Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Un grief a été déposé alléguant qu’une modification à la relation hiérarchique du fonctionnaire s’estimant lésé constituait une mutation sans son consentement – l’administrateur général a contesté la compétence de la Commission pour entendre le grief – la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre le grief compte tenue de l’article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique parce qu’il concernait une affaire portant sur les droits de la direction d’organiser son milieu de travail et d’attribuer les fonctions – la Commission a également conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’était pas acquitté de son fardeau de persuasion et qu’il avait abandonné son grief étant donné qu’il ne s’était pas présenté à l’audience et qu’il n’avait pas répondu aux observations écrites du défendeur, contrairement à ce que la Commission avait demandé – de plus, des arbitres de grief avaient déjà tranché que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas été muté et que son consentement n’avait pas été requis – compte tenu des procédures répétées concernant les mêmes questions et du comportement du fonctionnaire s’estimant lésé tout au long de cette affaire, la Commission a conclu qu’il avait agi de manière frivole et que son renvoi à l’arbitrage était vexatoire. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-07-19
  • Dossier:  566-02-8058
  • Référence:  2016 CRTEFP 63

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

THADDEUS YARNEY

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Ministère de la Santé)

défendeur

Répertorié
Yarney c. Administrateur général (ministère de la Santé)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage


Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même
Pour le défendeur:
Karen Clifford, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 25 novembre 2015.
Arguments écrits déposés le 27 novembre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1        Le 26 novembre 2012, le fonctionnaire s’estimant lésé, le Dr Thaddeus Yarney (le « fonctionnaire »), a présenté un grief alléguant qu’une modification à sa relation hiérarchique constituait une mutation sans son consentement. Il a allégué que cette mutation constituait une suspension et des représailles, une diffamation continue ainsi que du harcèlement et de la discrimination en raison de la race.  

2        Le fonctionnaire a renvoyé son grief individuel à l’arbitrage le 1er février 2013. Il a présenté un avis à la Commission canadienne des droits de la personne soulignant que son grief soulève une question d’interprétation ou d’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne(L.R.C. 1995, ch. H-6) relativement à la discrimination raciale. La Commission canadienne des droits de la personne a notifié son intention de ne pas présenter d’arguments dans cette affaire.

3        Le 21 mai 2013, le ministère de la Santé (le « défendeur ») s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre le grief.Les 4 et 5 juillet 2013, l’avocat du fonctionnaire a répondu à l’objection du défendeur.Les parties ont été informées que les questions de compétence doivent habituellement être soulevées à l’audience.

4        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont également entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une procédure amorcée en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2, « la LRTFP ») avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

5        Le 30 juin 2015, le défendeur a demandé que le grief soit rejeté sans audience en raison de son caractère théorique et de l’absence de compétence, et parce qu’il s’agissait d’un grief res judicata, c’est-à-dire que l’affaire avait déjà fait l’objet d’un arbitrage. Le défendeur a également demandé que le fonctionnaire fournisse des détails à l’appui de son grief.J’ai rendu une ordonnance enjoignant au fonctionnaire de fournir des détails.

6        Le 17 août 2015, le fonctionnaire, qui n’était plus représenté par un avocat, a demandé que toutes les questions en suspens soient traitées à l’audience. Le même jour, le défendeur a informé la Commission que le fonctionnaire n’avait pas produit les détails demandés et il a demandé qu’une ordonnance de divulgation soit rendue.J’ai ordonné au fonctionnaire de divulguer au défendeur tous les documents sur lesquels il fondait son grief.

7        Les documents relatifs à la preuve ont été fournis au greffe de la Commission, en guise d’annexe à la correspondance provenant des avocats du fonctionnaire et du défendeur, respectivement. Ces documents ne font pas partie du dossier aux fins de la présente décision puisque, étant donné l’absence du fonctionnaire le jour de l’audience, le défendeur n’a pas été en mesure de contester leur pertinence ou leur véracité.J’ai rendu ma décision sans tenir compte de ces documents et j’ai demandé au greffe de la Commission de les retourner au fonctionnaire et au défendeur, respectivement.

8        De plus, de manière générale, le fonctionnaire ne communiquait pas avec la Commission en temps opportun, ou ne suivait pas les directives de la Commission concernant la communication avec le défendeur.Le matin de l’audience, le fonctionnaire a informé la Commission qu’il ne se présenterait pas à l’audience et a demandé que son grief soit tranché à partir des éléments au dossier.La Commission a informé le fonctionnaire que l’audience aurait lieu avec ou sans lui.

II. Résumé de la preuve

9        Le fonctionnaire travaille comme scientifique à Santé Canada depuis 2002. Il est classifié BI-04 et il a travaillé à la Direction générale des produits de santé et des aliments pendant toute cette période.Il a travaillé à la Direction des produits thérapeutiques (DPT) de cette direction générale et, entre 2010 et octobre 2012, il a été affecté à la Direction des produits de santé commercialisés (DPSC).Il a déposé un grief alléguant que cette affectation était une mutation à laquelle il n’avait pas consenti.Un arbitre de grief a rejeté son grief au motif que l’affectation n’était pas une mutation aux termes de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13; la « LEFP ») (voir Yarney c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2013 CRTFP 45).

10        En octobre 2012, la relation hiérarchique du Dr Yarney a été modifiée afin de démontrer que son poste avait été déplacé de façon permanente au sein de la structure de la DPSC, en raison des besoins opérationnels du défendeur. Le numéro de son poste ainsi que sa description de travail sont demeurés inchangés.Les besoins en matière d’évaluation à la DPT avaient diminué et des tâches similaires existaient à la DPSC.

11        Le défendeur utilise des descriptions de travail génériques pour faciliter la réaffectation des employés lorsque les besoins opérationnels l’exigent. Personne n’a été affecté au poste du Dr Yarney, à la DPT, pendant qu’il était affecté à la DPSC. Le défendeur a envisagé de recourir à sa directive sur le réaménagement des effectifs pour réduire le personnel à la DPT, mais il a plutôt choisi ce qu’il a appelé [traduction] « l’option de la classification »laquelle, selon le défendeur, permet aux employés de déposer un grief de classification.Le Dr Yarney a choisi de ne pas exercer ce droit.

12        Barbara Sabourin a été la directrice générale de la DPT, à Santé Canada, depuis novembre 2011. Elle a déclaré que les agents d’évaluation BI-04 de cette direction générale, y compris le fonctionnaire, jouaient un rôle dans le processus d’évaluation préalable à l’autorisation d’un médicament aux fins de commercialisation. Le rôle principal de la DPT était d’autoriser les nouveaux médicaments, alors que la DPSC évaluait les nouveaux médicaments une fois qu’ils étaient mis sur le marché.

13        En 2011, en vertu du « Plan d’action pour la réduction du déficit » (PARD) du gouvernement fédéral, un nouveau système de recouvrement des coûts a été mis en œuvre en vertu de la Loi sur les frais d’utilisation (L.C. 2004, ch. 6). À défaut de satisfaire les normes de rendement imposées par la loi, les revenus du défendeur tirés, des frais auraient été réduits, ce qui aurait occasionné un déficit.Lorsque le PARD a été mis en œuvre, il a été décidé que les ressources relatives à l’évaluation seraient protégées.Les employés affectés aux politiques ont été mis en disponibilité.Les directions générales ont fait l’objet d’une restructuration.Plusieurs postes ont été transférés au moyen de [traduction] « demandes de mesure de classification » afin de rationaliser les opérations.

14        Le PARD était constitué de deux éléments : l’efficacité opérationnelle continue et le respect des objectifs de rendement.En raison des consultations semestrielles effectuées auprès des fabricants et des conclusions de la littérature scientifique, le défendeur était au courant que la charge de travail de la DPT n’augmenterait pas.Au moment de la date de l’audience, la charge de travail de la DPT n’avait toujours pas augmenté.Au même moment, le défendeur voulait améliorer la surveillance des médicaments commercialisés à la DPSC, principalement les médicaments sur ordonnance. Il était nécessaire de trouver un meilleur moyen de voir les signaux et de prendre les mesures appropriées lorsqu’il y avait des préoccupations relatives aux médicaments.

15        Le fonctionnaire est le seul à avoir été muté d’une direction générale à une autre dans le but d’atteindre les cibles du PARD.Le fonctionnaire est possiblement le seul employé à avoir été affecté à une autre direction générale durant le PARD, mais plusieurs autres ont été mutés dans le but d’atteindre les cibles du PARD.Un conseiller supérieur en sciences de la section de la politique a été muté à l’évaluation clinique de médicaments contre le diabète au moyen d’une « demande de mesure de classification » visant à modifier sa relation hiérarchique.Quatre autres ont été mutés du secteur de la politique en matière de réglementation à une autre unité au moyen d’une « demande de mesure de classification ».Leur gestionnaire a été déclaré excédentaire.

16        LaDPSC a été créée à partir de la DPT au début du présent siècle. À ce moment, les employés ont été mutés de la DPT à la DPSC au moyen de « mesures de classification ».Le numéro du poste du fonctionnaire a été transféré de la DPT à la DPSC de la même façon en 2012. Son numéro de poste est le même que celui qui lui avait été attribué depuis le début, soit le « 00081278 » (avant que le défendeur commence à utiliser le système de gestion des ressources humaines connu sous le nom de PeopleSoft, celui-ci était le « HFHD-0872 (HRAD) »).L’organigramme présenté à titre de pièce 3 confirme son numéro de poste.Personne n’a été affecté à son poste à la DPT pendant qu’il était affecté à la DPSC; une fois que son poste a été transféré à la DPSC, il n’y avait plus lieu de le pourvoir puisque celui-ci n’existait plus.

17        Le 29 octobre 2012, un « avis de mesure de classification » a été envoyé au fonctionnaire. Il ne l’a jamais signé, contrairement à ce qui lui a été demandé, et il n’a pas non plus déposé de grief de classification. Le défenseur ne l’a pas muté à un poste distinct en vertu de la LEFP; et il n’en avait pas l’intention.Depuis sa mutation à la DPSC, aucune note faisant allusion à un rendement insuffisant ou exceptionnel n’a été inscrite au système de gestion du rendement.

18        Selon Mme Sabourin, le fonctionnaire n’a subi aucun préjudice au plan professionnel puisqu’il pouvait soumettre sa candidature à tous les processus de nomination BI-05, et il le peut toujours. Des possibilités d’emploi pour des postes classifiés BI-05, qui comprennent une description de travail générique, sont disponibles à la DPSC et à la DPT.Mme Sabourin estime que rien n’empêchait, ou n’empêche, le fonctionnaire de progresser au plan professionnel, même s’il est affecté à la DPSC.Les critères de mérite servant à évaluer les candidats relatifs à des postes classifiés BI-05 sont les mêmes, quelle que soit la direction générale.À titre subsidiaire, s’il souhaitait simplement passer d’une direction générale à une autre, il aurait pu présenter sa candidature à l’égard des postes classifiés BI-04.S’il l’avait fait, alors le défendeur aurait pu le muter dans un poste classifié BI-04, au même groupe et au même niveau.Rien ne l’empêchait, ni ne l’empêche, de participer aux occasions d’emploi au sein de Santé Canada. Toutefois, il devait trouver les possibilités de mutation lui-même.

19        Line Morin-Smith est la gestionnaire de la direction de la politique de classification et de la surveillance, Direction générale de la politique de classification, au Secrétariat du Conseil du Trésor. Elle possède plus de 20 ans d’expérience en classification à la fonction publique et elle est agréée dans ce domaine.La « demande de mesure de classification » utilisée par le défendeur en l’espèce (pièce 1) était un formulaire normalisé utilisé par tous les ministères fédéraux, comme l’était par ailleurs, l’« avis de mesure de classification » qui a été envoyé au fonctionnaire (pièce 4).

20        Mme Morin-Smith a déclaré que ces formulaires étaient utilisés parce qu’une modification à une relation hiérarchique est une « mesure de classification » et non une mesure de dotation. Une mutation est une mesure de dotation.Le fait que le Dr Yarney n’ait pas signé l’« avis de mesure de classification » (pièce 4) n’empêchait pas le défendeur d’agir de sa propre initiative. Il est possible de prendre des mesures de classification sans obtenir le consentement du titulaire du poste; l’accord du titulaire n’est pas requis.Le processus se poursuit que l’on ait obtenu ou non le consentement du titulaire du poste puisque la classification de postes et l’organisation du milieu de travail relèvent du pouvoir des gestionnaires.Si le Dr Yarney n’était pas d’accord avec la « mesure de classification », il pouvait déposer un grief de classification.La signature du titulaire est requise dans le cas d’une mesure de dotation, notamment une mutation.La signature apposée au document de classification signifie simplement que le titulaire a été informé de la modification.Le délai prescrit pour déposer un grief de classification est de 30 jours suivant la publication de l’avis annonçant l’achèvement de la mesure de classification.

21        Le fonctionnaire ne s’est pas présenté à l’audience, et aucun élément de preuve n’a été présenté pour appuyer le grief. Il n’a informé la Commission de son absence à l’audience, faute de représentation par un avocat, que deux heures avant le début de l’audience et avant que ne se réunissent la formation de la Commission, le défendeur, et les témoins du défendeur.Le 17 août 2015, il a informé la Commission, ainsi que la représentante du défendeur, que son ancien avocat ne le représentait plus et qu’il se représenterait lui-même. Néanmoins, le matin de l’audience, sans préavis, au dernier moment, il a fait parvenir un courriel à l’agente du greffe affectée au dossier lui indiquant qu’il ne se présenterait pas parce qu’il n’était pas représenté.De plus, lorsqu’on lui a offert la possibilité de réagir aux observations écrites de l’employeur qui ont été soumises après l’audience, il ne l’a pas fait, même après qu’une prorogation du délai lui ait été accordée à cet effet.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

22        Dans une lettre datée du 4 juillet 2013, l’avocat du fonctionnaire à l’époque avait affirmé qu’un arbitre de grief n’avait pas compétence pour trancher les allégations de discrimination raciale contenues dans le grief sans l’appui de l’agent négociateur du fonctionnaire, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada. L’Institut professionnel de la fonction publique n’a pas appuyé le grief. Par conséquent, la Commission ne devrait pas se pencher sur cette partie du grief.

23        Les témoignages des témoins du défendeur n’ont pas été contredits. Le numéro de poste qui a été attribué au fonctionnaire est demeuré le même depuis qu’il a été nommé au poste HFHD-0872. Dans la fonction publique, un employé est nommé à un poste désigné par un numéro, ce qui n’empêche toutefois pas le défendeur de déplacer ce numéro d’attribution à l’intérieur de sa structure organisationnelle. Il n’y avait aucune intention de muter le fonctionnaire dans un autre poste, conformément à la LEFP.Une mutation effectuée en vertu de la LEFP comporte un élément subjectif, soit l’intention de procéder à une mutation, et un élément objectif, soit la conformité avec les conditions énoncées dans la loi, et les lignes directrices du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique (voir Canada (procureur général) c. Dawidowski, [1994] A.C.F. no 1791, au paragraphe 11 (QL.)).En 2012, la relation hiérarchique du fonctionnaire a été modifiée, une modification qui était une « mesure de classification ». Même s’il était établi qu’il s’agissait d’une réorganisation des fonctions, il s’agit des droits de la direction et la Commission n’a pas compétence à cet égard en vertu de l’art. 7 de la LRTFP.

24        Aucun élément de preuve n’a démontré que cette modification de la relation hiérarchique a eu une incidence négative sur la carrière du fonctionnaire. Sa mobilité ascendante ne dépendait aucunement de la question de savoir s’il occupait un poste classifié BI-04 au sein de la DPT ou de la DPSC. Dans les deux cas, il aurait pu présenter sa candidature à n’importe quel processus de nomination pour un poste classifié BI-05 de son choix.S’il souhaitait changer de domaine de spécialisation, il aurait pu postuler à un poste classifié BI-04 et y être muté, ce qui aurait constitué une mesure de dotation, et le poste ainsi laissé vacant aurait pu être pourvu comme poste de remplacement.En l’espèce, le poste 00081278 n’est pas demeuré vacant et aucun poste de remplacement n’a été créé pouvant être pourvu.

25        Lors d’un réaménagement des effectifs, certains employés doivent être déclarés excédentaires. Il arrive souvent que des employés soient contraints de postuler à un poste qu’ils occupent déjà, ce qui, au plan moral, n’est pas sans créer de problèmes dans le milieu de travail.Pour des raisons opérationnelles, le défendeur a préféré procéder autrement en l’espèce.Il a procédé à une restructuration de ses activités, et des postes ont été nouvellement attribués à différentes directions.

26        Le fonctionnaire avait des recours. Selon le défendeur, il aurait pu déposer un grief de classification, mais il a préféré présenter un grief individuel, lequel a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP. Dans son grief, le fonctionnaire a allégué qu’il avait fait l’objet d’une mutation sans son consentement.

27        Le fonctionnaire a déposé plusieurs griefs au fil des ans concernant sa relation avec la Dre Barbara Rotter. En guise de règlement de ces différends, sans qu’il ne lui soit porté atteinte, on a offert au fonctionnaire une mutation qu’il a par ailleurs refusée.Ces difficultés n’ont aucune incidence sur la situation qui existait en octobre 2012.

28        Le fonctionnaire a été affecté à un autre gestionnaire pour des motifs opérationnels valides. Le défendeur soutient qu’il ne s’agissait pas d’une mutation.Selon l’article 52 de la LEFP, lorsqu’un employé est muté, celui-ci cesse d’être titulaire du poste auquel il avait été nommé, et devient titulaire d’un autre poste.La présente affaire a déjà fait l’objet d’un grief, et un arbitre de grief l’a tranché dans Yarney, 2013 CRTFP 45. Pour que la Commission ait compétence pour entendre cette affaire, il faudrait qu’il y ait eu mutation qui répondait à la définition de « mutation » prévue dans la LEFP.L’article 7 de la LRTFP exclut clairement l’arbitrage de griefs contestant l’assignation des fonctions (voir Dawidowski et Taticek c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) 2015 CRTEFP 12, aux paragraphes 91, 92 et 117).

29        L’ensemble de la preuve présenté devant la Commission appuie le fait que le fonctionnaire n’a pas été muté au sens de la LEFP. La jurisprudence abonde dans le sens de la position du défendeur. Bien qu’une ordonnance de divulgation ait été rendue enjoignant au fonctionnaire de fournir au défendeur tout document sur lequel il entendait se fonder pour étayer son allégation selon laquelle il avait été muté, aucun document n’a été produit.

30        Par conséquent, selon le défendeur, la Commission n’a pas compétence pour entendre le présent grief, et celui-ci devrait être rejeté.

31        Ce grief n’est pas une demande présentée en vertu de l’article 43 de la LRTFP, visant un réexamen d’une décision de la Commission au motif qu’il y a de nouveaux éléments de preuve. Le défendeur fait valoir que le fonctionnaire tente de remettre en litige deux questions et qu’il s’agit d’une demande vexatoire puisqu’elle ne peut mener à des résultats concrets.De plus, de telles tentatives sont des abus de procédure et sont contraires au principe fondamental de la chose déjà jugée, selon lequel il n’est pas permis de soulever de nouveau les questions qui ont déjà fait l’objet d’un litige entre les mêmes parties.Les deux points en question sont les suivants :

a) Selon le fonctionnaire, les mesures de l’employeur découlent d’une lettre de la Dre Rotter, de qui il a déjà relevé. La lettre en question ne fait pas l’objet de cette audience et serait supposément diffamatoire. La question de la lettre a également déjà été tranchée par des arbitres de grief en deux occasions et est de nouveau soulevée dans le témoignage et les arguments écrits du fonctionnaire en l’espèce;

b) la mutation alléguée, l’intention déguisée de procéder à une mutation, ou la mutation déguisée du fonctionnaire, de son poste à la DPT au poste à la DPSC.

32        En ce qui a trait au point a), le fonctionnaire a mentionné la lettre dans son « énoncé de grief », comme suit :

[Traduction]

L’affectation continue découle du fait que j’ai intenté une poursuite en justice contre la Dre Barbara Rotter pour diffamation au moyen d’une lettre en date du 25 janvier 2008, ce qui constitue l’incident culminant d’une série de mauvais traitements, notamment jusqu’à huit mois de suspensions supplémentaires non motivées. Cette poursuite en justice a été intentée uniquement à la suite de nombreuses demandes et de multiples griefs présentés à la direction dans le but de faire annuler la lettre de la Dre Rotter et après que toutes les démarches à cet égard aient été ignorées.

33        Sous la rubrique « mesures correctives demandées » de ce grief, le fonctionnaire a demandé le [traduction] « […] retrait de la lettre de la Dre Barbara Rotter datée du 25 janvier 2008, laquelle figure toujours à mon dossier et [constitue] un instrument de harcèlement continu et de diffamation ».

34        Le défendeur soutient que la mention continue de la lettre du 25 janvier 2008 par le fonctionnaire, et plus particulièrement le fait qu’il la qualifie de diffamatoire, constituent un abus de procédure qui ne donnera lieu à aucune conséquence pratique. La lettre du 25 janvier 2008 faisait également partie d’autres griefs renvoyés à l’arbitrage, lesquels ont été formulés comme suit :

                   [Traduction]

(i) Une partie du grief portant le numéro 566-02-2862 du fonctionnaire, est fondé sur [traduction] « […] les prétentions troublantes et dépourvues de sincérité contenues dans la lettre du 25 janvier 2008 » de la Dre Rotter. À cet égard, le fonctionnaire a demandé, à titre de mesure de réparation, à ce qu’on lui accorde [traduction] « un remboursement complet des congés auxquels il avait droit et qu’il a dû utiliser en raison de la lettre du 25 janvier 2008 qui lui a été imposée par la Dre Rotter ». Dans Yarney c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2011 CRTFP 112, l’arbitre de grief Potter a abordé la question de la lettre et a souligné que le fonctionnaire ne bénéficiait pas de l’appui de son agent négociateur, que le grief ne pouvait être déposé en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP, et qu’il n’y avait aucun motif justifiant le renvoi de cette question en vertu de l’alinéa 209(1)b). Le grief a été rejeté.

(ii) Dans son grief portant le numéro 566-02-5334, le fonctionnaire a fait la même allégation au sujet de la lettre et il a demandé la même mesure corrective relativement à la lettre que dans le grief en l’espèce.

(iii) Dans son grief portant le numéro 566-02-6318, le fonctionnaire a soulevé les mêmes allégations au sujet de la lettre et il a demandé la même mesure corrective à ce sujet que dans le grief en l’espèce.

35        Les deux derniers griefs ont été rejetés dans Yarney, 2013 CRTFP 45, une décision qui, par ailleurs, n’a fait l’objet d’aucun contrôle judiciaire

36        De plus, la nature prétendument diffamatoire de la lettre constitue le fondement de la poursuite en justice intentée contre la Dre Rotter devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (dossier 10-47465), où le fonctionnaire a demandé des dommages pour diffamation de 500 000 $ contre la Dre Rotter, ainsi que d’autres dommages.Dans une ordonnance rendue par la Cour, en date du 19 avril 2011, cette poursuite a été rejetée (voir Yarney c. Rotter, Cour supérieure de justice de l’Ontario, dossier 10-47465).

37        Le défendeur soutient qu’il convient en l’espèce d’invoquer le principe fondamental de la chose déjà jugée. Dans le contexte des relations du travail, où le même grief a été présenté une deuxième fois par la même partie ou le même fonctionnaire, les arbitres de grief ont appliqué ce principe et ont conclu que le second grief portant sur la même question ne peut faire l’objet d’un arbitrage (Brown & Beatty, Canadian Labour Arbitration,4e édition, paragraphe 1 :3100).

38        La question de la nature diffamatoire de la lettre du 25 janvier 2008 a déjà fait l’objet d’un renvoi à l’arbitrage par le fonctionnaire et a été rejetée. Il a également déjà présenté trois griefs relativement au contenu de la lettre en question et il a tenté d’obtenir son retrait de son dossier. Ces griefs ont également été rejetés.De plus, dans Yarney, 2011 CRTFP 112, l’arbitre de grief a clairement indiqué qu’il ne s’agissait pas d’une lettre disciplinaire et que, par conséquent, elle ne pouvait faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP.Il a également statué que sans l’appui de l’agent négociateur, il n’y avait aucun motif justifiant l’examen de la lettre en vertu de l’alinéa 209(1)a). Dans Yarney, 2013 CRTFP 45, les griefs, lesquels avaient fait l’objet d’un renvoi en vertu de l’alinéa 209(1)c), ont également été rejetés.

39        Le fonctionnaire ne devrait plus avoir le droit de tenter de renvoyer à l’arbitrage toute question liée à la lettre du 25 janvier 2008. De plus, la Commission devrait rendre une déclaration énonçant que le renvoi à cette lettre était vexatoire. Le défendeur soutient en toute déférence que la formation de la Commission devrait formuler sa déclaration de manière non équivoque afin de prévenir un abus de procédure à cet égard et pour dissuader le fonctionnaire de soulever cette question à nouveau.

40        En ce qui a trait au point b), soit l’allégation du fonctionnaire relative à la mutation, à l’intention déguisée de muter, ou à la mutation déguisée de son poste à la DPT au poste à la DPSC, cette question a été soulevée dans les griefs figurant aux dossiers 566-02-5004, 5334, et 6318, lesquels ont été tranchés dans Yarney, 2013 CRTFP 45. Lorsque l’arbitre de grief a rendu sa décision, le fonctionnaire était affecté à la DPSC.Une fois cette affectation achevée, en 2012, la relation hiérarchique liée à son poste a été modifiée de sorte qu’il relève de la DPSC.Le présent grief porte sur cette même mesure et il y est indiqué que l’affectation [traduction] « […] constitue une intention déguisée de procéder à une mutation et une mutation déguisée sans son consentement ».

41        Le défendeur soutient que, selon les conclusions précises de l’arbitre de grief dans Yarney, 2013 CRTFP 45, l’absence d’une modification au numéro de poste signifie clairement qu’il n’y a pas eu de mutation. Comme aucun changement important en ce qui concerne les circonstances n’a eu lieu entre cette décision et le présent grief et, surtout, puisque le numéro du poste du fonctionnaire n’a pas changé, le défendeur fait valoir que le fonctionnaire tente simplement de remettre en litige la même question ce qui, par conséquent, constitue un abus de procédure.

42        Il importe de souligner que le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve relativement à la mutation ou au fait que poste avait été modifié.De plus, l’arbitre de grief dans Yarney, 2013 CRTFP 45, a conclu que les concepts de « mutation déguisée » et de « mutation de facto » devaient être rejetés puisque l’art. 7 de la LRTFP empêche un arbitre de grief d’examiner des plaintes portant sur l’attribution des tâches. Il s’est exprimé en ces termes au paragraphe 18 :

[18] […] Si le fonctionnaire avait raison dans son argument qu’un arbitre de grief pouvait exercer sa compétence, en vertu du sous-alinéa 209(1)(c)(ii), sur la question de [traduction] « mutation déguisée », comme c’est le cas dans son grief, l’arbitre de grief serait inévitablement appelé à empiéter sur ce territoire interdit.

43        Le défendeur réitère que le fonctionnaire tente de remettre en litige cette question, ce qui est vexatoire et constitue un abus de procédure.

44        Il faut empêcher toute autre tentative, de la part du fonctionnaire, visant à renvoyer à l’arbitrage toute question de mutation, à moins que le numéro de son poste soit modifié. Le fonctionnaire abuse de la procédure d’arbitrage.Le défendeur soutient en toute déférence qu’il faut empêcher le fonctionnaire de soulever toute autre allusion à une mutation déguisée puisque la jurisprudence citée indique que celle-ci n’a pas eu lieu.Par conséquent, le défendeur demande que la Commission émette une déclaration selon laquelle toute mention d’intention déguisée de muter et de mutation déguisée serait vexatoire.Le défendeur soutient en toute déférence que la formation de la Commission doit formuler sa déclaration de manière non équivoque afin de prévenir un abus de procédure à cet égard et pour dissuader le fonctionnaire de soulever cette question de nouveau.

B. Pour le fonctionnaire

45        Tel qu’il a été mentionné, le fonctionnaire a choisi de ne pas se présenter à l’audience ni de produire ses observations à l’appui de sa position. Le fonctionnaire a également demandé que la décision soit rendue sur la base des arguments écrits qu’il avait déjà présentés.Il n’a pas non plus répondu à la demande du défendeur voulant qu’il soit considéré comme un plaideur vexatoire dans les délais prescrits par la Commission, et ce, malgré le fait qu’une copie des observations écrites du défendeur relatives à la présente affaire lui ait été signifiée.Même après une prorogation du délai jusqu’au 15 janvier 2016, en vue de produire ses observations écrites en réaction à la demande du défendeur que son grief soit déclaré vexatoire, il n’a rien déposé au dossier.

IV. Motifs

46        Le présent grief doit être rejeté puisque, conformément à l’art. 7 de la LRTFP, je n’ai pas compétence pour trancher toute question portant sur le droit de la direction d’organiser son milieu de travail et d’attribuer les fonctions.

7. La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor ou d’un organisme distinct quant à l’organisation de tout secteur de l’administration publique fédérale à l’égard duquel il représente Sa Majesté du chef du Canada à titre d’employeur, à l’attribution des fonctions aux postes et aux personnes employées dans un tel secteur et à la classification de ces postes et personnes.

47        Si mon évaluation de ma compétence relativement à ce grief est erronée, ce grief devrait tout de même être rejeté parce que le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de son fardeau de persuasion, et parce qu’il a abandonné son grief du fait de ne pas s’être présenté à l’audience et de ne pas avoir répondu aux observations écrites du défendeur comme la Commission lui avait demandé.

48        Indubitablement, cette affaire a déjà été tranchée par les arbitres de grief, avec les mêmes conclusions.Les mesures prises par le défendeur ne satisfaisaient pas à la définition de mutation prévue par la LEFP, comme il a été établi dans Dawidowski ou Taticek. Il n’avait aucune intention de muter le fonctionnaire et ses mesures ne satisfaisaient pas à la définition de « mutation » prévue par la LEFP.Par conséquent, contrairement aux prétentions du fonctionnaire, la mutation du poste de ce dernier ne nécessitait pas son consentement.

49        De plus, les plaidoiries du fonctionnaire révèlent que, par le présent grief, il tente de faire renaître des événements qui ont déjà fait l’objet de décisions dans le cadre de griefs antérieurs qu’il a lui-même déposés dans Yarney, 2011 CRTFP 112 (dossiers 566-02-1991 à 1995 et 2862), et dans Yarney, 2013 CRTFP 45 (dossiers 566-02-5004, 5334, et 6318), sous forme de nouvelles allégations. En tout, il a tenté de faire trancher ces mêmes questions dans rien de moins que neuf griefs, y compris le dossier dont je suis actuellement saisie.De toute évidence, le principe de la chose déjà jugée s’applique en l’absence de nouveaux éléments de preuve qui pourraient justifier la présentation du grief le plus récent, et le grief dont je suis actuellement saisi ne peut être renvoyé à l’arbitrage (voir Brown & Beatty, par. 1:3100).

50        J’accorde une grande importance à la demande du défendeur voulant que le renvoi à l’arbitrage soit considéré comme vexatoire. De plus, l’acharnement du fonctionnaire à soulever de nouveau le litige concernant le caractère diffamatoire de la lettre de la Dre Rotter, ainsi que son allégation selon laquelle il a été muté sans son consentement, au mépris de la décision d’un arbitre de grief à cet égard, constituent un lourd fardeau, tant pour le défendeur que pour la Commission. De plus, le fonctionnaire ne s’est pas présenté à l’audience et n’a pas répondu aux demandes de la Commission l’invitant à aborder les préoccupations qu’il avait soulevées, et il refusé de communiquer, de manière générale, avec la Commission en temps opportun ou de suivre les directives de la Commission eu égard à la communication avec le défendeur. Par conséquent, tous ces éléments constituent un lourd fardeau, tant pour le défendeur que pour la Commission.

51        Étant donné que les mêmes questions faisaient l’objet du litige et compte tenu du comportement du fonctionnaire tout au long de cette affaire, je conclus qu’il a agi de manière frivole et que son renvoi à l’arbitrage est vexatoire. S’il avait vraiment voulu que cette affaire soit entendue par la Commission, il aurait respecté les délais prescrits par la Commission pour répondre à la correspondance, il se serait présenté à l’audience selon l’exigence de la Commission, il aurait déposé ses arguments concernant la demande du défendeur voulant que le renvoi en arbitrage soit déclaré vexatoire, et il se serait conformé à l’ordonnance de divulgation rendue par la Commission.

52        De plus, dans l’intérêt du défendeur, du public et d’une administration adéquate et efficace de la justice, on ne peut permettre que des affaires déjà tranchées et rejetées par des arbitres de grief et les tribunaux ontariens, fassent de nouveau l’objet d’un litige. Une telle tentative est vexatoire et un gaspillage des précieuses ressources du défendeur et de la Commission.

53        Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

54        Le grief est rejeté.

55        Le renvoi à l’arbitrage est déclaré vexatoire. Dorénavant, il sera interdit au fonctionnaire de renvoyer à l’arbitrage tout grief lié à la lettre de la Dre Rotter, en date du 25 janvier 2008, qui lui a été envoyée, ou à sa mutation alléguée à la DPSC avant le 12 octobre 2012 ou à cette date, sans obtenir l’approbation préalable de la Commission.

Le 19 juillet 2016.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des relations de travail
et de l’emploi dans la fonction publique
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