Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée était la directrice d’un établissement à sécurité minimale – à la suite d’une plainte en vertu de la LPFDAR, l’administrateur général l’a rétrogradée d’un poste de gestion à un poste ne comportant aucune responsabilité de gestion, en raison de sa relation inappropriée alléguée avec un détenu – elle a pris sa retraite et a déposé un grief contestant sa rétrogradation et alléguant un licenciement putatif et une retraite forcée – dans une décision antérieure, l’arbitre de grief a tranché que la rétrogradation ne constituait pas un licenciement putatif et que, par conséquent, il ne constituait pas un « licenciement » au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et que la retraite de la fonctionnaire s’estimant lésée était volontaire; voir Hassard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada),2014 CRTFP 32 – à la reprise de l’audience, la fonctionnaire s’estimant lésée avait changé d’avocat – à la demande de la fonctionnaire s’estimant lésée, l’arbitre de grief a ordonné à l’administrateur général de divulguer à la fonctionnaire s’estimant lésée un exemplaire complet du rapport de son enquête en vertu de la LPFDAR – la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé une révision de la décision antérieure de l’arbitre de grief qui concluait qu’elle avait pris sa retraite volontairement, en partie parce qu’elle s’était fiée aux conseils juridiques prétendument mauvais de son ancien avocat, et en partie en raison d’une nouvelle preuve alléguée – l’arbitre de grief a jugé que la fonctionnaire s’estimant lésée ne pouvait pas renoncer au privilège du secret professionnel de l’avocat uniquement pour une partie de ses communications avec son ancien avocat; il lui a ordonné de divulguer à l’administrateur général toutes ses communications écrites avec son ancien avocat, jusqu’à la date à laquelle l’administrateur général a accepté sa démission – lorsqu’il a examiné la demande de révision de la décision, l’arbitre de grief a constaté qu’il n’avait peut­être pas compétence pour réviser sa décision antérieure – il a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée aurait pu obtenir la preuve à l’appui de sa demande de révision de la décision avant qu’il ne rende sa décision antérieure, et qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que cette preuve ait une incidence sur la décision antérieure – l’arbitre de grief a jugé que les motifs suivants, sur lesquels l’administrateur général s’est appuyé en ce qui concerne la rétrogradation, n’avaient pas été établis : la fonctionnaire s’estimant lésée aurait trompé la cour dans le contexte de la demande de cautionnement du détenu, elle aurait été en conflit d’intérêts lorsqu’elle communiquait avec l’avocat de la défense du détenu, elle aurait utilisé l’argent du comité social pour acheter des œuvres d’art créées par le détenu, elle aurait donné la directive d’utiliser le véhicule de l’employeur pour transporter des biens appartenant à la petite amie du détenu, et elle n’aurait pas compris la gravité de sa conduite – toutefois, l’arbitre de grief a souligné qu’elle avait reconnu ne pas avoir consigné au dossier du détenu certaines de ses actions et conversations avec ce dernier – l’arbitre de grief a conclu que son défaut de consigner ces renseignements n’était pas visé par la définition de « relation inappropriée » du code de conduite applicable et sur laquelle l’administrateur général s’était fondé pour appuyer la rétrogradation – l’arbitre de grief a jugé que la rétrogradation n’était pas justifiée et il a ordonné que la fonctionnaire s’estimant lésée soit remboursée pour toute perte de salaire ou d’avantages sociaux, à partir de la date de sa rétrogradation jusqu’à la date de sa démission. Demande de divulgation accueillie. Demande de révision de la décision rejetée. Le grief est accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-05-05
  • Dossier:  566-02-7020
  • Référence:  2016 CRTEFP 39

Devant un arbitre de grief


ENTRE

Shelley Hassard

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Hassard c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Augustus Richardson, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Jeffrey Fisher, avocat
Pour l'employeur:
Richard Fader, avocat
Affaire entendue à Toronto (Ontario)
Du 14 au 17 avril 2015.
(Les arguments écrits ont été déposés les 6 et 19 mai et le 8 juin 2015, et les 7 et 29 mars 2016.)
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        Le grief a été déposé en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « LRTFP »). Shelley Hassard, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), était directrice de l’unité de surveillance renforcée Keele, communément appelée le « Centre correctionnel communautaire Keele » (le « Centre Keele »), situé à Toronto, en Ontario, du Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« employeur »), soit l’ancien employeur de la fonctionnaire. Son poste était classifié au groupe et au niveau WP-06. Il s’agissait d’un poste de gestion.

2        En 2011, un comité d’enquête a été nommé à la suite d’une plainte en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (L.C. 2005, ch. 46; la « LPFDAR »), parfois appelée la loi sur la protection des dénonciateurs, afin d’enquêter certains gestes posés par la fonctionnaire. Au fur et à mesure de sa progression, l’enquête a fini par porter principalement sur les gestes posés par la fonctionnaire à la fin de 2010 et au début de 2011, à la suite de l’arrestation d’un délinquant et d’un ancien résident du Centre Keele, relativement à une contravention de son ordonnance de surveillance de longue durée. Nous appellerons le délinquant en question « M. AB », car son identité n’est ni pertinente ni nécessaire au soutien des motifs de la présente décision. L’enquête a éventuellement abouti à un rapport, daté du 25 août 2011 (le « rapport final », pièce G-1, onglet 1).

3        Le rapport final (pièce G-1, onglet 1) a été examiné par Lori MacDonald, qui était alors la directrice adjointe régionale (Ontario) intérimaire du SCC, au bureau de Kingston. Elle a demandé à la fonctionnaire de répliquer aux conclusions et aux recommandations du rapport final. Mme MacDonald a décidé qu’une mesure disciplinaire s’imposait. Environ à cette époque, la fonctionnaire a retenu les services d’un avocat, Stephen Moreau. Mme MacDonald, la fonctionnaire et M. Moreau ont entrepris des discussions en vue d’un règlement éventuel de cette affaire. Les discussions n’ont pas abouti.

4        Le 14 octobre 2011, Mme MacDonald a imposé une mesure disciplinaire à la fonctionnaire et l’a rétrogradée au poste d’agente principale de projet de l’Ontario, au groupe et au niveau AS-06, un poste qui ne comporte aucune responsabilité de gestion et qui est situé dans un bureau différent du SCC, à Toronto. La fonctionnaire a choisi de prendre sa retraite en octobre 2011, plutôt que d’accepter ce poste. Le 17 novembre 2011, elle a présenté ce grief.

5        Dans son grief, la fonctionnaire a notamment allégué ce qui suit :

a. elle a fait injustement l’objet d’une mesure disciplinaire et a été rétrogradée;

b. sa rétrogradation équivalait à un licenciement putatif;

c. elle a été injustement traitée par le SCC, notamment dans le cadre de l’enquête;

d. le SCC a violé une entente qu’il avait conclue avec elle (pièce G-1, onglet 35) :

[Traduction]

Contrat conclu, et offre présentée, relativement à une option aux termes de laquelle la fonctionnaire pourrait prendre sa retraite, en échange de quoi aucune mesure disciplinaire ne serait imposée; toutefois, le Service correctionnel du Canada a ensuite manqué à ses obligations relatives à ce contrat et à cette offre, et a tenté de faire en sorte que le départ à la retraite de la fonctionnaire soit conditionnel à sa signature d’une renonciation complète et finale de tous ses droits afin d’obtenir le retrait de la mesure disciplinaire.

6        La fonctionnaire a par la suite fait valoir que son départ à la retraite, le 21 octobre 2011, n’avait pas été volontaire et qu’il avait plutôt été imposé par son employeur.

7        L’audience du présent grief s’est déroulée en trois parties distinctes.

8        La première partie de l’audience portait sur une demande formulée par l’avocat de la fonctionnaire et visait, dans un premier temps, à distinguer et à trancher certaines questions, ce à quoi j’ai accédé. J’ai décidé d’entendre et de trancher trois questions avant d’aborder le bien-fondé de l’affaire. En résumé, il s’agissait de (voir Hassard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 29 (« Hassard no 1 »)) :

a. Est-ce que la doctrine de la common law du licenciement putatif s’applique aux griefs régis par la LRTFP?

b. Est-ce que la démission ou le départ à la retraite de la fonctionnaire a été forcé?

c. Suis-je lié par les constatations du rapport final (pièce G-1, onglet 1)?

9        En temps voulu, dans la deuxième partie de l’audience, j’ai été saisi de ces questions, lesquelles portaient principalement sur l’argument de la fonctionnaire que sa rétrogradation équivalait en fait à un licenciement, suivant le principe du licenciement putatif; voir Hassard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 32 (« Hassard no 2 »).

10        Éventuellement, je me suis penché sur la question d’établir si le principe du licenciement putatif s’applique aux contrats d’emploi dans le secteur public. Même si c’était le cas, d’après les faits, on ne pouvait affirmer qu’il s’appliquait dans le cas de la fonctionnaire. J’ai également déterminé que le départ subséquent de la fonctionnaire à la retraite était volontaire plutôt que, comme elle l’a fait valoir, imposé. Finalement, j’ai tranché que, sous toute réserve, malgré sa démission, elle avait le droit de présenter un grief à l’égard des événements, notamment la rétrogradation disciplinaire, qui ont eu lieu avant son départ à la retraite. En conséquence, elle avait le droit de donner suite à son grief, dans la mesure où il portait sur la décision de l’employeur de lui imposer une rétrogradation disciplinaire en octobre 2011.

11        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la nouvelle Commission remplaçant ainsi l’ancienne Commission ainsi que l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont également entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l’article 396 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continue d’exercer les pouvoirs établis dans la LRTFP dans sa version antérieure à cette date.

12        La fonctionnaire a choisi de donner suite à son grief. À un certain moment, après avoir fait ce choix, elle a retenu les services d’un nouvel avocat, M. Fisher, qui l’a représentée lors de la troisième partie de l’audience qui s’est déroulée en avril 2015. Les principales questions abordées pendant cette partie de l’audience étaient à deux volets, soit :

a. L’employeur avait-il des motifs pour prendre une mesure disciplinaire à l’égard de la fonctionnaire et, le cas échéant, la mesure disciplinaire imposée était-elle raisonnable dans les circonstances?

b. Si la mesure disciplinaire n’était pas raisonnable, est-ce que j’avais le pouvoir d’accorder des dommages et, le cas échéant, pour quel motif et pour quel montant?

A. Requête concernant la production d’une copie non caviardée du rapport final

13        Je dois souligner que l’avocat de la fonctionnaire a présenté une requête concernant une ordonnance exigeant que l’employeur lui remette une copie non caviardée du rapport final (pièce G-1, onglet 1). Il a fait valoir que, dans sa forme caviardée, le rapport final était difficile à lire et que, par conséquent, il lui était difficile de bâtir une défense contre les allégations qui y étaient formulées. L’employeur s’est opposé à la requête au motif qu’on avait garanti la confidentialité des témoins, ce qui est généralement imposé par la LPFDAR.

14        La requête a été entendue pendant une conférence téléphonique qui a eu lieu le 31 mars 2015. Pour des motifs qui seront présentés ultérieurement, j’ai émis la directive suivante le 7 avril 2015 :

[Traduction]

Après avoir examiné les arguments de l’avocat le 31 mars, ainsi que pour des motifs écrits qui seront présentés en temps voulu, l’ordonnance suivante est établie à l’égard du rapport d’enquête :

(1) L’employeur défendeur fera six copies du rapport *non caviardé*.

(2) Deux copies du rapport non caviardé doivent être remises à M. Fisher. Elles seront destinées à être utilisées par lui et par sa cliente, Mme Hassard, au plus tard le jeudi 9 avril, sous réserve de l’engagement de M. Fisher et de Mme Hassard qu’ils *ne* feront *pas* de copies du rapport et qu’ils ne diffuseront pas le rapport ni ne discuteront de son contenu avec toute personne autre qu’eux, et sous réserve de leur engagement de retourner les deux copies du rapport non caviardé à M. Fader à la fin de l’audience.

(3) Deux copies du rapport non caviardé doivent être apportées à l’audience. Une copie sera utilisée en tant que pièce *si* le rapport est présenté en preuve et une copie sera destinée à l’usage de l’arbitre de grief dans l’éventualité où le rapport est présenté en preuve.

(4) Deux copies du rapport peuvent être utilisées par M. Fader et son client.

(5) Dans l’éventualité où la copie non caviardée du rapport est présentée en preuve à l’audience, elle sera assujettie à une ordonnance de non-divulgation [pour les mêmes motifs indiqués dans2014 CRTFP 32, aux paragr. 8 à 10].

(6) La question de savoir si une copie du rapport non caviardé sera effectivement présentée en preuve sera tranchée à la suite des arguments sur ce point à l’audience.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

15        Mes motifs pour accorder cette ordonnance comportaient deux volets.

16        Dans un premier temps, et malgré les dispositions générales sur la confidentialité figurant dans la LPFDAR, rien dans la LPFDAR n’empêche la communication d’une copie non caviardée d’un rapport d’enquête. L’article 44, qui prévoit le caractère confidentiel d’une enquête, commence par « [s]auf si la communication est faite en exécution d’une obligation légale ou est autorisée par [la LPFDAR] […] ». L’alinéa 51a) prévoit ensuite ce qui suit :

51. […] la présente loi ne porte pas atteinte :

a) au droit du fonctionnaire de présenter un grief individuel en vertu du paragraphe 208(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[…]

17        L’alinéa 22d) de la LPFDAR fait également mention des obligations du commissaire à l’intégrité du secteur public de « […] veiller à ce que les droits, en matière d’équité procédurale et de justice naturelle, des personnes mises en cause par une enquête soient protégés, notamment ceux du divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé de l’acte répréhensible […] ». Cependant, l’équité procédurale et la justice naturelle sont des concepts qui, le plus souvent, et avec raison, sont appliqués et nécessaires aux personnes contre qui les allégations sont formulées, pas les témoins ni les plaignants.

18        En interprétant l’article 44 et les alinéas 51a) et 22d) de la LPFDAR conjointement, j’ai conclu que rien dans la LPFDAR n’interdisait à un arbitre de grief, en vertu de la LRTFP, de rendre une ordonnance de divulgation quelconque si celle-ci est nécessaire pour s’assurer que les droits en matière d’équité procédurale et de justice naturelle d’un fonctionnaire s’estimant lésé soient respectés.

19        Deuxièmement, les pouvoirs judiciaires appuient une telle conclusion. Par exemple, dans Marchand c. Commissaire à l’intégrité du secteur public, 2014 CF 329, la Cour fédérale est arrivée à la conclusion que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale penchaient en faveur de la communication d’une copie du rapport d’enquête à la personne visée par les allégations, et ce, malgré les dispositions en matière de confidentialité de la LPFDAR. Dans El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires, 2012 CF 1111, la Cour fédérale a souligné au passage que l’équité procédurale dans le contexte de cette affaire justifiait de fournir à la personne contre qui les allégations étaient formulées, à tout le moins, un résumé des renseignements recueillis par l’enquêteur nommé aux termes de la LPFDAR.

20        En prenant ces deux principes en considération, j’étais d’avis que la directive du 7 avril 2015 établissait un équilibre approprié entre les droits de la fonctionnaire en matière d’équité procédurale et les attentes en matière de confidentialité des témoins interrogés par le comité d’enquête. La directive limitait la divulgation à la fonctionnaire et à son avocat, et exigeait le retour du rapport final (pièce G-1, onglet 1) à la conclusion de l’affaire. Elle laissait également en suspens la question de savoir si le rapport caviardé deviendrait une pièce (et, par conséquent, public). Il s’est avéré que l’avocat de la fonctionnaire a décidé qu’il n’était pas nécessaire de présenter le rapport en tant que pièce. Par conséquent, la confidentialité et l’équité procédurale ont été maintenues.

B. Questions procédurales collatérales

21        Deux autres problèmes procéduraux sont apparus dans cette affaire.

22        Premièrement, au cours de la troisième partie de l’audience, l’avocat de la fonctionnaire a soulevé une nouvelle question. En s’appuyant, d’une part, sur une preuve qui n’a été communiqué à la fonctionnaire pour la première fois, selon elle, qu’à la troisième partie de l’audience et, d’autre part, sur un argument selon lequel la fonctionnaire avait reçu de mauvais conseils juridiques de son ancien avocat avant son départ à la retraite, M. Fisher a annoncé son intention de présenter une demande d’annulation de ma décision dans Hassard no 2 selon laquelle le départ de la retraite de la fonctionnaire était volontaire. J’ai décidé de recevoir des arguments écrits à l’égard de la requête après l’audience. L’avocat de la fonctionnaire a par la suite présenté cette requête au moyen d’arguments datés du 5 mai 2015. L’avocat de l’employeur a répondu au moyen d’arguments datés du 19 mai 2015. L’avocat de la fonctionnaire a répondu au moyen d’arguments datés du 5 juin 2015.

23        Deuxièmement, l’avis de requête de M. Fisher a soulevé une question concernant le privilège du secret professionnel de l’avocat et, plus particulièrement, sur la question de savoir si la décision de la fonctionnaire de renoncer au privilège en ce qui concerne certains conseils juridiques qu’elle a reçus de son ancien avocat, le 17 octobre 2011, pourrait être limité à cette date (comme l’a fait valoir son avocat), ou si la renonciation devait s’étendre sur une plus longue période (comme l’a fait valoir l’avocat de l’employeur). Les conseils juridiques en question figuraient dans un courriel qui a été présenté en preuve, à titre de pièce G-31.

24        À ce sujet, j’ai tranché que si la fonctionnaire renonçait à son privilège relativement aux conseils juridiques qu’elle avait reçus, elle devait le faire pour la période du 6 octobre 2011 au 10 novembre 2011. Ayant soulevé la question des conseils juridiques, elle ne pouvait pas choisir aléatoirement la correspondance qu’elle révélerait. Peu importe les conseils qu’elle a reçus, elle les a reçus dans un contexte général des discussions qui ont eu lieu entre elle et son avocat au cours de cette période. Ceci étant, elle devait tout divulguer, et c’est ce que j’ai ordonné. Son avocat a ensuite examiné le dossier, puis a produit, au cours de la nuit, à l’avocat de l’employeur, des copies de la correspondance entre la fonctionnaire et son ancien avocat pendant les dates en question, qui ont été déposées à titre de pièces G-31 à G-36 et G-38 à G-42.

II. Résumé de la preuve

25        J’ai entendu les témoins suivants pour le compte de l’employeur :

a. Mme MacDonald;

b. Michael Toole qui, à la fin de 2011, était un agent de libération conditionnelle qui travaillait à partir du bureau de Toronto-Ouest du SCC. Il a interviewé M. AB à la prison Don, à Toronto, suivant l’arrestation de M. AB pour avoir contrevenu à son ordonnance de surveillance de longue durée en novembre 2010;

c. John Sleziak, un enquêteur du SCC, qui a été affecté au comité d’enquête pour participer à l’enquête et à la préparation du rapport final (pièce G-1, onglet 1).

26        J’ai entendu les témoins suivants pour le compte de la fonctionnaire :

a. la fonctionnaire;

b. Craig Townsend, qui, pendant la période pertinente, était le directeur de district associé du district central de l’Ontario du SCC.

27        À quelques exceptions près, il y avait peu, voire aucun désaccord entre les témoins en ce qui a trait aux faits. Les différences qui ont été soulevées concernaient davantage la façon dont certains témoins ont interprété certains événements ou ce qu’ils, ou d’autres, auraient dû faire. Cela étant, je ne propose pas de résumer chaque témoignage. Je présenterai plutôt la preuve et mes conclusions de fait en m’appuyant sur les témoignages, à moins d’une indication contraire.

28        Un certain nombre de pièces, en plus de celles déjà présentées pendant la deuxième partie de l’audience, ont été présentées en preuve pendant la troisième partie de l’audience.

A. Le Centre Keele

29        Les centres correctionnels communautaires sont des divisions du SCC. Ils sont classés comme des établissements à sécurité minimale, mais, comme l’a soulevé la fonctionnaire, ils ressemblent un peu à des maisons de transition. Ils sont situés dans les collectivités et, souvent, des membres de ces dernières siègent à des comités consultatifs. Les centres correctionnels communautaires sont conçus dans le but d’héberger des délinquants que l’on considère à risque élevé (en règle générale, ceux condamnés pour des infractions sexuelles ou atteints de maladies mentales) qui sont mis en liberté d’office et qui doivent respecter des conditions de résidence ou qui sont assujettis à des ordonnances de surveillance de longue durée comprenant des conditions de résidence. Le but des centres correctionnels communautaires consiste à aider ces types de délinquants à effectuer la transition entre l’incarcération en établissement et la liberté conditionnelle — ou la liberté — dans la collectivité externe.

30        Après l’arrivée de la fonctionnaire au Centre Keele, l’établissement a fait l’objet d’une réorganisation et est devenu une unité de surveillance renforcée. La fonctionnaire en était la directrice. L’unité de surveillance renforcée était composée de deux [traduction] « divisions ». La première était le Centre Keele, qui était un genre de maison de transition. Les délinquants étaient tenus de vivre en résidence. Ils pouvaient se rendre dans la collectivité à des fins précises (par exemple pour un emploi ou pour aller à l’école), mais ils devaient se rapporter au Centre Keele à des heures prédéterminées. La deuxième division était l’unité de surveillance en équipe Keele, qui a été conçue pour les délinquants qui étaient autorisés à vivre dans la collectivité, mais qui faisaient toujours l’objet d’une surveillance étroite par l’unité de surveillance en équipe Keele. Je vais continuer de faire référence au Centre Keele lorsqu’il sera question de l’établissement, sauf lorsqu’il sera nécessaire de préciser la division en question.

31        La fonctionnaire a témoigné quant à ses longs antécédents d’emploi au sein de SCC. Elle avait passé l’essentiel, voire la totalité, de cette période dans ce qu’elle qualifie comme étant la section relative à la réhabilitation du SCC, par opposition à la section relative à l’incarcération. Au début de sa carrière, elle a travaillé en tant qu’agente de libération conditionnelle. En cette qualité, elle a souvent rédigé des lettres d’information à l’intention des différentes cours en ce qui concerne des délinquants en particulier. À au moins une occasion, elle a également mené une enquête, par elle-même, qui a mené à l’arrestation d’un délinquant et, par conséquent, on lui a accordé la Médaille du jubilé d’or.

32        Selon le témoignage de la fonctionnaire, lorsqu’elle est arrivée au Centre Keele, en 1999, les relations avec la collectivité avoisinante étaient mauvaises. Les services de police s’en méfiaient. Les membres de la collectivité organisaient des protestations pour s’opposer à la présence du Centre (et à celle des délinquants qui y résidaient) dans leur voisinage. Les membres du comité consultatif citoyen du Centre Keele ne croyaient pas en son projet de réhabilitation, ce qui a donné lieu à de nombreuses fuites dans la presse, véhiculant de la publicité négative pour le Centre Keele et le SCC dans son ensemble.

33        La fonctionnaire a commencé à améliorer la réputation du Centre Keele dans la collectivité. Elle a recruté des membres de la collectivité qui étaient sympathiques aux objectifs de la réhabilitation afin qu’ils siègent au sein du comité consultatif citoyen du Centre Keele. Elle a organisé des visites de l’établissement. Elle a rencontré les services de police locaux. Au fur et à mesure que ce processus d’amélioration se poursuivait, elle a découvert que l’art, à la fois sa production par les délinquants et son exposition, avait une incidence positive sur les délinquants ainsi que sur le public. Des murales ont été peintes sur les murs. L’art des délinquants a été exposé, et ils ont commencé à ressentir de la fierté à l’égard de leur environnement et de leur travail. Comme l’a soulevé la fonctionnaire, les membres de la collectivité qui visitaient l’établissement et qui voyaient l’art percevaient la même chose qu’elle, c’est-à-dire, selon les mots de la fonctionnaire, [traduction] « que les délinquants ne sont pas seulement définis par leurs crimes, mais que ce sont des personnes qui ont plusieurs facettes ».

34        La fonctionnaire a témoigné que cet élément faisait partie de sa tentative de transformer le Centre Keele afin qu’il ne soit plus un établissement mais plutôt un foyer pour les délinquants. Elle a affirmé qu’elle voulait [traduction] « inspirer un sentiment de fierté chez les hommes, leur donner la responsabilité de l’apparence de leur foyer [c’est-à-dire, le Centre Keele] ». Par conséquent, elle et les membres du personnel avaient la possibilité, dans le cadre de leur communication avec les délinquants, de discuter d’autres choses que de leurs cas, tout en tenant les délinquants occupés et engagés autrement qu’en regardant la télévision. Elle a constaté une diminution du vandalisme à l’établissement et elle a déclaré que [traduction] « les hommes étaient fiers de leur travail ». Au fur et à mesure que l’art — et son encouragement par l’établissement – se développait, il a commencé à attirer l’attention de l’extérieur. Les politiciens locaux, tant au provincial qu’au fédéral, visitaient l’établissement. Des procureurs de la Couronne, des juges ainsi que des délégations internationales de la Chine, de l’Afrique du Sud et de l’Europe sont venus voir l’établissement et ce qui s’y déroulait.

35        À une occasion, Mme MacDonald a effectué une visite de l’établissement en compagnie de l’honorable Vic Toews, qui était alors le procureur général du Canada. Le Centre Keele est devenu, selon les termes employés par la fonctionnaire, un [traduction] « fleuron du SCC ».

B. M. AB

36         M. AB avait des antécédents d’infractions, dont quatre condamnations pour agression sexuelle. La plupart, voire la totalité des condamnations, coïncidaient avec la consommation (ou l’abus) d’alcool. En 2006, il a été reconnu coupable d’agression sexuelle et de ne pas s’être conformé à une ordonnance de probation. Il a été condamné à une peine de trois mois (en plus des deux années qu’il avait passées en détention avant le procès). Il a également reçu une ordonnance de surveillance de longue durée de sept ans, qui a commencé le 14 janvier 2007.

37        Les ordonnances de surveillance de longue durée sont des peines non privatives de liberté. Leur but consiste à prolonger la période de surveillance et d’appui que le SCC peut exercer sur les délinquants, ou leur offrir. Les ordonnances de surveillance de longue durée commencent une fois que le délinquant a fini de purger sa peine. Elles sont délivrées à des délinquants qui sont considérés constituer un risque élevé de récidive s’ils ne font pas l’objet d’une supervision efficace dans la collectivité. Elles sont généralement assujetties à des conditions connexes qui, si le délinquant y contrevient, peuvent entraîner son arrestation et une accusation de non respect des conditions.

38         M. AB a été transféré au Centre Keele en 2007. Il a s’est adonné à l’art pendant qu’il s’y trouvait, et il est devenu l’un de ses artistes reconnus. Il a d’abord été à l’unité de surveillance renforcée Keele pendant deux ans. Il a ensuite été transféré à l’unité de surveillance en équipe Keele pendant une autre année (pièce G-1, onglet 1, page 91). Il a commencé à fréquenter une école d’art locale située à l’extérieur de l’établissement, et il retournait au Centre Keele après ses cours. Son développement et son attitude ont progressé jusqu’au stade où, le 25 octobre 2010, il a été transféré à l’extérieur du Centre Keele, sous la charge du bureau de Toronto-Ouest. Par la suite, il relevait de la responsabilité du bureau de Toronto-Ouest, plutôt que de celle du Centre Keele. M. AB faisait toujours l’objet d’une surveillance, en ceci qu’il devait toujours se rapporter à un agent de libération conditionnelle (qui travaillait à partir du bureau de Toronto-Ouest), mais le niveau de surveillance était moindre que celui de l’unité de surveillance en équipe Keele. Il pouvait vivre dans la collectivité tout en se rapportant à son agent de libération conditionnelle au bureau de Toronto-Ouest. Il a emménagé avec sa petite amie.

39        Le 13 novembre 2010, environ trois semaines après son transfert sous la responsabilité du bureau de Toronto-Ouest, M. AB a été arrêté pour avoir violé deux des conditions de son ordonnance de surveillance de longue durée, soit l’interdiction de consommer de l’alcool et de se trouver à des endroits où de l’alcool est servi (sauf dans le cadre d’un emploi). Par conséquent, son ordonnance de surveillance de longue durée et, par conséquent, son droit de se trouver dans la collectivité sous surveillance, a été suspendue. Une fois que son ordonnance de surveillance de longue durée a été suspendue, il n’avait plus le droit d’être libre et il devait retourner à un certain type d’établissement de sécurité au sein du SCC.

40         M. AB a été placé à la prison Don suivant son arrestation. M. Toole a témoigné en contre-interrogatoire que, à ce stade, l’agent de libération conditionnelle de M. AB au bureau de Toronto-Ouest avait trois options. Il ou elle pouvait annuler la suspension de l’ordonnance de surveillance de longue durée, recommander le retour du fonctionnaire dans un centre correctionnel communautaire, ou recommander que la Commission des libérations conditionnelles du Canada dépose une accusation contre lui pour avoir violé les conditions de son ordonnance de surveillance de longue durée.

41         M. AB était anxieux que son audience de libération conditionnelle ait lieu dès que possible. Sa date d’examen à l’école d’art arrivait à grands pas. Il était préoccupé parce que, s’il manquait l’examen, il perdrait les trois années qu’il avait passées à l’école, alors qu’il était sous la responsabilité du Centre Keele.

42        La fonctionnaire a eu connaissance de l’incarcération de M. AB indirectement, lorsque Jim Traynor, l’adjudant-chef au Centre Keele, l’a informée que M. AB l’avait appelé de la prison. M. AB l’avait alors prié de communiquer avec la fonctionnaire pour qu’elle demande à l’agent de libération conditionnelle de l’interviewer dès que possible. Cet appel a eu lieu durant la fin de semaine et M. AB espérait que la suspension de son ordonnance de surveillance de longue durée soit annulée pour qu’il puisse passer son examen. Selon le témoignage de la fonctionnaire, elle a demandé à M. Traynor de dire à M. AB d’appeler le bureau de Toronto-Ouest, car l’unité de surveillance renforcée Keele n’était plus responsable de M. AB. Ce dernier a continué d’appeler la fonctionnaire, qui l’a redirigé à un certain nombre de reprises au bureau de Toronto-Ouest. Cependant, à quelques reprises, M. AB a téléphoné au Centre Keele et a été transféré à la fonctionnaire. Elle a reconnu avoir parlé avec lui en ces occasions.

43        M. Toole et Mirela Samson, une agente de libération conditionnelle au bureau de Toronto Ouest, ont visité M. AB à la prison Don, à Toronto, le 19 novembre 2010. Ils l’ont informé de ses droits. M. AB a admis qu’il avait violé les conditions de son ordonnance de surveillance de longue durée et il a reconnu la gravité de ce qu’il avait fait (pièce G-20, page 2). Cependant, Mme Samson, qui a rédigé le rapport [traduction] d’« Évaluation aux fins de décision » subséquent, daté du 26 novembre 2010, n’a pas semblé impressionnée par la sincérité de M. AB (pièce G-20, pages 3 et 4). Elle a rédigé ce qui suit (pièce G-20, page 4) :

[Traduction]

Plan de libération

Le délinquant prévoit retourner vivre avec sa petite amie et reprendre ses projets d’études. Il était prêt à se conformer à tout nouveau plan de libération que [l’équipe de gestion des cas] jugeait approprié s’il devait être libéré. L’[équipe de gestion des cas] estime que le délinquant devrait retourner à l’unité de surveillance renforcée Keele à sa prochaine libération, car il aura besoin d’une surveillance continue et d’encadrement.

Évaluation

L’[équipe de gestion des cas] actuelle ne peut pas tolérer les actions du délinquant et croit que les conséquences naturelles doivent être conséquentes avec son comportement. [M. AB] avait tout juste eu une possibilité d’aller de l’avant avec la nouvelle [équipe de gestion des cas] et il a assuré l’auteur qu’il était et qu’il a été entièrement engagé envers sa sobriété et ses conditions de libération conditionnelle.

[M. AB] a violé de façon flagrante deux de ses conditions spéciales [à propos de l’alcool], est retourné à son cycle d’infractions, n’a fait preuve ni d’aucun remord ni d’aucune compréhension malgré l’étendue du soutien communautaire et du traitement ou de la thérapie qui lui étaient disponibles. Ses violations sont considérées comme étant graves et sont directement liées à ses facteurs de risque en ce qui concerne les infractions sexuelles. Tous les progrès que [M. AB] a fait dans le passé ne peuvent l’emporter sur son comportement actuel et, tel qu’il est indiqué ci-dessus, il est grandement improbable qu’il s’agissait de la seule occasion où il a violé ces conditions [à propos de l’alcool]. Plusieurs évaluations psychologiques dossier indiquent que [sa] cote de risque statique est élevée.

44        Par conséquent, M. Toole et Mme Samson ont recommandé, conformément au paragraphe 135.1(7) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté (L.C. 1992, ch. 20), le dépôt d’une accusation imputant à M. AB une infraction visée au paragraphe 753.3(1) du Code criminel (L.R.C., 1985, ch. C-46).

45        Je fais une pause pour souligner l’opinion de l’équipe de gestion des cas selon laquelle M. AB [traduction] « […] devrait retourner à l’[unité de surveillance renforcée Keele] à l’occasion de sa prochaine libération, car il aura besoin d’une surveillance continue et d’encadrement » [je souligne]. En recommandant le retour de M. AB à l’unité de surveillance renforcée Keele, l’équipe de gestion des cas recommandait effectivement son retour au Centre Keele. J’ai insisté sur ce point, car, comme il sera démontré, dans le rapport final subséquent (pièce G-1, onglet 1), la recommandation de l’équipe de gestion des cas a été mal interprétée, ce qui a eu de graves conséquences pour la fonctionnaire.

46        Une fois que l’équipe de gestion des cas a recommandé que des accusations soient déposées contre M. AB, la responsabilité à l’égard de M. AB a été transférée de nouveau à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Le SCC a continué d’exercer certaines responsabilités administratives en ceci qu’il assurait le suivi du dossier et des dates de cautionnement de M. AB, et ainsi de suite. Cependant, il n’était plus responsable de la surveillance de M. A.B. puisqu’une partie du travail relativement à ce cas avait cessé.

47        La prochaine étape du parcours de M. AB était son enquête sur le cautionnement. La fonctionnaire a témoigné que la politique du SCC était de n’adopter aucune position quant à savoir si un délinquant particulier devrait obtenir ou non un cautionnement; ou, si le cautionnement était accordé, sous quelles conditions.

48        M. Toole a reconnu que la responsabilité d’instruire une affaire sur la violation d’une ordonnance de surveillance de longue durée devant la cour et de trancher la question du cautionnement ou du renvoi en détention, incombait au procureur général du Canada et non au SCC (pièce G-23, paragr. 54). Il a également reconnu que la cour pourrait accorder un cautionnement à un délinquant accusé d’avoir violé une ordonnance de surveillance de longue durée.

49        En contre-interrogatoire, Mme MacDonald ne savait pas avec certitude si la responsabilité d’instruire une affaire portant sur la violation d’une ordonnance de surveillance de longue durée devant la cour et de trancher la question du cautionnement ou du renvoi en détention, incombait au procureur général du Canada plutôt qu’au SCC. Elle a déclaré qu’elle devait consulter les politiques du SCC à ce sujet avant de répondre.

50        Le témoignage de M. Townsend portait également sur la question de savoir si la responsabilité d’instruire une affaire portant sur la violation d’une ordonnance de surveillance de longue durée devant la cour et de trancher la question du cautionnement ou du renvoi en détention, incombait au procureur général du Canada plutôt qu’au SCC. Maintenant à la retraite, il a passé 40 ans dans les établissements correctionnels communautaires auprès du SCC (il continue effectivement d’offrir des services de consultation au SCC de temps à autre). Selon son témoignage, une fois qu’un délinquant est accusé d’une infraction, l’agent des libérations conditionnelles n’est plus responsable du délinquant. Toujours selon son témoignage, le SCC ne prend aucune position quant à savoir si les délinquants qui ont été accusés d’avoir violé des ordonnances de surveillance de longue durée devraient se voir accorder un cautionnement.

51        En me fondant sur son témoignage, je suis convaincu que, dans une affaire comme celle de M. AB, le SCC ne prendrait pas position quant à savoir si le délinquant devrait obtenir un cautionnement. Son rôle, pour autant qu’il en ait un, se limite à fournir des renseignements au sujet du délinquant pendant qu’il était sous sa responsabilité.

52        À la fin décembre 2010 et au début de 2011, la fonctionnaire a échangé une série de courriels avec l’avocat de M. AB. Les courriels portaient sur un certain nombre de questions touchant la demande de cautionnement de M. AB, notamment à quel centre correctionnel communautaire, en Ontario, il pourrait être transféré si la cour accordait le cautionnement, l’attitude apparente de la Couronne à l’égard des violations d’une ordonnance de surveillance de longue durée et la question de savoir si M. AB disait la vérité au sujet des circonstances de ses violations alléguées de son ordonnance de surveillance de longue durée (pièce G-1, onglet 1, pages 68 à 77). Au début de janvier 2011, la fonctionnaire semblait prête à se présenter à la cour [traduction] « si ma présence peut aider » (pièce G-1, onglet 1, page 69). Elle a par la suite changé d’idée, lorsqu’elle a découvert, à la suite de sa propre enquête dans le cadre de laquelle elle s’est rendue au bar où M. AB avait été arrêté, que ce dernier avait menti au sujet des circonstances qui avaient mené à son arrestation.

53        Le 17 décembre 2010, la fonctionnaire a rédigé une lettre sur du papier à en-tête du SCC. Adressée à [traduction] « À qui de droit », elle a mentionné M. AB « […] qui se trouve devant les tribunaux en raison de deux violations de son [ordonnance de surveillance de longue durée] » (pièce G-1, onglet 1, page 64).

54        La lettre du 17 décembre 2010 débutait en indiquant que M. AB était bien connu à l’unité de surveillance renforcée Keele. M. AB était un résident du Centre Keele avant d’être transféré sous la surveillance de l’unité de surveillance en équipe Keele. La lettre expliquait la composition de l’unité de surveillance renforcée Keele, et précisait que le Centre Keele était l’unité résidentielle et que l’unité de surveillance en équipe Keele fournissait [traduction] « […] des services de surveillance renforcée pour les personnes dans la collectivité qui nécessitent une forme de soutien plus intense » (pièce G-1, onglet 1, page 64). Après avoir présenté une explication détaillée du travail et des services de l’unité de surveillance renforcée Keele, y compris ses contacts avec la collectivité et les services de police, la lettre décrivait le rôle de l’art dans le travail de l’unité auprès des délinquants. La lettre passait ensuite à une discussion précise au sujet de M. AB, comme suit (pièce G-1, onglet 1, pages 64 et 65) :

                   [Traduction]

Pendant que [M. AB] était sur place, il participait activement à ce programme de sensibilisation, aidant à la collecte d’aliments, participant au Junction Arts Festival, et créant des œuvres d’art impressionnantes qui ont été affichées sur les murs du centre, ce qui a amélioré l’atmosphère pour les résidents et le personnel, et a créé un élément positif pour les membres de la collectivité qui visitent régulièrement les lieux. [M. AB] s’est montré très utile et très enthousiaste en expliquant son art à un grand nombre de visiteurs. Il a eu du succès en tant qu’étudiant à l’[École d’art et de design de l’Ontario] pendant cette période de temps.

Parce que l’accusation de violation de l’[ordonnance de surveillance de longue durée] a été déposée dans la présente affaire, la suspension de la Commission des libérations conditionnelles est maintenant devenue caduque et les accusations au criminel sont traitées comme toutes les autres, au moyen d’une enquête sur le cautionnement et d’un procès.

Dans l’éventualité où un cautionnement serait accordé dans cette affaire, la présente a pour but de vous informer que [M. AB] serait le bienvenu à revenir sous notre surveillance — que ce soit sous la surveillance de l’[unité de surveillance en équipe Keele] moins restrictive, qui lui permettrait de vivre dans la collectivité dans son appartement en vertu d’exigences strictes en matière de surveillance, y compris un couvre-feu; ou, subsidiairement, à vivre au [Centre Keele], qui est la maison de transition. Même si les résidents ont accès à la collectivité, ils sont attentivement surveillés et sont uniquement autorisés à sortir dans des buts précis, comme fréquenter une école ou occuper un emploi.

Je soumets les présents renseignements aux fins d’examen par les cours. La résidence au [Centre Keele] devrait être confirmée par une condition de résidence imposée par la Commission des libérations conditionnelles du Canada (qui pourrait être organisée par l’intermédiaire de notre demande écrite) et dépendrait du nombre de lits disponibles. Nous avons un nombre de lits limité (10) réservé pour ceux qui ont déjà été condamnés pour des infractions d’ordre sexuel.

55        La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait présenté une ébauche de cette lettre à M. Townsend aux fins d’examen et d’approbation. Selon son témoignage, il se souvenait qu’elle avait exprimé des préoccupations quant à savoir si l’enquête sur le cautionnement de M. AB pouvait être organisée à temps pour permettre à ce dernier de continuer son programme d’art. Elle envisageait d’écrire à la Cour dans l’éventualité où le cautionnement serait accordé et a demandé à M. Townsend ce qu’il en pensait. Il a déclaré lui avoir dit que [traduction] « tant qu’elle n’agissait pas en tant que défenseur manifeste, elle pouvait souligner à la Cour si des lits étaient disponibles et fournir des renseignements concernant [M. AB] ».

56        M. Townsend a souligné que la fonctionnaire lui avait envoyé une ébauche de la lettre du 17 décembre 2010, qu’elle se proposait d’envoyer. Il l’a examinée et a indiqué qu’il avait [traduction] « une ou deux révisions mineures » à y faire. Sous réserve de ces révisions, il a approuvé l’envoi de la lettre. Pour autant qu’il le sache, les modifications avaient été apportées et la lettre avait été envoyée. Il a souligné qu’il ne se souvenait pas qu’on lui ait montré à l’époque [traduction] l’« Évaluation aux fins de décision » du bureau de Toronto-Ouest du 26 novembre 2010 (pièce G-20).

57        Pendant la troisième partie de l’audience, une copie de la lettre que la fonctionnaire a éventuellement envoyée (pièce G-1, onglet 1, pages 64 et 65) a été montrée à M. Townsend. Selon son souvenir, la lettre était essentiellement la même que l’ébauche qu’il avait vue. Il ne se souvenait pas précisément des changements qu’il avait recommandés et il ne pouvait pas dire s’ils avaient été intégrés à la lettre du 17 décembre 2010. Cependant, il a dit que, de toute façon, la lettre du 17 décembre était acceptable. Il a souligné que lorsque le comité d’enquête lui a posé des questions à propos de cet incident en 2011, il avait préparé un compte rendu écrit de ses souvenirs, qui a été présenté en tant que pièce G-30. Il a également témoigné qu’il avait envoyé son compte rendu à Mme MacDonald et qu’il avait indiqué qu’il était [traduction] « certain » qu’il lui avait dit qu’il avait approuvé la décision de la fonctionnaire d’envoyer la lettre.

58        Le 4 janvier 2011, la fonctionnaire a envoyé un long courriel à l’avocat de la défense de M. AB, présentant de façon détaillée l’historique du Centre Keele, sa composition, son personnel, ses services et les mécanismes en place afin de surveiller les délinquants et les empêcher de consommer de la drogue et de l’alcool. Le courriel se terminait avec l’observation selon laquelle [traduction] « [a]vec ces mesures rigoureuses en place, nous sommes en mesure de répondre aux besoins de notre population dans la mesure où ils sont liés à la toxicomanie » (pièce G-1, onglet 1, pages 66 et 67).

59        Pendant cette période, soit de décembre 2010 à janvier 2011, M. AB appelait le standard téléphonique central du Centre Keele et demandait à être transféré à la fonctionnaire. La fonctionnaire, qui n’avait pas l’habitude de filtrer ses appels, a témoigné qu’elle lui avait dit à plusieurs reprises qu’il devrait parler aux deux agents de libération conditionnelle qui le supervisaient au bureau de Toronto-Ouest, pas à elle. Néanmoins, elle a pris ses appels (qu’elle a évalué à une douzaine au cours de cette période), partiellement en raison de préoccupations liées à sa santé mentale et partiellement parce qu’elle croyait qu’elle pourrait l’aider à reconnaître les erreurs qu’il avait commises. M. Toole a témoigné qu’il ne savait pas que ces appels à la fonctionnaire avaient lieu, car ils n’avaient pas été entrés dans le système informatique de tenue de dossiers du SCC pour faire le suivi des délinquants, de leurs actions et de leurs situations. Il a témoigné que de telles entrées auraient dû être faites, car il est important que les agents qui supervisent directement un délinquant sachent ce qui se passe avec ce délinquant.

60        Je devrais souligner que, selon la fonctionnaire, M. AB avait parlé au bureau de Toronto-Ouest, comme elle lui avait demandé de le faire. Toutefois, elle a admis, comme elle l’a fait devant le comité d’enquête, qu’elle n’avait pas enregistré les appels dans le système informatique de tenue de dossiers et qu’elle aurait dû le faire.

61        Pendant son témoignage, M. Townsend a également été questionné à propos de l’importance de consigner avec précision les interactions entre les employés du SCC et les délinquants. Il a convenu que c’était important, mais il a signalé qu’il s’agissait, dans une certaine mesure, d’une question de jugement quant à savoir si chaque interaction (par exemple une salutation au passage le matin) devait être consignée. Il a également souligné que le système informatique de tenue de dossiers utilisé à l’époque était fastidieux. Il a convenu que des efforts avaient été faits pour sensibiliser le personnel du SCC à propos de l’importance de la tenue de registres. Il a ajouté que la fonctionnaire, en tant que membre de la direction, aurait été au courant tant de la nécessité de tenir de registres exacts que de la nécessité d’améliorer le niveau général de tenue de registres du SCC.

62        À un certain point à la fin décembre 2010, la fonctionnaire a appris que M. AB utilisait également certains des appels à la fonctionnaire pour entreprendre des conférences téléphoniques a trois par l’intermédiaire de la cabine de sécurité de l’unité, et elle y a mis fin par un courriel daté du 31 décembre 2010 (pièce G-1, onglet 1, page 28).

C. Comité d’enquête

63         En temps voulu, M. AB a été libéré sous caution au Centre Keele, le 10 janvier 2011 (pièce G-1, onglet 1, page 50). Il semble qu’au moins une partie du personnel n’approuvait pas, car une journée plus tard, le 11 janvier 2011, une personne s’est plainte auprès de Carla Di Censo, qui était à l’époque directrice du Bureau de la divulgation interne, à l’administration centrale nationale du SCC, alléguant (pièce G-1, onglet 1, page 3) que la fonctionnaire :

a. entretenait [traduction] « […] une relation inappropriée avec [M. AB] »;

b. accordait à M. AB un traitement préférentiel depuis 2007;

c. s’était [traduction] « impliquée de manière inappropriée » dans l’affaire de M. AB suivant son arrestation pour avoir violé son ordonnance de surveillance de longue durée, même s’il ne relevait plus de la responsabilité de l’unité de surveillance renforcée Keele;

d. avait rédigé [traduction] « […] une lettre inappropriée à la cour dans un effort en vue de faciliter la mise en liberté sous caution de [M. AB] au [Centre Keele], malgré le fait qu’elle savait que l’équipe de gestion des cas avait évalué que le risque de récidive de [M. AB] ne pouvait plus être géré dans la collectivité ».

64        Je fais de nouveau une pause pour souligner que l’existence de certains désaccords, voire de tension, entre la fonctionnaire et certains membres du personnel du Centre Keele, était manifeste depuis quelques années avant ces événements. Par exemple, ses évaluations du rendement, bien que par ailleurs exceptionnelles, mentionnaient effectivement en 2004-2005, 2007-2008, 2008-2009 et 2009-2010 l’existence de certains problèmes de communication tendue et de conflits de personnalités entre la fonctionnaire et certains membres de son personnel (pièce G-1, onglet 1, pages 11 et 12). Bien qu’il en soit question dans le rapport final (pièce G1, onglet 1), il semble que le comité d’enquête n’en ait pas tenu compte au moment de l’examen des plaintes.

65        Les 12 et 17 janvier 2011, Mme Di Censo a mené des entrevues téléphoniques auprès du plaignant et de deux autres témoins. Ils ont allégué que la fonctionnaire entretenait [traduction] « une relation inappropriée » avec M. AB. L’un d’eux a également laissé entendre que la fonctionnaire lui avait demandé de chercher à influencer le service de police de Toronto afin d’aider M. AB à obtenir le cautionnement. Un autre a ajouté que la fonctionnaire avait ordonné l’utilisation d’un véhicule du SCC pour déménager des effets personnels de la petite amie de M. AB. Tous trois ont allégué que la fonctionnaire avait accordé un traitement préférentiel à M. AB. Ils ont indiqué que ce traitement comprenait une collaboration trop étroite avec l’avocat de la défense de M. AB après son arrestation liée à la violation de ses conditions de libération conditionnelle. En outre, deux pièces de correspondance qui avaient été préparées par la fonctionnaire, soit la lettre du 17 décembre 2010 et la correspondance par courriel du 4 janvier 2011 à l’avocat de la défense de M. AB, avaient été communiquées à Mme Di Censo par le directeur de district, David Pisapio, de qui relevait la fonctionnaire (pièce G-1, onglet 1, pages 3 à 5).

66        Ces renseignements ont poussé Mme Di Censo à recommander à l’agent supérieur chargé des divulgations au SCC, à mener une enquête officielle en vertu de la LPFDAR (pièce G-1, onglet 1, page 6). Un comité d’enquête en vertu de la LPFDAR a ensuite été mis sur pied le 19 janvier 2011 (pièce G-1, onglet 1, page 9). M. Sleziak a été nommé au comité d’enquête afin de participer à cette enquête.

67        Tel qu’il est établi à la page 7 du rapport final (pièce G-1, onglet 1), le comité d’enquête était chargé d’examiner trois [traduction] « questions générales », comme suit :

a. la fonctionnaire a-t-elle omis d’éviter un conflit d’intérêts dans sa relation avec M. AB;

b. la fonctionnaire a-t-elle offert des avantages à M. AB et à ses amis;

c. la fonctionnaire a-t-elle encouragé, conseillé ou ordonné, à une ou plusieurs personnes travaillant à titre d’employés, de bénévoles ou de fournisseurs de services pour le SCC, à commettre un acte répréhensible aux termes de l’article 8 de la LPFDAR.

68        L’article 8 de la LPFDAR définit un « acte répréhensible » comme suit :

8.[…]

a) la contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, à l’exception de la contravention de l’article 19 de présente loi;

b) l’usage abusif des fonds ou des biens publics;

c) les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public;

d) le fait de causer — par action ou omission — un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire;

e) la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu des articles 5 ou 6;

f) le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un des actes répréhensibles visés aux alinéas a) à e).

69        Le comité d’enquête a également été chargé (pièce G-1, onglet 1, pages 7 et 8) [traduction] « […] de déterminer l’exactitude et l’ensemble des circonstances entourant les questions particulières suivantes […] ». Pour des raisons de lisibilité, j’ai résumé comme suit les circonstances plutôt que de les citer :

a. la fonctionnaire a-t-elle entretenu une relation inappropriée avec M. AB;

b. la fonctionnaire a-t-elle encouragé une personne déterminée à aider M. AB à obtenir un cautionnement;

c. la fonctionnaire a-t-elle demandé à une personne déterminée d’utiliser son influence personnelle auprès d’une autre personne déterminée afin d’aider à obtenir le cautionnement de M. AB;

d. la fonctionnaire a-t-elle encouragé une personne déterminée, ainsi qu’une autre personne, à aider M. AB à obtenir un cautionnement en agissant à titre de témoins de moralité en son nom;

e. la fonctionnaire a-t-elle instruit une personne déterminée de faciliter une conférence téléphonique à trois entre la fonctionnaire, M. AB et un tiers pendant que M. AB était incarcéré;

f. la fonctionnaire a-t-elle utilisé de façon abusive les biens du gouvernement lorsqu’elle a autorisé M. AB à stocker des meubles, au-delà de ce qui est permis par la politique du SCC, au Centre Keele;

g. la fonctionnaire a-t-elle tenté d’utiliser de façon abusive les biens du gouvernement lorsqu’elle a autorisé l’utilisation d’un véhicule du SCC pour transporter les effets personnels de M. AB et de sa petite amie à des fins non liées au plan correctionnel de M. AB;

h. la fonctionnaire a-t-elle ordonné à une personne déterminée et à une autre personne d’utiliser un véhicule du SCC pour transporter les biens personnels d’une personne qui n’était pas sous la garde ou le contrôle du SCC, c’est-à-dire la petite amie de M. AB.

70        Enfin, à la page 8 du rapport final (pièce G-1, onglet 1), le comité d’enquête devait formuler [traduction] « […] toutes les recommandations qu’il jugeait appropriées et qui pourraient contribuer au règlement efficace ou à la prévention d’occurrences similaires à l’avenir ».

71        Comme il a été présenté de façon détaillée dans Hassard no 2, l’enquête s’est avérée très stressante pour la fonctionnaire. Elle a été interrogée cinq fois à propos d’allégations formulées par des personnes dont les identités ne lui ont pas été révélées. Ni elle ni la personne qui la soutenait n’ont été autorisées à poser de questions ou à contester les renseignements que les sources non désignées nommément avaient fournis au comité d’enquête.

72        En outre, une partie de la difficulté éprouvée par la fonctionnaire au cours de cette période découlait de la vaste étendue de l’enquête du comité d’enquête. Comme il est expliqué à la page 48 du rapport final (pièce G-1, onglet 1), le comité d’enquête a décidé de son propre gré d’élargir l’enquête vers des domaines qui ne faisaient pas partie de son ordonnance de convocation originale :

[Traduction]

Les questions indiquées ci-dessous ne faisaient pas partie de l’ordonnance de convocation originale, cependant, le [comité d’enquête] a le droit et la responsabilité d’accepter tous les renseignements reçus dans le cadre de l’enquête afin d’obtenir une compréhension complète des questions visées.

73        Ces [traduction] « questions » comprenaient ce qui suit (pièce G-1, onglet 1, pages 48 à 59) :

a. afficher des œuvres d’art à l’intérieur du Centre Keele que certains membres du personnel trouvaient à connotation sexuelle ou violente;

b. communiquer et transmettre de façon inappropriée des renseignements protégés B à propos de M. AB à quelqu’un d’autre;

c. approuver l’achat et l’utilisation d’équipement de tatouage au Centre Keele;

d. offrir de faire un don de 60 $ pour des fournitures artistiques à quelqu’un qui pouvait à son tour les donner à un délinquant au Centre Keele;

e. minimiser prétendument les crimes de délinquants et leurs risques de récidive;

f. être en désaccord avec les recommandations d’un agent de libération conditionnelle à propos d’un autre délinquant.

74        Le 29 avril 2011, la fonctionnaire a reçu une copie du long rapport préliminaire du comité d’enquête. Initialement, on ne lui a donné qu’une heure pour l’examiner. Elle a demandé plus de temps et on lui a donné une semaine supplémentaire. Elle a présenté une réponse longue et détaillée, dont des parties ont abouti dans le rapport final (pièce G-1, onglet 1) qui, totalisant 109 pages, a été publié aux environs du 25 août 2011. Ce rapport arrivait à la conclusion qu’un certain nombre des allégations avaient été [traduction] « fondées ». Il comprenait un certain nombre de recommandations, l’une d’elles étant que la fonctionnaire soit tenue de se présenter à une audience disciplinaire [traduction] « […] afin d’examiner son inconduite grave […] [et, compte tenu de sa] grave inconduite et de son refus de reconnaître le caractère inapproprié de ses actes, on [a] recommandé que la mesure disciplinaire appropriée soit prise » (pièce G-1, onglet 1, page 62).

75        Le rapport final (pièce G-1, onglet 1), dans sa forme caviardée, a éventuellement abouti sur le bureau de Mme MacDonald. Elle a interrogé la fonctionnaire à propos des conclusions qu’il contenait. Elle n’a mené aucune enquête indépendante. Elle a simplement demandé à la fonctionnaire quelle était sa réponse aux conclusions du rapport final en ce qui concerne les allégations qui ont été formulées contre elle. À ce moment, la fonctionnaire avait retenu les services d’un avocat (M. Moreau). La fonctionnaire et lui avaient entrepris des négociations actives avec Mme MacDonald dans une tentative d’éviter à la fois une mesure disciplinaire et les graves répercussions que la publication des conclusions du rapport final pourrait avoir sur sa réputation. À un certain moment, ils ont discuté de la possibilité que la fonctionnaire démissionne [traduction] « la tête haute », plutôt que de demeurer à l’emploi du SCC et craindre la mesure disciplinaire qui pourrait découler du rapport final. Cette option ne s’est pas concrétisée. Mme MacDonald a plutôt imposé une rétrogradation en gui de mesure disciplinaire.

76        Les passages essentiels de la lettre disciplinaire, datée du 14 octobre 2011, sont rédigés comme suit (pièce E-2, onglet 9) :

                   [Traduction]

Dans vos entrevues relatives à l’enquête et au cours de l’audience disciplinaire, vous avez reconnu avoir omis de signaler toute communication entre l’avocat de la défense [de M. AB] ou un délinquant donné. Vous avez également reconnu avoir eu de nombreuses conférences téléphoniques à trois (à frais virés) avec le délinquant susmentionné. Vous avez admis avoir ordonné l’utilisation d’un véhicule à moteur du gouvernement pour transporter les biens personnels de la petite amie du délinquant. Votre comportement en permettant à un délinquant de profiter de la vente d’une œuvre d’art en prenant la somme de 900 $ du « fonds Pop », ainsi que le fait que vous persistiez à nier que le délinquant a tiré avantage de ces comportements ne reflètent pas ces valeurs; par conséquent, cette confiance a été endommagée. Ce faisant, vous avez contrevenu à l’article 5 du code de discipline [du SCC] et au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Ces actions volontaires vous ont placé dans une situation de conflit d’intérêts.

Je suis d’accord avec les constatations de l’enquête en ceci que vous vous êtes trop impliquée dans le cas d’un délinquant donné alors qu’il relevait d’une autre juridiction, vous avez travaillé avez l’avocat de la défense afin d’appuyer sa mise en liberté sous caution, vous avez trompé les cours en leur faisant croire que [le SCC] appuyait le retour du délinquant dans la collectivité, alors qu’en fait, le [SCC] s’opposait à sa libération, car il était réputé constituer un risque pour la sécurité publique.

Après avoir examiné les faits et les circonstances de cette affaire, y compris vos commentaires, je suis arrivée à la conclusion que vos actions ont contrevenu à la règle 4 — Relations avec les délinquants, des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline — CD 060, ainsi qu’au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique.

Les infractions prévues à la règle quatre, Relations avec les délinquants sont :

a) Les membres du personnel doivent être au courant de toutes les questions touchant les délinquants dont ils sont responsables en consultant leurs dossiers et toutes les autres sources de renseignements pertinentes. Ils doivent être informés du plan correctionnel et des progrès du délinquant relativement à l’atteinte de ce plan.

b) Les membres du personnel doivent faire preuve de diligence dans leur responsabilité de consigner et de rendre disponible aux fins d’examen tous les renseignements sur les délinquants qui pourraient contribuer à la prise de décisions éclairées touchant le délinquant ou la sécurité publique.

En vertu du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, vous avez contrevenu à la valeur relative à l’éthique d’agir en tout temps de façon à maintenir la confiance du public. Les fonctionnaires doivent exercer leurs fonctions officielles et organiser leurs affaires personnelles de façon à préserver et à accroître la confiance du public à l’égard de l’intégrité, de l’objectivité et de l’impartialité du gouvernement. La conduite des fonctionnaires doit pouvoir résister à l’examen public le plus minutieux.

77        Mme MacDonald a témoigné qu’elle avait examiné les constatations du rapport final du comité d’enquête (pièce G-1, onglet 1) et qu’elle s’y était appuyée. Elle a expliqué de façon détaillée ses motifs, fondés sur les conclusions du rapport et les réponses de la fonctionnaire à ce sujet, en ce qui concerne la mesure disciplinaire imposée à la fonctionnaire.

1. Tromper la Cour en ce qui concerne la demande de cautionnement de M. AB

78        En ce qui concerne la lettre à la cour du 17 décembre 2010, Mme MacDonald a témoigné que, selon elle, parmi toutes les allégations formulées contre la fonctionnaire qui ont été jugées fondées par le comité d’enquête, il s’agissait de la plus sérieuse. En contre-interrogatoire, elle a expliqué que, selon elle, la fonctionnaire n’avait pas le pouvoir d’écrire la lettre, car elle n’avait aucune autorité en ce qui concerne le dossier de M. AB à ce moment. Mme MacDonald a indiqué que la lettre était trompeuse de trois façons; d’abord, en raison de la façon dont elle était présentée; deuxièmement, car elle laissait entendre que la fonctionnaire avait un certain pouvoir relativement au dossier de M. AB, alors que ce n’était pas le cas; troisièmement, simplement parce qu’elle l’avait rédigée. Mme MacDonald n’était pas en mesure de dire si quoi que ce soit dans la lettre était faux; quoi qu’il en soit, selon elle, là n’était pas la question. La question était tout simplement que la fonctionnaire avait rédigé la lettre à un moment où elle (ou plutôt le Centre Keele) ne détenait aucun pouvoir relativement à M. AB.

79        Mme MacDonald a souligné qu’elle estimait que la lettre était trompeuse, car [traduction] « elle sous-tendait que M. AB bénéficiait d’un soutien de la part de la collectivité, alors que [le bureau de Toronto-Ouest] s’y opposait ». C’était trompeur, car la lettre sous-tendait que l’on soutenait la présence de M. AB au Centre Keele, alors que, selon les termes de Mme MacDonald, [traduction] « l’agent des libérations conditionnelles qui le supervisait avait des préoccupations […] alors qu’il existe un document indiquant que M. AB ne peut pas être géré dans la collectivité pour le moment ». Mme MacDonald a témoigné que le Centre Keele n’avait ni le pouvoir ni l’autorité d’intervenir en quelque qualité que ce soit dans l’affaire. Compte tenu d’un contexte où un agent des libérations conditionnelles avait déjà exprimé un point de vue contraire, la lettre est devenue trompeuse, car elle sous-tendait que le SCC soutenait la demande de cautionnement de M. AB et la position, soit le cautionnement de M. AB, ce qu’il (ou à tout le moins l’agent des libérations conditionnelles chargé de la surveillance) n’appuyait pas. Cependant, Mme MacDonald a admis qu’il n’y avait rien d’incompatible entre la décision d’un agent des libérations conditionnelles selon laquelle un délinquant en particulier ne peut être géré conformément aux conditions de libération conditionnelle qui lui ont été imposées et l’obtention par un délinquant d’une libération avant procès. Mme MacDonald n’était au courant d’aucun fait qui aurait empêché M. AB de retourner au Centre Keele.

80        Mme MacDonald a également témoigné que, à la question de savoir s’il avait vu la lettre, M. Townsend lui avait répondu : [traduction] « Non ». Elle se souvenait qu’il comprenait ce que la fonctionnaire avait tenté de faire, mais qu’il n’avait pas lu la lettre. À ce sujet, je suis convaincu que, après avoir entendu le témoignage de M. Townsend et après avoir lu l’exposé écrit de ses souvenirs (pièce G-30), Mme MacDonald a mal compris ce qui lui a été dit. La déclaration de M. Townsend selon laquelle il n’avait pas vu la vraie lettre (par opposition à l’ébauche) ainsi que son avertissement à la fonctionnaire que tout ce qu’elle allait envoyer ne devrait pas être interprété comme une défense, ont mené Mme MacDonald à la conclusion erronée que M. Townsend n’avait pas approuvé le plan d’action prévu de la fonctionnaire, alors qu’en fait il l’avait approuvé, sous réserve des mises en garde indiquées.

2. Utilisation du « fonds Pop » pour acheter l’œuvre d’art de M. AB

81        La preuve à l’égard de la question du « fonds Pop » provient des témoignages de Mme MacDonald et de la fonctionnaire, et du contenu du rapport final (pièce G-1, onglet 1). Le « fonds Pop » a été créé à partir des revenus de la vente de boissons gazeuses et de jus d’une machine distributrice située au Centre Keele. Par conséquent, l’argent provenait des délinquants, des membres du personnel et des visiteurs qui achetaient des articles de cette machine. Mme MacDonald a témoigné qu’il n’y avait aucune règle formelle régissant l’utilisation des revenus de la machine distributrice. Au fil des ans, les revenus ont été utilisés à différentes fins, notamment pour financer des soirées pizza ou des fêtes pour les membres du personnel ou les délinquants. Au moins une fois, les revenus ont été utilisés pour acheter des bottes de travail pour un délinquant qui en avait besoin pour un emploi qu’il avait obtenu (pièce G-1, onglet 1, pages 31 et 32).

82        Une fois, au printemps 2009, M. AB a reçu une offre d’achat pour une grande peinture qu’il avait faite, représentant des fleurs, et qui était accrochée à un mur du Centre Keele. La fonctionnaire a témoigné que M. AB voulait vendre la peinture et utiliser les gains de la vente pour louer un appartement, où il prévoyait vivre avec sa petite amie. La fonctionnaire, croyant que l’œuvre d’art en question était un élément important du visage public du Centre Keele, a suggéré d’utiliser le « fonds Pop » pour acheter la peinture et la garder au Centre Keele. Elle a témoigné qu’elle avait discuté de la question avec d’autres personnes du Centre et que nul ne s’était opposé au plan. Par conséquent, entre le 28 mai 2009 et le 5 juillet 2010, des fonds ont été retirés du « fonds Pop » pour payer à M. AB le prix d’achat de 900 $ pour la peinture. Le reçu d’achat indiquait que la peinture avait été achetée [traduction] « […] au bénéfice des résidents du [Centre Keele], des membres du personnel et du public qui visitent les installations avec une certaine régularité » (pièce G-1, onglet 1, pages 31 et 32).

83        Je souligne que le rapport final (pièce G-1, onglet 1), à la page 32, indiquait ce qui suit à propos des entrevues auprès des témoins non identifiés :

                   [Traduction]

Toutes les personnes interviewées à ce sujet ont exprimé de graves préoccupations à propos de l’achat de l’œuvre d’art d’un délinquant par Keele, indiquant qu’elles percevaient cela comme un conflit d’intérêts. Elles ont également indiqué que le fonds Pop était utilisé au bénéfice de tous ou de la plupart des délinquants, et que l’utilisation du fonds au profit d’un seul délinquant pourrait être perçue par les résidents comme du favoritisme. Un employé a également exprimé une préoccupation selon laquelle le fait de payer [M. AB] pour conserver son œuvre d’art à Keele était une forme de manipulation de sa part et servait à renforcer son sentiment que tout lui est dû.

84        Mme MacDonald a reconnu que le « fonds Pop » avait également été utilisé pour l’achat de bottes pour un délinquant, tout en précisant que cette situation était différente. Dans cette affaire, elle a indiqué que le délinquant avait besoin des bottes de travail [traduction] « pour l’aider à réintégrer la collectivité en obtenant un emploi ». Dans le cas de M. AB, elle a déclaré que le fonds avait été utilisé pour lui fournir un montant [traduction] « important » afin de lui permettre d’emménager dans un appartement.

3. Ordonner l’utilisation d’un véhicule du SCC pour transporter les biens de la petite amie de M. AB

85        En ce qui concerne le fait d’avoir ordonné à des employés du SCC d’utiliser un véhicule du SCC pour transporter les biens personnels de la petite amie de M. AB, le rapport final (pièce G-1, onglet 1) expliquait, à la page 38, que la fonctionnaire avait fait ce qui suit en septembre 2010 :

[Traduction]

[…] a parlé directement à [nom caviardé dans l’original] […] et lui a demandé de prendre un véhicule à moteur du gouvernement du Canada (VMG) et de conduire [M. AB] à différents établissements dans la Ville de Toronto pour récupérer ses œuvres d’art pour une exposition. [La fonctionnaire] a également souligné qu’elle avait demandé à [nom caviardé dans l’original] de se rendre à la résidence de [la petite amie de M. AB] avec le VMG pour ramasser cinq (5) boîtes de ses biens personnels et de les déménager à un autre emplacement. [Nom caviardé dans l’original] a témoigné qu’il avait effectivement conduit le VMG à différents emplacements en ville pour aider [M. AB] à récupérer ses œuvres d’art. [Nom caviardé dans l’original], cependant, a indiqué qu’il avait refusé de déménager les biens personnels de [la petite amie de M. AB], car il croyait que cela équivalait à une utilisation abusive des biens du gouvernement.

86        En ce qui concerne cette preuve, il convient de souligner que le rapport final concluait que la fonctionnaire avait [traduction] « […] ordonné à [nom caviardé dans l’original] d’utiliser de façon inappropriée des biens du gouvernement du Canada en septembre 2010 » [le passage en évidence l’est dans l’original] (pièce G-1, onglet 1, page 41). Selon le rapport final, la petite amie de M. AB ne bénéficiait d’aucun droit de voir ses biens personnels déménagés au moyen de biens du gouvernement. Ceci étant, [traduction] « [c]onseillerà un fonctionnaire d’utiliser de façon inappropriée les biens du gouvernement, peu importe si le fonctionnaire a réellement donné suite à la directive, est légalement considéré comme un acte répréhensible en vertu de l’alinéa 8f) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles [je souligne] » (pièce G-1, onglet 1, page 41). Je reviendrai sur cette note plus loin dans ma décision.

87        Mme MacDonald a témoigné que la politique du gouvernement est claire : les véhicules du gouvernement ne sont pas destinés à un usage personnel. (C’est vrai, mais comme on en discutera plus loin, il ne s’agissait pas d’un usage personnel mais de l’usage pour des délinquants ou leurs biens ou ceux de leurs petites amies ou petits amis). En contre-interrogatoire, Mme MacDonald n’a pas été en mesure de signaler une règle ou une politique expresses interdisant le transport des biens personnels d’un délinquant. En contre-interrogatoire, à la question de savoir s’il aurait été approprié de transporter les biens personnels de M. AB dans un véhicule du SCC, elle a répondu, [traduction] « Techniquement "non", car ce n’est pas pour déménager les biens personnels des délinquants que le SCC dispose de véhicules ». Mme MacDonald a indiqué que la fonctionnaire avait convenu qu’elle avait demandé à un employé s’il accepterait d’utiliser un véhicule du gouvernement pour déménager les biens de la petite amie de M. AB à l’appartement qu’ils avaient tous deux loué, et que l’employé avait refusé.

4. Défaut de consigner ses conversations avec M. AB ou ses gestes dans son dossier du SCC                                                                                                              

88        Le témoignage de Mme MacDonald ne portait que très peu sur le défaut de la fonctionnaire de consigner ses appels dans le système informatique de tenue de dossiers. La préoccupation de Mme MacDonald était davantage axée sur le résultat, soit le manque de communication avec le bureau de Toronto-Ouest. Elle a témoigné que la fonctionnaire avait convenu qu’il aurait été approprié d’informer le bureau de Toronto-Ouest des appels et que son omission de le faire [traduction] « pourrait créer un problème ».

5. Accepter ou permettre les appels (conférences à trois ou autres) de M. AB

89        À la page 35, le rapport final (pièce G-1, onglet 1) a conclu que la fonctionnaire avait [traduction] « […] de façon inappropriée, ordonné à [nom caviardé dans l’original] de faciliter les conférences téléphoniques à trois en provenance de M. AB pendant que le délinquant était incarcéré dans un établissement de détention provincial ». D’après le rapport, la fréquence des appels de M. AB pendant qu’il était incarcéré [traduction] « […] allait au-delà de ce que l’on pourrait considérer comme normal ou approprié dans les circonstances ». Voici ce qui est indiqué aux pages 35 et 36 :

                   [Traduction]

[La fonctionnaire] était devenue incapable de refuser les demandes d’aide de [M. AB], car elle s’était trop investie. Elle lui a accordé un traitement préférentiel en lui permettant d’abuser de la politique du [Centre Keele] pour accepter des appels à frais virés de délinquants. De cette façon, [la fonctionnaire] s’est placée dans une situation de conflit d’intérêts, contrevenant ainsi à l’article 8 du Code de discipline du [SCC] et au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. En contrevenant gravement à ces codes de conduite, [la fonctionnaire] a commis un acte répréhensible au sens de l’alinéa 8e) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.

90        Cette question découle de la période durant laquelle M. AB a été incarcéré à la prison Don dans l’attente de son enquête sur le cautionnement. Selon le témoignage de la fonctionnaire, à la fois devant le comité d’enquête et pendant la troisième partie de l’audience, elle a accepté tout au plus une douzaine d’appels de M. AB. Elle a dit qu’à au moins quatre reprises, elle lui avait dit qu’il devrait adresser ses demandes de renseignements au bureau de Toronto-Ouest (pièce G-1, onglet 1, page 90), puisqu’il ne relevait plus du Centre Keele. Elle a ajouté que, en acceptant ses appels, elle n’avait fait ni plus ni moins que ce qu’elle et d’autres agents des libérations conditionnelles faisaient lorsqu’ils recevaient des appels de désespoir et de remords de la part de délinquants qui se retrouvaient de nouveau en prison en raison de manquements à leurs conditions de libération. La fonctionnaire a indiqué qu’il n’existait aucune politique ou directive interdisant la réception de tels appels. En ce qui concerne les conférences téléphoniques à trois, bien qu’elle ait admis les avoir acceptées au départ, il semble qu’elle y ait mis fin à la fin décembre 2010 (pièce G-1, onglet 1, page 71). Le rapport final (pièce G-1, onglet 1) n’indique pas qu’il existe une politique contre l’acceptation des appels à frais virés. Il ne semble pas non plus accorder foi à la preuve de la fonctionnaire selon laquelle elle a redirigé M. AB à un certain nombre de reprises.

D. Les « rationalisations » de la fonctionnaire

91        À la troisième partie de l’audience, Mme MacDonald a témoigné qu’elle avait également tenu compte de ce qu’elle a appelé les [traduction] « rationalisations » de certains des gestes posés par la fonctionnaire. Selon Mme MacDonald, la fonctionnaire minimisait souvent ou cherchait à justifier ses actions, tout en reconnaissant qu’elle ne ferait pas la même chose à l’avenir ou qu’elle aurait dû agir différemment. Selon le témoignage de Mme MacDonald en contre-interrogatoire, la fonctionnaire a reconnu qu’il y avait certaines choses qu’elle [traduction] « ne referait pas; mais, d’autres fois, elle présentait une rationalisation par rapport à ce qu’elle avait fait ». Mme MacDonald a ajouté que la tendance de la fonctionnaire à rationaliser certaines de ses activités constituait [traduction] « un facteur important » dans sa décision d’imposer une mesure disciplinaire. À titre d’exemple, elle a fait la remarque suivante relativement à la lettre du 12 décembre 2010, que la fonctionnaire a adressée à la cour :

[Traduction]

[la fonctionnaire] […] a indiqué qu’elle ferait les choses différemment si la situation se reproduisait […] mais elle ne partageait pas le point de vue du comité d’enquête par rapport à la lettre […] à mon avis, elle a rationalisé et minimisé la lettre […] elle a reconnu l’impression que [la lettre] pouvait véhiculer, mais elle n’a pas poussé la réflexion concernant son rôle et sa responsabilité à l’égard de l’intervention dans une affaire qui ne relevait pas de sa surveillance ou en ayant une discussion avec l’avocat de M. AB.

E. Sanction

92        Selon le témoignage de Mme MacDonald, sa décision d’imposer la rétrogradation a été prise en fonction d’un certain nombre de facteurs. Dans un premier temps, elle a conclu que la conduite de la fonctionnaire constituait un manquement grave à ses fonctions et à ses responsabilités. Dans un deuxième temps, selon les conseils que Mme MacDonald a reçus des experts-conseils en ressources humaines de l’employeur, ces manquements étaient suffisamment graves pour justifier un licenciement. En revanche, dans un troisième temps, elle a tenu compte des longs antécédents, généralement positifs, de la fonctionnaire. En ayant ces facteurs à l’esprit, Mme MacDonald a déterminé que la rétrogradation était la sanction appropriée.

93        Mme MacDonald a également tenu compte de ce qu’elle croyait être la nature temporaire de toute rétrogradation. Selon elle, la rétrogradation allait durer deux ans tout au plus. Comme il sera démontré, cet élément de preuve, soit le point de vue apparent de l’employeur que la rétrogradation devait être limitée plutôt que permanente, a servi de tremplin à l’argument de l’avocat de la fonctionnaire selon lequel la décision de la fonctionnaire de prendre sa retraite était fondée sur des renseignements incomplets et que, par conséquent, cette question devrait être réexaminée.

94        Mme MacDonald a également témoigné qu’elle savait que la fonctionnaire n’avait jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire au cours de sa carrière.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur (mesure disciplinaire et sanction)

95        Au début de la troisième partie de l’audience, l’avocat de l’employeur a reconnu qu’il incombait à l’employeur d’établir les motifs de la mesure disciplinaire et de justifier la mesure disciplinaire qui a été imposée. Il a fait valoir qu’il ne se fierait qu’aux motifs présentés dans la lettre disciplinaire et pas sur le rapport final (pièce G-1, onglet 1), sauf dans la mesure où certaines des conclusions du rapport étaient à la base de la décision de l’employeur (c’est-à-dire, de Mme MacDonald) d’imposer une mesure disciplinaire et la sanction particulière qu’il a imposée.

96        L’avocat a également fait valoir que, dans la mesure où le rapport final (pièce G-1, onglet 1) était concerné, la fonctionnaire avait le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’égard de ses conclusions. En l’absence d’une telle demande, l’employeur avait l’obligation d’agir en fonction de ses conclusions.

97        En ce qui concerne la décision de l’employeur de prendre une mesure disciplinaire à l’égard de la fonctionnaire, plus particulièrement en ce qui concerne la lettre disciplinaire d’octobre 2011, l’avocat de l’employeur a résumé les manquements allégués à la discipline comme suit :

a. la fonctionnaire a trompé la cour en alléguant que le SCC appuyait la mise en liberté sous caution de M. AB après son arrestation pour avoir violé les conditions de son ordonnance de surveillance de longue durée;

b. la fonctionnaire a défendu M. AB en communiquant avec son avocat relativement à sa demande de cautionnement, ce qui a placé la fonctionnaire en situation de conflit d’intérêts par rapport à ses fonctions et responsabilités en qualité de directrice du Centre Keele;

c. la fonctionnaire a organisé l’achat de l’œuvre d’art de M. AB à partir du « fonds Pop » du Centre Keele;

d. la fonctionnaire a omis de consigner ses conversations ou mesures à l’égard de M. AB dans son dossier du SCC à la suite de son arrestation pour avoir violé les conditions de son ordonnance de surveillance de longue durée et pendant qu’il était en prison dans l’attente de sa demande de cautionnement;

e. la fonctionnaire a ordonné l’utilisation d’un véhicule du SCC pour transporter les biens de la petite amie de M. AB;

f. le manque général de compréhension de la fonctionnaire quant à la gravité des gestes qu’elle a posés (qui justifiaient un licenciement, bien qu’elle ait plutôt été rétrogradée).

98        En guise d’introduction, l’avocat de l’employeur a également souligné que même si l’employeur n’avait pas jugé la rétrogradation comme étant permanente, comme c’était le cas, par exemple, dans MacArthur c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 90, il était prêt à poursuivre au motif qu’elle visait à être permanente. Même si je ne suis saisi d’aucune preuve que l’employeur utilise les rétrogradations en tant que sanctions, l’avocat a fait valoir qu’il était [traduction] « […] facile de promouvoir et de rétrograder des personnes […] » dans sa gamme de mesures disciplinaires. Cependant, il a fait valoir que, même en tenant compte de cette hypothèse, j’avais le droit de la substituer par une période de rétrogradation moindre dans l’éventualité où je pensais que la sanction imposée était trop sévère; voir Gauthier c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 94.

99        L’avocat de l’employeur a tout d’abord abordé la question de la lettre à la Cour du 17 décembre 2010. À ce sujet, il a soulevé que, même si, à première vue, le rapport d’évaluation de l’équipe de gestion des cas disait que M. AB devrait être retourné à l’« unité de surveillance renforcée », cela pourrait vouloir dire qu’il devrait être retourné au Centre Keele. D’autre part, la fonctionnaire a laissé entendre que M. AB pourrait retourner à l’unité de surveillance en équipe Keele, c’est-à-dire retourner vivre dans la collectivité. Cette différence, soit résider au Centre Keele par opposition à vivre dans la collectivité, a servi de motif à l’allégation d’avoir trompé la Cour.

100        Au sujet de la demande de cautionnement, l’avocat de l’employeur a fait valoir qu’un juge de paix, à la lecture de la lettre du 17 décembre 2010 de la fonctionnaire, arriverait raisonnablement à la conclusion que le SCC recommandait que l’on accorde à M. AB son cautionnement et qu’il soit libéré sous caution dans la collectivité. Qui plus est, la lettre appuyait avec enthousiasme M. AB. C’était une défense, non un exposé des faits neutre. La lettre ne mentionnait pas les rapports antérieurs, par exemple le rapport de 2007 qui a été mentionné dans le rapport final et que le comité d’enquête a interprété comme étant une opinion négative du potentiel de M. AB (pièce G-1, onglet 1, page 16). Même si l’évaluation de la fonctionnaire relativement à la situation était exacte, elle a omis d’en discuter avec le bureau de Toronto-Ouest avant d’envoyer la lettre.

101        En ce qui concerne le défaut de la fonctionnaire de consigner ses discussions de décembre 2010 et de janvier 2011 avec M. AB dans le système informatique de tenue de dossiers de l’employeur, l’avocat de l’employeur a fait valoir que, d’après ce que la fonctionnaire avait elle-même soulevé, il s’agissait de renseignements importants à propos de l’état émotionnel de M. AB. Il a fait valoir qu’il s’agissait de renseignements essentiels qui auraient dû être consignés dans le système informatique de tenue de dossiers. Le défaut de la fonctionnaire de le faire était imprudent, et d’autant plus grave en raison de son poste de direction. En acceptant le témoignage de M. Townsend, la fonctionnaire aurait été au courant des préoccupations de l’employeur à propos des écarts liés à l’utilisation du système informatique de tenue de dossiers pour consigner les renseignements. Par conséquent, le défaut de la fonctionnaire de consigner ces renseignements constituait un motif de rétrogradation.

102        L’avocat de l’employeur a ensuite abordé la question du courriel du 4 janvier 2011, envoyé par la fonctionnaire à l’avocat de M. AB. Il a fait valoir que ce courriel ne pouvait pas être [traduction] « mis de côté par suite d’une explication ». Le courriel était clair, la fonctionnaire a présenté volontairement une preuve pour le compte de M. AB. Le fait qu’elle ait ultérieurement changé d’idée (en raison de ce qu’elle avait découvert en enquêtant sur l’histoire de M. AB) ne pouvait nier sa volonté originale d’aider M. AB dans sa demande de cautionnement.

103        L’avocat de l’employeur a déclaré que la lettre du 17 décembre 2010 et le courriel du 4 janvier 2011, pris ensemble, démontraient le manque de neutralité de la fonctionnaire. Elle était descendue dans l’arène. Elle était prête à appuyer activement la demande de cautionnement de M. AB. Elle l’a fait tout en sachant que d’autres sections du SCC — notamment, le bureau de Toronto-Ouest — ne soutenaient pas M. AB et ne lui était pas sympathique. Son défaut de communiquer cette divergence d’opinions au sein du SCC a ajouté à la nature trompeuse de la lettre à la Cour.

104        L’avocat de l’employeur s’est ensuite penché sur l’utilisation du « fonds Pop ». Il a fait valoir qu’en soi, il s’agissait d’une faute mineure. Toutefois, prise dans le contexte de la question plus importante de la conduite de la fonctionnaire en décembre 2010et en janvier 2011, cette utilisation est devenue une autre preuve du manque de neutralité de la fonctionnaire lorsqu’il était question de M. AB. Elle était trop impliquée et trop engagée envers son bien-être.

105        L’avocat de l’employeur a également souligné que l’absence possible de directives officielles écrites pour orienter les employés du SCC relativement aux questions particulières, par exemple lorsqu’il faut traiter avec les cours dans le cadre de demandes de cautionnement, ne constituait pas une réponse aux allégations contre la fonctionnaire. Il a soutenu qu’il existait un [traduction] « code du simple bon sens »; voir Gannon c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2002 CRTFP 32, aux paragr. 128 à 131. « […] Le critère à appliquer, c’est ce qu’une personne raisonnable jugerait acceptable dans des circonstances comparables […] » (Gannon, au paragr. 131). La conduite de la fonctionnaire ne respectait pas cette norme et méritait une mesure disciplinaire.  

106        L’avocat de l’employeur a également fait valoir que les actions de la fonctionnaire constituaient un conflit d’intérêts. Il a signalé la « règle quatre (Relations avec les délinquants) » du SCC; voir la pièce E-2, onglet 17. La règle quatre prévoit ce qui suit :

                   [Traduction]

Les employés doivent aider et encourager activement les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois, notamment en établissant avec eux des relations constructives en vue de faciliter leur réinsertion dans la collectivité. Ces relations seront empreintes d’honnêteté, d’intégrité et d’équité. Les employés contribueront à créer un lieu de travail sûr et sécuritaire, et respecteront la culture, la race, les antécédents religieux et ethniques des délinquants ainsi que leurs droits. Les employés éviteront les conflits d’intérêts avec les délinquants et leurs familles.

107        L’avocat de l’employeur a soutenu qu’un conflit d’intérêts pouvait survenir lorsqu’un employé place les intérêts d’une personne devant ceux de son employeur; voir Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, aux paragr. 161 à 164. Dans cette affaire, le soutien offert par la fonctionnaire à M. AB a fait en sorte qu’elle a placé les intérêts de ce dernier devant ceux du SCC.

108        L’avocat de l’employeur a finalement fait valoir que la conduite de la fonctionnaire méritait amplement une mesure disciplinaire. Pour ce qui est de la sanction, soit la rétrogradation, l’avocat a fait valoir qu’elle était plus que raisonnable dans les circonstances. Il a signalé que l’expert-conseil en ressources humaines de Mme MacDonald lui avait recommandé un licenciement. Le licenciement, comme il l’a laissé entendre, aurait également été une mesure raisonnable dans les circonstances, mais Mme MacDonald a accordé beaucoup d’importance aux années de service de la fonctionnaire et, par conséquent, elle a décidé d’imposer une sanction moindre (et, ainsi, d’autant plus appropriée), soit la rétrogradation.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée (mesure disciplinaire et sanction)

109        L’avocat de la fonctionnaire a commencé ses arguments en faisant valoir que le terme [traduction] « grave » devait avoir un sens. Ce ne sont pas tous les faux pas, manquements ou violations d’un code de conduite qui sont graves. En l’espèce, seul le défaut de la fonctionnaire de consigner ses communications avec M. AB dans le système informatique de tenue de dossiers (et, par conséquent, possiblement par extension, son défaut d’informer le bureau de Toronto-Ouest de ses gestes) a été établi comme constituant une contravention claire des politiques de l’employeur. L’avocat a convenu que, pour cette raison, la fonctionnaire avait [traduction] « manifestement eu tort ». Effectivement, elle a reconnu dès le départ qu’elle aurait dû agir différemment. Cependant, cette conduite était-elle grave? En guise de comparaison, il a souligné que la conduite de la fonctionnaire était très loin de celle de la fonctionnaire s’estimant lésée dans Simard c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada — Service correctionnel), 2003 CRTFP 53. Dans cette décision, la fonctionnaire s’estimant lésée a été licenciée pour avoir entretenu une relation intime avec un délinquant en liberté conditionnelle (qui, dans les faits, vivait avec elle) et pour avoir menti, à tout le moins au début, à ce sujet. De plus, cette conduite n’équivalait en aucun temps à un détournement des biens d’un délinquant ou de l’employeur pour son propre avantage, comme c’était dans le cas dans Amos c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14678 (19850107), où une suspension d’un an a été substituée à un licenciement. La conduite de la fonctionnaire était également très loin de celle du fonctionnaire dans Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), 2002 CRTFP 40. Dans ce cas, le fonctionnaire avait donné une carte bancaire à un détenu; le licenciement qui en a découlé a été confirmé. Ces affaires portaient sur des infractions graves aux codes de conduite et de comportement du SCC, qu’ils soient formels ou non. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

110        L’avocat a poursuivi ensuite en soulignant que l’allégation voulant que la fonctionnaire ait fait preuve de favoritisme envers M. AB était un thème récurrent dans l’affaire, mais qu’il n’y avait aucune preuve de favoritisme. Plus particulièrement, il n’y avait aucune preuve que le fonctionnaire avait réagi à la situation de M. AB différemment que s’il avait été question de tout autre délinquant. La décision d’utiliser le « fonds Pop » pour acheter l’œuvre d’art de M. AB a été prise uniquement après avoir consulté d’autres personnes au Centre Keele. Elle n’en a tiré aucun avantage.

111        En ce qui concerne la lettre du 17 décembre 2010 à la Cour, que Mme MacDonald a qualifiée dans son témoignage du manquement le plus grave de la fonctionnaire à l’égard de ses fonctions, l’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que la position de Mme MacDonald (et de l’employeur) était fondée sur une conception fondamentalement erronée des ordonnances de surveillance de longue durée. L’avocat a fait référence à la page 21 du rapport final (pièce G-1, onglet 1), où le comité d’enquête a souligné que la recommandation du bureau de Toronto-Ouest était que M. AB [traduction] « demeure en détention jusqu’à son procès, car on considérait que son risque de récidive était impossible à gérer dans la collectivité » [le passage en évidence l’est dans l’original]. Toutefois, le bureau de Toronto-Ouest n’avait pas recommandé qu’il demeure en détention ni, d’ailleurs, qu’il demeure en détention préventive. Le bureau de Toronto-Ouest recommandait son retour à l’unité de surveillance renforcée Keele, au Centre Keele, ce qui, de par sa nature, aurait pu inclure le fait de résider au Centre Keele ou de faire l’objet d’une surveillance dans la collectivité par l’unité de surveillance en équipe Keele.

112        L’avocat de la fonctionnaire a également soutenu que la description de la conclusion du bureau de Toronto-Ouest par le comité d’enquête, donc par Mme MacDonald, constituait une interprétation erronée de l’intention et de l’objectif des ordonnances de surveillance de longue durée. Il a fait référence à l’explication de la Cour suprême du Canada relativement à cet objectif dans R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, au paragr. 48, comme suit :

[…] L’examen simultané du Code criminel, de la LSCMLSC et de la jurisprudence permet d’identifier deux objectifs particuliers de la surveillance de longue durée, comme forme de libération conditionnelle : (1) la protection du public contre le risque de récidive et (2) la réadaptation et la réinsertion sociale du délinquant. Le second objectif peut être décrit à juste titre comme l’objectif ultime d’une [ordonnance de surveillance de longue durée], comme l’indique l’art. 100 de la [Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition], bien qu’il soit inextricablement lié au premier. […]

113        L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que, d’après la preuve et la loi, il était manifeste que le SCC n’avait aucun rôle à jouer dans sa demande de cautionnement. Par conséquent, rien n’empêche un employé du SCC de présenter devant une cour des renseignements sur la demande de cautionnement qui pourraient pertinents à la décision. Agir de la sorte ne constitue pas une défense, et même si on pouvait le qualifier comme tel, l’action a été faite de bonne foi. La fonctionnaire a montré une ébauche de la lettre à M. Townsend avant de l’envoyer. Selon le témoignage de la fonctionnaire, qui n’a pas sérieusement été remis en question en contre-interrogatoire, la lettre ne contrevenait à aucun code de conduite. L’avocat a également signalé que les renseignements au sujet du Centre Keele qui figuraient dans la lettre auraient pu être pertinents aux délibérations de la Cour. Après tout, si la Cour avait conclu qu’une certaine forme de mise en liberté sous surveillance était appropriée, elle aurait pu vouloir savoir quel type de surveillance était disponible. Ni Mme MacDonald ni l’employeur n’ont démontré une autre façon quelconque qui aurait permis à la Cour d’obtenir ces renseignements.

114        Selon l’avocat de la fonctionnaire, cette dernière n’a jamais fait valoir que M. AB ne devrait pas être accusé d’avoir violé son ordonnance de surveillance de longue durée, qu’il devrait être libéré sous caution, voire qu’il devrait être libéré dans la collectivité. Le bureau de Toronto-Ouest avait recommandé que M. AB soit retourné à l’unité de surveillance renforcée Keele (c’est-à-dire, sous la responsabilité du Centre Keele).

115        Tout cela signifiait que le bureau de Toronto-Ouest n’estimait pas que son niveau de surveillance était convenable à ce moment. Si le bureau de Toronto-Ouest avait voulu dire que M. AB aurait dû être confiné à résidence au Centre Keele, il l’aurait dit; il ne l’a pas fait. La fonctionnaire a simplement décrit ce qu’était l’unité de surveillance renforcée Keele, quel était son fonctionnement et s’il y avait de la place pour recevoir M. AB dans l’éventualité où la Cour arriverait à la même conclusion que le bureau de Toronto-Ouest. La lettre du 17 décembre 2010 ne contenait aucune inexactitude et Mme MacDonald n’a pas été en mesure d’en signaler une. La fonctionnaire n’a pas non plus agi secrètement. Elle a discuté de la lettre, ou, à tout le moins, d’une ébauche de celle-ci, avec M. Townsend. Elle a également parlé à d’autres personnes au Centre Keele pour déterminer si l’on pouvait reprendre M. AB dans l’éventualité où la Cour décidait de le libérer au Centre Keele.

116        L’avocat de la fonctionnaire a indiqué que, d’après le témoignage de Mme MacDonald, M. Townsend avait nié avoir vu la lettre du 17 décembre 2010, lorsque Mme MacDonald lui a parlé après avoir lu le rapport final (pièce G-1, onglet 1). Toutefois, la preuve de M. Townsend, appuyée par sa déclaration écrite remise au comité d’enquête (pièce G-30), a démontré le contraire. L’avocat de la fonctionnaire a affirmé que je devrais préférer la preuve de M. Townsend à celle de Mme MacDonald.

117        L’avocat de la fonctionnaire a signalé que, dans son rapport final (pièce G-1, onglet 1), le comité d’enquête avait mal interprété les mots de la fonctionnaire figurant dans sa lettre du 17 décembre 2010 à l’intention de la Cour. À titre d’exemple, à la page 24 de son rapport final, le comité d’enquête a affirmé ce qui suit :

                   [Traduction]

[La fonctionnaire] a entrepris de son propre gré de rédiger une lettre officielle aux cours, en utilisant du papier à en-tête [du SCC] [] Cette lettre voyait d’un bon œil le retour de [M. AB] au [Centre Keele]. Dans la lettre officielle, [la fonctionnaire] a écrit que « la présente a pour but de vous informer que [M. AB] serait le bienvenu à revenir sous notre surveillance ». Elle a également écrit : « Je soumets les présents renseignements aux fins d’examen par les tribunaux ».

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

118        L’avocat de la fonctionnaire a signalé que la phrase complète était en fait la suivante : [traduction] « Dans l’éventualité où le cautionnement serait accordé dans cette affaire, la présente a pour but de vous informer que [M. AB] serait le bienvenu à revenir sous notre surveillance. » La modification sélective de la lettre par le comité d’enquête ainsi que sa citation d’une phrase hors contexte ont donné lieu à une interprétation déformée de ce que la fonctionnaire a écrit. L’avocate a fait savoir que cette déformation du contenu de la lettre du 17 décembre 2010 de la fonctionnaire était une preuve de la mauvaise foi du comité d’enquête. Il ne pouvait y avoir aucune autre raison pour expliquer le fait d’avoir laissé les mots qu’il a laissés lorsqu’il a cité la lettre.

119        L’avocat du fonctionnaire a ensuite abordé la question du témoignage de Mme MacDonald au sujet de la lettre du 17 décembre 2010. Il a laissé entendre qu’elle avait présenté trois motifs pour expliquer sa préoccupation : premièrement, la façon dont la lettre a été présentée; deuxièmement, le fait que l’affaire ne relevait pas du Centre Keele à ce moment; troisièmement, le simple fait que la fonctionnaire avait rédigé la lettre. L’avocat a réitéré qu’aucun des faits présentés dans la lettre n’était inexact. Qui plus est, il a signalé le témoignage non contredit de la fonctionnaire selon lequel, lorsqu’elle travaillait en tant qu’agente des libérations conditionnelles, elle avait souvent rédigé des lettres d’information à la Cour. Mme MacDonald, dont les antécédents découlent de la section de l’incarcération du SCC (par opposition à la section de la réhabilitation), n’a présenté aucune preuve selon laquelle le rôle d’un agent des libérations conditionnelles ne comprenait pas la préparation d’une correspondance factuelle à l’intention d’une Cour.

120        L’avocat de la fonctionnaire a reconnu que la fonctionnaire aurait dû informer le bureau de Toronto-Ouest de sa lettre du 17 décembre 2010. Toutefois, son défaut de le faire n’avait rien à voir avec du favoritisme ou un souhait de tromper la Cour. Il a également signalé que, d’après la preuve, il était manifeste que, si la Cour avait libéré M. AB, ce dernier ne serait pas retourné au bureau de Toronto-Ouest. Au lieu de cela, comme le bureau de Toronto-Ouest l’a recommandé, M. AB serait retourné sous la supervision (et, par conséquent, la responsabilité) de l’unité de surveillance renforcée Keele (en supposant qu’il y avait de la place pour lui à cet endroit).

121        L’avocat de la fonctionnaire s’est ensuite penché sur le courriel que la fonctionnaire a envoyé, le 4 janvier 2011, à l’avocat de M. AB avant l’audience sur le cautionnement. L’avocat de la fonctionnaire a reconnu qu’elle avait exprimé un point de vue plutôt critique quant à la position de l’avocat de la Couronne dans le passé à l’égard de délinquants assujettis à des ordonnances de surveillance à long terme et de leurs violations à l’égard de celles-ci. Toutefois, le fait de laisser entendre que son courriel était répréhensible équivaut à dire que des pensées pourraient être assimilées à des crimes. Critiquer le Couronne ne peut pas constituer un acte répréhensible. Bien qu’elle n’ait pas consigné ses communications dans le système informatique de tenue de dossiers, quel dommage en est-il découlé? Était-ce réellement, l’avocat a-t-il demandé pour la forme, une preuve de favoritisme ou de conflit d’intérêts?

122        L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que bien que la décision de cette dernière d’enquêter sur la véracité de la version de M. AB de ce qui s’était produit au bar au moment de son arrestation puisse sembler étrange, aucun dommage n’en a découlé. Qui plus est, ce n’était pas tellement différent de ce qu’elle avait fait en tant qu’agente des libérations conditionnelles, alors que son travail l’a amené à être récompensée par une Médaille du jubilé d’or. De toute façon, il est également établi que la fonctionnaire n’a pas accordé un traitement de faveur à M. AB en acceptant sans critique ses déclarations à son endroit.

123        En ce qui concerne la douzaine d’appels que la fonctionnaire a reçus de M. AB pendant qu’il était en prison, son avocat a souligné que la fonctionnaire avait dit, dans son témoignage, qu’elle ne filtrait pas ses appels. Il a également souligné qu’elle avait dit que les délinquants qui étaient renvoyés en prison étaient souvent perturbés et vulnérables sur le plan émotionnel. De plus, sa preuve selon laquelle elle a indiqué à M. AB à au moins quatre reprises d’appeler le bureau de Toronto-Ouest n’a pas été contredite. On ne pouvait pas affirmer qu’elle avait agi incorrectement dans les circonstances. Bien qu’elle aurait dû consigner les appels dans le système informatique de tenue de dossiers, ce défaut n’équivaut pas à un manquement sérieux à son devoir. Sur ce point, l’avocat a souligné qu’il n’y avait aucune preuve comparant la tenue de registres de la fonctionnaire (ou ses lacunes par rapport à cette question) avec quiconque au SCC. M. Townsend a fait valoir que le système informatique de tenue de dossiers était fastidieux à opérer, ce qui rendait difficile la consignation des renseignements. Le défaut de la fonctionnaire de consigner les conversations ne représentait pas non plus une tentative de les dissimuler. Après tout, elle en avait parlé avec M. Townsend.

124        L’avocat de la fonctionnaire s’est ensuite penché sur la question de l’utilisation d’un véhicule du SCC. Il a signalé que l’utilisation qu’en avait faite la fonctionnaire ne constituait pas le problème. Il a reconnu que Mme MacDonald était convaincue que les véhicules du SCC ne pouvaient pas être utilisés pour déménager les biens d’un délinquant, mais il a souligné que la preuve indiquait le contraire. Il n’y a aucune règle expresse en ce sens. L’avocat a fait valoir que la pratique au Centre Keele avait été de fournir une telle aide lorsqu’un délinquant déménageait dans la collectivité, comme en témoigne le fait que le comité d’enquête, dans son rapport final (pièce G-1, onglet 1) mentionne qu’un véhicule du SCC avait été utilisé pour aider à transporter une partie des œuvres d’art de M. AB — ou qu’on lui avait permis de stocker certains de ses meubles — au Centre Keele, sans formuler de conclusion défavorable (pièce G-1, onglet 1, pages 36 et 38 à 41). Le point en litige concerne plutôt le fait que la fonctionnaire ait demandé à quelqu’un d’utiliser le véhicule du SCC pour transporter certains des biens de la petite amie de M. AB, ce que le comité d’enquête et Mme MacDonald ont qualifié de [traduction] « directive ». Cependant, ce n’est pas ce qui s’est passé. La fonctionnaire a demandé, la personne a refusé et le dossier a été clos. Tout au plus, il y a eu un problème lié à la perception, mais pas en ce qui concerne l’action.

125        En ce qui concerne l’utilisation du « fonds Pop » pour l’achat de la peinture de M. AB, l’avocat de la fonctionnaire a souligné le témoignage non contredit quant au rôle important de l’art au Centre Keele. Personne n’a contesté que de nombreuses personnes avaient visité l’établissement (dont Vic Toews, alors ministre), de même que des organisations nationales et internationales. Personne n’a contesté que l’exposition des œuvres d’art des délinquants faisait partie de ces visites ou de la réhabilitation de l’image du Centre dans la collectivité. Dans le rapport final (pièce G-1, onglet 1), le comité d’enquête a adopté un point de vue différent, et beaucoup plus désapprobateur quant à ces œuvres d’art et leur exposition. Cependant, le comité d’enquête a outrepassé son mandat en se penchant sur le bien-fondé de l’art en tant qu’art. La seule question pertinente était le fait que la fonctionnaire permette, selon les termes de Mme MacDonald dans la lettre de licenciement, [traduction] « […] à un délinquant de profiter de la vente d’une œuvre d’art en retirant la somme de 900 $ du "fonds Pop" […] ». L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que cette affirmation ignorait l’objectif global du fonds, qui devait profiter aux personnes, que ce soit pour des fêtes du personnel, pour acheter de la pizza aux délinquants ou pour les délinquants individuels qui avaient des besoins particuliers (par exemple, des bottes de travail).

126        L’avocat de la fonctionnaire a souligné que, même si l’avocat de l’employeur avait nié s’être fié au rapport final (pièce G-1, onglet 1), Mme MacDonald a soulevé qu’elle s’était fiée aux allégations que le comité d’enquête avait jugé fondées. Elle n’a mené aucune enquête indépendante sur ces allégations, en dehors du fait de demander à la fonctionnaire d’y répondre. L’avocat a souligné que même si Mme MacDonald était convaincue que les véhicules du SCC ne pouvaient pas être utilisés pour transporter les biens d’un délinquant, elle n’a pas été en mesure de signaler une règle ou une politique en ce sens. Elle n’a pas non plus été en mesure d’expliquer en contre-interrogatoire comment un juge de paix dans le cadre d’une demande de cautionnement pourrait obtenir des renseignements concernant la disponibilité des places dans un centre correctionnel communautaire sans une lettre de cet établissement. Mme MacDonald n’a pas non plus été en mesure d’expliquer pourquoi elle avait interprété les réponses de la fonctionnaire comme des [traduction] « rationalisations » et, par conséquent, des minimisations de sa conduite, par opposition à de simples explications à savoir pourquoi la fonctionnaire a agi comme elle l’a fait.

127        L’avocat de la fonctionnaire a conclu en soulignant que la Commission d’enquête avait été créée en raison d’allégations selon lesquelles la fonctionnaire et M. AB entretenaient une relation inappropriée. Une telle allégation laissait clairement entendre qu’ils entretenaient une relation de nature sexuelle. Cependant, il n’existe pas la moindre trace de preuve en ce sens, ce dont le comité d’enquête a peu fait état en dirigeant plutôt son attention sur d’autres gestes fondamentalement différents posés par la fonctionnaire. La fonctionnaire compte 36 années de service au cours de sa carrière chez l’employeur. On lui a remis une Médaille du jubilé d’or pour des services liés à cette carrière. Au fil des ans, elle a obtenu uniformément de bons résultats dans ses examens de rendement. Ils n’étaient pas parfaits et il y avait des problèmes de communication avec le personnel. Cependant, de mauvaises compétences en communication n’équivalent pas à l’inconduite dont elle est accusée.

128        En conséquence, l’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que, selon les faits de la présente affaire, rien ne justifiait de ne pas tenir compte des principes relatifs aux mesures disciplinaires progressives. Rien ne justifiait une censure, encore moins une mesure disciplinaire officielle. En outre, dans l’éventualité où une mesure disciplinaire était justifiée, elle aurait dû être moins importante que celle qui a été imposée.

C. Réfutation de l’employeur (mesure disciplinaire et sanction)

129        L’avocat de l’employeur a reconnu que Mme Macdonald avait dû examiner le rapport final (pièce G-1, onglet 1). Cependant, seul le contenu de la lettre disciplinaire du 14 octobre 2001 était pertinent. La décision de prendre une mesure disciplinaire à l’égard de la fonctionnaire reposait sur les affaires décrites dans la lettre disciplinaire, pas dans le rapport final.

130        En ce qui concerne une lettre que la fonctionnaire avait rédigée dans le cas d’un autre délinquant, l’avocat de l’employeur a signalé que la fonctionnaire faisait partie de l’équipe de gestion des cas à cette époque. Par conséquent, elle avait un rôle à jouer et l’autorité de rédiger une lettre. On ne pouvait pas en dire autant dans le cas de M. AB.

131        Pour ce qui est de la question relative à l’ordonnance de surveillance à long terme, l’avocat de l’employeur a fait valoir que la position de la fonctionnaire était contradictoire. Une personne ne peut affirmer que le SCC n’a aucun rôle à jouer dans le cadre des demandes de cautionnement, puis prendre part à une demande de cautionnement. L’avocat a également convenu que le Centre Keele, en tant qu’unité de surveillance renforcée, offrait deux possibilités : une où les délinquants vivaient en résidence (donc sous surveillance) et une autre où ils continuaient de faire l’objet d’une surveillance étroite tout en vivant dans la collectivité. La recommandation du bureau de Toronto-Ouest mentionnait clairement que M. AB ne pouvait pas vivre dans la collectivité. Ceci étant, l’inclusion par la fonctionnaire des deux possibilités dans sa lettre du 17 décembre 2010, adressée à la Cour, la plaçait nécessairement en conflit par rapport à la recommandation du bureau de Toronto-Ouest.

132        En ce qui concerne le témoignage de M. Townsend, l’avocat de l’employeur a souligné que ce dernier ignorait que l’équipe de gestion des cas du bureau de Toronto-Ouest était parvenue à une conclusion différente de celle décrite dans la lettre du 17 décembre 2010. En d’autres termes, la fonctionnaire ne lui avait pas présenté un portrait complet. Par conséquent, sa conclusion voulant que la lettre soit appropriée a été formulée sans avoir une compréhension complète de la situation.

D. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée (requête visant à annuler la décision selon laquelle le départ à la retraite de la fonctionnaire était volontaire)                                         

133        Comme on l’a déjà indiqué, l’avocat de la fonctionnaire a signalé au cours de la troisième partie de l’audience qu’il avait l’intention de présenter une requête relativement à une ordonnance en vue d’annuler une partie de ma décision dans Hassard no 2. Ses arguments relativement à cette requête ont été présentés par écrit le 6 mai 2015.

134        Pour préciser le contexte, rappelez-vous que la fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire au moyen d’une rétrogradation. Plutôt que d’accepter la rétrogradation, elle a pris sa retraite, puis a présenté un grief à ce propos. En conséquence, l’une des questions dont je suis saisie était de déterminer si elle avait pris sa retraite volontairement. Son avocat précédent avait fait valoir que sa démission n’avait pas été volontaire, car celle-ci avait été provoquée, entre autres choses, par une rétrogradation qui équivalait, en droit, à un licenciement putatif. Après avoir entendu la preuve et les arguments, j’ai tranché dans Hassard no 2 que sa décision de prendre sa retraite avait été volontaire. En me basant partiellement sur l’argument de son avocat à l’époque, j’ai également décidé qu’elle conservait néanmoins le droit de présenter un grief à l’égard de sa rétrogradation, même si elle avait pris sa retraite.

135        À la troisième partie de l’audience, l’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que ma décision dans Hassard no 2,selon laquelle la démission de la fonctionnaire avait été volontaire, devrait être annulée, et ce, pour deux motifs. D’abord, il a fait valoir que Mme MacDonald avait trompé la fonctionnaire en omettant de lui dire que la rétrogradation était destinée à être une mesure temporaire. Si la fonctionnaire l’avait su, elle n’aurait pas pris sa retraite. Par conséquent, sa démission était effectivement involontaire et devrait être annulée. Deuxièmement, il a fait valoir que la fonctionnaire avait reçu de mauvais conseils juridiques de son avocat précédent, qui lui avait indiqué qu’elle pouvait démissionner et tout de même présenter un grief relativement à sa rétrogradation au motif qu’il s’agissait d’un licenciement putatif. Ces conseils étaient prétendument erronés, mais la fonctionnaire s’y est fiée lorsqu’elle a décidé de prendre sa retraite et de présenter un grief.

136        En ce qui concerne le premier point, l’avocat de la fonctionnaire a souligné que Mme MacDonald a soulevé, à la troisième partie de l’audience, qu’elle prévoyait que la rétrogradation soit une mesure temporaire, pas permanente. Mme MacDonald a laissé entendre qu’au moment où elle a imposé cette mesure, les rétrogradations duraient habituellement deux ans. Cependant, le 14 octobre 2011, la lettre disciplinaire n’en faisait pas mention. Par conséquent, la fonctionnaire, selon son témoignage, avait compris que la rétrogradation était permanente. Elle a également témoigné que, avoir su que cette mesure était destinée à n’être que temporaire, elle n’aurait pas pris sa retraite.

137        En ce qui concerne le deuxième point, l’avocat de la fonctionnaire a indiqué que la décision Hassard no 2 avait accordé une importance considérable au fait que la fonctionnaire avait été représentée par un avocat chevronné pendant toute la durée de la période d’août 2011 à octobre 2011. Cependant, selon les conseils prodigués par cet avocat, elle pouvait démissionner (ou prendre sa retraite), puis tout de même présenter un grief à l’égard de sa rétrogradation. Il ne lui a pas dit que son départ à la retraite pouvait porter atteinte à son droit de présenter un grief à l’égard de sa rétrogradation. Si elle avait été informée de ce préjudice éventuel, elle n’aurait pas pris sa retraite. Qui plus est, cet avocat, du fait de ces conseils négligents, était alors dans une situation de conflit d’intérêts, mais est demeuré silencieux, et ce, au détriment de la fonctionnaire.

138        L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que l’effet combiné de ces deux points visait à rendre le départ à la retraite de la fonctionnaire involontaire. Lorsqu’elle a décidé de prendre sa retraite, elle s’est fiée à des renseignements trompeurs (ou plutôt à un manque de renseignements) de Mme MacDonald, ainsi que sur les conseils négligents de son avocat précédent.

139        À titre de réparation, l’avocat de la fonctionnaire aurait dû demander ce qui suit :

a. une déclaration selon laquelle la démission de la fonctionnaire était involontaire et qu’elle constituait un licenciement au sens de la LRTFP;

b. une ordonnance réintégrant la fonctionnaire à son poste original, avec plein salaire.

140        Subsidiairement, l’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que, même si on arrivait à la conclusion que la démission était volontaire, je devrais conclure qu’elle découlait de la [traduction] « tromperie » de Mme MacDonald. Il a fait valoir que la fonctionnaire n’aurait pas pris sa retraite sans cette tromperie et que, en conséquence, je devrais lui accorder des dommages pour ses pertes de traitement passées et futures.

E. Pour l’employeur (requête visant à annuler la décision selon laquelle le départ à la retraite de la fonctionnaire était volontaire)                                                                               

141        L’avocat de l’employeur a présenté ses observations écrites le 19 mai 2015.

142        L’avocat de l’employeur a valoir fait que ma décision dans Hassard no 2 devrait être confirmée. Il a présenté deux arguments de base.

143        D’abord, l’avocat de l’employeur a fait valoir que je n’ai pas compétence pour statuer sur la bonne foi d’une démission. Ma compétence, aux termes du paragraphe 209(1) de la LRTFP, porte prétendument uniquement sur les « mesure[s] disciplinaire[s] » prises par l’employeur et ne porte pas sur les démissions en vertu de l’article 63 la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, paragr. 12 et 13), car il s’agit des mesures de l’employé et non de l’employeur. L’avocat a fait valoir qu’il n’était pas pertinent que la démission ait pu constituer une réponse à une mesure disciplinaire prise par l’employeur. Il a reconnu que je pourrais me pencher sur la bonne foi des actions de l’employeur pour m’assurer qu’elles n’étaient pas effectivement disciplinaires (comme, par exemple, dans les renvois en cours de stage); voir Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 109, et Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2010 CRTFP 83. Cependant, l’affaire est différente lorsque l’argument soutient que l’action indépendante d’un employé (une démission dans la présente affaire) faisait en quelque sorte partie, ou constituait une conséquence directe, d’une mesure disciplinaire de l’employeur. Dans de tels cas, le critère du « facteur déterminant » ne peut être appliqué pour rendre une démission implicite dans le cas d’une rétrogradation; voir Rogers c. Agence du revenu du Canada,2010 CAF 116, aux paragr. 14 et 18, et Mak c. Conseil national de recherches, 2012 CRTFP 63, aux paragr. 37.

144        Deuxièmement, à titre subsidiaire, l’avocat de l’employeur a fait valoir que la proposition selon laquelle la fonctionnaire n’aurait pas démissionné si elle avait su que la rétrogradation était temporaire n’a pas été démontrée au moyen de la preuve présentée, c’est-à-dire que la rétrogradation avait été une option dont Mme MacDonald et la fonctionnaire avaient discuté avant la tenue de la réunion disciplinaire. La fonctionnaire n’a pas demandé si la rétrogradation était temporaire ou permanente et, de toute façon, elle aurait pu présenter sa candidature aux fins d’une promotion en tout temps après la rétrogradation. De plus, la pratique générale de l’employeur, comme en a témoigné Mme MacDonald, consistait à limiter les rétrogradations à deux ans, ce qui est conforme au principe d’une mesure disciplinaire progressive; voir MacArthur, au paragr. 123. En gardant ces points à l’esprit, on ne pouvait affirmer, selon la prépondérance des probabilités, que la question de savoir si la rétrogradation était permanente ou temporaire était un facteur déterminant dans la décision de la fonctionnaire de prendre sa retraite. On ne pouvait pas non plus dire qu’elle avait été trompée d’une quelconque façon.

145        L’avocat de l’employeur a ensuite abordé la question des conseils juridiques que la fonctionnaire a reçus de son avocat précédent. Ses arguments étaient axés sur les répercussions, le cas échéant, que pouvaient avoir de tels conseils sur le caractère volontaire de la fonctionnaire de prendre sa retraite. Il a fait valoir que la correspondance par courriel avec son avocat précédent indiquait clairement qu’elle songeait à prendre sa retraite, pour ensuite intenter une poursuite (ou présenter un grief) relativement à deux années de salaire, en se basant sur son allégation relative au licenciement putatif. Le fait que j’aie ultérieurement tranché qu’elle ne pouvait pas faire les deux ne vise pas le caractère volontaire de sa démission, mais seulement l’étendue de ses réparations.

146        Quant à la qualité des conseils juridiques que la fonctionnaire a reçus de son avocat précédent, l’avocat de l’employeur a fait valoir qu’on ne pouvait imputer à l’employeur la responsabilité de tout défaut relativement à ces conseils à l’employeur. L’employeur n’a pas choisi l’avocat de la fonctionnaire.

147        En conséquence, l’avocat de l’employeur a soutenu que la requête relative à une ordonnance d’annulation d’une partie de ma décision dans Hassard no 2 devrait être rejetée.

148        Le 7 mars 2016, pendant l’avant-projet de la présente décision, l’avocat de l’employeur a attiré mon attention sur la décision Stevenson c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 17, au paragr. 121, voulant qu’un arbitre de grief n’ait pas compétence relativement à une cessation d’emploi au moyen d’une démission et d’une demande de départ à la retraite qui a été acceptée.

F. Réfutation de la fonctionnaire s’estimant lésée (requête en vue d’annuler la décision selon laquelle le départ à la retraite de la fonctionnaire était volontaire)                         

149        L’avocat de la fonctionnaire a présenté ses arguments le 8 juin 2015.

150        L’avocat a souligné que j’avais déjà tranché dans Hassard no 2 que le fait que la fonctionnaire n’était plus une employée au moment de présenter son grief ne me privait pas de ma compétence pour entendre son grief (voir le paragr. 199 de cette décision). Il semble que cela ait également été la position de l’avocat de l’employeur à l’époque. Par conséquent, l’employeur ne pouvait pas faire valoir que je n’ai pas compétence. Ceci étant, la nouvelle preuve de Mme MacDonald, qui n’était pas raisonnablement disponible à la fonctionnaire à l’époque, pouvait être examinée et faire l’objet d’une décision.

151        Le 29 mars 2016, l’avocat de la fonctionnaire s’est opposé à l’argument de l’employeur relativement à Stevenson, et ce, pour deux raisons. Dans un premier temps, l’avocate précédente de l’employeur n’avait pas soulevé cette question dans Hassard no 2 et, deuxièmement, il n’y avait aucun fait nouveau depuis Hassard no 2 qui pourrait justifier une conclusion différente.

IV. Analyse et décision

152        La question de la compétence a été analysée dans Hassard no 2, aux paragr. 196 à 199. J’ai alors souligné qu’il semblait y avoir deux courants de jurisprudence à ce sujet. Un de ces courants n’accordait pas compétence : voir le paragr. 197. L’autre, apparemment fondé sur la décision de la Cour fédérale dans La Reine du Chef c. J.G.I. Lavoie, [1978] 1 FC 778 (C.A.), faisait valoir qu’un employé a effectivement le droit de formuler un grief contre son ancien employeur en ce qui a trait à une affaire qui s’était produite pendant qu’il avait le statut d’employé : voir le paragr. 198. À l’époque, j’ai également souligné que les deux parties s’étaient entendues pour affirmer que la décision dans Lavoie était appropriée. Compte tenu du fait que les décisions de la Cour d’appel fédérale lient un arbitre de grief et, compte tenu du fait qu’aucune des parties à l’époque n’a contesté le bien-fondé de Lavoie ou son applicabilité aux faits de la présente affaire, j’ai tranché au paragr. 199 de Hassard no 2 que le fait que la fonctionnaire « […] avait perdu son statut d’employée lorsqu’elle a formulé son grief ne l’empêche pas en l’espèce de présenter un grief à l’encontre de la décision de lui imposer une rétrogradation, pas plus que cela ne m’empêche d’avoir compétence pour instruire ce grief ». Cette décision était définitive, en ceci qu’elle permettait de donner suite au grief sur le fond et, pour les motifs présentés ci-dessous, je n’ai pas compétence à ce moment pour réexaminer la question.

153        Je traiterai d’abord de la requête de la fonctionnaire visant à annuler une partie de la décision dans Hassard no 2.

A. Requête visant à annuler la décision selon laquelle le départ à la retraite de la fonctionnaire était volontaire         

154        Avant de poursuite, il convient de souligner, en rétrospective, qu’il est possible que je n’aie pas le droit de modifier ma décision dans Hassard no 2. Un arbitre de grief ne semble pas avoir compétence pour revoir une décision officielle qui tranche une question importante qui a été tranchée dans le cadre de l’arbitrage d’un grief : la partie 2 de la LRTFP ne confère aucun pouvoir à un arbitre de grief d’examiner ses propres décisions et l’article 233 prévoit que ses décisions sont définitives. Il peut s’avérer que j’étais à ce moment functus officio (que j’avais épuisé ma compétence) dans la mesure où la décision officielle était concernée : voir Doyon c. C.R.T.F.P., [1979] 2 C.F. 190 (C.A.); Canada (Treasury Board) v. Cantin, [1985] F.C.J. No. 330 (C.A.) (QL); Canada v. Exley et al. (1985), 61 N.R. 121 (F.C.A.); Canada (Attorney General) v. Purcell, [1994] F.C.J. No. 1649 (T.D.) (QL); Canada (Attorney General) v. Lebreux, [1994] F.C.J. No. 1711 (QL) (C.A.). Cependant, le fait que l’avocat de l’employeur n’ait soulevé aucune objection relativement à ma compétence pour ces motifs ne me confère pas le pouvoir d’examiner la requête : voir Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459 (1re inst.), confirmée dans Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.). Ceci étant, il n’est pas nécessaire pour moi de trancher cette question car, comme il en a été question ci-dessus, même si j’avais compétence, il convient de rejeter cette requête.

155        Malgré les observations habiles de l’avocat de la fonctionnaire, je ne suis pas convaincu qu’il existe des motifs d’annuler ma décision dans Hassard no 2.

156        Je suis parvenu à cette conclusion pour différents motifs.

157        Dans un premier temps, la position de la fonctionnaire se fonde essentiellement sur ce que son avocat a affirmé être [traduction] « une nouvelle preuve ». Le critère quant à savoir si une telle preuve peut être examinée pour revoir une décision officielle semble être le suivant :

a. La preuve ne devrait généralement pas être admise si, avec diligence raisonnable, elle avait pu être présentée à l’audience en question.

b. La preuve doit être pertinente à une question décisive ou potentiellement décisive au cours de l’audience.

c. La preuve doit être crédible, en ceci qu’on doit pouvoir raisonnablement y croire.

d. Si l’on peut y croire, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que la preuve, si elle est examinée avec l’autre preuve, ait eu une incidence sur le résultat; voir Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, à la page 775; M.A.D. v. Children’s Aid Society of Halifax, 1993 CanLII 5662 (NS CA);  Shire Canada Inc. c. Apotex Inc., 2011 CAF 10.

158        Dans des affaires civiles, le critère est sévère; voir Brace c. Canada, 2014 CAF 92, au paragr. 11.

159        À mon avis, la preuve en question, soit l’intention de Mme MacDonald quant à la durée de la rétrogradation, ne satisfait pas aux exigences plutôt sévères pour être admissible à titre de [traduction] « nouvelle preuve ». Cette preuve aurait pu être obtenue à l’époque par l’exercice de la diligence raisonnable. On aurait pu demander à Mme MacDonald, pendant la deuxième partie de l’audience, en août 2013, si la rétrogradation était destinée à être une mesure temporaire ou permanente. L’ancien avocat de la fonctionnaire n’a pas posé cette question. Si la nature et la portée de la rétrogradation étaient réellement une question pertinente à l’époque, l’avocat aurait pu poser la question. Le fait de tomber sur un renseignement qui était disponible à l’époque, si la question avait été posée, n’est pas la même chose que la découverte d’une preuve qui n’était pas disponible, et ce, même si de telles questions avaient été posées. La preuve était disponible, il fallait seulement poser la bonne question. À mon avis, le défaut de poser la bonne question n’équivaut pas à l’exercice de la diligence raisonnable.

160        Compte tenu de cette conclusion, il ne m’est pas nécessaire d’examiner si les deuxième et troisième conditions du critère permettant de déterminer si une nouvelle preuve peut justifier un nouvel examen d’une décision officielle sont satisfaites. Cependant, je souligne que, pour des raisons qui seront analysées plus tard, à mon avis, la quatrième condition n’aurait pas pu être satisfaite. Plus précisément, même si elle avait été prise en compte, il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce que la preuve ait une incidence sur le résultat. Cela m’amène à la deuxième raison de rejeter la requête : la preuve réelle.

161        Le témoignage de la fonctionnaire pendant la troisième partie de l’audience n’était pas qu’elle croyait que la rétrogradation était permanente. Elle a témoigné qu’elle avait compris de Mme MacDonald qu’elle [traduction] « pourrait présenter de nouveau sa candidature pour [son] emploi ultérieurement ». Elle a ajouté qu’elle avait demandé des précisions, mais, à ce moment, son témoignage a été interrompu par les deux avocats qui avaient des objections et des arguments relativement aux conséquences du témoignage de Mme MacDonald, selon lequel elle avait prévu que la rétrogradation ne durerait que deux ans. L’avocat de la fonctionnaire est par la suite retourné à son questionnement à ce sujet et a demandé à la fonctionnaire si elle croyait, le 21 octobre 2011, que la rétrogradation était permanente ou temporaire. Voici ce qu’elle a répondu : [traduction] « De fait, permanente […] même si je pouvais poser ma candidature pour mon emploi, en raison de cette question de dénonciation, je n’obtiendrais jamais le même poste » [je souligne]. On lui a ensuite demandé si elle aurait pris sa retraite si elle avait su qu’elle [traduction] « retournerait automatiquement au poste précédent » [je souligne].

162        Ce que je retiens de ce témoignage, c’est que la fonctionnaire comprenait que sa rétrogradation n’était pas vraiment permanente. Elle comprenait qu’elle pouvait poser de nouveau sa candidature pour son ancien poste à un certain moment. Toutefois, elle croyait également que l’existence de la mesure disciplinaire dans son dossier faisait en sorte qu’il serait extrêmement improbable que sa candidature soit retenue. La question n’est pas alors de savoir si elle pensait que la rétrogradation serait permanente ou temporaire, mais plutôt de savoir si elle comprenait qu’elle récupérerait automatiquement son ancien poste.

163        La fonctionnaire a indiqué qu’elle n’aurait pas pris sa retraite si elle avait compris qu’elle récupérerait automatiquement son ancien poste après un certain temps. Cela soulève les deux questions suivantes :

a. Est-ce que je trouve cette preuve crédible?

b. Si oui, est-elle pertinente?

164        La compréhension de la fonctionnaire quant à savoir si elle serait réintégrée automatiquement à son ancien poste à un moment quelconque après la rétrogradation serait pertinente à sa requête s’il existait une preuve que de telles réintégrations étaient automatiques après une rétrogradation. Toutefois, personne n’a présenté de preuve selon laquelle la pratique de l’employeur en ce qui concerne les employés rétrogradés était de les réintégrer dans les postes desquels ils avaient été rétrogradés. En l’absence d’une telle preuve, le témoignage de la fonctionnaire quant à sa compréhension manque de pertinence.

165        Même si le témoignage de la fonctionnaire sur cet aspect pointu était pertinent à la question du caractère volontaire de sa décision de prendre sa retraite, on ne m’a pas convaincu que cela aurait modifié ma décision. La rétrogradation était importante. La fonctionnaire est passée d’un poste de gestion à un poste exempt de responsabilité de gestion. La fonctionnaire a également soulevé qu’elle était préoccupée par le fait que, compte tenu de la communauté professionnelle relativement petite, elle travaillerait entourée de personnes au courant de la rétrogradation et des conclusions du rapport final (pièce G-1, onglet 1). Il m’apparaît improbable qu’elle ait été prête à endurer de telles circonstances pendant les deux années de la rétrogradation. Elle n’a certainement livré aucun témoignage en ce sens.

166        Troisièmement, en ce qui concerne la question de l’incidence des conseils juridiques de l’avocat précédent de la fonctionnaire dans la décision de cette dernière de prendre sa retraite, le fait que les conseils puissent avoir été mauvais, erronés ou négligents n’a pas eu d’incidence sur le caractère volontaire de sa décision. Cette décision lui appartenait; on ne l’a pas forcée à la prendre. L’employeur ne l’a pas trompé. Si les conseils juridiques qu’elle a reçus étaient négligents et s’ils lui ont causé une perte ou un préjudice, alors sa cause d’action, le cas échéant, et sa réparation doivent être à l’encontre de son ancien avocat, pas de l’employeur.

167        Compte tenu de cette conclusion, il ne m’est pas nécessaire de faire référence à la correspondance entre la fonctionnaire et son ancien avocat menant à sa décision de prendre sa retraite en octobre 2011.

168        Pour ces motifs, je rejette la requête de la fonctionnaire d’annuler la conclusion que son départ à la retraite était volontaire.

B. Mesure disciplinaire et sanction

169        Je me penche maintenant sur la décision de l’employeur de prendre une mesure disciplinaire à l’égard de la fonctionnaire et de lui imposer une rétrogradation. Comme la présente affaire porte sur une mesure disciplinaire, il incombait à l’employeur d’établir le motif. De plus, je dois examiner les trois questions suivantes :

a. Y avait-il des motifs justifiant la mesure disciplinaire?

b. Dans l’affirmative, la mesure disciplinaire imposée était-elle raisonnable dans les circonstances?

c. Dans la négative, en quoi consisterait une sanction raisonnable?

170        Par souci de commodité, je dresserai la liste des motifs sur lesquels s’est appuyé l’avocat de l’employeur dans sa décision de prendre une mesure disciplinaire à l’encontre de la fonctionnaire, comme suit :

a. la fonctionnaire a trompé la Cour en suggérant que le SCC appuyait la mise en liberté sous caution de M. AB après son arrestation pour avoir violé les conditions de son ordonnance de supervision à long terme;

b. la fonctionnaire a défendu M. AB en communiquant avec son avocat relativement à sa demande de cautionnement, ce qui a placé la fonctionnaire en situation de conflit d’intérêts par rapport à ses fonctions et responsabilités en sa qualité de directrice du Centre Keele;

c. la fonctionnaire a organisé l’achat de l’œuvre d’art de M. AB à partir du « fonds Pop » du Centre Keele;

d. la fonctionnaire a omis de consigner ses conversations ou mesures à l’égard de M. AB dans son dossier du SCC à la suite de l’arrestation de ce dernier pour avoir violé les conditions de son ordonnance de surveillance à long terme et pendant qu’il était en prison dans l’attente du résultat de sa demande de cautionnement;

e. la fonctionnaire a ordonné l’utilisation d’un véhicule du SCC pour transporter les biens de la petite amie de M. AB;

f. le manque général de compréhension de la fonctionnaire quant à la gravité des gestes qu’elle a posés (lesquelles justifiaient un licenciement, mais elle a plutôt été rétrogradée).

171        J’examinerai ces motifs selon cet ordre.

1. Allégation voulant qu’elle ait trompé la Cour dans la demande de cautionnement de M. AB

172        Dans son contre-interrogatoire, Mme MacDonald a convenu que, parmi les allégations formulées contre la fonctionnaire que le comité d’enquête avait jugées fondées, il s’agissait de la plus grave. Je suis d’accord que, si elle avait été établie, une telle allégation aurait été très grave, plus particulièrement compte tenu du rôle et du poste de la fonctionnaire dans le système de justice. Le problème est que la prétendue conclusion du comité d’enquête était fondée sur une mauvaise interprétation de la preuve qui, si elle n’a pas été volontaire, était certainement négligente. Les faits supposément à l’appui de la conclusion du rapport final (pièce G-1, onglet 1) n’existaient tout simplement pas — et les inférences que le rapport a tirées de ces prétendus faits étaient viciées de manière semblable.

173        Cette conclusion exige une analyse attentive de la preuve recueillie par le comité d’enquête et présentée dans son rapport final (pièce G-1, onglet 1). L’analyse est nécessaire, car le comité d’enquête a fusionné deux questions — tromper la Cour et un conflit d’intérêts – dans son analyse de ce qui s’est produit. De manière semblable, ses conclusions relativement aux deux questions étaient erronées.

a. Ce qui s’est passé selon le rapport final

174        Le rapport final (pièce G-1, onglet 1) commence par décrire la première allégation contre la fonctionnaire, à la page 23 :[traduction] « Entre janvier 2007 et le 12 janvier 2011, il est allégué que [la fonctionnaire] a contrevenu au Code de conduite professionnelle du Service correctionnel en omettant d’éviter un conflit d’intérêts dans sa relation avec [M. AB]. »

175        Cependant, le rapport final (pièce G-1, onglet 1) porte principalement sur l’entrevue entre M. AB et les deux agents du bureau de Toronto-Ouest, à la prison Don. Selon le rapport, M. AB [traduction] « […] a été informé de la recommandation de son équipe de gestion des cas à [la Commission des libérations conditionnelles du Canada], c’est-à-dire, qu’il demeure en détention jusqu’à son procès, car on considérait que [son] risque de récidive serait impossible à gérer dans la collectivité »[le passage en évidence l’est dans l’original] (pièce G-1, onglet 1, page 21). Le passage suivant figurait également dans le rapport et faisait valoir que le bureau de Toronto-Ouest [traduction] « […] n’appuyait pas le retour de [M. AB] dans la collectivité » [le passage en évidence l’est dans l’original], et poursuivait comme suit (à la page 23) :

                   [Traduction]

Au contraire, l’équipe de gestion des cas recommandait que [M. AB] soit accusé d’une violation de son [ordonnance de surveillance de longue durée], et qu’il demeure en détention jusqu’à son procès, car ces violations étaient directement liées à son cycle d’infractions. En résumé, l’équipe de gestion des cas chargée de le surveiller croyait que le retour du délinquant [M. AB] dans la collectivité compromettrait la sécurité publique.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

176        Le rapport final (pièce G-1, onglet 1) présentait ensuite une analyse détaillée des gestes posés par la fonctionnaire entre l’arrestation de M. AB et son audience sur le cautionnement. À la page 24 du rapport, on souligne que la fonctionnaire a écrit une lettre à la Cour, datée du 17 décembre 2010. La lettre est décrite comme suit :

                   [Traduction]

[La fonctionnaire] a entrepris de son propre gré de rédiger une lettre officielle aux cours, en utilisant du papier à en-tête [du SCC] [] Cette lettre voyait d’un bon œil le retour de [M. AB] au [Centre Keele]. Dans la lettre officielle, [la fonctionnaire] a écrit que « la présente a pour but de vous informer que [M. AB] serait le bienvenu à revenir sous notre surveillance ». Elle a également écrit : « Je soumets les présents renseignements aux fins d’examen par les tribunaux ».

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

177        Donc, en résumé, la conclusion du rapport final (pièce G-1, onglet 1) était que la fonctionnaire avait écrit une lettre destinée à la Cour qui était trompeuse, car elle appuyait (ou proposait) un plan d’action concernant M. AB que le dernier bureau à qui la responsabilité de ce dernier incombait, soit le bureau de Toronto-Ouest, n’appuyait pas. Tel qu’il est expliqué ci-dessous, la conclusion du comité d’enquête pose problème parce que son interprétation de ce qui s’est passé est tout simplement erronée. Par conséquent, c’est aussi le cas de la conclusion.

b. Ce qui s’est réellement passé

178         M. AB était sous la responsabilité de l’unité de surveillance renforcée du Centre Keele depuis plus de trois ans. À la fin d’octobre 2010, le bureau de Toronto-Ouest a assumé la responsabilité de la surveillance de M. AB. Environ trois semaines plus tard, on l’a trouvé dans un bar, ce qui constituait une violation d’une des conditions de son ordonnance de surveillance de longue durée.

179         Les agents de libération conditionnelle du bureau de Toronto-Ouest responsables de M. AB ont visité ce dernier à la prison Don. Ils ont écouté son explication et ses excuses relativement à sa conduite. Mme Samson a écrit que M. Toole et elles ont formulé l’opinion selon laquelle il [traduction] « […] devrait retourner à l’unité de surveillance renforcée Keele à l’occasion de sa prochaine libération, car il aura besoin de surveillance continue et d’encadrement » (pièce G-20, page 4).

180        L’unité de surveillance renforcée Keele comprenait, comme on l’a indiqué plus tôt, le Centre Keele et l’unité de surveillance en équipe Keele. En d’autres termes, l’agent des libérations conditionnelles du bureau de Toronto-Ouest, qui avait tout récemment été responsable de la surveillance de M. AB, était d’avis qu’à l’occasion de la [traduction] « prochaine libération » de M. AB (qui, je suppose, voulait dire de la prison), il devrait être de nouveau être sous la responsabilité de l’unité de surveillance renforcée Keele.

181        La recommandation de retourner M. AB à l’unité de surveillance renforcée Keele signifiait que, si on donnait suite à la recommandation, il serait placé dans l’un des deux environnements suivants :

a. dans l’unité résidentielle du Centre Keele, où il pourrait avoir l’occasion de sortir dans la collectivité, tout en se soumettant à l’exigence de faire rapport quotidiennement et de se soumettre à un couvre-feu;

b. sous la surveillance de l’unité de surveillance en équipe Keele, c’est-à-dire qu’il pourrait vivre dans la collectivité, mais sous la surveillance de l’unité de surveillance en équipe Keele, qui était plus rigoureuse que celle offerte par le bureau de Toronto-Ouest.

182        Mme Samson a ensuite écrit qu’elle ne pouvait pas [traduction] « […] tolérer les actions du délinquant et [croyait] que les conséquences naturelles de son comportement devaient s’ensuivre » (pièce G-20, page 4). Mme Samson a ensuite soulevé (pièce G-20, page 4) que, selon les renseignements dont elle disposait, elle était [traduction] « […] d’avis que le risque du délinquant ne peut être géré dans la collectivité en ce moment et conformément au paragr. 135.1(7) de la [Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté (L.C. 1992, ch. 20)], le dépôt d’une dénonciation pour accuser le délinquant aux termes du paragraphe 753.3(1) du Code criminel ».

183        D’après cette preuve, je conclus que le rapport d’évaluation du bureau de Toronto-Ouest doit être interprété comme suit :

a. L’action de M. AB de violer son ordonnance de surveillance de longue durée en buvant dans un bar démontrait qu’il n’était plus un candidat apte au type de surveillance de libération conditionnelle assurée par le bureau de Toronto-Ouest pour les délinquants vivant dans la collectivité;

b. à sa libération de prison, il devrait être retourné à l’unité de surveillance renforcée Keele.

184        Rien n’indique que Mme Samson croyait qu’on devrait refuser à M. AB une libération conditionnelle ou qu’il ne devrait, en aucune circonstance, vivre dans la collectivité ou y avoir accès. Une recommandation a plutôt été formulée, selon laquelle M. AB devrait retourner à l’unité de surveillance renforcée Keele et qu’il aurait besoin [traduction] « d’une surveillance continue et d’encadrement ». La preuve présentée a clairement établi que l’unité de surveillance renforcée Keele assurait une plus grande surveillance que le bureau de Toronto-Ouest. Il était également clair qu’une telle surveillance était assurée à l’un de deux niveaux : soit par le Centre Keele, soit par l’unité de surveillance en équipe Keele. Aucun de ces deux environnements n’interdisait un accès à la collectivité.

185        En outre, rien dans le rapport de Mme Samson n’indique que les agents croyaient que M. AB devrait demeurer en détention jusqu’à son procès, contrairement à ce qu’a affirmé le comité d’enquête dans son rapport final (pièce G-1, onglet 1). Effectivement, comme je l’ai déjà souligné, le rapport de Mme Samson ne parle que de ce qui devrait se passer après la libération de M. AB. En d’autres termes, et en supposant que la recommandation de Mme Samson soit présentée à la Cour, elle pourrait être interprétée uniquement comme une recommandation de ce que la Cour pourrait raisonnablement envisager de faire, si le cautionnement était accordé. Cette recommandation visait le retour de M. AB au Centre Keele, pas qu’on lui refuse le cautionnement et qu’il demeure en détention jusqu’à son procès.

186        Une fois de plus, contrairement à ce que le comité d’enquête a affirmé dans son rapport final (pièce G-1, onglet 1), on ne peut interpréter l’évaluation de Mme Samson comme étant son opinion selon laquelle M. AB représentait un risque si important qu’il ne devait pas être autorisé à retourner dans la collectivité. La recommandation de Mme Samson voulant que M. AB soit retourné à l’unité de surveillance renforcée Keele, compte tenu de la nature des services qui y sont offerts, peut uniquement être interprétée comme une opinion selon laquelle M. AB pourrait retourner dans la collectivité, à condition qu’il fasse l’objet d’une surveillance renforcée par le Centre Keele ou l’unité de surveillance renforcée Keele.

187        Bref, le comité d’enquête a mal compris. Son rapport final (pièce G-1, onglet 1) a mal représenté, ou à tout le moins, a mal compris la preuve sur laquelle il a fondé sa conclusion selon laquelle l’allégation était fondée.

188        Je me penche maintenant sur la lettre à la Cour de la fonctionnaire, datée du 17 décembre 2010.

189        Les parties pertinentes de la lettre du 17 décembre 2010 ont déjà été présentées. La lettre décrit les services de l’unité de surveillance renforcée Keele et indique qu’il y a de la place pour accueillir M. AB au Centre Keele. Elle stipule que si la Cour ordonnait sa libération à l’unité de surveillance renforcée Keele, il pourrait y être hébergé soit à la [traduction] « division », c’est-à-dire, en résidence (un lit était disponible) au Centre Keele, ou dans la collectivité, sous la responsabilité de l’unité de surveillance en équipe Keele.

190        Il s’agit de faits. Il n’y a rien d’incorrect ou de trompeur, particulièrement compte tenu du fait que Mme Samson avait déclaré que M. AB devrait être retourné au Centre Keele.

191        Le comité d’enquête semble avoir été particulièrement préoccupé par l’utilisation par la fonctionnaire du terme [traduction] « bienvenu » dans sa lettre du 17 décembre 2010. Il en découle plusieurs problèmes.

192        D’abord, comme je l’ai indiqué, le comité d’enquête a cité ce terme hors contexte. La phrase complète était rédigée en ces termes :

                   [Traduction]

Dans l’éventualité où un cautionnement serait accordé dans cette affaire, la présente a pour but de vous informer que [M. AB] serait le bienvenu à revenir sous notre surveillance — que ce soit sous la surveillance de l’[unité de surveillance en équipe Keele] moins restrictive, qui lui permettrait de vivre dans la collectivité dans son appartement en vertu d’exigences strictes en matière de surveillance, y compris un couvre-feu; ou, subsidiairement, à vivre au [Centre Keele], qui est la maison de transition.

193        La phrase ne dit rien sur la question de savoir si la Cour devrait accorder le cautionnement. Toutefois, elle précise que si ([traduction] « [d]ans l’éventualité où ») le cautionnement est accordé, M. AB serait le bienvenu de revenir à l’unité de surveillance renforcée Keele. La lettre du 17 décembre 2010 ne dit pas à la Cour dans quelle division il devrait être retourné si elle décidait de le libérer sous caution, ou même s’il devait être retourné à l’unité de surveillance renforcée Keele. L’utilisation du terme [traduction] « bienvenu », dans ce contexte, peut uniquement être interprétée comme une affirmation selon laquelle l’unité de surveillance renforcée Keele ne s’opposait pas à ce que M. AB soit de nouveau sous sa responsabilité, ce qui, je pourrais d’ajouter, est en tout point conforme à la recommandation de Mme Samson.

194        Qui plus est, la déclaration selon laquelle M. AB pourrait être retourné ([traduction] « serait le bienvenu »), si la cour en décidait ainsi, était raisonnable dans ce contexte. Il n’était un étranger ni pour les membres du personnel ni pour les autres délinquants de l’unité de surveillance renforcée Keele. Il y avait été pendant un certain nombre d’années. Il connaissait les deux divisions; les deux divisions le connaissaient. Il est tout à fait concevable qu’une cour tente de savoir si la mise en place de la recommandation de Mme Samson au sujet du retour de M. AB à l’unité de surveillance renforcée Keele pourrait poser un problème. M. AB aurait pu avoir une mauvaise relation avec certains résidents ou membres du personnel du Centre Keele et, par conséquent, il aurait pu être préférable de l’envoyer ailleurs. La lettre de la fonctionnaire du 17 décembre 2010, ne faisait que répondre à cette préoccupation éventuelle.

195        Quel est alors le problème de la lettre du 17 décembre 2010? Lorsqu’elle est lue dans son intégralité, y a-t-il quoi que ce soit de trompeur ou de faux? Non, il n’y a rien. C’est plutôt la conclusion du comité d’enquête selon laquelle la lettre était trompeuse qui est erronée, puisqu’elle était fondée sur une lecture sélective de son texte et sur une mauvaise compréhension de ce que Mme Samson avait réellement recommandé. En résumé, il n’y avait aucun conflit entre la lettre de la fonctionnaire à la Cour et les recommandations de Mme Samson. En conséquence, rien à propos de la lettre n’était trompeur pour la Cour.

196        Il est possible que Mme Samson et la fonctionnaire aient eu une divergence d’opinions quant à la sincérité des efforts de M. AB de se réhabiliter. Toutefois, le cas échéant, il n’y avait aucune différence entre ce que l’une ou l’autre croyait ou était prête à accepter quant à ce qui pouvait se produire s’il était libéré, soit qu’il pourrait être renvoyé à l’unité de surveillance renforcée Keele.

2. Communication avec l’avocat de la défense, conflit d’intérêts

197        Dans la lettre disciplinaire, Mme MacDonald a affirmé qu’elle était d’accord avec la conclusion du comité d’enquête selon laquelle la fonctionnaire était devenue [traduction] « trop impliquée » dans le cas de M. AB :

a. lorsque le bureau de Toronto-Ouest est devenu responsable de M. AB;

b. lorsque la fonctionnaire a travaillé avec l’avocat de la défense [traduction] « pour appuyer la mise en liberté sous caution de [M. AB]";

c. lorsque la fonctionnaire a induit en erreur [traduction] « […] les cours en leur faisant croire que le SCC appuyait le retour de [M. AB] dans la collectivité, alors qu’en fait, le SCC s’opposait à sa mise en liberté, car il était réputé constituer un risque pour la sécurité publique ».

198        Le premier point n’était pas exact. Lorsque M. AB a violé ses conditions de libération et qu’il a été arrêté pour cette raison, M. AB a de nouveau été sous la responsabilité de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Le bureau de Toronto-Ouest n’avait plus de responsabilités à son égard.

199        Le troisième point était également inexact, comme je l’ai présenté de façon détaillée.

200        Cela nous amène au deuxième point, soit les communications entre la fonctionnaire et l’avocat de la défense de M. AB, relativement à la question du cautionnement entre décembre 2010 et janvier 2011.

201        Il ne fait aucun doute que la fonctionnaire a effectivement communiqué avec l’avocat de la défense de M. AB. Elle lui a fourni des renseignements à propos de l’unité de surveillance renforcée Keele. Elle a également exprimé des préoccupations, voire des critiques, à l’égard de ce qu’elle qualifiait d’attitude antipathique de la part de certains procureurs de la Couronne et de certaines cours à l’égard des délinquants assujettis à des ordonnances de surveillance de longue durée. Il est donc clair qu’elle était impliquée. Néanmoins, il faut déterminer si toute implication dans le dossier d’un délinquant en particulier constitue un manquement à ses obligations en tant qu’employée du SCC; dans la négative, il faut déterminer si la fonctionnaire s’était trop impliquée et, dans l’affirmative, il faut déterminer où tirer la ligne entre une implication acceptable et une implication inacceptable, et si la fonctionnaire avait franchi cette ligne.

202        Premièrement, à mon avis, l’avocat de l’employeur n’a pas fait valoir qu’une participation quelconque dans l’affaire d’un délinquant était un manquement aux obligations et responsabilités d’un employé du SCC. En effet, j’aurais été surpris si un tel argument avait été présenté. À cet égard, je souligne les dispositions de l’article 3 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, dans sa version modifiée, qui prévoit ce qui suit :

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

203        Pour aider à réhabiliter les délinquants et à les réintégrer dans la collectivité en tant que citoyens respectueux des lois, la participation de certains employés du SCC est très certainement requise. Par exemple, après qu’un délinquant a passé plusieurs années sous la supervision d’un agent des libérations conditionnelles particulier ou à un centre correctionnel communautaire donné, on pourrait s’attendre à ce que cet agent ou ce centre correctionnel communautaire s’implique d’une certaine façon dans le cas de ce délinquant, dans l’éventualité où cet agent ou ce centre correctionnel communautaire estime qu’il pourrait aider à la réhabilitation du délinquant. Après tout, ils bénéficient d’une vaste expérience pratique, acquise sur une longue période, avec un délinquant donné. Pourquoi, alors, leur implication devrait-elle constituer un manquement à leurs obligations, si celle-ci peut aider à la réhabilitation d’un délinquant tout en assurant le maintien de conditions de garde et de surveillance sécuritaires et humaines?

204        Effectivement, le commentaire concernant la règle quatre (Relations avec les délinquants) semble en fait supposer qu’on doit s’attendre à une telle implication, comme suit (pièce E-2, onglet 17) :

                   [Traduction]

Le personnel doit faire preuve de diligence dans sa responsabilité de consigner et de rendre disponible aux fins d’examen tous les renseignements sur les délinquants qui pourraient contribuer à la prise de décisions éclairées concernant le délinquant ou la sécurité publique. En outre, les membres du personnel doivent communiquer aux délinquants une rétroaction continue documentée à propos de leur comportement. Les membres du personnel doivent respecter la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la relation, le sexe, l’âge, la langue et/ou les déficiences mentales ou physiques des délinquants et être réceptifs aux différents besoins des groupes culturels dans notre société. S’assurer que les relations avec les délinquants demeurent constructives et professionnelles est une tâche difficile et délicate, mais elle est nécessaire à un service professionnel. Elle exige que les membres du personnel maintiennent un équilibre entre les intérêts personnels et professionnels à l’égard du délinquant.

205        Je n’interprète pas ce commentaire comme interdisant toute implication. Je l’interprète plutôt comme reconnaissant qu’une telle implication fait partie des obligations et des responsabilités des employés du SCC, mais que, parce que cette implication est personnelle, il faut veiller à maintenir son objectivité.

206        Deuxièmement, d’après ce commentaire, il ressort que la question centrale n’est pas de déterminer si la fonctionnaire était impliquée dans l’affaire de M. AB, plus particulièrement dans le cadre de sa demande de cautionnement, mais si elle était trop impliquée. En d’autres termes, y avait-il une preuve qui appuierait une conclusion selon laquelle elle a omis de préserver [traduction] « […] l’équilibre délicat entre les intérêts personnels et professionnels à l’égard du délinquant »?

207        Une fois encore, je ne suis pas convaincu que la correspondance du 4 janvier 2011, entre la fonctionnaire et l’avocat de la défense, lui a fait franchir une ligne quelconque. Les points de vue possiblement négatifs qu’elle a exprimés à l’avocat de la défense à propos de l’approche de certains procureurs de la Couronne et de certains tribunaux à l’égard de délinquants qui ont violé leurs conditions d’ordonnance de surveillance de longue durée n’étaient ni inhabituels ni incohérents par rapport à l’interprétation et l’application adéquates de la loi en ce qui concerne les délinquants assujettis à des ordonnances de surveillance de longue durée. Après tout, la majorité de la Cour suprême du Canada, dans Ipeelee, est allée dans ce sens, au paragr. 48, comme suit :« […] Toutefois, les cours provinciales et les cours d’appel ont eu malheureusement tendance à mettre l’accent sur la protection du public aux dépens de la réadaptation des délinquants. Cette tendance les a influencées dans la détermination de ce qui constitue une peine appropriée pour le défaut de se conformer à une condition d’une [ordonnance de surveillance de longue durée] ».

208        Il me semble que la vraie question consiste à déterminer si les points de vue personnels de la fonctionnaire, ou son implication dans l’affaire de M. AB, l’ont amené à poser des gestes qui équivalaient à un manquement aux normes et aux politiques du SCC. Je ne suis pas convaincu que c’est le cas en l’espèce. Comme je l’ai déjà souligné, sa lettre du 17 décembre 2010 à l’intention de la Cour n’était pas trompeuse. Son offre initiale d’envisager la possibilité d’être un témoin afin d’expliquer le fonctionnement de l’unité de surveillance renforcée Keele a été retirée dès qu’elle a découvert, dans le cadre de sa propre enquête, que les propos de M. AB au sujet des circonstances de son arrestation étaient inexacts. Je souligne que, pour une certaine raison, le comité d’enquête croyait que la décision de la fonctionnaire de vérifier la véracité du compte-rendu de M. AB était un indicateur de sa trop grande implication. Cependant, il me semble que sa décision de mener une enquête témoignait de son professionnalisme. Elle ne s’est pas permis de se contenter de la parole de M. AB. En d’autres termes, elle ne lui a pas permis de la manipuler. Après avoir mené son enquête et découvert l’inexactitude de son compte-rendu, elle a agi de façon très appropriée en retirant son offre de comparaître à titre de témoin.

209        En conséquence, je ne suis pas convaincu que l’employeur a établi la preuve de sa préoccupation selon laquelle la fonctionnaire était trop impliquée dans l’affaire de M. AB.

3. Utilisation du « fonds Pop » pour acheter l’œuvre d’art de M. AB

210        Dans la lettre disciplinaire, cette préoccupation était exprimée comme suit :

 […] Votre comportement lorsque vous avez permis à un délinquant de profiter de la vente d’une œuvre d’art en prenant la somme de 900 $ du « fonds Pop », ainsi que le fait que vous persistiez à nier que le délinquant a tiré avantage de ces comportements ne reflètent pas ces valeurs; par conséquent, cette confiance a été endommagée. […]

211        Cette question ou préoccupation ne m’a pas semblé claire d’après la preuve. Le témoignage de la fonctionnaire, selon lequel elle avait discuté de l’achat de l’œuvre d’art de M. AB avec d’autres personnes au Centre Keele avant d’y donner suite et qu’aucune objection n’avait été soulevée, n’a pas été contredit pendant la troisième partie de l’audience. De plus, il n’a pas été clairement démontré en quoi l’utilisation du « fonds Pop » pour l’achat de l’œuvre d’art de M. AB était répréhensible ou constituait un manquement à l’égard de la politique du SCC. Selon la preuve, le « fonds Pop » avait été utilisé dans le passé afin de bénéficier aux délinquants, tant dans leur ensemble qu’individuellement, de même qu’aux membres du personnel. Effectivement, une personne pourrait penser que, dans une telle situation, le SCC s’attendrait à ce qu’un délinquant soit payé, et que le fait de ne pas payer pour ses œuvres d’art ou son artisanat constituerait un manquement, comme il en a été question, par exemple, dans Amos. Cet achat n’était pas non plus au profit de la fonctionnaire. La preuve présentée par la fonctionnaire selon laquelle l’œuvre d’art en question était accrochée dans un espace public au Centre Keele, que son contenu était acceptable et qu’elle contribuait à l’image publique positive du Centre n’a pas été contredite. Comme l’indiquait le reçu, l’achat était [traduction] « […] au bénéfice des résidents du [Centre Keele], du personnel et du public qui visitent les installations avec une certaine régularité » (pièce G-1, onglet 1, pages 31 et 32).

212        Bien que le besoin d’amasser des fonds en vue de financer le déménagement de M. AB dans un appartement ait été l’événement déclencheur de l’achat, il ne s’agit pas d’un conflit d’intérêts pour autant. L’argent n’était pas destiné à aider M. AB à acheter de la drogue ou de l’alcool, ou à toute autre activité qui aurait violé son ordonnance de surveillance de longue durée ou qui aurait nui à sa réhabilitation. Au lieu de cela, ils étaient destinés à l’aider à déménager dans la collectivité. À l’époque, ce déménagement faisait clairement partie du plan de réhabilitation de M. AB. Cela étant, il est difficile de voir en quoi l’achat contrevenait aux principes de l’employeur ou à son code de conduite.

213        Je devrais également souligner que le prix d’achat a été versé entre le 28 mai 2009 et le 5 juillet 2009, bien avant le dépôt de la plainte relative à la conduite de la fonctionnaire. La décision du comité d’enquête de ressortir cette affaire longtemps après l’événement qui a déclenché la plainte originale, et le fait que l’employeur s’y appuie, était injuste envers la fonctionnaire. Après tout, si la décision d’utiliser le « fonds Pop » pour fournir les fonds nécessaires à l’achat de l’œuvre d’art de M. AB était problématique, on se serait attendu à ce qu’une plainte à ce sujet soit soulevée.

4. Défaut de consigner des conversations avec M. AB ou des actions dans le dossier du SCC de ce dernier

214        Ce motif a été établi au moyen de la preuve. En effet, la fonctionnaire a admis dès le départ qu’elle aurait dû consigner ses actions, mais elle ne l’a pas fait. Le témoignage de M. Townsend selon lequel le système informatique de tenue de dossiers était fastidieux et que les employés n’y consignaient pas toujours tout ce qui concernait un délinquant pouvait atténuer quelque peu cette question, mais non pas en ce qui concerne l’existence d’un manquement à la politique sur la nécessité de consigner les interactions avec les délinquants. Je souligne également que puisque la fonctionnaire occupait un poste de direction à l’unité de surveillance renforcée Keele, une personne aurait eu d’autant plus de raison de s’attendre à ce qu’elle respecte l’exigence en matière de consignation.

5. Émettre la directive d’utiliser un véhicule du SCC pour transporter les biens de la petite amie de M.AB

215        Cette allégation, et l’hypothèse du comité d’enquête selon laquelle elle était fondée, n’était pas du tout fondée. Il y a deux raisons de base pour cette conclusion, la première ayant trait à la façon dont l’allégation a été formulée, et la deuxième ayant trait aux politiques du SCC. Dans les deux cas, le comité d’enquête a tiré la mauvaise conclusion.

a. Formulation de l’allégation

216        Comme on l’a déjà indiqué, le comité d’enquête est arrivé à la conclusion que la fonctionnaire avait ordonné quelqu’un, ou lui avait recommandé, (vraisemblablement un employé du SCC), d’utiliser un véhicule du SCC pour transporter les biens en question. Une fois de plus, ce n’est pas ce qui s’est passé. En fait, la fonctionnaire a demandé à la personne si elle le ferait et cette dernière a refusé, et le dossier a été clos.

217        Il existe une différence entre [traduction] « a ordonné » et « a demandé ». L’expression [traduction] « a ordonné » transmet le sens d’un ordre. À titre d’exemple, le Oxford Online Dictionary mentionne ce qui suit relativement à un des sens à donner au terme [traduction] « ordonner » (direct) ce qui suit :

[Traduction]

3 [AVEC objet ET INFINITIF] Donner à (quelqu’un) un ordre officiel ou une instruction faisant autorité : « le juge lui a ordonné l’exécution des travaux communautaires »

[AVEC UNE PROPOSITION] : « il lui a ordonné de ne vendre aucune photo de sa collection »

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

218        D’autre part, [traduction] « demander » consiste à demander la permission ou à s’enquérir de la volonté d’une personne à faire quelque chose, et diffère d’ordonner à quelqu’un de faire quelque chose. Il ne s’agit pas d’ordonner à quelqu’un de le faire.

219        L’utilisation de l’expression [traduction] « a ordonné » par le comité d’enquête pour qualifier ce qui s’était réellement passé a déformé la preuve en sa possession.

220        On pourrait établir que le simple fait de [traduction] « demander » constitue un manquement aux règles régissant l’utilisation des véhicules du SCC. Si c’était le cas, on ne se saurait pas attendu à ce que le comité d’enquête utilise l’expression [traduction] « a ordonné » pour illustrer cette préoccupation. En outre, Mme MacDonald n’a pas été en mesure de signaler une règle particulière interdisant l’utilisation des véhicules du SCC pour transporter les biens d’un délinquant, encore moins ceux de la petite amie ou du petit ami d’un délinquant. Cela nous amène au deuxième motif pour conclure que le comité d’enquête a tiré la mauvaise conclusion — la politique du SCC à propos de l’utilisation de ses véhicules.

b. Politique du SCC à propos de l’utilisation de ses véhicules

221        Le comité d’enquête ne semble pas avoir examiné la « Directive sur les services internes (Gestion du parc automobile) » du SCC, qui a été présentée à la troisième partie de l’audience, à titre de pièce G-25. S’il l’avait fait, il aurait constaté ce qui suit :

          [Traduction]

a. On pouvait permettre à des délinquants de conduire les véhicules [du Service] sur les routes publiques « dans le cadre des tâches qui leur sont normalement assignées dans les établissements à sécurité minimale et, à l’occasion, à sécurité moyenne » paragr. 52;

b. En règle générale [ce qui laisse entendre qu’il y avait des exceptions], le personnel du SCC et les détenus/délinquants constituent les seuls passagers qui sont autorisés à circuler dans des véhicules automobiles/AEM. En raison des risques et des responsabilités éventuels en cas d’accident, seul le directeur de l’établissement/du district peut autoriser d’autres passagers (p. ex., des contractuels ou des enfants dans le cadre du Programme mère-enfant) : paragr. 55.

222        Rien dans ce texte n’interdit l’utilisation d’un véhicule du SCC pour transporter un délinquant ou ses effets personnels ou, effectivement, les effets personnels de l’époux, de la petite amie ou du petit ami d’un délinquant. Il ne serait pas étonnant que, même en l’absence de cette directive, les biens d’un délinquant puissent parfois être transportés dans des véhicules du SCC. Après tout, si un délinquant de l’unité de surveillance renforcée Keele est autorisé à sortir de la résidence du Centre Keele pour se rendre dans la collectivité, il pourrait avoir besoin d’aide pour transporter tous ses biens personnels à sa nouvelle résidence. Puisque ce déménagement ferait vraisemblablement partie de sa réhabilitation, il serait difficile de comprendre pourquoi l’aide accordée pour transporter ses biens personnels ne ferait pas partie de sa réhabilitation et, par conséquent, d’une utilisation adéquate d’un véhicule du SCC. Je souligne également que la personne qui a été interrogée par le comité d’enquête relativement à cet incident ne semblait éprouver aucune difficulté à l’égard de l’utilisation du véhicule du SCC pour transporter les biens de M. AB, mais tirait la ligne uniquement en ce qui concerne le transport des biens de la petite amie de ce dernier.

223        Toutefois, si, dans une situation appropriée, un véhicule du SCC peut être utilisé pour transporter les biens d’un délinquant et si, effectivement, la directive du SCC permettait aux délinquants de conduire ses véhicules, alors  une demande d’utilisation de ce véhicule pour transporter les biens de la petite amie ou du petit ami du délinquant à la même résidence que celle occupée par le délinquant ne semblerait donc pas déraisonnable. Si la demande du fonctionnaire était une interprétation erronée de la directive du SCC, elle ne peut guère constituer une interprétation erronée équivalant à un acte répréhensible.

6. Manque de compréhension de la fonctionnaire quant à la gravité de ses actions

224        Ce qui nous amène à la préoccupation de Mme MacDonald quant à ce qu’elle a qualifié de « rationalisations » de la fonctionnaire. Deux éléments peuvent être soulignés.

225        En premier lieu, tel que je l’ai indiqué antérieurement, les allégations les plus graves formulées par le comité d’enquête à l’égard de la fonctionnaire n’ont pas été démontrées; ses constatations et conclusions étaient inexactes et erronées. Confronté à de telles allégations non fondées, il ne faut donc pas s’étonner qu’un employé visé par une enquête s’oppose vivement et tente d’établir les erreurs figurant dans un tel rapport.

226        En deuxième lieu, et tel qu’il est clairement ressorti du contre-interrogatoire de Mme MacDonald, selon le lexique de cette dernière, le terme [traduction] « explication » a le même sens que le terme [traduction] « rationalisation ». Toutefois, il s’agit de deux termes dont le sens et l’effet sont différents. Une rationalisation d’un acte particulier revêt un sens semblable à celui d’une justification. D’autre part, une explication est simplement un compte rendu des faits et du raisonnement associés à l’acte particulier. Lorsqu’on demande à un employé de répondre à une allégation, il est nécessairement tenu d’expliquer ce qui s’est produit. Cette explication pourrait constituer une tentative de rationaliser ou de justifier ce qui s’est produit. Mais il pourrait également s’agir simplement d’une réponse à la question.

227        Il est important de garder cette distinction à l’esprit parce que la réponse, quoi qu’elle soit, pourrait suggérer une atténuation de la mesure qui, autrement, serait appropriée. Par exemple, un employé qui explique qu’il a contrevenu à une règle parce qu’il l’a mal comprise est dans une situation complètement différente, d’un point de vue disciplinaire, que la personne qui dit l’avoir comprise, mais qui n’y a pas souscrit. La fusion apparente que Mme MacDonald a faite des deux types de réponses signifie qu’elle a qualifié, et interprété, toutes les tentatives de la fonctionnaire d’expliquer pourquoi elle avait agi ainsi comme une tentative de justifier ses actions. Cela signifie également que, apparemment, Mme MacDonald n’a pas tenu compte de ces explications lorsqu’elle a décidé la sanction à imposer.

228        Dans un autre ordre d’idées, les rapports d’enquête, notamment ceux effectués sous la protection des dispositions de confidentialité de la LPFDAR, n’ont aucun droit de retenue relativement à leurs conclusions et leurs recommandations. On s’attend à ce que tout enquêteur fasse preuve d’équité dans le cadre de son enquête, d’impartialité dans le cadre de son analyse et d’objectivité en ce qui concerne ses conclusions. L’omission de respecter ces principes peut compromettre gravement la fiabilité de son rapport et, par conséquent, vicier la confiance que l’employeur accorde à ce rapport; voir, par exemple, El-Helou et Marchand. De plus, ce qui semble apparent de ce que j’ai indiqué jusqu’à maintenant, les allégations les plus graves formulées par le comité d’enquête à l’égard de la fonctionnaire dans son rapport final (pièce G-1, onglet 1) n’étaient pas fondées sur des faits.

229        Ce qui m’amène donc à la décision de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire. Malgré l’énoncé de l’avocat de l’employeur selon lequel il ne se fierait pas au rapport final (pièce G-1, onglet 1), il est évident que Mme MacDonald s’y est fiée lorsqu’elle a pris sa décision. Je suis donc convaincu que Mme MacDonald, privée de toute analyse rigoureuse du rapport qui lui a été présenté, a été amenée, à tort, à prendre une mesure disciplinaire plus importante que celle qui aurait raisonnablement été justifiée par les événements en question.

230        Il est difficile de lire le rapport final (pièce G-1, onglet 1) du comité d’enquête sans être désespéré par la façon dont l’enquête a déraillé. L’enquête a été lancée en réponse à de vagues insinuations au sujet de la prétendue existence d’une relation inappropriée entre la fonctionnaire et M. AB. Très rapidement, la portée de l’enquête a été élargie pour inclure des allégations vagues et contradictoires qui avaient peu de liens à tout acte répréhensible clairement identifié. Le rapport final, qui était le produit de l’enquête, était aussi vicié. Il n’a pas été rédigé comme une présentation objective des faits et des conclusions. Au contraire, il regorge d’insinuations, de conclusions hâtives, de qualifications erronées des éléments de preuve et d’un raisonnement négligent. La plupart des faits, voire tous, se voient accorder un caractère négatif ou ont été cités hors contexte, apparemment dans le but de décrire la fonctionnaire de la pire façon.

231        Par exemple, le rapport final (pièce G-1, onglet 1) comprend une liste exhaustive des infractions que M. AB a commises au fils des ans. Toutefois, ses antécédents n’étaient pas pertinents aux préoccupations du comité d’enquête relativement au conflit d’intérêts ou au favoritisme. Son inclusion ne pouvait que nuire au nom de la fonctionnaire et à ses actions, par association, sous la forme d’un passage de diffamation. Comme on peut également le constater de ce que j’ai déjà souligné, les actions de la fonctionnaire sont souvent répétées de manières différentes, donnant l’impression qu’elle a commis de nombreux actes plutôt qu’un seul. Le rapport est rédigé sur un ton de condamnation presque incessant à l’égard de la fonctionnaire. Il ne s’agit pas d’un compte rendu neutre des résultats de l’enquête sur laquelle il devait s’appuyer.

232        Voici un exemple supplémentaire. Dans le rapport final (pièce G-1, onglet 1), le comité d’enquête examine de façon assez détaillée les œuvres d’art des délinquants (pas toujours celles de M. AB), comment les membres du personnel estimaient que certaines de ces œuvres d’art étaient offensantes et le fait que la fonctionnaire n’était pas d’accord. La question en l’espèce consiste à déterminer quelle était la pertinence de cette discussion pour l’enquête. La question ne concernait pas du tout la plainte initiale. Le comité d’enquête n’était pas non plus bien placé pour adopter, comme il l’a fait, une opinion relativement à un sujet qui est après tout extrêmement subjectif ([traduction] « Qu’est-ce l’art? »). Ce faisant, le comité d’enquête a sûrement outrepassé sa compétence et les faits. Après tout, les œuvres d’art étaient exposées à la vue du public au Centre Keele depuis plusieurs années. Bon nombre de personnes les avaient vues, y compris les gestionnaires de la fonctionnaire. Si les œuvres d’art avaient outrepassé les règles de la bienséance, on s’attendrait à ce que l’employeur soit intervenu. Ce qu’il n’a pas fait.

233        Je souligne également que le comité d’enquête a été mis sur pied en raison d’une allégation selon laquelle il existait une relation inappropriée entre la fonctionnaire et M. AB. Toutefois, le comité d’enquête n’a apparemment pas tenu compte du fait que l’expression [traduction] « relation inappropriée » est définie dans les [traduction] « Règles de conduite professionnelle » du SCC. J’ai déjà cité la règle quatre (Relations avec les délinquants); voir la pièce E-2, onglet 17. Sous l’en-tête [traduction] « Discussion et pertinence » figure le passage suivant :

[Traduction]

Les relations inappropriées consistent, entre autres, à dissimuler l’activité illégale d’un délinquant, à recourir aux services de délinquants à des fins personnelles, à établir des relations d’affaires ou des relations d’ordre sexuel avec des délinquants, des membres de leur famille ou leurs associés. Il incombe aux superviseurs de réagir sans tarder lorsqu’ils constatent l’existence ou la possibilité d’une relation inappropriée entre un délinquant et un employé.

234        Toutefois, aucun des motifs cultivés rigoureusement par le comité d’enquête n’a exposé quoi que ce soit que l’on pourrait raisonnablement affirmer être visé par cette définition. Il n’existait aucun élément sexuel, aucun recours aux services de M. AB à des fins personnelles de la part de la fonctionnaire et aucune relation commerciale avec M. AB, les amis de ce dernier ou les membres de sa famille. En fin de compte, tout ce que le comité d’enquête a réussi à démontrer sont des actions qui, comme je l’ai déjà indiqué, ne constituaient ni un conflit d’intérêts ni un manquement, à titre d’employée du SCC, à ses fonctions et responsabilités.

V. Conclusion

235        Selon tout ce qui précède, je suis convaincu qu’il existait des motifs, quoique limités et mineurs, pour imposer une mesure disciplinaire. Ces motifs se rapportaient uniquement à l’omission de la fonctionnaire de consigner ses actions dans le système informatique de tenue des dossiers de l’employeur en décembre 2010 et en janvier 2011. Je souligne quand même que les actions de la fonctionnaire, durant cette période, ne semblent pas avoir été un secret. Elle a indiqué qu’elle avait discuté avec d’autres personnes du Centre Keele au sujet de l’utilisation du « fonds Pop » et de la question de savoir si M. AB pouvait revenir à l’unité de surveillance renforcée de Keele s’il était libéré. Elle a discuté de la lettre du 17 décembre à l’intention de la Cour avec M. Townsend. En outre, il semble que ses actions étaient assez publiques à ce moment-là pour inciter trois plaignants (vraisemblablement des membres du personnel du Centre Keele) à déposer des plaintes presque immédiatement après la libération de M. AB au Centre Keele.

236        Au mieux, l’omission de la fonctionnaire de tenir un registre de ses actions dans le système informatique de tenue de dossiers justifiait une certaine mesure disciplinaire. Je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve a permis à l’employeur d’établir que sa décision de rétrograder la fonctionnaire était justifiée. La preuve n’a pas non plus étayé l’imposition d’une suspension quelconque. Au mieux, je suis d’avis que le manquement de la fonctionnaire aurait justifié au plus une lettre de réprimande.

237        Par conséquent, je dois accueillir le grief.

238        Cela m’amène à la question de la réparation.

239        Je suis convaincu que, dans les circonstances, je n’ai pas compétence pour réintégrer la fonctionnaire dans ses fonctions; voir Mutart c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 90, aux paragr. 93 à 95 (confirmée dans 2014 CF 540). Sa démission était volontaire. Même si sa décision était fondée sur de mauvais conseils juridiques, je n’ai pas compétence pour infirmer cette décision. Sa réparation quant au fait qu’elle s’est fiée à de tels conseils, le cas échéant, vise son ancien avocat.

240        En ce qui concerne les dommages ou les pertes, la fonctionnaire a pris sa retraite le 21 octobre 2011. En raison des nombreuses questions en l’espèce, je ne suis pas certain que la fonctionnaire ait subi une perte de salaire ou d’autres avantages sociaux avant le 11 octobre 2011, à la suite de la décision de l’employeur de lui imposer une mesure disciplinaire sous la forme d’une rétrogradation. Si elle a subi une telle perte, elle a droit à être indemnisée intégralement, et ce, jusqu’au 21 octobre 2011. Par conséquent, je demeurerai saisi de ce grief pendant une période de 30 jours suivant la publication de ces motifs afin d’aborder toute question relative au calcul d’une telle perte.

241        Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

VI. Ordonnance

242        La requête présentée par la fonctionnaire visant l’annulation de la décision selon laquelle son départ à la retraite était volontaire est rejetée.

243        Le grief est accueilli.

244        Il est ordonné à l’employeur de verser à la fonctionnaire une somme équivalente à toute perte de salaires ou d’avantages qu’elle a subie jusqu’au 21 octobre 2011, et découlant de sa décision de la rétrograder.

245        Je demeurerai saisi de ce dossier pendant 30 jours en vue de trancher toute question découlant de la présente ordonnance.

Le 5 mai 2016.

Traduction de la CRTEFP

Augustus Richardson, arbitre de grief
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.