Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé une plainte de pratique déloyale de travail et un grief de principe, faisant valoir que la convention collective avait été violée – les questions en litige étaient l’interprétation de la convention collective en ce qui concerne l’octroi d’avances de congé de maladie payé aux employés ayant des soldes négatifs et une allégation selon laquelle l’employeur avait contrevenu à la disposition sur le gel prévu par la loi – au moyen d’une lettre envoyée aux employés, l’employeur aurait changé l’application de la clause afin d’avancer des congés de maladie aux employés qui ont des soldes négatifs – selon l’interprétation de l’employeur, la clause signifiait que les employés pouvaient obtenir une avance de congé de maladie uniquement s’ils avaient remboursé les congés de maladie qui leur avait été avancés auparavant et si leur solde de congé n’était plus négatif, ce qui aurait obligé les employés à rembourser les congés de maladie avancés chaque fois qu’ils les utilisaient avant de pouvoir obtenir une autre avance – abordant le grief de principe, la Commission a conclu que l’interprétation par l’employeur de la clause en litige avait violé la convention collective – la Commission a conclu que le sens ordinaire de la clause aurait dû être appliqué – la clause devrait plutôt être interprétée comme permettant à un employé, qui est admissible à des congés de maladie et qui n’a pas suffisamment de crédit ou qui n’a pas de crédit, d’obtenir une avance de congé de maladie payé un certain nombre de fois, jusqu’au plafond de 200 heures – la plainte de pratique déloyale de travail portait sur l’avis donné par l’employeur aux employés du changement à l’interprétation de la clause pour avancer des congés de maladie – la Commission a conclu que ce changement, qui est entré en vigueur pendant le gel prévu par la loi, a effectivement modifié une condition existante de l’emploi prévu par la convention collective, ce qui violait la disposition sur le gel prévu par la loi.Grief accueilli.Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-06-03
  • Dossier:  569-02-148 et 561-02-679
  • Référence:  2016 CRTEFP 47

Devant un arbitre de grief et une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA – UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL – CSN

agent négociateur et plaignant

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur et défendeur

Répertorié
Syndicat des agents correctionnels – Union of Canadian Correctional Officers – CSN c. Conseil du Trésor


Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage et une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
Steven B. Katkin, arbitre de grief et une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi et dans la fonction publique
Pour l'agent négociateur et plaignant:
Arianne Bouchard, Syndicat des agents correctionnels du Canada –  – Union of Canadian Correctional Officers – CSN
Pour l'employeur et défendeur:
Zorica Guzina, avocate
Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 10 au 13 février 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief de principe renvoyé à l’arbitrage et plainte devant la Commission

1        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « LRTFP ») avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013. En outre, en vertu de l’article 395 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un commissaire de l’ancienne Commission saisi de cette affaire avant le 1er novembre 2014 exerce les mêmes attributions qu’une formation de la nouvelle Commission. De plus, en vertu de l’article 396 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continue d’exercer les pouvoirs prévus par la LRTFP dans sa version antérieure à cette date.

2        Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits. Au lieu de le reproduire, j’ai intégré les faits pertinents à la présente décision.

3        Le Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN, est accrédité depuis 2001 en tant qu’agent négociateur pour l’ensemble des agents correctionnels classifiés aux niveaux I et II (CX-01 et CX-02) au service du gouvernement du Canada. Depuis 2001, l’agent négociateur a conclu deux conventions collectives successives avec le Conseil du Trésor (l’« employeur » et le « défendeur »), le 26 juin 2006 et le 5 novembre 2013, respectivement.

4        Le 18 février 2014, l’agent négociateur a présenté un grief de principe auprès de l’ancienne Commission (dossier 569-02-148) alléguant une violation du paragraphe 31.04 de la convention collective conclue avec l’employeur et venant à échéance le 31 mai 2014 (la « convention collective »). Le grief de principe, qui a été renvoyé à l’arbitrage le 1er avril 2014, était libellé comme suit :

[Traduction]

Je présente un grief contre la décision unilatérale de l’employeur, qu’il a communiqué dans une lettre datée du 29 janvier 2014 et qui a été reçue aux environs du 31 janvier 2014, de modifier son interprétation du paragraphe 31.04 de la convention collective.

5        Le paragraphe 31.04 de la convention collective prévoit ce qui suit :

31.04 Lorsque l’employé-e n’a pas de crédits ou que leur nombre est insuffisant pour couvrir l’attribution d’un congé de maladie payé en vertu des dispositions du paragraphe 31.02, un congé de maladie payé lui est accordé pour une période maximale de deux cents (200) heures, sous réserve de la déduction de ce congé anticipé de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite.

6        Depuis le 26 juin 2006, les modalités de la convention collective concernant l’octroi d’un congé de maladie prévoyait que l’employé-e se voyait accorder un congé de maladie payé lorsqu’il ou elle n’était pas en mesure d’exercer ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure, à condition a) qu’il puisse convaincre l’employeur de son état de la façon et au moment que ce dernier détermine; et b) qu’il ait les crédits de congé de maladie nécessaires. Lorsque l’employé-e n’avait pas de crédits ou que leur nombre était insuffisant, une période de congé de maladie anticipée, jusqu’à concurrence de 200 heures, lui était accordée en fonction de sa demande.

7        Au moyen d’une lettre datée du 29 janvier 2014, adressée au président national de l’agent négociateur, Kevin Grabowsky, la sous-commissaire, Gestion des ressources humaines, du Service correctionnel du Canada (SCC), Kathryn Howard, a avisé l’agent négociateur d’une modification à ces [traduction] « […] pratiques et/ou interprétations à l’égard de l’octroi anticipé de crédits de congé de maladie en application des dispositions du paragraphe 31.04 […] » (pièce U-6). Plus particulièrement, la lettre indiquait que, à compter du 1er avril 2014, les gestionnaires cesseraient d’accorder une période de congé anticipée subséquente avant que l’employé ait remboursé entièrement toute période de congé anticipée accordée précédemment au moyen de crédits de congé de maladie accumulés. L’ébauche d’un communiqué à l’intention des employés du SCC ainsi que l’ébauche d’une directive nationale sur les congés de maladie et l’obligation de présenter un certificat médical et les crédits anticipés étaient annexées à cette lettre.

8        Le 14 février 2014, un courriel de la part de Mme Howard a été envoyé à l’ensemble des agents correctionnels, les informant des modifications qui allaient être appliquées à compter du 1er avril 2014 (pièce U-7).

9        Le 17 février 2014, l’employeur a envoyé un avis de négocier collectivement à l’agent négociateur (pièce U-8).

10        Les mesures correctives suivantes étaient demandées dans le grief de principe :

[Traduction]

Je demande une déclaration selon laquelle l’employeur a contrevenu à la convention collective.

Je demande une rétractation immédiate de la nouvelle interprétation du paragraphe 31.04 de l’employeur et un retour à l’interprétation telle qu’elle était appliquée depuis juin 2006.

Je demande que les employés qui ont été touchés ou qui seront touchés par la nouvelle interprétation de l’employeur soient indemnisés intégralement.

De même que tous les autres droits prévus en vertu de la convention collective ainsi que tous les dommages réels, moraux ou exemplaires, devant être appliqués rétroactivement ainsi que les intérêts légaux, sans préjudice aux autres droits acquis.

11        Le 1er avril 2014, l’agent négociateur a présenté une plainte de pratique déloyale de travail en vertu de l’alinéa 190(1)c) de la LRTFP,alléguant que l’employeur avait contrevenu à l’article 107 en modifiant unilatéralement les conditions d’emploi de ses membres alors que l’avis de négocier avait déjà été communiqué (dossier 561-02-679).

12        Avec l’accord des parties, l’ancienne Commission a regroupé ces deux affaires aux fins de l’audience. La preuve présentée par les parties était commune au grief de principe et à la plainte.

13        Au début de l’audience, l’employeur a soulevé une objection quant à l’admissibilité de tout élément de preuve extrinsèque. Selon lui, le libellé de la convention collective était clair. Après avoir entendu et examiné les arguments des deux parties, j’ai tranché que les éléments de preuve extrinsèques seraient admis et examinés dans l’éventualité où j’arriverais à la conclusion que le paragraphe 31.04 de la convention collective est ambigu.

II. Résumé de la preuve

A. Pour l’agent négociateur

1. Kevin Grabowsky

14        M. Grabowsky est un agent correctionnel dont le poste est classifié au groupe et au niveau CX-02. Il est employé par SCC depuis 36 ans. Il a été élu président national de l’agent négociateur en 2013, et il avait antérieurement agi en qualité de président régional des Prairies pour le même agent négociateur, de 2001 à 2013. Depuis 2001, il a siégé à la table de négociation pour toutes les négociations avec l’employeur.

15        M. Grabowsky a décrit la structure nationale des postes de direction de l’agent négociateur comme suit : il y a un président national, deux vice-présidents nationaux et cinq présidents régionaux, soit un pour chacune des régions – le Pacifique, les Prairies, l’Ontario, le Québec et l’Atlantique. Il a déclaré que le président régional doit, notamment, siéger au comité de négociation de l’agent négociateur, superviser les comités dans la région et participer à des comités nationaux et à des comités syndicaux-patronaux. En sa qualité de président national, il supervise l’agent négociateur dans son ensemble et ses finances, préside des comités nationaux, rencontre régulièrement des cadres régionaux et des présidents locaux et siège au comité de négociation.

16        M. Grabowsky a déclaré qu’avant 2006, le paragraphe 31.04 de la convention collective se lisait en partie comme ceci : [traduction] « […] un congé de maladie payé peut lui être accordé à la discrétion de l’Employeur […] ». En conséquence, la demande de congé de maladie d’un employé dépendait de l’approbation du directeur d’un établissement du SCC. Pendant une négociation collective, le 10 avril 2002, l’agent négociateur a proposé la modification du paragraphe 31.04 afin d’éliminer le pouvoir discrétionnaire de l’employeur au moyen du libellé suivant : [traduction] « […] un congé de maladie payé lui est accordé […] » (pièce U-1).

17        La proposition de l’agent négociateur a été acceptée et a été intégrée à la convention collective signée le 26 juin 2006 (pièce U-2). M. Grabowsky a déclaré que, pendant les discussions à propos de la modification proposée, en sous-comité ou à la table générale, il n’a pas été question de l’obligation des employés de rembourser les crédits de congé de maladie anticipés avant l’approbation d’un congé de maladie supplémentaire.

18        M. Grabowsky a mentionné le [traduction] « Bulletin sur les relations de travail 2006-08 » (le « bulletin 2006-08 »), publié par le SCC et daté de novembre 2006. Le bulletin 2006-08 portait sur la convention collective et était intitulé [traduction] « Directive nationale – Congés de maladie, obligation de présenter un certificat médical et congés anticipés » (pièce U-3). Le bulletin comprenait ce qui suit sous le titre [traduction] « Congés de maladie anticipés » :

          [Traduction]

Lorsque l’employé(e) n’a pas de crédits ou que leur nombre est insuffisant pour couvrir l’attribution d’un congé de maladie, un congé de maladie payé lui est accordé pour une période maximale de deux cents (200) heures, comme le précise le paragraphe 31.04. Tout congé anticipé sera déduit de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite. Il convient de souligner que l’octroi de congés de maladie anticipés se limite à 200 heures et vise à couvrir les périodes de congés de maladie au fur et à mesure des besoins. Par conséquent, la disposition permettant d’accorder des congés de maladie anticipés ne devrait pas donner lieu à l’octroi automatique de la période maximale de 200 heures. Les crédits seront plutôt accordés pour couvrir une ou plusieurs périodes d’absence en raison d’une maladie, jusqu’à un maximum de 200 heures.

En cas de cessation d’emploi avec le SCC pour des raisons autres que l’incapacité, le décès ou la mise en disponibilité, l’employeur recouvre les sommes d’argent dues (28.06).

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

19        Selon M. Grabowsky, le bulletin 2006-08 n’impose pas de limite quant au nombre de fois qu’un employé peut se voir accorder la période maximale de 200 heures de crédits de congé de maladie anticipés. Étant donné que le bulletin 2006-08 est une directive nationale, il a déclaré que la direction locale et la section locale de l’agent négociateur ne peuvent conclure un accord qui entrerait en conflit avec l’interprétation prévue dans le bulletin. À sa connaissance, seule une décision relative à un grief pourrait modifier l’interprétation. Il n’était au courant d’aucune décision relative à un grief relativement à des crédits de congé de maladie anticipés, pour la période comprise entre la signature de la convention collective en 2006 et janvier 2014. Selon lui, le bulletin, publié en novembre 2006, constituait le seul bulletin d’interprétation visant les crédits de congé de maladie anticipés publié avant janvier 2014.

20        Pendant la négociation, le 15 juillet 2010, l’employeur a proposé les modifications suivantes au paragraphe 31.04 de la convention collective, (indiquées en caractère gras) (pièce U-4) :

[Traduction]

ARTICLE 31

CONGÉ DE MALADIE PAYÉ

Modifier le paragraphe 31.04 – Attribution des congés de maladie – et ajouter les alinéas a) à c) :

31.04 Lorsque l’employé-e n’a pas de crédits ou que leur nombre est insuffisant pour couvrir l’attribution d’un congé de maladie payé en vertu des dispositions du paragraphe 31.02, un congé de maladie payé peut, à la discrétion de l’Employeur, lui être accordé pour une période maximale de deux cents (200) heures, sous réserve de la déduction de ce congé anticipé de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite, sous réserve :

a) que tout crédit de congé anticipé soit déduit de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite;

b) que tous les crédits anticipés accordés antérieurement soient remboursés;

c) que l’employé-e puisse convaincre l’Employeur qu’il-elle  est incapable d’exercer ses fonctions, par suite de maladie ou de blessure, de la façon et au moment que l’Employeur détermine.

21        M. Grabowsky a affirmé qu’il s’agissait de la première fois que l’agent négociateur recevait une telle proposition et que celle-ci annulait le libellé précédent en remplaçant « lui est accordé » par « peut lui être accordé ». De plus, la clause b) proposée n’avait jamais fait l’objet d’une discussion auparavant. Selon l’agent négociateur, la clause c) était inhabituelle, car elle figurait déjà dans la convention collective, au paragraphe 31.02.

22        D’après M. Grabowsky, la proposition de l’employeur n’a pas fait l’objet de beaucoup de discussion, car elle a été présentée vers la fin de la négociation. L’agent négociateur a refusé la proposition et celle-ci a été retirée le 22 juillet 2013, date à laquelle une entente provisoire a été conclue. En conséquence, le libellé du paragraphe 31.04 de la convention collective est demeuré inchangé par rapport à la convention précédente. L’employeur n’a pas expliqué pourquoi il avait retiré la proposition et n’a pas fait valoir que le paragraphe 31.04 devrait être interprété différemment.

23        M. Grabowsky a fait référence à un courriel daté du 3 août 2012, adressé à John Kearney, directeur, Relations du travail, SCC, en provenance de l’équipe d’interprétation en matière de rémunération et de relations de travail du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) (pièce U-5). Le courriel faisait état de l’interprétation de l’employeur en ce qui concerne les crédits de congé de maladie anticipés en vertu de la convention collective. Le courriel a été envoyé en réponse à la demande d’interprétation de M. Kearney, datée du 31 mai 2012. M. Grabowsky a indiqué que M. Kearney lui avait communiqué cette interprétation à l’occasion d’une réunion bilatérale à un certain moment après le 22 juillet 2013. Il a déclaré que M. Kearney lui avait dit qu’il avait demandé une interprétation en 2009, ce à quoi M. Grabowsky avait répondu : [traduction] « Pourquoi maintenant? ».

24        M. Grabowsky a été informé pour la première fois, au cours d’une réunion tenue en octobre 2013, que l’employeur mettrait en œuvre sa nouvelle interprétation. Don Head, le commissaire du SCC, Alain Tousignant, directeur général, Relations de travail, administration centrale nationale du SCC, Michel Bouchard, représentant de l’agent négociateur, et M. Grabowsky, étaient présents à cette réunion. M. Grabowsky a affirmé qu’ils avaient exprimé leurs préoccupations quant à l’interprétation et que M. Tousignant leur avait demandé de les indiquer par écrit. M. Bouchard  a rédigé ses préoccupations et les a transmises au Conseil du Trésor. L’agent négociateur n’a jamais reçu de réponse et a été informé que l’interprétation de l’employeur serait mise en œuvre.

25        En ce qui concerne la lettre de Mme Howard du 29 janvier 2014, M. Grabowsky a indiqué que l’employeur avait mis en œuvre une interprétation différente de celle qui avait été négociée. Il a ajouté que, selon l’agent négociateur, aucun employé n’avait eu à rembourser intégralement les crédits de congé de maladie anticipés reçus avant d’accéder de nouveau à la banque de crédits anticipés. De même, l’obligation de présenter un certificat médical n’a pas fait l’objet d’une discussion.

26        Le courriel daté du 14 février 2014, informant les employés des changements imminents, comprenait les paragraphes suivants :

 [Traduction]

[]

4. Les employés sont tenus de rembourser tous les crédits de congé de maladie anticipés avant qu’une autre période de congé de maladie anticipée soit accordée. Si un employé n’a pas remboursé les crédits anticipés, il sera tenu de demander un autre genre de congé pour couvrir la période de maladie ou de blessure.

[]

7. L’octroi d’un congé de maladie anticipé en vertu du paragraphe 31.04 se distingue de l’octroi normal d’un congé de maladie en vertu du paragraphe 31.03 en ce qui concerne le fait que l’employé doit convaincre l’employeur de son incapacité à exercer ses fonctions.

8. La direction peut demander à l’employé de lui fournir un certificat médical avant d’accorder les crédits anticipés. Cette demande relative à un certificat médical aidera à justifier que la maladie ou la blessure nécessitera l’octroi de crédits de congé de maladie anticipés, en plus d’aider l’employé et la direction à déterminer le nombre d’heures appropriées pour lesquelles des crédits seront anticipés – de façon à s’assurer qu’ils suffisent à couvrir l’absence de l’employé au travail.

[]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

27        M. Grabowsky a affirmé que le paragraphe 4 mettait en application ce qui, selon l’agent négociateur, n’avait pas fait l’objet de négociations. À sa connaissance, l’énoncé au paragraphe 7 voulant que l’octroi de crédits de congé de maladie anticipés se distingue de l’octroi normal d’un congé de maladie n’a jamais été abordé à la table de négociation, pas plus que l’énoncé au paragraphe 8 voulant que l’employeur puisse demander à l’employé de présenter un certificat médical avant d’accorder des crédits anticipés. M. Grabowsky a affirmé que le courriel avait déclenché une vague d’appels et de courriels d’employés à son égard et aux présidents régionaux de l’agent négociateur, afin de savoir ce qui se passait. Il a ajouté qu’avant le 1er avril 2014, aucun crédit de congé de maladie anticipé n’avait été refusé à un employé si ce dernier respectait la limite prévue de 200 heures. Les seuls refus se produisaient dans les situations où les employés dépassaient les 200 heures. Il a indiqué qu’il aurait été au courant des refus, car ceux-ci auraient fait l’objet de discussions avec les présidents régionaux au niveau de l’exécutif national de l’agent négociateur.

28        M. Grabowsky a décrit le processus de ratification de l’agent négociateur après la conclusion d’une entente provisoire le 22 juillet 2013. Dans chaque région, les présidents régional et local participent aux réunions de l’assemblée générale locale et examinent l’entente provisoire, article par article. M. Grabowsky a affirmé qu’aux réunions de ratification locales auxquelles il a participé, l’article 31 de la convention collective n’avait pas fait l’objet de discussions.

29        En contre-interrogatoire, M. Grabowsky a indiqué qu’une convention collective ne pouvait être modifiée au moyen d’un bulletin des relations de travail, mais qu’un tel bulletin pouvait préciser son application. À la question de savoir si la direction locale avait de la souplesse relativement à l’application d’un bulletin qui conduirait à un écart dans ladite application, M. Grabowsky a répondu que si un bulletin était appliqué différemment dans une région, cette question serait soulevée dans le cadre des réunions régionales de l’agent négociateur. À la question de savoir s’il était possible que toutes les questions ne soient pas soulevées, M. Grabowsky a expliqué que tous les présidents locaux de l’agent négociateur dans une région participent à des réunions avec l’exécutif régional huit fois par année. Il a ajouté que l’exécutif régional se réunissait de 8 à 10 fois par année, et que des bulletins comme celui en cause faisaient l’objet de discussions lors des réunions régionales.

30        M. Grabowsky a reconnu qu’il était possible qu’un employé s’entende avec un gestionnaire correctionnel pour prendre un congé personnel au lieu d’un congé de maladie, et que cette entente ne serait pas portée à l’attention de l’agent négociateur si l’affaire était conclue entre le gestionnaire et l’employé.

31        M. Grabowsky a été questionné au sujet de son témoignage selon lequel, à la réunion d’octobre 2013, M. Kearney a indiqué qu’il avait demandé une interprétation en 2009. Lorsqu’on a indiqué à M. Grabowsky que M. Kearney témoignerait qu’il n’avait pas consulté le SCT, M. Grabowsky a indiqué que cela ne correspondait pas à son souvenir. Selon lui, lorsque M. Kearney lui a dit qu’il avait demandé une précision, il n’a pas mentionné le SCT, mais il a supposé que M. Kearney l’avait fait. On a également indiqué à M. Grabowsky que M. Kearney témoignerait qu’il n’avait pas consulté le SCT en prévision de la réunion de 2006. M. Grabowsky a déclaré qu’il n’avait eu aucune conversation avec M. Kearney à propos du fait qu’il s’était adressé au SCT en prévision de la réunion de 2006.

32        À la question de savoir si un employé pouvait choisir de ne pas utiliser des crédits de congé de maladie anticipés, M. Grabowsky a indiqué que l’employé pouvait prendre un congé annuel ou un congé compensatoire. Il a indiqué que dans les cas d’accidents de travail, étant donné qu’il faut au SCC 39 jours pour traiter un cas, le gestionnaire accorde de tels congés afin que l’employé continue d’être payé pendant que son solde de crédits de congé de maladie est négatif.

33        On a indiqué à M. Grabowsky qu’avant le 1er avril 2014, même si un employé recevait la directive de rembourser des crédits de congé de maladie sans en aviser l’agent négociateur, ça ne voulait pas dire pour autant qu’un tel événement ne s’était pas produit. M. Grabowsky a répondu qu’une telle situation était hypothétiquement possible, mais cela signifierait également que le gestionnaire a trompé ou mal informé l’employé. Il a ajouté que le bulletin 2006-08 aurait été expliqué aux employés et qu’ils auraient porté une telle situation à l’attention de l’agent négociateur.

34        Selon M. Grabowsky, avant 2006, la pratique du SCC n’était pas d’exiger d’un employé ayant un solde de crédits de congé de maladie négatif de rembourser des crédits anticipés. Même lorsque l’octroi des crédits anticipés relevait de la discrétion du directeur d’établissement, il n’arrivait jamais que des employés se fassent dire qu’aucun crédit ne leur serait accordé avant que leurs soldes atteignent zéro. Pendant cette période, M. Grabowsky n’a jamais reçu de plainte à propos de l’application de la politique.

35        En contre-interrogatoire, M. Grabowsky a indiqué que, depuis 2009, les gestionnaires correctionnels doivent consigner le congé et vérifier si l’employé satisfaisait aux critères. Le SCC mène des vérifications à l’échelle régionale et nationale. Il a également affirmé que, depuis la signature de la convention collective le 5 novembre 2013, dans les affaires liées à un accident de travail, les employés sont en mesure de prendre un congé compensatoire en attendant l’approbation de la commission des accidents du travail.

2. Michel Bouchard

36        De 2001 à 2011, M. Bouchard était un conseiller pour la région de l’Ontario de l’agent négociateur. Depuis 2011, il est un coordonnateur de la Confédération des syndicats nationaux (CSN). À ce titre, il interagit avec les conseillers de chacune des régions de l’agent négociateur, travaille en collaboration avec l’exécutif national et est un porte-parole à la table de négociation. En tant que conseiller régional de l’agent négociateur, il traitait avec l’exécutif national (composé des présidents locaux), agissait en qualité de représentant devant plusieurs tribunaux administratifs et se réunissait avec les comités de grief locaux de l’agent négociateur. Dans les établissements plus importants du SCC, il participait à des réunions mensuelles des comités de grief avec la direction. Il a participé à la plupart des séances de négociation pour la période de 2002 à 2006 et, en mars 2011, il est devenu le porte-parole de l’agent négociateur à la table de négociation. De 2010 à 2013, il était le porte-parole de l’agent négociateur pendant l’essentiel de la négociation.

37        M. Bouchard a déclaré qu’il était bien au fait du désaccord quant à l’interprétation de la façon dont les crédits de congé de maladie anticipés étaient accordés. Avant 2006, l’octroi d’un congé de maladie relevait de la discrétion d’un directeur d’établissement. En ce qui concerne la règle concernant le nombre de fois qu’un employé peut recevoir des crédits de congé de maladie anticipés, M. Bouchard a indiqué que la seule règle était que l’employé ne dépasse pas les 25 jours de congé de maladie anticipé.

38        En ce qui concerne la proposition de l’agent négociateur relative au paragraphe 31.04 de la convention collective formulée le 10 avril 2002, M. Bouchard a indiqué que l’agent négociateur tentait d’éliminer le caractère arbitraire de la décision de l’employeur d’accorder un congé de maladie. Au cours de la semaine précédant la signature de la convention collective, l’employeur a accueilli la proposition de l’agent négociateur sans discussion. Il n’y a eu aucune discussion quant à la limite du nombre d’occasions où un employé pouvait prendre un congé de maladie.

39        M. Bouchard a déclaré que, de 2006 à 2013, il n’était au courant d’aucune occasion où un employé dont le solde de crédits était négatif s’était vu refuser l’octroi des crédits de congé de maladie anticipés parce qu’il n’avait pas remboursé les crédits accordés précédemment. En tant que conseiller de l’agent négociateur, il rencontre ses collègues quatre fois par année pour aborder différentes questions et il aurait entendu parler d’un tel problème.

40        En ce qui concerne le bulletin 2006-08, selon la compréhension de M. Bouchard, aucune limite n’était fixée quant au nombre de fois qu’un employé pouvait se voir octroyer jusqu’à 200 heures de crédits de congé de maladie anticipés.

41        Lorsqu’on lui a demandé à combien de reprises, avant 2014, l’employeur avait modifié son interprétation d’une convention collective au moyen d’un bulletin des relations de travail, M. Bouchard a répondu que c’était très peu fréquent.

42        M. Bouchard a ensuite été questionné à propos des modifications apportées au paragraphe 31.04 de la convention collective, le 15 juillet 2010. Il a répondu qu’elles avaient fait l’objet de peu de discussions. Selon l’agent négociateur, la proposition voulant que l’employeur utiliser son pouvoir discrétionnaire pour accorder un congé de maladie constituait un retour à la situation antérieure à 2006. La clause a) reprenait ce qui figurait déjà dans l’article, la clause b) correspondait à ce que l’employeur appliquait depuis le 1er avril 2014 et la clause c) était redondante. M. Bouchard a indiqué qu’il avait examiné ses notes de négociation et que Karine Renoux, une négociatrice de l’employeur, avait retiré la proposition de l’employeur à 18 h 42, le 22 juillet 2013, sans explication. Il a indiqué que l’employeur n’avait pas mentionné que ce paragraphe demeurerait inchangé, mais bien que son interprétation du paragraphe allait changer.

43        M. Bouchard a été informé pour la première fois de l’intention de l’employeur de mettre en œuvre une nouvelle interprétation du paragraphe 31.04 de la convention collective à la suite d’une discussion avec M. Kearney, au début d’octobre 2013. À la demande de l’agent négociateur, le 4 octobre 2013, M. Tousignant a fourni une copie de l’interprétation du SCT.

44        L’agent négociateur était en désaccord avec l’interprétation du SCT. Lorsqu’il a été informé que l’employeur irait de l’avant avec la mise en œuvre, il a demandé à rencontrer M. Head, le commissaire du SCC, afin de soulever ses préoccupations. À la réunion de l’automne 2013, l’agent négociateur a indiqué au commissaire que la négociation s’achevait tout juste et que, dans les réunions avec l’ensemble des sections locales, il les avait informés que l’employeur avait retiré sa proposition concernant le paragraphe 31.04 de la convention collective, lequel n’avait fait l’objet d’aucun changement.

45        Le commissaire a demandé à l’agent négociateur de consigner ses préoccupations et lui a dit qu’il les acheminerait au Conseil du Trésor. M. Bouchard l’a fait dans un courriel daté du 3 décembre 2013, adressé à M. Tousignant. Plus tard le même jour, M. Bouchard a transféré le courriel à René Houle, directeur, Relations de travail, SCC, ainsi qu’à Mme Howard (pièce U-9). La réponse de l’employeur à l’agent négociateur est ensuite venue par l’intermédiaire de la lettre de Mme Howard, datée du 29 janvier 2014.

46        M. Bouchard a indiqué que, de 2006 à 2014, il n’était au courant d’aucun cas où un employé avait été obligé de rembourser les crédits de congé de maladie anticipés qui lui avaient été accordés avant de se voir accorder d’autres crédits anticipés. Il y a eu des discussions concernant la politique sur l’assiduité et la nécessité de présenter un certificat médical pour chaque absence. Il y avait différentes interprétations de la politique relative aux certificats médicaux.

47        M. Bouchard a déclaré que, depuis le 1er avril 2014, environ 50 griefs individuels ont été présentés en ce qui concerne l’interprétation du paragraphe 31.04 de la convention collective, alors qu’auparavant, de tels griefs étaient rares.

48        En contre-interrogatoire, M. Bouchard a fait référence à un bulletin d’information publié par l’agent négociateur concernant l’interprétation de l’employeur, auquel était joint un formulaire de grief rédigé par l’agent négociateur et qui devait être utilisé par les employés à qui on avait refusé des crédits de congé de maladie anticipés. Lorsqu’on lui a demandé si l’agent négociateur avait encouragé ses membres à présenter des griefs, M. Bouchard a répondu que le bulletin expliquait l’interprétation de l’employeur et informait les membres de leurs droits. L’agent négociateur a présenté à ses membres une ébauche de grief, car les membres ne savaient pas tous comment les rédiger. M. Bouchard a mentionné la plainte de pratique déloyale de travail, selon laquelle chaque fois que l’employeur refuserait d’accorder des crédits de congé de maladie anticipés, conformément à sa nouvelle interprétation, les employés présenteraient des griefs individuels. L’agent négociateur ne faisait que protéger les droits de ses membres en fournissant les outils appropriés.

49        M. Bouchard a réitéré que, de 2006 à 2014, aucune affaire concernant les crédits de congé de maladie anticipés n’avait été portée à son attention. De 2001 à 2011, pendant qu’il était conseiller de l’agent négociateur pour la région de l’Ontario, les conseillers de l’agent négociateur ont organisé des réunions pour aborder la question des problèmes liés à l’interprétation de la convention collective. Pendant cette période, il n’a entendu parler d’aucune affaire concernant les crédits de congé de maladie anticipés. Lorsqu’on lui a demandé si ces renseignements étaient fondés uniquement sur la région de l’Ontario, M. Bouchard a répondu que de telles discussions se tenaient habituellement à l’échelle nationale de la CSN. Aucune affaire de ce genre n’a été acheminée à l’exécutif national avant 2011.

50        En contre-interrogatoire, M. Bouchard a déclaré que la décision de présenter un grief incombait à chaque membre.

3. Steven Marcouiller

51        Steven Marcouiller est un agent correctionnel dont le poste est classifié au groupe et au niveau CX-01, à l’Établissement Donnacona, situé à Donnacona, au Québec. Il est au service du SCC depuis juillet 2010 et il est un membre de l’agent négociateur. En avril 2013, il avait un solde positif de crédits de congé de maladie de 40 heures. Il a subi une opération au genou, à la suite de laquelle il a pris 200 heures de congé de maladie, ce qui l’a mené à cumuler un solde négatif de 160 heures. À l’époque, son gestionnaire a pris les mesures nécessaires afin d’accorder les crédits de congé de maladie anticipés.

52        En avril 2014, M. Marcouiller a subi un accident de travail. À l’époque, il avait un solde négatif de crédits de congé de maladie de 20 heures. Son gestionnaire lui a dit de se rendre à l’hôpital et il lui a précisé qu’il prendrait les mesures nécessaires.

53        Le 26 avril 2014, le représentant de l’agent négociateur l’a informé qu’il n’aurait pas droit aux prestations avant que les autorités de la commission des accidents du travail approuvent sa demande, à l’exception de 14 jours qui devaient être payés par l’employeur. Quelques minutes plus tard, son gestionnaire l’a appelé pour lui dire la même chose. Il a été informé qu’un relevé d’emploi lui serait remis et qu’il devrait présenter une demande d’assurance-emploi. Il l’a fait, mais il n’a jamais reçu de prestations au titre de l’assurance-emploi.

54        Il est demeuré sans salaire pendant deux mois avant de commencer à recevoir des indemnités pour accident du travail, le 23 juin 2014. Il a ensuite présenté un grief contre le refus de l’employeur de lui accorder un congé de maladie anticipé (pièce U-11).

55        M. Marcouiller a déclaré qu’avant 2014, à l’Établissement Donnacona, la direction avait l’habitude d’autoriser l’octroi de crédits de congé de maladie anticipés jusqu’à concurrence de 200 heures, sans limiter le nombre de demandes, dans la mesure où la limite de 200 heures n’était pas dépassée.

56        M. Marcouiller a participé à la réunion de ratification de la convention collective en 2013. Les représentants de l’agent négociateur ont discuté des dispositions relatives aux congés de maladie et ont informé les membres qu’elles demeuraient inchangées.

57        En contre-interrogatoire, M. Marcouiller a indiqué que l’employeur lui avait versé rétroactivement une rémunération pour les deux mois où il s’était retrouvé sans salaire ou prestation.

4. Renée Randall

58        Renée Randall est une agente correctionnelle dont le poste est classifié au groupe et au niveau CX-01. Elle est au service du SCC depuis environ six ans et elle est membre de l’agent négociateur. Jusqu’au 28 avril 2014, Mme Randall était employée à l’Établissement Grande Cache, situé à Grande Cache, en Alberta. Depuis, elle travaille à l’Établissement Dorchester, situé à Dorchester, au Nouveau-Brunswick.

59        Mme Randall a témoigné que, le 28 mai 2014, elle a subi un accident hors du travail et qu’elle s’est absentée du travail pendant deux semaines; cette absence était justifiée par un certificat médical (pièce U-12). En date d’avril 2014, sa banque de crédits de congé de maladie affichait un solde négatif de 17,5 heures. Elle a communiqué avec son gestionnaire pour demander un congé de maladie; le congé lui a été accordé. Trois semaines plus tard, en raison d’une conversation avec un collègue, elle a vérifié le Système des horaires de travail et du déploiement (SHD) de l’employeur et elle a appris qu’on lui avait accordé un congé non payé, même si l’employeur ne l’en avait pas informé. La récupération du salaire a eu lieu en septembre 2014. Elle a décidé de présenter un grief pour tenter de se faire rembourser.

60        Au cours de sa carrière, Mme Randall a eu, en une occasion, un solde de crédits de congé de maladie négatif de quatre heures. Elle a indiqué qu’elle avait demandé le congé de maladie alors qu’elle avait un solde négatif et qu’il avait été accordé. Elle a indiqué qu’avant avril 2014, les employés pouvaient prendre un congé de maladie anticipé, jusqu’à concurrence de 200 heures, après quoi l’approbation du directeur d’établissement était requise. Elle a indiqué que le fait d’avoir un solde positif n’était pas une exigence pour se voir accorder un congé de maladie supplémentaire.

61        Mme Randall a participé à la réunion de ratification de la convention collective à l’automne 2013 et elle ne se souvenait pas avoir été informée d’un changement quelconque aux dispositions relatives aux congés de maladie. Elle n’a été informée du changement qu’en juin 2014.

B. Pour l’employeur

1. Karine Renoux

62        Mme Renoux est au service de la fonction publique fédérale depuis 2001. Elle a travaillé au sein des relations de travail à l’Agence du revenu du Canada et, depuis 2008, elle a occupé plusieurs postes liés aux relations de travail au Conseil du Trésor. Elle occupe le poste de négociatrice depuis septembre 2012. Ses fonctions principales sont la négociation collective et l’aide offerte à ses collègues pour interpréter les conventions collectives. Depuis 2012, elle participe aux négociations avec l’agent négociateur.

63        Lors de la première réunion de l’employeur avec l’agent négociateur en décembre 2012, Mme Renoux a préparé les documents de l’employeur, mais elle n’a pas participé à la réunion, au cours de laquelle une offre complète officielle a été présentée à l’agent négociateur. Cette offre comprenait la disposition relative aux congés de maladie où l’expression « lui est accordé » était remplacée par « peut lui être accordé ». Sa première séance de négociation avec l’agent négociateur a eu lieu en juin 2013, au cours de laquelle l’accent a été placé sur les augmentations économiques. Les congés de maladie n’ont pas fait l’objet de discussions lors de cette séance.

64        La séance de négociation suivante a eu lieu le 22 juillet 2013 et a abouti à un règlement. Les discussions étaient axées sur les questions pécuniaires. Il n’y a eu aucune discussion sur la disposition relative aux congés de maladie ou sur la proposition de l’employeur ou ce qu’elle signifiait. La proposition a été retirée au moment indiqué par M. Bouchard dans son témoignage. Mme Renoux a indiqué que la proposition originale de l’employeur découlait de la préoccupation du SCC à l’égard du nombre d’employés dont le solde de crédits de congé de maladie était négatif ainsi que du nombre de congés de maladie accordés à ceux dont le solde était négatif. La direction du SCC lui a indiqué qu’elle voulait davantage de rigueur dans l’octroi de crédits de congé de maladie anticipés. On l’a informé que certains employés avaient un solde négatif considérablement plus important que 200 heures et que certains avaient un solde négatif de plus de 1 000 heures.

65        Mme Renoux a indiqué que ses collègues et elle-même avaient examiné le paragraphe 31.04 de la convention collective au sein du caucus et qu’ils étaient arrivés à la conclusion que rien n’empêchait le SCC d’appliquer le paragraphe de façon plus stricte tout en conservant le même libellé. Par conséquent, il a été conclu que la proposition de l’employeur pouvait être retirée.

66        Mme Renoux a indiqué que la convention collective conclue entre l’employeur et l’agent négociateur diffère d’autres conventions collectives dans la fonction publique fédérale en ceci qu’elle contient l’expression « lui est accordé » au paragraphe 31.04 de la convention collective, alors que les autres conventions collectives contiennent l’expression « peut lui être accordé » dans des dispositions similaires. Elle a indiqué que l’application aux employés couverts en vertu des autres conventions collectives est devenue pertinente dans ses conversations avec ses collègues en ceci que la seule différence, du point de vue de la direction, était le pouvoir discrétionnaire d’accorder des crédits de congé de maladie anticipés tout en respectant une certaine limite.

67        Mme Renoux a indiqué que la position du Conseil du Trésor en ce qui concerne l’application du paragraphe 31.04 de la convention collective est que celui-ci ne devrait pas être examiné de façon isolée, mais bien en tenant compte de l’ensemble du régime de congés de maladie à l’intérieur duquel les employés accumulent 15 jours de congé de maladie par année et reportent les jours inutilisés. Ce régime vise à couvrir une maladie, y compris celle de plus longue durée. En ce qui concerne l’octroi d’un congé de maladie anticipé, certains gestionnaires ont autorisé des employés à avoir un solde négatif, alors que cette situation ne devrait survenir que dans des circonstances exceptionnelles. Les employés devraient gérer leurs congés de maladie de façon à avoir un nombre suffisant de jours dans leur banque.

68        À titre d’exemple de circonstances exceptionnelles, Mme Renoux a indiqué que l’employeur était au courant que lors d’un congé pour accident de travail, il fallait un certain temps à la commission des accidents du travail pour rendre une détermination finale. Dans de tels cas, des crédits de congé de maladie anticipés sont accordés aux employés.

69        En contre-interrogatoire, bien que Mme Renoux ait reconnu que, lors de la négociation de juin et de juillet 2013, l’employeur n’avait jamais mentionné qu’il pouvait adopter l’interprétation du 1er avril 2014 sans modifier le libellé de la disposition, elle a maintenu que l’interprétation de l’employeur avait toujours été comme telle, et ce, même lorsque l’expression « peut lui être accordé » a été remplacée par « lui est accordé ». Elle a ajouté que cette interprétation était conforme à l’interprétation de l’employeur du 3 août 2012 (pièce U-5), qui n’a pas été communiquée à l’agent négociateur à la table de négociation. À sa connaissance, aucun autre document d’une nature similaire n’a été communiqué à l’agent négociateur pendant la négociation. À la question de savoir de quelle façon le SCC appliquait l’interprétation de l’employeur, Mme Renoux a répondu qu’elle ne le savait pas et qu’elle n’avait aucune raison de supposer qu’elle serait appliquée différemment que dans d’autres parties de la fonction publique fédérale.

70        On a renvoyé Mme Renoux à l’extrait suivant du bulletin 2006-08, sous la section intitulée « Congés de maladie anticipés » :

                   [Traduction]

[…] la disposition permettant d’accorder des congés de maladie anticipés ne devrait pas donner lieu à l’octroi automatique de la période maximale de 200 heures. Les crédits seront plutôt accordés pour couvrir une ou plusieurs périodes d’absence en raison d’une maladie, jusqu’à un maximum de 200 heures.

[…]

71        D’après Mme Renoux, le bulletin a été émis par le SCC et ne correspondait pas à la position du Conseil du Trésor. Comme elle ne travaillait pas au Conseil du Trésor à l’époque, elle ne savait pas si le bulletin avait été communiqué au Conseil du Trésor.

72        En ce qui concerne le retrait de la proposition de l’employeur le 22 juillet 2013, Mme Renoux a réitéré que cette décision avait été prise au sein d’un caucus et que la proposition avait été retirée sans explication. Elle a été informée que des crédits de congé de maladie étaient accordés au-delà de ce qui était prévu par la convention collective.

73        Mme Renoux a été renvoyée à son témoignage selon lequel des crédits de congé de maladie anticipés devraient être accordés uniquement dans des situations exceptionnelles; cependant, la convention collective ne mentionne pas les prestations d’invalidité de longue durée ou les certificats médicaux en ce qui a trait aux crédits de congé de maladie anticipés. Elle a répondu que si la direction peut demander un certificat médical pour un congé de maladie payé, à tout le moins, l’obligation liée à l’octroi de crédits de congé de maladie anticipés devrait être la même que pour un congé de maladie payé.

74        Tout en reconnaissant que, en ce qui concerne M. Marcouiller, ce dernier méritait que des crédits de congé de maladie anticipés lui soient accordés, Mme Renoux a admis qu’en vertu de l’interprétation de l’employeur datée du 1er avril 2014, il n’y aurait pas eu droit.

75        En réinterrogatoire, Mme Renoux a indiqué que si M. Marcouiller avait eu un solde positif, le congé de maladie payé lui aurait été accordé.

76        Selon Mme Renoux, de nombreux employés n’ont pas besoin de crédits de congé de maladie anticipés, puisqu’ils demandent des prestations d’assurance-emploi. En ce qui concerne les employés ayant un solde négatif, dans des cas de congés pour accident de travail, le SCC les autorise à utiliser d’autres congés pour couvrir la période en question. Habituellement, les employés devraient prendre un congé de maladie non payé lorsqu’ils ont un solde négatif.

2. John Kearney

77        M. Kearney est le directeur des Relations du travail du SCC. Il est au service du SCC depuis 2006 et compte au total 25 années d’expérience en matière de relations de travail dans la fonction publique fédérale. Entre autres fonctions et responsabilités, il doit appuyer le processus de négociation collective, appuyer et fournir des conseils en matière d’interprétation de la convention collective, de politique sur les relations de travail et de perfectionnement, appliquer le SHD conformément aux dispositions de la convention collective, participer aux comités de négociation nationaux avec l’agent négociateur et agir en tant que membre de l’équipe de négociation de la direction.

78        M. Kearney a rédigé la lettre du 29 janvier 2014, signée par Mme Howard. Il a préparé une note d’information analysant le libellé de la convention collective ainsi que les options et les risques associés à la directive de l’employeur. Il a indiqué que le SCC avait rendu la décision de janvier 2014, car le volume des banques de crédits de congé de maladie dont le solde était négatif posait un risque pour les employés, notamment pour ceux qui avaient cumulé un solde négatif de plus de 200 heures de crédits de congé de maladie, en raison du temps requis pour le rembourser. Il faudrait à un employé ayant un solde négatif de 200 heures 1,7 an pour rembourser ce solde. Pendant une période aussi longue, l’employé n’aurait accès à aucun crédit de congé de maladie en attendant de recevoir des indemnités pour accident du travail ou des prestations d’invalidité de longue durée.

79        M. Kearney a indiqué que l’employeur avait entrepris des analyses et des discussions auprès des directeurs régionaux et des directeurs d’établissement, de même qu’auprès des gestionnaires correctionnels participant à l’établissement de l’horaire de travail et au déploiement dans le milieu de travail au début de 2012. Selon ce qui a été conclu, les dispositions relatives aux crédits de congé de maladie anticipés dans la convention collective étaient appliquées de façon incohérente. Certains employés avaient reçu plus de 200 heures au titre des crédits anticipés, ce qui les exposait à des risques, car l’obligation de rembourser les crédits de congé de maladie constituait un fardeau pour les employés en question.

80        L’une des préoccupations du SCC concernait la fonctionnalité du SHD, car il n’existait aucune interface entre ce système et le Système de gestion des ressources humaines (SGRH) du SCC. Bien qu’un gestionnaire puisse consigner l’absence d’un employé en raison d’une maladie dans le SHD, l’employé doit tout de même remplir les formulaires de congé du SGRH. M. Kearney a déclaré que les congés de maladie étaient la cause principale des heures supplémentaires au SCC.

81        M. Kearney a indiqué que, en mai 2012, il avait demandé au Conseil du Trésor de lui fournir une interprétation de la disposition relative aux crédits de congé de maladie anticipés, et ce, afin de préciser les processus, car il y avait une préoccupation liée à la formation des gestionnaires qui accordaient des congés de maladie et à la gestion des situations où les employés avaient des soldes de crédits de congé de maladie négatifs de plus de 200 heures. Il était également nécessaire d’établir une concordance entre le SHD et le SGRH. Il a affirmé que l’interprétation du Conseil du Trésor d’août 2012 a été communiquée à l’agent négociateur en octobre 2013 dans le cadre d’une réunion bilatérale à laquelle Mme Howard et lui-même ont assisté, de même que MM. Grabowsky et Bouchard. Ils ont informé l’agent négociateur que l’interprétation précisait clairement que certains des processus d’octroi et d’approbation des gestionnaires n’étaient pas conformes au libellé de la convention collective.

82        À la question de savoir pourquoi l’interprétation n’avait pas été communiquée plus tôt à l’agent négociateur, M. Kearney a répondu qu’en 2012, ils étaient engagés dans un processus de négociation et qu’ils avaient formulé une proposition afin de préciser la disposition relative aux crédits de congé de maladie anticipés. Si la proposition de l’employeur avait été acceptée lors de la négociation, il aurait eu l’occasion de préciser la façon d’appliquer la disposition. M. Kearney a indiqué qu’il n’avait pas demandé une interprétation des dispositions relatives aux crédits de congé de maladie anticipés en 2009.

83        Lorsque questionné au sujet des consultations auprès de l’agent négociateur avant la lettre du 29 janvier 2014, M. Kearney a indiqué qu’après la réunion bilatérale d’octobre 2013, le commissaire du SCC, M. Tousignant, et M. Grabowsky ont eu une discussion. Ensuite, une réunion a eu lieu en février 2014, avant la publication de l’ébauche du bulletin du 3 avril 2014; M. Kearney, Mme Howard, M. Grabowsky et M. Bouchard ont participé à cette réunion.

84        M. Kearney a déclaré que, avant de publier le bulletin, le libellé de la convention collective devait être examiné pour voir s’il appuyait l’interprétation du SCT. Il a ajouté qu’il y avait également eu des discussions sur la façon dont l’employeur pourrait mettre en œuvre une modification afin de veiller à ce qu’un plus grand nombre de crédits de congé de maladie ne soit pas accordé avant le remboursement de tous les crédits de congé de maladie anticipés. En ce qui concerne l’application de la disposition en question, M. Kearney a donné l’exemple d’un employé masculin ayant un solde de crédits de congé de maladie positif équivalant à une journée de congé. Si cet employé appelle pour signaler qu’il est malade, un jour de congé de maladie lui est accordé. S’il appelle le jour suivant pour signaler qu’il est malade, un congé anticipé lui est accordé si le gestionnaire est convaincu que l’employé est malade. Si, le troisième jour, l’employé appelle pour signaler qu’il est malade, alors l’employeur traite cette absence comme un seul événement continu et l’employé doit remplir un formulaire de congé.

85        M. Kearney a indiqué que la date d’entrée en vigueur de l’interprétation de l’employeur, soit le 1er avril 2014, a été sélectionnée afin de donner aux employés un avis raisonnable du changement et de leur permettre de planifier, au cas où ils seraient sur le point d’épuiser leur banque de crédits de congé de maladie.

86        M. Kearney a déclaré que le SCC produit des bulletins lorsqu’il y a des changements aux politiques, à la convention collective et aux protocoles ministériels qui les précisent. Entre 2006 et 2014, le SCC a publié environ 30 bulletins, dont certains ont été modifiés à plusieurs reprises. À titre d’exemple, il y a des bulletins sur les indemnités de repas, les échanges de postes, les heures de travail et les lignes directrices sur les horaires de travail.

87        Selon M. Kearney, le SCC a publié le bulletin 2006-08 sans consulter le Conseil du Trésor. Il a témoigné qu’il découlait d’un processus de négociation de six ans et que le SCC avait travaillé sur l’interprétation avec l’agent négociateur. Le bulletin avait pour but de préciser la convention collective et tentait de régler le problème des employés qui se voyaient accorder plus de 200 heures de crédits de congé de maladie anticipés.

88        En contre-interrogatoire, M. Kearney a été questionné à savoir si le paragraphe 31.04 de la convention collective était interprété différemment à l’échelle du pays. Il a répondu que le SCC avait toujours adopté la position voulant que, lorsqu’un employé est malade, ce dernier doit avoir un nombre de crédits insuffisant ou aucun crédit, pour que des crédits de congé de maladie anticipés lui soient accordés. L’employeur a l’obligation d’accorder des crédits de congé de maladie anticipés, jusqu’à concurrence de 200 heures, sous réserve du remboursement automatique des crédits anticipés au moyen de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite.

89        Malgré la position de l’employeur, M. Kearney a reconnu que le paragraphe 31.04 de la convention collective n’était pas appliqué de façon uniforme à l’échelle du pays. Certains employés se sont vus accorder plus de 200 heures, que ce soit au cours d’une seule période ou de périodes multiples. M. Kearney a indiqué qu’une partie de l’incohérence découlait des interprétations résiduelles d’avant 2006, selon lesquelles la direction accordait un nombre de crédits de congé discrétionnaire aux fins de report aux employés ayant subi un accident de travail dans l’attente de l’approbation des indemnités pour accident du travail. Certaines incohérences s’expliquaient également par le processus administratif du SHD lié à la gestion des banques de crédits de congé dont le solde est négatif et aux gestionnaires correctionnels responsables de ce processus.

90        À la question de savoir si, avant le 1er avril 2014, des crédits anticipés avaient été refusés parce que les employés qui en faisaient la demande n’avaient pas remboursé les crédits anticipés antérieurs, M. Kearney a répondu qu’il croyait que c’était le cas, car, autrement, le nombre de banques affichant un solde de crédits de congé de maladie négatif aurait été plus important. Il a formulé cette hypothèse, car la majorité des congés de maladie au SCC consiste en une période d’un à deux jours, tandis que les autres sont de plus longue durée. Toutefois, il n’a pas été en mesure de confirmer que l’interprétation du 1er avril 2014 avait été appliquée avant cette date, car les données n’indiquaient pas si un employé avait utilisé un autre genre de congé. Par conséquent, les données n’indiqueraient pas si, dans de tels cas, on avait refusé des crédits anticipés subséquents parce que les crédits anticipés précédents n’avaient pas été remboursés.

91        À la question de savoir s’il était d’accord que la majorité des gestionnaires correctionnels accordaient des crédits de congé de maladie anticipés avant que les crédits anticipés précédents soient remboursés, M. Kearney a répondu qu’ils étaient nombreux à appliquer l’interprétation précédente, ce qui allait à l’encontre de la convention collective. Il a ajouté que d’autres gestionnaires correctionnels étaient de mauvais administrateurs. Avant 2006, lorsque le libellé du paragraphe était « peut lui être accordé », les directeurs d’établissement accordaient plus d’un congé anticipé afin de permettre aux employés de recevoir un paiement transitoire dans l’attente des indemnités pour accident du travail. Après la publication du bulletin 2006-08 et la modification du libellé pour « lui est accordé », même si M. Kearney croyait que l’on faisait la même chose, il n’y avait aucune donnée pour indiquer les emplacements où cela se produisait.

92        À la question de savoir si, avant le 1er avril 2014, des gestionnaires correctionnels lui avaient confirmé qu’ils appliquaient de façon uniforme l’interprétation de l’employeur, M. Kearney a répondu que, dans ses discussions avec eux dans le cadre des formations et des consultations dans l’ensemble du pays sur la mise en œuvre du SDH en 2010-2011 et en 2012-2013, les gestionnaires correctionnels avaient indiqué que différentes pratiques étaient utilisées à différents emplacements. Personne ne lui a indiqué qu’elle appliquait uniformément l’interprétation de l’employeur.

93        M. Kearney a déclaré qu’avant la période de 2006 à 2014, si des employés subissaient un accident de travail, ils demandaient des indemnités pour accident du travail et, dans de nombreux cas, choisissaient de prendre un congé annuel. Lorsqu’ils étaient approuvés aux fins des indemnités pour accident du travail, leur congé annuel était remboursé. M. Kearney supposait que, dans de tels cas, l’employé n’aurait pas demandé des crédits de congé de maladie anticipés. Il était possible que l’employé choisisse un congé annuel ou que le gestionnaire refuse d’accorder un congé anticipé.

94        À la question de savoir s’il y avait des documents relativement à un refus d’un congé anticipé, M. Kearney a indiqué que si un employé était en désaccord avec le gestionnaire, on pouvait supposer qu’il aurait présenté un grief. Aucun grief de ce genre n’a été présenté entre 2006 et 2014.

95        En ce qui concerne Mme Randall, M. Kearney a indiqué qu’un employé avait l’obligation de retourner au travail et de remplir un formulaire de congé pour le SGRH et de l’envoyer au gestionnaire aux fins d’approbation. Bien que le gestionnaire ait pu avoir informé verbalement l’employé que le congé était approuvé, le processus est activé par la demande formelle présentée par l’employé dans le formulaire de congé. Pour ce qui est de la question du paiement en trop, M. Kearney a déclaré que, lorsqu’un employé choisit de prendre un congé non payé en raison d’une maladie, le gestionnaire est censé informer l’employé qu’il sera assujetti à un recouvrement au titre du rajustement des salaires et doit en informer l’unité de la rémunération. L’employé est informé par l’unité de la rémunération. En conséquence, Mme Randall aurait dû recevoir deux avis de redressement concernant son salaire moyen.

96        M. Kearney indiqué que le recouvrement de salaire en raison d’un congé non payé lié à une maladie ne veut pas dire que la demande de congé anticipé est accordée ou refusée, en raison du fait qu’un employé a fait un choix personnel de prendre un tel congé. Si un montant important est recouvré auprès d’employés, cela ne constitue pas une indication que les gestionnaires appliquent l’interprétation de l’employeur, parce que prendre un congé non payé est le choix d’un employé. Il n’y a aucun suivi quant à savoir si l’interprétation de l’employeur a été appliquée.

97        M. Kearney a décrit les fonctions d’un gestionnaire correctionnel, Horaires et déploiement (GCHD). Lorsqu’un employé appelle pour signaler qu’il est malade, le gestionnaire ou le GCHD, selon celui qui est en service, accède à l’horaire de l’employé pour ce jour-là et consigne l’absence de l’employé. Cette personne indique le type de congé que l’employé a choisi d’utiliser, soit un congé annuel, un congé de maladie, un congé familial ou un congé non payé. Dès son retour au travail, l’employé doit remplir un formulaire du SGRH. Les GCHD ont accès à l’utilisation des congés dans le SHD et le SGRH. Les données sont téléchargées chaque nuit aux fins de concordance.

98        À la question de savoir quel était le but des bulletins des relations de travail, M. Kearney a indiqué qu’ils visaient à préciser l’application de la convention collective, mais pas à la modifier. Ils visent également à assurer la conformité aux politiques du Conseil du Trésor et aux lois, et sont utilisés à titre d’outils de communication afin d’en favoriser l’application et l’observation uniformes par la direction. Il a reconnu que les bulletins ne permettent pas toujours d’assurer la conformité. M. Kearney s’attend des gestionnaires qu’ils lisent, respectent et appliquent les bulletins.

99        En ce qui concerne le bulletin 2006-08, M. Kearney a donné à titre d’exemple l’expression « une ou plusieurs périodes », selon lequel si un employé reçoit des crédits anticipés de 100 heures, il aura à rembourser les 100 heures. Le but de ce bulletin était de traiter le problème de l’octroi de plus de 200 heures de crédits de congé de maladie anticipés. Le bulletin n’a été modifié qu’en 2014. En 2006, les employés en congé de maladie pouvaient s’absenter du travail jusqu’à concurrence de 200 heures et étaient tenus d’effectuer leurs propres calculs. M. Kearney a admis que les gestionnaires devraient également assurer le suivi des heures de congé de maladie des employés. Après 2009, les employés avaient accès au système à partir du milieu de travail.

100        On a renvoyé M. Kearney au point 7 du courriel de Mme Howard daté du 14 février 2014 (pièce U-7), qui est rédigé en ces termes : [traduction] « L’octroi d’un congé de maladie anticipé en vertu du paragraphe 31.04 se distingue de l’octroi habituel d’un congé de maladie en vertu du paragraphe 31.03 en ce qui concerne l’obligation de l’employé de convaincre l’employeur de son incapacité à exercer ses fonctions. » M. Kearney a déclaré qu’en vertu du paragraphe 31.03 de la convention collective, l’employé déclare lui-même les raisons du congé de maladie.

101        La direction demande un certificat médical parce que l’employé qui évalue lui-même sa maladie ne peut pas évaluer lui-même à quel moment il sera en mesure de retourner au travail. L’obligation relative à un certificat médical traite deux questions : d’abord, lorsqu’un employé déclare lui-même une maladie et que l’employeur décèle une tendance, des questions peuvent être posées à l’employé. Deuxièmement, cela permet à la direction d’obtenir une évaluation d’un professionnel médical à propos de la date de retour au travail de l’employé. Si un employé n’a aucun crédit de congé de maladie ou qu’il n’en a pas suffisamment, l’employeur peut demander des renseignements sur la durée de l’absence.

102        M. Kearney a déclaré que même si l’employeur peut ne pas exiger de certificat maladie relativement à la maladie d’un employé, il pourrait en avoir besoin pour justifier la durée du congé. Il a convenu que si un employé a un solde de crédits de congé de maladie positif, l’employeur n’en ferait la demande que s’il observait une tendance.

103        En ce qui concerne les questions et réponses préparées par l’employeur et datées du 15 mai 2014 (pièce E-2), M. Kearney a indiqué que la question 4, concernant une période de congé continue, a été soulevée à la suite de discussions avec l’agent négociateur afin de gérer des situations où les employés n’étaient pas au fait de la gravité d’une maladie.

104        M. Kearney a déclaré que la convention collective reconnaît qu’il y aura toujours des employés dont le solde est négatif, ce qui ne lui posait aucun problème. Il était plutôt préoccupé par l’octroi de crédits de congé de maladie anticipés à un employé dont le solde était déjà négatif.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

1. Le grief de principe

105        L’agent négociateur a fait valoir que la question dans cette affaire porte sur l’interprétation de la convention collective, laquelle exige une détermination de l’intention des parties, à savoir si un employé a le droit à un seul congé de maladie pour une période continue de 200 heures ou si l’employé peut obtenir le nombre de congés de maladie requis, jusqu’à concurrence de 200 heures. L’agent négociateur a reconnu qu’il lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur avait contrevenu à la convention collective.

106        Pour comprendre l’intention des parties, elles sont réputées avoir eu l’intention qu’elles ont exprimée dans le libellé de la convention. Les règles sur l’interprétation des conventions collectives sont les mêmes que pour l’interprétation des contrats privés (voir Brown & Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, Canada Law Book, art. 4:2100 (« Brown & Beatty »)).

107        L’agent négociateur a soutenu que je devais d’abord déterminer si le libellé d’un paragraphe est clair ou ambigu (voir J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les Obligations, 7e édition, Éditions Yvon Blais, paragr. 410). Le fait que l’employeur ait publié un bulletin d’interprétation ne signifie pas que le paragraphe en cause est ambigu. Si je conclus que le libellé du paragraphe est clair, je dois alors l’interpréter. Si je conclus que le paragraphe est ambigu, je dois alors appliquer les règles d’interprétation et la preuve extrinsèque; voir Goldman c. R., [1980] 1 R.C.S. 976.

108        L’agent négociateur a d’abord fait valoir que le paragraphe 31.04 de la convention collective était clair. Il a fait valoir qu’il n’existe aucun écart entre les versions française et anglaise du paragraphe 31.04. Il a soutenu que le sens du paragraphe est clair; chaque fois qu’un employé demande un congé de maladie, il a droit à un congé anticipé d’une période maximale de 200 heures. Le sens normal et ordinaire du paragraphe n’exige pas que l’employé ait un solde de crédits de congé de maladie positif avant qu’un autre congé anticipé ne lui soit accordé. À l’appui de cet argument, l’agent négociateur m’a renvoyé à Legge c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2014 CRTFP 47.

109        L’agent négociateur a soutenu que le sens du terme « période » au paragraphe 31.04 de la convention collective ne correspond pas à une durée qui est nécessairement continue; elle peut être continue ou non. L’agent négociateur m’a renvoyé aux définitions suivantes du dictionnaire : Selon le Larousse en ligne : « espace de temps plus ou moins long que l’on envisage du point de vue de sa durée, soit du point de vue de sa situation dans un espace de temps plus long »; selon le Nouveau Petit Robert : « espace de temps plus ou moins long »; selon Le Petit Druide des Synonymes : « espace de temps - durée, laps de temps, plage (horaire), planche (horaire), temps »; et selon les Oxford Dictionaries en ligne : « a length or portion of time » ou [traduction] « une durée ou une part de temps ».

110        À l’appui de son argument selon lequel la convention collective doit être interprétée dans son ensemble, l’agent négociateur m’a renvoyé Parsons c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2004 CRTFP 160. Il a fait valoir que dans la version française du paragraphe 31.04 de la convention collective, « période maximale de deux cents (200) heures » ne s’applique pas au nombre de congés de maladie pris. Le terme « maximale » renvoie à la durée de la période. De plus, dans « la déduction de ce congé anticipé », « ce congé » est au singulier. Le paragraphe doit avoir du sens dans le contexte de l’ensemble de l’article 31 et ce contexte doit se lire au singulier.

111        L’agent négociateur a fait valoir que le paragraphe 31.04 de la convention collective porte sur deux situations distinctes : lorsque les crédits d’un employé ne suffisent pas à couvrir la période de congé de maladie payé ou lorsque l’employé n’a aucun crédit. Il ne précise pas que l’employé doit rembourser les crédits de congé de maladie anticipés pour avoir droit à un plus grand nombre de crédits anticipés.

112        L’agent négociateur a ensuite soutenu que si je déterminais que le paragraphe 31.04 de la convention collective était ambigu, en ce qui a trait à la preuve extrinsèque, je dois d’abord examiner la pratique antérieure; voir Chapman c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 73, qui reproduit le critère permettant d’établir la pratique antérieure établit comme suit par la Cour fédérale dans Procureur général du Canada c. Yves Lamothe et al., 2008 CF 411, au paragr. 40 :

[40] […] La preuve doit démontrer une pratique échelonnée sur plusieurs années et doit respecter les conditions suivantes :

a) Être répétée sur plusieurs années;

b) Être acceptée par toutes les parties impliquées;

c) Être absente d’ambiguïté ou de controverse.

113        L’agent négociateur a indiqué qu’il n’avait pas présenté d’argument sur la préclusion. Il a fait référence au bulletin 2006-08 et a fait valoir que l’employeur et lui-même avaient fondé leurs interprétations sur celui-ci de 2006 à 2014. D’après cette interprétation commune, on a accordé à des employés une ou plusieurs périodes de congé de maladie sans qu’ils soient tenus d’avoir un solde de crédits de congé de maladie nul ou positif. La preuve a démontré que cette interprétation n’a pas été contestée formellement et que le bulletin n’a pas été modifié. À l’appui de son argument, l’agent négociateur a cité Phillips c. Conseil du Trésor (Transport Canada), dossier de la CRTFP 166-02-20099 (19910425), [1991] C.R.T.F.P.C. no 82 (QL).

114        L’agent négociateur a soutenu que les antécédents de négociation constituaient une autre forme de preuve extrinsèque à utiliser à titre d’aide à l’interprétation des conventions collectives; voir Brown & Beatty, à l’article 3:4420 et Canadian Museum of Civilization Corporation v. Public Service Alliance of Canada, 2011 CanLII 89183 (CA LA). L’agent négociateur a signalé que l’employeur avait retiré sa proposition de modifier le paragraphe 31.04 de la convention collective sans explication le 22 juillet 2013, au dernier jour de la négociation.

115        À titre d’exemple d’affaires où l’on a accordé à des employés un congé de maladie payé, et ce, à plus d’une reprise, sans que l’employé soit tenu de rembourser un solde négatif, l’agent négociateur m’a renvoyé à Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 92, et Juba c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CRTFP 71. L’agent négociateur a fait valoir que ces décisions représentent une preuve indirecte de l’intention des parties voulant que les employés ayant un solde de crédits de congé de maladie nul ou négatif n’aient pas à rembourser les crédits de congé de maladie en souffrance avant que des crédits de congé de maladie anticipés leur soient accordés.

116        En concluant son argument relatif au grief de principe, l’agent négociateur a soutenu que le paragraphe 31.04 de la convention collective était clair et que l’employeur y avait contrevenu. À titre d’argument subsidiaire, l’agent négociateur a fait valoir que si j’arrive à la conclusions que le paragraphe 31.04 était ambigu, alors la preuve extrinsèque a démontré que l’intention des parties n’a jamais été prise en considération dans l’interprétation de l’employeur. À titre de mesures correctives, l’agent négociateur a demandé une ordonnance voulant que l’employeur applique l’interprétation qui prévalait avant le 1er avril 2014 et que les employés touchés soient indemnisés, avec intérêts. Pendant l’argumentation de l’employeur, l’agent négociateur a retiré sa demande que des intérêts soient accordés.

2. La plainte de pratique déloyale de travail

117        Pour l’agent négociateur, la question en litige consiste à déterminer si l’employeur a contrevenu à l’article 107 de la LRTFP en modifiant unilatéralement les conditions d’emploi de ses membres lorsque l’avis de négocier collectivement a été communiqué. L’agent négociateur a indiqué qu’il devait démontrer qu’il y avait une condition d’emploi en vigueur et que celle-ci a été modifiée par l’employeur. L’agent négociateur a fait valoir que l’ancienne interprétation constituait en soi une condition d’emploi qui était en vigueur le 17 février 2014, date à laquelle l’avis de négocier a été communiqué. L’interprétation de l’employeur est entrée en vigueur le 1er avril 2014. L’agent négociateur a cité Association des pilotes fédéraux du Canada c. Conseil du Trésor, 2006 CRTFP 86, au paragr. 80, relativement à l’application de l’article 107, et BHP Billiton Diamonds Inc., 2006 CCRI 353, en ce qui concerne l’article correspondant du Code canadien du travail (L.R.C. 985, ch. L-2).

118        Dans l’argument de l’agent négociateur, la date essentielle à prendre en considération dans la détermination de savoir si l’employeur a contrevenu à l’article 107 est le 1er avril 2014, date à laquelle la nouvelle politique de l’employeur est entrée en vigueur, pas la date à laquelle la politique a été annoncée. À l’appui de son argument selon lequel l’employeur a modifié une condition d’emploi pendant un gel des négociations, l’agent négociateur a cité Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 46.

119        En guise de réparation, l’agent négociateur a demandé une déclaration selon laquelle l’employeur a modifié une condition d’emploi qui était en vigueur pendant un gel des négociations ainsi qu’une ordonnance que l’employeur rétablisse l’ancienne interprétation du paragraphe 31.04 de la convention collective jusqu’à la conclusion d’une nouvelle convention collective. L’agent négociateur a déclaré qu’il n’allègue pas que l’employeur s’est adonné à une négociation de mauvaise foi.

B. Pour l’employeur

1. Le grief de principe

120        L’employeur a fait valoir que le paragraphe 220(1) de la LRTFP limite le grief de principe à l’interprétation ou à l’application de la convention collective. Dans la présente affaire, le caractère véritable du grief porte sur l’interprétation du paragraphe 31.04 de la convention collective. À ce titre, il incombait à l’agent négociateur de démontrer que l’employeur avait contrevenu à la convention collective; voir Association canadienne des employés professionnels c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 100.

121        L’employeur a fait valoir que sa décision de préciser l’incohérence dans la façon dont le paragraphe 31.04 de la convention collective était appliqué ne constituait pas une violation de la convention collective. Le libellé, tel qu’il est rédigé, prévoit que les employés peuvent obtenir un congé de maladie anticipé de 200 heures sous réserve d’un remboursement ultérieur au moyen de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite. Le libellé est clair et cohérent et, selon une simple lecture, il n’y a pas lieu de se pencher sur les éléments de preuve extrinsèques. Toutefois, si je conclus que le libellé est ambigu, alors les éléments de preuve extrinsèques, y compris la pratique antérieure et les antécédents de négociation, peuvent être utilisés afin d’aider à interpréter la convention collective. Selon les arguments de l’employeur, sa position est conforme au libellé de la convention collective et précise l’application du paragraphe 31.04. Le sens de ce paragraphe ne permet pas aux employés de recevoir à de multiples reprises des crédits de congé de maladie anticipés d’une période maximale de 200 heures.

122        En ce qui concerne l’employeur, les trois principaux principes de l’interprétation des conventions collectives sont les suivants : au moment de déterminer l’intention des parties, il faut chercher le sens ordinaire du libellé; les mots doivent être lus dans leur contexte immédiat et dans le contexte de la convention collective dans son intégralité; un avantage qui comporte un coût financier pour l’employeur doit être prescrit clairement et expressément en vertu de la convention collective. À l’appui de ces principes, l’employeur a cité les décisions suivantes : Syndicat canadien descommunications, de l’énergie et des travailleurs de papier, section locale 30 c. Les Pâtes et Papier Irving Ltée, 2002 NBCA 30; Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55, et Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112.

123        L’employeur a fait valoir que pour être admissible en vertu du paragraphe 31.04 de la convention collective, le nombre de crédits d’un employé doit être insuffisant en vertu du paragraphe 31.02 de cette même convention. Le libellé du paragraphe 31.04 prévoit que si un employé n’a pas de crédits de congé de maladie ou qu’il n’en a pas suffisamment, un congé de maladie lui est accordé jusqu’à concurrence de 200 heures. L’utilisation de l’expression « lui est accordé » n’accorde pas un pouvoir discrétionnaire lié à l’octroi d’un congé de maladie anticipé. L’employeur a fait valoir que, dans la version anglaise, l’octroi d’un congé de maladie se limite à « a period » (une période) maximale de 200 heures et a signalé la version française du paragraphe 31.04, qui précise « une période ». L’employeur a fait valoir que le libellé signifie clairement une seule période maximale de 200 heures, pas de multiples périodes maximales de 200 heures.

124        À l’appui de cet argument, l’employeur a cité, en guise de comparaison, Alliance de la Fonction publique du Canada et Barnes et al, c. Agence Parcs Canada, 2012 CRTFP 98. Dans cette décision, l’arbitre de grief a examiné une entente de règlement en vertu de laquelle l’employeur a versé un paiement rétroactif à d’anciens employés dont les postes ont été reclassifiés rétroactivement après qu’ils aient quitté le service de l’employeur.

125        L’arbitre de grief devait déterminer si l’employeur avait respecté le règlement lorsqu’il a limité le calcul des années de service aux fins du paiement forfaitaire au temps travaillé dans le poste reclassifié au moment où l’employé donné a été radié de l’effectif. Selon l’agent négociateur, les années de service auraient également dû être incluses dans le temps travaillé dans d’autres postes reclassifiés occupés auparavant.

126        L’entente de règlement stipulait que le paiement forfaitaire devait être fondé sur les années de service de l’employé [traduction] « à un poste » reclassifié à compter d’avril 1999 jusqu’à la date à laquelle l’employé a quitté le service de l’employeur. L’agent négociateur a fait valoir que l’expression [traduction] « un poste » signifiait [traduction] « tous les postes » travaillés. Pour l’employeur, cela signifiait [traduction] « un seul poste »; c’est-à-dire, le poste de l’employé au moment de quitter le service de l’employeur. L’arbitre de grief a déterminé que l’interprétation de l’employeur était plus cohérente dans le contexte de l’entente de règlement.

127        L’employeur a fait valoir que le libellé du paragraphe 31.04 de la convention collective ne donnait pas droit à des crédits de congé de maladie anticipés supplémentaires avant que tout solde négatif ait été remboursé. Il a signalé que les expressions « ce congé anticipé » et « such advanced leave » signifiaient qu’un seul congé anticipé pouvait être accordé et a souligné que le pluriel n’était pas utilisé au paragraphe 31.04. L’employeur a fait valoir que si les parties avaient eu l’intention d’accorder de multiples périodes de congé de maladie payé, elles n’auraient pas utilisé l’expression « une période ». La position de l’agent négociateur mènerait à une absurdité, car ses membres ne tireraient aucun avantage d’avoir un solde négatif.

128        L’employeur a mentionné la clause 30.03a) de la convention collective, portant sur un congé de maternité non payé, qui prévoit qu’une employée « […] se voit accorder, sur demande, un congé de maternité non payé pour une période commençant […] ». L’employeur a fait valoir que, selon l’interprétation de l’agent négociateur, un congé de maternité pourrait consister en des périodes de congé multiples.

129        L’employeur a également mentionné le paragraphe 32.01 de la convention collective, concernant un congé d’études non payé, qui prévoit en partie ce qui suit : « […] l’employé-e peut bénéficier d’un congé d’études non payé pour des périodes d’études d’au plus un (1) an […] ». Selon les arguments de l’employeur, ce libellé indique que lorsque les parties avaient l’intention de faire référence à des périodes multiples, elles le précisaient.

130        L’employeur a soutenu que les paragraphes 31.02 et 31.04 de la convention collective étaient distincts. Il a fait valoir que si l’argument de l’agent négociateur selon lequel le paragraphe 31.04 constitue une banque de crédits de congé de maladie supplémentaire qui doit être utilisée conjointement avec le paragraphe 31.02 était exact, il n’y aurait aucun besoin d’avoir deux paragraphes distincts dans la convention collective.

131        L’employeur a ensuite abordé la question de la preuve extrinsèque dans l’éventualité où j’arrivais à la conclusion qu’il existe une ambiguïté dans le paragraphe 31.04 de la convention collective. Il a déclaré que les antécédents de négociation doivent être pertinents, sans équivoque et qu’ils doivent révéler un consensus ou une intention commune entre les parties quant au sens du libellé. Ils ne peuvent pas représenter l’espoir ou l’attente unilatérale d’une seule partie. Aux fins des principes d’interprétation généraux, l’employeur a cité DHL Express (Canada) Ltd. v. CAW-Canada, Locals 4215, 144 & 4278 (2004), 124 L.A.C. (4th) 271. Dans cette décision, au moment d’examiner les antécédents de négociation des parties, l’arbitre de grief a déterminé que le paragraphe en litige n’avait pas fait l’objet d’une discussion à la table de négociation.

132        L’employeur a fait valoir que, selon la preuve des deux parties, entre 2006 et 2014, leur intention était d’établir un régime de congé de maladie identique à celui de l’ensemble de la fonction publique. Le paragraphe 31.04 de la convention collective, dont le libellé a été hérité en 2001 d’autres ententes conclues avec l’Alliance de la Fonction publique du Canada, était conforme au régime de congés de maladie d’autres conventions collectives dans la fonction publique fédérale, à l’exception du fait que l’expression « peut lui être accordé » au paragraphe 31.04 a été remplacé par « lui est accordé » afin de gérer le pouvoir discrétionnaire de l’employeur d’accorder un congé de maladie. Les parties ont préservé le régime dont elles ont hérité, à l’exception de l’expression « lui est accordé ». L’employeur a fait valoir que, comme l’indique la preuve de Mme Renoux, aucune entente différente n’a été conclue pour les employés du SCC, à l’exception de l’expression « lui est accordé ».

133        En ce qui concerne la pratique antérieure en tant qu’aide à l’interprétation, l’employeur a signalé que l’agent négociateur ne s’était pas fié à un argument fondé sur la préclusion, il a cité les décisions suivantes aux fins des principes de la pratique antérieure : Lamothe, et Rook et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2004 CRTFP 146.

134        L’employeur a déclaré que la position de l’agent négociateur, selon laquelle une des pratiques continues du SCC consistait à accorder de multiples périodes de congé de maladie payé jusqu’à concurrence de 200 heures, s’appuyait sur les témoignages de ses témoins et sur le bulletin 2006-08. L’employeur a fait valoir qu’une telle preuve était au mieux anecdotique, et que MM. Grabowsky et Bouchard ont témoigné de façon générale à propos de leur participation auprès de l’agent négociateur et de ses membres. L’employeur a effectivement reconnu que M. Grabowsky, dans son témoignage, avait donné l’exemple d’un employé à Edmonton, en Alberta, à qui l’on avait accordé plusieurs congés de maladie d’une période maximale de 200 heures.

135        D’après les arguments de l’employeur, la preuve de M. Marcouiller et de Mme Randall quant à leur expérience concernant les dispositions relatives aux congés de maladie n’est pas pertinente en l’espèce. Ils ne sont pas des représentants de l’agent négociateur et n’étaient pas dans une situation leur permettant de témoigner sur les pratiques au sein de leurs établissements. L’expérience de Mme Randall antérieure au 28 avril 2014 était à l’Établissement Grande Cache. Étant donné qu’après cette date elle a travaillé à l’Établissement Dorchester, son témoignage n’a pas porté sur la façon dont les dispositions relatives aux congés de maladie étaient appliquées à l’Établissement Dorchester avant le 1er avril 2014. M. Marcouiller a présenté un exemple de la pratique à l’Établissement Donnacona. Aucune preuve n’a été présentée relativement à la pratique ailleurs au SCC, et aucun nom ou occasion précis n’a été présenté.

136        L’employeur a fait référence au témoignage de M. Kearney à propos de l’application des dispositions relatives aux congés de maladie qui, même s’il a soulevé des incohérences, n’a pas présenté d’exemples précis. Cependant, il a déclaré qu’il y avait une preuve selon laquelle les dispositions relatives aux congés de maladie étaient appliquées de façon incohérente à l’échelle du pays, y compris le fait d’accorder plus de 200 heures de congé de maladie, ce qui va à l’encontre de la convention collective.

137        Au moment d’aborder le bulletin 2006-08, de novembre 2006, l’employeur a fait valoir que M. Kearney l’avait rédigé et que sa preuve non contredite était qu’il visait à répondre à la préoccupation du SCC lié au fait d’accorder des crédits de congé de maladie anticipés pour une période de plus de 200 heures, ce qui était un problème avant 2006. Le SCC tentait de régler ce problème, peu importe qu’il soit question d’une période unique ou de périodes multiples de congé de maladie. Compte tenu des renseignements limités disponibles à l’époque, la direction ignorait le nombre ou la nature des incohérences dans le régime des congés de maladie, mais traitait la question liée à l’octroi de crédits de congé pour une période de plus de 200 heures. M. Kearney a fait valoir qu’il ne pouvait pas se pencher sur ce qui se passait au niveau local, car les demandes de congé étaient traitées manuellement. En 2009, les données sur les congés de maladie sont devenues plus disponibles. Cependant, au fur et à mesure que ces données et ces consultations continuaient de révéler des incohérences dans l’application des dispositions de la convention collective, M. Kearney a décidé de demander une interprétation auprès du Conseil du Trésor.

138        L’employeur a fait valoir que l’agent négociateur n’avait pas réussi à démontrer qu’une pratique était acceptée par le Conseil du Trésor, qui était un signataire de la convention collective. D’après la preuve, l’agent négociateur n’a pas établi qu’il existait une pratique antérieure à l’échelle du Canada et, en conséquence, il n’y a eu aucune violation de la convention collective. L’employeur a fait valoir que le bulletin du 3 avril 2014 n’avait introduit aucune modification à la convention collective, un nouveau libellé ou une nouvelle interprétation. L’employeur cherchait à préciser l’application des dispositions relatives aux congés de maladie afin de régler les incohérences.

139        En ce qui a trait à la réparation, l’employeur a fait valoir que la seule réparation disponible en ce qui concerne le grief de principe est une déclaration en vertu de l’article 232 de la LRTFP. Il a fait valoir qu’un arbitre de grief n’avait pas compétence pour accorder des dommages relativement à des griefs de principe. En outre, les dommages demandés par l’agent négociateur sont vagues; il n’a présenté aucune preuve quant au nombre d’employés touchés ou quant au nombre d’employés ayant un solde de crédits de congé de maladie positif ou négatif. Dans cette affaire, la question porte sur le fait que des employés accumulaient des soldes négatifs au moyen de crédits de congé de maladie anticipés. La nature des dommages qui pourrait compenser une telle situation est incertaine.

2. La plainte de pratique déloyale de travail

140        L’employeur a souligné que l’article 107 de la LRTFP stipule que chaque condition d’emploi en vigueur le jour où l’avis est communiqué continue d’être en vigueur pendant la négociation.

141        L’employeur a fait valoir que, dans cette affaire, la seule condition d’emploi protégée par l’article 107 est l’octroi d’une seule période de congé de maladie anticipé sous réserve de son remboursement éventuel au moyen de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite.

142        L’employeur a fait valoir que l’octroi de multiples périodes de congé de maladie payé d’une durée maximale de 200 heures ne constitue pas une condition d’emploi. Il s’agissait de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par certains gestionnaires qui allait au-delà de ce qui est prévu par la convention collective. À ce titre, il n’est pas visé par l’article 107 de la LRTFP.

143        L’employeur a fait valoir que la proposition d’un agent négociateur de modifier une disposition d’une convention collective n’empêche pas sa capacité de préciser et de gérer à l’intérieur de la portée de la convention collective.

144        En supposant que le fait d’accorder de multiples périodes de congé de maladie, jusqu’à concurrence de 200 heures, soit une condition d’emploi, l’employeur a fait valoir que conformément aux dispositions relatives aux droits de la direction en vertu des articles 7 et 11.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. 1985, ch. F-11; la « LGFP »), de la LRTFP et de la convention collective, il avait le pouvoir de renoncer à cette pratique, car elle ne faisait pas partie de la convention collective et qu’elle était exercée afin de traiter les incohérences. L’employeur y a renoncé en communiquant un avis clair et raisonnable à l’agent négociateur le 29 janvier 2014, avant qu’il communique l’avis de négocier. Cela a eu pour effet de geler l’ancienne pratique jusqu’au 1er avril 2014, date à laquelle les lignes directrices dans le bulletin de l’employeur daté du 3 avril 2014 ont commencé à s’appliquer. À propos de son pouvoir de gestion en général, l’employeur a cité Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2014 CRTFP 18 au paragr. 48.

145        L’alinéa 7(1)e) de la LGFP est rédigé en ces termes :

7(1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l’égard des questions suivantes :

[…]

e) la gestion des ressources humaines de l’administration publique fédérale, notamment la détermination des conditions d’emploi […]

[…]

146        L’article 11.1 de la LGFP prévoit ce qui suit :

11.1(1) Le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice des attributions en matière de gestion des ressources humaines que lui confère l’alinéa 7(1)e) :

a) déterminer les effectifs nécessaires à la fonction publique et assurer leur répartition et leur bonne utilisation;

b) pourvoir à la classification des postes et des personnes employées dans la fonction publique;

c) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la fonction publique, leurs horaires et leurs congés, ainsi que les questions connexes;

d) déterminer et réglementer les indemnités susceptibles d’être versées aux personnes employées dans la fonction publique soit pour des frais de déplacement ou autres, soit pour des dépenses ou en raison de circonstances liées à leur emploi;

e) sous réserve de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, fixer des orientations et établir des programmes destinés à la mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi dans la fonction publique;

f) élaborer des lignes directrices ou des directives sur l’exercice des pouvoirs conférés par la présente loi aux administrateurs généraux de l’administration publique centrale, ainsi que les rapports que ceux-ci doivent préparer sur l’exercice de ces pouvoirs;

g) élaborer des lignes directrices ou des directives :

(i) d’une part, sur la façon dont les administrateurs généraux de l’administration publique centrale peuvent s’occuper des griefs présentés sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique auxquels ils sont parties et plus particulièrement de ceux de ces griefs qui sont renvoyés à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de cette loi;

(ii) d’autre part, sur les rapports que ces administrateurs doivent préparer sur ces griefs;

h) élaborer des lignes directrices ou des directives concernant la communication par les personnes employées dans la fonction publique de renseignements sur les actes fautifs commis au sein de celle-ci et la protection de ces personnes contre les représailles lorsqu’elles communiquent ces renseignements conformément à ces lignes directrices ou directives;

i) élaborer des lignes directrices ou des directives concernant la prévention du harcèlement en milieu de travail et le règlement des différends auquel il donne lieu;

j) régir toute autre question, notamment les conditions de travail non prévues de façon expresse par le présent article, dans la mesure où il l’estime nécessaire à la bonne gestion des ressources humaines de la fonction publique.

(2) Le Conseil du Trésor ne peut :

a) exercer ses pouvoirs à l’égard des questions visées au paragraphe (1) si celles-ci sont expressément régies par une autre loi et non par simple attribution de pouvoirs à une autorité ou à une personne déterminée;

b) exercer des pouvoirs expressément conférés à la Commission de la fonction publique sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, mettre en œuvre des méthodes de sélection du personnel dont l’application relève, sous le régime de cette loi, de la Commission ou exercer des pouvoirs expressément conférés au commissaire de la Gendarmerie royale du Canada en vertu de l’alinéa 20.2(1) l) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

147        L’employeur a fait valoir que les erreurs commises dans l’application de la convention collective ne sont pas protégées par le gel des négociations; en conséquence, la correction de ces erreurs ne l’est pas non plus. À l’appui de son argument selon lequel il avait le droit de régler les incohérences, l’employeur a cité UCCO-SACC-CSN c. Conseil du Trésor, 2004 CRTFP 38, au paragr. 32.

148        En ce qui concerne l’argument qu’il aurait pu attendre à la prochaine ronde de négociation pour modifier l’interprétation des dispositions relatives aux congés de maladie, l’employeur a soutenu qu’il avait le pouvoir de corriger les erreurs pendant la durée d’une convention collective. De plus, le SCC avait reçu un avis et une directive du Conseil du Trésor de corriger les incohérences, tel que l’indique l’interprétation du Conseil du Trésor datée d’août 2012. Par conséquent, il était raisonnable pour l’employeur d’agir à l’égard de cette interprétation.

149        En abordant la question de la réparation, l’employeur a signalé que le paragraphe 192(1) de la LRTFP prévoit que si la Commission détermine qu’une plainte en vertu du paragraphe 190(1) est fondée, elle peut rendre « toute ordonnance » qu’elle estime indiquée. Si l’employeur a omis de se conformer à l’article 107, l’alinéa 192(1)a) prévoit qu’une telle ordonnance peut comprendre le versement d’une indemnité aux employés.

150        L’employeur a fait valoir que, dans cette affaire, ce en quoi consisterait une telle indemnité n’est pas clair. Il n’y avait aucune preuve que des préjudices avaient été causés ni aucune preuve d’un lien de causalité quelconque. En outre, certains employés ayant subi un accident de travail à qui l’on avait accordé des crédits de congé de maladie anticipés dans l’attente d’indemnités pour accident du travail ont éventuellement été remboursés. Même si l’employeur a initialement fait valoir que tout octroi de dommages aux employés serait limité à une période de 25 jours avant la présentation du grief, il a retiré cet argument par la suite.

151        L’employeur a ensuite formulé des commentaires sur une partie de la jurisprudence et de la doctrine citée par l’agent négociateur. Il a distingué Alliance de la Fonction publique du Canada au motif que, dans cette affaire, l’employeur a modifié une pratique après la communication de l’avis de négocier. Dans Juba, un plus grand nombre de congés a été accordé à un employé ayant un solde de crédits de congé de maladie négatif. L’employeur n’a pas contesté que cela pouvait se produire dans des ministères autres que le SCC, mais a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une indication qui devrait être prise en considération afin d’accueillir une plainte.

152        L’employeur a fait valoir qu’en obligeant aux parties de s’acquitter du lourd fardeau d’établir les conditions d’emploi, l’article 107 veille à ce que la protection conférée par le gel des négociations n’accorde pas plus aux parties que le marché qu’elles ont obtenu. Le gel des négociations ne peut pas être utilisé afin d’améliorer les conditions d’emploi dans une plus grande mesure que ce qui a été obtenu à la table de négociation.

C. Réfutation de l’agent négociateur

153        L’expression « une période » au paragraphe 31.04 de la convention collective, au singulier, exprime l’intention des parties; c’est-à-dire, chaque fois qu’un employé est malade, il a droit à une période de congé de maladie. La version française du paragraphe 14.07 de la convention collective, portant sur les congés de représentants de l’agent négociateur aux fins des réunions pendant la procédure de règlement des griefs, mentionne « une période raisonnable de congé ». Selon les arguments de l’agent négociateur, la structure de ce paragraphe est semblable à celle du paragraphe 31.04.

154        En ce qui concerne l’argument de l’employeur voulant que la période maximale de congé de maladie de 200 heures constitue une seule période, l’agent négociateur a fait valoir que plusieurs dispositions de la convention collective renvoient à des périodes continues ou consécutives, par exemple le paragraphe 10.10 et les clauses 30.02a) et 43.07c)(i) de la convention collective.

155        L’agent négociateur a fait valoir que le paragraphe 31.04 de la convention collective ne précise pas que les employés doivent rembourser complètement tous les crédits de congé de maladie anticipés avant qu’un autre congé puisse être accordé. Ce paragraphe traite uniquement de la méthode de remboursement des congés de maladie.

156        L’agent négociateur a fait valoir que Lamothe, au paragr. 40, faisait référence à une pratique antérieure utilisée pour contredire une disposition de la convention collective, alors que l’affaire en cause porte sur l’utilisation d’une pratique antérieure dans le but d’interpréter un paragraphe.

157        En ce qui concerne les témoignages de MM. Grabowsky et Bouchard, l’agent négociateur a fait valoir qu’ils avaient des connaissances sur les pratiques en matière d’octroi de congés de maladie dans l’ensemble du Canada. Dans les cas de M. Marcouiller et de Mme Randall, ils avaient les connaissances pour témoigner de la pratique dans leur milieu de travail respectif et de la pratique en général.

158        En ce qui concerne l’argument de l’employeur voulant que le SCC et le Conseil du Trésor soient, dans une certaine mesure, distincts, l’agent négociateur a soutenu que si le Conseil du Trésor délègue le pouvoir au SCC d’appliquer la convention collective, il ne peut pas adopter la position selon laquelle il n’est pas lié par les actes de ses délégués.

159        En ce qui a trait à la réparation, dans l’éventualité où le grief de principe serait accueilli, l’agent négociateur a affirmé que les employés ayant un solde de crédits de congé de maladie nul ou négatif, à qui l’on a refusé des crédits anticipés et qui ont été obligés de prendre un autre genre de congé, devraient voir ce congé converti en congé de maladie et les crédits rétablis dans leur banque de crédits de congé de maladie.

160        Pour ce qui est de la plainte de pratique déloyale de travail, l’agent négociateur a fait valoir que l’exercice des droits de la direction en vertu de la LGFP ne contrevenait pas à l’article 107.

161        L’agent négociateur m’a renvoyé à l’interprétation du Conseil du Trésor datée du 3 août 2012 (pièce U-5), et a fait valoir qu’il ne s’agissait pas d’une directive et que le SCC n’avait pris aucune mesure à cet égard pendant deux ans. Cela ne constitue pas une preuve des intentions des parties à la table de négociation.

162        L’agent négociateur a fait valoir que le gel en vertu de l’article 107 correspond à un portrait des conditions en vigueur à la date à laquelle l’avis de négocier est communiqué, non pas à la date d’application par l’employeur du bulletin de 2014.

IV. Motifs

163        La question centrale dans ces affaires, du point de vue du grief de principe et de la plainte en matière de pratique déloyale de travail, est le changement allégué de l’employeur dans l’application du paragraphe 31.04 de la convention collective en ce qui concerne l’octroi de crédits de congé de maladie payé anticipés à des employés qui avaient déjà un solde négatif. Je me pencherai d’abord sur le grief de principe.

A. Le grief de principe

164        Comme le prévoit paragr. 220(1) de la LRTFP, les griefs de principe portent sur des interprétations ou des applications d’une convention collective :

220 (1) Si l’employeur et l’agent négociateur sont liés par une convention collective ou une décision arbitrale, l’un peut présenter à l’autre un grief de principe portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention ou de la décision relativement à l’un ou l’autre ou à l’unité de négociation de façon générale.

165        Les deux parties ont fait valoir que le libellé de la convention collective était clair et qu’il appuyait leurs positions respectives. Étant donné que j’ai tranché que la preuve extrinsèque était admissible, les deux parties ont présenté une preuve relative au contexte de la négociation collective dans lequel elles ont présenté les dispositions pertinentes ainsi que les antécédents de négociation. Il est bien établi que la preuve extrinsèque est pertinente et admissible lorsque le libellé contesté comprend une ambiguïté manifeste ou latente. En conséquence, je traiterai d’abord du libellé de la convention collective.

166        Dans la détermination du grief de principe, l’article 229 de la LRTFP m’interdit de modifier la convention collective. L’article est libellé comme suit :

229. La décision de l’arbitre de grief […] ne peut avoir pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

167        Dans DHL Express (Canada) Ltd., l’arbitre de grief a résumé comme suit certains principes d’interprétation aux pages 295 et 296 :

                   [Traduction]

[…] Le point de référence principal d’un arbitre de différends doit être le libellé de la Convention […] car c’est surtout par le mot écrit qu’il faut tenter d’évaluer l’intention commune des parties. Le libellé doit être interprété selon son sens propre et ordinaire, à moins que cette approche n’entraîne une absurdité ou une incompatibilité, auquel cas les arbitres interpréteront le libellé de manière à éviter de tels résultats. Cependant, il faut garder à l’esprit que ces principes d’interprétation doivent être appliqués dans le contexte de la Convention écrite elle-même. Il est également bien reconnu qu’en contrepartie, les anomalies ou les résultats imprévus ne justifient pas à eux seuls la modification du sens ordinaire des termes. Ce n’est pas non plus le cas si une interprétation de la Convention pouvait occasionner un préjudice (perçu) à une partie. […]

[…]

Il est largement accepté que « le caractère défendable de [différentes] constructions », en lui-même, ne crée pas d’ambiguïté, ce qui permet de soumettre des preuves extrinsèques (dans Re Canadian National Railway Co. and Canadian Telecommunications Union (1975), 8 L.A.C. (2e) 256 (H.D. Brown), à la p. 259). Lors de l’évaluation de l’intention commune des parties, des tests objectifs doivent être employés, et « non ce que les parties, post contractu, pourraient déclarer comme ayant été leur intention, même en toute honnêteté et sincérité » (Re Puretex Knitting Co. and C.T.C.U., Loc. 560 (1975), 8 L.A.C. (2e) 371(Dunn), à la p. 373).

Ces derniers principes sont renforcés par l’article 4.05 de la Convention, qui m’interdit de « changer, modifier ou altérer toute disposition de cette Convention ».

Il est également reconnu que les dispositions de la Convention doivent être considérées dans leur ensemble et que les termes et les dispositions doivent être interprétés en fonction de leur contexte […]

168        Les dispositions de la convention collective figurant à l’article 31 traitent la question des congés de maladie payés et sont libellées comme suit :

ARTICLE 31

CONGÉ DE MALADIE PAYÉ

Crédits

31.01

a) L’employé-e acquiert des crédits de congé de maladie à raison de dix (10) heures pour chaque mois civil pendant lequel il touche la rémunération d’au moins quatre-vingt (80) heures.

b) L’employé-e qui travaille par poste acquiert des crédits additionnels de congé de maladie à raison de un virgule trois trois (1,33) heures pour chaque mois civil pendant lequel il ou elle travaille des postes et touche la rémunération d’au moins quatre-vingt (80) heures. De tels crédits ne peuvent être reportés à la nouvelle année financière et sont accessibles seulement si l’employé-e a déjà utilisé cent-vingt (120) heures de congé de maladie durant l’exercice en cours.

Attribution des congés de maladie

31.02 L’employé-e bénéficie d’un congé de maladie payé lorsqu’il ou elle est incapable d’exercer ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure, à la condition :

a)       qu’il ou elle puisse convaincre l’Employeur de son état de la façon et au moment que ce dernier détermine,

et

b)       qu’il ou elle ait les crédits de congé de maladie nécessaires.

31.03 Une déclaration signée par l’employé-e indiquant que, par suite de maladie ou de blessure, il a été incapable d’exercer ses fonctions, est considérée, une fois remise au l’Employeur comme satisfaisant aux exigences de l’alinéa 31.02a). Cependant, l’Employeur peut demander un certificat médical à l’employé-e pour qui il a été noté une tendance dans la prise de ses congés de maladie.

31.04 Lorsque l’employé-e n’a pas de crédits ou que leur nombre est insuffisant pour couvrir l’attribution d’un congé de maladie payé en vertu des dispositions du paragraphe 31.02, un congé de maladie payé lui est accordé pour une période maximale de deux cents (200) heures, sous réserve de la déduction de ce congé anticipé de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite.

31.05 Lorsqu’un-e employé-e bénéficie d’un congé de maladie payé et qu’un congé pour accident de travail est approuvé par la suite pour la même période, on considérera, aux fins des crédits de congé de maladie, que l’employé-e n’a pas bénéficié d’un congé de maladie payé.

31.06 Les crédits de congé de maladie acquis mais non utilisés par un-e employé-e qui est mis en disponibilité lui seront rendus s’il est réengagé dans la fonction publique au cours des deux (2) années suivant la date de sa mise en disponibilité.

31.07 L’Employeur convient qu’un-e employé-e ne peut être licencié pour incapacité conformément à l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques avant la date à laquelle il aurait épuisé ses crédits de congé de maladie, sauf lorsque l’incapacité découle d’une blessure ou d’une maladie pour laquelle un congé pour accident de travail a été accordé en vertu du paragraphe 30.16.

169        La version anglaise des paragraphes 31.02 et 31.04 de la convention collective est libellée comme suit :

Granting of Sick Leave

31.02 An employee shall be granted sick leave with pay when he or she is unable to perform his or her duties because of illness or injury provided that:

a. he or she satisfies the Employer of this condition in such manner and at such time as may be determined by the Employer, and

b. he or she has the necessary sick leave credits.

[…]

31.04 When an employee has insufficient or no credits to cover the granting of sick leave with pay under the provisions of clause 31.02, sick leave will be granted to the employee for a period of up to two hundred (200) hours, subject to the deduction of such advanced leave from any sick leave credits subsequently earned.

170        Le libellé du paragraphe 31.02 de la convention collective établit les conditions qu’un employé qui demande un congé de maladie payé doit respecter, soit : l’employé est incapable d’exercer ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure; l’employé doit convaincre l’employeur de son état; l’employé a le nombre de crédits de congé de maladie nécessaires. Si l’employé est par ailleurs admissible à un congé de maladie payé en vertu du paragraphe 31.02, mais qu’il n’a pas les crédits de congé de maladie nécessaires pour couvrir le congé de maladie en vertu de cette disposition, le paragraphe 31.04 de la convention collective stipule qu’un congé de maladie anticipé d’une période maximale de 200 heures sera accordé.

171        La question en litige entre les parties porte sur le paragraphe 31.04 de la convention collective. En fait, ce paragraphe comprend deux questions. Premièrement, la question de savoir si l’expression « une période » signifie une ou plusieurs périodes. Deuxièmement, la question de savoir si un employé est tenu de rembourser tout crédit de congé de maladie anticipé qui lui a été accordé avant qu’on ne lui en accorde davantage. L’agent négociateur a fait valoir que l’expression « […] une période maximale de deux cents (200) heures […] » signifie que plusieurs périodes de congé de maladie anticipé peuvent être accordées à l’intérieur de la période maximale de 200 heures. Essentiellement, son argument est que le paragraphe 31.04 donne aux employés une banque de 200 heures en plus de leur banque de crédits de congé de maladie acquis, de laquelle ils peuvent soutirer, à plusieurs reprises, jusqu’à une période maximale de 200 heures.

172        Pour l’employeur, « une période » signifie que la période de 200 heures constitue une seule période de congé de maladie anticipé. Il a fait valoir que le libellé du paragraphe 31.04 de la convention collective ne donnait pas droit à des crédits de congé de maladie anticipés supplémentaire aux employés avant de rembourser tout solde négatif. Il a signalé que les expressions « ce congé anticipé » et « such advanced leave » signifiaient qu’un seul congé anticipé pouvait être accordé et a souligné que le pluriel n’était pas utilisé au paragraphe 31.04.

173        À mon avis, le sens simple du paragraphe 31.04 de la convention collective appuie davantage la position de l’agent négociateur que celle de l’employeur. En examinant sa structure, la première partie du paragraphe 31.04, jusqu’à « paragraphe 31.02 », établit les circonstances où un congé de maladie anticipé sera accordé, notamment si un employé n’a aucun crédit de congé de maladie ou que leur nombre est insuffisant. La phrase se poursuit ainsi : « […] un congé de maladie payé lui est accordé pour une période maximale de deux cents (200) heures […] » (« […] sick leave will be granted to the employee for a period of up to two hundred (200) hours […] »). Le terme « sick leave » (congé de maladie) n’est pas qualifié ou limité d’une quelconque façon, numériquement ou autre. Dans la version anglaise, dans l’expression « a period » (« une période »), lorsqu’elle est examinée dans le contexte de la phrase, le mot « a » (« une ») est un article et ne dénote aucune valeur numérique. La version française est conforme à la version anglaise, en ceci qu’« un congé » ne correspond pas à une valeur numérique dans le contexte de la phrase.

174        Si, comme, comme le laisse entendre l’employeur, « une période » signifie une seule période maximale de 200 heures, alors le paragraphe 31.04 de la convention collective pourrait également être interprété comme donnant droit à l’employé à une nouvelle période maximale de 200 heures de congé de maladie anticipé, et ce, chaque fois qu’il demande un congé anticipé. Une telle interprétation entraînerait manifestement une absurdité et ne pourrait correspondre à l’intention commune des parties. Le paragraphe 31.04 renvoie clairement à un maximum de 200 heures, pas pour chaque demande, mais dans l’ensemble.

175        À l’appui de sa position, l’employeur a également fait référence à la dernière partie du paragraphe 31.04 de la convention collective, qui est rédigé en ces termes : « […] sous réserve de la déduction de ce congé anticipé de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite ». Il a fait valoir que « ce congé anticipé » (« such advanced leave ») signifie qu’un seul congé anticipé doit être accordé. Ma lecture de cette expression est qu’elle renvoie aux termes antérieurs dans le paragraphe, soit « un congé de maladie lui est accordé ». Par conséquent, « ce congé anticipé », renvoie au nombre d’heures de congé de maladie anticipé qui ont été accordées à un employé en vertu du paragraphe 31.04. Une fois de plus, la version française est conforme à la version anglaise. Malgré l’argument de l’employeur, je conclus que le sens de cette phrase est simplement qu’un employé à qui on a accordé un congé de maladie anticipé doit le rembourser et reconnaître que ce congé sera déduit de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite, et non que l’employé doit rembourser un congé de maladie anticipé qui lui a été accordé avant de demander un autre congé anticipé, sous réserve de la période maximale de 200 heures.

176        À mon avis, le sens propre et ordinaire du paragraphe 31.04 de la convention collective est que si un employé admissible à un congé de maladie en vertu de la clause 31.02a) de la convention collective n’a aucun crédit de congé de maladie ou qu’il n’en a pas suffisamment, alors il a droit à un congé de maladie payé anticipé, peu importe combien de fois, jusqu’à ce qu’il atteigne le seuil maximal de 200 heures. Il n’y a rien au paragraphe 31.04 qui mentionne que la banque de 200 heures doit être limitée à une seule utilisation, plutôt qu’au nombre total d’heures prévu. L’interprétation de l’employeur déforme le libellé du paragraphe 31.04 dans une mesure qui le vide essentiellement de son intention ou de son sens. Le fait de l’interpréter comme signifiant qu’il doit être accordé une seule fois, exigerait de la Commission qu’elle modifie le libellé de la convention collective, ce qui est interdit par le paragr. 229 de la LRTFP.

177        L’employeur a également fait valoir que le libellé du paragraphe 31.04 de la convention collective ne donnait pas droit à des crédits de congé de maladie anticipés supplémentaires aux employés avant que tout solde négatif soit remboursé. Le paragraphe 31.04 stipule que le congé de maladie anticipé accordé à un employé doit être remboursé au moyen des crédits de congé de maladie acquis par la suite. Comme le prévoit la clause 31.01a) de la convention collective, un employé cumule 10 heures de crédits de congé de maladie pour chaque mois civil où l’employé reçoit une rémunération pour au moins 80 heures.

178        Le libellé du paragraphe 31.04 de la convention collective n’impose aucune condition relative au remboursement du congé de maladie anticipé, à l’exception du fait que celui-ci est déduit de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite. Rien dans ce paragraphe ne peut être interprété comme signifiant que le crédit de congé de maladie anticipé accordé à un employé doit être remboursé avant que l’on accorde un autre crédit anticipé respectant la période maximale de 200 heures à l’employé. Le libellé du paragraphe 31.04 permet à un employé d’avoir un solde de crédit de congé de maladie négatif pour une période maximale de 200 heures, au besoin. Le fait d’y lire une condition qui exige que les employés remboursent tout crédit de congé de maladie anticipé avant de recevoir un autre crédit anticipé constituerait une modification à la convention collective.

179        D’un point de vue pratique, à la lumière d’une telle condition, les employés pourraient demander un congé anticipé correspondant au nombre maximum d’heures de congé de maladie afin d’éviter d’avoir à respecter l’exigence du remboursement complet avant de demander d’autres congés anticipés. En effet, la condition de l’employeur n’établit aucune distinction entre un employé qui demande un congé anticipé de cinq heures et un employé qui demande un congé anticipé de 150 heures. Les deux soldes devraient être remboursés avant que d’autres congés anticipés puissent être accordés.

180        Une telle position aboutirait à un résultat absurde, comme le démontre l’exemple suivant. Un employé qui reçoit un diagnostic de cancer et à qui on accorde un congé de maladie de 200 heures. Un autre employé demande, et on lui accorde, un congé de maladie anticipé de 75 heures pour traiter une grave entorse à la cheville exigeant l’application d’un plâtre. Dès le retrait du plâtre, on découvre que l’employé a une tumeur cancérigène. Dans ce cas, l’employé serait tenu de rembourser le congé anticipé de 75 heures avant qu’un autre congé anticipé lui soit accordé.  

181        Mme Renoux a fait valoir que la direction du SCC l’avait informée que certains employés s’étaient vu accorder plus de 200 heures de congé de maladie anticipé et que certains d’entre eux avaient accumulé plus de 1 000 heures. M. Kearney a également témoigné que l’on avait accordé des congés anticipés de plus de 200 heures à certains employés. Même s’il s’agit d’une préoccupation légitime de l’employeur, il s’agit d’un problème pouvant être réglé par l’application adéquate, par la direction, de la période maximale de 200 heures prévue au paragraphe 31.04 de la convention collective, et n’exige pas une modification à l’interprétation de ce paragraphe.

182        Mme Renoux a témoigné que, même si certains gestionnaires avaient autorisé certains employés à accumuler des soldes négatifs de crédits de congé de maladie, cela aurait dû se produire uniquement dans des situations exceptionnelles. À mon avis, une telle position n’est pas appuyée par le libellé du paragraphe 31.04 de la convention collective, qui permet aux employés d’avoir un solde négatif d’une période maximale de 200 heures, au besoin.

183        Je conclus que, à première vue, le libellé du paragraphe 31.04 de la convention collective est clair et que je n’ai pas besoin de me fier à la preuve extrinsèque afin d’aider à déterminer son sens. Je conclus également que l’interprétation de l’employeur du paragraphe 31.04 contrevenait à la convention collective en imposant une obligation non véhiculée par son libellé; notamment, que les employés doivent rembourser tout congé de maladie anticipé avant qu’on leur accorde un autre congé anticipé à l’intérieur de la période maximale de 200 heures et que les congés de maladie anticipés sont limités à un seul congé anticipé, jusqu’à ce que celui-ci soit remboursé.

184        En ce qui concerne la réparation, l’agent négociateur a demandé une ordonnance que l’employeur applique l’interprétation qui prévalait avant le 1er avril 2014 et que les employés touchés soient indemnisés.

185        L’article 232 de la LRTFP établi comme suit les pouvoirs de réparation d’un arbitre de grief à l’égard de certains griefs de principe :

232 Dans sa décision sur un grief de principe qui porte sur une question qui a fait ou aurait pu faire l’objet d’un grief individuel ou d’un grief collectif, l’arbitre de grief ou la Commission ne peut prendre que les mesures suivantes :

a) donner l’interprétation ou l’application exacte de la convention collective ou de la décision arbitrale;

b) conclure qu’il a été contrevenu à la convention collective ou à la décision arbitrale;

c) enjoindre à l’employeur ou à l’agent négociateur, selon le cas, d’interpréter ou d’appliquer la convention collective ou la décision arbitrale selon les modalités qu’il fixe.

186        Le présent grief de principe porte sur une affaire qui a été ou qui aurait pu faire l’objet d’un grief individuel. M. Marcouiller a présenté un grief contestant le refus de l’employeur de lui accorder un congé de maladie anticipé (pièce U-11) et Mme Randall a témoigné qu’elle l’avait fait également.

187        L’employeur a fait valoir qu’un arbitre de grief n’a pas compétence pour accorder des dommages dans le cas d’un grief de principe et, en outre, que la demande de dommages de l’agent négociateur est vague. Il n’a présenté aucune preuve concernant le nombre d’employés touchés ou un solde positif ou négatif. Peu importe que j’aie compétence ou pas d’octroyer des dommages, je conviens avec l’employeur que l’agent négociateur n’a pas précisé les détails de sa demande de dommages; il n’a pas non plus présenté de preuve à l’appui d’une telle demande. Dans les circonstances, la réparation appropriée est une déclaration.

B. La plainte de pratique déloyale de travail

188        L’agent négociateur a présenté une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)c) de la LRTFP, qui est libellé comme suit :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

c) l’employeur, l’agent négociateur ou le fonctionnaire a contrevenu à l’article 107 (obligation de respecter les conditions d’emploi) […]

189        Le moment pour présenter une telle plainte est établi comme suit au paragr. 190(2) de la LRTFP :

190 (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

190        L’article 107 de la LRTFP, communément appelé la disposition sur le gel, prévoit ce qui suit :

107 Une fois l’avis de négocier collectivement donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve du paragraphe 125(1), les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

a) dans le cas où le mode de règlement des différends est l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;

b) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

191        L’objectif de la disposition sur le gel a été établi comme suit dans Canada c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1982] 2 C.F. 80 (C.A.) :

                   [Traduction]

[…]

L’article 51 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique vise à maintenir le statu quo pour ce qui est des conditions d’emploi pendant que les parties entreprennent la négociation d’une convention. Il s’agit là d’une version particulière d’une disposition qu’on trouve généralement dans la législation ouvrière, destinée à promouvoir une négociation collective ordonnée et équitable. Il faut qu’il y ait un cadre de référence constant et stable servant de point de départ pour la négociation. Il ne faut donc pas donner de cette disposition une interprétation rigide qui lui ferait échec.

L’article 51 porte sur « toute condition d’emploi applicable aux employés de l’unité de négociation » à une période donnée. Cette condition doit être celle qui peut être incluse dans une convention collective, et non pas nécessairement celle qui y est déjà incluse. Elle doit être « en vigueur » à la date de l’avis de l’intention de négocier collectivement.

[…]

192        Les dispositions de l’article 107 de la LRTFP sont, tout compte fait, identiques aux dispositions visées à l’article 51 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. 1985, ch. P-35).

193        La question à trancher consiste à déterminer si l’avis de l’employeur à l’intention de l’agent négociateur concernant une modification dans l’interprétation du paragraphe 31.04 de la convention collective, communiqué avant l’avis de négocier collectivement, permettait à l’employeur de modifier une condition d’emploi après la communication de cet avis.

194        Même si, pour les motifs présentés plus tôt, j’ai refusé d’accepter la preuve extrinsèque présentée relativement à la pratique antérieure dans ma décision en ce qui concerne le grief de principe, cette preuve est pertinente à mon examen de la plainte en matière de pratique déloyale de travail.

195        La première affaire à traiter est celle de la condition d’emploi applicable dans les circonstances. L’employeur a fait valoir que la seule condition d’emploi protégée par l’article 107 est l’octroi d’une seule période de congé de maladie anticipé, sous réserve du remboursement intégral du congé anticipé au moyen de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite avant d’octroyer des périodes supplémentaires. Il a également fait valoir que l’octroi de périodes multiples de congé de maladie jusqu’à concurrence de la période maximale de 200 heures ne constituait pas une condition d’emploi, mais plutôt l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par certains gestionnaires, qui allait au-delà de la portée de la convention collective.

196        Cet argument doit être rejeté. J’ai conclu que le libellé du paragraphe 31.04 de la convention collective n’appuie pas l’interprétation de l’employeur et que ce dernier a contrevenu à la convention collective en imposant une obligation qui n’est pas appuyée par le libellé. J’ai conclu que le libellé du paragraphe 31.04 envisage l’octroi de périodes de congé multiples d’une période maximale de 200 heures, sous réserve de la déduction du congé anticipé de tout crédit de congé acquis par la suite. Cette conclusion était appuyée par la preuve, qui a démontré que, selon la prépondérance des probabilités, jusqu’au 1er avril 2014, la pratique était que l’on accordait aux employés des périodes multiples de congés de maladie anticipés en vertu du paragraphe 31.04, sans obligation de rembourser tous les crédits anticipés avant de s’en voir accorder d’autres.

197        En examinant la preuve qui m’a mené à formuler cette conclusion, j’ai trouvé que les témoignages de M. Grabowsky et de M. Bouchard étaient convaincants. Avant son élection en tant que président national de l’agent négociateur en 2013, M. Grabowsky avait servi en tant que président régional depuis 2001 et avait siégé à la table de négociation pour l’ensemble des négociations avec l’employeur depuis. M. Bouchard a une longue expérience en qualité de conseiller pour l’agent négociateur, de conseiller régional et de porte-parole à la table de négociation. Ainsi, ils étaient tous deux en mesure de connaître les préoccupations en lien avec l’effectif de l’agent négociateur. Ces deux témoins ont fait valoir que, de 2006 à 2014, aucune affaire n’a été portée à leur attention dans laquelle un employé a été obligé de rembourser des crédits de congé de maladie avant de se voir accorder un autre congé anticipé. M. Grabowsky a témoigné qu’à sa connaissance, avant le 1er avril 2014, aucun employé ne s’était vu refuser un congé de maladie anticipé s’il respectait la période maximale de 200 heures. Les seuls refus liés à l’octroi de congés anticipés dont il était au courant concernaient des cas où les crédits anticipés dépassaient 200 heures.

198        Un élément important de la preuve était le bulletin 2006-08, publié par l’employeur suivant la signature de la convention collective le 26 juin 2006. Entre autres, ce bulletin précisait que la disposition de la convention collective relative aux crédits de congé de maladie anticipés visait à offrir le congé anticipé nécessaire afin de couvrir les absences en raison de maladies pour une ou plusieurs périodes d’une durée maximale de 200 heures. À mon avis, il s’agit d’une forte indication de la pratique en vigueur à l’époque.

199        Les témoignages de M. Marcouiller et de Mme Randall portaient sur leurs situations particulières et ne peuvent servir de généralisation relativement à la pratique à l’échelle du pays. Néanmoins, ils présentent des exemples d’application de la pratique telle qu’ils l’ont vécu dans ces situations.

200        L’employeur a qualifié la preuve des témoins de l’agent négociateur comme étant, au mieux, anecdotique. Même si j’acceptais cette qualification, ce qui n’est pas le cas, l’employeur n’a présenté aucune preuve contradictoire qui l’emporte sur celle de l’agent négociateur. Sa preuve, présentée principalement par l’intermédiaire de M. Kearney, était que la pratique n’était pas appliquée de façon uniforme à l’échelle du pays et que l’employeur n’était pas en mesure d’assurer le suivi de certaines données en raison du manque d’interface entre le SHD et le SGRH. M. Kearney a également affirmé en contre-interrogatoire que de nombreux gestionnaires correctionnels accordaient des congés de maladie anticipés avant que les crédits anticipés accordés précédemment soient remboursés, et ce, pour deux raisons : soit ils appliquaient l’interprétation antérieure qui allait à l’encontre de la convention collective, soit ils étaient de mauvais administrateurs.   

201        Par conséquent, l’octroi de multiples périodes de congé de maladie, jusqu’à concurrence de 200 heures, assorti de l’obligation de rembourser les congés, constitue une obligation d’emploi visée par l’article 107.

202        L’employeur a fait valoir que, dans l’éventualité où j’arriverais à une telle conclusion, il avait alors le pouvoir, en vertu des dispositions relatives aux droits de la direction prévues aux articles 7 et 11.1 de la LGFP, de la LRTFP et de la convention collective, de renoncer à la pratique, car elle n’était pas visée par la convention collective et qu’elle était exercée afin de corriger des incohérences. L’employeur a fait valoir qu’il y avait renoncé en communiquant un avis clair et raisonnable à l’agent négociateur, le 29 janvier 2014, avant de communiquer l’avis de négocier.Selon l’employeur, cela a eu pour effet de geler l’ancienne pratique jusqu’au 1er avril 2014, date à laquelle les lignes directrices figurant dans le bulletin de 2014 de l’employeur ont commencé à s’appliquer.

203        L’alinéa 7(1)e) de la LGFP confère au Conseil du Trésor le pouvoir, entre autres, de déterminer les conditions d’emplois des personnes employées dans l’administration publique fédérale. En ce qui concerne les unités de négociation représentées par un agent négociateur, cette disposition autorise le Conseil du Trésor à signer des conventions collectives en qualité d’employeur.

204        Le paragraphe 11.1 (1) de la LGFP établi les pouvoirs que le Conseil du Trésor peut exercer en vertu de l’alinéa 7(1)e). L’alinéa 11.1(2)a) stipule que le Conseil du Trésor « […] ne peut exercer ses pouvoirs à l’égard des questions visées au paragraphe (1) si celles-ci sont expressément régies par une autre loi et non par simple attribution de pouvoirs à une autorité ou à une personne déterminée […] ».

205        L’article 114 de la LRTFP, qui prévoit expressément que la convention collective lie l’employeur, est libellé comme suit :

114 Pour l’application de la présente partie et sous réserve des autres dispositions de celle-ci, la convention collective lie l’employeur, l’agent négociateur et les fonctionnaires de l’unité de négociation à compter de la date de son entrée en vigueur. Elle lie aussi, à compter de cette date, tout administrateur général responsable d’un secteur de l’administration publique fédérale dont font partie des fonctionnaires de l’unité de négociation, dans la mesure où elle porte sur des questions prévues à l’article 12 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

206        Le terme « employeur » est défini comme suit au paragraphe 2(1) de la LRTFP :

employeur Sa Majesté du chef du Canada, représentée :

a) par le Conseil du Trésor, dans le cas d’un ministère figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques ou d’un autre secteur de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV de cette loi;

b) par l’organisme distinct en cause, dans le cas d’un secteur de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques. (employer)

207        La SCC figure à l’annexe IV de la LGFP.

208        Étant donné que la convention collective lie l’employeur, ses pouvoirs de direction sont circonscrits par toute question régie par l’article 114 de la LRTFP. De plus, la disposition de la convention collective portant sur les responsabilités de la direction prévoit ce qui suit (paragraphe 6.01) :

6.01 Sauf dans les limites indiquées, la présente convention ne restreint aucunement l’autorité des personnes chargées d’exercer des fonctions de direction dans la fonction publique.

209        Le sens du paragraphe 6.01 de la convention collective est clair. Le pouvoir résiduel de la direction est circonscrit par les questions établies dans la convention collective.

210        Contrairement à l’argument de l’employeur, les dispositions de la LGFP, de la LRTFP et de la convention collective sur les responsabilités de la direction citées par l’employeur ne lui confèrent pas le pouvoir de renoncer à une disposition de la convention collective. L’employeur a fait valoir que l’octroi de plusieurs périodes de congé de maladie, jusqu’à concurrence de 200 heures, était une pratique qui n’était pas visée par la convention collective. Cependant, je suis arrivé à la conclusion qu’il s’agit effectivement de l’intention du paragraphe 31.04 de la convention collective et qu’il s’agit d’une condition d’emploi visée par l’article 107 de la LRTFP. Par conséquent, l’employeur ne peut ignorer le sens du paragraphe 31.04 sous le prétexte qu’il s’agit d’une pratique qui n’est pas visée par la convention collective et en imposant sa propre interprétation de ce paragraphe.

211        L’employeur a également fait valoir qu’il avait le droit de corriger les incohérences dans l’application de la convention collective et de fournir une précision, à l’intérieur des limites de la convention collective. Dans le même ordre d’idée, il a soutenu que, puisque les erreurs dans l’application d’une convention collective ne sont pas protégées par un gel des négociations, il en allait de même pour la correction de telles erreurs. Cependant, ce n’est pas le cas dans la présente affaire. L’employeur ne s’est pas contenté de préciser le paragraphe 31.04 de la convention collective ou de corriger une erreur. Le 1er avril 2014, pendant la période de gel prévu par la loi, il a effectivement modifié une condition d’emploi en imposant des obligations qui ne figuraient pas dans le libellé du paragraphe 31.04. C’est précisément ce qu’interdit l’article 107.

212        À l’appui de son argument, l’employeur a cité UCCO-SACC-CSN. Cette décision porte sur le droit de l’employeur de modifier l’horaire d’un travail par poste. L’arbitre de grief a conclu que l’agent négociateur n’avait pas réussi à démontrer que la convention collective interdisait à l’employeur de modifier l’horaire de travail par poste. Étant donné que l’employeur avait le droit de modifier l’horaire de travail par poste avant la communication de l’avis de négocier, ce droit est demeuré en vigueur après la communication de l’avis. Cette décision se distingue de la présente affaire car, en l’espèce, l’employeur a imposé des conditions qui n’existaient pas avant de communiquer l’avis de négocier, le 17 février 2014.

213        L’employeur a fait valoir que le gel des négociations ne peut être utilisé afin d’améliorer les conditions d’emploi dans une plus grande mesure que ce qui a été obtenu à la table de négociation. Ce n’est pas ce qui a été fait ici. Dans la présente affaire, l’agent négociateur a soutenu que l’employeur ne peut pas, pendant le gel, restreindre une condition d’emploi en vigueur avant la communication de l’avis de négocier. En l’espèce, l’employeur a modifié de façon importante une condition d’emploi établie dans la convention collective en imposant son interprétation.

214        L’employeur a soutenu que la proposition d’un agent négociateur de modifier une disposition d’une convention collective n’empêche pas sa capacité de préciser et de gérer à l’intérieur d’une convention collective. Même si cet argument peut être considéré comme une affirmation générale, la question de savoir s’il sera atténué ou renforcé dépendra du contexte de chaque situation particulière.

215        Dans la présente affaire, la proposition de l’employeur datée du 15 juillet 2010 de modifier le paragraphe 31.04 de la convention collective faisait en sorte que l’octroi d’un congé de maladie relevait de la discrétion de l’employeur et obligeait les employés à rembourser tous les crédits de congé de maladie anticipés accordés précédemment avant qu’on leur accorde d’autres crédits anticipés. Bien que cette proposition ait été retirée par l’employeur sans explication au dernier jour de la négociation, le 22 juillet 2013, elle a trouvé une nouvelle vie grâce à l’interprétation de l’employeur, qui est entrée en vigueur le 1er avril 2014. 

216        En ce qui concerne le retrait de la proposition, Mme Renoux a témoigné que ses collègues et elle-même avaient conclu que rien n’empêchait le SCC d’appliquer le paragraphe 31.04 de la convention collective de façon plus stricte à l’intérieur du libellé actuel. M. Grabowsky a fait valoir que lorsque l’employeur a retiré sa proposition, il n’a pas affirmé que le paragraphe serait interprété différemment. En contre-interrogatoire, Mme Renoux a reconnu que, pendant la négociation, en juin et en juillet 2013, l’employeur n’avait jamais mentionné à l’agent négociateur qu’il pourrait adopter l’interprétation du 1er avril 2014 sans modifier le libellé du paragraphe 31.04.

217        La négociation collective implique des concessions mutuelles et un compromis de la part des deux parties en vue de conclure une entente. Des propositions sont présentées, modifiées ou retirées. Dans le contexte de la présente affaire, cependant, il me semble qu’en imposant son interprétation à compter du 1er avril 2014, l’employeur s’est aventuré au-delà des concepts de clarification et de gestion à l’intérieur des limites de la convention collective. À mon avis, le fait que l’employeur ait présenté sa proposition en vue de modifier le paragraphe 31.04 de la convention collective pendant la négociation et que l’intention de cette proposition concernant les crédits de congé de maladie anticipés a été imposée plusieurs mois plus tard par l’employeur au moyen d’un bulletin d’interprétation, vient renforcer l’argument de l’agent négociateur, appuyé par la preuve, voulant que l’octroi de plusieurs périodes de congé de maladie d’une période maximale de 200 heures constitue une condition d’emploi.

218        Ayant conclu que l’employeur a modifié une condition d’emploi, je dois déterminer si l’avis à l’agent négociateur d’un changement dans l’interprétation du paragraphe 31.04 de la convention collective, communiqué avant l’avis de négocier collectivement, lui permettait de modifier une condition d’emploi après la communication de cet avis.

219        L’avis de l’employeur à l’agent négociateur concernant le changement d’interprétation du paragraphe 31.04 était daté du 20 janvier 2014, et le changement devait entrer en vigueur le 1er avril 2014. L’employeur a communiqué ce changement aux employés du SCC le 14 février 2014. Le 17 février 2014, l’employeur a envoyé un avis de négocier collectivement à l’agent négociateur. Le gel prévu par l’article 107 est entré en vigueur à cette date.

220        Dans son argument élaboré selon l’hypothèse que l’octroi de multiples périodes de congé de maladie anticipé d’une période maximale de 200 heures est une condition d’emploi, l’employeur a fait valoir qu’en communiquant un avis clair et raisonnable à l’agent négociateur du changement imminent le 29 janvier 2014, l’effet était de geler ce qu’il a appelé l’ancienne pratique jusqu’au 1er avril 2014, date à laquelle l’interprétation de l’employeur s’appliquait.

221        Comme il est indiqué au paragraphe 190(2) de la LRTFP, l’élément déclencheur pour calculer le délai relatif à une plainte en vertu du paragraphe 190(1) est « […] la date à laquelle le plaignant a eu — ou selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ». Il faut tenir compte de la nature de la plainte au moment d’évaluer cette question.

222        Dans la présente affaire, l’action ayant donné lieu à la plainte a été la mise en œuvre de l’interprétation de l’employeur le 1er avril 2014. À compter de cette date, l’ancienne condition d’emploi consistant à accorder plusieurs congés de maladie anticipés d’une période maximale de 200 heures qui avait été gelée n’était plus observée. À compter du 1er avril 2014, on accordait aux employés ayant un solde nul un seul congé de maladie anticipé et on les empêchait d’en demander un autre avant que le premier congé anticipé soit remboursé. L’agent négociateur a présenté sa plainte à cette date. Effectivement, si l’agent négociateur avait présenté la plainte à compter de la date de la lettre de l’employeur du 29 janvier 2014, on aurait pu soutenir que la plainte était prématurée, car il ne s’était encore produit aucun changement dans les conditions d’emploi.

223        Je suis d’accord avec l’arbitre de grief dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) qu’il ne peut y avoir aucune contravention de la LRTFP avant que les conditions d’emploi soient changées et que l’événement déclencheur correspond à la date de mise en œuvre de la nouvelle politique.

224        Dans les circonstances de la présente affaire, je conclus que l’employeur a contrevenu à l’article 107 de la LRTFP.

225        Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

226        La plainte figurant au dossier 561-02-679 est accueillie.

227        Je déclare que l’employeur a contrevenu au paragraphe 31.04 de la convention collective en mettant en œuvre unilatéralement son interprétation de ce paragraphe.

228        En ce qui concerne le dossier 569-02-148, je déclare que l’employeur a contrevenu à l’article 107 de la LRTFP en mettant en œuvre son interprétation du paragraphe 31.04 de la convention collective pendant la période de gel prévu par la loi.

229        J’ordonne à l’employeur de continuer à respecter l’interprétation du paragraphe 31.04 de la convention collective, comme elle était appliquée avant le 1er avril 2014, et ce, pendant la durée du gel prévu par loi jusqu’à la date de fin précisée à l’article 107 de la LRTFP.

230        Je demeure saisi de ces questions pour une période de 60 jours après la date de la présente décision, dans l’éventualité où les parties auraient des difficultés à la mettre en œuvre.

Le 3 juin 2016.

Traduction de la CRTEFP

Steven B. Katkin,
arbitre de grief et une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
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