Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief contre la décision de son employeur de récupérer 278.125 heures de crédits de congé annuel - la fonctionnaire s’estimant lésée a tenu pour acquis que ses années de services auprès de la Chambre des communes allaient compter aux fins de l’octroi de ses crédits de congé annuel auprès de l’employeur - l’employeur savait depuis avril 2012 qu’il avait fait une erreur, mais la fonctionnaire s’estimant lésée en a été avisée que le 16 octobre 2012 – le 12 décembre 2012, l’employeur a commencé à récupérer les crédits de congé annuel qu’il avait erronément accordés dans le passé - l’arbitre de grief a conclu que la préclusion ne s’appliquait pas pour la période allant de 2003 à avril 2012, parce que l’employeur n’était pas au courant de l’erreur et n’avait donc pas fait de représentation ou de promesse - toutefois, dès le 1er avril 2012, l’employeur a eu connaissance de l’erreur, mais a négligé d’en aviser la fonctionnaire s’estimant lésée - en conséquence, l’arbitre de grief a fait droit en partie au grief et a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée était en droit de garder les 127.5 heures correspondant aux heures approuvées par l’employeur après le 16 octobre 2012, et que l’employeur avait le droit de récupérer 150.625 heures. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-04-06
  • Dossier:  566-02-8503
  • Référence:  2016 CRTEFP 30

Devant un arbitre de grief


ENTRE

NATHALIE PAQUET

fonctionnaire s'estimant lésée;

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (Bureau de la traduction))

employeur

Répertorié
Paquet c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (Bureau de la traduction))

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

Devant:
Linda Gobeil, arbitre de grief
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Isabelle Germain et Yves Rochon, Association canadienne des employés professionnels
Pour l'employeur:
Léa Bou Karam, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 4 juillet 2014.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le 17 octobre 2012, la fonctionnaire s’estimant lésée, Nathalie Paquet (la « fonctionnaire ») a déposé un grief contre la décision de son employeur, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (l’« employeur ») de récupérer 278.125 heures de crédits de congé annuel.

2 La fonctionnaire est représentée par l’Association canadienne des employés professionnels (l’« agent négociateur »). La convention collective applicable (la « convention collective ») est celle qui a été conclue entre l’employeur et l’agent négociateur pour le groupe Traduction, qui expirait le 18 avril 2011.

3 Le 9 mai 2013, l’agent négociateur a renvoyé le grief de la fonctionnaire à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les Relations de travail dans la fonction publique.

4 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014 84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014 84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d'un grief avant le 1er novembre 2014 continue d'exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) dans sa version antérieure à cette date.

II. Résumé de la preuve

5        À l’audience, les parties ont soumis l’exposé conjoint des faits suivant accompagné de pièces justificatives (pièce G-1). Les parties ont aussi convenu que la fonctionnaire avait droit à son arrivée dans la fonction publique à un nombre de crédits de congé annuel moindre que ce qu’elle recevait lorsqu’elle était au service de la Chambre des communes du Canada.

Le présent exposé conjoint des faits établit les faits reconnus par l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP), Mme Nathalie Paquet et le Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) (les « parties ») en lien avec le grief en instance dont le numéro de référence de la CRTFP est 566-02-8503.

Les parties s’entendent sur l’exposé des faits énoncé ci-dessous :

1. L’ACEP est l’agent négociateur pour le groupe TR.

2. La convention collective en vigueur au moment où le grief a été déposé entre le Conseil du Trésor et L’ACEP est celle avec une date d’expiration du 18 avril 2011.

3. Madame Nathalie Paquet est une employée de la Chambre des Communes du Canada le 25 mai 1992.

4. En août 2003 Madame Paquet est nommée pour une période indéterminée à un poste de traductrice (TR-02) à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Cette nomination prend effet le 15 septembre 2003. Une copie de la lettre d’offre est jointe. (Voir Annexe A).

5. En mai 2010 Madame Paquet est nommée pour une période indéterminée à un poste de traductrice (TR-03) et en mai 2011 elle est mutée dans un poste de TR-03 à la Direction de la traduction scientifique et technique. Actuellement, elle occupe le poste de chef de la sous-section isolée (TR-03) du Bureau de la Traduction de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada pour le Bureau du vérificateur général

6. L’Employeur a appliqué la date de service continu du 25 mai 1992 pour les fins de la pension et, par erreur, pour les fins de congés annuels.

7. Suite à la vague de calculs pour payer l’indemnité de départ (« severance pay »), c’est en décembre 2011 que cette erreur est relevée. L’employeur corrige au plus tard le 1er avril 2012. Une copie des notes au dossier personnel de l’employée est jointe (Annexe B)

8. Le 16 octobre 2012, le Service de Rémunération de l’employeur a signalé cette erreur à Madame Paquet et l’a informé que l’employeur récupérerait 278.125heures en lui adressant une lettre à cet effet. Une copie de la lettre est jointe. (Voir Annexe C)

9. En raison de cette erreur administrative, elle a reçu 396.875 heures en crédit de congé de trop pour la période de 2003 à 2012.

10.Le 1er avril 2012, Mme Paquet avait en banque 340.875 heures en congés annuels. Une copie du relevé de congés de 2012 de Madame Paquet est jointe. (Voir Annexe D)

11.Avant le 16 octobre 2012, Mme Paquet avait demandé 142.5 heures en congés annuels qui furent approuvés.

12.Après le 16 octobre 2012, elle annule sa demande de 142.5 heures et requiert 82.5 heures en temps compensatoire et 60 heures en congés annuels.

13.Mme Paquet dépose un grief le 17 octobre 2012 contestant la décision de l’employeur de récupérer les crédits de congés annuels versés en trop dans sa banque de congé de novembre 2006 à octobre 2012 (278,125 heures sur six années).

14.Le 18 octobre 2012, Mme Paquet demande 67.5 heures en congés annuels. Une copie de la transaction est jointe. (Voir Annexe E)

15.Le 12 décembre 2012, le solde de la banque de congés annuels était de 213.375 heures et l’employeur a recouvert les 213,375 heures de sa banque de crédits de congés annuels.

16.Le 31 décembre 2012, l’employeur a recouvert 37.5 heures de sa banque de crédits de congé spécial.

17.Il reste un solde non recouvert de 27,25 heures.

Les parties se réservent le droit de présenter d’autres preuves documentaires et orales à l’appui de leurs positions respectives.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

6        La fonctionnaire a témoigné avoir quitté son emploi à la Chambre des communes pour se joindre à la fonction publique fédérale le 15 septembre 2003, à titre de traductrice classifiée TR-2 (pièce G-1, onglet 1). Lorsqu’elle était au service de la Chambre des communes, la fonctionnaire avait droit à cinq semaines de congés annuels. Il est à noter que les parties ont convenu à l’audience que la fonctionnaire avait droit à son arrivée dans la fonction publique à un nombre moindre de crédits de congé annuel que ce qu’elle recevait lorsqu’elle travaillait à la Chambre des communes. Le nombre d’heures de congé annuel auquel la fonctionnaire avait effectivement droit en vertu de l’article 18 de la convention collective est précisé dans la pièce G-1, onglets 4 et 5. Les parties ont convenu que sur une période de 9 ans, l’employeur a crédité 396.875 heures de crédits de congé annuel en trop. Toutefois, à cause du délai de prescription, seulement 278.125 heures de ces crédits de congé annuel sont maintenant en litige.

7        Une fois au service de l’employeur, à l’automne 2003, la fonctionnaire a témoigné avoir reçu un appel du service de la paie de l’employeur. Elle a alors demandé si ses 11 années de service à la Chambre des communes seraient reconnues. La fonctionnaire a indiqué avoir été principalement préoccupée par l’impact que son transfert à la fonction publique pourrait avoir sur sa pension. Selon la fonctionnaire, bien qu’aucune mention particulière n’ait été faite en ce qui a trait aux congés annuels, l’employeur l’aurait alors assuré que ces 11 années de service auprès de la Chambre des communes seraient prises en compte aux fins de sa pension. Il n’a pas été spécifiquement question du nombre de crédits de congé annuel auquel la fonctionnaire aurait droit. La fonctionnaire a témoigné avoir alors tenu pour acquis que ses années de service auprès de la Chambre des communes allaient aussi compter aux fins de l’octroi de ses crédits de congé annuel auprès de l’employeur.

8        En novembre 2003, Danièle Constantin, responsable de la saisie des données sur les congés, a demandé à Louise Maisonneuve, conseillère en rémunération, si les congés de la fonctionnaire avaient été transférés et à quoi elle avait droit. Selon la fonctionnaire, il n’y a pas eu de suivi à cette demande (pièce G-2, onglet 8). La fonctionnaire a indiqué que malgré plusieurs mesures de dotation, entre 2004 et 2012, il n’a jamais été question que ses années de service à la Chambre des communes ne seraient pas prises en compte pour le calcul de ses congés annuels auprès de l’employeur (pièce G-2, onglets 5 et 6). La fonctionnaire a affirmé qu’avant octobre 2012, l’employeur ne l’avait jamais informé que ses années de service auprès de la Chambre des communes ne compteraient pas pour le calcul de ses congés annuels.

9        La fonctionnaire a témoigné que ce n’est que le 16 octobre 2012 qu’elle a été avisée pour la première fois par Jean Préfontaine, chef d’équipe de la rémunération chez l’employeur, qu’il y avait eu erreur dans l’octroi de ses crédits de congé annuel; essentiellement, l’employeur n’aurait pas dû tenir compte des années de service de la fonctionnaire à la Chambre des communes aux fins de l’octroi des crédits de congé annuel (pièce G-2, onglet 3). La fonctionnaire a indiqué avoir été très surprise et furieuse en lisant la lettre de M. Préfontaine puisque, entre 2004 et 2012, elle avait pris des congés annuels en ne sachant pas qu’elle n’avait pas droit à tous les congés qui lui avaient été octroyés. La fonctionnaire a contacté M. Préfontaine ce même jour. Elle a toutefois affirmé ne pas se souvenir de ce qu’elle lui a dit.

10        L’employeur a commencé à récupérer les crédits de congé annuel le 12 décembre 2012. La fonctionnaire s’est alors aperçue que sa banque de crédits de congé annuel, qui indiquait auparavant un solde de 213.375 heures, avait été vidée et qu’il ne lui restait aucun crédit de congé annuel.

11        Pour la fonctionnaire, tout ça était d’autant plus difficile et injuste puisque celle-ci avait planifié et demandé, bien avant octobre 2012, 142.5 heures de congés annuels pour janvier 2013 et que sa demande avait été approuvée par sa gestionnaire. Il est à noter qu’en avril 2012, la banque de congé de la fonctionnaire indiquait alors 340.875 heures de congé annuel (Exposé conjoint des faits, paragraphes 10 et 11). La fonctionnaire a témoigné avoir été frustrée par la décision de récupérer le trop payé de 278.125 heures puisque souvent, dans le passé, elle avait dû renoncer à prendre ses congés annuels à cause de la charge de travail qui était très lourde.

12        Le 17 octobre 2012, la fonctionnaire a déposé un grief contre cette décision de l’employeur de récupérer les 278.125 heures de crédits de congé annuel versés en trop. Elle a par la suite modifié sa demande de congés annuels de 142.5 heures, demandant plutôt 82.5 heures en temps compensatoire, conformément à l’article 13 de la convention collective, et 60 heures en congés annuels. Le 18 octobre 2012, elle a aussi demandé 67.5 heures en congés annuels, car elle avait prévu aller chercher son conjoint en Floride en mars 2013. La fonctionnaire a convenu en contre interrogatoire qu’au moment de faire ses deux demandes de congé elle avait déjà été avisée que l’employeur voulait récupérer les crédits accordés en trop. Elle a toutefois ajouté qu’elle avait déjà fait les arrangements concernant ces congés avant de recevoir la lettre de M. Préfontaine et que de toute façon l’employeur lui avait accordé ses demandes. Ainsi, lorsque l’employeur a commencé à récupérer les 278.125 heures, il ne restait dans la banque de crédits de congé annuel de la fonctionnaire que 213.375 heures (Exposé conjoint des faits, paragraphes 12 à 14).

13        À l’audience, la fonctionnaire s’est dite frustrée par la décision de l’employeur de récupérer ainsi les crédits de congé annuel. Cette dernière a affirmé avoir toujours agi de bonne foi, croyant sincèrement pendant 9 ans que ses 11 ans au service de la Chambre des communes comptaient dans l’octroi de ses crédits de congé annuel auprès de l’employeur.

B. Pour l’employeur

14        M. Préfontaine a témoigné pour l’employeur. M. Préfontaine est chef d’équipe du service de la rémunération de l’employeur. Il a indiqué que de façon générale, l’employeur vérifie la date du début des années de service pour un employé lorsque ce dernier se joint à la fonction publique, lors d’un transfert dans un autre ministère ou lors de la retraite. Dans la présente affaire, c’est au moment où l’employeur a fait des vérifications, à la suite de la décision du gouvernement de payer aux fonctionnaires leurs primes de départ en décembre 2011, qu’il s’est aperçu que la fonctionnaire avait reçu des crédits de congé annuel en trop. Selon M. Préfontaine, ce genre de vérification se fait normalement lorsqu’un employé arrive dans un ministère ou lorsqu’il quitte à la retraite. L’employeur ne fait pas cette vérification suite à une mesure de dotation, par exemple lorsqu’un employé est nommé à un poste intérimaire.

15        Selon M. Préfontaine, l’erreur a perduré pendant 9 ans, soit jusqu’à ce que l’employeur réalise le problème. M. Préfontaine a témoigné être entré au service de l’employeur en mars 2012. À ce moment, l’employeur savait depuis avril 2011 qu’il avait fait erreur dans l’octroi des crédits de congé annuel de la fonctionnaire. Toutefois, étant donné qu’il n’y avait pas, avant son arrivée, de chef d’équipe à la rémunération, personne ne s’est occupé de cette erreur. Il a donc dû s’occuper de la situation à son arrivée. M. Préfontaine a affirmé avoir alors consulté de nombreux intervenants, comme des représentants du Conseil du trésor, les services juridiques et autres ministères, pour déterminer les mesures à prendre dans les circonstances, et que ça avait pris un certain temps.

16        Après consultations, M. Préfontaine a envoyé une lettre, le 16 octobre 2012, à la fonctionnaire pour l’aviser de l’erreur et l’informer que l’employeur allait récupérer les crédits de congé annuel qu’il avait erronément accordés dans le passé. M. Préfontaine a précisé qu’en date du 16 octobre 2012, 396.875 heures en crédits de congé annuel avaient été versées en trop à la fonctionnaire. Toutefois, à cause du délai de prescription, l’employeur ne pouvait remonter que 6 ans en arrière et ne récupérer que 278.125 heures des 396.875 heures de crédits de congé annuel versés en trop.

17        M. Préfontaine a affirmé que bien qu’il ait avisé la fonctionnaire, le 16 octobre 2012, qu’il y avait eu erreur et que l’employeur entendait recouvrer les crédits versés en trop, l’employeur a quand même accordé les demandes de congés de la fonctionnaire concernant respectivement 60 et 67.5 heures en octobre 2012, car ces demandes avaient préalablement été approuvées par la gestionnaire de la fonctionnaire et que l’employeur ne voulait pas chambouler les plans de vacances de cette dernière.

18        M. Préfontaine a affirmé que l’employeur avait alors commencé à recouvrer les 278.125 heures de crédits de congé annuel de la fonctionnaire en décembre 2012. Dans un premier temps, le 12 décembre 2012, l’employeur a repris tous les crédits qui se trouvaient dans la banque de crédits de congé annuel de la fonctionnaire, soit 213.375 heures. Par la suite, le 31 décembre 2012, l’employeur a repris 37.5 heures dans la banque de crédits de congé spécial de la fonctionnaire, car les responsables des relations de travail estimaient être en droit de récupérer aussi ce type de crédits de congé qui étaient, selon eux, des congés annuels. Selon M. Préfontaine, en janvier 2013, il restait un solde de 27.5 heures en crédits de congé annuel à récupérer pour l’employeur. L’employeur n’a pas encore récupéré ces heures, préférant attendre l’issue de cette décision avant d’agir.

19        En contre interrogatoire, M. Préfontaine a indiqué ne pas savoir si l’employeur avait donné suite au courriel de Mme Maisonneuve du 6 novembre 2003 (pièce G-2, onglet 8).

I. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

20        Le représentant de la fonctionnaire a rappelé que l’employeur avait commis une erreur en 2003, soit lorsque la fonctionnaire s’est jointe à la fonction publique. Il a ajouté que ce n’est que 9 ans plus tard, soit en décembre 2011, que l’employeur a réalisé son erreur, et ce, malgré le fait qu’il avait eu l’occasion plusieurs fois, dans le cadre de mesures de dotation impliquant la fonctionnaire, de constater la méprise (pièce G-2, onglet 5, Exposé conjoint des faits, paragraphe 7). De plus, en 2003, si l’employeur avait donné suite à la question de l’agente de rémunération, Mme Constantin, il aurait alors pu corriger l’erreur et ainsi éviter un préjudice à la fonctionnaire. Malheureusement, ça n’a pas été fait (pièce G-2, onglet 8).

21        Selon le représentant, l’employeur n’a pas été diligent au cours de ces 9 années. De plus, une fois qu’il a réalisé en décembre 2011 qu’une erreur avait été faite dans l’octroi des crédits de congé annuel de la fonctionnaire, il a attendu 10 mois, soit en octobre 2012, pour aviser la fonctionnaire de la situation par lettre de M. Préfontaine.

22        Pendant tout ce temps, la fonctionnaire a agi de bonne foi et a pris des congés en croyant sincèrement y avoir droit.

23        Pour le représentant, il s’agit clairement d’un cas d’application du principe de la préclusion promissoire (estoppel) tel qu’il a été décidé dans Prosper c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 140. Il a en effet soutenu que dans la présente affaire, la fonctionnaire s’est fiée aux représentations de son employeur qui lui a toujours laissé croire pendant 9 ans qu’elle avait droit à tous ces congés annuels. L’employeur a eu, avant 2012, maintes occasions de corriger son erreur et de donner l’heure juste à la fonctionnaire. Il ne l’a pas fait. Il a plutôt, pendant 9 ans, laissé la fonctionnaire croire qu’elle avait droit à tous ces congés alors que ce n’était pas le cas. L’employeur doit en assumer la responsabilité.

24        Non seulement la fonctionnaire s’est fiée aux représentations et aux promesses de son employeur pendant toutes ces années, mais elle a agi en croyant de bonne foi avoir droit à ces congés. Tel qu’il est mentionné dans Prosper, la fonctionnaire, par la faute de son employeur, a pris des mesures qui se révèlent maintenant préjudiciables à ses intérêts. D’une part, si la fonctionnaire avait su qu’elle n’avait pas droit à ces congés, elle aurait agi en conséquence et aurait géré sa banque de congé différemment. Ici, elle a pris des congés en ne sachant pas qu’elle n’avait pas droit à tous les crédits disponibles. Par exemple, avant d’être informée par l’employeur de son erreur, la fonctionnaire a demandé 142.5 heures de congé annuel qui ont été approuvées. Par la suite, elle a modifié cette demande en demandant 82.5 heures en congé compensatoire et 60 heures en congé annuel. En octobre 2012, elle a aussi fait une autre demande de 67.5 heures de congé annuel qui a été encore une fois approuvée par l’employeur. L’employeur savait donc, en octobre 2012, lorsqu’il a acquiescé à cette dernière demande de la fonctionnaire que le solde des crédits de congé annuel était maintenant rendu à 213.375 heures, soit 64.75 heures de moins que les 278.125 heures que l’employeur réclamait. Donc, en approuvant les demandes de congés de la fonctionnaire en octobre 2012, l’employeur a encore une fois réitéré sa promesse à la fonctionnaire. Si la fonctionnaire avait su qu’elle n’avait pas droit à toutes ces heures, elle aurait agi autrement. L’erreur de l’employeur et le temps que cela a pris pour en informer la fonctionnaire ont clairement causé un préjudice à cette dernière (Exposé conjoint des faits, paragraphe 11).

25        Le représentant a aussi insisté sur le fait que non seulement la fonctionnaire a subi un préjudice en agissant sur des fausses prémisses dictées par l’employeur, mais que si elle avait su dès le départ, en 2003, qu’elle ne bénéficierait pas de ses 11 ans de service à la Chambre des communes dans l’octroi de ses crédits de congé annuel, elle aurait peut-être fait un choix de carrière différent et n’aurait pas joint la fonction publique fédérale.

26        Le représentant a aussi plaidé que l’employeur ne peut évoquer le paragraphe 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques (la « LGFP ») pour se soustraire de sa responsabilité. Cet article, selon le représentant, ne s’applique que si l’employeur doit récupérer des sommes d’argent. Or, ici, l’employeur a récupéré des crédits de congé, pas de l’argent.

27        Selon le représentant de la fonctionnaire, celle-ci a clairement subi un préjudice suite à la décision de l’employeur de revenir sur sa promesse d’accorder les crédits de congé en litige. Il s’agit d’un changement aux conditions d’emploi de la fonctionnaire, ce que l’employeur ne peut pas faire. Dans les circonstances, une fois que l’employeur a réalisé son erreur, il aurait pu accorder un congé spécial conformément à la clause 21.24 de la convention collective qui traite des congés payés ou non pour d’autres motifs. Il ne l’a pas fait.

28        Le représentant de la fonctionnaire a insisté sur le caractère déraisonnable de la décision de l’employeur, d’autant plus que ce dernier a attendu 9 ans avant de corriger son erreur. Le représentant m’a renvoyé à Murchison c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 93, où l’arbitre de grief a accueilli le grief au motif que le paragraphe 155(3) de la LGFP ne s’applique pas aux crédits de congé et que l’employeur avait trop tardé avant de récupérer les crédits versés en trop, causant ainsi un préjudice à la fonctionnaire. Le représentant m’a aussi renvoyé à Lapointe c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2001 CRTFP 57, où l’arbitre de grief a décidé que l’inaction de l’employeur, même après qu’un autre employé ait soulevé la question d’une erreur possible, équivalait à une promesse de la part de l’employeur et que, par conséquent, une période de 7 ans avant que ce dernier récupère les sommes payées en trop était déraisonnable.

B. Pour l’employeur

29        Dès le départ, l’avocate de l’employeur m’a demandé d’écarter l’argument de la fonctionnaire voulant que l’employeur aurait pu régler cette situation en ayant recours à la clause 21.24 de la convention collective qui stipule que l’employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé ou non dans des situations non prévues par la convention collective. Selon l’avocate, le grief de la fonctionnaire ne porte pas sur cet article de la convention collective et on ne peut modifier la nature d’un grief une fois à l’audience (voir Burchill v. Attorney General of Canada, [1981] 1 F.C. 109 (C.A.)). Subsidiairement, cet article n’est pas applicable lorsque l’objet du grief est déjà couvert par d’autres clauses de la convention collective, en l’occurrence, les congés annuels prévus à la clause 18 de la convention collective. Selon l’avocate, la clause 21.24 est secondaire aux autres clauses de la convention collective. Elle peut s’appliquer seulement si d’autres clauses spécifiques, comme la clause 18 sur les congés, ne s’appliquent pas.

30        L’avocate a maintenu que le principe de la préclusion ne s’appliquait pas aux faits de la présente affaire puisque, essentiellement, la fonctionnaire n’a pas démontré avoir agi à son détriment à la suite d’une promesse de l’employeur.

31        Selon l’avocate, malheureusement, il peut arriver à n’importe qui de commettre des erreurs administratives et ça ne change pas le fait que personne ne doit profiter de ces erreurs commises de bonne foi. La fonctionnaire se devait de démontrer qu’elle avait un droit. Or, les parties conviennent ici que les crédits de congé annuel de la fonctionnaire lui ont été attribués en partie à cause d’une erreur. Elle n’y a pas droit en vertu de la convention collective. L’employeur, par erreur, a initialement tenu compte des années de service de la fonctionnaire auprès de la Chambre des communes pour l’octroi des crédits de congé annuel. L’équité ne peut justifier que la fonctionnaire puisse profiter de cette erreur.

32        Selon l’avocate, je ne peux conclure que le principe de la préclusion s’applique ici puisqu’au départ, il manque un élément fondamental, à savoir une promesse faite à la fonctionnaire. Selon l’avocate, il ne peut y avoir de promesse en l’absence d’une certaine intention. Dans la présente affaire, je dois donc conclure que l’employeur avait l’intention d’accorder à la fonctionnaire plus de congés annuels que ce qui est prévu par la convention collective. Essentiellement, je dois être satisfaite que l’employeur a décidé de renoncer à son droit prévu par la convention collective. Selon l’avocate, bien qu’il soit admis que l’employeur ait fait erreur, il n’a pas été démontré que l’employeur avait cherché à modifier la convention collective quant au nombre de jours de congé annuel auquel la fonctionnaire avait droit. L’avocate a insisté qu’il est faux de prétendre que l’employeur a pris trop de temps pour corriger l’erreur. Dès qu’il s’en est aperçu, il a corrigé cette erreur pour le futur. Quant aux années passées, M. Préfontaine a expliqué que ce type de vérification prenait du temps et que plusieurs organismes devaient être consultés.

33        Subsidiairement, l’avocate a plaidé que si j’étais d’avis qu’il y avait eu promesse à l’égard de la fonctionnaire, je me dois quand même de conclure que le principe de la préclusion ne s’applique toujours pas puisqu’il n’a pas été démontré qu’à la suite d’une promesse, la fonctionnaire a agi à son propre détriment. Selon l’avocate, la fonctionnaire n’a rien fait qui puisse me laisser conclure qu’elle ait posé un geste à son propre détriment : elle a pris les congés annuels qu’elle a bien voulu prendre. Rien de plus.

34        Selon l’avocate, l’employeur aurait bien pu refuser les demandes de congé de la fonctionnaire, soit 60 heures et 67.5 heures, en octobre 2012, puisque cette dernière n’avait plus les crédits nécessaires pour remettre les 278.125 heures de crédits versés en trop. Toutefois, compte tenu du fait que ces demandes de congé avaient préalablement été accordées, l’employeur ne voulait pas perturber les plans de vacances de la fonctionnaire et lui a donc permis de prendre ces congés. Selon l’avocate, l’employeur a cherché à accommoder la fonctionnaire, mais il tient néanmoins à récupérer ces crédits de congé annuel.

35        Quant aux 37.5 heures que l’employeur a reprises à partir de la banque de crédits de congé spécial de la fonctionnaire, l’avocate a soumis que l’employeur avait peut-être agi trop vite. L’avocate a donc proposé de remettre les 37.5 heures dans la banque de crédits de congé spécial de la fonctionnaire. L’avocate a néanmoins insisté sur le droit de l’employeur de récupérer la totalité des 278.125 heures en crédits versés en trop.

IV. Motifs

36        Les faits relatifs à ce grief peuvent se résumer ainsi. L’employeur a commis une erreur lorsque la fonctionnaire a joint la fonction publique fédérale en août 2003. L’employeur a en effet tenu compte, dans l’octroi des crédits de congé annuel, des années de service de la fonctionnaire lorsque celle-ci était au service de la Chambre des communes, et ce, pendant 9 ans. Par conséquent, la fonctionnaire a bénéficié par erreur, soit de 2003 à 2012, de 396.875 heures accordées en trop au titre des crédits de congé annuel. L’employeur a décidé de récupérer ces crédits de congé annuel accordés en trop. Il en a avisé la fonctionnaire par lettre le 16 octobre 2012. L’employeur a toutefois reconnu qu’il lui était prescrit de réclamer au-delà des six dernières années, soit au-delà de 2006. Ainsi, l’employeur s’est dit en droit de récupérer 278.125 heures des 396.875 heures, puisqu’il était prescrit de récupérer le restant des 118.75 heures.

37        Après avoir été informée par l’employeur, le 16 octobre 2012, de l’erreur dans l’octroi des crédits de congés annuels et de sa volonté de les récupérer, la fonctionnaire a modifié une demande préalablement approuvée et a réclamé 60 heures de congé annuel. Par la suite, le 18 octobre, elle a fait une autre demande de congés annuels, cette fois-ci de 67.5 heures. Cette dernière demande a aussi été approuvée par l’employeur.

38        L’employeur a donc récupéré 213.375 heures le 12 décembre 2012, soit le nombre d’heures de congé annuel qui restait à ce moment dans la banque de crédits de congé annuel de la fonctionnaire; 37.5 heures ont aussi été prises à partir de la banque de crédits de congé spécial de la fonctionnaire le 31 décembre 2012. L’employeur réclame donc encore le solde de 27.5 heures, pour un total de 278.125 heures.

39        À l’audience, l’avocate de l’employeur a reconnu que l’employeur avait peut-être agi prématurément, le 31 décembre 2012, lorsqu’il a récupéré les 37.5 heures de crédits de congé spécial. En conséquence, l’employeur est donc prêt à remettre ce montant à la fonctionnaire, sans préjudice. L’employeur continue néanmoins de réclamer la totalité des 278.125 heures en crédits de congé annuel.

40        Il est important de noter que l’employeur admet avoir commis de bonne foi une erreur en appliquant la notion de service continu aux congés annuels de la fonctionnaire à son arrivée dans la fonction publique fédérale. La fonctionnaire maintient toutefois que, compte tenu des circonstances, la position de l’employeur est déraisonnable, injuste et lui cause un préjudice. Pour sa part, l’employeur maintient qu’il est en droit de récupérer les crédits de congé annuel qu’il a versé en trop suite à une erreur administrative. Finalement, il est aussi à noter que l’objet du grief porte sur le recouvrement des crédits de congé annuel pour la période allant de novembre 2006 à octobre 2012 et que l’employeur ne peut récupérer les crédits de congé annuel accordés de 2003 à 2006. Quant à la période après 2012, il n’est pas contesté que l’employeur était en droit de corriger l’erreur et de faire les ajustements nécessaires pour les années à venir.

41        La fonctionnaire maintient qu’elle a droit aux 278.125 heures déjà récupérées en grande partie par l’employeur et que le principe de la préclusion s’applique à la présente affaire. Je ne suis pas d’accord.

42        Le principe de la préclusion est composé de deux volets. En premier lieu, une promesse doit avoir été faite, par le biais de paroles ou de conduite, à la fonctionnaire que l’employeur renonce à lui donner les crédits de congé annuel tel qu’il est prescrit par la convention collective; en deuxième lieu, sur la foi de cette promesse, la fonctionnaire doit avoir pris des congés sans savoir qu’elle n’y avait pas droit, ce qui lui cause maintenant un préjudice car elle doit les remettre.

43        La Cour fédéral dans l’affaire Procureur général du Canada c. Yves Lamothe, 2008 CF 411 (CanLII) a indiqué ce qui suit en ce qui concerne la conduite ou la parole :

La conduite ou la promesse sur laquelle celui qui invoque la doctrine d’estoppel repose doit être « sans équivoque ». Par exemple, l’arbitre R.B. Blasina a dit ce qui suit dans Abitibi Consolidated Inc. and I.W.A. Canada, Local 1-424 (2000), 91 L.A.C. (4th) 21 :

[Traduction]

En d’autres mots, il y aura préclusion lorsqu’une personne ou une partie, de façon non équivoque et par la parole ou ses actions, fera une représentation ou une affirmation dans des circonstances où il serait injuste et inéquitable de ne pas se conformer par la suite à cette représentation ou affirmation. L’injustice ou l’iniquité doivent être d’une certaine importance. Le fait que la représentation ou l’affirmation aient été faites ou non en toute connaissance de cause, ou de façon active ou passive, importe peu. La représentation est perçue comme ayant le sens qui a raisonnablement été donné par la partie qui a soulevé la question de la préclusion.

[le passage en évidence l’est dans l’original]

44        Dans leurs représentations, les deux parties m’ont aussi renvoyé à une de mes décisions, soit Prosper, dans laquelle on reprend, au paragraphe 28, les propos sur la préclusion contenus dans Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 2 :2211 :

Le concept de la préclusion équitable est solidement ancré en common law et a été énoncé comme suit :

Le principe, tel que je le conçois, veut que dans des circonstances où une des parties a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse à l’autre partie ou lui a donné une assurance dans l’intention d’affecter les rapports juridiques entre les parties et qu’il y soit dûment donné suite, alors une fois que l’autre partie s’est fondée sur cet engagement et a agi en conséquence, la personne qui a fait la promesse ou donné l’assurance ne peut ensuite être justifiée de s’en remettre aux rapports juridiques existant auparavant comme si telle promesse ou assurance n’avait pas été faite, mais doit plutôt accepter les rapports juridiques liant les parties assorties de la condition que cette partie a elle-même proposée, bien qu’elle ne soit pas appuyée par quelque autre considération de nature juridique outre sa parole donnée.

Un arbitre a résumé cette doctrine comme suit :

Il appert que la doctrine à cet égard s’articule en deux volets. Il doit y avoir l’existence d’une conduite dans le cadre de laquelle les deux parties agissent ou les deux consentent, et dans laquelle la partie invoquant la préclusion a été amenée à croire que les droits strictes ne seraient pas exécutées. Il s’ensuit que la partie contre laquelle la préclusion est invoquée ne sera pas admise à exécuter ses droits de façon stricte si cela s’avérait inéquitable. Ainsi, il serait inéquitable pour une partie de tenir rigidement à l’exécution de ses droits lorsque la partie invoquant la préclusion est celle qui se serait fondée, à son détriment, sur l’engagement de cette autre partie.

Partant, les éléments essentiels de la préclusion sont : l’existence d’une représentation claire et sans équivoque, en particulier lorsque la représentation a été faite dans le contexte d’une négociation; la représentation peut avoir été faite en paroles ou en actes; ou, dans certaines circonstances, elle peut résulter du silence ou de l’acquiescement d’une partie; dont il est l’intention des parties que la partie qui en bénéficie est justifiée de se fonder sur cette représentation; bien que cette intention puisse s’inférer de ce qui peut raisonnablement avoir été compris par la partie; et que la partie a agi, ou n’a pas agi, en conséquence; et cela, a son détriment.

[…]

45        Il appert donc de cet énoncé que l’existence d’une représentation doit être claire et non équivoque. Comment peut-on donc prétendre que la soi-disant promesse de l’employeur était ici claire et non équivoque si les deux parties conviennent que jusqu’en avril 2012, l’employeur ne savait pas que l’octroi des crédits de congé annuel de la fonctionnaire n’était pas conforme à ce qui avait été négocié entre l’agent négociateur et l’employeur.

46        À cet égard, je me dois de souligner que la période de temps pendant laquelle cette erreur a perduré ne devrait pas en soi être le seul élément qui porte à conclure que l’employeur a fait des représentations ou des promesses à la fonctionnaire. Encore faut-il à mon avis, démontrer dans la présente affaire que l’employeur s’il ne savait pas, ou a été négligent au point de ne pas voir ce qui était évident. Je ne crois pas que l’employeur savait qu’il y avait erreur dans le calcul des crédits de congé. Je retiens aussi que la fonctionnaire elle-même n’a jamais cherché à vérifier si elle avait droit à ces jours de congé en joignant la fonction publique fédérale. J’ajouterais aussi qu’il ne faut pas perdre de vue le fait que malgré l’erreur de l’employeur qui s’est échelonnée sur une période de 9 ans, soit de 2003 à 2012, la fonctionnaire a malgré tout bénéficié en raison de la prescription qui a empêché l’employeur d’aller récupérer au-delà des 6 ans, de 3 années de congés auquel elle n’avait pas droit selon la convention collective.

47        Bien que la Commission aille conclut, dans Lapointe que l’employeur a été négligent en prenant trop de temps pour réagir, la doctrine de la préclusion doit néanmoins être appliquée avec prudence. On ne saurait y avoir recours systématiquement pour remédier à ce qui apparaît injuste. Soulignons d’abord que dans Lapointe, l’employeur avait été informé par un autre employé de la possibilité d’une erreur dans le calcul des congés et n’a rien fait. Ce n’est pas le cas ici. J’ajouterais de plus qu’il ne suffit pas qu’une erreur ait perduré pendant un certain temps pour conclure qu’il y a eu promesse. Une telle conclusion, selon moi, dénature l’idée véritable derrière le principe de la préclusion, à savoir qu’une partie ne peut sciemment, par ses agissements, amener l’autre partie à croire qu’elle n’exercera pas un droit donné de façon à la tromper. La préclusion est en fait un principe qui empêche une partie qui, en toute connaissance de cause, donne à l’autre partie un sentiment de sécurité quant à une interprétation ou une pratique données mais qui exige par la suite, lorsque l’autre partie n’est plus en mesure de négocier, l’application correcte de cette clause ou pratique. La négligence d’une partie qui ne réagit pas une fois qu’elle est informée d’une erreur potentielle donnerait aussi selon moi ouverture à l’application du principe de la préclusion. Cette démonstration n’a pas été faite dans la présente affaire.

48        Il faut dans un premier temps démontrer que la partie contre qui la préclusion est invoquée avait l’intention de renoncer à l’application stricte de ses droits. Cette preuve n’a pas été faite ici. Les parties ont convenu qu’une erreur de bonne foi est à l’origine du litige. Le représentant de la fonctionnaire m’a référé à la décision Murchison ou l’arbitre a fait droit au grief sur la base notamment du fait que la fonctionnaire avait à plusieurs reprises questionné l’employeur quant à ses droits par rapport à la question des congés annuels et aussi qu’il avait fallu dans ce contexte quelque 5 ans avant que l’employeur décide de récupérer le trop payé. Dans cette affaire, l’employeur de par les questionnements de Mme Murchison, a été confronté dès le début avec la question du nombre de congé annuel auquel cette dernière avait droit. Après vérification, l’employeur a maintenu la fonctionnaire sous une fausse impression. La présente affaire se distingue à mon avis de la décision Murchison. D’une part, la question de l’application de la préclusion n’a pas été soulevée dans la décision Murchison. D’autre part,dans la présente affaire, contrairement à Murchison où la fonctionnaire a fait des demandes quant à ses droits par rapport aux congés annuels et où l’employeur l’a réconforté dans son erreur. Ici, la fonctionnaire n’a jamais cherché à connaître le nombre de jours de congé annuel auxquels elle avait droit lors de son embauche chez l’employeur.

49        Dans son témoignage, la fonctionnaire a affirmé s’être informée au tout début à savoir si les années de service accumulées à la Chambre des communes aux fins de la pension allaient compter chez l’employeur. À cet égard, il me parait quand même curieux que, de l’aveu même de la fonctionnaire, elle ne se soit jamais questionnée ni même qu’elle ait questionné son employeur sur une question aussi fondamentale que le nombre de jours de congé auquel elle a droit. Il est juste de dire que, de façon générale, les employés mutés dans ce contexte vont se questionner au sujet du salaire et de l’impact sur leur pension, mais également sur leurs droits vis-à-vis l’octroi des crédits de congé annuel. Il appert que la fonctionnaire n’a pas cru bon de le faire. Qui plus est, il a aussi été démontré que la fonctionnaire avait accès et connaissait chaque année le nombre exact de crédits de congé annuel qui lui était versés.

50        Dans son argumentation, le représentant de la fonctionnaire a maintenu que l’employeur aurait dû se rendre compte de l’erreur bien avant le 1er avril 2012 compte tenu des mesures de dotation, dont plusieurs de nature intérimaire, visant la fonctionnaire de 2003 à 2012. Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Conclure que l’employeur peut simplement profiter de la mise en place d’une mesure de dotation pour vérifier l’état des congés d’un employé ne tient pas compte du fait que la charge alors imposée à l’employeur serait déraisonnable. Il est connu qu’un très grand nombre de mesures de dotation, incluant celles de nature intérimaire, ont lieu quotidiennement dans la fonction publique. Le fait d’exiger que l’employeur s’assure à chaque fois de la concordance des congés annuels aurait sans doute pour effet de tout simplement paralyser le système. J’ajouterais de plus qu’il me semble que cette obligation de diligence quant aux droits d’un employé en ce qui concerne les congés annuels se doit d’être partagée entre les deux parties. Par exemple, il me semble injuste qu’un employé conscient d’une erreur quant à l’octroi des crédits de congé annuel qui ne soulève pas la question auprès de l’employeur pourrait, par la suite, invoquer le principe de la préclusion pour empêcher le recouvrement des crédits accordés en trop.

51        Le représentant de la fonctionnaire a aussi maintenu que si la fonctionnaire avait su qu’elle ne continuerait pas d’avoir droit à cinq semaines de crédits de congé annuel lorsqu’elle a joint la fonction publique, elle n’aurait peut-être pas fait ce choix de carrière. Soulignons qu’aucune preuve ne m’a été présentée à cet égard et qu’encore une fois, j’estime que la fonctionnaire avait elle aussi l’obligation de s’informer avant de prendre sa décision. J’insiste sur le fait que la question du nombre de crédits de congé annuel auquel un nouvel employé a droit est normalement une des premières questions soulevées avant d’accepter un emploi.

52        Je conclus donc que la préclusion ne s’applique pas pour la période allant de 2003 à avril 2012, parce que l’employeur n’était pas au courant de l’erreur et n’a donc pas fait de représentation ou de promesse. J’en viens maintenant à la période après le 1er avril 2012, c'est-à-dire au moment où l’employeur a réalisé son erreur. Du témoignage de M. Préfontaine, je retiens que l’employeur était au courant à partir du 1er avril 2012 que la fonctionnaire recevait des crédits de congé annuel en trop depuis 2003, mais ce n’est que 10 mois plus tard, soit le 16 octobre 2012, qu’il en a avisé la fonctionnaire.

53        Dans son témoignage, la fonctionnaire a indiqué avoir donné suite à ses plans de vacances avec l’assentiment de l’employeur après le 16 octobre 2012 et avoir réclamé un total de 127.5 heures en crédits de congé annuel. Dans son témoignage non contredit, la fonctionnaire a affirmé qu’elle avait déjà fait ces plans de vacances avant d’être informée par l’employeur des crédits accordés en trop. L’employeur a de surcroît permis à la fonctionnaire de prendre ces 127.5 heures tout en sachant qu’elle devait alors rembourser des crédits de congé annuel.

54        Si j’ai conclu plus tôt qu’on ne pouvait reprocher à l’employeur de ne pas avoir agi avant avril 2012 au motif qu’il ne savait pas qu’il y avait erreur quant à l’octroi des congés, je trouve à tout le moins malheureux que ce dernier ait non seulement attendu 10 mois avant d’en informer la fonctionnaire mais, qui plus est, qu’il n’ait fait aucun effort de communication avec cette dernière quant à sa demande d’un total de 127.5 heures de crédits de congé annuel, soit 60 heures et 67.5 heures, en octobre 2012.

55        En effet, dès le 1er avril 2012, l’employeur avait eu connaissance de l’erreur mais il a négligé d’en aviser la fonctionnaire. Le fait qu’il n’y avait alors pas de chef de la rémunération en place n’est pas à mon avis une excuse valable. La fonctionnaire n’a pas été informée du problème ni de l’intention de l’employeur, et elle a planifié des vacances en croyant erronément pendant 10 mois qu’elle avait droit à des congés additionnels. Qui plus est, bien qu’elle en ait été informée le 16 octobre 2012 et qu’elle ait demandé des congés pour un total de 127.5 heures, l’employeur savait alors que la fonctionnaire devait remettre 278.125 heures et il a néanmoins acquiescé à sa demande comme si de rien était. Il me semble que, dans les circonstances, l’employeur aurait dû communiquer avec la fonctionnaire pour s’assurer qu’il n’y avait pas de malentendu. Selon moi, en laissant aller les choses et en approuvant les demandes de congés, l’employeur a ajouté à la confusion. La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait planifié ces jours de congé à l’avance en tenant compte du nombre d’heures approuvées par l’employeur. En conséquence, je conclus que l’employeur aurait à tout le moins dû mettre les choses au clair dès avril 2012, sinon en octobre 2012 avant d’accorder ces 127.5 heures de congé.

56        En conséquence, je fais droit en partie au grief de la fonctionnaire. Je conclus donc que la fonctionnaire est en droit de garder les 127.5 heures correspondant aux 60 et 67.5 heures approuvées par l’employeur après le 16 octobre 2012, et que l’employeur a le droit de récupérer 150.625 heures, soit la différence entre 278.125 heures et 127.5 heures.

57        Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

58        Le grief est accueilli en partie, l’employeur ne peut récupérer que 150.625 heures en crédits de congé annuel sur un total de 278.125 heures.

59        Je demeurerai saisie de l’affaire pour une période de 60 jours au cas où les parties auraient de la difficulté à mettre la présente décision à exécution.

Le 6 avril 2016.

Linda Gobeil,
arbitre de grief

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