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Résumé :

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Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et la
Loi sur l’emploi dans la
fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20160810
  • Dossier:  2014- 9161
  • Référence:  2016 CRTEFP 73

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

XIUXIA SONG

plaignante

et

SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Song c. Sous-ministre de la Défense nationale


Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir déposée en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Merri Beattie, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour la plaignante:
Louis Bisson
Pour l’intimé:
Kétia Calix, avocate
Pour la Commission de la fonction publique:
Claude Zaor (observations écrites)
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 3 et 4 novembre et le 8 décembre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1         Xiuxia Song, la plaignante, a participé à un processus de nomination interne annoncé pour les postes de coordonnatrice des relations communautaires, de retour au travail et du suivi des blessés (coordinatrice des services) classifiés au groupe et niveau AS-04 au sein du ministère de la Défense nationale (MDN). Elle prétend que l’intimé, le sous-ministre du MDN, a commis un acte discriminatoire à son endroit, qu’il n’a pas pris les mesures d’adaptation adéquates au moment de l’évaluer et qu’il a été partial à son égard.

2        L’intimé rejette ces allégations.

3        La Commission de la fonction publique (CFP) n’était pas présente à l’audience, mais elle a présenté des observations écrites. La CFP ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte.

II. Contexte

4        La plaignante a présenté sa candidature au processus de nomination le 5 décembre 2013. Le 25 février 2014, elle a été informée qu’elle avait été éliminée du processus pour avoir omis de démontrer qu’elle possédait de l’expérience de négociation et de coopération avec les officiers et la direction de niveaux supérieurs. À la suite d’une discussion informelle, la plaignante a été informée le 6 mars 2014 qu’elle avait été réintégrée au processus.

5        La plaignante a été invitée à participer à une évaluation le 25 mars 2014. L’évaluation consistait en une présentation, un test écrit et une entrevue. Elle a donné sa présentation et rempli le test; cependant, son évaluation a pris fin avant que l’entrevue soit terminée.

6        Le 16 mai 2014, la plaignante a été informée qu’elle avait été éliminée du processus de nomination, car elle n’avait pas su démontrer sa capacité à communiquer efficacement à l’oral et à l’écrit.

7        Une Notification de nomination ou de proposition de nomination (NAPA) a été publiée le 2 juin 2014 dans le cadre du processus en question.

8        La plaignante a déposé une plainte d’abus de pouvoir auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») en vertu de l’art. 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). Le 1er novembre 2014, l’entrée en vigueur de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a entraîné la création de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »). La Commission remplace le Tribunal et la Commission des relations de travail dans la fonction publique et elle traite des plaintes déposées en vertu de la LEFP. Par conséquent, la Commission a entendu la plainte en question les 3 et 4 novembre et le 8 décembre 2015.

9        Lorsque l’audience a repris pour entendre les plaidoyers finaux le 8 décembre 2015, la plaignante a retiré ses allégations selon lesquelles l’intimé a omis de corriger son test écrit conformément au guide d’évaluation en vigueur et que des fautes d’orthographe et de grammaire aient été relevées à tort dans son test.

III. Questions en litige

10        La plaignante allègue que :

  • L’intimé a exercé de la discrimination à son égard en raison de sa déficience et de sa race ou de son origine nationale ou ethnique;
  • L’intimé a omis de tenir compte de sa condition médicale pendant son évaluation;
  • L’intimé a fait preuve de partialité à son égard dans le cadre du processus de nomination.

IV. Analyse

11        L’article 77 de la LEFP précise qu’un candidat non reçu de la zone de sélection d’un processus de nomination interne peut présenter une plainte à la Commission selon laquelle il n’a pas été nommé à un poste ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination pour un poste en raison d’un abus de pouvoir. Comme l’a soutenu le Tribunal, la gravité et la nature de toute erreur ou omission et la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière pourraient déterminer s’il s’agit d’un abus de pouvoir. Le fardeau de la preuve repose sur la plaignante, par lequel elle doit présenter une preuve suffisante pour que la Commission détermine, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu un abus de pouvoir (voir Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale et al., 2006 TDFP 8, aux paragraphes 49, 50, 55, 65 et 66).

12        Les allégations de la plaignante concernent les actions de l’intimé le jour de sa présentation, de son test écrit et de son entrevue (l’évaluation). En plaidoyer final, la plaignante a fait valoir qu’elle n’aurait pas dû être admise à l’évaluation, puisque rien n’appuie la conclusion qu’elle satisfaisait à toutes les qualifications essentielles en matière d’expérience. Même si la plaignante a retiré cet élément de ses allégations, la Commission conclut que l’intimé a commis une erreur dans sa décision d’admettre la plaignante à l’évaluation.

13        Linda Brady était la gestionnaire responsable de l’embauche et la présidente du comité d’évaluation du processus de nomination en question. Elle a passé la demande de la plaignante en revue et elle a déterminé que l’un des critères d’expérience essentiels n’avait pas été démontré, à savoir, l’expérience en matière de négociation et de coopération avec les officiers et la direction de niveaux supérieurs. C’est pourquoi elle a éliminé la plaignante du processus. Son témoignage rapporte que la plaignante a ensuite présenté d’autres exemples d’expérience par courriel et que ceux-ci ont été approfondis lors d’une conversation téléphonique et qu’elle a accepté de réintégrer la plaignante dans l’évaluation.

14        En vertu de l’art. 30(2) de la LEFP, toute personne en voie d’être nommée doit satisfaire aux qualifications essentielles établies pour le poste. L’intimé soutient que Mme Brady a finalement accepté les exemples fournis par la plaignante après l’avoir écartée de la sélection, ce qui démontre que la plaignante satisfaisait à l’exigence d’expérience en matière de négociation et de coopération avec les officiers et la direction de niveaux supérieurs. Or, Mme Brady a indiqué lors de son témoignage que ces exemples étaient faibles et qu’elle n’y avait pas trouvé ce qu’elle cherchait.

15        L’intimé n’a pas nommé la plaignante; par conséquent, il n’a pas réellement manqué à l’art. 30(2) de la LEFP. Le témoignage de Mme Brady indique que sa décision d’admettre la plaignante à l’évaluation s’appuyait sur sa demande d’avoir la possibilité de se démarquer en entrevue. Cependant, la lettre de l’intimé du 6 mars 2014 informait la plaignante qu’elle avait réintégré le processus de nomination, ce qui indique qu’elle avait une chance d’être nommée.

16        Lors de son témoignage au sujet du renversement de sa décision, Mme Brady a aussi parlé du petit nombre de candidats dans le processus et de la possibilité d’augmenter la taille du bassin de candidats qualifiés. Selon la Commission, il ne s’agit pas d’une raison suffisante pour justifier qu’un candidat non qualifié soit réintégré dans le processus de nomination.

17        Mme Brady a également déclaré qu’au fur et à mesure qu’un candidat franchit les étapes de l’évaluation, elle s’attend à en apprendre davantage sur son expérience. Une telle approche pose problème, car le protocole d’évaluation en vigueur indique que l’expérience doit être évaluée en fonction des demandes des candidats, et ce, à l’étape de présélection du processus. Le protocole prévoit également que les candidats qui franchissent l’étape de présélection seraient invités à participer à l’évaluation.

18        Selon la Commission, la seule raison valable pour avoir fait progresser la plaignante au-delà de l’étape de présélection des demandes est qu’elle satisfaisait à toutes les exigences essentielles de la présélection. Mme Brady n’était pas satisfaite que la plaignante respectait les exigences essentielles en matière d’expérience et il ne lui revenait pas d’évaluer cette qualification plus en profondeur à un stade ultérieur du processus. La Commission conclut que la réintégration de la plaignante dans le processus de nomination était une faute grave.

A. Discrimination

19        L’article 80 de la LEFP prévoit que pour déterminer si une plainte est fondée en vertu de l’article 77, la Commission peut interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

20        L’article 7 de la LCDP précise qu’un refus par un moyen direct ou non d’employer ou de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi sur un motif de distinction illicite constitue un acte discriminatoire. L’article 3 de la LCDP dresse une liste des motifs de distinction illicites. Cette liste comprend la déficience et la race ou l’origine nationale et ethnique.

21        Dans le contexte des droits de la personne, il revient à la partie plaignante de prouver un cas apparemment fondéde discrimination. Dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson Sears, [1985] 2 R.C.S. 536. (la décision O’Malley), la Cour suprême du Canada met de l’avant un critère permettant d’établir un cas prima facie de discrimination :

[…] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé […]

22        Si la plaignante établit une preuve prima facie de discrimination, il incombe à l’intimé de présenter une justification raisonnable et non discriminatoire pour son acte.

B. Déficience et adaptation

23        La Commission est convaincue qu’au moment de son évaluation, la plaignante avait une déficience causée par son état de santé. La plaignante a fait valoir que des mesures d’adaptation devaient être prises à son endroit en raison de son état de santé. Un différend oppose les parties quant à savoir si la plaignante a informé ou non le comité d’évaluation de son état de santé, et si elle présentait des signes de malaise pendant sa présentation et son test écrit, ou seulement après qu’elle a rempli le test. En tout état de cause, il n’est pas contesté que la plaignante semblait malade pendant l’évaluation. La preuve démontre clairement qu’après avoir rempli le test écrit, la plaignante semblait affaiblie et pâle et que l’intimé l’a conduite à un canapé pour qu’elle puisse se coucher, qu’il lui a apporté de l’eau et qu’il a pris son pouls. Quoi qu’il en soit, même si les membres du comité étaient assez inquiets pour songer à appeler une ambulance, l’évaluation a repris après environ 30 minutes.

24        Les parties sont aussi en désaccord quant à savoir qui a décidé de poursuivre l’évaluation. La plaignante nie l’affirmation de l’intimé selon laquelle ils ont discuté des options qui s’offraient à elle et qu’elle ait décidé de terminer en partie son évaluation en répondant à certaines questions au sujet de la présentation qu’elle avait donné plus tôt, mais de reporter la partie de l’entrevue. La plaignante soutient que Mme Brady a pris la décision et qu’elle ne lui a pas laissé le choix.

25        La Commission conclut que la plaignante a souffert d’un malaise lors de son évaluation. Même si la plaignante l’avait voulu, poursuivre l’évaluation était une erreur dans les circonstances. Pour accommoder la plaignante de façon adéquate, des renseignements supplémentaires, une réflexion approfondie et une discussion poussée concernant les mesures appropriées étaient nécessaires.

C. Race et origine nationale ou ethnique

26        Le seul argument de la plaignante à l’appui de son allégation de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique est qu’elle est chinoise et que Mme Brady a écrit que sa présentation [traduction] « était parfois difficile à suivre, car la langue utilisée par la présentatrice n’était pas sa langue maternelle ». La Commission remarque que ce document indique aussi que la plaignante a réussi cette partie de l’évaluation.

27        La Commission conclut que cet argument est insuffisant pour établir qu’il s’agit d’un cas apparemment fondé de discrimination.

D. Partialité

28        Tant la partialité directe que la crainte raisonnable de partialité peuvent amener un constat d’abus de pouvoir (voir Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29 au paragr. 125 qui renvoie à Committee for Justice and Liberty c. Canada [L’Office national de l’énergie], [1978] 1 R.C.S. 369 à la page 394).

29        La plaignante soutient que Mme Brady a fait preuve de partialité flagrante contre elle pendant l’évaluation. Toutefois, la Commission conclut que la description qui a été donnée par la plaignante du comportement de Mme Brady lors de l’évaluation manque de fiabilité.

30        Le témoignage de la plaignante présente certaines incohérences. Elle affirme que Mme Brady lui a essentiellement ordonné de poursuivre l’évaluation après son malaise. Elle rapporte aussi que Mme Brady lui a dit qu’elle ne se préoccupait pas de son état de santé et que l’évaluation devait avoir lieu ce jour-là. Or, à l’opposé de ce qui précède, la plaignante rapporte aussi dans son témoignage que Mme Brady a refusé de lui permettre de terminer l’évaluation dans son ensemble.

31        Le témoignage de la plaignante ne correspond pas non plus à celui des autres témoins. Selon la plaignante, Mme Brady est entrée seule dans la salle où elle remplissait le test et elle lui a crié d’enlever son manteau avant de tenter de lui enlever. En outre, après être retournée dans la salle d’entrevue en présence des autres membres du comité d’évaluation, la plaignante soutient que Mme Brady a mis fin à son évaluation en lui criant qu’elle ne convenait pas au poste avant de lui ordonner de partir. Cependant, un autre membre du comité d’évaluation, Jacqueline Charron, ne rapporte pas avoir vu de tels comportements. Mme Charron déclare aussi connaître Mme Brady depuis 20 ans et l’avoir trouvée professionnelle et bienveillante. Pour sa part, Mme Brady nie les affirmations de la plaignante et déclare ne jamais avoir été seule avec la plaignante ce jour-là.

32        Le soir de son évaluation, la plaignante a envoyé un courriel à Mme Brady. Ce courriel a aussi été transmis au président de son syndicat. Elle y demandait d’être traitée en priorité, sans mentionner de mauvais traitement dans le cadre de son évaluation. En fait, elle y remercie Mme Brady de l’avoir invitée à prendre part à l’évaluation.

33        Selon la Commission, la décision de Mme Brady de réintégrer la plaignante dans le processus de nomination est incompatible avec des allégations de partialité contre la plaignante. La Commission conclut qu’il n’y a aucune preuve crédible pour appuyer un constat de partialité ou de crainte raisonnable de partialité. En appliquant le test décrit dans Committee for Justice and Liberty c. Canada (L’Office national de l’énergie), la Commission estime qu’un observateur assez bien informé qui passerait en revue tous les éléments de preuve ne pourrait raisonnablement pas croire que le comité d’évaluation a fait preuve de partialité dans son évaluation de la plaignante.

V. Décision

34        L’intimé a fait abstraction de sa propre évaluation et de son guide d’évaluation, et il a indûment réintégré la plaignante dans le processus de nomination en question. En outre, malgré les signes de maladie d’une certaine gravité que présentait la plaignante pendant l’évaluation, l’intimé a omis de suspendre l’évaluation et de prendre une décision éclairée concernant la situation et les mesures d’adaptation nécessaires. La Commission conclut que l’intimé a abusé de son pouvoir.

VI. Mesures correctives

35        La Commission n’ordonne pas de réévaluation dans cette affaire, car la plaignante ne respectait pas les exigences essentielles en matière d’expérience.

36        La plaignante réclame 20 000 $ pour préjudice moral, conformément à l’art. 53(2)c) de la LCDP. Elle réclame aussi une somme supplémentaire de 18 000 $ en vertu de l’art. 53(3) de la LCDP. La plaignante soutient que Mme Brady pourrait avoir agi délibérément et qu’en l’invitant à l’évaluation, elle voulait la placer en position défavorable, même si Mme Brady soutenait qu’elle ne respectait pas l’exigence en matière d’expérience.

37        La Commission n’est pas assurée que Mme Brady a agi délibérément ou de façon malveillante pour causer des souffrances à la plaignante en l’invitant à prendre part à l’évaluation. La plaignante voulait participer à l’évaluation. Elle a contesté son élimination initiale du processus de nomination et elle a accepté l’invitation à l’évaluation. Lors de l’audience, la plaignante a partiellement fait valoir qu’elle aurait dû être autorisée à terminer l’évaluation. Aucune indemnité n’est ordonnée en vertu de l’art. 53(3) de la LCDP.

38        Même si la Commission peut, lorsqu’une plainte est fondée et à sa discrétion, accorder une réparation en vertu de l’art. 53(2)e) de la LCDP, elle doit exercer son pouvoir judicieusement et au vu des éléments de preuve qui lui sont présentés (voir Commission des droits de la personne c. Dumont, 2002 CFPI 1280 [CanLII] au paragr. 14). Dans le cas qui nous occupe, la plaignante n’a déposé aucune preuve à l’appui de sa demande d’indemnisation en vertu de l’art. 53(2)e) de la LCDP.

39        Par conséquent, la Commission n’ordonne aucune indemnité pour préjudice moral en faveur de la plaignante.

40        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

41        La plainte est fondée.

Le 10 août 2016.

Traduction de la CRTEFP

Merri Beattie,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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