Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté cinq griefs à l’employeur – les trois premiers ont été déposés conjointement, le quatrième et le cinquième ont été déposés un peu plus tard, à des dates différentes – les cinq griefs ont tous été renvoyés à l’arbitrage par la suite – l’employeur s’est opposé au renvoi à l’arbitrage en se fondant sur deux motifs : premièrement, le renvoi était prématuré et, deuxièmement, les griefs étaient hors délai – lors d’une conférence préparatoire à l’audience, il a été convenu que ces deux questions seraient traitées comme une question préliminaire – concernant la première question, l’arbitre de grief a conclu que le défendeur avait eu tort en soutenant que le fonctionnaire s’estimant lésé avait présenté ses trois premiers griefs prématurément – en ce qui concerne la seconde question, l’arbitre de grief a conclu que les quatre griefs en cause avaient été rejetés à tort au motif du non-respect du délai de présentation à tous les paliers précédant leurs renvois à l’arbitrage, comme il est exigé à l’article 63 et au paragraphe 95(2) du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique – le défendeur a omis de répondre au premier palier dans la période réponse, pour trois des griefs et il a répondu au quatrième grief un mois en retard – l’arbitre de grief a fait valoir que l’omission de répondre pendant la période réponse est interprété comme une décision de rejeter le grief, ce qui a permis au fonctionnaire s’estimant lésé de renvoyer les griefs à l’arbitrage – en outre, le défendeur n’a pas déposé convenablement de réponse au dernier palier durant la période requise, pour quatre des griefs, ce qui peut également être interprété comme une décision de rejeter les griefs. Objection rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-03-17
  • Dossier:  566-02-7361
  • Référence:  2016 CRTEFP 21

Devant un arbitre de grief


ENTRE

NATHAN PHILIP SHANDERA

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

Défendeur

Répertorié
Shandera c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant:
Michael F. McNamara, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même
Pour l'employeur:
Lesa Brown, avocate
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 31 août, les 1er, 4 et 10 septembre, le 18 octobre et
les 4 et 15 novembre 2012, ainsi que les 29 mai et les 16 et 25 juin 2014.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1        Nathan Philip Shandera, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a renvoyé cinq griefs à l’arbitrage. Le défendeur, le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), allègue que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») n’a pas compétence pour entendre les griefs notamment parce qu’ils sont hors délai et que le renvoi était prématuré.

2        Pour les raisons qui suivent, je conclus que le renvoi n’était pas prématuré. De plus, dans les circonstances précises de cette affaire, le défendeur n’avait pas le droit de soulever une objection relative au respect des délais des griefs, puisque ces derniers n’ont pas été rejetés pour ce motif aux paliers inférieurs de la procédure de règlement de griefs.

II. Contexte

3        Le fonctionnaire est employé en tant que gestionnaire correctionnel auprès du SCC. Il est classifié au groupe et niveau CX-04. Son poste est exclu, ce qui signifie qu’en raison de la nature de ses fonctions, il n’est pas représenté par un agent négociateur.

4        En 2012, le fonctionnaire a présenté les cinq griefs suivants au défendeur :

1. grief numéro 1305-02-48502, en date du 8 mai 2012 (« grief 1 »);

2. grief numéro 1305-02-48503, en date du 8 mai 2012 (« grief 2 »);

3. grief numéro 1305-02-48504, en date du 8 mai 2012 (« grief 3 »);

4. grief numéro 1305-02-48555, en date du 28 mai 2012 (« grief 4 »);

5. grief numéro 1305-02-48708, en date du 7 juin 2012 (« grief 5 »);

5        Le 30 juillet 2012, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») a reçu de nombreux documents de la part du fonctionnaire, l’informant que ce dernier renvoyait cinq griefs à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « LRTFP »). Le défendeur a été avisé du renvoi le 2 août 2012, et, le 31 août 2012, il a avisé la CRTFP qu’il déposerait une objection quant à la compétence de la CRTFP à entendre ces griefs, notamment parce que le renvoi était prématuré et que les griefs étaient hors délai. Le 1er septembre 2012, le fonctionnaire a présenté à la CRTFP ses commentaires initiaux en réponse à l’objection du défendeur.

6        Le 4 septembre 2012, le défendeur a rédigé une lettre à l’intention de la CRTFP décrivant en détail son objection en ce qui concerne la compétence de la CRTFP. Le défendeur a fait valoir qu’aucun des griefs ne visait une mesure disciplinaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, et que quatre des griefs avaient été présentés bien après les délais requis. Il a également soutenu que plusieurs des griefs avaient été renvoyés à l’arbitrage prématurément. Il a demandé que tous les griefs soient rejetés pour manque de compétence. Le fonctionnaire a ensuite présenté une réponse.

7        Le 18 octobre 2012, le défendeur a déposé d’autres arguments; le fonctionnaire a répondu le 4 novembre 2012. Le 25 novembre 2012, le défendeur a répliqué aux arguments du fonctionnaire.

8        Le 22 avril 2014, dans le cadre d’une conférence préparatoire à l’audience, il a été décidé que la question du respect des délais des griefs et de leur renvoi à la CRTFP serait traitée comme une question préliminaire. En conséquence, le 29 mai 2014, le défendeur a déposé des arguments écrits à jour à ce sujet et le fonctionnaire a répondu le 16 juin 2014. Le 25 juin 2014, le défendeur a répliqué à cette réponse.

9        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission, qui a remplacé la CRTFP et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la LRTFP avant le 1er novembre 2014, se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

III. Questions à trancher et analyse

A. Est-ce que certains des griefs ont été renvoyés prématurément à la Commission pour arbitrage de sorte que cette dernière n’a pas compétence pour les entendre?    

10        Comme l’a fait remarquer le défendeur au début de ses arguments les plus récents, le fonctionnaire occupe un poste exclu et il n’est pas représenté. En conséquence, la procédure de règlement de griefs applicable est celle prescrite par le Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79 (le « Règlement »).

11        L’article 72 du Règlement établit les délais pour répondre aux griefs à chaque palier de la procédure de règlement de griefs, comme suit :

72 (1) Sauf dans le cas du grief individuel ayant trait à la classification, la personne dont la décision en matière de griefs individuels constitue le palier approprié de la procédure remet sa décision au fonctionnaire s’estimant lésé ou, le cas échéant, à son représentant au plus tard vingt jours après la réception du grief par le supérieur hiérarchique immédiat ou le chef de service local visé au paragraphe 65(1).

(2) Dans le cas du grief individuel ayant trait à la classification, le délai est de quatre-vingts jours.

12        Par conséquent, le défendeur avait jusqu’à 20 jours suivant la date à laquelle il a reçu un grief au dernier palier de la procédure de règlement de griefs pour transmettre sa décision au fonctionnaire.

13        L’article 90 du Règlement établit le délai pour renvoyer un grief à la Commission après le dernier palier de la procédure de règlement de griefs. Il est libellé comme suit :

90 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable au grief.

(2) Si la personne dont la décision constitue le dernier palier de la procédure applicable au grief n’a pas remis de décision à l’expiration du délai dans lequel elle était tenue de le faire selon la présente partie ou, le cas échéant, selon la convention collective, le renvoi du grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après l’expiration de ce délai.

14        En conséquence, le fonctionnaire avait jusqu’à 40 jours suivant la date à laquelle il a reçu la décision au dernier palier du défendeur pour envoyer un grief à la CRTFP pour arbitrage. Si une décision au dernier palier n’avait pas encore été rendue en ce qui concerne l’un des griefs, il aurait pu renvoyer ce grief à la CRTFP pour arbitrage dans un délai de 40 jours après l’expiration de la période de 20 jours permise au défendeur pour rendre sa décision.

15        Le défendeur a soutenu que les griefs 1, 2 et 3 avaient été renvoyés à l’arbitrage avant l’expiration de la période de 20 jours prévue pour rendre une décision à leur égard au dernier palier, conformément au paragraphe 72(1) du Règlement. Selon le défendeur, les renvois étaient donc prématurés.

16        Le défendeur a soutenu que la date limite pour rendre sa décision à l’égard des trois griefs était le 26 juillet 2012. Il a également fait valoir que le fonctionnaire avait renvoyé les griefs à l’arbitrage prématurément, soit le 19 juillet 2012. Toutefois, l’argumentation du défendeur contient une erreur fondamentale. Les griefs n’ont pas été renvoyés à l’arbitrage le 19 juillet 2012, mais bien le 30 juillet 2012, date à laquelle la CRTFP a reçu la formule « Avis de renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel » (la « formule d’avis ») du fonctionnaire. Ce point a été clairement soulevé dans la lettre que la CRTFP a envoyée au fonctionnaire et au défendeur, en date du 2 août 2012, et dans laquelle elle reconnait avoir reçu le renvoi à l’arbitrage le 30 juillet 2012. La formule d’avis est effectivement en date du 19 juillet 2012, mais, peu importe la date qui y figure, le grief a sans aucun doute été déposé auprès de la CRTFP le 30 juillet 2012. Les timbres dateurs que les Opérations du greffe de la CRTFP ont apposés sur tous les documents déposés en même temps que la formule d’avis font état du 30 juillet 2012.

17        En outre, même si le renvoi a été effectué le 19 juillet 2012, le défendeur n’a pas réussi à démontrer que les renvois à l’arbitrage étaient prématurés. Il n’a pas indiqué dans ses arguments quel calcul il avait fait pour conclure que la date limite pour rendre sa décision était le 26 juillet 2012. Selon la formule d’avis, la date à laquelle les trois griefs ont été présentés au dernier palier était le 18 juin 2012.

18        Le fonctionnaire a présenté, à titre d’élément de preuve, une lettre qui lui a été envoyée par Sylvain Garceau, superviseur, Gestion des griefs, SCC, en date du 18 juin 2012, dans laquelle M. Garceau confirmait avoir reçu les griefs au dernier palier. La lettre précise ce qui suit : [traduction] « […] selon la pratique habituelle, la date limite pour répondre aux griefs est prolongée d’un commun accord, en attendant votre présentation ». Rien dans la documentation soumise par les parties n’indique que le fonctionnaire a accepté une telle prolongation. De plus, la [traduction] « pratique habituelle » vise probablement les griefs présentés par les agents négociateurs qui représentent les employés du SCC plutôt que les griefs présentés par les personnes non représentées. Dans un courriel en date du 1er septembre 2012, envoyé au défendeur et à la CRTFP à la suite de l’avis d’objection initial du défendeur quant au respect des délais du renvoi, le fonctionnaire a explicitement déclaré qu’il n’avait pas accepté une telle prolongation et il a précisé qu’à ce jour, il n’avait pas encore reçu de décision de défendeur au dernier palier en ce qui concerne les trois griefs. En fait, le défendeur n’a envoyé la réponse à ces griefs au dernier palier que le 31 décembre 2012.

19        Toutefois, en ce qui concerne le paragraphe 90(1) du Règlement, même si une « audience » a été tenue le 6 juillet 2012, la date de réception du grief au dernier palier par le défendeur est la date importante à retenir. Le paragraphe 72(1) indique que le défendeur doit répondre dans les 20 jours suivant la date où il a reçu le grief à ce palier, non à compter de la date où il est « présenté » ou entendu. La preuve a démontré qu’au 18 juin 2012, le défendeur avait accusé réception des griefs 1, 2 et 3. La période de 20 jours suivant cette date a pris fin le 8 juillet 2012. Dès le lendemain, le fonctionnaire avait le droit de renvoyer les griefs à l’arbitrage.

20        Quoi qu’il en soit, comme je l’ai déjà expliqué, même si la date limite était le 26 juillet 2012, le renvoi à l’arbitrage a été fait après cette date, soit le 30 juillet 2012. Par conséquent, le défendeur n’a pas établi que le renvoi des griefs 1, 2 et 3 était prématuré.

B. L’un des griefs a-t-il été présenté en retard?

21        Le défendeur a soutenu que plusieurs des griefs avaient été déposés après la période prescrite pour présenter un grief et qu’ils étaient donc hors délai. L’article 68 du Règlement établit le délai applicable pour présenter un grief au premier palier et aux autres paliers successifs de la procédure de règlement de griefs. Il est libellé comme suit :

68 (1) Le fonctionnaire s’estimant lésé peut présenter un grief individuel au premier palier de la procédure applicable aux griefs individuels au plus tard trente-cinq jours après le jour où il a eu connaissance de la prétendue violation ou fausse interprétation ou du prétendu fait portant atteinte à ses conditions d’emploi ayant donné lieu au grief individuel ou après le jour où il en a été avisé, le premier en date étant à retenir.

(2) Le fonctionnaire s’estimant lésé peut présenter successivement son grief individuel à chaque palier supérieur de la procédure applicable aux griefs individuels au plus tard :

a) s’il a reçu une décision du palier immédiatement inférieur, quinze jours après l’avoir reçue;

b) dans le cas contraire, quarante jours après l’expiration du délai dans lequel la décision à ce palier devait lui être remise.

(3) Le grief individuel est réputé avoir été présenté dans le délai prévu aux paragraphes (1) ou (2), selon le cas, s’il est expédié par messager ou remis dans ce délai au supérieur hiérarchique immédiat ou au chef de service local visé au paragraphe 65(1).

22        En conséquence, le fonctionnaire était tenu de présenter initialement ses griefs au plus tard 35 jours après avoir eu connaissance de l’événement ou de toute autre question ayant donné lieu aux griefs, ou après le jour où il en a été avisé avis, selon la première éventualité.

23        Le défendeur a soutenu que les griefs 2, 3, 4 et 5 avaient été présentés après l’expiration de cette période, comme suit :

a) Grief 2 : la formule de présentation du grief est datée du 8 mai 2012. Le fonctionnaire se plaint du fait que le directeur adjoint des Opérations (DAO) a envoyé une lettre à son sujet à la Commission des accidents du travail (CAT), le 14 octobre 2011, dans laquelle il a divulgué des renseignements au sujet de la vie personnelle du fonctionnaire. Le fonctionnaire demande que la question fasse l’objet d’une enquête. Le grief ne précise pas à quel moment il a eu connaissance de la lettre ou il en a été avisé. Toutefois, un rapport local d’ [traduction] « enquête de recherche des faits » préparé par le SCC au sujet de cette violation alléguée, que le fonctionnaire a dit avoir reçu en mai 2012, indique que ce dernier a présenté à l’enquêteur ses allégations au sujet de la violation, le 19 mars 2012. Par conséquent, il doit avoir eu connaissance de la lettre à cette date, si ce n’est plus tôt.

b) Grief 3 : la formule de présentation du grief est datée du 8 mai 2012 et a été signée comme ayant été reçue par l’employeur en date du 9 mai 2012. Le fonctionnaire déclare qu’il a déposé des plaintes pour harcèlement auprès du défendeur relativement à cinq incidents qui se sont produits entre avril 2010 et août 2011. Il soutient que le défendeur n’a pas fait d’enquête ni soumis à la médiation les allégations, et qu’il est devenu la cible d’un harcèlement continu alors qu’il était en congé pour accident du travail.

c) Grief 4 : la formule de présentation du grief est datée du 28 mai 2012 et a été signée comme ayant été reçue par l’employeur en date du 30 mai 2012. Le grief porte sur une lettre en date du 16 janvier 2012, que le directeur adjoint a envoyé au médecin du fonctionnaire. Selon les allégations du fonctionnaire, la lettre constitue du harcèlement et elle est discriminatoire.

d) Grief 5 : la formule de présentation du grief est datée du 7 juin 2012 et a été signée comme ayant été reçue par l’employeur en date du 12 juin 2012. Le grief contient deux allégations. Tout d’abord, le fonctionnaire allègue que durant une rencontre du 8 octobre 2011, au cours de laquelle la haute direction l’a informé qu’il était suspendu sans traitement, il ne s’est pas vu offrir de représentation, même s’il l’avait demandé. En deuxième lieu, le fonctionnaire allègue que les renseignements au sujet de sa plainte à la Commission canadienne des droits la personne ont été remis au DAO. Il souligne que le fait que le directeur était au courant de la plainte a été noté dans un rapport d’enquête de la CAT à son sujet, en date du 26 janvier 2012, qui donne un compte rendu d’une entrevue avec le DAO. Le fonctionnaire n’indique pas à quel moment il a reçu une copie du rapport d’enquête de la CAT.

24        Ces griefs semblent tous avoir été présentés en retard. Le grief 2 concerne clairement une lettre en date du 14 octobre 2011. Comme il est indiqué dans la description du grief, le fonctionnaire a dû prendre connaissance de la lettre dès le 19 mars 2012, si ce n’est plus tôt. Dans le grief 3, le harcèlement dont il est question précède la présentation du grief d’au moins huit mois. La lettre en litige dans le grief 4 a été envoyée quatre mois avant la présentation du grief. Enfin, le refus de représentation que le fonctionnaire invoque dans la première partie du grief s’est produit en octobre 2011, sept mois avant la présentation du grief. La divulgation en ce qui concerne sa plainte pour atteinte aux droits de la personne qui est également mentionnée dans le grief a été mentionnée dans un rapport en date du 26 janvier 2012. Même si le grief ne précise pas à quel moment le fonctionnaire a été informé du contenu du rapport, il n’a présenté aucun renseignement, conjointement à ses arguments, laissant entendre qu’il a eu connaissance de la divulgation dans les 35 jours précédant la présentation de son grief.

25        Selon les arguments du fonctionnaire, les griefs 2, 3 et 4 ont été présentés dans les jours qui ont suivi la réception de la copie du rapport d’enquête que le défendeur avait demandé, lequel rapport soulignait que la plupart des allégations du fonctionnaire n’étaient pas fondées. Le fonctionnaire n’a pas joint de copie du rapport à ses arguments, mais il semble qu’il ait été inclus aux documents concernant le grief 1 dans le renvoi à l’arbitrage. Le rapport semble porter sur les questions de confidentialité soulevées dans le grief 2, mais il n’est pas évident de savoir s’il aborde les questions soulevées dans les autres griefs.

26        Peu importe la question de savoir si ce rapport a une incidence sur le moment où le fonctionnaire pouvait présenter ses griefs, et en supposant que tous ces griefs ont été présentés tardivement, le défendeur a-t-il néanmoins le droit de présenter une objection relative au respect des délais? Selon l’article 63 du Règlement, un grief peut être rejeté au motif qu’il a été présenté en retard uniquement s’il a été rejeté au palier inférieur pour cette même raison. Ce point est mentionné de nouveau au paragraphe 95(2), qui prévoit qu’une objection quant au respect des délais de présentation d’un grief ne peut être soulevée que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief en raison de ce non-respect. Le défendeur a-t-il rejeté les griefs pour ce motif à tous les paliers précédant leur renvoi à l’arbitrage?

27        Dans son argumentation, le défendeur a précisé que les parties avaient renoncé au premier palier de la procédure applicable au grief. Il n’a toutefois fourni aucun document ou autre preuve à l’appui de cette affirmation et n’a donné aucun détail sur la façon dont ce consentement a été obtenu. Dans sa réponse initiale à l’objection du défendeur, le 1er septembre 2012, le fonctionnaire a nié avoir accepté de renoncer au premier palier de la procédure applicable au grief et il a soutenu qu’il s’agissait de la décision unilatérale du défendeur. Il convient de répéter que le fonctionnaire n’est pas représenté par un agent négociateur et que toute pratique relative au premier palier de la procédure applicable au grief qui peut avoir été mise en place entre le défendeur et les agents négociateurs avec lesquels il négocie ne s’appliquait pas au fonctionnaire.

28        Par conséquent, le défendeur a initialement traité les griefs 2, 3 et 5 au deuxième palier. Dans les trois cas, il a indiqué dans ses répliques au grief qu’ils étaient [traduction] « réputés hors délai ». Il a affirmé à tort que le fonctionnaire devait présenter ses griefs dans un délai de 25 jours après la date à laquelle il a été avisé de l’événement ayant donné lieu aux griefs ou qu’il en a eu connaissance. Il semble qu’il s’agisse de la période prévue par la convention collective pour les employés du groupe CX, mais, comme il est indiqué ci-dessus, cela ne s’applique pas au fonctionnaire. En fait, il avait jusqu’à 35 jours pour présenter les griefs. Toutefois, peu importe la période mentionnée, le défendeur a clairement indiqué au deuxième palier qu’à son avis, les griefs étaient hors délai.

29        Le défendeur n’a pas envoyé les réponses au dernier palier aux griefs 2, 3 et 5 avant l’expiration de la période de 20 jours suivant le jour où les griefs ont été reçus à ce palier du fonctionnaire. Cette période a pris fin le 8 juillet 2012, au plus tard, en ce qui concerne les griefs 2 et 3 (comme il est mentionné plus tôt dans cette décision) et le 25 juillet 2012, au plus tard, en ce qui concerne le grief 5, que le défendeur déclare avoir reçu au dernier palier le 5 juillet 2012.

30        Le paragraphe 90(2) du Règlement prévoit que, si le défendeur n’a pas envoyé une décision au dernier palier durant la période de réponse, le grief peut être renvoyé à l’arbitrage. En conséquence, le fonctionnaire a renvoyé les trois griefs à la CRTFP le 30 juillet 2012. Au bout du compte, le 31 décembre 2012, le défendeur a envoyé une seule réponse au dernier palier pour les griefs 2 et 3. En ce qui concerne le grief 5, il a envoyé sa réponse au dernier palier le 15 janvier 2013. Dans les deux réponses au dernier palier, le défendeur a rejeté les griefs au motif qu’ils n’avaient pas été présentés dans le délai prévu par le Règlement et que, par conséquent, ils étaient hors délai.

31        Pour ce qui est du grief 4, le défendeur a traité l’affaire au dernier palier. Le fonctionnaire a reconnu dans sa réplique du 1er septembre 2012 à l’objection du défendeur qu’il avait accepté de renoncer au deuxième palier parce que la personne qui aurait répondu au grief à ce palier jouait un rôle dans ce grief. Toutefois, le fonctionnaire a nié avoir accepté de renoncer au premier palier. Dans une lettre envoyée au fonctionnaire par M. Garceau, en date du 5 juin 2012, le défendeur a reconnu avoir reçu le [traduction] « grief au dernier palier ». Ainsi, la période de 20 jours pour envoyer sa réponse au grief 4 après cette date a pris fin le 25 juin 2012, au plus tard. Le défendeur a envoyé sa réponse au dernier palier le 26 juillet 2012 et, même s’il a déclaré qu’il croyait que le grief était hors délai, la réponse a été envoyée après l’expiration du délai de réponse.

32        Je conclus que, en ce qui concerne les griefs 2, 3, 4 et 5, le défendeur n’a pas démontré qu’il les avait rejetés parce qu’ils étaient hors délai à tous les paliers précédant leur renvoi à l’arbitrage. Il n’a fourni aucune réponse au premier palier pour les griefs 2, 3 et 5, et je ne suis pas convaincu que le fonctionnaire a renoncé à son droit d’obtenir une réponse à ce palier. Je remarque encore une fois que tous les griefs visent un fonctionnaire non représenté qui n’est pas lié par une convention collective. Dans ces circonstances précises, le défendeur aurait dû demander le consentement explicite du fonctionnaire à renoncer au premier palier du grief.

33        En vertu du paragraphe 72(1) du Règlement, le fonctionnaire aurait dû recevoir une réponse du premier palier dans les 20 jours suivant la réception des griefs par le défendeur. Le défendeur n’a pas répondu du tout au premier palier. Dans le cadre de la procédure de règlement de griefs, l’omission d’un décideur de répondre est interprétée comme une décision de rejeter le grief (voir McWilliams c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58, aux paragr. 22 et 23). Ce rejet sous forme de « non-réponse », comme le décrit McWilliams, signifie que le défendeur n’a pas rejeté les griefs au motif qu’ils étaient hors délai dans le cadre de sa première réponse.

34        Par ailleurs, même s’il avait été établi que le fonctionnaire avait consenti à renoncer à une réponse au premier palier, le fait que le défendeur n’ait pas déposé une réponse au dernier palier dans les 20 jours suivant la transmission et la réception des quatre griefs (2, 3, 4 et 5) constitue également un rejet sous forme de « non-réponse » des griefs, ce qui, encore une fois, signifie qu’ils n’ont pas été rejetés parce qu’ils étaient hors délai. Il importe peu que les réponses au dernier palier, qui ont été envoyées des semaines et des mois plus tard, précisaient que les griefs avaient été présentés tardivement. Le paragraphe 95(2) du Règlement est clair. Le défendeur doit avoir rejeté les griefs à tous les paliers en raison du respect des délais pour qu’il puisse soulever la question à titre d’objection. Comme il ne l’a pas fait, il ne pouvait pas soulever l’objection (voir McWilliams, au paragr. 24).

35        Je reconnais que la question de savoir si une objection relative au respect des délais peut être validement soulevée lorsque la réponse au dernier palier est envoyée tardivement a été abordée quelque peu différemment dans Szmidt c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 114. Aucune des parties n’a mentionné cette décision dans ses arguments, mais je suis tout de même d’avis qu’on peut la distinguer de la présente affaire. Dans Szmidt, il n’était pas contesté que le grief était hors délai. L’employeur a invoqué le non-respect des délais du grief dans sa réponse au dernier palier, mais celle-ci a été envoyée alors que le fonctionnaire avait déjà renvoyé le grief à l’arbitrage. L’arbitre de grief a conclu que, malgré le dépôt tardif de sa réponse au dernier palier, l’employeur s’était acquitté de ses obligations aux termes de l’article 95 du Règlement, concluant que l’employeur aurait pu être plus diligent pour rendre sa décision au dernier palier, mais « il l’a quand même rendue ».

36        Même si je ne suis pas nécessairement lié par cette conclusion, à mon avis, il y a une importante distinction à établir entre les deux affaires. Dans Szmidt, l’employeur a envoyé sa réponse au dernier palier sept jours seulement après le renvoi du grief à l’arbitrage et, plus important, cinq jours avant d’envoyer son objection quant au respect des délais à la CRTFP.

37        En l’espèce, en ce qui concerne les griefs 2, 3 et 5, le défendeur a envoyé ses réponses cinq à six mois après l’expiration des délais de réponse et après le renvoi des griefs à l’arbitrage, et au moins quatre mois après avoir envoyé son objection quant au respect des délais à la CRTFP. En ce qui concerne le grief 4, la réponse au dernier palier a été envoyée plus d’un mois après la date d’échéance.

38        Cette distinction entre le cas en l’espèce et Szmidt est très importante, surtout en ce qui concerne les griefs 2, 3 et 5. L’employeur ne devrait simplement pas avoir le droit de corriger son omission tant de mois après le renvoi à l’arbitrage et, plus important, après que le défendeur ait déjà présenté à la CRTFP son objection quant au respect des délais des griefs, une objection qui aurait par ailleurs dû être rejetée parce que les griefs n’ont pas été rejetés pour cette raison dans une réponse au dernier palier. Le fait de permettre au défendeur de corriger son omission de façon unilatérale plusieurs mois après avoir présenté son objection à la CRTFP serait très préjudiciable et injuste pour le fonctionnaire.

39        Je confirme donc que le défendeur a omis de rejeter les griefs 2, 3, 4 et 5 au motif du respect des délais, à tous les paliers, et qu’il ne peut donc pas soulever l’objection.

40        Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

41        Je rejette l’objection du défendeur.

42        Je conclus que le renvoi des griefs à l’arbitrage n’était pas prématuré et que le défendeur n’avait pas le droit de soulever une objection quant au respect des délais parce qu’il n’a pas rejeté les griefs pour ce motif à tous les paliers inférieurs de la procédure de règlement de griefs.

Le 17 mars 2016.

Traduction de la CRTEFP

Michael F. McNamara,
arbitre de grief

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