Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Après avoir mené une enquête relative à plusieurs allégations d’inconduite de la part de la fonctionnaire s’estimant lésée, le défendeur a suspendu et ensuite révoqué sa cote de fiabilité, qui était une condition essentielle d’emploi – en premier lieu, la fonctionnaire s’estimant lésée a été suspendue sans traitement et, à la suite de la révocation, elle a été licenciée – elle a contesté l’enquête sur sa conduite et la suspension de sa cote de fiabilité, ainsi que son licenciement – le défendeur a soutenu que ses décisions étaient des mesures administratives pour lesquelles la Commission n’avait pas compétence – la Commission a conclu qu’elle avait compétence pour examiner la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire s’estimant lésée et de déterminer si la mesure était légitime, et non un subterfuge ou un camouflage – pour qu’un motif soit légitime, il doit être raisonnable, c’est-à-dire qu’il doit être fondé sur des faits qui appuient logiquement la décision – la Commission a conclu que l’enquête du défendeur était incomplète – le défendeur n’a pas démontré que la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire s’estimant lésée avait été raisonnablement nécessaire – de plus, la Commission a conclu que la suspension et la révocation de la cote de fiabilité étaient, en réalité, des mesures disciplinaires déguisées et que, par conséquent, la fonctionnaire s’estimant lésée avait le droit de recourir à l’arbitrage – son licenciement a été fait sans avertissement raisonnable et n’était pas proportionnel aux allégations d’inconduite – la révocation de sa cote de fiabilité était un subterfuge – sa suspension sans traitement était punitive et le motif, soit la suspension de la cote de fiabilité, constituait une réaction à une perception d’inconduite, et non à des problèmes de sécurité – la Commission a ordonné que la fonctionnaire s’estimant lésée soit réintégrée avec l’intégralité de son salaire et de ses avantages sociaux, avec intérêts, et que tous les documents et références concernant l’enquête, la suspension, la révocation et le licenciement soit retirés de son dossier d’emploi. Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-04-29
  • Dossier:  566-02-10950 à 10952
  • Référence:  2016 CRTEFP 37

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

Karen Grant

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
Grant c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Erin Hallock, avocate
Pour le défendeur:
Lesa Brown, avocate, Services juridiques, Secrétariat du Conseil du Trésor
Affaire entendue à Hamilton (Ontario)
du 3 au 6 novembre 2015.
Les arguments écrits ont été déposés le 21 décembre 2015, et les 18 et 29 janvier 2016.
Les arguments écrits supplémentaires ont été déposés le 29 mars, et les 11 et 18 avril 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1        Karen Grant, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a travaillé pour l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC » ou le « défendeur ») et ses prédécesseurs pendant 13 ans, soit de 2001 à 2014. Le 27 août 2014, elle a reçu une lettre l’informant que sa cote de fiabilité (une condition d’emploi essentielle découlant d’un processus de vérification de la fiabilité) avait été révoquée. Le même jour, elle a reçu une lettre de licenciement, fondée sur la révocation de sa cote de fiabilité.

2        Trois griefs liés à ces affaires ont été renvoyés à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») aux fins d’arbitrage. Le grief 566-02-10950 concerne l’enquête sur la conduite de la fonctionnaire, la suspension de sa cote de fiabilité et la suspension sans traitement qui en a découlé. Le grief 566-02-10951 porte sur la révocation de sa cote de fiabilité. Finalement, le grief 566-02-10952 porte sur son licenciement.

3        La fonctionnaire a présenté ses griefs au premier palier en juillet et en septembre 2014. Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014, se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013. En mars 2015, les griefs ont été renvoyés à la Commission aux fins d’arbitrage.

4        Aux fins de la présente décision, les trois griefs seront traités en même temps. Avant l’audience, le défendeur s’est opposé à la compétence de la Commission en ce qui concerne la suspension et la révocation de la cote de fiabilité, le processus d’enquête et la suspension sans traitement. Selon le défendeur, il s’agit des questions administratives qui ne peuvent être renvoyées à l’arbitrage. Il a toutefois convenu de donner suite à l’ensemble de la preuve sur le fond et s’est réservé un droit de présenter des observations au sujet de la compétence dans ses arguments.

5        Les arguments ont été présentés au moyen d’observations écrites. Dans l’éventualité où les griefs seraient accueillis, le défendeur a demandé le droit de présenter des observations supplémentaires en ce qui concerne les réparations. La Commission a demandé des observations supplémentaires au sujet des réparations avant de rendre la présente décision.

6        Pour les motifs présentés ci-dessous, je conclus que la Commission a compétence pour trancher tous les aspects des griefs et que ces derniers devraient être accueillis. Je conclus que la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire n’était pas légitime et que, par conséquent, elle ne pouvait pas constituer un motif de licenciement. En réalité, la suspension et la révocation de la cote de fiabilité camouflaient les vraies intentions de l’employeur, et elles étaient de nature disciplinaire. Je conclus que la suspension sans traitement et le licenciement constituaient également une mesure disciplinaire déguisée. Les griefs sont accueillis.

II. Résumé de la preuve

7        Le défendeur a appelé quatre témoins : Hervé Dominique, enquêteur principal, Division de la sécurité du personnel et des normes professionnelles (DSPNP), qui a mené l’enquête sur les normes professionnelles (« ENP »); Ken McCarthy, directeur, DSPNP, qui a présenté les conclusions de l’enquête au Comité d’examen de la sécurité (le « Comité »); Rick Comerford, directeur général régional, région du Sud de l’Ontario, qui a signé la lettre de suspension sans traitement et la lettre de licenciement; Pierre Giguère, agent de sécurité ministériel et directeur général de la sécurité, qui a signé les lettres de suspension et de révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire.

8        Trois témoins ont témoigné pour la fonctionnaire : elle-même; Johanne Brown, son ancienne superviseure au point d’entrée où elle travaillait; Melissa Mancini, qui était l’observatrice à l’entrevue d’enquête. 

9        La fonctionnaire travaillait au point d’entrée de Fort Erie (pont Peace). Elle a tout d’abord agi à titre d’agente des douanes et, au cours de sa carrière, elle a été nommée à plusieurs reprises à titre de surintendante par intérim. Finalement, en juin 2013, elle a participé, avec succès, à un processus de nomination et elle a été nommée surintendante pour une période indéterminée.

10        Le point d’entrée de Fort Erie est un endroit très occupé et comprend 14 voies avec un volume de circulation élevé. Plusieurs types de voyageurs entrent au Canada — des voyageurs seuls, des familles, des groupes, des personnes qui font quotidiennement la navette ainsi que des exploitants commerciaux. Une voie supplémentaire est réservée aux autobus. Toutes sortes de groupes voyagent en autobus, y compris les personnes voyageant en autobus interurbain, les personnes en voyages de ski, les expéditions de personnes âgées, les équipes de hockey (à la fois professionnelles et amateurs), ainsi que des musiciens. Dans cette dernière catégorie, les groupes de musique country revêtent un intérêt particulier. La fonctionnaire est une grande amatrice de musique country. Elle a voyagé à Nashville, au Tennessee, à de nombreuses reprises en compagnie d’amis et de membres de sa famille. Au fil des ans, elle s’est nouée d’amitié avec plusieurs musiciens country et directeurs de tournées.

11        En 2013, plusieurs rapports ont été signalés à l’ASFC à propos de mesures illégales à la frontière. Dans le cadre son enquête sur les allégations au point d’entrée de Fort Erie concernant l’ancien chef, le nom de la fonctionnaire a été soulevé. Par conséquent, le défendeur a demandé à la DSPNP de mener une enquête relativement à une inconduite possible de la part de la fonctionnaire.

12        M. Dominique était responsable de l’enquête. Il a recueilli des éléments de preuve à partir du compte de courriel de la fonctionnaire à l’ASFC, et il a parlé avec plusieurs témoins qui ont travaillé au point d’entrée de Fort Erie. Enfin, en décembre 2013, il a invité la fonctionnaire à une entrevue; il s’agissait de la première fois que la fonctionnaire apprenait qu’elle faisait l’objet d’une enquête. Lors de l’entrevue, qui a eu lieu en janvier 2014, la fonctionnaire a été questionnée à propos d’un certain nombre de courriels. En outre, un certain nombre de photographies ont été copiées à partir de son compte de courriel. On ne sait pas avec certitude si elle les a vues; quoi qu’il en soit, j’accepte la preuve selon laquelle il s’agit de photos d’elle avec différents groupes de musique country. Ces photos confirment simplement qu’ils étaient des amis, ce qu’elle n’a pas nié.

13        À l’entrevue, plusieurs déclarations d’agents des services frontaliers qui ont travaillé avec la fonctionnaire, ou qui relevaient d’elle lorsqu’elle était surintendante, ont été présentées à la fonctionnaire. Les allégations manquaient de précisions — heures, dates et emplacements exacts — mais elles ont été incluses dans le rapport sur l’ENP (le « rapport »).

14        Après l’entrevue, M. Dominique a continué de recevoir des renseignements découlant de l’analyse des courriels de la fonctionnaire. Ces renseignements n’ont pas été montrés à la fonctionnaire avant l’audience, mais ils ont été inclus au rapport.

15        Le rapport comprend plusieurs sections et sa preuve est fondée sur trois sources principales : les courriels de la fonctionnaire, son entrevue et les déclarations des témoins.

16        Selon le début du rapport, l’enquête sur l’inconduite alléguée de la fonctionnaire suivait de près l’enquête sur l’inconduite de l’ancien chef. Le but de l’enquête est énoncé comme suit au paragraphe 5 du rapport :

[Traduction]

Déterminer la validité de l’allégation selon laquelle la surintendante Karen GRANT a contrevenu au Code de conduite de l’ASFC, qui comprend les lignes directrices sur les conflits d’intérêts, relativement à sa participation au dédouanement ou à la facilitation des personnes et des professionnels du spectacle entrant au Canada.

17        Le rapport résume ensuite les allégations contre l’ancien chef et ajoute que la fonctionnaire pourrait avoir contribué à faciliter l’entrée d’artistes de spectacle au Canada pour obtenir des faveurs en retour, par exemple des billets gratuits.

18        Dans cette affaire, le processus de vérification préalable qui a eu lieu au point d’entrée de Fort Erie constitue l’une des préoccupations. L’enquêteur décrit le processus comme suit au paragraphe 12 du rapport :

[Traduction]

Le processus suivant concerne les artistes de spectacle et leurs équipes qui cherchent à entrer au Canada à des fins de divertissement. Un organisateur de tournées envoie un avis préalable [du] manifeste de l’équipe, y compris des données de base par télécopieur au point d’entrée. Le but consiste à faciliter leur entrée en temps opportun. Le manifeste est attribué à un agent des services frontaliers responsable de mener une recherche dans les fichiers locaux dans différentes bases de données, relativement à des activités criminelles ou à des mesures d’exécution de l’immigration ou des douanes précédentes. Dans le cas où l’on détermine qu’une personne est inadmissible pour des motifs criminels, l’agent des services frontaliers détermine la gravité de l’infraction et si le statut du sujet justifie la délivrance d’un permis de séjour temporaire. À l’occasion, l’agent des services frontaliers communiquera avec l’organisateur de tournées dans le but de joindre la personne concernée directement afin d’obtenir plus de renseignements.

[19]    Un permis de séjour temporaire permet l’entrée au Canada pendant une période déterminée et dans un but précis. Une personne peut avoir été condamnée pour conduite en état d’ébriété, la rendant ainsi inadmissible aux fins d’entrée au Canada. Un permis de séjour temporaire l’emporte sur cette inadmissibilité et confère une admission temporaire.

[20]    Le rapport indique ensuite que le pouvoir d’autoriser un permis de séjour temporaire dans le cas d’un dossier où la personne a commis un crime mineur relève entièrement de l’agent des services frontaliers qui examine le cas lorsqu’un groupe arrive à la frontière. Dans le cas d’activités criminelles majeures, l’approbation du chef est requise. Une demande de permis de séjour temporaire doit être présentée au point d’entrée ou au consulat canadien et le coût d’une telle demande s’élève à 200 $.

A. Huit allégations d’inconduite

21                  Au paragraphe 13, le rapport présente de façon détaillée l’inconduite alléguée qui a été soulevée lors de l’enquête préliminaire sur les courriels de la fonctionnaire, comme suit :

  1. Elle a accepté des invitations à des concerts et elle a demandé des avantages pour elle-même et sa famille.
  2. Elle a utilisé son compte de courriel personnel pour mener des activités de l’ASFC.
  3. Elle a effectué des requêtes non autorisées dans les bases de données de l’ASFC.
  4. Elle a tenté d’influencer le processus d’immigration à d’autres points d’entrée.
  5. Elle a envoyé des renseignements de l’ASFC de nature délicate à un tiers.
  6. Elle a formulé des commentaires offensants à propos de collègues et de partenaires de l’ASFC, et elle a eu recours à un langage inapproprié dans le cadre de ses communications officielles.
  7. Elle a utilisé sa pièce d’identification gouvernementale officielle à des fins personnelles.
  8. Elle a facilité et offert un traitement préférentiel, des avantages inéquitables et une aide extraordinaire à des voyageurs auxquels elle était associée.

22        Chaque allégation était appuyée par une preuve par courriel et l’enquêteur a fourni des exemples. Pendant l’entrevue, on a montré à la fonctionnaire certains des courriels appuyant les allégations, mais pas tous. Ce qui suit est un examen de la preuve par courriel à l’appui de chaque allégation et les réponses de la fonctionnaire aux allégations, ce qui comprend à la fois ses réponses initiales au rapport et ses déclarations lors de l’audience.

1. Acceptation d’invitations et demande d’avantages

23        Dans un certain nombre de courriels, la fonctionnaire discutait avec une personne, qui demandait des renseignements à propos du passage à la frontière, au sujet de la possibilité d’avoir accès à des billets de concert ou de participer à une fête de partisans après le spectacle.

24        La fonctionnaire a répondu que les discussions sur le concert n’avaient rien à voir avec son travail et qu’il n’y avait aucune preuve de comportement inapproprié, c’est-à-dire un échange de faveurs. À un niveau, cette information est communiquée à toute personne qui en fait la demande. La conversation prend ensuite une autre tournure, à propos de la possibilité d’acheter des billets que les organisateurs libèrent à la dernière minute, en dehors des voies habituelles.

2. Utilisation du courriel personnel pour mener des activités de l’ASFC

25        Certains organisateurs avaient l’adresse de courriel personnelle de la fonctionnaire, qui leur a probablement été communiquée par un tiers. Lorsque les courriels concernaient son travail, elles les transféraient à son courriel professionnel. Par exemple, lorsqu’un organisateur de tournées a communiqué avec elle à son courriel personnel, elle lui a demandé la liste des membres de l’équipe, pour vérifier s’ils auraient des problèmes à la frontière. La liste, qui comprenait les dates de naissance, a été envoyée à son courriel personnel; elle l’a ensuite transféré à son compte de l’ASFC.

26        La fonctionnaire a répondu qu’elle n’y pouvait rien si des personnes communiquaient avec elle par l’intermédiaire de son courriel personnel; elle croyait que la bonne chose à faire était d’envoyer les renseignements à son compte de l’ASFC. Elle n’a jamais pensé que le fait d’utiliser un courriel non sécurisé compromettait la sécurité des renseignements personnels qu’il contenait.

3. Mener des requêtes non autorisées dans les bases de données de l’ASFC

27        À différentes reprises, la fonctionnaire a mené des recherches préalables dans plusieurs bases de données de la police et des services frontaliers dans le but de relever des problèmes éventuels relatifs à l’admissibilité. Elle l’a fait même lorsqu’il n’était pas prévu qu’une tournée traverse la frontière à son point d’entrée. L’enquêteur a fourni un exemple d’une telle recherche menée par la fonctionnaire (au moyen de son code d’ouverture de session) pour un groupe qui a traversé la frontière à un autre point d’entrée.

28        La fonctionnaire a répondu que, pendant l’entrevue, on ne lui avait pas montré la recherche qui affichait son code d’ouverture de session. De même, pendant l’entrevue, elle a nié qu’elle mènerait des recherches si un groupe devait traverser la frontière à un autre point d’entrée.

29        À l’audience, la preuve liée à la recherche a été présentée à la fonctionnaire. Elle a expliqué qu’elle croyait fournir un bon service aux personnes qui allait traverser la frontière en les informant à l’avance de ce à quoi elles devaient s’attendre et de ce qu’elles devaient préparer, par exemple des documents judiciaires. Tout agent des services frontaliers avec qui on aurait communiqué par téléphone ou par courriel, par l’intermédiaire du site Web de l’ASFC, aurait offert ce service. En sa qualité de surintendante, elle était autorisée à effectuer des recherches, mais il est plus probable qu’elle aurait demandé à un agent des services frontaliers à l’immigration d’examiner le manifeste. Quelques courriels montrent des occasions où elle a demandé à un agent des services frontaliers d’examiner un manifeste au préalable.

4. Tentative d’influencer le processus d’immigration à d’autres points d’entrée

30        L’examen préalable dans le but de déterminer si un permis de séjour temporaire est requis n’est pas nécessairement mis en œuvre de la même façon dans tous les points d’entrée. À titre d’exemple de tentative d’influencer indûment, l’enquêteur a présenté un échange de courriels dans lequel la fonctionnaire suggère à une personne-ressource de l’aéroport Pearson d’envisager la possibilité d’assouplir le processus relatif au permis de séjour temporaire. Dans un autre cas, la fonctionnaire a indiqué à un agent, à un autre point d’entrée, qu’un groupe qui devait traverser la frontière n’avait aucun dossier criminel et qu’il devrait être en mesure de traverser facilement.

31        La fonctionnaire a répondu que le premier exemple de l’enquêteur était un échange entre collègues à propos des pratiques exemplaires. Elle a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’une tentative d’exercer une influence et qu’elle n’en avait pas le pouvoir. Dans le deuxième cas, l’agent des services frontaliers à l’autre point d’entrée aurait trouvé les renseignements fournis (aucun dossier criminel) de toute façon.

5. Envoi de renseignements de l’ASFC de nature délicate à un tiers

32        Cette allégation renvoie à un incident dans le cadre duquel la fonctionnaire a communiqué avec un organisateur de tournées et a déclaré qu’un des membres de l’équipe, qu’elle a nommé, aurait des problèmes d’admissibilité.

33        Elle a répondu que les organisateurs de tournées sont au courant des condamnations mineures des membres de leur équipe et que c’était la raison pour laquelle ils ont demandé des conseils. Un organisateur de tournées peut ensuite parler à la personne concernée afin de discuter de la possibilité d’obtenir le permis de séjour temporaire ou modifier le manifeste et y substituer un musicien.

6. Commentaires offensants à propos de collègues et de partenaires de l’ASFC, et langage inapproprié dans le cadre de communications officielles

34        L’enquêteur a fourni un certain nombre d’exemples de recours à un langage inapproprié et de commentaires offensants par la fonctionnaire.

35        La fonctionnaire a répondu en admettant rapidement qu’un tel langage et ses commentaires offensants à propos de ses collègues étaient inappropriés. Elle s’est excusée de son comportement et a affirmé qu’elle l’avait corrigé depuis l’entrevue de janvier 2014.

7. Utilisation de la pièce d’identification gouvernementale à des fins personnelles

36        Cette allégation renvoie à un incident précis où la fonctionnaire a offert à un membre de sa famille d’utiliser sa pièce d’identification gouvernementale afin d’obtenir une chambre d’hôtel à taux réduit pendant ses vacances.

37        La fonctionnaire a répondu qu’il s’agissait d’une pratique courante parmi ses collègues d’utiliser la pièce d’identification gouvernementale pour obtenir de meilleurs tarifs pour des chambres lorsqu’ils sont en voyage, y compris lors des vacances. Une fois qu’elle a été informée que cette pratique n’était pas acceptable, elle a déclaré qu’elle n’envisagerait jamais de le refaire. Dans ce cas particulier, le membre de la famille n’avait pas utilisé la pièce d’identification gouvernementale de la fonctionnaire, bien que le tarif du gouvernement ait été visionné au moment de magasiner pour obtenir le meilleur prix. En fin de compte, un autre tarif préférentiel a été obtenu.

8. Faciliter et fournir un traitement de faveur, des avantages inéquitables et une aide extraordinaire à des voyageurs privilégiés

38        Selon cette allégation, la fonctionnaire a téléphoné au préalable à un point d’entrée pour les informer d’une tournée traversant la frontière, elle a consulté une base de données afin de fournir des conseils à l’organisateur de tournées à l’égard des procédures nécessaires et elle a lu le manifeste pour voir si tout était en ordre.

39        La fonctionnaire a répondu que ce service était offert à toute personne qui en fait la demande.

8. Déclarations des témoins

40        En plus de la preuve par courriel, le rapport comprend des déclarations de témoins, non datées pour la plupart, décrivant comment la fonctionnaire a facilité l’entrée à des autobus de tournée, soit en leur autorisant le passage, soit en ordonnant aux agents des services frontaliers de délivrer des permis de séjour temporaire sans les documents officiels.

41        La fonctionnaire a vigoureusement nié tout acte répréhensible et avoir autorisé des marchandises ou des personnes à entrer au Canada illégalement. Les déclarations ne sont pas suffisamment détaillées. De plus, en tant que surintendante, la fonctionnaire n’avait pas le pouvoir de déroger à l’évaluation d’admissibilité d’un agent des services frontaliers. Dans un cas, le chef avait ordonné la délivrance d’un permis de séjour temporaire, et la fonctionnaire avait transmis cet ordre à l’agent des services frontaliers. Elle n’avait pas le pouvoir de contredire le chef.

C. Conclusions de l’enquêteur

42        Dans ses constatations, l’enquêteur arrive à la conclusion que la fonctionnaire a contrevenu au Code de conduite de l’ASFC (pièce E-6) en ce qui a trait aux cadeaux. Elle a obtenu des billets par l’intermédiaire de ses contacts, avec qui elle entretenait également des rapports professionnels, peu importe que les billets aient été gratuits ou à un prix réduit ou favorable. Le chapitre 2, section D, paragraphe 4, du Code de conduite « Cadeaux, marques d’hospitalité et autres avantages » est rédigé en ces termes :

Nous devons faire preuve de jugement pour éviter de nous retrouver dans des situations de conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel prenant en considération les critères suivants sur les cadeaux, les marques d’hospitalité et les autres avantages en respectant l’ensemble du Code de valeurs et de l’éthique du secteur public, du Code de conduite et de la Politique sur les conflits d’intérêts et l’après-mandat.

43        Le critère pertinent auquel l’enquêteur fait référence concerne l’interdiction d’accepter des cadeaux ou des avantages « […] qui risquerait d’avoir une influence réelle ou apparente sur notre objectivité et impartialité dans l’exercice de nos fonctions officielles […] » (paragraphe 4.1, section D, chapitre 2, du Code de conduite).

44        Dans la marge du Code de conduite, un conseil encadré est rédigé en ces termes :[traduction] « Conseil : Nos ASF d’Edmundston, au N.-B., utilisent le critère suivant : "Est-ce que je recevrais ce cadeau si je ne travaillais pas pour l’ASFC?" Si la réponse est non, ils refusent le cadeau. » [Le passage en évidence l’est dans l’original]

45        Dans ses réponses, sa réfutation et à l’audience, la fonctionnaire a répété avec insistance que toute faveur qu’elle pourrait avoir reçu de ses amis dans l’industrie de la musique (meilleurs billets, entrée aux fêtes de partisans, etc.) n’avait rien à voir avec son emploi à l’ASFC et tout à voir avec ses liens d’amitié avec ces personnes. Elle a également affirmé de façon catégorique qu’elle payait ses billets la plupart du temps. Elle a toutefois reconnu qu’elle utilisait parfois son adresse courriel professionnelle pour demander si des billets étaient disponibles et que l’ancien chef lui avait donné des billets.

46        L’enquêteur a conclu que la fonctionnaire avait utilisé son adresse courriel personnelle pour mener des activités de l’ASFC et qu’elle avait accédé à des [traduction] « […] renseignements de nature délicate détenus par le gouvernement dans des dossiers qui ne relevaient pas d’elle », contrevenant ainsi au chapitre 1, section D, paragraphe 6, du Code de conduite. En divulguant des renseignements sur la criminalité d’un membre de l’équipe à un organisateur de tournées, elle a contrevenu au paragraphe 8 de la même section.

47        L’enquêteur a également conclu qu’en ayant recours à un langage inapproprié et en formulant des commentaires offensants à propos de collègues de l’ASFC et d’un partenaire de l’ASFC à un membre du public, la fonctionnaire avait contrevenu au chapitre 1, section D, paragraphe 10 « Rapports avec le public », du Code de conduite. L’enquêteur a de plus conclu que la fonctionnaire avait fait une utilisation inappropriée de sa pièce d’identification gouvernementale, contrevenant au chapitre 1, section D, paragraphe 7, « Soin et utilisation des biens et actifs du gouvernement », du Code de conduite.  

48        Finalement, en communiquant avec d’autres bureaux de l’ASFC au profit de personnes avec qui elle s’associait, leur accordant ainsi un traitement de faveur, la fonctionnaire a contrevenu au chapitre 2, section C, « Responsabilités et fonctions générales », et au chapitre 2, section D, paragraphe 6, « Évitement des traitements de faveur » du Code de conduite. Ce faisant, elle a influencé le processus d’immigration et fourni une aide extraordinaire à des personnes avec qui elle s’associait.

D. Code de conduite

49        Le chapitre 2, section C, « Responsabilités et fonctions générales » tient compte des fonctions déjà présentées, qui consistent à éviter tout conflit d’intérêts « […] entre ses responsabilités officielles et ses intérêts personnels […] », à s’abstenir d’utiliser les biens du gouvernement « […] à des fins autres que celles officiellement approuvées […] », et de ne pas « […] venir en aide à des personnes ou des entités privées dans leurs rapports avec le gouvernement, si cela peut occasionner un traitement de faveur ».

50        Une fois de plus, un conseil est offert en marge, comme suit : [traduction]« Conseils pour régler les conflits d’intérêts : Si un membre de la famille ou un ami se présente à la LIP [ligne d’inspection primaire], si possible, demander à quelqu’un d’autre de procéder au dédouanement. » [Le passage en évidence l’est dans l’original]

51        Le traitement de faveur fait également l’objet d’une section précise au chapitre 2, section D, paragraphe 6, « Évitement des traitements de faveur ». Cette section comprend les deux paragraphes suivants :

[…]

Ceci veut dire qu’il nous est interdit d’accorder un traitement de faveur ou un avantage aux membres de notre famille, à nos amis ou à d’autres personnes ou entité. Nous ne devons pas offrir d’aide extraordinaire à quelque personne ou entité qui a des relations d’affaires avec le gouvernement, sans informer notre superviseur et obtenir leur soutien […]

Transmettre de l’information accessible au grand public n’est pas considéré comme un traitement de faveur.

[Je souligne]

52        À l’audience, l’ancienne superviseure de la fonctionnaire a fait valoir que les agents des services frontaliers répondent constamment à des questions d’amis et de membres de la famille à propos des règles à la frontière, par exemple : Qu’est-ce que je peux amener? À quel montant hors taxe ai-je droit? L’ancienne superviseure ne voyait rien de mal à répondre à ces questions, pourvu que les réponses soient exactes.

53        La Commission souligne que dans le Code de conduite, au chapitre 2, section G, « Conséquences », le texte suivant apparaît :« Si nous ne nous conformons pas aux exigences énoncées dans le présent chapitre, nous pouvons faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement ».

E. Suspension de la cote de fiabilité

54        Le 9 juin 2014, le rapport a été acheminé à M. Comerford et au Comité. Dans son témoignage, M. Comerford a dit qu’il avait été [traduction] « choqué » par le rapport et par l’étendue des actes répréhensibles. Sa première réaction a été de mettre la fonctionnaire en congé payé (lettre du 10 juin 2014) [traduction] « […] afin d’achever le processus disciplinaire ». La lettre est signée par Jeff Walters, directeur du district de Fort Erie, qui relevait de M. Comerford.

55        Les membres du Comité se sont réunis le 12 juin 2014. Le Comité est composé des cadres supérieurs de l’ASFC et est présidé par M. McCarthy. Ses membres n’ont reçu aucune formation spéciale et n’ont aucune responsabilité relativement aux questions de sécurité, ils siègent plutôt à titre de représentants de la direction de l’ASFC. À l’occasion de cette réunion, les membres ont reçu une copie du rapport, alors que la fonctionnaire n’en avait toujours pas reçu.

56        Le Comité a conclu que la fonctionnaire avait abusé de sa position de confiance et d’autorité au point d’entrée de Fort Erie, qu’elle avait pris de mesures liées à l’examen des manifestes, qu’elle avait offert un traitement préférentiel à des amis et qu’elle avait reçu des avantages par l’entremise de ses relations dans l’industrie de la musique. Selon M. Giguère, l’agent de sécurité ministériel qui a suspendu la cote de fiabilité de la fonctionnaire à la suite de la recommandation unanime du Comité, le plus important est que le Comité a conclu que la fonctionnaire [traduction] « ne semblait pas reconnaître la situation de conflit d’intérêts dans laquelle elle se trouvait et les risques que pose un tel conflit pour l’Agence ».

57        Le lendemain de la réunion du Comité, M. Giguère a signé la lettre de suspension de la côte de fiabilité qui a été envoyée à la fonctionnaire. M. Comerford a ensuite signé une lettre de suspension sans traitement, puisque la fonctionnaire ne pouvait pas travailler sans une cote de fiabilité. Les deux lettres ainsi qu’une version caviardée du rapport lui ont été remises peu de temps après. Dès lors, la fonctionnaire n’avait plus accès au milieu de travail. Elle disposait de 14 jours pour répondre aux allégations dans le rapport.

F. Réponse de la fonctionnaire au rapport

58        La fonctionnaire a présenté une réfutation détaillée au rapport. Cependant, comme il le sera démontré plus loin dans la présente décision, il y avait certaines lacunes dans les réponses de la fonctionnaire étant donné qu’elle n’avait reçu qu’une copie révisée du rapport. Essentiellement, dans sa réfutation, la fonctionnaire a expliqué qu’elle avait offert de l’aide et des renseignements à tous les voyageurs, y compris aux personnes qu’elle connaît dans l’industrie de la musique. Elle n’a jamais autorisé quelqu’un à entrer illégalement au Canada et elle n’en avait pas le pouvoir. L’examen préalable des manifestes était souvent délégué à d’autres; la communication de numéros de télécopieur et de renseignements à propos des autres points d’entrée faisait partie de ses fonctions en matière de renseignements. Les renseignements qu’elle fournissait étaient accessibles au public.

59        La fonctionnaire a reconnu le langage inapproprié auquel elle a eu recours et les commentaires offensants qu’elle a formulés à propos de ses collègues. Elle a présenté ses excuses et affirmé qu’elle changerait son comportement. Elle a également reconnu qu’il était inapproprié d’utiliser sa pièce d’identification gouvernementale pour obtenir tout avantage sans lien avec le travail, elle a toutefois ajouté qu’elle l’avait appris dans le cadre de l’enquête.

60        Elle avait également appris que le défendeur considérait que l’aide qu’elle avait offerte à ses amis constituait un conflit d’intérêts. Elle a nié tout acte répréhensible et a déclaré qu’elle offrirait la même aide à quiconque en avait besoin.

61        Dans sa réfutation, la fonctionnaire a contesté la plupart des affirmations des témoins, qui ne sont ni datées ni détaillées. À l’audience, l’avocate du défendeur a affirmé que ce dernier ne se fiait pas aux affirmations des témoins.

62        La fonctionnaire a terminé sa réfutation par le paragraphe suivant :

[Traduction]

Même si je ne peux changer ce qui s’est passé, j’ai pris des mesures pour m’assurer que des incidents et des malentendus similaires ne se reproduisent pas à l’avenir. J’accorde de la valeur à notre relation professionnelle et je crois fermement que je continuerai à produire du travail solide et sécurisé qui bénéficiera à l’ASFC et à nos clients. Je comprends, si, à l’avenir, l’ASFC estime que je devrais me récuser lorsque je traite avec mes amis dans le domaine du divertissement. Je tiens à assurer l’Agence que j’ai tiré des leçons de cette expérience et que je ne me placerai plus jamais, ou l’ASFC, dans ce type de situation. J’ai la volonté de changer et de prendre toutes les mesures nécessaires pour regagner la confiance de l’ASFC et de mes collègues agents.

G. Révocation de la cote de fiabilité

63        Après avoir rencontré la fonctionnaire, M. Comerford a demandé à la DSPNP d’examiner sa réfutation de façon détaillée. Sa réponse a été communiquée au Comité en même temps que la réfutation de la fonctionnaire.

64        Finalement, le Comité a décidé de recommander la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire. L’une des notes consignées à propos de la réunion est que, dans sa réfutation, la fonctionnaire n’a pas pleinement répondu aux allégations. J’ai déjà déclaré que, en fin de compte, le défendeur ne s’est pas fié aux déclarations des témoins pour justifier la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire, mais le Comité semble certainement l’avoir fait. Le paragraphe suivant présente un exemple d’une [traduction] « réponse incomplète » de la fonctionnaire à une allégation.

65        L’allégation, qui se retrouve au paragraphe 24 du rapport, se lit comme suit :

[Traduction]

Selon l’agent des services frontaliers COBER, le 28 février 2012, la surintendante GRANT a conduit l’organisateur de tournées du groupe Hunter Hayes au comptoir d’immigration. Elle lui a demandé de délivrer un permis de séjour temporaire à l’individu, pour le compte du surintendant TAYLOR. Il s’agissait d’un comportement inhabituel de la part de la surintendante GRANT, puisque l’agent des services frontaliers COBER avait le pouvoir délégué de traiter avec les voyageurs qui sont inadmissibles pour des motifs de criminalité en vertu du paragraphe A36(2) de la LIPR.

66        La fonctionnaire a reçu la version révisée suivante afin de préparer sa réfutation (pièce G-3, page 16) :

[Traduction]

Selon l’agent des services frontaliers COBER, le 28 février 2012, la surintendante GRANT a conduit l’organisateur de tournées du groupe [caviardé] au comptoir d’immigration. Elle lui a indiqué d’émettre un permis de séjour temporaire à l’individu, pour le compte du [caviardé]. Il s’agissait d’un comportement inhabituel de la part de la surintendante GRANT, puisque l’agent des services frontaliers COBER avait le pouvoir délégué de traiter avec les voyageurs qui sont inadmissibles pour des motifs de criminalité en vertu du paragraphe A36(2) de la LIPR.

67        Voici la réponse de la fonctionnaire en guise de réfutation :

[Traduction]

L’agent des services frontaliers Cober déclare que, le 28 février 2012, j’ai escorté un client au comptoir d’immigration. Il déclare qu’il s’agissait d’un comportement inhabituel de ma part, car il avait le pouvoir délégué de traiter avec les voyageurs pour des motifs de criminalité en vertu du paragraphe A36(2) de la LIPR. Je ne suis pas en désaccord avec le fait que l’agent des services frontaliers Cober a le pouvoir délégué. Je suis en désaccord avec le fait que mon comportement était inhabituel. J’ai demandé à Herve Dominique de me fournir plus de détails de l’agent des services frontaliers Cober en ce qui concerne mes fonctions. J’ai demandé à Herve Dominique si Cober savait que j’exerçais des fonctions administratives au bureau ou si je travaillais dans les autobus ou dans la cour. J’ai demandé à Herve Dominique à quelle heure cela s’était produit et de confirmer si j’étais effectivement en fonction à cette date? Herve Dominique ne pouvait pas me fournir ces détails, pas plus que l’agent des services frontaliers Cober.

J’indiquerai que, si j’ai conduit un client au comptoir d’immigration, il était plus probable que je travaillais au terminal d’autobus ou, dans une capacité secondaire, que j’aidais des agents. J’aurais reçu un courriel de [l’ancien chef] ou du personnel concernant les résultats des manifestes du groupe. Il s’agit d’une pratique quotidienne de lire et d’être informé des tournées qui traversent la frontière au quotidien. Je suis d’avis qu’aucune des mesures qui ont été prises ne constitue un « comportement inhabituel » de ma part ou de la part de tout autre agent. Elles font partie de mon travail.

68        Ce qui suit était le commentaire de l’examen de la DSPNP du 30 juillet 2014 : [traduction] « GRANT a escorté un organisateur de tournées à l’étape secondaire et a indiqué à l’agent des services frontaliers d’"émettre un permis de séjour temporaire pour le compte du surintendant Taylor". GRANT n’aborde pas cette instruction précise dans sa réfutation. L’agent des services frontaliers doit évaluer si un permis de séjour temporaire est justifié dans ce type de cas ».

69        La fonctionnaire ne pouvait pas aborder l’instruction précise, car elle ne figurait pas dans le rapport révisé qu’elle avait reçu. Elle aurait pu penser qu’elle répondait aux instructions de son chef, qui aurait eu l’autorité d’ordonner la délivrance du permis de séjour temporaire. En tant que surintendante, la fonctionnaire n’avait pas le pouvoir d’ordonner à l’agent des services frontaliers de délivrer le permis de séjour temporaire; il n’y a aucune preuve qu’elle l’a fait.

70        La réponse de la DSPNP à la réfutation reprend essentiellement les constatations du rapport tout en admettant que les déclarations des témoins relèvent pour la plupart du [traduction] « ouï-dire ». Lorsqu’on lui a demandé, à l’audience, la raison pour laquelle on avait conservé les déclarations des témoins dans le rapport si elles n’étaient que du [traduction] « ouï-dire », M. McCarthy a répondu qu’il s’agissait d’une très bonne question; il en ignorait la raison, à l’exception du fait que les affaires s’étaient déroulées d’une façon un peu précipitée.

71        Des courriels supplémentaires, découverts après l’entrevue, ont été utilisés aux fins du rapport. D’après la réponse de la DSPNP du 30 juillet, la réfutation était l’occasion pour la fonctionnaire de répliquer. Une fois de plus, le rapport révisé qu’elle a reçu empêchait la fonctionnaire de fournir une réponse complète.

72        Le rapport cite le courriel suivant à titre d’exemple lié à la prestation d’une aide extraordinaire. Voici la version révisée reçue par la fonctionnaire :

[Traduction]

Le 5 juillet 2013, [caviardé] a écrit : « […] habituellement, [caviardé] aide les groupes [caviardé] […] mais j’ai dit à [caviardé] qu’il y avait cette dame extraordinaire à la frontière qui s’occupait de nous […] Nous sommes à moins de deux semaines du lancement de [caviardé] […] je veillerai à vous en envoyer une copie dès que je les aurai […] ».

73        La fonctionnaire a affirmé ce qui suit dans sa réfutation : [traduction] « On ne m’a ni fourni ce courriel ni posé de questions à son sujet pendant l’entrevue de l’ENP et je ne suis pas en mesure de commenter. En outre, le rapport ne confirme pas que cet extrait est tiré de mon courriel. »

74        Voici la réponse de la DSPNP du 30 juillet, à l’égard de ce passage :

[Traduction]

26. Cette preuve supplémentaire d’une situation où GRANT fournit une aide extraordinaire à ses amis, par opposition au fait de leur demander d’avoir recours aux services d’une autre personne qui s’occupe des concerts à Rama a été découverte après l’entrevue de l’ENP. La réfutation était l’occasion pour GRANT d’aborder cette question.

75        À l’audience, la fonctionnaire a expliqué de façon plus détaillée qu’il lui semblait qu’offrir de l’aide était une partie normale de son travail. Les groupes auraient pu trouver les renseignements qu’elle leur avait fournis en ligne. Certains individus et entreprises offrent le simple service de remplir le manifeste et de traiter l’examen préalable auprès d’un point d’entrée en échange d’honoraires. En offrant de l’aide, la fonctionnaire aidait les organisateurs de tournées à éviter des coûts. Il n’y a ni preuve de favoritisme ni indication selon lesquelles le même service d’examen préalable et la même aide n’auraient pas été offerts à tout autre groupe.

76        Une fois de plus, il semble important de souligner que la fonctionnaire n’avait pas accès à ses courriels pendant qu’elle répondait aux allégations, alors que le défendeur y avait accès pendant toute la durée de l’enquête. Selon elle, le service qu’elle a offert aux groupes de musique country ne diffère en rien du service qu’elle a offert aux autres clients, ce que le défendeur n’a pas contredit.

77        Dans le rapport sur la réunion du Comité du 7 août 2014, au cours de laquelle on a recommandé la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire, la note suivante apparaît, qui semble constituer la justification de la révocation dans son intégralité :

[Traduction]

Le Comité d’examen de la sécurité (CES) (le 7 août 2014) a souligné ce qui suit :

  1. GRANT a consacré beaucoup d’efforts dans sa réfutation, cependant, tous les membres du Comité ont convenu que sa réfutation ne répondait pas complètement ou n’abordait pas les allégations mises de l’avant dans le rapport de l’ENP.
  2. GRANT a continuellement abusé de son autorité et de son poste à l’ASFC en vue d’obtenir des avantages des clients.
  3. GRANT n’avait aucune raison d’assurer le traitement ou de procéder à l’examen préalable des personnes qu’elle connaissait, alors qu’en fait elles auraient dû être renvoyées à un autre employé de l’ASFC pour obtenir de l’aide.
  4. GRANT, dans sa réfutation, n’a jamais nié les allégations.
  5. GRANT démontre du remords à l’égard des questions qui ne sont pas liées à la sécurité (commentaires offensants), mais n’a démontré aucun remords à l’égard des questions de fond.
  6. L’honnêteté, l’intégrité et la fiabilité de GRANT demeurent douteuses.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

78        À la suite de la réunion du Comité, M. Giguère, l’agent de sécurité ministériel, a signé la lettre de révocation le 27 août 2014. Étant donné que la cote de fiabilité est une condition essentielle pour travailler à l’ASFC, le licenciement de la fonctionnaire était automatique.

79        À l’audience, M. Giguère a fait référence à la réfutation de la fonctionnaire pour justifier sa décision de révoquer sa cote fiabilité. Plus précisément, il a mentionné une phrase du paragraphe cité plus tôt : [traduction] « Je comprends si, à l’avenir, l’ASFC estime que je devrais me récuser lorsque je traite avec mes amis qui proviennent du domaine du divertissement. » Selon M. Giguère, cette seule phrase démontre que la fonctionnaire n’a pas compris l’importance du conflit d’intérêts; elle attendait que le défendeur lui dise ce qu’elle devait faire, car elle n’y voyait aucun acte répréhensible. Par conséquent, sa fiabilité a été remise en question.

80        M. Giguère et M. McCarthy ont fait référence aux principes de la cote de fiabilité, exprimés, en anglais, par l’acronyme « HIT », soit l’honnêteté (honesty), l’intégrité (integrity) et la fiabilité (trustworthiness). Selon ces deux témoins, dans le cas de la fonctionnaire, c’est surtout la fiabilité qui est remise en question.

81        M. Giguère n’a pas fait référence à une autre lettre que la fonctionnaire lui a envoyée en juillet 2014. Cette lettre de la fonctionnaire se termine comme suit :

[Traduction]

J’ai assumé entièrement les erreurs que j’ai commises, telles qu’elles sont indiquées dans le rapport définitif de l’ENP, soit mon recours à un langage inapproprié dans mon courriel de l’ASFC. Je m’assurerai que cela ne se reproduise plus.

En outre, je comprends maintenant pleinement les changements apportés au Code de conduite en ce qui concerne la perception. Je comprends maintenant que, même si j’ai respecté toutes les procédures appropriées à l’égard du dédouanement des personnes et des artistes professionnels qui entrent au Canada, l’aide que j’offre aux clients de l’industrie de la musique country pourrait être perçue comme un conflit d’intérêts étant donné que je suis une amatrice de musique country. À l’avenir, je respecterai toutes les directives transmises par mes superviseurs en ce qui concerne l’aide que j’offre aux artistes de la musique country. Je me conduirai également avec prudence dans tout ce que je fais.

En raison de ce qui précède, je vous demande respectueusement de rétablir ma cote de fiabilité.

82        Il n’y a aucune indication que cette lettre a été montrée au Comité.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

83        Selon le défendeur, la Commission n’a pas compétence en ce qui concerne les griefs qui portent sur l’ENP, la suspension pour une durée indéterminée de la fonctionnaire, et la suspension et la révocation de sa cote de fiabilité.

84        Le défendeur a fait valoir que l’ENP était de nature administrative et qu’elle ne pouvait être renvoyée à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la LRTFP. Il a également fait valoir que l’enquête était équitable sur le plan de la procédure. De toute façon, tout vice de procédure qui est survenu a été réglé par la présente audience (Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (QL)(C.A.).

85        La suspension pour une durée indéterminée n’était pas de nature disciplinaire, mais administrative; par conséquent, une fois de plus, la Commission n’a pas compétence. Il n’y avait aucune intention disciplinaire, le défendeur avait plutôt besoin de mener une enquête approfondie pour déterminer si ses intérêts en matière de sécurité étaient menacés. En raison de la suspension de la cote de fiabilité de la fonctionnaire, soit une condition d’emploi essentielle, le défendeur n’avait d’autre choix que de la suspendre. De toute façon, la question relative à la suspension est théorique, car son licenciement était rétroactif à la date de la suspension.

86        Qui plus est, le défendeur a soutenu que la Commission n’avait pas compétence en ce qui concerne la suspension et la révocation subséquente de la cote de fiabilité de la fonctionnaire, qui seraient admissibles à l’arbitrage seulement s’il s’agissait de mesures disciplinaires; dans le cas contraire, le recours correspondrait alors à une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale (Myers c. Canada (Procureur général), 2007 CF 947).

87        Selon le défendeur, la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire suffit à justifier son licenciement aux termes de l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C., 1985, ch. F-11; la « LGFP »). La question ne consiste pas à déterminer si la décision de révoquer sa cote de fiabilité était déraisonnable ou de mauvaise foi, mais plutôt à déterminer si elle constituait une mesure disciplinaire. Dans la négative, la Commission n’a pas compétence, puisque la révocation de la cote de fiabilité est un motif aux fins de la LGFP.

88        Il n’y a aucune indication selon laquelle la mesure de sécurité prise par M. Giguère, soit la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire, avait pour but d’imposer une mesure disciplinaire; dans les faits, M. Giguère n’avait aucun pouvoir disciplinaire sur elle.

89        Le défendeur a soutenu que Heyser c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2015 CRTEFP 70, où l’arbitre de grief a conclu que la révocation de la cote de fiabilité pouvait être examinée par un arbitre de grief, était erronée. De toute façon, Heyser se distingue de la présente affaire. En l’espèce, deux processus distincts ont eu lieu, un de nature disciplinaire; l’autre, motivé par la sécurité. Le processus lié à la sécurité a été appliqué logiquement et, en fin de compte, a abouti à la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

90        La fonctionnaire a soutenu que, contrairement à ce qu’a fait valoir le défendeur, la Commission avait compétence pour examiner la décision de révoquer sa cote de fiabilité sans avoir à déterminer s’il s’agissait en fait d’une mesure disciplinaire déguisée.

91        La position du défendeur va à l’encontre d’une interprétation appropriée et éloquente de l’article 209 de la LRTFP. Attendu que l’alinéa 209(1)b) confère à la Commission compétence en ce qui concerne les mesures disciplinaires, l’alinéa 209(1)c) lui confère compétence en ce qui concerne les licenciements en vertu de la LGFP pour des motifs qui ne sont pas liés à une inconduite ou à un manquement à la discipline. Pour que la compétence de la Commission ait un sens quelconque, celle-ci doit jouir d’un pouvoir général d’évaluer la procédure suivie dans le cadre d’un licenciement qui n’était pas fondé sur un motif disciplinaire. Autrement, l’alinéa 209(1)c) n’est d’aucune utilité.

92        Autrement dit, le fait que le défendeur soutienne qu’un motif administratif sous-tend le licenciement (c’est-à-dire, la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire) ne prive pas la Commission de son rôle d’évaluer si le licenciement découlait d’un motif valable aux termes de la LGFP, ce qui a récemment été  confirmé par la Commission dans Heyser.

93        La fonctionnaire a fait valoir que, en l’espèce comme dans Heyser, la Commission doit se questionner à savoir si le défendeur avait une préoccupation légitime en ce qui concerne le risque de sécurité qu’elle représentait; comme dans Heyser, la réponse devrait être négative.

94        Par conséquent, la Commission a compétence pour examiner le bien-fondé de l’ENP et les décisions de suspendre, puis de révoquer, la cote de fiabilité de la fonctionnaire, car ces faits sous-tendent le licenciement aux termes de la LGFP.

95        En outre, la Commission a compétence pour examiner la suspension et la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire au motif établi par l’ancienne Commission, notamment dans Bergey c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2013 CRTFP 80, soit qu’une telle évaluation relève de la compétence d’un arbitre de grief lorsque les mesures du défendeur sont entachées par la mauvaise foi ou une iniquité procédurale, ou en présence d’une mesure disciplinaire déguisée. Selon la fonctionnaire, toutes ces conditions s’appliquent à la présente affaire.

96        La fonctionnaire a soutenu que l’ENP était viciée. On ne lui a pas communiqué les détails précis des allégations formulées contre elle. Un certain nombre de documents n’ont pas été portés à son attention pendant son entrevue. On n’a jamais abordé avec elle la question des nouveaux renseignements découverts après l’entrevue. La copie révisée du rapport ne fournissait pas tous les renseignements sur lesquels s’était fondé le défendeur au moment de rendre ses décisions.

97        La fonctionnaire a également soutenu que le défendeur avait agi de mauvaise foi en ne tenant pas compte de toute preuve disculpatoire, mais qu’il a plutôt tiré des conclusions injustifiées. D’après le rapport et le témoignage de l’enquêteur, il est manifeste que l’enquête sur les allégations formulées contre l’ancien chef au point d’entrée de Fort Erie a joué un rôle important dans l’enquête sur les allégations formulées contre la fonctionnaire. L’enquête a omis de tenir compte de la hiérarchie entre l’ancien chef et la fonctionnaire et n’a pas tenu compte du fait que ses actions se situaient dans les limites des pratiques acceptées au point d’entrée de fort Erie.

98        L’enquête était partiale et son résultat prédéterminé, ce qui est manifeste à la lumière du fait qu’aucune des explications fournies par la fonctionnaire en guise de réponse ne figure dans le rapport; il est demeuré inchangé dans son intégralité, et ce, malgré les nombreuses corrections qu’elle a mises au jour.

99        Le processus de suspension, puis de révocation, de la cote de fiabilité de la fonctionnaire était également vicié. Très peu de renseignements lui ont été communiqués au sujet des préoccupations en matière de sécurité et aucune indication quant au type de renseignement qu’elle devrait fournir afin de contrer la remise en question de son intégrité et de sa fiabilité ne lui a été fournie. Le processus du Comité s’est déroulé sans qu’elle puisse formuler de commentaires significatifs.

100        La fonctionnaire a également fait valoir que le Comité avait omis de suivre sa propre procédure. Il n’a tenu compte que des éléments négatifs de l’enquête, sans prendre en considération l’absence totale de mesures disciplinaires dans le dossier de la fonctionnaire ou ses explications à propos des allégations, malgré son mandat de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes. Il semble n’y avoir eu aucune discussion significative au sujet des risques réels pour la sécurité. Les préoccupations relatives à la sécurité qui ont mené à la suspension et à la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire n’ont jamais été abordées avec cette dernière ou dans le cadre du processus de prise de décision, et elles n’ont pas été précisées durant l’audience.

101        Selon le propre raisonnement du défendeur, une audience de novo devant la Commission ne peut remédier à ces vices de procédure, puisque l’absence de compétence de la Commission lui interdit de revoir les décisions qui ont mené à la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire.

102        La suspension de la fonctionnaire était initialement une mesure disciplinaire, tel qu’il est indiqué dans la lettre du 10 juin; la suspension de la cote de fiabilité s’en est suivie. En réalité, il ne s’agissait que d’une continuation de la suspension disciplinaire. Sa suspension découlait directement des constatations d’inconduite qui étaient le résultat de l’enquête; par conséquent, on peut logiquement considérer la suspension comme étant disciplinaire.

103        Finalement, la fonctionnaire a fait valoir que le licenciement pouvait être considéré comme une mesure disciplinaire déguisée. Selon le témoignage de M. Comerford, le licenciement aurait été le résultat disciplinaire de l’enquête, mais le processus relatif à la sécurité l’avait emporté sur ce processus. Selon la fonctionnaire, le processus de sécurité a eu préséance afin d’éviter l’examen plus minutieux que la Commission aurait appliqué à un licenciement disciplinaire.

IV. Motifs

104        Il y a une certaine confusion quant à la numérotation des griefs. Cependant, il existe une entente en ce qui concerne leur fond : ils portent sur l’ENP, sur la suspension pour une durée indéterminée, sur la suspension et la révocation de sa cote de fiabilité, et sur son licenciement.

105        Le défendeur s’est opposé à la compétence de la Commission à l’égard de la suspension et de la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire, et je trancherai cette objection dans les prochains paragraphes. Il s’est également opposé à la compétence de la Commission à l’égard de l’ENP, car il s’agissait d’un processus administratif. Puisque l’ENP a mené à la suspension et à la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire, si je conclus que la Commission a compétence pour examiner cette suspension et cette révocation, il s’ensuivrait qu’elle a compétence pour se pencher sur l’enquête et la façon dont elle a été menée. En ce qui concerne le licenciement, la Commission a compétence en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP. Dans la fonction publique fédérale, un licenciement doit être motivé. Il se peut que le défendeur ait eu un motif, mais la Commission exerce toujours sa compétence pour déterminer si tel était le cas.

A. Objection à la compétence

106        Je tiens à commencer par une citation qui éclaire les motifs présents, tirée de Canada (Procureur général) c. Grover, 2007 CF 28 :

[46] La LRTFP[Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, (L.R.C. (1985) ch. P-35),loi qui a précédé la LRTFP] établit un régime applicable à la résolution des griefs déposés par les employés du secteur public fédéral. Conformément à ce régime, certains griefs sont classés comme griefs non susceptibles d’arbitrage, ce qui signifie que la décision de dernier niveau est celle de l’employeur et que l’employé n’a pas droit à un arbitrage indépendant; cependant, les employés ont le droit à l’arbitrage devant la Commission pour d’autres genres de questions qui sont jugées de portée plus grande. Les tribunaux ont reconnu depuis longtemps que certains employeurs pourraient vouloir se soustraire à un arbitrage en tentant de dissimuler la vraie nature de leurs décisions. Les arbitres de la Commission doivent considérer le fond d’une décision plutôt que sa forme lorsqu’ils se demandent s’ils ont ou non compétence. Selon les mots de la Cour d’appel, « l’on ne peut tolérer que, par l’effet d’un camouflage, une personne soit privée de la protection que lui accorde une loi ». […] (Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), [1989] A.C.F. no 461 (QL))

107        Le défendeur s’est opposé à la compétence de la Commission de trancher la suspension et la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire, car il s’agit de mesures disciplinaires à l’égard desquelles la Commission n’a pas compétence. Les dispositions qui donnent compétence à la Commission pour trancher les griefs figurent à l’article 209 de la LRTFP et sont libellées comme suit :

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

[…]

108        La LGFP prescrit le pouvoir du Conseil du Trésor sur les affaires liées à la fonction publique fédérale. Le licenciement (qui est délégué aux administrateurs généraux) est l’un des pouvoirs du Conseil du Trésor, mais il doit toujours être motivé. Aux fins de la présente décision, les dispositions pertinentes de la LGFP sont libellées comme suit :

                   […]

12 (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

[…]

c) établir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires;

                […]

e) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique;

      […]

(3) Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation découlant de l’application des alinéas (1)c), d) ou e) ou (2)c) ou d) doivent être motivés.

[…]

109        Il existe deux approches possibles pour traiter la question de l’objection du défendeur. La première consiste à examiner le grief de licenciement aux termes de l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP; la deuxième consiste à examiner tous les griefs aux termes de l’alinéa 209(1)b). La fonctionnaire a invoqué les deux dispositions dans son avis de renvoi à la Commission aux fins d’arbitrage de ses griefs. J’aborderai l’alinéa 209(1)b) plus loin dans la décision.  

110        En vertu de l’alinéa 209(1)c), j’arrive à la conclusion que la Commission a compétence pour se pencher sur la révocation de la cote de fiabilité, car il s’agit du motif de licenciement. 

111        Le défendeur m’a renvoyée à Myers pour démontrer que seule la Cour fédérale a compétence pour examiner la révocation d’une cote de fiabilité. M. Myers a été licencié et sa cote de fiabilité a été révoquée par la suite. Il a demandé un contrôle judiciaire de cette décision subséquente. Étant donné que la révocation a eu lieu après son licenciement, il n’avait pas accès à la procédure de règlement des griefs, car il n’était plus un employé au moment de la révocation de la cote de fiabilité. Les faits de la présente affaire sont très différents : la perte de la cote de fiabilité précède le licenciement et en constitue le motif.

112        Il n’est pas contesté que la Commission a compétence pour se pencher sur un licenciement aux termes de l’alinéa 12(1)e) de la LGFP et déterminer si le motif invoqué est le motif réel et non un subterfuge. Autrement dit, la Commission a compétence pour se pencher sur la légitimité de la révocation de la cote de fiabilité, qui est le motif de licenciement énoncé. J’ajouterais que le défendeur n’a présenté aucune jurisprudence à l’appui de la proposition selon laquelle la Cour fédérale représente la tribune adéquate pour trancher l’affaire en première instance s’il existe un motif de licenciement dans la fonction publique. Ce pouvoir est expressément et exclusivement conféré à la Commission par l’article 209 de la LRTFP. Pour déterminer s’il existe un motif, il faut nécessairement examiner la cause alléguée.

B. Révocation de la cote de fiabilité comme motif de licenciement illégitime

113        Selon la lettre de licenciement de la fonctionnaire, la révocation de sa cote de fiabilité constitue le motif de licenciement. La lettre précise également que le licenciement est exécuté en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la LGFP.

114        Heyser, une décision récente de la Commission, portait sur une situation similaire, dans laquelle l’inconduite de la fonctionnaire a entraîné la révocation de sa cote de fiabilité ainsi que son licenciement subséquent. Je suis d’accord avec l’arbitre de grief dans Heyser. En effet, puisque les arbitres de grief ont compétence pour trancher un grief pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline et puisque le licenciement doit être motivé, un arbitre de grief est obligé, tant en l’espèce que dans Heyser, d’examiner si le motif allégué pour la révocation de la cote de fiabilité est légitime, par opposition à un subterfuge ou à un camouflage.

115        Dans la lettre du 27 août 2014 de M. Giguère, il a même été question de la compétence de la Commission d’examiner la révocation de la cote de fiabilité. M. Giguère a soulevé ce qui suit dans l’avant-dernier paragraphe de sa lettre :

[Traduction]

L’article 6 de la Politique sur la sécurité du gouvernement, Norme sur la sécurité du personnel, du Secrétariat du Conseil du Trésor stipule que vous pouvez contester une décision négative fondée sur les résultats d’une vérification de la fiabilité en utilisant la procédure actuelle de règlement des griefs conformément aux articles 208 et 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ainsi qu’au moyen d’une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne ou la Cour fédérale, Section de première instance.

116        La « Norme sur la sécurité du personnel » du Conseil du Trésor a été annulée le 20 octobre 2014, mais s’appliquait au moment du licenciement de la fonctionnaire. On y indique, à l’article 6, « Révision et mesures de redressement », au paragraphe 6.2, « Cote de fiabilité », ce qui suit :

Les fonctionnaires qui souhaitent contester une décision négative fondée sur les résultats d’une vérification de la fiabilité peuvent utiliser la procédure actuelle de règlement des griefs conformément aux sections 91 et 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Les ministères […] doivent s’assurer que les griefs au sujet des vérifications de la fiabilité passent directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

Les personnes autres que les fonctionnaires fédéraux, comme les postulants et les entrepreneurs, peuvent porter plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne, à la Direction des enquêtes de la Commission de la fonction publique ou devant la Division de première instance de la Cour fédérale, selon le cas. 

[Je souligne]

117        En conséquence, il y a une distinction entre un individu au sein de la fonction publique fédérale et un individu de l’extérieur. Les individus au sein de la fonction publique fédérale ont accès à la procédure de règlement des griefs afin de contester les décisions négatives fondées sur des vérifications de la fiabilité. Les articles 91 et 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C., 1985, ch. P-35), dont il est question dans l’extrait, sont les prédécesseurs des articles 208 et 209 de la LRTFP. Étant donné que la révocation de la cote de fiabilité n’est pas expressément mentionnée dans ces articles, la réparation doit porter sur la suspension ou le licenciement qui découle de la suspension ou de la révocation de la cote de fiabilité, comme étant une « […] décision négative fondée sur les résultats d’une vérification de la fiabilité […] », tel qu’il est indiqué dans la dernière citation.

118        Pour déterminer si la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire était légitime, j’ai examiné les documents applicables à sa cote de fiabilité. Même si l’agent de sécurité ministériel n’était pas lié par la recommandation du Comité, on a fait grand cas de ce processus pour montrer la façon dont l’examen de la cote de fiabilité a été mené.

119        Deux documents portent sur le processus du Comité: le mandat du Comité et une liste de contrôle pour le Comité. Les deux documents renvoient à la Norme sur la sécurité du personnel.

120        La Norme sur la sécurité du personnel, au paragraphe 2.7, énumère comme suit les critères pris en considération aux fins des vérifications :

  • 2.7.1 Vérification des données personnelles, des études, des données sur l’emploi et des recommandations des anciens employeurs
  • 2.7.2 Résultats de la vérification nominale du casier judiciaire
  • 2.7.3 Disparité entre la VNCJ et la déclaration de l’existence d’un casier judiciaire
  • 2.7.4 Vérification du crédit
  • 2.7.5 Dispositions particulières du Code criminel qui empêchent l’emploi, à moins d’avoir obtenu un pardon.

121        Vraisemblablement, la cote de fiabilité serait réévaluée si l’un de ces facteurs était modifié en cours d’emploi, ce qui n’était pas le cas de la fonctionnaire.

122        Le mandat du Comité est le suivant :

[Traduction]

Le mandat du Comité d’examen de la sécurité (CES) consiste à examiner et à évaluer les renseignements afin de formuler des recommandations à l’agent de sécurité ministériel (ASM) sur les suspensions, révocations ou rétablissement des cotes de sécurité pour les employés actuels, et la délivrance de lettres d’avis de sécurité lorsque les risques liés à la sécurité peuvent être acceptés par l’ASM.

123        La section intitulée [traduction] « Rôles et responsabilités » précise que le Comité se penchera sur les circonstances des affaires qui lui sont présentées en évaluant la personne par rapport à ce qui suit : l’honnêteté, l’intégrité et la fiabilité. Le mandat ajoute ensuite ce qui suit :

[Traduction]

Le Comité examine également les renseignements de l’évaluation de sécurité tirés de la Politique sur la sécurité du gouvernement (PSG) du Conseil du Trésor du Canada.

Conformément à la PSG, les renseignements négatifs concernant une personne sont évalués par rapport à ce qui suit :

  • leur nature;
  • leur gravité;
  • les circonstances entourant l’affaire;
  • la fréquence;
  • la volonté de participation;
  • l’âge de la personne au moment de l’incident;
  • le degré de réhabilitation.

D’autres facteurs d’évaluation :

  • la reconnaissance de la gravité de l’inconduite par l’employé;
  • les facteurs aggravants et atténuants;
  • la possibilité que cette situation soit une erreur de jugement (intention et mens rea);
  • autres circonstances personnelles pertinentes;
  • les conséquences en termes de dommage, réel ou potentiel, pour l’organisation;
  • comment une personne raisonnable placée dans le même contexte interpréterait-elle les faits;
  • l’organisation est-elle prête à accepter le niveau de risque que représente cet employé;
  • examiner la prépondérance des probabilités;
  • la gravité de l’inconduite.

124        Les renseignements tirés de l’évaluation de sécurité présentée ci-dessus se rapportent aux cotes de sécurité, pas aux cotes de fiabilité. En appliquant ces critères aux réévaluations de la cote de fiabilité (comme on semble l’avoir fait dans ce cas), le Comité a appliqué une norme beaucoup plus stricte que celle prévue dans la Norme sur la sécurité du personnel.

125        Il s’agit peut-être de la prérogative du défendeur; cependant, l’imposition de ces conditions supplémentaires à un examen de la cote de fiabilité peut entraîner des résultats inéquitables, comme il est nettement illustré dans la présente affaire.

126        Pour qu’un motif de licenciement soit légitime, celui-ci doit être raisonnable. Le caractère raisonnable peut être une expression vague, ce qui explique pourquoi les tribunaux canadiens ont tenté d’établir les paramètres du caractère raisonnable dans les différentes circonstances où l’expression peut s’appliquer.

127        La Cour suprême du Canada a établi dans Dunsmuir C. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, une définition utile du caractère raisonnable dans le contexte du droit administratif. Bien que la définition soit présentée dans le contexte d’un contrôle judiciaire, elle est toujours utile afin de présenter les paramètres d’une « décision raisonnable » :

[…] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [Dunsmuir, au paragr. 47]

128        Le défendeur a déclaré que son objectif dans le cadre de l’application de la vérification de la cote de fiabilité était de veiller à ce qu’on puisse faire confiance aux agents frontaliers en ce qui concerne leur utilisation des biens et renseignements du gouvernement, et de formuler des décisions d’une façon qui assure la sécurité et l’intégrité des services, dans le contexte de la sécurité frontalière. La révocation de la fiabilité doit être fondée sur des faits qui appuient logiquement la décision.

129        La vérification de la fiabilité doit également être menée tout en protégeant les droits de la personne qui en font l’objet, tel qu’il est indiqué dans la Norme sur la sécurité du personnel. La protection de la vie privée et le droit de répondre aux allégations défavorables sont de tels droits. Dans le cas d’un employé, un examen de la cote de fiabilité doit également respecter le droit de cet employé à faire son travail, lequel droit n’est pas absolu, mais qui représente un élément important de la dignité et du sens de valeur d’une personne dont il faut tenir compte. Le passage suivant de Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, au paragr. 91, par le juge en chef Dickson, est souvent cité sur ce sujet :

Le travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel […]

130        Le fait de ne pas tenir compte de l’expérience professionnelle de la fonctionnaire dans le cadre de l’examen était une lacune dans le processus du Comité et dans les décisions subséquentes de suspendre, puis de révoquer, la cote de fiabilité de la fonctionnaire. Le processus était tellement axé sur l’acte répréhensible allégué qu’il semble que le profil professionnel de la fonctionnaire ait été complètement ignoré. On n’a pas tenu compte de l’environnement de travail au point d’entrée de Fort Erie; ses superviseurs n’ont pas été consultés, et ses titres de compétence à titre d’employé engagée n’ont pas été pris en considération. Au lieu de cela, le défendeur n’a fait aucun effort pour corriger, voire signaler, l’inconduite perçue, laquelle a servi de raisonnement intégral pour trancher l’avenir de la fonctionnaire. Les points mentionnés dans la recommandation définitive du Comité de révoquer la cote de fiabilité de la fonctionnaire montrent à quel point l’inconduite était importante pour le Comité, sans réflexion à l’égard d’une possible correction.

131        Certaines conclusions du Comité menant à la révocation de la cote de fiabilité ne sont fondées sur aucune preuve concrète, notamment [traduction] « GRANT a continuellement abusé de son autorité et de son poste à l’ASFC en vue d’obtenir des avantages des clients », pour laquelle il n’existe aucune preuve. La fonctionnaire n’avait pas le pouvoir d’imposer une décision quelconque aux agents des services frontaliers du service de l’immigration. Elle n’a jamais offert un service qui n’aurait pas été offert à d’autres clients, y compris la vérification préalable, un processus reconnu au point d’entrée de Fort Erie. D’après le ton de ses échanges avec des amis, par l’intermédiaire de son courriel de l’ASFC ou de son courriel personnel (son domaine privé), tous les soi-disant avantages découlaient d’amitiés de longue date, non pas de services de l’ASFC. Je suis d’accord avec le défendeur que de tels échanges n’ont pas leur place dans un contexte professionnel. Cela dit, le contexte plus vaste signale des relations de longue date qui ne sont pas liées à des faveurs à la frontière.

132        Une autre conclusion injuste est celle selon laquelle la fonctionnaire n’a pas répondu entièrement aux allégations contenues dans le rapport. Comme on l’a démontré plus tôt, le rapport révisé ne fournissait pas toutes les informations à la fonctionnaire, plus particulièrement puisqu’il comprenait des courriels caviardés qu’on ne lui avait pas montrés lors de l’entrevue. Le caractère incomplet de sa réfutation ne peut certainement pas être lié à un manque de fiabilité.

133        Pour appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », la révocation de la cote de fiabilité devrait être fondée sur des préoccupations authentiques au sujet de la fiabilité de la fonctionnaire. Aucune preuve n’a été présentée démontrant en quoi la fonctionnaire était peu fiable. Il peut y avoir eu apparence de conflit d’intérêts et utilisation de son courriel personnel pour répondre aux demandes de renseignements, mais un tel comportement aurait facilement pu être corrigé. Aucun effort n’a été fait pour traiter l’inconduite qui sous-tend la décision. La fonctionnaire comptait treize années de rendement impeccable. On aurait très certainement dû en tenir compte. Il ne s’agit pas d’un cas où le comportement est si flagrant qu’on ne peut plus avoir en confiance en l’employé. Il s’agit plutôt d’une situation où la perception de conflit d’intérêts aurait facilement pu être réglée par le défendeur.

134        La décision de révoquer la cote de fiabilité de la fonctionnaire n’était pas réellement fondée sur des préoccupations en matière de sécurité. Elle était plutôt fondée entièrement sur une inconduite, sans aucune tentative de la corriger ni opportunité de le faire, et sans avertissement. La décision n’a pas tenu compte du rendement antérieur de la fonctionnaire, de ses déclarations disculpatoires ou de son intention déclarée de se conformer à toute directive que le défendeur lui communiquerait. Enfin, le Comité ne dispose d’aucune expertise particulière en matière de sécurité.

135        Qui plus est, la décision était fondée sur une enquête déficiente. Je suis d’accord avec la fonctionnaire que le processus d’enquête était profondément vicié et inéquitable sur le plan de la procédure. On ne lui a donné aucun accès aux outils de travail (ses journaux, son courriel, etc.) qui lui auraient permis de répondre adéquatement aux allégations du défendeur. Le rapport révisé était incomplet au point d’être parfois incompréhensible. Le défendeur et le Comité n’ont pas tenu compte de ses explications. Des renseignements préjudiciables fournis par les déclarations des témoins qui ont finalement été écartés par le défendeur, d’après ce qui a été affirmé à l’audience, ont néanmoins été laissés dans le rapport et n’ont pas été corrigés aux fins du deuxième examen du Comité.

136        Je suis également d’accord avec la fonctionnaire que le rapport préjudiciable a du sens seulement s’il est examiné à la lumière de l’autre enquête importante sur les allégations concernant l’ancien chef. Les allégations tirées de ce rapport ont fait leur chemin dans le rapport qui portait prétendument sur la fonctionnaire. La confusion entre les deux rapports est pour le moins troublante.

137        D’après la preuve, le défendeur n’a pas démontré que la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire était raisonnablement nécessaire pour assurer la sécurité de l’ASFC en tant qu’organisation. En conséquence, la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire, qui a nécessairement mené à son licenciement, était déraisonnable. On ne peut affirmer que la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire constitue un motif légitime pour son congédiement.

C. Analyse en vertu de l’alinéa 209(1)b) : la révocation et la suspension de la cote de fiabilité étaient des mesures disciplinaires déguisées

138        En vertu de l’alinéa 209(1)b), la Commission a compétence si j’arrive à la conclusion que la révocation et la suspension de la cote de fiabilité de la fonctionnaire étaient des mesures disciplinaires, tel qu’il a été confirmé dans de nombreuses décisions de l’ancienne Commission : Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CRTFP 63, aux paragr. 135 à 140; Bergey c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada) et Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2013 CRTFP 80, aux paragr. 814; Gravelle c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2014 CRTFP 61, au paragr. 103. J’arrive effectivement à la conclusion que la suspension et la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire étaient des mesures disciplinaires.

139        Après 13 années en tant qu’employée dont le dossier était impeccable, et après avoir été promue de façon intérimaire, puis pour une durée indéterminée au poste de surintendante, la fonctionnaire a été congédiée sur la base d’un rapport présentant plusieurs cas d’inconduite entièrement liés au Code de conduite. Tel qu’il a été mentionné, au chapitre 2, section G, « Conséquences », le Code de conduite prévoit des sanctions disciplinaires dans les cas d’inconduite : « Si nous ne nous conformons pas aux exigences énoncées dans le présent chapitre, nous pouvons faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement ».

140        D’après la preuve, le défendeur n’est pas préoccupé par la sécurité, mais par l’inconduite : le langage inapproprié, l’utilisation abusive du compte de courriel de l’ASFC, la divulgation de renseignements sur des tiers ainsi qu’un conflit d’intérêts apparent. J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi ces comportements n’ont jamais été portés à l’attention de la fonctionnaire afin de lui permettre de les corriger. Elle a plutôt eu à répondre au rapport révisé sans avoir accès à son courriel professionnel afin de réfuter les allégations. Ses explications ont été écartées, tout comme ses promesses de modifier son comportement afin de se conformer aux directives du défendeur. Des renseignements préjudiciables ont trouvé leur voie dans le rapport, et ce, même s’ils n’étaient pas étayés. Aucune personne ayant travaillé directement avec la fonctionnaire n’a participé à la décision des sanctions qu’il convenait d’imposer.

141        Le défendeur a soutenu qu’en l’absence d’une intention disciplinaire quelconque, une mesure ne peut être considérée comme étant disciplinaire, conformément au sens des décisions Canada (Procureur général du Canada) c. Grover, 2007 CF 28, ou Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176. Cependant, comme il a également été souligné dans Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 70, la notion de discipline survient dans un contexte où l’effet punitif d’une mesure l’emporte sur son intention administrative initiale. L’arbitre de grief est arrivé à la conclusion qu’une suspension qui a commencé à titre de mesure administrative est devenue une mesure disciplinaire lorsque celle-ci s’est prolongée au-delà d’un mois. Cette conclusion a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, qui a tranché qu’il était loisible à l’arbitre de grief de conclure que la suspension était devenue disciplinaire en raison de sa nature punitive; selon la présomption légale qu’une personne a l’intention de ses actes, on pourrait sous-tendre que le défendeur avait l’intention de punir au moyen d’une suspension prolongée.

142        En appliquant ce même raisonnement dans la présente affaire, on peut déduire que le défendeur s’est fié au processus relatif à la cote de fiabilité pour traiter la question disciplinaire. Effectivement, à l’audience, à la question de savoir pourquoi aucune mesure disciplinaire n’avait été imposée, M. Comerford a répondu que la suspension avec traitement imposée le 10 juin 2014, correspondait au début du processus disciplinaire, mais que le processus de sécurité l’avait supplanté.

143        La décision de révoquer la cote de fiabilité de la fonctionnaire était fondée entièrement sur un rapport concluant qu’une inconduite avait eu lieu. La sanction relative à une inconduite devrait être de nature disciplinaire, tel qu’il est indiqué dans le Code de conduite.

144        Comme on l’a souligné dans Grover, citée plus tôt, le remplacement d’un processus disciplinaire par un processus administratif aboutit à des résultats très différents : si la suspension et la révocation de la cote de fiabilité correspondent à des mesures administratives, l’employé ne dispose alors d’aucun recours à l’arbitrage (à tout le moins, selon la position du défendeur). Si ces mêmes mesures sont considérées comme étant disciplinaires, l’employé a effectivement recours à l’arbitrage. Ce qui est frappant dans la présente affaire, c’est que la fonctionnaire n’ait eu absolument aucune occasion de corriger son comportement. L’absence d’une mesure disciplinaire, alors qu’elle semblerait être la réponse appropriée, peut être un indicateur d’une situation disciplinaire camouflée dans le but de donner l’apparence d’une mesure administrative.

145        Dans la jurisprudence sur l’arbitrage en relations de travail, la mesure disciplinaire progressive a été élaborée sur la base d’un raisonnement équitable. Il est injuste de congédier un employé sans lui donner un avertissement raisonnable que son comportement est inacceptable. Dans la même veine, dans la présente affaire, il était injuste de congédier la fonctionnaire sans lui donner un avertissement raisonnable.

146        Selon l’agent de sécurité ministériel, M. Giguère, le manque de compréhension en ce qui concerne le conflit d’intérêts dans lequel elle se trouvait constitue la raison principale de la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire. Elle a répondu qu’elle ne voyait pas le conflit d’intérêts, car elle n’avait jamais utilisé son poste dans le but d’obtenir un avantage quelconque, et toute aide ou tout renseignement qu’elle avait donné l’aurait été à tout membre du public.

147        Dans le Code de conduite, sous « Évitement des traitements de faveur », dans la section « Conflit d’intérêts en cours d’emploi », on peut lire la phrase suivante : « Transmettre de l’information accessible au grand public n’est pas considéré comme un traitement de faveur ».

148        L’ancien superviseur de la fonctionnaire a soulevé que les agents des services frontaliers répondent constamment à des questions d’amis et de membres de la famille à propos des règles à la frontière. L’ancien superviseur ne voyait rien de mal à répondre à ces questions, pourvu que les réponses soient exactes.

149        Aucune preuve n’a démontré que la fonctionnaire fournissait des renseignements inexacts ou qu’elle avait autorisé des personnes par ailleurs inadmissibles à entrer au Canada. En un certain nombre d’occasions, elle a renvoyé ses amis à d’autres agents des services frontaliers, ou elle a fourni le courriel ou le numéro de télécopieur d’autres points d’entrée.

150        Le défendeur a très certainement le droit de veiller à ce que certains protocoles soient en place afin d’éviter toute apparence de conflit d’intérêts. Le défendeur avait le droit de donner une directive claire à la fonctionnaire selon laquelle elle ne devait pas traiter avec des connaissances personnelles à la frontière afin d’éviter toute apparence de conflit d’intérêts. Il ne l’a jamais indiqué clairement. Selon la directive que la fonctionnaire a reçue de son superviseur, tant que l’information était exacte, elle pouvait la communiquer à quiconque, étranger, ami ou membre de sa famille.

151        La révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire s’est résumée à une question de fiabilité. Il semble complètement injuste et hors de proportion de congédier une employée en raison d’amitiés soupçonnées. Le défendeur aurait facilement pu intervenir et interdire tout contact à la frontière avec des groupes de musique country.

152        Une mesure disciplinaire était la réponse adéquate à l’inconduite. Le défendeur a plutôt eu recours à un exercice de sécurité avec des personnes qui ne connaissaient pas la fonctionnaire, son travail ou la procédure au point d’entrée de Fort Erie et, dans le cas des membres du Comité, qui n’avaient aucune formation ou expertise en matière de sécurité. La suspension et la révocation de sa cote de fiabilité étaient fondées sur des impressions d’inconduite grave. Leur effet était exagérément punitif. Je conclus qu’il s’agissait, en réalité, d’une mesure disciplinaire déguisée.

153        Après avoir été mis en fait des conclusions de l’enquête, la réponse directe et immédiate du défendeur a été la suspension de la cote de fiabilité et la suspension sans traitement subséquente de la fonctionnaire. Sa motivation était plus une réaction à l’égard de l’inconduite perçue qu’une préoccupation en matière de sécurité. M. Comerford a déclaré qu’il avait été [traduction] « choqué » par les allégations de l’enquête; M. Giguère a déclaré qu’il doutait de la fiabilité de la fonctionnaire, car elle ne semblait pas comprendre le conflit d’intérêts. L’intention punitive n’a pas été soulignée explicitement par le défendeur, mais elle a été exprimée par ses actions lorsqu’il a imposé des mesures punitives sans avertissement.

154        Le rapport est daté du 9 juin 2012. M. Comerford a ordonné la suspension avec traitement de la fonctionnaire le 10 juin. Les membres du Comité se sont réunis le 12 juin et la cote de fiabilité de la fonctionnaire a été suspendue le 13 juin. Le Comité a recommandé la suspension sans entendre la fonctionnaire.

155        La fonctionnaire a répondu au rapport le 24 juin. Les membres du Comité se sont réunis de nouveau le 12 août. Ils disposaient du même rapport, de la réfutation et de la réponse de la DSPNP. Dans les notes de la réunion du Comité, l’un des facteurs retenus contre la fonctionnaire est le fait qu’elle n’avait pas répondu entièrement aux allégations. La note ne mentionne pas que la fonctionnaire n’avait pas vu plusieurs courriels et qu’on lui avait remis un rapport révisé.

D. Conclusion

156        Le motif de licenciement déclaré n’est pas le motif réel. La révocation de la cote de fiabilité était un subterfuge. En conséquence, le défendeur n’a pas établi que le licenciement était motivé. La suspension sans traitement était punitive et son motif, soit la suspension de la cote de fiabilité, était une réaction à l’inconduite plutôt qu’à des préoccupations en matière de sécurité. La suspension sans traitement était injustifiée, puisque le processus disciplinaire commençait en fait par une suspension avec traitement. Aucune raison n’a été présentée expliquant pourquoi la cote de fiabilité de la fonctionnaire devrait être suspendue à la suite d’un rapport d’inconduite; une réprimande aurait suffi à mettre fin au comportement. En réalité, la fonctionnaire a continué de travailler longtemps après que les allégations aient fait surface et longtemps après l’entrevue de l’ENP. Comme elle l’a fait valoir, il s’agit d’une raison supplémentaire pour conclure que l’argument du défendeur relatif à la sécurité est plutôt suspect.

157        La suspension et la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire étaient des mesures disciplinaires. Elles étaient fondées sur une inconduite et non sur une évaluation réelle de la fiabilité de la fonctionnaire. La suspension et la révocation de la cote de fiabilité seront annulées. En conséquence, la suspension sans traitement et le licenciement sont également annulés.

E. Réparation

158        Dans ses arguments écrits à la suite de l’audience, le défendeur a proposé que la réparation soit traitée ultérieurement, après que la Commission ait tranché le bien-fondé des griefs. Dans le cadre de la rédaction des présents motifs, j’ai demandé aux parties de présenter leurs arguments relatifs à la réparation.

159        En guise de réponse, le défendeur a déclaré que la fonctionnaire avait demandé que les questions soient scindées en deux. Il a ensuite déclaré que, dans l’éventualité où les griefs seraient accueillis, on devrait accorder 60 jours aux parties pour négocier un règlement, à défaut de quoi il a demandé l’autorisation de présenter une preuve supplémentaire sur la question de la réparation.

160        La fonctionnaire a effectivement présenté des arguments relatifs à la réparation et a demandé ce qui suit :

  • la réintégration immédiate au niveau de surintendante, sans perte d’ancienneté;
  • la suppression du dossier d’emploi de la fonctionnaire de toute mention de l’enquête, du rapport, de la suspension et de la révocation de la cote de fiabilité, des suspensions avec et sans traitement, et du licenciement;
  • le versement de tous les salaires et avantages perdus, y compris les possibilités de travailler des heures supplémentaires, à compter de la date de la suspension sans traitement, avec les intérêts applicables;
  • des dommages généraux au titre de détresse et dommages moral, majoré ou punitif;
  • les frais juridiques.

En réplique, le demandeur a fait valoir que la réintégration, rien de plus, était la réparation adéquate si les griefs étaient accueillis, en tenant compte de la limitation du préjudice. Aucun facteur supplémentaire ne justifierait l’octroi de dommages généraux, majorés ou punitifs, et la Commission n’a pas compétence pour octroyer des dépens.

F. Analyse de la réparation

161        Après avoir examiné les arguments des deux parties, je conclus qu’aucune preuve supplémentaire n’est nécessaire pour me prononcer sur la réparation appropriée. Lorsqu’un congédiement n’est pas motivé, la réparation habituelle est la réintégration, car le licenciement a été annulé. En l’espèce, je ne vois aucune raison pour laquelle la réintégration ne devrait pas être la réparation et, en réalité, les deux parties ont fait valoir qu’il s’agissait de la réparation appropriée si les griefs étaient accueillis. D’après la preuve de la fonctionnaire, je n’ai aucune raison de douter qu’elle puisse réintégrer avec succès son milieu de travail. Le défendeur n’a présenté aucune preuve du contraire.

162        J’accepte la preuve de la fonctionnaire en ce qui concerne la recherche d’emploi difficile qui a suivi son licenciement et qui a été compliquée par la révocation de sa cote de fiabilité. Cette preuve n’a pas été contredite. En réussissant à trouver un autre emploi à Poste Canada, j’estime qu’elle a atténué ses dommages. La fonctionnaire a entrepris dans ses arguments de fournir au défendeur une divulgation complète de ses gains.

163        La fonctionnaire doit être réintégrée avec l’intégralité de son salaire, de ses prestations de retraite et de ses avantages sociaux, et ce, à compter du 13 juin 2014, sans perte d’ancienneté. Les avantages sociaux ne sont pas matériels. Comme dans Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2010 CRTFP 83, aux paragraphes 301 et 302, j’estime qu’il est juste de rembourser à la fonctionnaire les avantages auxquels elle aurait eu droit si elle était demeurée une employée. Le montant des avantages sociaux a été établi à 15 p. 100 du salaire dans Tipple et j’appliquerais le même pourcentage dans la présente affaire.

164        Le défendeur a contesté la question de savoir s’il y a eu des occasions manquées de travailler des heures supplémentaires. Le calcul de ces occasions manquées est nécessairement spéculatif. Les antécédents constituent la meilleure mesure dans les circonstances. Les occasions manquées de travailler des heures supplémentaires doivent être calculées en prenant une moyenne des heures supplémentaires travaillées par la fonctionnaire au cours des trois années précédant le 13 juin 2014.

165        En application de l’alinéa 226(2)c) de la LRTFP, la Commission peut accorder des intérêts dans le cas d’un grief concernant un licenciement. Des intérêts seront ajoutés à l’indemnité pour perte de salaire, d’avantages et d’heures supplémentaires.

166        Des intérêts ont été accordés dans peu d’affaires de la Commission et de l’ancienne Commission. Dans Tipple, l’arbitre de grief a cité Canada (Procureur général) c. Morgan), [1992] 2 C.F. 401 (C.A.), dans laquelle la Cour d’appel fédérale a statué que le taux d’intérêt approprié correspond aux taux publiés des obligations d’épargne du Canada pour les années en cause. Je conclus qu’il s’agit d’une base acceptable pour l’octroi des intérêts. Il s’agira d’un intérêt simple calculé annuellement au taux applicable des obligations d’épargne du Canada pour la période du 13 juin 2014, jusqu’à la date de la présente décision.

167        Tous les gains pour la période du 13 juin 2014, jusqu’à la date de la présente décision, seront déduits de l’indemnité pécuniaire.

168        Malgré le libellé généreux du paragraphe 228(2) de la LRTFP (« […] l’arbitre de grief ou la Commission […] tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée […] »), la Commission n’a pas compétence pour octroyer des dépens, conformément au raisonnement dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53. Il s’agit d’une situation malheureuse, puisque la fonctionnaire, n’étant pas représentée, a dû assumer tous les frais de représentation. L’ancienne Commission a effectivement octroyé certains dépens en une occasion, dans Tipple, que la Cour d’appel fédérale a confirmé dans Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158. Dans cette affaire, des dépens partiels ont été octroyés en raison du fait qu’une entrave à la justice était survenue. Dans sa décision, la Cour d’appel fédérale a réitéré que la LRTFP ne confère pas à la Commission le pouvoir d’adjuger des dépens (voir les paragraphes 20 à 31). Les dépens en raison d’une entrave à la justice « repose[nt] sur un fondement différent » (au paragraphe 27).

169        Conformément au raisonnement dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, je ne crois pas qu’il y ait un délit distinct justifiant l’octroi de dommages. La fonctionnaire s’est appuyée sur Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70, confirmée dans Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2011 CF 1218, pour montrer que des dommages peuvent être accordés dans le cas d’un acte répréhensible de la part d’un employeur. Dans Robitaille, les faits ont révélé de la mauvaise foi de la part de l’employeur. Selon les termes de la Cour fédérale, il existait « […] une faute distincte, à savoir la "malice de l’employeur" » (au paragraphe 56). J’estime qu’il n’y a pas de faute distincte en l’espèce. Je n’ai aucun doute que la fonctionnaire a souffert dans sa vie personnelle en raison du licenciement, mais, d’après la preuve, rien dans les modalités du licenciement n’a causé de préjudice supplémentaire au préjudice très réel associé à la perte de son emploi.

170        J’ai accueilli tous les griefs et ordonné la réintégration et les réparations pour permettre l’indemnisation intégrale de la fonctionnaire. Je crois que cela envoie le message approprié au défendeur. Je ne crois pas que le défendeur était de mauvaise foi, mais des erreurs ont été commises. Je crois que la réintégration de la fonctionnaire avec l’intégralité de son plein salaire et de ses avantages corrige ces erreurs.

171        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

172        Les griefs sont accueillis.

173        La fonctionnaire est réintégrée avec l’intégralité de son salaire et de ses avantages, à compter du 13 juin 2014, sans perte d’ancienneté.

174        Les occasions manquées de travailler des heures supplémentaires doivent être calculées en fonction de la moyenne des heures supplémentaires travaillées par la fonctionnaire au cours des trois années précédant le 13 juin 2014.

175        Un intérêt simple calculé annuellement au taux applicable des obligations d’épargne du Canada doit être ajouté au montant au titre du salaire, des avantages et des heures supplémentaires, pour la période du 13 juin 2014, jusqu’à la date de la présente décision.

176        Tous les gains cumulés depuis le 13 juin 2014, seront déduits de l’indemnité pécuniaire.

177        L’administrateur général supprimera du dossier d’emploi de la fonctionnaire tous les documents ou références liés à l’enquête sur les normes professionnelles, à la suspension et à la révocation de sa cote de fiabilité, et à la suspension et au licenciement.

178        Je demeure saisie de cette affaire pour une période de 60 jours aux fins de la mise en œuvre de la présente ordonnance.

Le 29 avril 2016.

Traduction de la CRTEFP

Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
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