Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (l’« Agence ») – l’Agence a suspendu le fonctionnaire s’estiment lésé pendant qu’elle menait une enquête disciplinaire à son sujet – à la conclusion de son enquête, l’Agence a licencié le fonctionnaire s’estimant lésé – le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté des griefs à l’encontre de sa suspension et de son licenciement – l’Agence s’est opposée à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre le grief portant sur la suspension – l’arbitre de grief a conclu que la suspension était de nature administrative et qu’il n’avait donc pas la compétence d’en traiter – l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé s’était placé en situation de conflit d’intérêts en acceptant un cadeau d’une valeur de 3 600 $ de la part d’un contribuable qui faisait l’objet d’une de ses enquêtes de vérification  – l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait mené cette enquête de vérification d’une façon qui aurait pu être plus rigoureuse, ce qui n’était cependant pas un problème de nature disciplinaire dans les circonstances, mais, tout au plus, un problème de rendement – l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait consulté, sans justification, l’information personnelle de contribuables – l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait utilisé l’équipement électronique de l’Agence de façon inappropriée, en téléchargeant des images pornographiques et des logiciels de loterie sur son ordinateur – l’arbitre de grief a conclu qu’il était raisonnable que l’Agence considère comme facteur aggravant le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait vandalisé l’automobile d’un gestionnaire – l’arbitre de grief a conclu que le licenciement n’était pas excessif dans les circonstances – enfin, l’arbitre de grief a scellé certaines pièces contenant l’information personnelle de contribuables.Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 2016-03-11
  • Dossier: 566-34-4181 et 4182
  • Référence: 2016 CRTEFP 20

Devant un arbitre de grief


ENTRE

NICK IAMMARRONE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Iammarrone c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

Devant:
Stephan J. Bertrand, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Frédéric Durso, Institut Professionnel de la fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Adrian Bieniasiewicz, avocat
Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 17 au 18 avril, du 7 au 9 et du 27 au 30 novembre et du 12 au 13 décembre 2012,
du 3 au 5 et du 16 au 17 juillet et du 10 au 13 septembre 2013,
et du 25 au 26 février 2014.

MOTIFS DE DÉCISION


I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1        Le 28 juillet 2010, le fonctionnaire s’estimant lésé, Nick Iammarrone (le « fonctionnaire »), a renvoyé à l’arbitrage deux griefs en vertu du paragraphe 209(1)(b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2, la « LRTFP ») contre son employeur, l’Agence du Revenu du Canada (l’« Agence »).

2        Dans le premier grief, le fonctionnaire conteste sa suspension sans solde en attendant l’issue d’une enquête en date du 7 avril 2009 (dossier de la CRTFP 566-34-4182).

3        Dans le deuxième grief, le fonctionnaire conteste son licenciement en date du 10 novembre 2009 (dossier de la CRTEFP 566-34-4181). Ce grief soulevait initialement des questions de discrimination à l’encontre de l’Agence. Toutefois, ces questions ont été retirées par le fonctionnaire au début de l’audience et n’ont donc pas fait l’objet d’une analyse dans cette décision.

4        À l’audience, l’Agence a réitéré son objection préliminaire selon laquelle je n’avais pas compétence pour entendre le grief sur la suspension en attendant l’issue d’une enquête puisque, essentiellement, cette suspension était de nature administrative et non disciplinaire. Le fonctionnaire a indiqué que, non seulement j’avais compétence pour traiter du grief portant sur la suspension, compte tenu de son caractère disciplinaire, mais que cette question devait être réglée séparément du grief de licenciement, et ce, nonobstant le résultat dudit grief.

5        J’ai décidé que la présente décision porterait à la fois sur le grief portant sur la suspension en attendant l’issue d’une enquête et sur le grief relatif au licenciement du fonctionnaire.

6        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014 continue d'exercer les pouvoirs prévus à la LRTFP dans sa version antérieure à cette date.

II. Résumé de la preuve

7        Lors des 21 jours d’audience de cette affaire, les parties ont présenté une vaste preuve documentaire et testimoniale. Elles ont soumis 78 pièces justificatives avec leurs pièces-jointes.

8        L’Agence, à qui il incombe de s’acquitter du fardeau de la preuve, a fait témoigner les personnes suivantes : Patrice Chouinard, André Faribault, Scott Graham, Kirby Joseph, Serge Kutukian et Pierre Léveillé.

9        Le fonctionnaire a fait témoigner les personnes suivantes : Richard Cossette, Joseph Oliverio, Romano Fratarcangelli, Mohammad Ataya, Suzanne Pelletier et lui-même.

10        Compte tenu du poste qu’occupe le fonctionnaire s’estimant lésé, certains éléments de preuve présentés par les parties à l’audience contiennent des renseignements personnels et confidentiels de contribuables canadiens qui ne sont pas parties à ce litige.

11        L’obligation juridique de protéger la confidentialité et l'intégrité des renseignements des contribuables découle de la Loi de l'impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)). Selon cette loi, un employé peut communiquer les renseignements confidentiels d'un contribuable à ce dernier mais ne peut pas les communiquer à un tiers sans le consentement écrit du contribuable, sauf dans les cas où cette loi le permet. Les paragraphes 241(1) et (4.1) de cette loi prévoient ce qui suit.

241 (1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale :

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d’en permettre sciemment la prestation;

b) de permettre sciemment à quiconque d’avoir accès à un renseignement confidentiel;

c) d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

[…]

(4.1) La personne qui préside une procédure judiciaire concernant la surveillance ou l’évaluation d’une personne autorisée ou des mesures disciplinaires prises à son endroit peut ordonner la mise en oeuvre des mesures nécessaires pour éviter qu’un renseignement confidentiel soit utilisé ou fourni à une fin étrangère à la procédure, y compris :

a) la tenue d’une audience à huis clos;

b) la non-publication du renseignement;

c) la suppression de l’identité du contribuable en cause;

d) la mise sous scellés du procès-verbal des délibérations.

[…]

12        Les parties m’ont demandé conjointement de ne pas divulguer de renseignements protégés par cette loi et de parler des diverses situations décrites dans les éléments de preuve sans révéler les noms ou autres informations personnelles de contribuables. Dans le même ordre d’idées, les parties m’ont également demandé que soient mis sous scellés certains éléments de preuve contenant l’information de contribuables.

13        Afin de déterminer le bien-fondé de cette demande, j’ai examiné les paramètres qui sont devenus le critère connu sous le nom de « Dagenais/Mentuck ». Normalement, les audiences des tribunaux quasi judiciaires sont publiques, de même que les documents au dossier, incluant les pièces qui sont déposées par les parties. Toutefois, dans certaines circonstances, le tribunal peut imposer des restrictions concernant l’accès aux pièces qui sont déposées en preuve, s’il est établi que le besoin de protéger un autre droit important doit avoir préséance sur le principe de transparence judiciaire. La Cour suprême du Canada a reformulé le critère Dagenais/Mentuck dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41. Au paragraphe 53, la Cour a énoncé qu’une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 des Règles des Cours fédérales, (DORS/98-106), ne devait être rendue que si:

[…]

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque ; et

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

14        Quelques années plus tard, la Cour a statué que le critère Dagenais/Mentuck s’appliquait à toutes les décisions discrétionnaires qui limitent le droit à l’information pendant les procédures judiciaires (voir Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43). Plus récemment, la Cour a confirmé au paragraphe 13 de l’affaire Société Radio-Canada c. La Reine, 2011 CSC 3, que « [l]a grille d’analyse établie dans les arrêts Dagenais et Mentuck s’applique à toutes les décisions discrétionnaires touchant la publicité des débats. […] ». Il est à noter que n’ai entendu aucun argument appuyant l’intérêt du public à l’égard de la transparence des débats dans la présente affaire.

15        Il est apparent que certains éléments de preuve dans le présent cas contiennent des renseignements personnels et confidentiels recueillis dans le cadre de l’obligation des contribuables de produire des déclarations fiscales en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, les contribuables étant tenus de divulguer ces renseignements. Je conviens que la protection de l’information permettant d’identifier les contribuables sert un intérêt important pour la société canadienne : maintenir la confiance du public dans l’intégrité du système fiscal canadien et assurer l’observation fiscale pour le compte de gouvernements dans l’ensemble du Canada de façon à contribuer au bien-être économique et social continu des Canadiens. Je conviens également que, dans le contexte des audiences dans la présente affaire, l’accès du public aux renseignements permettant d’identifier les contribuables pourrait gravement compromettre cet intérêt et qu’une ordonnance de mise sous scellés est nécessaire pour prévenir ce risque.

16        Bien qu’il est évident que certains éléments de preuve qui contiennent des renseignements permettant d’identifier des contribuables canadiens sont indispensables pour rendre une décision sur le fond dans cette affaire, je suis d’avis que les effets salutaires d’une ordonnance de mise sous scellés de ces renseignements l’emportent sur ses effets préjudiciables à l’égard de procédures quasi judiciaires transparentes et accessibles. Dans les circonstances, il me semble plus important de protéger l’information en question que le droit du public d’y avoir accès. Par conséquent, les éléments de preuve qui suivent, et qui contiennent des renseignements personnels et confidentiels de contribuables canadiens qui ne sont pas parties à ce litige et permettant d’identifier ces contribuables, seront scellés. Les pièces E-7, E-8, E-15, E-25, E-26, E-37, E-38, E-39, E-40, E-41, E-42, E-52, E-53, E-54, E-55, E-56, E-57, E-59, F-3 et F-5 ont donc été scellées. J’ai informé les parties à l’audience que leur demande était acceptée.

A. Preuve de l’Agence

1. M. Chouinard

17        Lors de son témoignage, M. Chouinard était à la retraite. Auparavant, il a eu une longue carrière au sein de la fonction publique fédérale. À l’époque pertinente, c’est-à-dire d’avril 2008 à mars 2012, il occupait un poste de directeur au bureau des services fiscaux (le « BSF ») de Montréal, à l’Agence. Il a remplacé Carole Gouin dans ce poste. Six directeurs adjoints se rapportaient à M. Chouinard alors qu’il occupait ce poste.

18        M. Chouinard a brièvement décrit le mandat du BSF de Montréal, lequel consiste essentiellement à administrer des programmes fiscaux répartis dans six divisions : la vérification; l’exécution; le recouvrement des recettes et le service à la clientèle; les appels; la recherche scientifique et le développement expérimental; et le centre d’appels régional du Québec.

19        M. Chouinard a sommairement décrit les activités principales du poste de vérificateur AU-03, soit le poste qu’occupait le fonctionnaire à l’époque pertinente. Il m’a renvoyé à la description de travail de ce poste (pièce E-4). Essentiellement, les tâches du fonctionnaire consistaient à effectuer la vérification des déclarations de revenus de sociétés, à titre individuel ou en tant que membre d’une équipe, afin d’assurer la conformité aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la Loi sur la taxe d’accise (L.R.C. (1985), ch. E-15) et des autres lois appliquées par l’Agence.

20        M. Chouinard a témoigné que le fonctionnaire travaillait au sein de l’équipe de vérification des petites et moyennes entreprises (PME) et qu’il se rapportait à son chef d’équipe, M. Fratarcangelli, qui, lui, se rapportait au gestionnaire responsable de cette équipe, M. Oliverio. Le fonctionnaire était donc appelé à procéder à la vérification des déclarations de revenus d’entreprises ayant un chiffre d’affaires variant entre 15 et 400 millions par année, ainsi qu’à celles de leurs actionnaires. M. Chouinard a également confirmé que le fonctionnaire avait travaillé un certain temps au sein de la Sous-Division de la formation, dans un poste qui consistait à donner un soutien technique aux nouveaux employés de l’Agence.

21        À son arrivée au BSF de Montréal, en avril 2008, M. Chouinard a été informé qu’une enquête interne concernant certains agissements du fonctionnaire avait déjà été entamée et que ce dernier était en congé de maladie depuis la fin décembre 2007.

22        M. Chouinard s’est alors informé des évènements qui ont mené à cette enquête interne. Il a pris connaissance des faits suivants :

a. une opération policière menée par la Gendarmerie Royale du Canada (la « GRC ») en novembre 2006, connue sous le nom de « Projet Colisée », ciblait certaines activités de la mafia et du crime organisé dans la région de Montréal;

b. suite à cette opération policière, son prédécesseur, Mme Gouin, a demandé qu’une piste de vérification soit effectuée afin d’identifier les employés de l’Agence qui ont accédé aux renseignements d’impôt des contribuables visés par le Projet Colisée;

c. une liste d’employés de l’Agence ayant accédé aux dossiers de ces contribuables a été préparée et le nom du fonctionnaire y apparaissait;

d. Mme Gouin a alors demandé une enquête interne afin de faire la lumière sur les raisons pour lesquelles le fonctionnaire avait accédé aux dossiers de ces contribuables.

23        Ces évènements ont subséquemment enclenché, en avril 2007, une vérification des accès du fonctionnaire dans les systèmes informatisés de l’Agence entre 2003 et 2008, dans le but de vérifier si ces accès faisaient partie de la charge de travail de ce dernier. Selon M. Chouinard, les politiques de l’Agence prévoient clairement qu’un vérificateur ne peut accéder qu’aux dossiers des contribuables qui lui sont assignés, et ce, aux fins de vérification ou pour valider des informations concernant un contribuable lié à celui faisant l’objet d’une vérification. Les accès aux systèmes de l’Agence doivent donc porter sur un dossier qui a été assigné au vérificateur et qui fait partie de sa charge de travail.

24        M. Chouinard a témoigné que le mandat initial de l’enquête visant le fonctionnaire avait été élargi en mai 2008, après avoir obtenu de l’information dans le cadre d’un mandat de perquisition accordé à la GRC concernant les dossiers d’affaires d’un contribuable, que j’appellerai « la société X » tout au long decette décision parce que l’identification de ce contribuable n’est pas pertinente et nécessaire à l’appui des motifs de ma décision. À la suite d’une demande de localisation de dossiers électroniques, en 2007, les dossiers fiscaux de la société X ont été retrouvés dans le classeur de travail du fonctionnaire, et ce, selon M. Chouinard, sans justification valable de la part du fonctionnaire. Les dossiers étaient toujours en la possession du fonctionnaire lors de la perquisition. Par conséquent, M. Chouinard à élargi le mandat d’enquête visant le fonctionnaire afin que l’existence d’un lien quelconque entre la société X et le fonctionnaire soit vérifiée, et pour savoir pourquoi ces dossiers, qui ne figuraient pas dans la charge de travail du fonctionnaire au moment pertinent, se trouvaient toujours dans le classeur de ce dernier.

25        Le fonctionnaire a effectué la vérification de la société X pour l’exercice financier 2002-2003. Il a complété sa vérification en février 2005. Selon M. Chouinard, il était contraire aux pratiques et directives de l’Agence de conserver les dossiers physiques d’un contribuable dans son classeur ou dans son aire de travail deux ans après l’achèvement d’une vérification, et cela soulevait certaines inquiétudes.

26        M. Chouinard a également mentionné qu’un dossier intitulé « Nick » et contenant un numéro de téléphone correspondant à celui du fonctionnaire avait été retrouvé dans les dossiers d’affaires de la société X. Il était question dans ce dossier de la livraison et de l’installation de comptoirs de cuisine en granite à la résidence personnelle du fonctionnaire, en octobre 2005, par la société X. M. Chouinard a demandé qu’on élargisse le mandat d’enquête visant le fonctionnaire afin d’y inclure cet élément.

27        Le fonctionnaire est retourné au travail le 23 mars 2009, après un congé de maladie de près 15 mois. Sur la base de renseignements qui lui ont été communiqués par l’enquêteur de la Section des affaires internes de l’Agence concernant certains faits recueillis lors de l’enquête interne, M. Chouinard a procédé à la suspension sans solde pour une période indéterminée du fonctionnaire, et ce, à compter du 7 avril 2009. La lettre de suspension indiquait ce qui suit :

[…]

Certaines informations qui ont été portées à notre attention, nous porte à croire que vous pourriez avoir enfreint le code de déontologie et de conduite de [l’Agence]. En conséquence, une demande d’enquête interne a été initiée par la direction.

En tant que vérificateur, et tel qu’indiqué dans le code de déontologie et de conduite, vous êtes censé vous comporter de façon intègre dans l’exécution de votre travail. Compte tenu de vos fonctions et du lien entre ces fonctions et les circonstances de la présente enquête, j’ai pris la décision de vous suspendre pour une durée indéterminée. Cette suspension, sans traitement, débutera à partir d’aujourd’hui et demeurera en vigueur jusqu’à ce que je reçoive le rapport d’enquête interne complet.

Si d’autres infractions sont révélées au cours de l’enquête, elles seront traitées en conséquence. Au cours de votre suspension indéterminée, vous ne serez pas autorisé à pénétrer dans les locaux de l’employeur sauf sur convocation de ma part.

Vous serez informé des résultats de cette enquête au plus tard le 30 juin 2009, date à laquelle vous aurez la possibilité de rencontrer l’employeur et de fournir vos commentaires.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

28        M. Chouinard a reconnu qu’il s’agissait d’une absence prolongée pour le fonctionnaire, qu’il n’avait toujours pas interviewé celui-ci quant aux faits soulevés durant l’enquête interne, et que certaines informations pertinentes devaient toujours être validées. Il a néanmoins préféré suspendre le fonctionnaire en attendant l’issue de l’enquête interne, afin de protéger les biens de l’Agence et les informations personnelles et confidentielles des contribuables, ainsi que pour conserver la confiance du public. Selon lui, il aurait été difficile, voire impossible, d’assigner au fonctionnaire des tâches qui ne nécessitent pas un accès aux dossiers ou à l’information personnelle et confidentielle des contribuables. Bien qu’il ne se sentait pas en mesure d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire à cette date, il était d’avis qu’une suspension administrative était de mise.

29        Le 2 juillet 2009, n’ayant pas encore reçu le rapport d’enquête, M. Chouinard a avisé le fonctionnaire qu’il prolongeait la suspension sans solde jusqu’au 8 septembre 2009.

30        M. Chouinard a témoigné que le rapport d’enquête final de M. Léveillé (pièce E-7), qui faisait partie de la Section des affaires internes de l’Agence, a été remis à Monique Leclair, alors sous-commissaire de la région du Québec, le 17 juillet 2009. Il a par la suite fourni une copie de ce rapport détaillé de 34 pages au fonctionnaire et à son représentant syndical. Ce rapport tirait les trois conclusions suivantes :

[…]

Les renseignements obtenus lors de cette enquête révèlent que Nick Iammarrone, vérificateur, Petites et moyennes entreprises, BSF de Montréal, a effectué des accès sans autorisation, aux renseignements d’impôt de milliers de contribuables incluant ceux de […], [la société X], ses locataires […] et […], ses voisins, […] et […], de sa conjointe, […] et des siens, à l’encontre du Code de conduite et de déontologie de [l’Agence].

De plus, les renseignements obtenus lors de cette enquête révèlent que Nick Iammarrone s’est placé dans une situation de conflit d’intérêt [sic] lorsqu’il a mandaté [la société X] d’installer un comptoir de cuisine chez lui quelques mois après avoir complété la vérification et cela pendant qu’il avait le dossier en sa possession, ce qui va à l’encontre du Code et lignes directrices sur les conflits d’intérêts de [l’Agence]. Il est à noter que Nick Iammarrone a choisi de ne pas fournir la preuve du paiement de ces travaux et que cette vente n’apparaît pas dans les livres de [la société X].

Les renseignements obtenus lors de cette enquête révèlent aussi que Nick Iammarrone avait sur ses disques durs 99 pièces inacceptables dont 58 images de nature pornographique, 28 logiciels non autorisés incluant plusieurs logiciels utilisés afin de générer des numéros de loterie et quatre courriels inacceptables à l’encontre de la Politique d’utilisation des réseaux électroniques de l’Agence.

[…]

31        Après s’être familiarisé avec le rapport d’enquête (pièce E-7), M. Chouinard a rencontré le fonctionnaire à deux reprises, soit le 11 septembre 2009 et le 5 octobre 2009, afin d’obtenir ses commentaires. Ces rencontres ont eu lieu dans les locaux de l’agent négociateur du fonctionnaire et en présence d’un représentant syndical. Aucune preuve ne m’a été présentée quant aux raisons pouvant expliquer le délai entre la date de réception du rapport d’enquête, soit le 17 juillet 2009, et la date de la première rencontre avec le fonctionnaire, soit le 11 septembre 2009.

32        M. Chouinard s’est dit insatisfait des commentaires du fonctionnaire durant ces rencontres. Il a procédé à son licenciement le 10 novembre 2009. Les motifs invoqués par celui-ci dans la lettre de licenciement comprenaient les suivants :

[Traduction]

[…]

· À la suite de votre vérification fiscale de [la société X] en octobre 2005, cette société a livré à votre résidence un comptoir de cuisine évalué à environ 3 500 $. Vous n’avez pas été en mesure de présenter de facture, de relevé de compte, de preuve de paiement ou même de preuve de retraits bancaires étayant un paiement des biens que vous prétendez avoir payés comptant. Rien n’a par ailleurs été consigné en rapport avec une facture correspondante ou à un paiement connexe dans les livres de [la société X].

Dans ces circonstances, je conclus que vous vous êtes placé dans une grave situation de conflits d’intérêts. Cette contravention aux règles d’éthique constitue une infraction grave qui de toute évidence est contraire au Code et à la Directive sur les conflits d’intérêts de l’Agence du revenu du Canada.

· Un examen de votre vérification de [la société X], qui a été effectué par un vérificateur d’expérience auquel j’en avais fait la demande, a clairement démontré que vous avez fait preuve de nonchalance et de laxisme lorsque vous avez effectué la vérification en question. Vos explications selon lesquelles vous avez agi au meilleur de votre capacité, en vue de protéger les intérêts de l’Agence, ne semblent pas bien fondées ni crédibles.

· Vous avez utilisé les systèmes informatiques de l’Agence pour accéder aux renseignements fiscaux de plusieurs contribuables alors que votre travail ne vous obligeait pas à le faire. Vous m’avez donné des explications crédibles relatives à certains accès qui n’avaient pas été expliqués dans le rapport d’enquête interne. Par contre, aucune raison légitime n’a été présentée en ce qui concerne plusieurs autres consultations effectuées au moyen des systèmes informatiques de l’Agence. Des dizaines d’autres cas d’accès à des renseignements fiscaux de particuliers liés au crime organisé ont également été observés. Vous avez également accédé à des renseignements fiscaux de vos connaissances personnelles. Je conclus donc qu’il y a eu inconduite grave de votre part lorsque, sans motif valable, vous avez accédé à des renseignements fiscaux de nombreux contribuables.

· Vous avez utilisé le matériel et le réseau électronique de l’Agence pour télécharger et utiliser plus de vingt (20) prologiciels à des fins essentiellement personnelles. Vous avez également sauvegardé et distribué des images pornographiques à l’aide d’un ordinateur de l’Agence. Une analyse des documents sauvegardés sur le disque dur de l’ordinateur a révélé 58 images pornographiques. La politique de l’Agence à cet égard est claire et vous étiez au courant de son existence. De toute évidence, vous avez utilisé le matériel de l’Agence et les réseaux informatiques à des fins inacceptables.

· Vous avez vandalisé le véhicule d’un cadre supérieur qui était garé dans un stationnement intérieur d’un immeuble de [l’Agence]. À l’audience disciplinaire, vous avez reconnu que cet incident avait eu lieu, qu’il exprimait votre frustration à l’égard de votre situation particulière et que vous n’étiez pas au courant que ce véhicule appartenait à un gestionnaire de [l’Agence]. Indépendamment des circonstances liées à ces actes, il s’agissait d’un comportement illégal et inacceptable.

[…]

[Les allégations rayées ont été abandonnées à l’audience]

33        À l’ouverture de l’audience, l’Agence a précisé qu’elle ne s’appuierait plus sur deux éléments de cette lettre et qu’elle désirait en retirer les passages suivant : 1) « des dizaines d’autres cas d’accès à des renseignements fiscaux de particuliers liés au crime organisé ont également été observés », 2) « et distribué ».

34        Lorsque questionné au sujet de son insatisfaction quant aux commentaires du fonctionnaire formulés lors des deux rencontres avec ce dernier, M. Chouinard a apporté certaines précisions.

35        Concernant la question des comptoirs de cuisine en granite, M. Chouinard a indiqué que le fonctionnaire n’avait pas nié que la société X avait livré et installé les comptoirs à sa résidence personnelle approximativement six mois suivant l’achèvement de sa vérification de ladite société. Il n’a pas non plus nié que ces comptoirs étaient évalués à 3 600 $. Lorsque M. Chouinard lui a demandé de fournir une preuve de paiement pour les comptoirs, le fonctionnaire a répondu qu’il n’avait pas de facture, qu’il avait payé comptant avec l’argent que ses enfants avaient reçu en cadeau de Fêtes. Le fonctionnaire a ajouté qu’il gardait cet argent dans la résidence familiale, et qu’il avait remis cette somme au comptable de la société X sans obtenir de preuve de paiement en retour. En contre-interrogatoire, M. Chouinard s’est rappelé que le fonctionnaire avait mentionné que l’argent comptant utilisé pour payer les comptoirs pouvait également provenir de gains de loterie. Le fonctionnaire lui a également indiqué qu’il avait décidé de faire affaires avec la société X compte tenu du fait que l’actionnaire principal de ce contribuable était le cousin d’un employé de l’Agence et qu’il pensait pouvoir ainsi obtenir un meilleur prix d’achat pour les comptoirs.

36        M. Chouinard s’est dit tout simplement insatisfait de ces explications. Selon lui, il n’était pas concevable que le fonctionnaire, qui était un vérificateur expérimenté de l’Agence, ne soit pas en mesure de fournir une facture ou une preuve de paiement pour le prétendu achat de ces comptoirs de cuisine qui, après tout, provenaient d’un contribuable pour lequel il venait à peine de terminer une vérification fiscale. Il a ajouté que les dossiers fiscaux du contribuable en question se trouvaient encore physiquement dans l’aire de travail du fonctionnaire et que plusieurs accès électroniques récents avaient été effectués par le fonctionnaire à l’égard de ces dossiers. De plus, les livres comptables de la société X ne contenaient aucune mention d’une vente, d’une facture ou d’un paiement concernant la livraison et l’installation de ces comptoirs de cuisine.

37        Ce genre de comportement soulevait, selon M. Chouinard, deux types de manquements au Code de déontologie et de conduite de l’Agence (pièce E-13). Premièrement, il contrevenait aux dispositions portant sur les cadeaux, marques d’hospitalité et autres avantages (pièce E-13). Deuxièmement, il contrevenait aux dispositions du Code portant sur les conflits d’intérêts (pièce E-13). Les dispositions en question prévoient ce qui suit :

[…]

d)  Cadeaux, marques d’hospitalité et autres avantages

Vous avez la responsabilité de refuser tout cadeau, toute marque d’hospitalité ou tout autre avantage qui vous est offert et qui pourrait influencer votre jugement ou remettre en question votre intégrité ou celle de [l’Agence].

Afin de suivre les pratiques courantes publiques et commerciales, vous pouvez accepter des cadeaux accessoires comme des tasses ou des stylos (de moins de 25 $), les marques d’hospitalité liées aux activités de [l’Agence] conformes aux règles (de moins de 50 $) et les autres avantages d’une valeur modique comme la rétribution d’un conférencier ou des cadeaux de remerciement de visiteurs étrangers (de moins de 50 $), à condition que tous les critères suivants soient respectés :

· il ne s’agit pas d’un cadeau personnel interdit (p. ex. les espèces ou l’équivalent, les billets pour des évènements sportifs ou de divertissements importants, de l’alcool, des cigarettes ou des marchandises connexes, la sollicitation de cadeaux pour avantages personnels pour une activité organisationnelle, comme un tournoi sportif (sauf les activités de bienfaisance autorisées par [l’Agence]), ou toute chose interdite en droit canadien);

· l’employé ne peut pas accorder un avantage ou une faveur directe à la personne ou à l’organisation (ou il est perçu comme ne pouvant pas le faire) ou influer sur une décision souhaitée par le donneur (ou il est perçu comme ne pouvant pas le faire);

· un tiers indépendant conclut que l’employé a agi de façon objective et impartiale; et

si tous ces critères ont été respectés,

· que la valeur du cadeau ou des marques d’hospitalité corresponde à la situation et est conforme aux normes de prudence dans la fonction publique.

Remarque : C’est un problème grave si vous acceptez un cadeau, une marque d’hospitalité ou un autre avantage qui ne respecte pas les critères, y compris la valeur monétaire maximale. Si vous l’acceptez, vous devez immédiatement le signaler à votre gestionnaire par écrit. Votre gestionnaire informera le gestionnaire délégataire qui donnera son avis sur la façon de procéder. Tous les cas de cette nature seront signalés au directeur, Relations de travail, Direction générale des ressources humaines.

Consultez votre gestionnaire si on vous offre un cadeau ou des avantages (accueil ou autres) ou si vous prévoyez une telle offre.

[…]

i)   Conflit d’intérêts

À titre d’employé, vous serez en conflit d’intérêts chaque fois que des intérêts et des liens personnels ou des actifs externes nuiront à votre capacité de prendre des décisions de manière intègre et honnête, dans les meilleurs intérêts de [l’Agence] et de la fonction publique. Vous devez donc vous comporter de façon à ne pas nuire, ou à ne pas pouvoir nuire, à [l’Agence].

Il vous appartient d’éviter les situations pouvant entraîner des conflits d’intérêts réels, potentiels ou apparents, car c’est là une de vos conditions d’emploi. Vous ne devez pas utiliser votre poste pour influer sur les procédures de [l’Agence] ou vous y soustraire pour votre bénéfice personnel ou celui de votre famille, d’amis, de collègues ou de toute autre personne. Vous ne devez pas, par exemple, accepter d’offres ni de tentatives d’offres d’avantages personnels de la part de clients et d’autres fonctionnaires. De même, les membres d’un comité de sélection ne devraient pas être étroitement liés à l’un des candidats ou avoir d’autres liens pouvant nuire à leur capacité de fournir une évaluation impartiale.

[…]

[Les passages en caractères gras le sont dans l’original]

38        M. Chouinard a également fait référence aux objectifs de la Politique en matière de cadeaux, de marques d’hospitalité et d’autres avantages de l’Agence (pièce E-14), qui prévoient ce qui suit :

[…]

Objectifs

· Préserver l’intégrité de [l’Agence] en garantissant que les pratiques en ce qui concerne l’acceptation, le traitement ou le refus de cadeaux, de marques d’hospitalité et d’autres avantages par les employés de [l’Agence] sont au-delà de tout soupçon et sont considérés comme tels.

· Veiller à ce que l’objectivité et l’impartialité des employés ne soient pas compromises ou remises en question de façon légitime.

· Respecter l’intégrité des partenariats avec des entreprises, des associations professionnelles, d’autres ordres de gouvernement, le public canadien en général et des organisations d’autres pays.

[…]

39        Le deuxième motif de M. Chouinard concerne la vérification effectuée par le fonctionnaire, qu’il a qualifiée de nonchalante et de laxiste. À cet égard, M. Chouinard a précisé avoir demandé à M. Joseph, un vérificateur qu’il considérait spécialisé, de réviser la vérification de la société X qui avait été effectuée par le fonctionnaire. Dans son rapport, M. Joseph a indiqué que l’absence de certaines procédures normales de vérification, telles qu’un plan de vérification détaillé et des commentaires sur des redressements potentiels jugés non matériels, lui permettait de conclure que le fonctionnaire avait agi de façon plutôt nonchalante dans l’exercice de ses fonctions. M. Chouinard a entièrement entériné cette conclusion, même après avoir sollicité des explications et des commentaires du fonctionnaire. Selon M. Chouinard, la vérification de la société X contenait des lacunes importantes, notamment l’absence d’un plan de vérification, le manque de validation des revenus du contribuable et l’acceptation d’un bilan de revenus et dépenses des actionnaires préparé et signé par le comptable de la société, ce à quoi l’on ne pouvait s’attendre de la part d’un vérificateur expérimenté de niveau AU-03. En contre-interrogatoire, M. Chouinard a admis qu’il n’avait pas cru bon de valider les conclusions de M. Joseph avec un chef d’équipe ou un superviseur du BSF de Montréal, préférant se fier au contenu et aux conclusions du rapport de M. Joseph.

40        Le troisième motif invoqué par M. Chouinard porte sur les accès non autorisés. Selon M. Chouinard, le fonctionnaire lui aurait dit que son chef d’équipe lui demandait parfois de faire de la recherche de dossiers qui devraient potentiellement faire l’objet d’une vérification sur le système générateur de rapport de vérification en direct (le « système ARGO ») de l’Agence. Bien que M. Chouinard soit disposé à accepter cette explication pour un certain nombre d’accès, elle ne peut s’appliquer à un nombre considérable d’accès. Par conséquent, le fonctionnaire ne peut fournir d’explication crédible pour de nombreux accès, par exemple lorsqu’il a accédé aux dossiers de la société X à plus de 40 reprises entre février 2005 et juin 2007, alors qu’il avait déjà terminé la vérification de ce contribuable et qu’il faisait affaires avec ce dernier. En contre-interrogatoire, M. Chouinard a admis que, bien qu’un vérificateur doive parfois élargir les paramètres d’une vérification en accédant à des dossiers fiscaux ou à de l’information fiscale supplémentaire afin de valider certaines informations, il a précisé que ces accès devaient être documentés et justifiés, soit par le biais d’une feuille de travail ou d’un plan de travail, afin d’établir un lien entre les accès et la charge de travail, sans quoi ces accès ne sont pas justifiés.

41        M. Chouinard s’est dit tout aussi insatisfait des explications du fonctionnaire concernant la nécessité d’accéder à son propre dossier fiscal, en plus de ceux de ses locataires, de son épouse et de ses voisins. La curiosité d’en savoir plus sur ces individus, tel qu’avancé par le fonctionnaire, ne justifiait pas, selon lui, un tel manquement. De plus, une politique de l’Agence interdit l’accès par les employés à leurs renseignements personnels d’impôt et à ceux des membres de leur famille.

42        Le quatrième motif invoqué par M. Chouinard dans la lettre de licenciement porte sur le téléchargement par le fonctionnaire de logiciels non autorisés et d’images pornographiques sur son ordinateur portable et sur son lecteur H. M. Chouinard a fait référence aux informations révélées dans le rapport d’enquête de M. Léveillé (pièce E-7) et a indiqué que le fonctionnaire n’avait jamais nié avoir effectué ces téléchargements, mais qu’il avait tenté de minimiser la gravité de ces gestes en alléguant qu’ils avaient été effectués plusieurs années avant leur découverte et que ces logiciels et images n’étaient plus utilisés ou visionnés.

43        M. Chouinard m’a renvoyé à certains exemples de mauvais usage énumérés dans la Directive sur la surveillance de l’utilisation du réseau électronique (pièce E-20) et plus particulièrement aux exemples suivants :

[…]

Exemples de mauvais usage

Vous trouverez ci-dessous des exemples d’actions considérées comme des violations de la présente politique et qui peuvent donner lieu à des mesures disciplinaires, conformément à la Politique et aux lignes directrices sur la discipline. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive.

Comme exemples d’utilisation inacceptable du réseau électronique de l’Agence, on peut nommer, entre autres, les activités d’obtention, de stockage, de transmission et de participation liées à ce qui suit :

a. Les chaînes de lettres, les opérations pyramidales, le matériel offensant ou le matériel présentant de la pornographie, de la nudité, un langage profane, de la violence ou un contenu sexuel.

[…]

Comme exemples d’activités inacceptables, liées au réseau électronique de l’Agence, qui peuvent entraîner des fardeaux de stockage ou de la congestion, compromettre la sécurité ou contrevenir à une autre politique, on peut nommer, entre autres, les suivants :

[…]

f.   Installer, stocker, utiliser, modifier ou transmettre des jeux, des logiciels non autorisés, des fichiers script ou des fichiers séquentiels.

[…]

[…]

44        Selon lui, seuls les logiciels que l’Agence a fournis et installés sur les ordinateurs ou portables de ses employés sont autorisés. Les logiciels conçus pour générer des séquences de loterie ne sont certainement pas autorisés. Sur ce point, M. Chouinard m’a également renvoyé à la Politique sur la Surveillance de l’utilisation du réseau électronique (pièce E-21), aux Lignes directrices de la politique sur le réseau électronique (pièce E-22) et au Code de déontologie et de conduite de l’Agence (pièce E-13) au soutien de sa position qu’une telle conduite n’est nullement autorisée par l’Agence.

45        Le cinquième motif invoqué par M. Chouinard porte sur le vandalisme sur une voiture d’un gestionnaire. M. Chouinard a expliqué que le fonctionnaire n’avait pas nié son geste, qu’il avait prétendu avoir agi de la sorte par frustration personnelle et qu’il avait éventuellement payé les frais de réparation de la voiture. M. Chouinard a ajouté que le fonctionnaire n’avait fourni aucun détail concernant l’origine de sa frustration. Enfin, il a souligné que le fonctionnaire avait tout de même commis un geste illégal et inacceptable sur les lieux du travail. Toutefois, M. Chouinard a précisé qu’il avait plutôt retenu ce motif à titre de facteur aggravant.

46        En guise de conclusion, M. Chouinard a indiqué qu’il n’avait d’autre choix que de procéder au licenciement du fonctionnaire étant donné la gravité de ses gestes et les nombreux manquements de ce dernier au Code de déontologie et de conduite de l’Agence (pièce E-13) et aux diverses politiques et directives de l’Agence. Selon M. Chouinard, le lien de confiance a été rompu de façon irréparable. Le licenciement représentait donc la mesure disciplinaire appropriée dans les circonstances.

2. M. Faribault

47        M. Faribault est un enquêteur du programme d’enquête criminelle (PEC), lequel relève de la Division de l’exécution de l’Agence. Ses fonctions consistent essentiellement à effectuer des enquêtes de nature pénale à l’égard des contribuables que l’Agence soupçonne d’avoir commis une fraude fiscale, et de remettre les résultats de ses enquêtes au Service des poursuites pénales du Canada.

48        M. Faribault a témoigné que le dossier de la société X avait été transféré au PEC en avril 2008 aux fins d’enquête, et que des mandats de perquisition avaient été obtenus afin de procéder à une fouille des locaux de la société X et de ses comptables, et des résidences de ses actionnaires.

49        Près d’une centaine de boîtes de documents ont été saisies lors de ces perquisitions. M. Faribault a procédé à l’inventaire de ces documents et a découvert le dossier intitulé « Nick ». Il a corroboré le témoignage de M. Chouinard selon lequel ce dossier portait sur la livraison et l’installation de comptoirs de cuisine en granite d’une valeur de 3 600 $ avant taxes, par la société X, à la résidence personnelle du fonctionnaire le 5 octobre 2005.

50        M. Faribault a également témoigné avoir procédé à la vérification des livres comptables et des disques durs de la société X. Il a ajouté que, bien qu’une entrée comptable démontrait l’achat des comptoirs par la société X chez un fournisseur, à titre de dépense, aucune entrée ne faisait état de la réception d’un paiement de la part du fonctionnaire, à titre de revenu.

51        M. Faribault a remis ces informations à son chef de groupe vers la fin septembre 2008. En contre-interrogatoire, il a indiqué qu’il avait été bouleversé par le contenu de ces documents. Il connaissait bien le fonctionnaire parce qu’il avait travaillé avec lui dans le passé, et il avait beaucoup d’estime pour lui. Il ne comprenait pas pourquoi ce dernier s’était placé dans une telle situation, sachant qu’il avait récemment procédé à la vérification de la société X pour les années 2002 et 2003.

3. M. Graham

52        M. Graham est un enquêteur principal à la Section des enquêtes internes de la Division des affaires internes et de la prévention de la fraude de l’Agence. À l’époque pertinente, plus particulièrement en février 2009, il occupait le poste d’agent de surveillance du réseau électronique de l’Agence. Ses tâches consistaient essentiellement à s’assurer que les employés de l’Agence respectent la Politique sur la Surveillance de l’utilisation du réseau électronique (pièce E-21), à empêcher la propagation de contenu non appropriés sur l’Internet ou l’Intranet de l’Agence, et à surveiller l’utilisation de logiciels non autorisés, la mauvaise utilisation des systèmes informatiques de l’Agence et les accès non autorisés aux systèmes de l’Agence par ses employés.

53        Le 3 février 2009, son gestionnaire lui a demandé de vérifier l’utilisation du réseau électronique par le fonctionnaire, suite à une demande de la Division des affaires internes et de la prévention de la fraude qui menait, à ce moment-là, une enquête à son égard. Cette vérification visait principalement le lecteur de réseau personnel (« lecteur H ») du fonctionnaire, ainsi que son compte de messagerie (« courriels »).

54        M. Graham a préparé deux rapports contenant une longue liste de logiciels, d’images ou de contenu non autorisés qui avaient été retrouvés sur le lecteur H du fonctionnaire, incluant des logiciels de génération de numéros de loterie, des logiciels ImpôtRapide pour compléter des déclarations de revenus personnelles, ainsi que des vidéos et images à caractère pornographique, érotique, obscène ou sexuel. Ces rapports ont été remis à la Division des affaires internes et de la prévention de la fraude.

55        Selon M. Graham, les logiciels, vidéos et images énumérés dans ces rapports n’étaient aucunement reliés au travail du fonctionnaire, étaient non autorisés et inacceptables, et contrevenaient tant à la Politique sur la Surveillance de l’utilisation du réseau électronique de l’Agence (pièce E-21), introduite en septembre 2006, qu’à celle qui lui avait précédé.

56        En contre-interrogatoire, M. Graham a confirmé que, avant 2008, il était possible pour un employé de l’Agence de télécharger un logiciel non autorisé sur son ordinateur de travail car il n’existait aucune restriction l’empêchant de le faire ou l’obligeant à consulter les services de la technologie de l’information au préalable. Après 2008, plusieurs barrières ou restrictions ont été mises en place visant à empêcher ce type de téléchargement par un utilisateur. Il a également clarifié que, bien que les dates associées à certains des logiciels ou images puissent sembler lointaines, par exemple un logiciel daté du 29 juillet 1994, ceci ne signifiait pas que le logiciel ou l’image en question n’avait pas été utilisé ou visionné à plusieurs reprises par la suite car cette information n’est pas retenue par le réseau. Par conséquent, même si le fonctionnaire avait utilisé un logiciel ou visionné une image ou un vidéo en 2008, la date associée à ce logiciel ou à cette image demeurerait tout de même le 29 juillet 1994, soit la date de son introduction au réseau. De plus, M. Graham a admis que la liste de logiciels non autorisés et d’images inacceptables qu’il avait préparée contenait des doubles puisque certains de c

4. M. Joseph

es logiciels ou images se retrouvaient sur différents fichiers.

57        Selon le curriculum vitae de M. Joseph, celui-ci occupe, depuis mars 2007, un poste d’agent principal de programme et à la recherche, à la Direction générale des programmes d’observation à l’administration centrale de l’Agence. Entre 2000 et 2007, il a occupé le poste de vérificateur au sein de l’Agence. Il a d’abord occupé un poste de vérificateur AU-01 de 2000 à 2003, pour ensuite occuper un poste de vérificateur AU-02 de 2003 à 2007. Il a été promu à un poste de vérificateur AU-03 en 2007, avant de devenir agent principal de programme en mars 2007.

58        En juillet 2007, la Section des enquêtes internes de la Division des affaires internes et de la prévention de la fraude de l’Agence a demandé à M. Joseph de procéder à une revue de la vérification de la société X qui avait été effectuée par le fonctionnaire pour les années 2002 et 2003. Un rapport complet de sa révision a été préparé et remis à la Division des affaires internes le 6 septembre 2007.

59        L’Agence m’a demandé de qualifier M. Joseph de témoin expert, ce à quoi le fonctionnaire s’est opposé. Après avoir révisé le curriculum vitae de M. Joseph, pris en considération les réponses de ce dernier lors du contre-interrogatoire sur son expertise, et mis en application les critères de la décision R. c. Mohan, [1994] 2 RCS 9, j’ai refusé de qualifier celui-ci de témoin expert. Selon moi, bien que je ne doute pas de la pertinence de son témoignage ou du fait que son témoignage pourrait m’aider, je crois être en mesure de formuler un jugement juste sans que ce dernier soit qualifié d’expert. De plus, bien qu’aucune règle d’exclusion ne s’applique ici, je suis parfaitement conscient que le témoin est l’employé de l’Agence et que ses services n’ont pas été retenus à titre de consultant indépendant, mais plutôt dans le cadre de ses fonctions à l’Agence. Qui plus est, ni son curriculum vitae ni les réponses qu’il a fournies lors du contre-interrogatoire portant sur son expertise ne démontrent qu’il possède les qualités suffisantes pour être qualifié de témoin expert dans le cadre de cette procédure. Je note, entre autres, que M. Joseph n’est l’auteur d’aucune publication, qu’il n’a obtenu aucune formation spécialisée et qu’il ne possède aucune désignation professionnelle pertinente à l’objet du témoignage proposé.

60        J’ai toutefois permis à M. Joseph de relater les faits entourant le travail qu’on lui a demandé d’effectuer et d’expliquer les conclusions qu’il a tirées de sa revue de la vérification de la société X par le fonctionnaire.

61        M. Joseph a indiqué que le fonctionnaire avait été mandaté afin de procéder à une revue générale des dépenses de la société X pour les années 2002 et 2003. Selon lui, la vérification du fonctionnaire contenait de nombreuses défaillances. Premièrement, il a reproché au fonctionnaire d’avoir fait des redressements sur deux postes de dépenses seulement, sans fournir d’analyse sur la validité desdites dépenses. Aucun indice au dossier ne lui laissait croire qu’une analyse méticuleuse des transactions de la société X avait été faite afin de déterminer si les dépenses proposées étaient des dépenses de nature personnelle ou si elles avaient été encourues aux fins d’affaires.

62        Dans un deuxième temps, M. Joseph a reproché au fonctionnaire de ne pas avoir remis en doute la détermination de la valeur marchande des actions de la société X lors de la vente des actions de l’actionnaire principal aux autres actionnaires, dont l’une était la conjointe de l’actionnaire principal. Il a également reproché au fonctionnaire d’avoir accepté, sans questionnement, une ébauche de l’avoir net du contribuable, tout en sachant que celle-ci avait été préparée par le comptable du contribuable et que les données soumises par ce dernier étaient probablement sous-estimées.

63        M. Joseph a également reproché au fonctionnaire de ne pas avoir fourni de commentaires sur les autres dépenses qu’il avait revues et de n’avoir fourni aucune analyse comparative des autres postes de dépenses non redressés.

64        M. Joseph a indiqué que, bien que la société X avait fait l’objet d’une vérification antérieure pour les années 1998 et 1999, aucune mention de ce fait n’apparaissait dans la vérification du fonctionnaire et aucun indice ne lui laissait croire que ce dernier s’était informé sur les redressements antérieurs ou qu’il avait comparé les redressements des deux dossiers. Selon lui, le fonctionnaire n’a tout simplement pas apprécié le niveau de risque élevé associé à la société X lors de sa vérification.

65        M. Joseph a également commenté le nombre d’heures attribué à cette vérification par le fonctionnaire, soit 139 heures. Selon lui, les méthodes employées par ce dernier lors de son examen limité ne justifiaient pas un nombre d’heures si élevé. Une vérification appropriée dans les circonstances aurait justifié au plus, selon lui, entre 85 et 100 heures de travail.

66        M. Joseph a conclu que le fonctionnaire avait agi de façon nonchalante lors de la vérification de la société X. L’absence de certaines procédures normales de vérification, telles qu’un plan de vérification ou des feuilles de travail détaillées, ainsi que l’absence de commentaires sur des redressements potentiels jugés non matériels lui ont permis d’en arriver à cette conclusion.

67        En contre-interrogatoire, M. Joseph a confirmé que c’était la première fois qu’on lui demandait de procéder à une telle revue et qu’il n’était pas habituel de revoir des vérifications effectuées par d’autres vérificateurs de l’Agence.

68        Il a admis qu’il n’avait pas consulté le fonctionnaire ou aucun autre vérificateur ou chef d’équipe du BSF de Montréal dans le cadre de sa revue. Il a également confirmé qu’il n’avait pas lui-même consulté le dossier de vérification de la société X pour 1998 et 1999 ni consulté une ou plusieurs vérifications antérieures du fonctionnaire ou de ses collègues de travail.

69        M. Joseph a également admis que les feuilles de travail du fonctionnaire concernant le poste de dépenses « Repas, Divertissement, Publicité et promotion » contenaient la mention suivante :

[Traduction]

Tous les relevés de Visa relatifs à l’année d’imposition […] ont été examinés et toutes les dépenses de restaurant ainsi que les cotisations de golf et dépenses connexes de golf ont été notées. Cet examen a été mené dans le but d’établir si la réintégration des montants liés aux cotisations à un club et aux dépenses de restaurant avait été effectuée de manière conforme. Tous les relevés ont également fait l’objet d’un examen dans le but de déceler toute dépense personnelle.

70        Finalement, M. Joseph a admis qu’il était possible que le fonctionnaire ait remis en doute certaines dépenses ou la valeur marchande des actions de la société X verbalement, sans inscrire l’information obtenue dans ses feuilles de travail.

5. M. Kutukian

71        M. Kutukian est un agent principal des programmes et de liaison dans la Section de l’élaboration du travail de l’Agence. Il a fourni un aperçu des différents systèmes informatisés et programmes utilisés par l’Agence afin de conserver et de rendre accessible à certains de ses employés l’information personnelle et fiscale des contribuables. Il a passé en revue, entre autres, les différents moteurs de recherche, les différentes façons d’accéder à ces informations, qui a accès à quoi, ce que renferment certains écrans, le type d’information fourni par les nombreuses options offertes dans ces écrans, etc. Il a expliqué que chaque accès aux différents systèmes ou écrans de l’Agence par un vérificateur laisse une trace qui permet à l’Agence de répertorier les accès de ses vérificateurs selon le type d’accès utilisé.

72        Bien que j’aie apprécié le témoignage de M. Kutukian et que son témoignage m’a été utile afin de mieux comprendre les moteurs de recherche de l’Agence et les différents acronymes associés aux différents écrans, j’ai choisi de ne pas reprendre l’intégralité de son témoignage puisque les faits relatés par celui-ci ne concernent pas directement les actes reprochés au fonctionnaire et ne sont pas pertinents et nécessaires à l’appui des motifs de ma décision.

6. M. Léveillé

73        M. Léveillé est enquêteur principal à la Section des enquêtes internes de la Division des affaires internes et de la prévention de la fraude de l’Agence. Il a expliqué que, à la suite de l’opération policière « Projet Colisée », en novembre 2006, qui a mené à de nombreuses arrestations et perquisitions, la directrice du BSF de Montréal, Mme Gouin, a demandé une piste de vérification afin d’identifier les employés de l’Agence qui avaient effectué des accès aux renseignements d’impôt de certains contribuables visés par cette opération policière. Le fonctionnaire a été identifié comme étant un de ces employés. Lorsque M. Chouinard a succédé à Mme Gouin, il a demandé à la Section des enquêtes internes de mener une enquête afin de faire la lumière sur les circonstances entourant les accès par le fonctionnaire aux renseignements d’impôt de multiples contribuables, y compris ceux de la société X. M. Léveillé a mené cette enquête et a remis son rapport le 17 juillet 2009 (pièce E-7). Les conclusions de son rapport sont citées au paragraphe 30 de cette décision.

74        M. Léveillé a interviewé le fonctionnaire à deux reprises, soit le 25 janvier 2008 et le 16 avril 2009. Il a expliqué que le délai entre les deux entrevues était dû au fait que le fonctionnaire avait été en congé de maladie pour une longue période à la suite de la première entrevue. Les informations recueillies lors de ces entrevues sont reflétées dans les notes manuscrites de M. Léveillé (pièce E-54), ainsi que dans son rapport final (pièce E-7). Ces informations révèlent, entre autres, que, bien que le fonctionnaire complétait en moyenne cinq dossiers de vérification par année dans le cadre de ses tâches de vérificateur AU-03, celui-ci a visionné 19 863 écrans de 6 128 comptes différents entre janvier 2003 et janvier 2008, soit une période de cinq ans, ce qui laisse entendre que le fonctionnaire accédait en moyenne à 245 différents comptes de contribuables pour chaque vérification.

75        M. Léveillé a indiqué que le fonctionnaire avait également utilisé l’option T à 5 787 reprises. L’option T est utilisée pour trouver un contribuable dont on connaît le nom ou l’adresse, mais pas le numéro d’assurance sociale (NAS). Le nombre et la fréquence des accès du fonctionnaire n’étaient pas, selon M. Léveillé et plusieurs autres employés interrogés à ce sujet, normaux ou justifiés. En avril 2008, M. Léveillé a demandé au chef d’équipe du fonctionnaire, M. Oliverio, de commenter la validité des accès effectués par le fonctionnaire aux renseignements d’impôt de 73 contribuables. Selon M. Oliverio, 69 des 73 comptes consultés par le fonctionnaire ne semblaient pas être reliés à sa charge de travail. En contre-interrogatoire, M. Léveillé a admis ne pas avoir questionné le fonctionnaire quant à ces 73 accès.

76        Les informations recueillies au cours de l’enquête de M. Léveillé ont également révélé, entre autres, que le fonctionnaire avait accédé aux renseignements d’impôt de la société X à plusieurs reprises après avoir terminé la vérification de ce contribuable, que plusieurs de ces accès avaient été faits au moment où celui-ci faisait affaires avec la société X pour l’installation des comptoirs de cuisine à sa résidence personnelle, qu’il avait accédé aux renseignements d’impôt des actionnaires de la société X deux ans après avoir terminé la vérification de ce contribuable, et qu’il détenait toujours les dossiers fiscaux de la société X et de son actionnaire principal dans son classeur deux ans après la conclusion de sa vérification. Selon M. Léveillé, ces accès étaient non autorisés et contraire aux politiques et Lignes directrices de la politique sur le réseau électronique de l’Agence (pièce E-22). Le fonctionnaire n’a fourni à M. Léveillé aucune explication quant auxdits accès, outre qu’il était possible qu’il les ait effectués dans le cadre d’une évaluation du rendement. Selon M. Léveillé, cette explication est peu probable si l’on tient compte du nombre important d’accès et des contribuables visés par ces accès. De plus, le chef d’équipe du fonctionnaire, M. Fratarcangelli, ne se souvenait pas d’avoir demandé à ce dernier ou à tout autre employé de l’Agence d’accéder aux renseignements d’impôt d’un contribuable une fois la vérification terminée aux fins d’une évaluation du rendement, incluant ceux de la société X. Lorsque interviewé, M. Oliverio a indiqué que les employés de l’Agence ne devraient pas conserver les dossiers des contribuables à leur bureau ou dans leur classeur une fois la vérification terminée.

77        M. Léveillé a également indiqué que le fonctionnaire avait utilisé l’option T afin d’accéder à ses propres renseignements d’impôt ainsi qu’à ceux de deux de ses voisins, de ses locataires, et de sa conjointe. Encore une fois, M. Léveillé a réitéré qu’il s’agissait d’accès non autorisés et contraires aux politiques de l’Agence et que le fonctionnaire ne lui avait fourni aucune explication à ce sujet. Il a ajouté que le fonctionnaire lui avait confirmé être familier avec le Code de déontologie et de conduite de l’Agence (pièce E-13) et être conscient du fait que les employés de l’Agence n’avaient pas la permission d’accéder à leurs renseignements personnels ou à ceux de leur famille, connaissances ou voisins.

78        M. Léveillé a aussi relaté les discussions qu’il avait eues avec le fonctionnaire concernant les comptoirs de cuisine que la société X lui a livrés et installés en octobre 2005. Le fonctionnaire lui a alors indiqué qu’il avait payé l’actionnaire principal aux bureaux de la société X en argent comptant, sans obtenir de facture ou de preuve de paiement. Le fonctionnaire ne se souvenait pas de l’origine de l’argent utilisé pour le paiement, mais il a dit qu’il était possible qu’il s’agisse de l’argent que ses enfants ont reçu en cadeaux et qu’ils conservaient dans la maison. Le fonctionnaire lui a également dit qu’il avait choisi de faire affaires avec la société X parce que l’actionnaire principal de ce contribuable était le cousin d’un collègue de travail (un vérificateur du BSF de Montréal) et qu’il croyait ainsi obtenir un bon prix. M. Léveillé a interviewé le gestionnaire du fonctionnaire, M. Oliverio, qui a déclaré qu’il était inapproprié qu’un vérificateur de l’Agence chargé de vérifier un contribuable fasse affaires avec ce même contribuable durant la vérification de ce dernier et qu’il serait tout aussi inapproprié que le vérificateur fasse affaires avec le contribuable alors que les dossiers de ce dernier se trouvent dans le bureau ou le classeur du vérificateur.

79        Dans un rapport d’enquête précédent, daté du 24 mars 2009, M. Léveillé a conclu que le fonctionnaire avait délibérément endommagé un véhicule appartenant à un employé de l’Agence, causant des dommages évalués à 419 $. L’incident a eu lieu le 15 novembre 2007. Le fonctionnaire a éventuellement admis son geste le 16 janvier 2008, durant l’enquête qui avait suivi.

B. Preuve du fonctionnaire

1. M. Cossette

80        M. Cossette est un chef d’équipe du BSF de Montréal de l’Agence, à la vérification des PME. Il a témoigné qu’il était le chef d’équipe du vérificateur qui avait effectué la vérification antérieure de la société X pour les années 1998 et 1999. Il a fourni un résumé des étapes entreprises par ce dernier durant ladite vérification. M. Cossette a indiqué que le vérificateur en question avait averti le fonctionnaire de porter une attention particulière aux dépenses de la société X et de son actionnaire principal.

81        M. Cossette a également indiqué que l’attribution des dossiers à être vérifiés n’était pas effectuée par les chefs d’équipes, mais plutôt par la Section de la charge de travail. Cette section est chargée d’identifier les éléments de risque et de non-conformité de certains contribuables et d’attribuer, à la suite d’une demande de dossiers par un chef d’équipe, les dossiers aux vérificateurs de différents niveaux, en fonction de la complexité des dossiers ou des éléments de risque identifiés.

82        M. Cossette a précisé que, bien qu’il ait été le chef d’équipe du fonctionnaire pour une courte période de temps, soit de l’automne 2000 à l’été 2001, il n’était pas son chef d’équipe lorsque le fonctionnaire a fait la vérification de la société X pour les années 2002 et 2003 et il n’a aucunement été impliqué dans ladite vérification. Il a ajouté que ni M. Joseph ni M. Chouinard ne l’avaient consulté par rapport à cette vérification.

83        M. Cossette a témoigné brièvement au sujet des accès aux renseignements d’impôt de tierce parties qui peuvent être effectués par les vérificateurs de l’Agence lors d’une vérification, sans toutefois clairement préciser le type ou le nombre d’accès qui pourrait être considéré normal ou justifiable par un chef d’équipe.

84        En contre-interrogatoire, M. Cossette a admis que, étant donné les évènements entourant la vérification de la société X pour les années 1998 et 1999, celle-ci représentait un contribuable à risque. Il a ajouté qu’une vérification ultérieure de ce contribuable nécessiterait plus de vigilance qu’à l’accoutumée. Lorsqu’il a été interrogé relativement à la décision du fonctionnaire de limiter sa vérification à deux postes de dépenses, de ne pas questionner en détail la nature des dépenses réclamées dans ces postes et de ne pas vérifier le poste d’achat de matériaux de la société X, M. Cossette a répondu de façon plutôt ambiguë, concédant tout d’abord que le poste des dépenses d’achat de matériaux aurait dû être vérifié étant donné les résultats de la vérification antérieure de ce contribuable. Il a toutefois ajouté, plus tard dans son témoignage, qu’un vérificateur devait faire des choix étant donné qu’il y avait des délais pour effectuer les vérifications et que les postes de dépenses choisis par le fonctionnaire reflétaient des sommes plutôt marginales.

2. M. Oliverio

85        M. Oliverio est un conseiller fiscal du secteur privé. Il a travaillé à l’Agence de 1985 à décembre 2010, et occupait à l’époque pertinente un poste de gestionnaire MG-06; des chefs d’équipes relevaient de lui.

86        Lors de son témoignage, il a confirmé qu’un vérificateur AU-03, tel le fonctionnaire, était normalement appelé à compléter cinq vérifications par année.

87        M. Oliverio a réitéré certaines des observations de M. Cossette concernant les pratiques de distribution de dossiers au BSF de Montréal. Je n’ai pas jugé utile de répéter cette partie de son témoignage dans son ensemble puisque aucune allégation n’a été faite par l’Agence quant au caractère approprié ou non de l’assignation du dossier de la société X au fonctionnaire.

88        Selon M. Oliverio, tous les accès aux différents programmes et moteurs de recherche de l’Agence par un vérificateur doivent être liés à sa charge de travail. À titre d’exemple, il a indiqué qu’une vérification typique pouvait mener un vérificateur à accéder aux renseignements d’impôt des actionnaires d’un contribuable, d’une société que le contribuable exploite, d’une société ayant des liens d’affaires avec le contribuable ou d’une tierce partie qui fait affaires avec le contribuable. Il a ajouté que, bien qu’un vérificateur devrait être en mesure de justifier chacun de ses accès, cette tâche peut s’avérer difficile si plusieurs années se sont écoulées entre les accès et la demande de justification de ceux-ci. Depuis 2009, les chefs d’équipes et gestionnaires doivent vérifier, mensuellement, les accès de leurs vérificateurs afin d’éviter ce genre de difficulté. Cette politique n’était cependant pas en place au moment pertinent.

89        M. Oliverio a indiqué qu’il n’avait jamais rencontré ou discuté avec M. Joseph et qu’il n’avait pas révisé le rapport de ce dernier.

90        Lorsqu’il a été questionné au sujet des feuilles de travail préparées par le fonctionnaire relativement aux deux postes de dépenses qu’il avait vérifiés lors de sa vérification de la société X, M. Oliverio a convenu que celui-ci aurait pu fournir des feuilles de travail plus détaillées et qu’il aurait pu pousser sa vérification quant à la nature de ces dépenses. Il m’a toutefois rappelé, comme l’avait déjà fait M. Cossette, qu’il s’agissait de sommes plutôt marginales.

91        En avril 2008, M. Léveillé lui a demandé de réviser 73 accès effectués par le fonctionnaire afin de déterminer s’ils étaient reliés à la charge de travail de ce dernier. Selon M. Oliverio, à la suite d’un examen des contribuables et des actionnaires de ces contribuables qui avaient déjà fait l’objet d’une vérification par le fonctionnaire, il a conclu que 69 des 73 comptes consultés par le fonctionnaire ne semblaient pas être reliés à sa charge de travail. Selon lui, il s’agissait là d’une recherche trop simple qui nécessitait certains suivis. Toutefois, je note que ni les notes d’entrevues de M. Oliverio (pièce E-57) ni les résultats de sa recherche (pièce E-55) ne font mention d’une telle nécessité ou du type de suivi auquel il faisait référence.

92        En contre-interrogatoire, M. Oliverio a confirmé ce qu’il avait relaté à M. Léveillé en avril 2008, c’est-à-dire qu’il était inapproprié qu’un vérificateur de l’Agence chargé de vérifier un contribuable fasse affaires avec ce même contribuable durant la vérification de ce dernier et qu’il serait tout aussi inapproprié que le vérificateur fasse affaires avec le contribuable alors que les dossiers de ce dernier se trouvent dans son bureau ou son classeur. Il a également admis que, bien qu’il était probablement inapproprié que le fonctionnaire accepte une invitation de l’actionnaire principal de la société X à le joindre dans une loge privée du Centre Bell lors d’un match des Canadiens de Montréal, aux frais de ladite société, d’autres employés du BSF de Montréal agissaient de la sorte à l’époque pertinente. Des photos de l’évènement en question (pièce E-51), datant de décembre 2005, dépeignent une atmosphère de fête où on retrouve les actionnaires de la société X et sept employés du BSF de Montréal, incluant le fonctionnaire, M. Oliverio et M. Fratarcangelli.

93        M. Oliverio s’est également dit surpris d’apprendre que le fonctionnaire avait accédé, à plusieurs reprises, aux comptes de la société X et à celui de son actionnaire principal après avoir complété la vérification de ce contribuable. Selon lui, il s’agissait certainement d’un comportement hors de l’ordinaire.

94        M. Oliverio s’est également dit surpris d’apprendre que le fonctionnaire n’avait vérifié que deux postes de dépenses de la société X lors de sa vérification, compte tenu de l’historique de ce contribuable. Selon lui, il aurait été d’usage de vérifier les postes de dépenses qui avaient fait l’objet de certains redressements lors de la vérification antérieure des années 1998 et 1999, plus particulièrement les postes de dépenses de sous-traitance et de bureaux. Il a également mentionné que la vérification de la société X effectuée par le fonctionnaire ne semblait pas justifier 139 heures de travail.

95        Finalement, M. Oliverio a confirmé qu’un vérificateur devrait toujours laisser une trace des tierces parties qu’il a vérifiées dans le cadre d’une vérification, ce qui pourrait ultimement expliquer certains accès potentiellement douteux. Il a ajouté que les vérificateurs du BSF de Montréal n’adhéraient pas tous à cette pratique à l’époque pertinente.

3. M. Fratarcangelli

96        M. Fratarcangelli a travaillé à l’Agence de 1976 à juin 2008. À l’époque pertinente, il occupait un poste de chef d’équipe dans le Section de la vérification des PME. Il a indiqué avoir déjà été le chef d’équipe du fonctionnaire, sans pour autant préciser à quel moment ou pour combien de temps.

97        Le processus de distribution de dossiers au BSF de Montréal décrit par M. Fratarcangelli différait considérablement de ce qu’ont décrit MM. Cossette et Oliverio durant leurs témoignages. Bien que, selon la procédure officielle de l’Agence, un chef d’équipe devait s’adresser à la Section de la charge de travail afin d’attribuer des dossiers aux vérificateurs de son équipe, M. Fratarcangelli n’adhérait pas toujours à cette procédure. Il avait sa propre méthode, c’est-à-dire qu’il accédait lui-même au system ARGO de l’Agence, il identifiait des dossiers potentiellement vérifiables, il imprimait une liste sommaire de certains dossiers potentiels et il attribuait lui-même des dossiers aux vérificateurs de son équipe. En fait, c’est ainsi qu’il a lui-même attribué le dossier de la société X au fonctionnaire. M. Fratarcangelli a laissé entendre qu’il avait à quelques occasions demandé au fonctionnaire de l’aider à identifier des dossiers pouvant faire l’objet d’une vérification fiscale, ce qui nécessitait, selon lui, certains accès aux dossiers de contribuables et de leurs actionnaires. Il n’a cependant pas précisé à quel moment, à quelle fréquence ou combien de fois il a fait de telles demandes au fonctionnaire.

98        M. Fratarcangelli a indiqué qu’il était satisfait de la vérification de la société X effectuée par le fonctionnaire pour les années 2002 et 2003. Selon lui, les montants minimes qui apparaissaient dans les feuilles de travail du fonctionnaire ne nécessitaient pas de questionnement additionnel de sa part.

99        En ce qui concerne les comptoirs de cuisine, M. Fratarcangelli a confirmé que le fonctionnaire lui avait mentionné, de façon informelle, qu’il désirait faire affaires avec un contribuable qu’il avait récemment vérifié. Le fonctionnaire ne lui a pas fourni le nom du contribuable et M. Fratarcangelli ne le lui a pas demandé. Ce dernier a indiqué avoir conseillé au fonctionnaire d’éviter de faire affaires avec un contribuable qu’il venait de vérifier, mais que s’il était impossible d’obtenir de tels comptoirs d’une autre source, il ne voyait pas de problème à procéder avec la transaction si la vérification était complétée et si le fonctionnaire s’assurait de payer la valeur marchande desdits comptoirs.

100        Questionné sur le bien-fondé de cette approche, M. Fratarcangelli a reconnu qu’il aurait été préférable que le fonctionnaire lui fournisse le nom du contribuable impliqué dans la transaction afin qu’ils puissent tous deux s’assurer que les dossiers de ce contribuable ne soient pas attribués au fonctionnaire dans le futur, que ce soit pour une vérification subséquente ou pour un suivi quelconque.

101        M. Fratarcangelli a indiqué que M. Léveillé ne l’avait pas questionné au sujet des comptoirs de cuisine et que M. Joseph ne l’avait pas consulté au sujet de la révision de la vérification du fonctionnaire de la société X.

102        M. Fratarcangelli a confirmé sa présence dans la loge du Centre Bell, en décembre 2005. Il a toutefois souligné que le fonctionnaire ne lui avait pas dit à ce moment-là que le contribuable qui acquittait les frais associés à cette soirée était également celui qui avait récemment livré et installé les comptoirs de cuisine chez lui. En ce qui concerne le caractère approprié ou non d’avoir lui-même accepté l’invitation et bénéficié d’une soirée de hockey au Centre Bell aux frais de la société X, M. Fratarcangelli ne voyait pas là de quoi en faire un plat.

103        Questionné sur les accès par le fonctionnaire aux renseignements d’impôt de la société X et de ses actionnaires après la fermeture du dossier de vérification, M. Fratarcangelli a admis que, même s’il arrive que certains suivis doivent être faits après une vérification, rien ne semblait justifier de tels suivis dans le cas en l’espèce et encore moins la fréquence de ces accès.

104        Questionné sur le fait que le fonctionnaire avait conservé les dossiers de la société X dans son classeur jusqu’à deux ans après avoir terminé la vérification de ce contribuable, M. Fratarcangelli a confirmé que les procédures de l’Agence prévoyaient que les dossiers physiques devaient être retournés à la Section de la charge de travail une fois la vérification terminée, mais que les vérificateurs n’adhéraient pas tous à ces procédures. Encore une fois, il n’a fourni aucune précision quant à cette affirmation plutôt vague.

4. M. Ataya

105        M. Ataya est propriétaire de deux dépanneurs situés à Montréal, dont un est fréquenté quotidiennement par le fonctionnaire depuis 2003. Selon M. Ataya, le fonctionnaire achète quotidiennement différents types de billets de loterie d’une valeur totale allant de 20 $ à 30 $. Le fonctionnaire gagne de l’argent 2 à 3 fois par mois, à raison de montants variant entre 75 $ et 500 $, à l’exception d’une occasion où il a gagné 105 000 $.

106        M. Ataya a précisé que les lots de moins de 600 $ peuvent être payés directement par ses dépanneurs, mais que toute somme excédant ce montant doit être réclamée à l’un des bureaux de Loto-Québec.

5. Mme Pelletier

107        Mme Pelletier est retraitée de la fonction publique depuis janvier 2013. Avant de prendre sa retraite, elle occupait, depuis 20 ans, un poste d’analyste de soutien technique, un poste d’entrée classifié CS-01 (groupe Systèmes d’ordinateurs).

108        Dans le cadre de ses fonctions, Mme Pelletier devait procéder à la mise à jour et au remplacement des ordinateurs des employés de l’Agence, incluant les ordinateurs portables. Les remplacements avaient lieu, selon elle, tous les quatre ans. Il convient de noter qu’elle n’a pas confirmé avoir personnellement procédé à la mise à jour ou au remplacement de l’ordinateur portable du fonctionnaire.

109        Mme Pelletier a affirmé que, avant 2001-2002, il était possible pour un employé de l’Agence de télécharger des logiciels sur son ordinateur personnel car les systèmes d’exploitation, incluant Windows 95, qui avait été installé en 1998, imposaient peu de restrictions. Depuis, chaque nouveau système d’exploitation impose de nombreuses restrictions. Il est donc pratiquement impossible pour un employé de télécharger lui-même un logiciel sur un ordinateur de l’Agence. Elle a précisé en contre-interrogatoire que le fait qu’il soit possible pour un employé de l’Agence de télécharger lui-même un logiciel avant 2001-2002 ne signifiait pas qu’il était autorisé à le faire. Elle a confirmé que, bien qu’un employé de l’Agence puisse faire une utilisation minimale de son ordinateur à des fins personnelles, les Lignes directrices de la politique sur le réseau électronique de l’Agence (pièce E-22) et la Politique sur la Surveillance de l’utilisation du réseau électronique de l’Agence (pièce E-21) interdisent le stockage ou le téléchargement d’images pornographiques ou de nudité, ainsi que des logiciels de génération de numéros de loterie.

110        En ce qui a trait au logiciel ImpôtRapide, Mme Pelletier a indiqué que, jusqu’en 2004, les employés de l’Agence étaient autorisés à utiliser et même télécharger eux-mêmes ce logiciel sur leur ordinateur. Par la suite, l’Agence a demandé aux employés de ne plus télécharger ce logiciel sur leurs ordinateurs de travail.

111        Mme Pelletier a expliqué que, lorsqu’elle procédait à un remplacement d’ordinateur portable, elle devait sauvegarder le contenu du disque dur (lecteur C) en le transférant temporairement sur le répertoire de l’employé (lecteur H) du réseau de l’Agence. Elle a précisé qu’elle ne vérifiait pas le contenu du disque dur d’un employé afin de déterminer ce qui était autorisé ou approprié et ce qui ne l’était pas. Toutefois, il lui arrivait à l’occasion de remarquer la présence de photos ou d’images sur les lecteurs C ou H des employés. Lorsqu’elle remarquait un nombre important de photos qui prenaient beaucoup d’espace sur le lecteur de l’employé, Mme Pelletier demandait à l’employé de les enlever et, dans les cas plus problématiques, elle le soulevait auprès de ses gestionnaires. À la question de savoir si les images retrouvées sur les lecteurs C et H du fonctionnaire occupaient beaucoup d’espace, elle a répondu que les images en question prenaient très peu d’espace, voire une quantité minime.

6. Le fonctionnaire

112        Le fonctionnaire a indiqué qu’il avait débuté sa carrière à l’Agence en décembre 1988. Il occupait alors un poste de vérificateur AU-01. Au moment de son licenciement, il occupait un poste de vérificateur AU-03. En 2002, alors qu’il occupait un poste AU-02, il a accepté de faire partie d’une équipe de formation. Bien qu’il continuait de travailler comme vérificateur dans une section de PME, il agissait également à titre de conseiller technique pour certains nouveaux employés du BSF de Montréal. Ces employés devaient normalement compléter entre 15 et 20 dossiers de vérification par années.

113        Le fonctionnaire a indiqué qu’il n’avait en aucun temps demandé de procéder à la vérification de la société X et qu’il ne connaissait ni cette entreprise ni ses actionnaires avant de procéder à ladite vérification en 2004.

114        Le fonctionnaire a décrit sa façon de procéder lors d’une vérification et a ajouté que cette dernière incluait habituellement des rencontres dans les locaux du contribuable ou de ses comptables. Il a également décrit les vérifications d’usage qu’il effectuait sur les lieux de l’entreprise faisant l’objet d’une vérification, indiquant que des feuilles de travail reflétaient les vérifications effectuées, ainsi que les redressements proposés. Un peu plus tard dans son témoignage, il a toutefois laissé entendre qu’il ne préparait aucune feuille de travail à moins qu’un changement ou un redressement ne soit proposé. En contre-interrogatoire, il a admis que, selon le Manuel de vérification de l’impôt sur le revenu de [l’Agence] (pièce E-36), les feuilles de travail devaient étayer les différents aspects et éléments vérifiés par le vérificateur, et ce, même si aucun redressement n’était requis, et qu’il devait démontrer que les différents secteurs de risque important avaient été vérifiés. Il a toutefois ajouté qu’il ne s’agissait pas d’une pratique que tous les vérificateurs du BSF de Montréal observaient ou que tous les chefs d’équipe préconisaient. Il est à noter que cette prétendue dérogation au manuel de vérification de l’Agence n’a aucunement été corroborée ni par la preuve testimoniale des autres témoins ni par la preuve documentaire.

115        Le fonctionnaire a confirmé que, une fois la vérification terminée, le vérificateur doit remettre à son chef d’équipe les dossiers physiques qui ont servi à la vérification, ainsi que son rapport de vérification, qui doit être approuvé par le chef d’équipe.

116        Selon le fonctionnaire, son rendement n’a jamais soulevé le moindre problème. Il a même souligné que, dans son évaluation du rendement pour la période de septembre 2004 à août 2005, il avait dépassé les attentes de son gestionnaire.

117        Le fonctionnaire a également confirmé avoir été en congé de maladie de décembre 2007 à mars 2009. Aucune preuve documentaire ou corroborative concernant ce congé n’a été déposée en preuve.

a. Utilisation de l’ordinateur fourni par l’Agence

118        L’Agence fournissait un ordinateur portable au fonctionnaire afin qu’il puisse l’utiliser tant à son poste de travail que sur la route ou à son domicile. Selon le fonctionnaire, le groupe Systèmes d’ordinateur de l’Agence procédait à des mises à jour et lui fournissait un nouveau portable tous les quatre ans. Entre 1995 et 2007, il a utilisé trois différents portables.

119        Le fonctionnaire a confirmé que l’utilisation de ces portables, incluant les accès aux différents programmes et moteurs de recherche de l’Agence, devait être reliée à ses fonctions. Questionné sur ce qui pouvait l’inciter à accéder aux différents renseignements d’impôt de contribuables, le fonctionnaire a indiqué qu’il était surtout appelé à procéder à de tels accès dans le cadre de ses vérifications, ce qui pouvait expliquer l’accès aux renseignements d’impôt d’une entreprise, de ses actionnaires, des conjoints des actionnaires, de sociétés liées à l’entreprise et de tiers faisant affaires avec l’entreprise. Il a ajouté qu’il procédait parfois à de tels accès lorsqu’il agissait à titre de conseiller technique ou lorsqu’il aidait son chef de travail, M. Fratarcangelli, à identifier des dossiers à risque et sujets à faire l’objet d’une vérification à partir du système ARGO. Le fonctionnaire n’a cependant pas précisé à quel moment, à quelle fréquence ou combien de fois il avait agi soit à titre de conseiller technique ou d’appui dans le cadre de l’identification de dossiers à risque. Cette portion de son témoignage est demeurée plutôt vague.

120        Le fonctionnaire a indiqué que, bien qu’on lui ait reproché d’avoir procédé à plusieurs accès non autorisés et que plusieurs listes de tels accès apparaissaient dans le rapport d’enquête de M. Léveillé (pièce E-7), ni celui-ci ni M. Chouinard ne lui ont donné la chance de réviser ou de commenter ces listes, notamment celle qui a été révisée par M. Oliverio. Le fonctionnaire n’a cependant pas nié avoir été questionné sur les accès effectués à ses renseignements personnels, et à ceux de sa conjointe, de ses locataires, de ses voisins et de la société X et de ses actionnaires après avoir terminé la vérification de ladite société. Au sujet de ces accès, le fonctionnaire a prétendu qu’il avait effectué ceux-ci, à l’exception de ceux de la société X et de ses actionnaires, par pur hasard alors qu’il testait une nouvelle méthode de recherche impliquant des codes postaux. Aucune précision concernant cette méthode de travail n’a été offerte par le fonctionnaire. En ce qui concerne les accès aux renseignements d’impôt de ses voisins, le fonctionnaire n’a pas nié avoir accédé à plusieurs écrans de l’Agence afin de déterminer les sources de revenus de ceux-ci, incluant les noms de leurs employeurs. En guise de justification, le fonctionnaire a indiqué avoir eu à l’époque des doutes concernant le mode de vie de ses voisins et la source de leurs revenus, sans toutefois fournir de précision quant au fondement de ces doutes, à part le fait qu’il les voyait rarement quitter leur domicile et qu’il était, de nature, indûment curieux de connaître les affaires des autres. J’ai noté que, lors de son entrevue avec M. Léveillé, le fonctionnaire a dit ne pas savoir pourquoi il avait accédé aux renseignements d’impôt de ses voisins. Le fonctionnaire a indiqué ne pas être familier avec un formulaire de l’Agence intitulé « Indice des dénonciateurs » et portant la désignation T133B. Ce formulaire est utilisé lorsqu’un contribuable désire rapporter un comportement ou des renseignements suspects concernant un autre contribuable à l’Agence. Selon la preuve présentée, rien ne semble empêcher un employé de l’Agence d’agir à titre de dénonciateur. Le fonctionnaire semblait toutefois familier avec le formulaire T133, un outil similaire visant une dénonciation par un employé de l’Agence. Le fonctionnaire a indiqué qu’il aurait rempli un formulaire T133 si le résultat de ses recherches personnelles à l’égard de ses voisins avait soulevé des soupçons légitimes.

121        Selon le fonctionnaire, une certaine utilisation personnelle de l’ordinateur portable était tolérée par l’Agence. Celui-ci a confirmé qu’il avait lui-même procédé à l’installation de logiciels de génération de numéros de loterie sans consulter les techniciens en informatique de l’Agence et qu’il avait utilisé quotidiennement ces logiciels à des fins personnelles jusqu’en 2002 ou 2003, époque à laquelle il a acheté son propre ordinateur personnel. Ces logiciels, en particulier celui intitulé Banco, généraient des séquences de numéros de loterie gagnantes. Selon une confirmation des gains du fonctionnaire entre 2002 et 2010 fournie par Loto-Québec, il aurait encaissé 294 451,15 $ durant cette période (pièce F-13). Ce chiffre ne tient pas compte des nombreux lots de moins de 600 $ qu’il a réclamés directement au dépanneur de M. Ataya durant la même période (pièce F-14).Le fonctionnaire a indiqué qu’il conservait à son domicile les lots payés en comptant par M. Ataya. Le fonctionnaire a précisé qu’on ne lui avait jamais reproché d’avoir installé de tels logiciels sur son portable lors des nombreuses mises à jour qu’avaient effectuées les techniciens en informatique de l’Agence durant les années précédant leur découverte.

b. Images pornographiques

122        Le fonctionnaire a témoigné que ces images s’étaient retrouvées sur son ordinateur portable, et éventuellement sur son lecteur H par l’entremise de mises à jour, à la suite d’une visite de son frère à son domicile en 2001 ou 2002. Son frère aurait alors inséré une disquette contenant les images en question dans le portable du fonctionnaire afin de les visionner ensemble. Selon le fonctionnaire, après les avoir visionnées, il a accidentellement appuyé sur la commande « sauvegarder » alors qu’il tentait simplement de retirer la disquette de son portable. C’est ce qui expliquerait, selon lui, la présence de ces images sur son portable. Il a ajouté qu’il s’agissait de la seule occasion où il avait visionné les images et qu’il n’avait jamais montré ou distribué ces images à qui que ce soit.

123        En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a été renvoyé à une lettre qu’il avait envoyée à la commissaire de l’Agence, le 26 février 2010, après son licenciement. Dans cette lettre, le fonctionnaire a mentionné ce qui suit : « [l]es images pornographiques qui se sont retrouvées dans mon ordinateur provenaient de courriels internes de l’agence. […] »

124        Le fonctionnaire a reconnu que la possession de telles images et l’installation de logiciels de génération de numéros de loterie sur un ordinateur de l’Agence n’étaient aucunement liées à son travail et que ces types d’usage ou d’utilisation étaient considérés comme illégaux et inacceptables selon plusieurs politiques internes de l’Agence. Il n’a pas nié que ces actions contrevenaient à diverses politiques de l’Agence.

c. Vérification de la société X

125        Le fonctionnaire a indiqué que M. Fratarcangelli lui avait demandé de procéder à la vérification des années 2002 et 2003 de la société X en août 2004. Comme il avait l’habitude de le faire, il a d’abord révisé les dossiers physiques de la société X et a ensuite procédé à certaines vérifications d’usage, incluant tous les chèques que la société avait émis ou endossés durant cette période. Il était conscient que cette entreprise avait fait l’objet d’une vérification antérieure pour les années 1998 et 1999 et il avait accès à ces dossiers. Par la suite, il a procédé à la vérification de certains postes de dépenses de l’entreprise et proposé quelques redressements, incluant des dépenses de golf totalisant 4 267 $, des dépenses de restaurants totalisant 6 935 $ et des dépenses de location de véhicule totalisant 1 800 $. Il a avoué ne pas avoir fourni des détails démontrant comment il avait vérifié chacune des dépenses apparaissant sur les états de compte Visa de la société X puisqu’il avait déjà refusé un pourcentage de ces dépenses et que les sommes réclamées étaient minimes et ne justifiaient pas une analyse plus poussée. Il a ajouté que le fait que ses feuilles de travail ne mentionnent que deux postes de dépenses ne signifiait pas qu’il n’avait pas vérifié d’autres postes de dépenses compte tenu de sa pratique de ne pas préparer de telles feuilles lorsque aucun redressement n’est requis. Cette prétendue pratique du BSF de Montréal va à l’encontre du manuel de vérification de l’Agence (pièce E-36) et, tel que l’indique le paragraphe 114, n’a pas été corroborée d’aucune façon.

126        Le fonctionnaire a indiqué qu’il avait remis son rapport de vérification ainsi que les dossiers physiques de la société X à M. Fratarcangelli et que ce dernier avait approuvé son rapport. Lorsque questionné sur le fait que ces dossiers se trouvaient toujours dans son classeur deux ans après la fin de la vérification, le fonctionnaire a indiqué qu’il avait demandé qu’on lui retourne les dossiers en question en juillet 2005 après que M. Fratarcangelli lui ait mentionné qu’il « aimerait voir l’année 2004 » de la société X. Le fonctionnaire n’a pas donné de détails quant à la signification de cette prétendue déclaration de M. Fratarcangelli (« voir l’année 2004 »). Encore une fois, il est à noter que ce fait n’a d’aucune façon été corroboré par M. Fratarcangelli lors de son témoignage.

127        Le fonctionnaire a également expliqué qu’il avait accédé aux renseignements d’impôt de la société X et de ses actionnaires à plus d’une reprise après avoir complété la vérification de ladite entreprise pour le même motif, c’est-à-dire parce que M. Fratarcangelli voulait « voir l’année 2004 » de ce contribuable. Le fonctionnaire a expliqué qu’il tentait simplement de déterminer si ce contribuable avait émis une déclaration de revenus pour l’année 2004. Le fonctionnaire a indiqué n’avoir reçu aucune instruction additionnelle de la part de M. Fratarcangelli concernant ce contribuable.

128        En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a été renvoyé aux notes de son entrevue du 25 janvier 2008 avec l’enquêteur Léveillé (pièce E-54), dans lesquelles il est indiqué qu’il n’avait aucune raison d’accéder aux renseignements d’impôt de la société X après avoir terminé la vérification, soit après février 2005, à l’exception des besoins liés à son évaluation du rendement. Le fonctionnaire a confirmé qu’il avait continué son entrevue avec M. Léveillé le 16 avril 2009 et qu’il avait eu l’opportunité de relire les notes d’entrevue et de proposer les modifications qui s’imposaient.

d. Comptoirs de cuisine

129        Le fonctionnaire a indiqué qu’il avait décidé de faire affaires avec la société X pour l’installation de comptoirs de cuisine à son domicile malgré le fait qu’il s’agissait d’un contribuable qu’il avait lui-même récemment vérifié car il éprouvait de la difficulté à agencer la couleur des comptoirs avec celle des planchers existants. La société X ne se spécialisait aucunement dans l’installation de comptoirs de cuisine et n’en faisait pas la vente. Par l’entremise de la société X, un fournisseur de comptoirs de cuisine a été localisé et une entente a été conclue entre le fonctionnaire et la société X pour l’installation desdits comptoirs. Les montants convenus sont détaillés dans un document déposé en preuve et font état de ce qui suit :

2 500,00 $ (achat des comptoirs chez le fournisseur)
600,00 $ (main-d’œuvre associée à l’installation des comptoirs)
500,00 $ (main-d’œuvre associée à l’installation d’un dosseret)
_______________________
total   3 600,00

130        Le fonctionnaire a indiqué qu’il avait payé la somme totale de 3 600 $ en argent comptant. Je note que le bon de commande du fournisseur des comptoirs de cuisine prévoit une somme de 2 500 $, plus les taxes. Cependant, le document détaillant l’entente ne fait aucune mention de ces taxes. De même, les montants relatifs à la main-d’œuvre ne mentionnent aucune taxe applicable.

131        Concernant le fait qu’il avait fait affaires avec un contribuable qu’il avait récemment vérifié, le fonctionnaire a dit qu’il avait auparavant consulté son chef d’équipe, M. Fratarcangelli, afin d’obtenir son point de vue et que ce dernier lui avait dit qu’il ne voyait pas de problème puisque la vérification était complétée et qu’il s’agissait d’un petit montant. Le fonctionnaire n’a pas fourni le nom du contribuable en question à M. Fratarcangelli et ne lui a pas mentionné qu’il détenait les dossiers physiques de ce contribuable dans son classeur et qu’il faisait des suivis concernant ce contribuable, incluant des accès aux renseignements d’impôt du contribuable et à ceux de ses actionnaires. Je note que, entre la fin de la vérification de la société X et l’installation des comptoirs de cuisine, le fonctionnaire a accédé aux renseignements d’impôt de la société X à 9 reprises et visionné 29 écrans.

132        Lorsqu’il a été questionné sur le paiement des comptoirs de cuisine et la source de l’argent comptant utilisé, le fonctionnaire a affirmé qu’il avait fait un premier paiement de 1 000 $ en argent comptant lors de l’installation des comptoirs le 5 octobre 2005, qu’il avait fait un deuxième paiement de 1 000 $ en novembre ou début décembre 2005 dans les locaux de la société X, et qu’il avait fait un troisième et dernier paiement de 1 600 $ en argent comptant vers la fin décembre 2005 dans les locaux de la société X. Il a ajouté que le montant des deux premiers paiements provenait de ses gains de loterie et que le troisième paiement provenait de l’argent comptant que ses enfants avaient reçu en guise de cadeaux de Noël, qui était conservé dans son domicile. Il a également indiqué qu’il n’avait jamais demandé ni reçu une ou des preuves de paiements de la société X. Je note que, lors de son entrevue avec M. Léveillé, le fonctionnaire ne se souvenait pas précisément de la source de l’argent utilisé pour payer les comptoirs de cuisine.

133        En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a encore une fois été renvoyé à la lettre qu’il avait envoyée à la commissaire de l’Agence le 26 février 2010, soit quatre mois après son licenciement. Dans cette lettre, le fonctionnaire a indiqué ce qui suit : « […] J’ai fait l’achat et j’ai payé comptant en plusieurs versements de 500 à 800 dollars chacun. » Je constate que des versements de 500 $ auraient nécessité pas moins de sept différents paiements et que des versements de 800 $ en auraient nécessité pas moins de cinq.

e. Soirée au Centre Bell

134        Le fonctionnaire a indiqué qu’un collègue de travail lui avait demandé s’il voulait assister à une partie de hockey des Canadiens de Montréal, en décembre 2005, dans une loge du Centre Bell, en compagnie d’autres collègues de travail. Lors de la vérification de la société X, le fonctionnaire a appris que ce collègue de travail était le cousin de l’actionnaire principal de cette entreprise. Le fonctionnaire a répondu qu’il assisterait à la partie. Il ne s’est pas posé de question sur les frais associés à cet évènement. À son arrivée dans la loge, le fonctionnaire s’est dit surpris de voir l’actionnaire principal de la société X. Il le connaissait puisqu’il avait récemment vérifié son entreprise et qu’il venait de faire affaires avec lui pour l’achat et l’installation de ses comptoirs de cuisine. Nonobstant sa surprise, le fonctionnaire est demeuré dans la loge jusqu’à la fin de la partie. Les coûts associés à cette loge, incluant la nourriture servie durant la soirée, ont été défrayés par l’actionnaire principal de la société X.

135        À la question de savoir s’il se serait présenté dans la loge s’il avait su que l’actionnaire principal de la société X y serait et que ce dernier défraierait les coûts de cette soirée, le fonctionnaire a répondu : « peut-être pas ».

f. Acte de vandalisme

136        Le fonctionnaire n’a pas nié avoir causé des dommages au véhicule d’un gestionnaire de l’Agence, dans un stationnement de l’Agence. Il a indiqué qu’il ne savait pas que le véhicule appartenait au gestionnaire en question et qu’il avait toujours regretté ce geste. Dans sa lettre du 26 février 2010, adressée à la commissaire de l’Agence, le fonctionnaire a mentionné qu’il avait payé les dommages causés au véhicule en question et il a laissé entendre que des problèmes de santé mentale avaient contribué à son geste, qu’il a qualifié d’impulsif. Je constate toutefois que le fonctionnaire n’a pas soulevé de tels problèmes lors de son témoignage et qu’aucune preuve médicale n’a été déposée au soutien de cette allégation à l’audience.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’Agence

1. Suspension

137        L’Agence a soutenu que la compétence des arbitres de grief ainsi que les questions pouvant être renvoyées à l’arbitrage sont limitées et prescrites par l’article 209 de la LRTFP. Cet article se lit comme suit :

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

138        L’Agence a maintenu que, bien que la suspension sans solde puisse avoir un effet préjudiciable sur le fonctionnaire, celle-ci ne visait pas à corriger une mauvaise conduite en le punissant d’une certaine façon et ne peut donc pas être considérée comme disciplinaire. Il s’agissait plutôt, selon l’Agence, d’une mesure administrative qui visait à retirer le fonctionnaire du lieu du travail dans le but d’enquêter sur des allégations sérieuses le concernant et de ne pas compromettre les informations et les biens des contribuables ou mettre en péril la confiance du public vis-à-vis l’Agence.

139        L’Agence a fait valoir que les préoccupations de M. Chouinard étaient légitimes et justifiaient la suspension sans solde du fonctionnaire en attendant l’issue de l’enquête sur les allégations visant ce dernier et jusqu’à ce que celui-ci ait l’opportunité de s’expliquer. La durée de la suspension n’était pas déraisonnable, selon l’Agence, si l’on tient compte de l’ampleur et de la complexité de l’enquête de M. Léveillé, de la disponibilité des parties à se rencontrer afin de revoir les différents éléments soulevés par l’enquête et de la révision de M. Joseph, ainsi que du temps requis pour déterminer si une mesure disciplinaire s’imposait dans les circonstances et laquelle.

140        Selon l’Agence, le fonctionnaire ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que la décision de M. Chouinard de le suspendre constituait une mesure disciplinaire déguisée dans le but de sévir contre un manquement disciplinaire ou une inconduite.

141        À l’appui de ces arguments, l’Agence m’a renvoyé, entre autres, à Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CRTFP 63, et Synowski c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 6.

2. Licenciement

142        L’Agence a soutenu que chacun des trois premiers motifs invoqués dans sa lettre de licenciement, soit (1) l’infraction au Code de déontologie et de conduite de l’Agence (pièce E-13) et aux lignes directrices sur les conflits d’intérêts de l’Agence (comptoirs de cuisine), (2) la vérification nonchalante de la société X, et (3) les accès non autorisés, justifiait qu’une telle mesure disciplinaire soit prise.

a. Conflit d’intérêts (comptoirs de cuisine)

143        Selon l’Agence, la plupart des faits entourant cette question ne sont pas contestés par le fonctionnaire, notamment les faits suivants :

- Le fonctionnaire a fait affaires avec un contribuable qu’il avait vérifié quelques mois auparavant;

- Il s’est fait livrer et installer des comptoirs de cuisine en granite à son domicile par ce même contribuable le 5 octobre 2005;

- Alors qu’il faisait affaires avec la société X et que celle-ci procédait à l’installation des comptoirs de cuisine, le fonctionnaire était physiquement en possession de tous les dossiers fiscaux de ladite entreprise;

- Il a accédé, à partir des systèmes informatisés de l’Agence, aux renseignements d’impôt de la société X et de ses actionnaires avant, pendant et après l’installation des comptoirs de cuisine, et ce, même si la vérification de cette entreprise avait été complétée en février 2005;

- Il n’a fourni aucune preuve documentaire ou corroborative attestant le paiement des comptoirs de cuisine.

144        L’Agence a soutenu que le seul fait pertinent qui est contesté par le fonctionnaire concerne le prétendu paiement de ces comptoirs de cuisine. Selon l’Agence, aucune preuve documentaire de paiement et aucun témoignage corroborant un tel paiement n’ont été présentés par le fonctionnaire. La seule explication présentée par le fonctionnaire est son allégation voulant qu’il ait effectué ce paiement en argent comptant. L’Agence m’a demandé de n’accorder aucune crédibilité au témoignage du fonctionnaire sur ce point, principalement parce que ce témoignage était truffé d’incohérences importantes. L’Agence m’a renvoyé aux différentes versions fournies par le fonctionnaire concernant le nombre de versements et le montant de chaque versement.

145        La seule conclusion plausible, selon l’Agence, est que le fonctionnaire n’a pas payé pour les comptoirs de cuisine livrés et installés par la société X, soit une entreprise qu’il venait récemment de vérifier et dont les dossiers se trouvaient dans son classeur de travail au moment de la livraison. Elle a ajouté que le fonctionnaire avait continué d’accéder aux renseignements d’impôt de la société X, pendant et après la livraison des comptoirs.

146        L’Agence a fait valoir que ces actions contrevenaient tant au Code de déontologie et de conduite de l’Agence (pièce E-13) qu’à sa Politique en matière de cadeaux, de marques d’hospitalité et d’autres avantages (pièce E-14), et qu’il s’agit d’une inconduite grave. Elle a soutenu que le premier motif de licenciement avait été démontré et justifiait le licenciement du fonctionnaire.

b. Vérification nonchalante

147        L’Agence a soutenu que les faits relevés lors de la vérification précédente de la société X, c’est-à-dire celle des années 1998 et 1999, militaient en faveur d’une vérification plutôt rigide de la part du fonctionnaire. Au lieu, ce dernier se serait contenté, selon l’Agence, de procéder à une vérification insouciante.

148        L’Agence m’a rappelé les témoignages de MM. Cossette et Oliverio, où ils ont admis qu’ils auraient eux-mêmes été plus vigilants compte tenu de l’historique de ce contribuable et qu’ils auraient vérifié des postes de dépenses additionnels, incluant les dépenses de sous-traitance et les achats de matériaux.

149        L’Agence a maintenu que l’explication du fonctionnaire selon laquelle il avait vérifié d’autres postes de dépenses sans toutefois documenter les étapes de ses vérifications dans une feuille de travail ne peut être retenue puisque celle-ci va à l’encontre du manuel de vérification de l’Agence, qui prévoit le contraire.

150        Selon l’Agence, les nombreuses défaillances soulevées dans le rapport de M. Joseph permettent de conclure que la vérification du fonctionnaire était nonchalante et que ce dernier avait volontairement fermé les yeux lors de ladite vérification.

151        L’Agence a argué que ce deuxième motif de licenciement avait été démontré, qu’il représentait une inconduite grave et qu’il justifiait le licenciement du fonctionnaire.

c. Accès non autorisés

152        Concernant les accès aux renseignements d’impôt de nombreux contribuables canadiens, l’Agence a fait valoir que ces derniers n’étaient pas autorisés et que les explications fournies par le fonctionnaire à cet égard étaient invraisemblables et non plausibles. Elle a ajouté que le fait que le fonctionnaire ait recours régulièrement et de façon répétée à l’option T, une option utilisée lorsque le vérificateur ne possède pas le NAS ou le numéro d’entreprise du contribuable, était révélateur de la véritable motivation du fonctionnaire quant à ces accès. Selon l’Agence, il faut se rappeler les commentaires du fonctionnaire à l’égard du fait qu’il se considérait, de nature, indûment curieux de connaître les affaires des autres.

153        L’Agence a maintenu qu’elle a le devoir de protéger les renseignements d’impôt des contribuables canadiens. Elle a ajouté qu’elle ne peut tolérer que ses vérificateurs accèdent, dès qu’un doute survient ou pour satisfaire leur curiosité, aux renseignements d’impôt de contribuables qui ne sont pas visés par leur charge de travail. Elle a également maintenu qu’elle ne peut tolérer que ses employés accèdent à leurs renseignements personnels ou à ceux des membres de leur famille ou de leurs connaissances. L’Agence m’a rappelé qu’une de ses politiques à cet égard prévoit explicitement la possibilité de licencier un employé qui n’observe pas ces règles.

154        Selon l’Agence, il n’est pas nécessaire de démontrer que tous les accès reprochés au fonctionnaire étaient non autorisés, ceux reliés à sa conjointe, à ses locataires et à ses voisins étant amplement suffisant pour justifier le licenciement.

d. Utilisation inappropriée de l’équipement et du réseau de l’Agence

155        L’Agence m’a rappelé que le fonctionnaire n’avait pas nié avoir installé des logiciels non autorisés, incluant ceux générant des numéros de loterie, et avoir sauvegardé des images pornographiques sur son ordinateur portable. De plus, il n’a pas nié avoir utilisé ces logiciels non autorisés ou avoir visionné les images pornographiques en question. Finalement, selon l’Agence, le fonctionnaire n’a pas nié avoir enfreint plusieurs politiques de l’Agence.

156        Selon l’Agence, le fonctionnaire n’a assumé aucune responsabilité envers ces actions et reproche à l’Agence de ne pas avoir remarqué la présence de ces logiciels et images à un moment plus opportun, notamment lors des nombreuses mises à jour de son portable.

157        Concernant les images pornographiques, l’Agence a fait valoir que l’explication fournie par le fonctionnaire quant à la façon dont les images ont été sauvegardées n’était tout simplement pas crédible, et ce, pour deux raisons : premièrement, le fonctionnaire a fourni deux versions complètement différentes sur ce point; deuxièmement, sa prétention qu’il aurait activé accidentellement la commande « sauvegarder » est invraisemblable compte tenu du fait que plus d’une étape est requise pour sauvegarder un document ou une image sur un ordinateur personnel.

158        L’Agence a maintenu que les gestes et actions du fonctionnaire étaient une violation du Code de déontologie et de conduite de l’Agence (pièce E-13), de la Politique sur la Surveillance de l’utilisation du réseau électronique de l’Agence (pièce E-21), des Lignes directrices de la politique sur le réseau électronique de l’Agence (pièce E-22) et du Manuel de [l’Agence] traitant de l’accès à internet et à l’intranet de l’Agence (pièce E-31).

159        L’Agence a argué que, bien que ces violations, prises individuellement, ne justifient pas un licenciement, l’effet cumulatif de celles-ci et des autres motifs le justifie.

e. Acte de vandalisme

160        L’Agence m’a rappelé que le fonctionnaire n’avait pas, durant son témoignage, nié les faits entourant cet évènement. Selon l’Agence, il a clairement été établi que le fonctionnaire a vandalisé la voiture d’un gestionnaire dans un stationnement de l’Agence, le 15 novembre 2007.

161        L’Agence a fait valoir qu’il était donc parfaitement raisonnable de considérer la conduite du fonctionnaire en question comme étant un facteur aggravant qui venait renforcer la justification de son licenciement.

3. Conclusion

162        L’Agence a fait valoir que les actes du fonctionnaire étaient délibérés et planifiés, que ce dernier avait fourni des explications inconsistantes et incohérentes, qu’il savait ce qui constituait un conflit d’intérêts compte tenu de ses nombreuses années de service, qu’il n’avait pas reconnu ses erreurs et que son poste exigeait un haut niveau de confiance. Par conséquent, la mesure la plus sévère, c’est-à-dire le licenciement, pouvait être imposée. Au soutien de cette proposition, l’Agence m’a renvoyé, entre autres, à Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43, Pagé c. Administrateur général (Service Canada), 2009 CRTFP 26, Narayan c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 40, et Oliver c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 43.

B. Pour le fonctionnaire

1. Suspension

163        Le fonctionnaire a soutenu que l’Agence avait manqué à son devoir d’équité procédurale en omettant de l’informer des réels motifs de sa suspension au moment où elle lui a été annoncée, soit le 7 avril 2009.

164        Selon le fonctionnaire, l’Agence a procédé à la suspension sans avoir en main le moindre rapport écrit et ne pouvait donc pas évaluer adéquatement la nécessité de le suspendre sans salaire.

165        Au soutien des positions avancées dans ses arguments concernant la suspension sans solde, le fonctionnaire m’a renvoyé à Baptiste c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 127.

2. Le licenciement

a. Acte de vandalisme

166        Le fonctionnaire m’a rappelé que, bien que la lettre de licenciement du 10 novembre 2009 faisait clairement état que l’acte de vandalisme constituait un motif ayant mené à son licenciement, M. Chouinard a précisé lors de son témoignage qu’il avait retenu ce motif uniquement comme un facteur aggravant.

b. Utilisation inappropriée du réseau électronique de l’Agence

167        Concernant les images pornographiques, le fonctionnaire m’a rappelé que, bien que l’Agence ait, au début de l’audience, retiré la question de la « distribution » de ces images, ce motif a toutefois été pris en compte dans la décision de le licencier.

168        Selon le fonctionnaire, ces images ont été téléchargées par erreur et n’ont été visionnées qu’une seule fois.

169        Concernant les logiciels non autorisés, le fonctionnaire a fait valoir que ceux-ci utilisaient très peu d’espace sur le réseau de l’Agence, qu’il n’avait jamais reçu d’avertissement relativement à leur utilisation et qu’il avait cessé de les utiliser après 2002-2003, alors qu’il s’était procuré son propre ordinateur.

c. Accès non autorisés aux systèmes de l’Agence

170        Concernant les accès à son dossier personnel et à celui de son épouse et de ses locataires, le fonctionnaire m’a rappelé qu’il avait seulement eu recours à l’option T, une option qui ne révèle que les noms, adresses et NAS des contribuables. Selon le fonctionnaire, la conclusion selon laquelle il aurait accédé à ses informations personnelles et à celles de personnes lui étant liées est non fondée.

171        Concernant les accès aux renseignements de ses voisins, le fonctionnaire a soutenu que le doute qu’il avait quant au mode de vie de ceux-ci justifiait ces accès, qu’il s’agissait d’un réflexe partagé par beaucoup de vérificateurs d’expérience de l’Agence, qu’il ne s’agissait que d’une vérification très sommaire des revenus de ceux-ci et qu’il avait agi ainsi uniquement dans le but de faire respecter la Loi de l’impôt sur le revenu.

172        Concernant les accès réputés ne pas être liés à sa charge de travail, le fonctionnaire a maintenu que la preuve avait établi que ces accès pouvaient être justifiés par l’une des trois explications suivantes :

a. dans le cadre de ses vérifications, celui-ci accédait non seulement aux dossiers principaux et secondaires, mais également aux informations de tiers et de personnes liées;

b. son utilisation du système ARGO, alors qu’il aidait M. Fratarcangelli à identifier des dossiers à risque, l’amenait à accéder aux dossiers de plusieurs contribuables;

c. son travail de formateur et de conseiller technique l’amenait également à accéder aux dossiers de contribuables ne faisant pas partie de sa charge de travail.

173        Le fonctionnaire a ajouté que l’Agence s’était contentée de comparer les accès aux dossiers principaux et secondaires qui lui avaient été assignés, sans le questionner sur ces accès ou lui donner la chance de les expliquer.

d. Vérification nonchalante

174        Le fonctionnaire a soutenu que les méthodes de travail qu’il avait utilisées lors de sa vérification de la société X ne différaient pas de celles qu’il avait l’habitude d’utiliser dans ses autres dossiers. Il a ajouté qu’il n’avait pas l’habitude de préparer des feuilles de travail pour des postes de dépenses qui ne nécessitaient pas de redressement, qu’il était parvenu à faire accepter son projet de cotisation par le contribuable et son représentant, que la vérification antérieure de ce contribuable avait nécessité près du double du temps qu’on lui avait accordé pour compléter sa vérification, et que son rapport de vérification avait été revu et approuvé par deux de ses gestionnaires.

175        Il a ajouté que la révision de M. Joseph n’était ni utile ni crédible et que ce dernier avait omis de consulter les gestionnaires du BSF de Montréal et de se renseigner sur les pratiques et directives internes en vigueur à ce bureau.

e. Conflit d’intérêts (comptoirs de cuisine)

176        Le fonctionnaire a fait valoir que la preuve avait démontré qu’il avait obtenu l’autorisation de son chef d’équipe avant de faire affaires avec la société X et qu’il avait payé pour l’achat des comptoirs de cuisine en argent comptant. Selon lui, les documents saisis dans les bureaux de la société X en lien avec la livraison et l’installation de ces comptoirs (pièce E-8) et la facture des tuiles de dosseret payée en argent comptant (pièce F-1), ainsi que le fait qu’il disposait de gains de loterie substantiels en argent comptant, soutiennent sans équivoque ses explications quant au paiement des comptoirs. L’Agence ne pouvait donc pas conclure qu’il avait enfreint ses politiques ou son Code de déontologie et de conduite (pièce E-13) compte tenu de la preuve fournie.

3. Conclusion

177        Le fonctionnaire a soutenu que le fait que plusieurs des éléments à l’appui des motifs allégués au moment du licenciement ont été retirés au début de l’audience sans qu’aucune preuve ne soit faite quant à leur importance respective dans la prise de décision de l’Agence justifie en soi l’annulation du licenciement.

178        Il a ajouté que l’Agence ne s’était pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait relativement aux éléments ou motifs qui ont été maintenus. Il a également dit que l’Agence s’était fondée sur des rapports bâclés, tendancieux et fait de manière nonchalante. Selon lui, l’Agence n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait commis les gestes qu’on lui reprochait ou que ceux-ci justifiaient l’imposition d’une mesure corrective. En fait, le fonctionnaire n’a pas suggéré une mesure corrective moindre que celle imposée par l’Agence, laissant sous-entendre qu’il n’avait fait preuve d’aucun écart de conduite et qu’aucune mesure disciplinaire ne s’imposait dans les circonstances.

179        Au soutien des positions avancées dans ses arguments concernant le licenciement, le fonctionnaire m’a renvoyé à F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, Kulczycki c. Aéroports de Montréal, dossier de la C.R.T.F.P. 166-02-25766 (19950816), Bellavance c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), dossiers de la C.R.T.F.P. 166-02-28380 et 218381 (19990205), Emsley c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossiers de la C.R.T.F.P. 166-02-19905 et 20998 (19910726), et Flynn c. Conseil du Trésor (Environnement Canada), dossier de la C.R.T.F.P. 166-02-23369 (19930209).

IV. Motifs

A. Licenciement

180        Dans cette affaire, l’Agence a mis fin à l’emploi du fonctionnaire pour essentiellement cinq raisons :

a. Parce qu’il s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts en acceptant un cadeau, dans ce cas des comptoirs de cuisine en granite d’une valeur de 3 600 $, de la part d’un contribuable qu’il venait de vérifier;

b. Parce qu’il a procédé à une vérification nonchalante;

c. Parce qu’il a effectué des accès non autorisés aux systèmes de l’Agence;

d. Parce qu’il a utilisé l’équipement et le réseau électroniques de l’Agence de façon inappropriée;

e. Parce qu’il a commis un acte de vandalisme envers un gestionnaire de l’Agence.

181        Selon l’approche habituelle, je dois analyser ce cas de licenciement en déterminant premièrement s’il y a eu une inconduite donnant lieu à une mesure disciplinaire. Si la réponse à cette première question est affirmative, je dois ensuite déterminer si le licenciement était une mesure excessive dans les circonstances. Si la réponse à cette deuxième question est également affirmative, je dois finalement déterminer quelle autre mesure pourrait être prise à la place du licenciement.

182        Le fait que l’Agence ait retiré certains éléments qui se retrouvaient dans la lettre de licenciement du 10 novembre 2009, plus précisément la référence à des accès aux renseignements d’impôt d’individus manifestement liés au crime organisé dans le troisième motif et la référence à une distribution d’images pornographiques dans le quatrième motif, est selon moi sans conséquence dans les circonstances. Le fait que l’Agence ait cru bon retirer ces éléments, quelle qu’en soit la raison, et qu’elle ait choisi de procéder à l’audience en maintenant sa position sur la base des éléments et motifs restants ne constitue pas un vice de procédure invalidant la mesure disciplinaire. Comme je l’ai déjà indiqué ci-dessus, il incombait à l’Agence de s’acquitter du fardeau de la preuve en démontrant les faits justifiant le licenciement du fonctionnaire selon la prépondérance des probabilités, et ce, en présentant des preuves claires, cohérentes et convaincantes. À lui seul, un motif peut suffire pour justifier un licenciement et le fait que l’Agence n’ait pas été en mesure de prouver un ou plusieurs des éléments ou motifs invoqués pour procéder au licenciement du fonctionnaire n’est pas nécessairement fatal à sa position.

183        Je propose donc de reprendre chacun des motifs, tels qu’ils apparaissent dans la lettre de licenciement du 10 novembre 2009, afin de déterminer si la conduite du fonctionnaire donnait lieu à une mesure disciplinaire.

1. Conflit d’intérêts (comptoirs de cuisine)

184        À priori, je ne peux faire abstraction du fait que le fonctionnaire occupait un poste comportant un degré élevé de responsabilité et de confiance. À titre d’employeur responsable, l’Agence est non seulement en droit de s’attendre à un niveau très élevé d’intégrité et d’éthique de la part de ses vérificateurs AU-02 et AU-03, mais elle a le mandat et la responsabilité de le faire. C’est en partie pourquoi la Politique en matière de cadeaux, de marques d’hospitalité et d’autres avantages de l’Agence (pièce E-14) et son Code de déontologie et de conduite (pièce E-13) contiennent des dispositions qui traitent spécifiquement de cadeaux, de marques d’hospitalité et d’autres avantages, ainsi que de conflit d’intérêts potentiel ou apparent. Il va de soi qu’un cadeau personnel d’une valeur de plus de 50 $ de la part d’un contribuable est strictement interdit par ces politiques, à moins que l’acceptation d’un tel avantage ait immédiatement été signalée par écrit et approuvée par la haute direction de l’Agence. En l’absence de telles politiques, il serait difficile, voire impossible, de préserver l’intégrité de l’Agence.

185        Il est donc important de déterminer si la livraison et l’installation des comptoirs de cuisine au domicile personnel du fonctionnaire représentait un cadeau interdit par les politiques de l’Agence. Il n’est pas contesté que la valeur des biens en question était plus élevée que 50 $, la preuve ayant démontré que celle-ci était de 3 600 $. Peu importe qu’il ait été approprié ou pas de faire affaires avec la société X, la question en l’espèce est de savoir si le fonctionnaire a effectivement reçu un cadeau ou s’il a payé pour les comptoirs de cuisine. Le fonctionnaire a témoigné avoir obtenu de son gestionnaire, au préalable, l’autorisation de faire affaires avec la société X et qu’il avait payé la somme de 3 600 $ pour les comptoirs de cuisine. Une appréciation sérieuse de l’ensemble de la preuve n’appuie pas une telle conclusion. Selon moi, le témoignage du fonctionnaire au sujet du paiement des comptoirs de cuisine et de l’approbation de son gestionnaire est invraisemblable et tout simplement pas crédible.

186        Premièrement, le fonctionnaire, à titre de vérificateur expérimenté de l’Agence, était familier avec le genre de transaction dont il est question ici. Le fonctionnaire a eu des doutes quant au bien-fondé de faire affaires avec la société X, puisqu’il a cru bon soulever la question avec son gestionnaire. Il est donc difficile de concevoir qu’il ait payé, en plusieurs versements, pour les comptoirs en argent comptant, sans s’assurer d’obtenir de reçus ou de preuves de paiement. La preuve a clairement établi que le montant que le fonctionnaire prétend avoir payé, soit 3 600 $, provient d’une liste détaillant les sommes dues pour les matériaux et les frais de main-d’œuvre (pièce E-8), qui ne fait état d’aucun montant attribuable aux taxes applicables. Il est également difficile d’ignorer le fait que cette transaction ou les paiements du fonctionnaire n’ont pas été comptabilisés aux fins des registres de la société X. En fait, aucun document attestant un paiement du fonctionnaire pour ces comptoirs n’a été introduit en preuve.

187        Deuxièmement, le fonctionnaire a fourni plusieurs versions différentes. De nombreuses incohérences importantes ont été relevées en ce qui concerne la source de l’argent comptant et le nombre de versements. Selon le fonctionnaire, la preuve concernant ses gains de loterie confirme qu’il pouvait facilement régler cet achat en argent comptant. Toutefois, cette affirmation soulève plus de questions qu’elle n’offre d’explications. La preuve démontre que le fonctionnaire disposait, en raison de ses gains de loterie, de montants substantiels en argent comptant au moment pertinent (au-delà de 5 000 $ entre le 26 septembre 2005 et le 20 octobre 2005) (pièces F-13 et F-14). Par conséquent, pourquoi donc, tout dépendant de la version que j’accepte, régler un achat de 3 600 $ au moyen de cinq versements variant entre 500 $ et 800 $ ou de trois versements variant entre 1 000 $ et 1 600 $ ? La preuve a également démontré que le fonctionnaire avait encaissé des gains de loterie additionnels de 3 700 $ en décembre 2005 (pièces F-13 et F-14). Pourtant, il a prétendu avoir utilisé l’argent de Noël de ses enfants pour faire le troisième versement. Je note également que, si j’accepte une des versions du fonctionnaire, ce troisième versement aurait été effectué dans les locaux de la société X. Rien n’empêchait donc le fonctionnaire de retirer les fonds nécessaires de son compte bancaire en route vers les bureaux du contribuable. Le fonctionnaire n’a jamais allégué ou insinué qu’il n’avait pas la capacité financière de payer le dernier versement de 1 600 $ pour les comptoirs de cuisine et qu’il devait donc recourir à l’argent de ses enfants pour rembourser ses créanciers.

188        Troisièmement, le fonctionnaire ne m’a pas convaincu que ses actions ont été approuvées de façon claire et sans équivoque par son chef d’équipe. Il n’a pas divulgué le nom du contribuable en question; il n’a pas divulgué le fait qu’il possédait toujours les dossiers de ce contribuable et des actionnaires de ce dernier dans son classeur; il n’a pas divulgué à M. Fratarcangelli que la loge du Centre Bell avait été défrayée par le contribuable qui avait fourni et installé les comptoirs de cuisine (préférant vraisemblablement continuer de dissimuler l’identité de ce contribuable); il n’a pas établi qu’il était impossible de faire affaires avec une autre entreprise dans la région de Montréal; il n’a pas consulté M. Fratarcangelli avant d’accéder aux renseignements d’impôt de la société X et des actionnaires de ce dernier (24 accès) après la livraison des comptoirs pour s’assurer qu’il était toujours prudent de le faire compte tenu des circonstances particulières de cette transaction; il n’a pas remis une preuve de paiement à son chef d’équipe ou fourni une preuve tangible qu’il avait payé pour les comptoirs de cuisine. S’il est vrai que M. Fratarcangelli désirait que le fonctionnaire procède à certains suivis à l’égard de la société X à la suite de la vérification terminée en février 2005, ce qui n’a pas été clairement établi par la preuve, et étant donné que M. Fratarcangelli ne semblait pas s’opposer à l’achat des comptoirs de cuisine sur la base que le fonctionnaire allait payer la valeur marchande des comptoirs et qu’il avait complété sa vérification, il était essentiel que le fonctionnaire rappelle à celui-ci qu’on lui avait demandé de faire un suivi à l’égard de ce même contribuable et qu’il devrait reprendre les dossiers physiques du contribuable et continuer d’accéder aux renseignements d’impôt de ce dernier pour une période indéterminée. Dans ces circonstances, l’absence d’une telle divulgation vient, selon moi, remettre en question la nature du consentement express ou implicite de la part de M. Fratarcangelli et ne peut justifier ou valider la conduite du fonctionnaire. La tentative du fonctionnaire de me convaincre qu’il a sollicité et obtenu l'autorisation préalable de la direction avant de faire affaires avec la société X est selon moi non crédible et malhonnête.

189        Je note également que le fonctionnaire a accepté d’assister à une partie de hockey des Canadiens de Montréal, dans une loge du Centre Bell, au frais d’un contribuable dont il venait d’effectuer la vérification et dont les dossiers fiscaux se trouvaient toujours dans son classeur, et qu’il continuait d’accéder aux renseignements d’impôt de ce contribuable. Enfin, si j’accepte la dernière version du fonctionnaire concernant les modalités de paiement, il était encore redevable d’une somme à l’égard du contribuable au moment de cette soirée au Centre Bell.

190        Je suis d’avis que le témoignage du fonctionnaire au sujet du paiement des comptoirs de cuisine et de l’approbation de son gestionnaire n’est pas en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu'une personne pratique et éclairé reconnaîtrait immédiatement comme raisonnable dans les circonstances de cette affaire. Je conviens donc que la conclusion de l’Agence voulant que le fonctionnaire n’ait pas payé pour la livraison et l’installation des comptoirs de cuisine est fondée et qu’il s’agissait d’un écart de conduite grave qui contrevient aux politiques et au Code de conduite de l’Agence et qui justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire sévère.

2. Vérification nonchalante

191        L’Agence a le fardeau de démontrer qu’il y a eu une inconduite ou une violation quelconque qui justifiait d’imposer une mesure disciplinaire. Toutefois, lorsqu’un fonctionnaire présente une argumentation justifiant cette inconduite ou cette violation, par exemple le fait que les vérificateurs du BSF de Montréal ne mettaient pas en pratique les méthodes de travail prévues par le manuel de vérification de l’Agence et que les chefs d’équipes de ce BSF toléraient ce genre de dérogation, il appartient alors au fonctionnaire de s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe, ce qui n’a pas été fait dans ce cas. Aucune preuve crédible, documentaire ou testimoniale, corroborant une telle dérogation au manuel de vérification ne m’a été présentée.

192        Nonobstant ce fait, je ne peux ignorer le fait que M. Joseph n’avait pas l’habitude de revoir des vérifications effectuées par d’autres vérificateurs de l’Agence, que c’était la première fois qu’on lui demandait de procéder à une telle revue, qu’il n’a consulté ni le fonctionnaire ni aucun autre vérificateur ou chef d’équipe du BSF de Montréal durant sa revue, qu’il n’a pas lui-même consulté le dossier de vérification de la société X pour les années 1998 et 1999 ni consulté une ou plusieurs vérifications antérieures du fonctionnaire et que les feuilles de travail du fonctionnaire contenaient une note à l’effet que ce dernier avait examiné les états de compte Visa du contribuable afin de déterminer si les dépenses étaient permises ou si elles représentaient des dépenses personnelles. Il m’apparaît donc difficile de conclure, dans les circonstances, que la vérification du fonctionnaire de la société X pour 2002 et 2003 était nonchalante. Et même si j’en arrivais à cette conclusion, il serait raisonnable de présumer qu’il s’agissait d’une première vérification nonchalante en 22 années de service à l’Agence, puisque aucune preuve du contraire ne m’a été présentée par l’Agence. De plus, aucun lien n’a été établi entre l’acte supposément nonchalant et un bénéfice qu’aurait reçu en échange le fonctionnaire. Il m’apparait donc déraisonnable de considérer ce motif pour justifier le licenciement de ce dernier.

193        Sans nécessairement conclure que la vérification de la société X était nonchalante, il est difficile de qualifier celle-ci comme étant détaillée, précise ou rigoureuse. D’une part, il m’apparait difficile de réconcilier l’approche du fonctionnaire dans cette vérification et le fait qu’il a effectué 19 863 accès aux comptes de 6 128 différents contribuables lors de la vérification d’au plus 25 dossiers entre 2003 et 2008. D’autre part, une vérification nonchalante, qui ne s’explique pas par un motif malveillant, ne justifie pas selon moi le licenciement et ne devrait pas être retenue contre le fonctionnaire dans ces circonstances, surtout lorsque les méthodes de travail utilisées par le vérificateur sont les mêmes que d’habitude et que son rendement au travail a toujours été jugé adéquat. Si la preuve avait démontré que les méthodes de travail utilisées par le fonctionnaire différaient de celles utilisées par ses collègues ou dans le cadre de vérifications antérieures du fonctionnaire, j’aurais possiblement conclu autrement, mais ce n’est pas ce qui a été démontré en l’espèce. Dans les circonstances, il s’agissait d’une question de rendement, pas plus.

194        Je conclus donc que la vérification de la société X qualifiée de nonchalante par l’Agence ne constitue pas une inconduite donnant lieu à une mesure disciplinaire.

3. Accès non autorisés aux systèmes de l’Agence

195        À priori, j’éprouve certaines difficultés à accepter que des milliers d’accès par le fonctionnaire aux renseignements d’impôt de milliers de contribuables entre 2003 et 2008 peuvent être justifiés ou expliqués sur la base qu’il était parfois appelé à effectuer de tels accès lorsqu’il agissait à titre de conseiller technique ou lorsqu’il aidait occasionnellement M. Fratarcangelli à identifier des dossiers à risque dans le système ARGO. Le fait que le fonctionnaire n’ait pas précisé à quel moment, à quelle fréquence ou combien de fois il a ainsi agi contribue certainement à cette difficulté. Il est également difficile de concevoir qu’un vérificateur qui est mandaté de compléter un nombre restreint de vérifications par année ne ferait pas l’objet d’une autorisation spéciale lui permettant d’effectuer un nombre accrus d’accès aux systèmes de l’Agence dans le cadre de ces tâches additionnelles. Du moins, aucune preuve de ce genre ne m’a été présentée. De plus, je note que les deux évaluations du rendement déposées en preuve ne mentionnent pas spécifiquement ces prétendues tâches additionnelles (pièces F-10 et F-11).

196        Même si je doute de la légitimité de tous ces accès et des explications plutôt vagues fournies par le fonctionnaire, je ne suis tout de même pas convaincu que tous ces accès étaient non autorisés, à l’exception de quelques-uns que je reprendrai sous peu. Selon moi, il aurait été utile et plus juste si l’Agence avait donné au fonctionnaire l’occasion de réviser les listes d’accès non autorisés durant l’enquête ou avant son licenciement. Tel que l’a suggéré le fonctionnaire, il semble plausible que l’Agence se soit contentée de comparer ces accès aux dossiers principaux et secondaires qui avaient été assignés au fonctionnaire, sans considérer la possibilité que ces accès pouvaient être justifiés dans le cadre de son utilisation du système ARGO alors qu’il aidait M. Fratarcangelli à identifier des dossiers à risque ou dans le cadre de ses fonctions à titre de formateur et conseiller technique. Il aurait également été utile que l’Agence me présente une analyse comparative des accès du fonctionnaire et de ceux d’autres vérificateurs AU-03 du BSF de Montréal, ou même des accès de M. Fratarcangelli durant la même période de temps.

197        Cela étant, je n’ai aucune difficulté à conclure que certains de ces accès étaient non autorisés et inappropriés. Même si j’étais prêt à accepter que la grande majorité des milliers d’accès effectués par le fonctionnaire entre 2003 et 2008 avaient été effectués dans le cadre de sa charge de travail, il n’en reste pas moins que le fonctionnaire n’a pas nié avoir accédé à ses renseignements d’impôt personnels ou à ceux de sa conjointe, de ses locataires, de ses voisins et de la société X et de ses actionnaires après qu’il ait terminé la vérification de ladite société. Il n’a pas non plus fourni d’explication crédible à ce sujet. Ces nombreux accès aux comptes de contribuables n’étaient aucunement liés à la charge de travail du fonctionnaire, n’étaient pas autorisés et contrevenaient clairement aux politiques et directives de l’Agence.

198        Le fonctionnaire a tenté de justifier les accès à son compte, à celui de sa conjointe et à ceux de ses locataires en suggérant qu’il l’avait fait par hasard alors qu’il expérimentait avec une nouvelle méthode de travail impliquant des codes postaux. Il a souligné n’avoir accédé qu’à l’option T, laquelle ne fournit aucun renseignement personnel. Cette explication ne m’apparait pas convaincante pour trois raisons : 1) aucune preuve documentaire ou corroborative n’a été présentée concernant cette soit-disant nouvelle méthode de travail et le fonctionnaire a soulevé cette explication pour la première fois à l’audience; 2) le Guide au système RAPID pour les Agents des Programmes de prestation et les agent des Services à la clientèle de l’Agence (pièce E-46) énonce clairement que l’option T doit uniquement être utilisée dans le cadre du travail du vérificateur, ce qui n’était évidemment pas le cas ici; 3) contrairement à ce qu’a allégué le fonctionnaire, l’option T renferme des renseignements personnels tels les numéros de téléphone et les NAS des contribuables. Il va de soi que le NAS d’un contribuable est un renseignement personnel hautement confidentiel. Le fonctionnaire n’était aucunement en droit de consulter les NAS de ses locataires, ceux-ci n’étant pas et ne pouvant pas être liés à sa charge de travail. D’autre part, ses locataires étaient en droit de s’attendre à ce que la confidentialité de cette information soit protégée par l’Agence.

199        Les explications du fonctionnaire pour justifier ses accès aux renseignements d’impôt de ses voisins sont encore moins convaincantes ou cohérentes. Dans son argumentation, le fonctionnaire a motivé son geste par le fait qu’il doutait du mode de vie de ses voisins. À cet égard, le fonctionnaire a fait valoir qu’il trouvait bizarre que ceux-ci ne semblaient jamais quitter leur domicile et qu’il se questionnait sur la source de leurs revenus et qu’il était, de nature, indûment curieux de connaître les affaires des autres. De plus, l’allégation du fonctionnaire que plusieurs vérificateurs de l’Agence agissaient comme tel n’a été corroboré par aucun des nombreux témoins. Encore une fois, le fonctionnaire n’était aucunement en droit de consulter les renseignements d’impôt de ses voisins, incluant leurs revenus, les sources de ces revenus et les noms de leurs employeurs, puisque ça ne faisait pas partie de sa charge de travail. D’une part, ce type de comportement est expressément interdit par les politiques de l’Agence. D’autre part, les contribuables en question étaient en droit de s’attendre à ce que la confidentialité de leurs renseignements personnels soit protégée par l’Agence. En qui a trait à l’allégation du fonctionnaire qu’il a agi ainsi uniquement dans le but de faire respecter la Loi de l’impôt sur le revenu, il est difficile de réconcilier cet argument avec le fait qu’il ne semblait pas être préoccupé par le fait que les sommes attribuables à la livraison et à l’installation de ses comptoirs de cuisine (pièce E-8), et plus particulièrement celles reliées à la main d’œuvre, n’incluaient aucune référence ou mention des taxes applicables.

200        Selon le fonctionnaire, les dossiers de la société X se trouvaient toujours dans son classeur deux ans suivant la fin de sa vérification parce que M. Fratarcangelli lui avait mentionné qu’il « aimerait voir l’année 2004 » de ce contribuable. Il a fourni la même explication en ce qui concerne son accès aux renseignements d’impôt de la société X et de ses actionnaires à plusieurs reprises après avoir complété ladite vérification. Cette explication n’est tout simplement pas crédible. Premièrement, elle n’est pas corroborée par M. Fratarcangelli, qui a témoigné à l’audience. Le fonctionnaire ne lui a même pas posé cette question plus que pertinente. Deuxièmement, le fonctionnaire n’a fourni aucune précision quant à la signification du prétendu commentaire (« voir l’année 2004 »). Aucune preuve n’a démontré que M. Fratarcangelli avait demandé au fonctionnaire d’obtenir les dossiers physiques du contribuable et d’accéder régulièrement aux renseignements d’impôt de ce dernier après qu’il ait terminé la vérification de ce contribuable, ou qu’il avait demandé au fonctionnaire de procéder à une vérification subséquente de ce contribuable ou de faire un suivi quelconque. Les explications du fonctionnaire quant à ces accès sont improbables et ne sont pas crédibles. Une appréciation de l’ensemble de la preuve m’a convaincu que le fonctionnaire n’a jamais été chargé de faire un suivi quelconque à l’endroit de la société X et de ses actionnaires et que les nombreux accès effectués à leurs renseignements d’impôt étaient inappropriés, non autorisés et contraire aux politiques et directives de l’Agence.

201        À mon avis, ces gestes portent atteinte au système fiscal canadien et constituent un écart de conduite grave donnant lieu à une mesure disciplinaire sévère.

4. Utilisation inappropriée de l’équipement et du réseau électroniques de l’Agence

202        Il est important de se rappeler que le fonctionnaire n’a pas nié ce que lui reproche l’Agence et a admis avoir contrevenu aux politiques et directives de l’Agence. Il a plutôt offert des explications visant à minimiser l’ampleur et l’impact de ses gestes.

203        Concernant les images pornographiques, le fonctionnaire a témoigné que ces images s’étaient retrouvées sur son ordinateur portable, et éventuellement sur son lecteur H, en raison de mises à jour, suite à une visite de son frère à son domicile en 2001 ou 2002. Ce dernier aurait alors inséré une disquette contenant les images en question dans le portable du fonctionnaire afin de les visionner avec lui. Selon le fonctionnaire, après avoir visionné les images, il a accidentellement appuyé sur la commande « sauvegarder » alors qu’il tentait de retirer la disquette de son portable. C’est ce qui expliquerait, selon lui, la présence de ces images sur son portable. Il a ajouté qu’il s’agissait de la seule occasion où il avait visionné les images et qu’il n’avait jamais montré ou distribué ces images à qui que ce soit. J’ai du mal à accorder un niveau de crédibilité élevé au témoignage du fonctionnaire à ce sujet pour deux raisons. Premièrement, dans sa lettre détaillée du 26 février 2010 à la commissaire de l’Agence, le fonctionnaire a donné une explication complètement différente. Deuxièmement, je prends connaissance d’office que, pour sauvegarder initialement un document, une image ou un fichier sur un ordinateur personnel, plus d’une étape est requise. Il faut tout d’abord appuyer sur l’option « sauvegarder ». Il faut ensuite déterminer le fichier dans lequel on désire sauvegarder le document. Il faut également donner un nom ou titre au document. Je n’accorde donc aucune crédibilité au témoignage du fonctionnaire concernant le téléchargement de ces images et leurs visionnements.

204        L’ensemble de la preuve révèle plutôt que le fonctionnaire avait, en toute connaissance de cause, téléchargé ces images sur son ordinateur portable de l’Agence, que ces images se sont conséquemment retrouvées sur le réseau électronique de l’Agence, qu’elles ont été visionnées par le fonctionnaire et qu’elles pouvaient être visionnées à tout moment par ce dernier ou par des employés de l’Agence qui avaient accès à ce lecteur, et que les gestes du fonctionnaire contrevenaient clairement aux politiques de l’Agence.

205        En ce qui concerne les logiciels non autorisés, même si ceux-ci utilisaient peu d’espace sur le réseau de l’Agence, que le fonctionnaire n’avait jamais reçu d’avertissement relativement à leur installation ou à leur utilisation et qu’il avait cessé de les utiliser en 2002 ou 2003, leur téléchargement était tout de même interdit par les politiques de l’Agence.

206        L’utilisation inappropriée de l’équipement et du réseau électroniques de l’Agence par le fonctionnaire constitue selon moi une conduite donnant lieu à une mesure disciplinaire minime. Toutefois, compte tenu des autres écarts de conduite du fonctionnaire, ces gestes peuvent facilement être considérés comme étant des facteurs aggravants.

5. Acte de vandalisme

207        Le fonctionnaire n’a pas nié avoir vandalisé l’automobile d’un gestionnaire de l’Agence, dans un stationnement de ladite agence. Il s’agit d’un comportement indigne d’un fonctionnaire qui ne peut être toléré. Ce geste aurait pu, selon moi, donner lieu à une mesure disciplinaire, mais l’Agence a plutôt choisi de le considérer comme un facteur aggravant.

208        L’Agence était selon moi parfaitement en droit de considérer ce geste à titre de facteur aggravant au moment de prendre une décision quant à la mesure disciplinaire appropriée dans les circonstances.

6. Conclusion

A. Licenciement

209        Comme je l’ai déjà mentionné, le fonctionnaire occupait un poste comportant un degré élevé de responsabilité dont les fonctions comportaient, notamment, la vérification d’entreprises à revenus élevés et l’accès à des renseignements d’impôt personnels et confidentiels. Le poste comportait également un degré élevé de confiance. L’Agence est en droit de s’attendre à ce que ses vérificateurs AU-03 manifestent un niveau très élevé d’intégrité et d’éthique.

210        L’ensemble de la preuve a démontré que les gestes du fonctionnaire constituent un écart de conduite grave qui a entrainé la rupture du lien de confiance. Le fonctionnaire a contrevenu aux politiques de l’Agence en toute connaissance de cause et a refusé d’admettre toute responsabilité à l’égard de la majorité des gestes qu’on lui reproche, et ce, en dépit des nombreux éléments de preuve démontrant des fautes flagrantes. Une mesure sévère doit donc être imposée dans le présent cas et le licenciement est selon moi la mesure disciplinaire qui s’applique d’office, et ce, même si l’Agence n’a pas été en mesure de prouver certains éléments ou motifs ayant mené au licenciement. J’estime quand même que les autres infractions reprochées et prouvées sont assez graves pour mériter en soi le licenciement. Les gestes malhonnêtes et inappropriés du fonctionnaire sont fondamentalement incompatibles avec les obligations d’un vérificateur AU-03 de l’Agence. Le refus du fonctionnaire d’admettre toute responsabilité, à l’exception des images pornographiques et de l’acte de vandalisme, ainsi que son insouciance relativement à l’impact de ses agissements sur son travail de vérificateur fiscal rendent le rétablissement de la confiance nécessaire à une relation d’emploi impossible.

211        Je tiens aussi à souligner que les parties m’ont soumis une vingtaine de décisions au soutien de leurs arguments. Même s’il existe parfois certaines similitudes entre la jurisprudence présentée et la présente affaire, il s’agit d’affaires distinctes où le contexte et les faits sont souvent différents. Bien que j’aie consulté ces décisions et que je me suis parfois inspiré de certains de leurs principes généraux, je n’ai pas cru utile ou nécessaire d’y faire référence.

212        Je constate que l’Agence a établi que la conduite du fonctionnaire justifiait une mesure disciplinaire, plus particulièrement en raison du fait qu’il se soit placé dans une situation de conflit d’intérêts en acceptant un cadeau d’une valeur de 3 600 $ d’un contribuable, qu’il ait effectué des accès non autorisés aux systèmes de l’Agence et qu’il ait utilisé l’équipement et le réseau électroniques de l’Agence de façon inappropriée, et je considère que cette position était justifiée dans les circonstances.

213        Je conclus que le licenciement n’était pas une mesure excessive dans les circonstances de cette affaire, puisque le lien de confiance a manifestement été rompu par la conduite du fonctionnaire. Compte tenu de cette conclusion, je n’ai pas besoin de trouver de mesure de réparation à substituer à celle imposée par l’Agence.

214        Le grief du fonctionnaire concernant son licenciement doit être rejeté.

B. Suspension

215        Un arbitre de grief n’a pas compétence pour entendre un grief portant sur une suspension en attendant l’issue d’une enquête si la preuve révèle que cette suspension était de nature administrative et non disciplinaire. L’état du droit est clair sur ce point.

216        Dans les circonstances, il est selon moi approprié de traiter cette question séparément du grief de licenciement, et ce, nonobstant le résultat de ce grief.

217        À cet égard, la preuve a démontré que M. Chouinard n’était pas en mesure de licencier le fonctionnaire en avril 2009, mais qu’il avait devant lui de sérieuses allégations qui pouvaient compromettre la sécurité des renseignements d’impôt des contribuables et mettre en péril la confiance du public vis-à-vis l’Agence. Il devait obtenir des informations et des faits additionnels, incluant les conclusions de l’enquête interne et de la révision de M. Joseph, ainsi que les explications du fonctionnaire, avant de rendre une décision définitive sur la relation d’emploi. Il était tout à fait raisonnable d’assumer qu’une longue suspension sans solde ou un licenciement pourrait être imposés si ces allégations s’avéraient véridiques. Le fait de suspendre le fonctionnaire de ses fonctions, sans solde, pendant la durée de l’enquête n’était donc pas déraisonnable dans les circonstances. De plus, le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve suggérant que l’Agence avait délibérément ou par indifférence prolongé la durée de l’enquête.

218        Je suis convaincu que M. Chouinard n’avait pas l’intention de punir le fonctionnaire lorsqu’il a imposé la suspension sans solde pendant enquête et que celle-ci n’était donc pas disciplinaire, mais plutôt administrative. Selon moi, M. Chouinard avait des motifs légitimes de procéder comme il l’a fait et il a agi de bonne foi.

219        Je partage la position de l’Agence selon laquelle le fonctionnaire ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que la décision de M. Chouinard de le suspendre pendant enquête constituait une forme de mesure disciplinaire déguisée dans le but de sévir contre une infraction à la discipline ou une inconduite. En fait, aucune preuve n’a été présentée à ce sujet.

220        Ayant conclu que la suspension du fonctionnaire pendant enquête était de nature administrative et non disciplinaire, je conclus que le grief déposé à l’encontre de cette suspension ne tombe pas sous le coup des paramètres de l’article 209 de la LRTFP et qu’il doit être rejeté pour faute de compétence.

221        Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

222        Les griefs du fonctionnaire sont rejetés.

223        J’ordonne la fermeture des dossiers 566-34-4181 et 566-34-4182.

Le 11 mars 2016.

Stephan J. Bertrand,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.