était inscrite sur ses avantages sociaux à titre d’épouse. M. Jones ne se rappelait pas que le fonctionnaire avait offert de rembourser tout montant auquel il n’avait pas droit. Après la réunion, M. Jones a parlé avec les enquêteurs et leur a dit qu’il comprenait pourquoi une enquête était menée relativement au fonctionnaire, mais qu’il ne comprenait pas pourquoi M. McLaughlin faisait également l’objet d’une enquête.

27        M. McLaughlin occupait un poste de CX au Pénitencier de Kingston jusqu’à sa fermeture. Il a été réinstallé à Établissement Warkworth et a acheté une maison dans le secteur de Warkworth. Il a offert des chambres à ses collègues CX qui faisaient la navette dans le secteur, en échange de pizza, d’épicerie et de bière les soirs où ils restaient chez lui. Il a fait cette offre à 13 agents. Aucun montant d’argent n’était échangé. Selon M. McLaughlin, le processus de réinstallation a été l’une des expériences les plus déroutantes qu’il ait vécues. Il a participé aux séances d’information, a lu les directives et a parlé avec d’autres personnes afin de comprendre à quoi il avait droit. Il se rappelle clairement avoir discuté de la Directive avec le fonctionnaire.

28        L’entente de location que le fonctionnaire a présentée à l’appui de sa demande d’indemnité liée au choix de ne pas vendre (pièce 2, onglet 10) était signée par M. McLaughlin, à la demande du fonctionnaire. M. McLaughlin se rappelle avoir reçu un paiement en espèces en échange de la signature de l’entente, mais il a déclaré qu’aucun loyer n’avait été payé. Il s’attendait à ce que le fonctionnaire apporte de la pizza et de la bière les soirs où il restait chez lui. M. McLaughlin a pris des arrangements semblables avec d’autres CX et aucun bail n’avait été exigé. Le fonctionnaire a demandé à M. McLaughlin de signer l’entente, parce qu’il devait la fournir à Brookfield à l’appui de sa demande d’indemnité liée au choix de ne pas vendre. Même s’il a signé l’entente, M. McLaughlin n’a jamais eu l’intention de percevoir un loyer auprès du fonctionnaire; ils étaient de bons amis.

29        M. McLaughlin a déclaré avoir fourni des éléments de preuve dans le cadre de l’audience dans le seul but d’aider son ami, le fonctionnaire. En tant qu’ami, M. McLaughlin savait que le fonctionnaire avait quitté sa maison et qu’il habitait en réalité à Kingston et non à Odessa au cours de la période en question. Il a discuté de l’entente avec le fonctionnaire environ trois semaines avant de la signer. Le fonctionnaire lui a indiqué qu’il avait besoin d’une entente signée qu’il pourrait présenter à l’appui de ses demandes d’indemnité liée au choix de ne pas vendre. M. McLaughlin a déclaré qu’il avait tout laissé entre les mains du fonctionnaire. Il a dit au fonctionnaire de rédiger ce dont il avait besoin et que lui, M. McLaughlin, le signerait, en échange de quoi le fonctionnaire lui a versé une somme de 300 $. M. McLaughlin a également déclaré qu’il n’avait jamais eu l’intention de percevoir un loyer auprès du fonctionnaire.

30        Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait fait des études à l’école de métiers et qu’il avait terminé le programme de formation de base exigé de tous les agents correctionnels. Il a commencé sa carrière auprès de l’employeur en travaillant dans la cuisine du Pénitencier de Kingston, en tant que travailleur des services alimentaires. Il est devenu CX en 2010, et a été affecté au Pénitencier de Kingston, où il est resté jusqu’à sa fermeture. Depuis qu’il a été relevé de ses fonctions, il a été incapable de se trouver un emploi permanent.

31        Au début, le fonctionnaire devait déménager à l’Établissement de Collins Bay, ce qui ne comportait aucune réinstallation. Il n’a pas assisté aux nombreuses séances d’information que l’employeur a offertes concernant le processus de réinstallation; il ne s’agissait pas d’une priorité pour lui. À un moment donné, il a accepté de changer de poste avec un autre agent et a pris un poste à l’Établissement Warkworth. Il a parlé avec son président du syndicat local, Mike Deslaurier, et a discuté de l’aide à laquelle il avait droit pour la réinstallation. D’après le fonctionnaire, M. Deslaurier lui a dit que le fait qu’il n’était pas propriétaire de la propriété à Odessa n’était pas un problème et qu’il pouvait quand même demander des avantages liés à la réinstallation comme s’il en était propriétaire, puisqu’il était le conjoint de fait de la propriétaire.

32        D’après le fonctionnaire, le 14 mai 2013, il a communiqué avec la coordonnatrice régionale de la réinstallation de l’employeur et lui a posé des questions sur les avantages liés à la réinstallation. On l’a informé que lorsqu’il recevrait une lettre d’offre, Brookfield communiquerait avec lui. Il a ensuite parlé avec des représentants du syndicat et des collègues, qu’il n’a pas nommés, qui avaient assisté aux séances d’information et qui possédaient des renseignements sur la réinstallation. Après un certain temps, un représentant de Brookfield a communiqué avec lui. Selon sa description, le représentant n’a pas été utile.

33        M. Tyre ne lui a jamais dit de lire la Directive. Il n’y a eu aucune discussion au sujet de l’indemnité liée au choix de ne pas vendre; le fonctionnaire lui a dit d’emblée que sa conjointe de fait était la propriétaire de la propriété à Odessa. M. Tyre lui a dit qu’une évaluation de la propriété était nécessaire peu importe s’il choisissait de la vendre ou de prendre l’indemnité liée au choix de ne pas vendre. À la demande de M. Tyre, le fonctionnaire a fourni une copie du certificat de localisation, de l’acte de cession, du relevé de taxes et de la liste de vérification relative à la réinstallation.

34        Tous les renseignements fournis à Brookfield indiquaient que le fonctionnaire n’était pas propriétaire de la propriété. Il a choisi l’indemnité liée au choix de ne pas vendre, puisque les représentants du syndicat et de Brookfield lui ont dit qu’il pouvait avoir recours à cette option. Il a activement cherché à obtenir l’avantage, tout en sachant pertinemment qu’il n’était pas le propriétaire de la propriété et qu’il n’y habitait pas, puisqu’il était séparé de sa conjointe de fait. Il devait faire un choix avant la date limite. En avril 2014, il a demandé à sa représentante de Brookfield, qui n’était plus la même, ce qu’il devait fournir comme preuve d’adresse de réinstallation. On lui a dit qu’il avait besoin d’un bail ou d’une autre preuve démontrant qu’il avait acheté une autre propriété, mais on ne l’a jamais informé que l’adresse de destination devait devenir sa résidence permanente. Il n’a jamais eu l’intention de se réinstaller de façon permanente à Warkworth; il avait l’intention de rester près de ses enfants dans le secteur d’Odessa.

35        Durant son témoignage, le fonctionnaire a affirmé qu’étant donné qu’il avait choisi l’indemnité liée au choix de ne pas vendre, il s’était donné beaucoup de mal pour avoir des renseignements de la part de Brookfield au sujet de ce qui était nécessaire pour établir qu’il demeurait dans une nouvelle résidence principale. Il a demandé si un bail au mois était acceptable. Il n’a jamais été informé qu’il devait y demeurer pendant une période minimale pour établir qu’il s’agissait d’une nouvelle résidence principale. Il a également soutenu avoir dit à la représentante de Brookfield qu’il avait une entente de résidence informelle avec un ami, mais qu’on lui avait dit que pour respecter les exigences de sa demande d’indemnité liée au choix de ne pas vendre, une preuve d’entente officielle était exigée. Il a rédigé et présenté une entente de location pour une chambre (pièce 2, onglet 10), signée par M. McLaughlin, à la demande de Brookfield. Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait aucune intention de frauder l’employeur et qu’il avait l’intention d’officialiser l’arrangement avec M. McLaughlin à un moment donné.

36        Le fonctionnaire a rempli la demande d’aide au transport (pièce 2, onglet 6, page 19) après avoir reçu un courriel de Brookfield lui demandant de le faire. Il savait que le formulaire devait être rempli afin que Brookfield puisse traiter le paiement de l’indemnité liée au transport. Il a également présenté une demande d’indemnité pour hébergement provisoire pour un hébergement privé sous forme de majorations pour une période de 30 jours. Brookfield n’a demandé aucune autre information concernant sa demande d’avantages liés à un hébergement provisoire ou concernant sa demande d’indemnité liée au transport. Puisque sa demande concernait un hébergement personnel, aucun reçu n’a été exigé pour confirmer son séjour.

37        Lorsque le fonctionnaire s’est présenté à son quart de travail le 21 novembre 2014, son gestionnaire correctionnel l’a informé de l’entrevue d’enquête disciplinaire à laquelle il devait assister. Avant l’entrevue, il n’était pas au courant de l’ordonnance de convocation. Avec son représentant syndical en service ce jour­là, le fonctionnaire a participé à l’entrevue étant donné qu’il a été informé qu’à défaut d’y participer, les enquêteurs établiraient leurs conclusions sans sa participation. Il a répondu honnêtement à toutes leurs questions, mais a eu l’impression d’avoir été pris de court et que Mmes Liscumb et Willis étaient rébarbatives. Le ton de la réunion était accusatoire. Il est possible que les enquêteuses l’aient perçu comme étant décontracté tout au long du processus. Il leur a demandé le montant qu’elles croyaient qu’il devait et a offert de le rembourser. Il a accepté de fournir une déclaration solennelle confirmant qu’il était en couple avec sa conjointe de fait, ce qu’il n’a jamais fait.

38        Le fonctionnaire a déclaré qu’il ne comprenait pas ce que l’employeur lui reprochait. Il s’est finalement rendu compte qu’il avait reçu des avantages auxquels il n’avait pas droit. Il a fait des erreurs; il n’a pas lu la Directive ou tenu ses dossiers et il a signé des demandes sans les lire. Comme il a offert de rembourser tout montant auquel il n’avait pas droit, il ne comprenait pas pourquoi son employeur était aussi en colère contre lui. Il n’a pas conclu une entente de location uniquement pour obtenir l’indemnité liée au choix de ne pas vendre. Brookfield a préparé ses demandes liées à l’hébergement provisoire et il les a simplement signées sans lire l’attestation qui y était inscrite.

39        Lors de l’audience disciplinaire, le 12 mars 2015, le fonctionnaire a fourni à M. Thompson une lettre indiquant qu’il avait un intérêt financier dévolu à l’égard de la propriété d’Odessa. Selon le fonctionnaire, le directeur ne semblait pas s’en préoccuper; le fonctionnaire était d’avis que l’entente de location semblait être la principale préoccupation de M. Thompson. Lors de l’audience disciplinaire, le directeur n’était pas ouvert à ce que le fonctionnaire avait à dire. Il était distrait et faisait fi des réponses du fonctionnaire; à un certain moment, il s’est retourné vers son ordinateur et s’en est servi pour vérifier les dossiers du fonctionnaire dans le système de gestion des ressources humaines. Le fonctionnaire n’avait pas l’intention d’utiliser la Directive en vue d’en tirer un gain personnel. Selon lui, il est impossible que ses erreurs aient irrévocablement rompu le lien de confiance.

40        Lors du contre­interrogatoire, le fonctionnaire a déclaré qu’il s’était rendu compte qu’il n’avait pas droit aux avantages liés à la réinstallation qu’il avait reçus et que, par conséquent, il n’a pas rempli la paperasserie. C’est également le cas en ce qui concerne l’indemnité liée au transport et les avantages liés à l’hébergement provisoire. Il n’a jamais tenté d’obtenir une copie de la Directive sur le transport afin de déterminer ce à quoi il avait droit, le cas échéant. Il a rempli le formulaire et y a indiqué les jours où il a travaillé dans l’espoir d’être payé pour le kilométrage de Kingston à Warkworth pour ces journées. Pour certaines de ces journées, il a également demandé l’indemnité pour hébergement provisoire, parce qu’elle était payée une fois par mois. Il a demandé l’indemnité pour hébergement provisoire pour un mois complet, même s’il n’est pas resté à Warkworth plus de quelques nuits durant la période en question. Il est retourné à Kingston entre ses quarts. Il a trouvé étrange d’être payé 1 600 $ pour des repas alors qu’il n’était pas resté à Warkworth. Il n’a pas contesté avoir reçu des avantages liés à un hébergement provisoire, l’indemnité liée au transport, le kilométrage en heures supplémentaires et les avantages liés à la réinstallation tout en faisant la navette entre Kingston et Warkworth, ce qui était contraire aux directives du Conseil national mixte sur les voyages et la réinstallation.

41        En plus des témoins mentionnés plus tôt, Mme Willis, Rob Campney et Shane Dyer ont été cités à témoigner. L’essentiel de leur preuve est compris dans les témoignages des autres témoins et, par conséquent, il serait futile aux fins de cette décision et n’a donc pas été consigné.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

42        Le fonctionnaire comptait sept années de service auprès de l’employeur, dont trois en tant que CX. Il a commis des actes frauduleux graves pour lesquels il n’a démontré aucun remords. Tous les témoins de l’employeur en ont témoigné. Dans son témoignage, au lieu d’accepter la responsabilité de ses actes et d’exprimer des remords, le fonctionnaire a choisi de rejeter la faute sur les autres et sur le fait qu’il n’avait pas lu les politiques. La lettre d’offre (pièce 12) qu’il a reçue pour le poste à l’Établissement Warkworth contenait un lien vers la Directive, ainsi que des renseignements sur son droit à l’indemnité liée au transport. Il a choisi d’ignorer cette information.

43        D’après le titre de la Directive, il est évident qu’il est nécessaire de se réinstaller dans une nouvelle résidence principale située plus près du nouveau lieu de travail. Le fonctionnaire ne s’est pas réinstallé et n’en a jamais eu l’intention, mais il a tout de même cherché à obtenir des avantages en vertu de la Directive, comme s’il s’était réinstallé. Il a présenté des documents falsifiés à l’appui de ses demandes, sachant très bien qu’ils étaient faux et qu’il n’avait aucune intention de se réinstaller.

44        En ce qui concerne la demande d’aide au transport pour une période où il n’y avait pas droit, le fonctionnaire a fait valoir comme seul argument qu’il n’avait pas lu le formulaire et qu’un autre formulaire était nécessaire pour déclencher le paiement. Il a soutenu qu’il n’avait jamais rempli ce formulaire, ce qui ne fait aucun sens, puisqu’il a reçu le paiement. Il a également demandé le remboursement de son kilométrage pour cette période. Lorsqu’il a été interrogé à ce sujet en contre-interrogatoire, il a tenté de formuler une réponse qui n’avait pas de sens. Il ressort clairement qu’il a présenté de multiples demandes, soit deux et même trois, et qu’il a reçu des indemnités provenant de plusieurs programmes et que toute indemnité à laquelle il aurait eu droit aurait découlé d’un seul programme.

45        Il ne s’agit pas seulement du cumul de deux ou trois indemnités. Le fonctionnaire a également demandé des indemnités pour hébergement et de repas pour des jours où il n’a pas passé la nuit près de l’Établissement Warkworth. Il a demandé l’indemnité pour hébergement de 30 jours, sans toutefois se souvenir des jours où il est resté à la maison de M. McLaughlin, le cas échéant. Le fonctionnaire savait quand il avait travaillé et il savait qu’il n’était pas resté dans le secteur de Warkworth. Il s’agissait d’une décision délibérée en vue de demander ces avantages relativement à des périodes où il n’y avait pas droit, et ce, même s’il était resté dans le secteur de Warkworth lorsqu’il était en exercice.

46        Si le fonctionnaire faisait la navette entre Kingston et Warkworth, il n’avait pas droit à l’indemnité liée au choix de ne pas vendre. Pour y avoir droit, il devait s’être réinstallé. Sa preuve n’est pas crédible. Selon la preuve non contredite de Mme Schmatkow, un changement de résidence principale est nécessaire. Les représentants de Brookfield ont cherché à obtenir les documents requis pour traiter la demande d’indemnité liée au choix de ne pas vendre lorsque le fonctionnaire a fait part de son intention d’en faire la demande. Le fonctionnaire a fourni ces documents. Il n’a pas été crédible lorsqu’il a déclaré qu’il avait l’intention de faire la navette et qu’il en avait informé les représentants de Brookfield. Il a fourni une série de documents à l’appui de sa demande, y compris une fausse entente de location. En fournissant les documents, son intention était clairement d’obtenir l’indemnité liée au choix de ne pas vendre.

47        Les documents que le fonctionnaire a fournis pour établir son état civil à titre de conjoint de fait se sont avérés inutiles. En fait, ils ont simplement démontré que la propriété d’Odessa était détenue uniquement par Mme Woodhouse et uniquement à son propre compte. Aucune preuve n’a permis d’établir l’existence d’une relation avec une conjointe de fait. De plus, le secteur d’Odessa est demeuré son lieu de résidence principale, bien qu’il n’ait pas été établi clairement s’il demeurait avec Mme Woodhouse ou avec ses parents.

48        Les formulaires que le fonctionnaire a remplis pour les indemnités liées au transport et à l’hébergement et qu’il a présentés aux fins de remboursement étaient simples et ne comprenaient qu’une page et le fonctionnaire devait y cocher les cases correspondant aux dates où il devait travailler. Il n’y avait rien de compliqué dans ces formulaires et il n’était pas nécessaire d’avoir un niveau élevé d’études ou de compétences pour les interpréter. Le fonctionnaire savait ce qu’il faisait et il avait l’intention d’exécuter ses actes. Son comportement à l’audience n’a fait qu’envenimer la situation. Encore une fois, il n’a assumé aucune responsabilité pour ses actes et a plutôt préféré rejeter la faute de ses méfaits sur les autres.

49        Aucune preuve quelconque de discrimination fondée sur l’origine ethnique n’a été déposée. Si tel était le cas, les principes établis dans Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.) s’appliqueraient, puisque la discrimination n’a jamais été soulevée dans l’ensemble de la procédure de règlement des griefs. Il s’agit d’un nouveau motif de grief, qui ne doit pas être pris en considération. De plus, puisque la nouvelle Commission n’a aucune compétence distincte relative aux droits de la personne, le fonctionnaire ne peut déposer une plainte relative aux droits de la personne devant la Commission (voir Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, aux par. 121 et 122).

50        En ce qui concerne la question des mesures disciplinaires discriminatoires, le fonctionnaire devait établir qu’il avait été isolé et traité différemment des autres qui avaient fait des choses semblables. Il faut comparer les pommes avec les pommes (voir Bridgen c. Canada (Service correctionnel), 2014 CAF 237, au par. 59). Dans les circonstances dont la nouvelle Commission est saisie, trois autres personnes ont fait l’objet de mesures disciplinaires : l’un a choisi de démissionner plutôt que d’être licencié et deux autres, M. Dyer et M. Harker, ont entièrement collaboré avec l’employeur et ont fourni des reçus et des explications à l’appui de leurs actes. Contrairement au fonctionnaire, ils ont reconnu leurs actions et ont exprimé de réels remords.

51        Peu importe si le fonctionnaire pensait que des accusations criminelles auraient pu être déposées à la suite de l’enquête de l’employeur et s’il avait consulté ou non un avocat, il était dans l’obligation de participer à un processus administratif (voir Hughes et Titcomb c. Agence Parcs Canada, 2015 CRTEFP 75).

52        Les politiques en vertu desquelles le fonctionnaire a cherché à obtenir des avantages étaient claires et les formulaires étaient simples. Le bon sens aurait dû lui dicter qu’il ne pouvait pas demander plus d’un avantage pour la même période. Le bon sens devrait s’appliquer au moment de déterminer s’il avait l’intention de chercher à obtenir des avantages auxquels il n’avait pas droit. Dans ces circonstances, une personne raisonnable se serait­elle attendue à être payée pour faire la navette et, en même temps, demander des avantages pour être hébergée pour la nuit à destination? En termes simples, non. Dans ces circonstances, une personne raisonnable s’attendrait­elle à avoir droit à un avantage lié à la vente d’une propriété à l’égard de laquelle elle n’a aucun intérêt financier? Encore là, en termes simples, non. Le fonctionnaire a minutieusement forgé sa preuve afin de démontrer qu’il n’avait rien fait de tout cela, mais ses explications ne font aucun sens. Une fraude est une fraude et il est interdit à toute personne qui vole la Couronne d’être employée par la Couronne (voir Gannon c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2002 CRTFP 32; Gannon c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 417; et Juneau c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166­02­13118 (19820922), [1982] C.R.T.F.P.C. no 160 (QL)).

53        Les actes du fonctionnaire s’apparentent à ceux du fonctionnaire dans Bristow c. Conseil du Trésor (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada), dossier de la CRTFP 166­02­14868 (19850422), [1985] C.R.T.F.P.C. no 114 (QL). Dans cette affaire, le fonctionnaire a été licencié après qu’une enquête ait révélé qu’il avait demandé le remboursement de frais de déplacement pour des voyages à des endroits qui n’existent pas et qu’il n’a pas faits. Dans ce cas, la crédibilité du fonctionnaire était une partie importante de la décision de l’arbitre de grief. Compte tenu du fait que, dans ce cas, le fonctionnaire a nié toute inconduite et que son travail comportait l’exécution d’enquêtes concernant des demandes d’assurance­emploi frauduleuses, il n’y avait aucun facteur atténuant.

54        Le licenciement pour fraude sous la forme de la falsification des demandes de remboursement des frais de déplacement a été confirmé dans King c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-25956 (19950125), [1985] C.R.T.F.P.C. no 8 (QL), au motif que le lien de confiance avait été irrémédiablement rompu. En l’espèce, comme dans le cas du fonctionnaire dans King, le fonctionnaire a démontré une tendance à tromper et une intention de frauder son employeur. De plus, les actes du fonctionnaire n’ont pas été faits sur un coup de tête; ils ont clairement été planifiés en vue d’obtenir des avantages auxquels il n’avait pas droit (voir Horne c. Agence Parcs Canada, 2014 CRTFP 30).

55        La fraude est une infraction très grave qui exige des mesures disciplinaires sévères (voir Pinto c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-16802 (19880411), [1988] C.R.T.F.P.C. no 96 (QL); Zakoor c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-25882 (19941121), [1994] C.R.T.F.P.C. no 138 (QL); Ayangma c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2006 CRTFP 64; McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26; et Mangatal c. Administrateur général (ministère des Ressources naturelles), 2016 CRTEFP 43). Bien sûr, certains gestes sont tellement contraires à l’éthique et incompatibles avec les buts et objectifs de l’employeur qu’ils soulèvent des doutes réels quant à la capacité de l’employé de respecter les règles les plus fondamentales d’honnêteté. En outre, le refus du fonctionnaire d’accepter la responsabilité de ses actes et d’exprimer des remords est essentiel pour évaluer si la relation d’emploi a été détruite (voir Way c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 39).

56        Les remords doivent être authentiques et exprimés en temps opportun (voir Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62). S’ils viennent trop tard dans le processus, ils ne peuvent être considérés à titre de facteur atténuant. Tous remords exprimés par le fonctionnaire doivent être considérés minutieusement en tenant compte du moment où ils ont été exprimés et s’ils sont accompagnés de tentatives de rendre les autres responsables de ses méfaits.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

57        Dès que le fonctionnaire a eu le moindre doute que ses demandes n’étaient pas légitimes, il a demandé à l’employeur ce qu’il lui devait. Il a assumé sa responsabilité à la fin de la première réunion d’enquête disciplinaire. Il a reconnu, devant la nouvelle Commission, qu’il était resté à Warkworth uniquement pendant ses heures de travail. Il a admis qu’il avait recueilli les avantages liés à l’hébergement provisoire alors qu’il était demeuré chez lui. M. McLaughlin et le fonctionnaire avaient une entente; M. McLaughlin a ouvertement indiqué qu’ils étaient des amis. Son témoignage était le même que celui qu’il a fourni au cours de l’enquête. Le fonctionnaire n’a jamais nié que sa résidence principale était à Odessa.

58        L’employeur a établi qu’il y avait un motif raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire en l’espèce. La question consiste à déterminer si la sanction imposée était appropriée. Le fonctionnaire n’a jamais lu la Directive (pièce 2, onglet 19). Les témoins de l’employeur étaient des experts en la matière dans ce domaine. Bien qu’il incombe à l’employé de connaître la Directive, c’est également le cas de l’employeur en vertu de la clause 2.2.1. Il est clair, selon la preuve présentée, que le versement de l’indemnité liée au choix de ne pas vendre n’était pas autorisé sans l’approbation du coordonnateur ministériel national.

59        L’employeur a autorisé le versement de l’indemnité liée au choix de ne pas vendre (voir le formulaire d’approbation à l’onglet 9 de la pièce 2) avant même d’avoir l’entente de location et alors qu’il avait l’évaluation de la propriété qui indiquait que le fonctionnaire n’en était pas le propriétaire. Les représentants de Brookfield lui ont dit qu’il pouvait obtenir l’indemnité liée au choix de ne pas vendre même s’il n’était pas propriétaire de la propriété. Il a demandé l’avantage en fonction de ce qui figurait dans le système de gestion des ressources humaines de l’employeur comme étant sa résidence principale. Même après qu’il ait dit au représentant de Brookfield qu’il n’était pas propriétaire de la propriété, Brookfield a continué de traiter sa demande. Le fonctionnaire s’est fié aux renseignements qui lui ont été fournis par Brookfield et son syndicat pour présenter sa demande. L’employeur l’a approuvée en fonction des renseignements que Brookfield lui a demandé.

60        Le fonctionnaire n’a jamais vérifié la Directive. Il a reconnu qu’il n’aurait pas dû demander l’indemnité liée au transport deux fois et qu’il n’aurait pas dû demander les avantages liés à l’hébergement provisoire alors qu’il était resté chez lui. Il n’a pas contesté l’évaluation de ce qu’il était tenu de rembourser. Il avait droit à un certain type de remboursement pour ses déplacements; cette question comporte une zone grise.

61        Lorsque l’employeur lui a demandé de lui fournir une déclaration solennelle de son état civil à titre de conjoint de fait, le fonctionnaire l’a fournie à M. Thompson. Il a reconnu qu’il n’avait jamais été propriétaire de la propriété. Il a fourni un relevé qui indique qu’il avait un intérêt financier à l’égard de la propriété, mais il n’a pas été pris en considération.

62        Le contexte de la relation du fonctionnaire avec Mme Woodhouse doit être pris en considération (voir Kerr c. Baranow, 2011 CSC 10). Le fonctionnaire n’a pas nié qu’il n’aurait pas dû demander ou accepter l’indemnité liée au choix de ne pas vendre. Il a reconnu qu’il n’avait pas le droit de demander l’intégralité des 60 jours d’hébergement provisoire qui lui ont été versés. Il n’aurait pas dû accepter des avantages auxquels il n’avait pas droit.

63        Le fonctionnaire a expliqué qu’il avait officialisé l’entente de location avec M. McLaughlin dans le but de démontrer à Brookfield qu’il avait une adresse de destination. M. McLaughlin a déclaré que c’est exactement ce que le fonctionnaire lui avait dit. Le fonctionnaire a reconnu qu’il ne s’était pas réinstallé dans une autre résidence principale, tel qu’il est exigé, et qu’il n’avait pas droit aux avantages liés à la réinstallation. Il est coupable d’insouciance et d’ignorance. Il n’a pas été volontairement ignorant, mais il a tout de même été ignorant.

64        L’employeur a changé l’interprétation de la directive, tel qu’il a été décrit dans la note de service que le coordonnateur ministériel de la réinstallation a envoyée à la coordonnatrice régionale de la réinstallation et au contrôleur régional (pièce 5) après les séances d’information qui ont été offertes aux employés. Les renseignements fournis aux agents transférés à d’autres institutions ont changé.

65        Le fonctionnaire aurait pu choisir de demander d’autres avantages, mais il a choisi de demander l’indemnité liée au choix de ne pas vendre parce qu’il lui permettait d’économiser des sous. Il a été négligent et il a été imprudent dans le cadre du traitement de sa demande de réinstallation. Ses évaluations du rendement démontrent qu’il était un bon employé. Il était disposé à travailler des heures supplémentaires. Il faisait son travail. En aucun temps M. Thompson n’a indiqué qu’il y avait un problème dans le rendement au travail du fonctionnaire. Il n’a rien fait qui aurait posé un risque pour l’Établissement Warkworth, ses collègues ou les détenus. Il croit qu’il peut encore être un CX efficace.

66        Les renseignements qu’il a fournis durant l’enquête disciplinaire ont clairement démontré qu’il avait accepté des avantages auxquels il n’avait pas droit. Il a participé à l’enquête disciplinaire, contrairement au conseil de son syndicat. Il n’a rien dit à la réunion disciplinaire parce qu’il avait peur que des accusations criminelles soient portées contre lui, mais son représentant syndical a parlé en son nom. M. Thompson n’a pas écouté les observations qui lui ont été présentées à la réunion disciplinaire.

67        Les agents correctionnels occupent un poste de confiance. Dans le passé, d’autres agents correctionnels ont été réintégrés après avoir rompu ce lien de confiance (voir Matthews c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 38; et Burton c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 74). M. Thompson n’est plus à l’Établissement Warkworth, alors comment peut­il évaluer la capacité du fonctionnaire d’y retourner?

68        Les mesures disciplinaires se veulent correctives. Le fonctionnaire a reconnu qu’il avait eu tort d’accepter des avantages auxquels il n’avait pas droit. Il a accepté de les rembourser. Le syndicat a proposé qu’il reçoive une longue suspension plutôt que d’être licencié. L’employeur a rejeté cette possibilité. La preuve relative à M. Dyer et à M. Harker a été présentée afin de démontrer que des situations semblables peuvent être traitées différemment. Chaque dossier de réinstallation est individuel. Le fait que le fonctionnaire ne soit pas propriétaire de la propriété pour laquelle il a demandé l’indemnité liée au choix de ne pas vendre est une différente importante.

69        Le fonctionnaire n’a pas allégué qu’il était assujetti à des mesures disciplinaires discriminatoires ou qu’il avait fait l’objet de discrimination selon l’un des motifs de distinction interdits. Bridgen et Burton ne s’appliquent pas à ce cas. Hughes ne s’applique pas non plus, puisque le fonctionnaire a participé à l’enquête disciplinaire et, dans une mesure plus limitée, à l’audience disciplinaire.

70        Une approche fondée sur le bon sens doit s’appliquer. Le fonctionnaire s’est fié à des experts pour déterminer ses avantages et a suivi leurs directives. Le fondement même du processus disciplinaire était un examen réalisé par Mme Liscumb. Elle n’aurait pas dû participer à l’enquête disciplinaire; sa participation constituait un manquement à la justice naturelle et un biais.

71        La mesure disciplinaire est au cœur du grief et elle n’était pas juste étant donné l’ensemble de la preuve. Le fonctionnaire n’était pas un auditeur ou un gestionnaire qui a falsifié une demande de remboursement des dépenses. Pour reprendre les mots de la représentante du fonctionnaire, le fonctionnaire était un [traduction] « employé ignorant qui avait peu d’éducation » et qui a été négligent par rapport à la détermination de ses obligations. Il a suivi les conseils de personnes mieux éduquées que lui; il a signé des formulaires sans les lire. Il a indiqué qu’il n’avait jamais eu l’intention de frauder délibérément l’employeur.

IV. Motifs

72        Selon les faits dont je suis saisie, la conduite du fonctionnaire en ce qui concerne ses tentatives d’obtenir des avantages en vertu de la Directive auxquels il savait, ou aurait dû savoir, qu’il n’avait pas droit, est une violation claire des Règles de conduite professionnelle et du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Les deux parties conviennent qu’un certain degré de discipline est justifié dans ce cas; la question est de savoir si le licenciement du fonctionnaire était justifié ou excessif. S’il était excessif, quelle serait la sanction appropriée dans les circonstances?

73        Il est clair que le fonctionnaire avait droit à certains avantages en vue de défrayer les coûts liés à son transfert à l’Établissement Warkworth à partir du Pénitencier de Kingston, que ce soit une indemnité liée au transport ou à la réinstallation. Il est également clair qu’il n’avait pas droit aux deux. La Directive offre au propriétaire d’une propriété la possibilité de vendre sa résidence principale, de se réinstaller au nouvel emplacement et de recevoir certains avantages découlant de cette vente. Cette même Directive offre également au propriétaire d’une propriété la possibilité de ne pas vendre sa résidence principale, auquel cas d’autres avantages, comme l’indemnité liée au choix de ne pas vendre, peuvent être versés. Il apparait clairement que dans les deux cas, l’employé doit être propriétaire ou détenir un intérêt financier à l’égard de la propriété en question et qu’une nouvelle résidence principale doit être établie, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

74        Il ne fait aucun doute que le fonctionnaire a demandé et reçu des avantages auxquels il n’avait pas droit et que ces avantages étaient liés à sa réinstallation du Pénitencier de Kingston à l’Établissement Warkworth. Il a demandé et reçu des avantages liés à un hébergement provisoire pour des journées où il a fait la navette entre sa résidence principale et l’Établissement Warkworth. Il a demandé et reçu un remboursement du kilométrage pour des jours où il n’était pas en déplacement. Il a demandé et reçu l’indemnité liée au choix de ne pas vendre relativement à une propriété dont il n’était pas propriétaire et à l’égard de laquelle il ne détenait aucun intérêt financier. Rien de tout cela n’est contesté; il l’a reconnu dans la preuve qu’il a présentée et sa représentante l’a soulevé à plusieurs reprises dans son argumentation.

75        Les deux parties reconnaissent qu’une mesure disciplinaire était justifiée. La jurisprudence citée par le représentant de l’employeur était très convaincante quant au fait qu’un employé qui demande le versement d’avantages auxquels il n’a pas droit s’expose à une sanction grave. La question qui demeure est de savoir si la sanction imposée était excessive dans les circonstances. Les représentants des parties ont soutenu qu’une approche fondée sur le bon sens devait être utilisée pour déterminer la sanction à appliquer. Au moment d’appliquer cette approche, je me suis demandée si une personne ordinaire trouverait excessif de demander un avantage lié à la vente d’une propriété dont elle n’est pas propriétaire ou à l’égard de laquelle elle ne détient aucun intérêt financier. Cette même personne ne verrait­elle pas l’étendue du mal que le fonctionnaire s’est donné pour obtenir les fonds, sachant très bien qu’il n’y avait pas droit, comme un facteur aggravant au moment de déterminer si le lien de confiance entre l’employeur et le fonctionnaire a été rompu? Je suis d’avis que le bon sens veut que la recherche active d’obtenir un versement comme l’a fait le fonctionnaire constitue un facteur aggravant au moment de déterminer la mesure disciplinaire.

76        La représentante du fonctionnaire a tenté d’établir des facteurs atténuants afin de justifier une réduction de la mesure disciplinaire. D’abord et avant tout, il y a eu les études du fonctionnaire à l’école de métiers et le programme de formation de base exigé de tous les agents correctionnels, que je rejette. Le fonctionnaire a suivi le même programme de formation de base que tous les autres CX et savait très bien qu’il devait se comporter au mieux des intérêts de son employeur et agir d’une façon qui servait de modèle pour les détenus sous sa garde. En deuxième lieu, il y a la question voulant que le fonctionnaire ignorait les avantages auxquels il avait droit. Le fonctionnaire n’a pas participé aux séances sur la réinstallation et n’a jamais consulté les politiques et directives pour déterminer ce à quoi il avait droit. Il n’a pris aucune mesure pour déterminer quels étaient ses droits, même si les outils nécessaires lui ont été fournis.

77         Son dossier de service antérieur et son rendement acceptable pourraient constituer des facteurs atténuants, mais, à mon avis, leur effet est insuffisant pour rendre nulle et non avenue la malhonnêteté manifestée par le fonctionnaire dans ses interactions avec l’employeur depuis qu’il a accepté le poste à l’Établissement Warkworth. Il a activement et volontairement cherché à obtenir des avantages liés à la vente d’une propriété dont il n’était pas propriétaire et qui, à un certain moment, n’était pas sa résidence principale. Ce manque d’honnêteté venant d’une personne qui exerce le rôle d’agent correctionnel et qui se doit d’être un modèle pour les détenus dont il doit s’occuper, va droit au cœur de la relation d’emploi.

78        À mon avis, parmi les facteurs aggravants, la gravité de l’inconduite, l’intention du fonctionnaire et l’absence de reconnaissance de l’inconduite, sont les plus importants. Je suis d’accord avec M. Thompson; il y a une différence entre la restitution et les remords. L’absence de remords du fonctionnaire est également un facteur qui fait monter d’un cran le niveau de discipline. L’absence de remords du fonctionnaire et son admission, sans excuse, d’avoir mal agi, démontre l’improbabilité de toute réhabilitation nécessaire pour rétablir le lien de confiance, lequel constitue un facteur essentiel au moment de déterminer si une mesure disciplinaire est excessive (voir Brazeau).

79        L’ignorance n’est pas et n’a jamais été une défense pour les méfaits, particulièrement si, selon moi, comme dans le cas présent, une ligne de conduite dans le but d’obtenir un avantage auquel la personne en question n’a pas droit a été démontrée. La représentante du fonctionnaire a tenté d’établir une distinction qui n’en était pas une en renvoyant à la négligence et à l’ignorance volontaire. Le fonctionnaire n’ignorait pas qu’il n’était pas propriétaire de la propriété pour laquelle il a demandé l’indemnité liée au choix de ne pas vendre. Il était également tenu de lire la Directive, conformément à la section 2.2.2.1 de la Directive.

80        La représentante du fonctionnaire a soutenu que ce dernier avait simplement suivi les directives de Brookfield et qu’il l’avait fait pour économiser. Je me demande ce qu’il tentait d’économiser, puisqu’il n’avait aucun bien à risque. À chaque demande de renseignements supplémentaire de Brookfield, le fonctionnaire aurait pu cesser de chercher à obtenir une demande illégitime et ainsi diminuer la gravité de son inconduite, mais il ne l’a pas fait. Il a activement perpétué sa demande à l’encontre de la Couronne et le contribuable, sachant très bien qu’il n’y avait pas droit. Cela en dit long sur son éthique et se reflète grandement sur l’employeur et la fonction publique en général. Un tel comportement donne lieu à de graves mesures disciplinaires.

81        Tel qu’il a été mentionné dans Bristow, les allégations de fraude, de par leur nature même, sont graves. Les erreurs honnêtes sont à prévoir, mais lorsque les incohérences, prises dans leur ensemble, correspondent à une tendance à tromper et à une intention de frauder l’employeur, le licenciement n’est pas excessif. Le témoignage du fonctionnaire selon lequel il a simplement fait ce qu’on lui demandait n’était pas crédible. Ses actions pour obtenir l’évaluation de la propriété et la fabrication d’une entente de location visant à démontrer qu’il s’était établi dans une nouvelle résidence principale ont démontré une tendance à tromper et une intention de demander un avantage auquel il n’avait pas droit.

82        Le fonctionnaire savait qu’il n’était pas propriétaire de la propriété pour laquelle il a demandé l’indemnité liée au choix de ne pas vendre. Il savait également qu’il ne détenait aucun intérêt financier à son égard. Je ne crois pas qu’il ait tenté de préciser les avantages auxquels il avait droit, sachant très bien qu’il n’était pas propriétaire de la propriété en question. Enfin, il savait qu’il n’avait aucune intention de se réinstaller et d’établir une nouvelle résidence principale dans le secteur de Warkworth. L’approche fondée sur le bon sens privilégiée par sa représentante a clairement établi qu’il n’avait pas droit à l’indemnité liée au choix de ne pas vendre. Ses actes et ses interactions avec l’employeur et Brookfield, y compris la rédaction d’une entente de location avec M. McLaughlin, visaient un seul but, celui d’obtenir l’indemnité liée au choix de ne pas vendre.

83        Une question essentielle à se poser au moment d’évaluer si la relation d’emploi a été irrémédiablement rompue est de savoir si le fonctionnaire a réellement reconnu et admis son inconduite au point qu’on peut en conclure qu’il ne récidivera pas. Il n’a pas assumé la responsabilité de ses actes, pas plus qu’il n’a reconnu l’incidence que cela avait eue sur la relation d’emploi. Il ne s’agit pas d’un cas où l’employeur a versé par erreur un montant au fonctionnaire. Il a activement cherché à obtenir l’avantage et a participé à une tromperie afin de s’assurer qu’il le recevrait. Lorsqu’un employé est coupable d’une telle tromperie, la jurisprudence reconnaît que le licenciement est une sanction acceptable (voir Bristow).

84        Tel qu’il a été mentionné dans Mangatal, le défaut de l’employeur d’exercer une supervision appropriée des demandes de remboursement des dépenses pourrait justifier une sanction allégée et pourrait avoir corrigé son comportement, mais les actes répétés du fonctionnaire visant à obtenir l’avantage ne constituaient pas des événements isolés ou un écart par inadvertance, mais indiquent plutôt un type de comportement déterminé dans le but d’obtenir un avantage auquel le fonctionnaire n’avait pas droit. Il s’est adonné au même type d’inconduite à plusieurs reprises sur une période prolongée, pour laquelle il n’a jamais assumé la responsabilité. Ses allégations de remords lors de l’audience ressemblaient davantage à celles d’une personne qui regrettait de s’être fait prendre qu’à celles d’une personne qui regrettait d’avoir obtenu de façon frauduleuse un avantage. Même pendant l’enquête et l’audience disciplinaire, il a simplement offert de rembourser le montant des avantages auxquels il n’avait pas droit. Il ne s’agit pas de remords. Toute omission de la part de l’employeur est atténuée par la conduite du fonctionnaire et ne suffirait pas à réduire la sanction d’un licenciement à une suspension pour une quelconque période prolongée, comme l’a laissé entendre l’agent négociateur.

85        En l’espèce, le fait que d’autres personnes qui pourraient également avoir demandé et reçu des avantages auxquels ils n’avaient pas droit aient fait l’objet d’une mesure disciplinaire moins sévère n’a pas de réelles conséquences. Tel qu’il est indiqué dans King, la gravité de l’inconduite, les facteurs aggravants et les antécédents disciplinaires pourraient justifier différentes sanctions dans chaque situation. Il n’existe aucune exigence selon laquelle la progression des mesures disciplinaires se déroule par échelons préétablis. Comme l’indiquent Brown et Beatty dans Canadian Labour Arbitration, 4e édition, et tel qu’il a été cité dans Way, certains comportements sont tellement contraires à l’éthique et incompatibles avec les buts et objectifs de l’employeur qu’ils soulèvent des doutes réels quant à la capacité du fonctionnaire ou sa volonté de respecter les règles les plus fondamentales d’honnêteté et de loyauté.

86        À mon avis, le fait que M. Thompson soit ou non le directeur actuel à l’Établissement Warkworth n’est pas pertinent. La question que je dois trancher est celle de savoir si le fonctionnaire pourrait rétablir le lien de confiance avec l’employeur, l’employeur n’étant pas M. Thompson, mais bien Service correctionnel du Canada.

87        Le fonctionnaire a fait valoir que Mme Liscumb était partiale et qu’elle n’aurait pas dû participer à l’enquête disciplinaire. Après avoir entendu ses observations à l’audience, sa participation n’a que peu de conséquences sur cette décision. Elle n’a joué aucun rôle dans la détermination de la mesure disciplinaire qui a été imposée. Dans tous les cas, les audiences devant la Commission sont des audiences de novo et tout préjudice ou iniquité causé par un problème de procédure a été corrigé par l’audience du grief (voir Maas c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123, au par. 118; Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70; et Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] F.C.J. no 818 (C.A.) (QL) au par. 2).

88        Comme la représentante du fonctionnaire l’a précisé, le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve selon laquelle il a fait l’objet de mesures disciplinaires discriminatoires. Je n’ai donc pas à me prononcer sur cette question, même si elle a été abordée par l’avocat de l’employeur dans le cadre de son argumentation.

89        Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

90        Le grief est rejeté.

Le 23 décembre 2016.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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