Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que le défendeur avait abusé de son pouvoir en ce qui concerne le choix du processus et l’application du principe du mérite. Le défendeur a envoyé par courriel un avis de « Déclaration d’intérêt » à tous les employés de sa région du Pacifique pour une affectation ou une nomination intérimaire de quatre mois moins un jour, afin de pourvoir un poste de gestionnaire régional des opérations au sein de CORCAN – région du Pacifique. Douze demandes ont été reçues. Le plaignant n’a pas été présélectionné et la personne retenue a été nommée au poste. La personne nommée occupait déjà le poste par intérim et cette dernière nomination a prolongé sa nomination intérimaire pour une période de plus de quatre mois. Le défendeur a utilisé un processus non annoncé pour effectuer la nomination.Le plaignant a allégué que la description du processus de nomination en tant que processus non annoncé pouvait être considérée comme un abus de pouvoir. Selon le défendeur, le plus important est de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans le cadre du processus en tant que tel, peu importe la façon dont il est décrit. La Commission a conclu que le directeur régional intérimaire avait expliqué le processus de manière satisfaisante. La Commission a également conclu que, peu importe que le processus soit considéré comme un processus annoncé ou non annoncé, le plaignant n’a pas démontré qu’il y avait eu abus de pouvoir en ce qui concerne le choix du processus.En ce qui concerne l’application du principe du mérite, le plaignant a soulevé un certain nombre de lacunes dans le processus menant à la nomination. Cependant, deux aspects concernant la façon dont les critères du mérite ont été appliqués à la demande de la personne nommée semblaient très problématiques. Premièrement, l’exigence relative aux études qui a été appliquée n’était pas celle indiquée dans la Déclaration d’intérêt, puisqu’elle avait été modifiée entre la date d’affichage de la Déclaration d’intérêt et la date de l’évaluation. Par conséquent, à première vue, la demande de la personne nommée ne répondait pas à l’exigence relative aux études indiquée dans la Déclaration d’intérêt. Deuxièmement, la demande de la personne nommée reproduisait textuellement l’évaluation des qualifications rédigée par le directeur régional intérimaire, ce à quoi aucune explication satisfaisante n’a été donnée. La Commission a déclaré qu’il était raisonnable de conclure que, en raison du libellé pratiquement identique, la personne nommée avait utilisé l’évaluation des qualifications rédigée par le directeur régional intérimaire. La Commission a conclu qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le cadre de l’évaluation du mérite. Par conséquent, la nomination intérimaire a été révoquée.Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et la
Loi sur l’emploi dans la
fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-04-21
  • Dossier:  2014-9132
  • Référence:  2016 CRTEFP 34

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

Daniel De Santis

plaignant

et

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeur

et

Autres parties

Répertorié
De Santis c. Commissaire du Service correctionnel du Canada


Plainte d’abus de pouvoir en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le plaignant:
Lui-même
Pour le défendeur:
Joshua Alcock, avocat, Services juridiques du Conseil du Trésor
Pour la Commission de la fonction publique :
Louise Bard (observations écrites)
Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique)
Le 12 janvier 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        Le plaignant, Daniel De Santis, a présenté sa candidature à un poste de gestionnaire des opérations régionales, CORCAN, aux groupe et niveau AS-07, à l’établissement Matsqui, à Abbotsford, en Colombie-Britannique. Il a allégué que le défendeur, le commissaire du Service correctionnel du Canada (le « SCC »), avait abusé de son pouvoir en ce qui a trait au choix du processus et à l’application du principe du mérite.

2        Le défendeur a rejeté ces allégations. La nomination était conforme aux valeurs d’équité et de transparence de la fonction publique et la personne nommée a satisfait à toutes les qualifications essentielles du poste.

3        Aucun représentant de la Commission de la fonction publique n’a assisté à l’audience. Les observations de la Commission de la fonction publique portant sur les politiques et les lignes directrices applicables ainsi que sur la jurisprudence pertinente ont été présentées par écrit. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte.

4        La plainte a été déposée devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal »), le 9 mai 2014. Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) est entrée en vigueur et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») pour remplacer le Tribunal et la Commission des relations de travail dans la fonction publique. La Commission est responsable du traitement des plaintes déposées en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) (la « LEFP »). Par conséquent, cette décision est rendue par une formation de la Commission.

5        Pour les motifs présentés ci-dessous, la plainte est accueillie. La preuve présentée n’étaye pas l’allégation selon laquelle il y a eu abus de pouvoir lors du choix du processus; par contre, elle appuie la conclusion voulant qu’il y ait eu abus de pouvoir en ce qui concerne l’application du principe du mérite.

II. Contexte

6        Le plaignant a présenté des éléments de preuve lors de l’audience. Le défendeur a cité une seule personne à témoigner, Sonya Ferrington. Au moment des événements donnant lieu à la plainte, Mme Ferrington portait le nom de Salter, lequel figure dans la preuve écrite pertinente. Toutefois, j’utiliserai le nom Ferrington lorsque je ferai référence à ce témoin.

7        Le nom de l’organisme commercial au sein de SCC est « Corcan », et comprend plusieurs secteurs d’activité, dont la construction, les textiles et le secteur manufacturier. Le principal objectif de Corcan est d’offrir aux détenus des occasions d’acquérir des compétences professionnelles. Toutefois, dans la mesure du possible, l’organisme est géré comme une entreprise.

8        Pendant un certain temps, avant décembre 2013, le poste de gestionnaire régional des opérations (GRO) de Corcan a été pourvu par intérim, puisque le titulaire du poste était affecté ailleurs ou était en congé (la preuve n’est pas claire, mais, de toute façon, elle n’est pas pertinente). Le 2 décembre 2013, Scott Verwold a été nommé par intérim au poste de GRO, jusqu’au 31 mars 2014. Le GRO relevait de Mme Ferrington, la directrice régionale intérimaire depuis février 2014. Mme Ferrington a déclaré que, selon les projets du défendeur, différentes personnes qualifiées devaient occuper le poste de GRO en alternance, dans le cadre d’affectations intérimaires de quatre mois moins un jour.

9        En mars 2014, Don Guilles, qui devait succéder à M. Verwold au poste de GRO par intérim, a indiqué que, puisqu’il occupait le poste de contrôleur régional par intérim et que l’exercice tirait à sa fin, il serait plus sensé de prolonger d’un mois la durée de l’affectation de M. Verwold. Mme Ferrington a donc préparé une justification pour la prorogation d’un mois. La justification comprenait notamment une évaluation des qualités et expliquait en quoi M. Verwold satisfaisait aux qualifications essentielles du poste de GRO. La période visée par la prorogation allait du 1er avril 2014 au 2 mai 2014.

10        Par la suite, M. Guilles a accepté une autre affectation et, par conséquent, il n’était plus disponible pour occuper le poste de GRO par intérim. Le défendeur a alors décidé d’avoir recours à un processus informel, au moyen d’une [traduction] « déclaration d’intérêt » dans le but d’établir si d’autres employés de SCC seraient intéressés à une nomination intérimaire au poste de GRO.

11        En avril 2014, le défendeur a envoyé par courriel un avis de déclaration d’intérêt à tous les employés de la région du Pacifique relativement à une nomination intérimaire de quatre mois moins un jour, pour pourvoir le poste de gestionnaire régional des opérations, classifié AS-07, au sein de Corcan, région du Pacifique.

12        Le défendeur a reçu douze demandes. Le plaignant et M. Verwold ont tous deux postulé. Mme Ferrington et M. Guilles ont examiné les demandes. Seulement deux candidats ont été retenus lors de la présélection, dont M. Verwold. La candidature du plaignant n’a pas été retenue lors de la présélection en raison d’un certain manque d’expérience. L’autre candidat retenu n’était plus disponible et M. Verworld a été nommé pour une autre période de quatre mois moins un jour, soit du 3 mai 2014 au 29 août 2014. Après cette date, une autre personne a été nommée par intérim. Depuis, le poste a été pourvu pour une période indéterminée.

13        La plainte déposée devant la Commission porte sur la nomination intérimaire de M. Verwold, du 3 mai 2014 au 29 août 2014, c’est-à-dire la seconde prorogation de sa nomination intérimaire initiale.

14        Le 13 mai 2014, le plaignant a déposé une plainte devant la Commission pour abus de pouvoir en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la LEFP, à l’égard de la nomination intérimaire.

III. Question préliminaire

15        Lors de l’audience, le plaignant a voulu présenter sa demande, afin de démontrer que son expérience de la gestion des budgets et des ressources humaines n’avait pas été évaluée de manière appropriée. Le défendeur s’y est opposé au motif que l’évaluation du plaignant n’avait pas été soulevée dans les allégations. J’ai autorisé la présentation de la demande aux fins de l’audience.

16        Le défendeur s’est opposé à la production en preuve de la demande du plaignant, ainsi qu’à la discussion sur les compétences de ce dernier, puisque sa plainte visait le processus, et non sa propre évaluation.

17        Je suis d’accord avec le défendeur sur ce point et je n’examinerai pas la question de savoir le plaignant a été erronément éliminé lors de la présélection, puisque cette question n’a pas été soulevée dans les allégations. Selon l’article 23 du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique, DORS/2006-6, la Commission autorisera le plaignant à modifier sa plainte si la modification découle d’une nouvelle information qui n’était pas disponible au moment de présenter les allégations et si elle juge par ailleurs qu’elle doit le faire par souci d’équité. En l’espèce ces exigences ne sont pas satisfaites. Voir Cyr c. le président de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada et al., 2007 TDFP 37, et Desaulniers c. le sous-ministre d’Environnement Canada, 2011 TDFP 18.

IV. Questions en litige

18        Les deux questions suivantes doivent être tranchées :

Question I : le défendeur a-t-il abusé de son pouvoir en ce qui a trait au choix du processus?

Question II : le défendeur a-t-il abusé de son pouvoir dans son évaluation des qualifications de la personne nommée?

V. Analyse

19        Les dispositions pertinentes de la LEFP liées à la présente plainte sont présentées ci-dessous

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle na pas été nommée ou fait lobjet dune proposition de nomination pour lune ou lautre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2)

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé; […]

30 (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir; […]

20        Le plaignant allègue qu’il y a eu abus de pouvoir relativement au choix du processus et à l’application du principe du mérite. Comme il a été énoncé dans Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, au paragr. 71, le législateur n’avait sûrement pas l’intention que le pouvoir discrétionnaire accordé au délégué soit utilisé aux fins d’abus de pouvoir. En d’autres termes, agir d’une façon « outrageuse, déraisonnable ou inacceptable ». Comme le Tribunal l’a souvent énoncé, l’abus de pouvoir est une question de degré. Ni une omission ni une erreur ne peuvent constituer un abus de pouvoir; il doit plutôt être question d’un comportement dont la nature est à ce point grave qu’il ne peut être inhérent au pouvoir discrétionnaire du gestionnaire délégué. Il incombe au plaignant de s’acquitter du fardeau de la preuve (Tibbs, paragr. 50).

A. Question 1 : le défendeur a-t-il abusé de son pouvoir en ce qui a trait au choix de processus?

21        Selon le plaignant, la description du processus comme étant non annoncé pourrait être considérée comme un abus de pouvoir. Il a souligné dans les éléments de preuve qu’il a présentés, et lorsqu’il a contre-interrogé Mme Ferrington, que le processus utilisé lors de la seconde nomination intérimaire de quatre mois moins un jour, y compris la déclaration d’intérêt, ressemblait davantage à un processus annoncé qu’à un processus non annoncé. Il a mentionné les politiques suivantes de SCC : [traduction] « Bulletin sur les nominations intérimaires, 2007-24 » (« Bulletin 2007-24 »), et [traduction] « Bulletin sur les critères pour les processus des nominations non annoncées, 2007-23 » (« Bulletin 2007-23 »), lesquels définissent les processus de nominations annoncées et non annoncées comme suit :

                   [Traduction]

Processus de nomination annoncé : Processus de nomination dans le cadre duquel les personnes comprises dans une zone de sélection donnée sont informées d’une occasion d’emploi à laquelle elles peuvent postuler et démontrer leurs aptitudes par rapport aux critères de mérite.

Processus de nomination non annoncé : Un processus de nomination qui ne répond pas aux critères relatifs à un processus de nomination annoncé.

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22        Le plaignant soutient que, bien que le défendeur ait fait valoir qu’il s’agissait d’un processus non annoncé, il s’agissait en fait d’un processus annoncé, puisque ce dernier répondait à tous les critères d’un tel processus : le processus a été annoncé par courriel à tous les employés de la région du Pacifique, leur offrant ainsi l’occasion de présenter leur candidature et de démontrer que leurs aptitudes satisfaisaient aux critères de mérite.

23        Selon le plaignant, lorsqu’un processus est annoncé, les postulants doivent être évalués objectivement, en utilisant des outils d’évaluation qui ont été définis de manière appropriée, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. Les candidatures ont été étudiées, et seulement deux d’entre elles ont été retenues dans le cadre de la présélection.

24        Selon le défendeur, il importe surtout d’établir s’il y a eu abus de pouvoir dans le processus en tant que tel, peu importe comment on le décrit. En l’espèce, Mme Ferrington a fourni une explication satisfaisante relativement au processus suivi. Les candidats qui ont répondu à la déclaration d’intérêt ont fait l’objet d’une évaluation minutieuse. M. Verwold a été choisi parce qu’il était le seul à posséder toutes les qualifications essentielles et qu’il était disponible. Le défendeur avait prévu une série de nominations intérimaires en alternance pour le poste, mais il a subi un revers puisque M. Guilles a acccepté une autre nomination. La déclaration d’intérêt était un moyen de rendre le processus plus transparent.

25        La LEFP ne présente aucune définition des termes « annoncé », « non annoncé » et « déclaration d’intérêt ». En fin de compte, dans le contexte de la présente affaire, je ne suis pas convaincue que le fait que le défendeur qualifie de « non annoncé » un processus ayant tous les éléments d’un processus « annoncé » ait la moindre incidence sur l’élément au cœur du litige. Le choix d’un processus plutôt que l’autre peut constituer le fondement pour conclure qu’il y a eu abus de pouvoir, mais cet élément n’est pas évoqué par le plaignant. Le plaignant a plutôt soulevé que le fait de qualifier un processus comme étant non annoncé, alors qu’il devrait être considéré comme un processus annoncé, constitue en soi un abus de pouvoir.

26        Le processus semble plus s’apparenter à un processus annoncé qu’à un processus non annoncé. Le processus de déclaration d’intérêt a permis d’obtenir 12 candidatures, lesquelles ont été évaluées en fonction de l’énoncé des critères de mérite lors de la présélection. Le défendeur n’est pas obligé de choisir un processus de nomination plutôt qu’un autre, à condition que le processus soit juste et transparent. Que le processus ait été annoncé ou non annoncé, du moment que le défendeur a sollicité la présentation de demandes de la part des employés, il avait le devoir de les évaluer d’une manière juste.

27        Selon le Bulletin 2007-23, lors du processus non annoncé, le gestionnaire sous-délégué doit produire les éléments suivants :

· Une justification écrite établissant en quoi sa décision répond aux critères établis énoncés dans le bulletin en question et aux valeurs liées à la nomination. L’utilisation de la [traduction] « liste de vérification pour les processus de nomination non annoncés » est obligatoire.

· Une évaluation écrite de la personne nommée proposée, basée sur les qualifications et les conditions d’emploi essentielles.

28        En l’espèce, ces exigences ont été appliquées lorsque la même personne a été nommée au même poste dans les 30 jours civils suivant la période initiale de quatre mois. Selon la preuve présentée, la gestionnaire sous-déléguée, Mme Ferrington, a rempli les deux documents.

29        Je crois comprendre que le plaignant tente de faire valoir que le défendeur, en affirmant que le processus était non annoncé, évitait l’évaluation plus complexe habituellement observée lors d’un processus annoncé. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, l’article 36 de la LEFP accorde tout de même beaucoup de latitude à l’administrateur général responsable d’effectuer l’évaluation des qualifications essentielles, notamment en ce qui concerne la présélection permettant d’éliminer les candidats qui ne répondent pas aux exigences liées aux qualifications essentielles et l’application de connaissances personnelles pour évaluer les qualifications des candidats.

30        Par conséquent, en ce qui a trait au processus, que celui-ci ait été considéré comme annoncé ou non annoncé, je ne peux conclure que le plaignant a démontré qu’il y a eu abus de pouvoir lors du choix de processus.

B. Question 2 : le défendeur a-t-il abusé de son pouvoir dans son évaluation des qualifications de la personne nommée?

31        Selon l’article 30 de la LEFP, les nominations doivent être fondées sur le mérite, lequel est établi lorsque la personne qui sera nommée possède les qualifications essentielles liées au travail à effectuer. Selon le Bulletin 2007-23, le gestionnaire chargé de la dotation doit fournir une justification écrite étayant la nomination, accompagnée de la liste de vérification prescrite, ainsi qu’une évaluation écrite de la personne nommée proposée basée sur les qualifications essentielles.

32        Le plaignant a soulevé plusieurs lacunes dans le processus menant à la nomination de M. Verworld : puisqu’il n’y a eu aucune entrevue, ses compétences en communication écrite et orale n’ont pas été évaluées, la qualification relative aux études a été modifiée après l’envoi de l’avis de déclaration d’intérêt, et la demande de M. Verworld reprenait, en fait, l’évaluation écrite qui avait été réalisée pour justifier la prorogation d’un mois de la nomination intérimaire initiale.

33        La « Capacité de communiquer efficacement de vive voix et par écrit » faisait partie des qualifications essentielles. Mme Ferrington a déclaré que l’évaluation avait été réalisée dans son ensemble, à partir de sa connaissance, à titre de superviseure, des compétences en communication de la personne nommée. Le Tribunal a reconnu que la connaissance personnelle pouvait constituer un outil d’évaluation valide. Comme il a été énoncé dans Robertson c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 11, au paragr. 63 :

Le plaignant déclare que les membres du comité d’évaluation n’auraient pas dû utiliser leur connaissance personnelle pour évaluer ses qualifications. Or, l’article 36 de la LEFP prévoit que la Commission, et par extension le comité d’évaluation « peut avoir recours à toute méthode d’évaluation […] qu’elle estime indiquée » lorsqu’elle évalue des candidats. Le recours du comité d’évaluation à la connaissance personnelle d’un candidat est un outil légitime, même si elle n’est pas précisément mentionnée dans l’ÉCM en tant que moyen d’évaluation.

34        Néanmoins, deux éléments relatifs à la façon dont les critères de mérite ont été appliqués à la demande de M. Verwold me semblent très problématiques : les qualifications essentielles liées aux études n’ont pas été appliquées comme il était prévu par la déclaration d’intérêt et, dans sa demande en réponse à la déclaration d’intérêt, M. Verwold a utilisé l’évaluation des qualifications qui avait été utilisée pour justifier la prorogation d’un mois.

35        Le libellé de la première qualification essentielle (études) de l’énoncé de critère de mérite n’était pas la même dans l’avis de déclaration d’intérêt et dans l’avis affiché sur Publiservice au sujet de la nomination du candidat retenu.

36        Le premier critère de mérite énoncé dans la déclaration d’intérêt se lit comme suit : [traduction] « Avoir réussi avec succès un diplôme d’études postsecondaires de deux ans dans un domaine lié au poste ». Dans l’avis de Publiservice annonçant la nomination de M. Verwold, du 3 mai 2014 au 29 août 2014, la qualification essentielle liée aux études est formulée en ces termes : [traduction] « Avoir réussi un diplôme d’une université ou d’un collège reconnu dans un domaine de spécialisation pertinent au poste ou un agencement acceptable d’études, de formation et/ou d’expérience ».

37        Dans sa demande, M. Verwold n’a pas précisé d’études postsecondaires menant à un diplôme, il a plutôt mentionné qu’il avait suivi plusieurs cours offerts par le défendeur. Ainsi, sa réponse satisfaisait à l’énoncé de critère de mérite présenté dans l’avis, mais pas à la qualification énoncée dans la déclaration d’intérêt. Mme Ferrington a déclaré que la qualification, telle qu’elle avait été énoncée dans la déclaration d’intérêt, avait été appliquée. Cependant, il n’est pas question d’un diplôme d’études postsecondaires dans la demande de M. Verwold, dont un extrait est reproduit ci-dessous :

[Traduction]

Le candidat possède de multiples qualifications liées à l’éducation, lesquelles appuient sa capacité à s’acquitter des fonctions et responsabilités liées au poste de gestionnaire régional. Plus précisément, le candidat a suivi avec succès toute la formation requise en ce qui concerne les responsabilités liées aux finances et à la dotation au sein de la fonction publique fédérale et il possède le pouvoir sous-délégué dans les deux catégories mentionnées ci-dessus. De plus, le candidat possède de nombreuses années d’expérience dans les domaines liés à l’emploi en question (voir le curriculum vitae), le candidat possède également une expérience récente et appréciable de travail dans le milieu correctionnel et de supervision d’un groupe d’employés chargés de l’emploi et de la formation de détenus sous responsabilité fédérale.

38        Mme Ferrington a expliqué que M. Verwold était un ouvrier qualifié (plomberie) et qu’il avait suivi des cours au British Columbia Institute of Technology, lesquels satisfaisaient aux exigences du diplôme de deux ans d’études de niveau postsecondaire. Ces renseignements ne figuraient pas aux documents (ni dans la demande de M. Verwold ni dans son curriculum vitae); Mme Ferrington a précisé qu’elle avait une connaissance personnelle de ce fait.

39        Le défendeur peut choisir n’importe quel critère qui convient au poste qu’il veut pourvoir. Cependant, un critère ne peut être modifié entre l’affichage de la déclaration d’intérêt et l’évaluation, sans qu’un autre avis ne soit donné à toutes les personnes concernées par la déclaration d’intérêt. D’autres candidats dans la même situation que M. Verwold, c’est-à-dire qui ne possèdent aucun diplôme officiel d’un collège ou d’une université, mais qui ont suivi une formation postsecondaire importante dans un métier spécialisé, auraient pu envisager de postuler au poste, au lieu de se laisser décourager par l’obligation d’être détenteur d’un [traduction] « diplôme d’études postsecondaires de deux ans dans un domaine lié au poste ».

40        Dans Burke c. Sous-Ministre de la Défense nationale et al., 2009 TDFP 3, le Tribunal s’est penché sur une situation où le critère de mérite a été modifié à la suite de l’évaluation des candidats. Dans cette affaire, le Tribunal a fait valoir qu’il s’agissait d’une erreur fondamentale qui pouvait donner lieu à un abus de pouvoir :

[44] Le fait de modifier un ECM après avoir évalué les candidats, sans procéder à une nouvelle évaluation des candidats à la lumière du nouvel ECM, est une erreur fondamentale dans un processus de nomination. Selon les circonstances, cette erreur peut très bien mener à une conclusion d’abus de pouvoir. Les comités d’évaluation doivent savoir quelles qualifications sont à évaluer, et les candidats ont le droit de connaître les qualifications essentielles qui sont évaluées pour une possibilité d’emploi donnée […]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

41        Selon les éléments de preuve fournis, le critère qui a été appliqué était en fait celui qui a été énoncé dans l’avis de nomination plutôt que celui figurant dans la déclaration d’intérêt.

42        Le plaignant a également souligné que le libellé de la demande envoyée par M. Verwold en réponse à l’appel sollicitant une déclaration d’intérêt, était identique à celui de l’« évaluation des qualifications » rédigée par Mme Ferrington pour justifier la prorogation d’un mois ainsi que la deuxième nomination de quatre mois.

43        Mme Ferrington a déclaré qu’elle avait rédigé l’évaluation au tout début d’avril 2014, si ce n’est en mars 2014. À première vue, elle vise la période du 1er avril 2014 au 2 mai 2014, qui a immédiatement suivi la première nomination intérimaire de quatre mois de M. Verwold. Mme Salter a apposé sa signature à la dernière page du document en date du 24 avril 2014.Mme Ferrington a expliqué que l’évaluation des qualifications avait été utilisée à la fois lors de la prorogation d’un mois et lors de l’autre nomination de quatre mois moins un jour.

44        Le 22 avril 2014, M. Verwold a envoyé un courriel en réponse à l’avis de déclaration d’intérêt dans le but de signaler son intérêt relativement à une seconde nomination de quatre mois moins un jour. Le courriel comprend notamment ses déclarations à l’égard des qualifications essentielles, qui sont pratiquement des comptes rendus textuels de ce que Mme Ferrington a dit avoir rédigé à la fin de mars ou au début d’avril. À l’audience, Mme Ferrington n’a fourni aucune explication. J’estime qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu des textes quasi identiques, que M. Verwold a utilisé l’évaluation des qualifications rédigée par Mme Ferrington dans la demande qu’il a présentée.

45        Aux fins de la présente démonstration, il suffit de reprendre le libellé de l’évaluation des qualifications relative à la période intérimaire du 1er avril 2014 au 2 mai 2014, sous la rubrique [traduction] « Éducation » :

[Traduction]

 Le candidat possède de multiples qualifications liées à l’éducation, lesquelles appuient sa capacité à s’acquitter des fonctions et responsabilités liées au poste de gestionnaire régional. Plus précisément, le candidat a suivi avec succès toute la formation requise en ce qui concerne les responsabilités liées aux finances et à la dotation au sein de la fonction publique fédérale et il possède le pouvoir sous-délégué dans les deux catégories mentionnées ci-dessus. De plus, le candidat possède de nombreuses années d’expérience dans les domaines liés à l’emploi en question (voir le curriculum vitae), le candidat possède également une expérience récente et appréciable de travail dans le milieu correctionnel et de supervision d’un groupe d’employés chargés de l’emploi et de la formation de détenus sous responsabilité fédérale.

46        Les éléments de preuve qui m’ont été présentés lors de l’audience ne sont pas suffisants pour conclure que Mme Ferrington et M. Verwold avaient une relation personnelle qui aurait pu avoir une incidence sur le résultat du processus de nomination intérimaire. Par conséquent, je ne peux conclure qu’il y a eu favoritisme.

47        Par contre, je peux conclure que la nomination n’a pas été fondée sur le mérite. Le niveau d’études requis qui a été appliqué n’est pas celui qui a été énoncé dans la déclaration d’intérêt.À première vue, la demande de M. Verwold ne satisfaisait pas au niveau d’études requis tel qu’il est précisé dans la déclaration d’intérêt.Mme Ferrington a déclaré qu’elle savait que M. Verwold avait, en fait, suivi des études postsecondaires qui lui avaient permis d’acquérir les compétences d’un ouvrier qualifié.En toute déférence, ce niveau d’études ne correspond aucunement à l’exigence d’« avoir réussi avec succès un diplôme d’études postsecondaires dans un domaine lié au poste » lorsque le poste annoncé vise la gestion des activités, et non l’exercice d’un métier.Le défendeur peut choisir d’appliquer un critère de portée plus générale, mais il doit l’indiquer dès le début, non dans le cadre des évaluations afin de favoriser un candidat.

48        De plus, la demande envoyée par M. Verwold, le 22 avril 2014, en réponse au courriel relatif à la déclaration d’intérêt, était une reproduction de l’évaluation des qualifications rédigée par Mme Ferrington à la fin de mars ou au début d’avril 2014. Aucune explication satisfaisante n’a été présentée pour justifier ce qui semble être une indifférence flagrante à l’égard du processus.

49        Je conclus que ces deux actions, l’application après le fait d’un autre critère relatif au niveau d’études et l’utilisation par M. Verwold du document d’évaluation des qualifications rédigé par Mme Ferrington, constituent un abus de pouvoir dans le cadre de l’évaluation du mérite.

VI. Décision

50        Pour tous ces motifs, je conclus que la plainte est fondée.

VII. Mesures correctives

51        En guise de réparation, le plaignant a demandé à être indemnisé pour l’occasion dont il a été privé ou, à titre subsidiaire, d’être indemnisé intégralement en ayant la même possibilité que M. Verwold de se voir offrir une nomination intérimaire.

52        Le défendeur a soutenu que la Commission n’avait pas le pouvoir d’accorder les réparations demandées.

53        Je n’ai tiré aucune conclusion en ce qui a trait à la demande présentée par le plaignant; quoi qu’il en soit, je ne peux ni accorder au plaignant une indemnité en raison de l’occasion dont il a été privé ni ordonner au défendeur de procéder à une telle nomination, puisque ce type de réparation va au-delà de la compétence conférée par les articles 81 et 82 de la LEFP, dont le libellé est reproduit ci-dessous :

81(1) Si elle juge la plainte fondée, la Commission des relations de travail et de l’emploi peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

(2) Les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne peuvent faire partie des mesures correctives.  

82 La Commission des relations de travail et de l’emploi ne peut ordonner à la Commission de faire une nomination ou d’entreprendre un nouveau processus de nomination.

54        Néanmoins, dans Spirak c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2012 TDFP 20, et Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35, le Tribunal a ordonné des révocations même si la période visée par la nomination intérimaire était terminée (Spirak), et même si la personne nommée n’occupait plus le poste faisant l’objet du litige (Beyak).

55        Par conséquent, j’ordonne la révocation de la nomination intérimaire de M. Verwold, du 3 mai 2014 au 29 août 2014.

56        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VIII. Ordonnance

57        La plainte est accueillie.

58        La Commission conclut qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir lors du choix du processus lié à la nomination intérimaire du GRO de Corcan, région du Pacifique, pour la période du 3 mai 2014 au 29 août 2014.

59        La Commission conclut qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du critère du mérite, en ce qui concerne la nomination intérimaire du GRO de Corcan, région du Pacifique, pour la période du 3 mai 2014 au 29 août 2014.

60        Par conséquent, j’ordonne la révocation de la nomination intérimaire de M. Verwold, du 3 mai 2014 au 29 août 2014.

Le 21 avril 2016.

Traduction de la CRTEFP

Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission des relations de travail
et de l’emploi dans la fonction publique
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