Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief contestant son licenciement, alléguant qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire excessive pour avoir consulté sans autorisation des dossiers de contribuables, avoir accordé un traitement préférentiel à des contribuables et divulgué des renseignements d’un contribuable à un tiers non autorisé – la Commission a conclu que, de son propre aveu, le fonctionnaire s’estimant lésé savait clairement que sa conduite était répréhensible et constituait une violation au code de conduite de l’employeur – le fait que, pour des motifs personnels, le fonctionnaire s’estimant lésé ait décidé consciemment d’enfreindre des règles strictes très claires, constitue un facteur aggravant – ses nombreuses années de service ont été considérées comme un facteur aggravant, car un employé de longue date devrait être plus sensibilisé à son milieu de travail – le fonctionnaire s’estimant lésé n’a exprimé aucun remords et n’a pas démontré qu’il comprenait la gravité de son inconduite – sa décision d’ignorer le code de conduite de l’employeur, et ce, à répétition, a porté un préjudice irréparable au lien de confiance sous-jacent aux relations employeur-employé.Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-07-25
  • Dossier:  566-34-11479
  • Référence:  2016 CRTEFP 66

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

MATTHEW CAMPBELL

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Campbell c. Agence du revenu du Canada


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Michael Fisher, avocat
Pour l'employeur:
Richard Fader, avocat
Affaire entendue à Windsor (Ontario),
du 3 au 5 mai 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

Introduction

1        La présente audience découle du renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel déposé par le fonctionnaire s’estimant lésé, M. Matthew Campbell (le « fonctionnaire »), qui a été licencié de son emploi au sein de l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur ») pour inconduite. Le fonctionnaire demande l’annulation du licenciement. En lieu et place, il demande l’autorisation de prendre sa retraite, ce qui lui permettrait de recevoir uneindemnité de départ de plus de 30 000 $ qu’il n’a pas pu percevoir en raison de son licenciement.

2        Le fonctionnaire reconnait avoir consulté sans autorisation des dossiers de contribuables à 93 reprises et avoir accordé 14 traitements préférentiels à des contribuables. De plus, il y a deux allégations contestées concernant la divulgation de renseignements d’un contribuable à un tiers non autorisé. Dans l’ensemble des allégations et de la preuve dont je dispose, rien ne donne à penser que le fonctionnaire ait tiré un avantage financier de ses actes. Il est également important de souligner qu’aucune allégation ni preuve ne donne à penser que le receveur général du Canada a perdu un seul dollar en recettes fiscales par suite des actes reprochés au fonctionnaire.

3        En plus de l’inconduite avouée, je vais apprécier la preuve qui m’a été présentée à l’audience relativement aux deux allégations contestées. Au moyen d’un examen de la preuve dans son ensemble, je déciderai si l’inconduite démontrée du fonctionnaire était suffisante pour justifier la décision de l’employeur de le licencier, ou si une sanction moins sévère était de mise.

4        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »), et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2, la « Loi ») avant le 1er novembre 2014, se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

Faits

5        Au moment de son licenciement, le fonctionnaire possédait plus de 33 années de service auprès de l’employeur et occupait un poste classifié PM-01 à la perception des impôts. Au cours de sa carrière, il a occupé un poste au service à la clientèle. Le fonctionnaire a souligné qu’il avait aimé le contact régulier avec les citoyens et le sentiment de satisfaction qu’il ressentait lorsqu’il parvenait à les aider à résoudre leurs problèmes. Au vu de la preuve, il semble que ce sentiment d’aider autrui soit à l’origine de ses problèmes et de son licenciement.

6        Le fonctionnaire a admis avoir aidé régulièrement des membres de sa famille et des connaissances en ce qui concerne leurs besoins en matière de service à la clientèle. Le nombre de personnes qui connaissaient le numéro de sa ligne téléphonique directe au travail semblait augmenter alors que de plus en plus de membres de sa famille, de colocataires de membres de sa famille, de connaissances et d’amis l’appelaient pour obtenir de l’aide. Le fonctionnaire a déclaré qu’en réalité, les appels qu’il recevait n’étaient pas tous les bienvenus. Selon la preuve, que le fonctionnaire l’ait voulu ou non, il n’arrivait pas à refuser les demandes d’aide relatives à des dossiers qui ne lui étaient pas attribués; il n’avait pas non plus l’autorisation de consulter ou de travailler sur ces dossiers. À toutes les époques pertinentes, une interdiction stricte aurait dû empêcher le fonctionnaire de consulter ses propres fichiers d’impôt ou d’y travailler.

7        L’aide accordée par le fonctionnaire aux nombreuses personnes comprenait, entre autres, le traitement d’un changement d’adresse plutôt banal pour son fils et le neveu d’un ami, ainsi que la modification des renseignements relatifs au dépôt automatique de la colocataire de sa nièce. Le fonctionnaire a régulièrement effectué des mises à jour et des demandes de statut pour des membres de sa famille qui voulaient savoir quand leur déclaration de revenus serait traitée. Il a géré d’autres affaires, comme l’enregistrement du dernier testament d’un de ses beaux-parents dans son fichier d’impôt au moment du décès de ce dernier, afin que le conjoint survivant soit autorisé à régler les affaires fiscales du défunt.

8        Dans un autre cas mettant en cause un membre de la famille d’un individu qu’il connaissait en raison de son bénévolat auprès de la ligue locale de fléchettes pour les adolescents, le fonctionnaire a pris des mesures pour qu’une adolescente, dont le salaire a été saisi, paye ses impôts exigibles afin que ses dossiers soient à jour. Il l’a fait pour s’assurer que l’employeur ne procède pas à une autre saisie de salaire, qui n’était par ailleurs plus nécessaire une fois que le remboursement d’un crédit d’impôt distinct auquel elle avait droit a été traité.

9        L’employeur a examiné l’utilisation que le fonctionnaire a faite de son ordinateur au cours de la période de janvier 2012 à août 2014. Cet examen a confirmé le traitement préférentiel de 14 personnes différentes. Au cours de cette même période, le fonctionnaire a consulté sans autorisation 93 dossiers, soit un total de 150 pages consultées. Puisque ces dossiers ne lui étaient pas attribués et que, dans la plupart des cas, ils concernaient des amis et des membres de sa famille, le fonctionnaire n’était pas autorisé à les consulter, et agir comme tel allait à l’encontre du code de conduite de l’employeur.

Allégations contestées

10        Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le fonctionnaire a divulgué les renseignements d’un contribuable à un tiers non autorisé. La preuve dont je suis saisi confirme-t-elle l’allégation de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire aurait fait une telle divulgation?

11        La première allégation contre le fonctionnaire concerne l’aide qu’il a accordée à « Mme M » (l’anonymat des noms a été préservé dans la présente décision), la mère de l’un des adolescents faisant partie de sa ligue de fléchettes. Mme M lui avait demandé de l’aide concernant le compte de taxes de son mari; elle a déclaré que son mari était malade, à la maison, et qu’elle administrait ses affaires. Il ressort de la preuve que M. et Mme M ont eu une discussion téléphonique avec le fonctionnaire, et que celui-ci a correctement identifié M. M avant de discuter de quelque affaire que ce soit avec eux. Il ressort aussi de la preuve que M. M a consenti à ce que sa femme discute de ses affaires fiscales et qu’elle reçoive des renseignements à ce sujet. Les questions fiscales préoccupaient la famille.

12        Lorsque les enquêteurs internes l’ont interrogé pour la première fois, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait jamais parlé avec M. M (pièce E-1, onglet 1, page 6). Ultérieurement, lorsque le rapport de l’enquête interne lui a été présenté dans le cadre de l’audience disciplinaire, le fonctionnaire a dit qu’il s’était mal exprimé sur ce point parce qu’il avait simplement fait un oubli. Le fonctionnaire a dit que, en réalité, il avait parlé avec M. M pour vérifier son identité et obtenir son consentement en vue de discuter de ses dossiers avec Mme M. Selon la preuve produite à l’audience, l’employeur a mis en doute la crédibilité de cette déclaration et a rejeté cette nouvelle information.

13        Le fonctionnaire a déclaré qu’à chaque fois qu’il parlait à un contribuable au téléphone, il l’identifiait toujours de manière appropriée avant de discuter des fichiers d’impôt.

14        J’accepte les témoignages non contestés du fonctionnaire et de Mme M en ce qui concerne le cas logique où une personne aide son époux malade à gérer ses affaires fiscales. À ce titre, j’estime que la première allégation contre le fonctionnaire, relativement à la divulgation des renseignements d’un contribuable à un tiers non autorisé, n’est pas fondée et donc erronée.

15        La deuxième allégation de cette nature visait Mme D, une autre connaissance de la ligue de fléchettes pour les adolescents. Mme D avait reçu une lettre de son employeur en date du 13 juillet 2013. Il y était indiqué qu’elle devait fournir des renseignements supplémentaires par écrit dans un délai de 30 jours pour justifier sa demande de crédit d’impôt pour enfants. La preuve donne à penser qu’elle n’a pas répondu et que son crédit d’impôt lui a été refusé. La preuve laisse uniquement entendre que l’employeur a écrit à Mme D afin de lui demander des renseignements et qu’il a déclaré que si elle se pliait à cette demande, elle recevrait le crédit demandé.

16        Mme D a déclaré qu’elle avait appelé au numéro du service d’assistance de l’employeur, mais qu’elle avait eu de la difficulté à joindre quelqu’un et que, paradoxalement, elle avait reçu des réponses différentes de divers employés de l’employeur. Elle a ajouté qu’elle n’avait pas eu accès à Internet et qu’elle avait eu besoin d’aide pour comprendre ce qu’on lui demandait exactement, où obtenir les renseignements exigés et où les envoyer.

17        Le 9 septembre 2013, Mme D a appelé le fonctionnaire à son travail afin de solliciter son aide pour savoir ce qu’elle devait envoyer à l’employeur et où l’envoyer. Le fonctionnaire a reconnu avoir consulté les dossiers de l’ex-époux de Mme D, soit M. N, alors qu’il parlait avec Mme D sur sa ligne téléphonique professionnelle.

18        Il ressort des relevés d’opérations informatiques (pièce E-3, page 46) que le fonctionnaire a passé 27 secondes à visualiser ces fichiers. Entre autres choses, sur l’écran « E », le fonctionnaire a consulté les renseignements personnels de M. N que détenait l’employeur. Il a aussi vu la dernière déclaration de revenus de M. N, ainsi que le fichier contenant la liste des personnes à sa charge. Compte tenu de toutes ces consultations de fichiers, l’employeur a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le fonctionnaire avait avisé Mme D que son ex-mari n’avait pas demandé le même crédit d’impôt qu’elle, ce qui constituait par conséquent une divulgation des renseignements fiscaux de M. N à un tiers non autorisé.

19        Lorsqu’il a été questionné au sujet de la nature de l’aide requise par Mme D, le fonctionnaire a reconnu sans hésitation que ce dont elle avait besoin ne pouvait en aucun cas être affecté par le contenu des fichiers d’impôt de son ex-mari, mais qu’il avait quand même consulté les fichiers de M. N, par [traduction] « souci d’enquête » personnel.

20        Dans Faryna c. Chorny, [1951] B.C.J. No. 152 (QL), la Cour d’appel de la Colombie-Britanniquea donné des indications pour trancher des faits contestés et évaluer la crédibilité des témoins. La Cour a conclu que la crédibilité d’un témoin intéressé devait faire l’objet d’un examen en soumettant, de manière raisonnable, sa version des faits à un examen de sa compatibilité avec les probabilités qui entourent les conditions existantes. Le véritable critère pour vérifier la véracité de la version d’un témoin doit être sa concordance avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien informée reconnaîtrait facilement comme étant raisonnable en ce lieu et dans ces circonstances.

21        En réponse à deux questions préliminaires qui lui ont été posées en contre-interrogatoire au sujet de sa demande d’aide au fonctionnaire, Mme D a nié vigoureusement et de façon détaillée avoir souhaité obtenir ou avoir reçu des renseignements au sujet de son ex-mari.

22        Je souligne le caractère assez simple de la lettre de l’employeur à Mme D et la nature plutôt incohérente des nombreuses questions qui en découlent. J’estime qu’il est peu probable que Mme D ait effectivement reçu des conseils contradictoires des employés du centre d’appels de l’employeur que celle-ci prétend avoir appelés avant de solliciter l’aide du fonctionnaire. J’estime aussi qu’il est peu probable que, pendant un appel téléphonique ayant pour objet de discuter d’une question très simple, le fonctionnaire ait pris l’initiative de fouiller dans les fichiers d’impôt personnels de l’ex-mari de Mme D par intérêt personnel.

23        Compte tenu de l’ensemble de mes observations quant au témoignage de Mme D à l’audience et de l’aveu du fonctionnaire concernant l’enquête inutile dans les fichiers d’impôt personnels de M. N, j’estime qu’il est plus probable qu’autrement que les renseignements concernant M. N et ses impôts ont été divulgués à Mme D de façon inappropriée et sans l’autorisation de M. N.

Décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire

24        Compte tenu des faits que j’ai établis à l’audience, ainsi que des facteurs aggravants ou atténuants qui sont pertinents en l’espèce, je dois décider si la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire était motivée.

25        Le fonctionnaire a reconnu avoir consulté sans autorisation des dossiers de contribuables à 93 reprises et avoir accordé des traitements préférentiels à des contribuables. D’après la preuve dont je dispose, j’estime qu’il a divulgué les renseignements d’un contribuable à un tiers non autorisé à une occasion.

26        Le fonctionnaire a expliqué que chaque cas d’inconduite visait à aider d’autres personnes. Il a ajouté que même lorsqu’il a consulté ses propres fichiers d’impôt, ce qui est interdit, il l’a fait uniquement parce qu’un gestionnaire avait dit à un collègue de demander de l’aide au fonctionnaire. Il a expliqué qu’il avait consulté son propre compte pour illustrer ce pour quoi son collègue demandait de l’aide.

27        Dans son argumentation, l’avocat du fonctionnaire a fait valoir que le fonctionnaire n’avait aucune intention malveillante ou irrégulière dans le cadre de ses nombreuses infractions au code de conduite de l’employeur. Il a aussi souligné que dans son témoignage, le fonctionnaire avait déclaré qu’il comprenait que ce qu’il faisait était répréhensible.

28        Je suis troublé par cette déclaration du fonctionnaire, peut-être plus que par toute autre chose dans la présente audience. Je pense qu’un employeur est en droit de juger problématiques tous les cas où un employé décide consciemment, pour des motifs personnels, d’enfreindre des règles strictes très claires qu’il ou elle comprend et que les gestionnaires et l’agent négociateur lui rappellent de façon itérative. Dans la preuve dont je dispose, j’ai de nombreux exemples de cas où l’employeur et l’agent négociateur du fonctionnaire ont expressément demandé à tout le personnel de respecter le code de conduite de l’employeur. Entre autres choses, ce code de conduite interdit aux employés de consulter leurs propres dossiers. Il interdit également aux employés d’aider des membres de leur famille, des amis ou des connaissances. Si un employé se voit attribuer le dossier de quelqu’un qu’il connaît ou à qui il est lié, il est censé le signaler immédiatement à son superviseur.

29        Le fonctionnaire devait participer à un séminaire dans la cadre duquel on a rappelé à tout le personnel les divers aspects du code de conduite. Des exemples de cas où des membres de leur famille et des amis sollicitent l’aide des employés ont été présentés durant ce séminaire. Durant la présentation, il a été mentionné que tout type d’échange et d’aide était interdit et que l’inconduite d’un employé pouvait faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. Le séminaire se terminait par le conseil suivant aux employés : [traduction] « Ne mettez pas votre carrière en péril ». Il était en outre expliqué que malgré les communications répétées au sujet de l’accès non autorisé et de l’inconduite des employés, les employés continuaient d’adopter ce genre de comportement, mettant ainsi en danger leur carrière. Il était aussi souligné que la majorité de ces infractions étaient commises par des employés chevronnés.

30        La jurisprudence de la Commission qui porte sur le licenciement des employés s’appuie souvent sur Wm. Scott & Co., [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL), qui prévoit un processus à suivre pour déterminer si une mesure disciplinaire était justifiée et, le cas échéant, si la décision de licencier l’employé était une réaction excessive à la lumière de tous les faits pertinents ou, dans le cas contraire, quelles sont les mesures de rechange que l’arbitre de griefs ou l’arbitrage pourrait considérer comme étant appropriées.

31        Dans l’affaire dont je suis saisi, le fonctionnaire a reconnu qu’il y avait eu inconduite et que cela justifiait la prise de mesures disciplinaires. Il a toutefois soutenu que le licenciement était excessif. Il a laissé entendre que des facteurs atténuants devaient être pris en considération, puisque dans tous les cas d’accès non autorisés aux dossiers, les contribuables avaient effectivement sollicité son aide. La seule exception est ma constatation que les dossiers de M. N ont été consultés et divulgués à son insu et sans son consentement.

32        Le fonctionnaire a fait valoir que ses intentions n’étaient ni malveillantes ni pour son bénéfice personnel, puisque sa seule intention était d’aider les gens. Il a fait valoir ses 33 années de bons services à l’employeur, exemptes de problèmes comme ceux qui m’ont été soumis à l’audience. Il a souligné qu’il ressort de la preuve dont je dispose qu’aucun des contribuables qui ont reçu une lettre de l’employeur les avisant que leurs dossiers avaient été consultés sans autorisation n’a accepté l’offre de protection du crédit sans frais assurée par une firme indépendante de protection de la confidentialité. Le fonctionnaire a aussi soutenu que le traitement de faveur qu’il a accordé à de nombreux membres de sa famille, amis et connaissances n’allait pas au-delà des services de base que tout citoyen pourrait obtenir dans des circonstances analogues en appelant le centre de service à la clientèle de l’employeur. Dans un cas, cependant, j’estime que cette allégation du fonctionnaire est exagérée.

33        Dans le cas de l’aide fournie à la fille d’une connaissance dont le salaire était saisi, j’estime que l’aide du fonctionnaire a fort probablement procuré à cette personne une norme de service qui allait bien au-delà de ce qu’un contribuable ordinaire pourrait espérer obtenir par les voies d’accès habituelles à l’employeur.

34        Le témoignage du fonctionnaire à ce sujet était détaillé, et il ne laissait aucun doute qu’il était intervenu dans le dossier de la fille de son ami afin de s’assurer que l’employeur de celle-ci sache exactement à quel moment cesser de payer l’ordonnance de saisie, et qu’aucun paiement excédentaire ne serait effectué une fois que le crédit d’impôt qui revenait à cette personne serait confirmé, puisqu’il aurait été appliqué à l’encours de sa dette.

35        Je ne peux accepter l’argument du fonctionnaire selon lequel ce niveau de service personnalisé est offert à tout contribuable qui pourrait appeler au numéro du service d’assistance de l’employeur et qui attend en ligne afin d’obtenir un service. Les autres contribuables canadiens qui ne détiennent pas le numéro de téléphone personnel du fonctionnaire à son travail auraient éventuellement à faire de nombreux appels à l’employeur et peut-être à passer des heures à attendre une réponse en ligne dans l’espoir d’obtenir l’aide de quelqu’un pour vérifier leur dossier et appeler leur employeur.

36        La préoccupation qui découle du traitement préférentiel que le fonctionnaire a accordé à des amis et à des membres de sa famille, ainsi qu’aux connaissances de sa famille, concerne la diminution de la confiance des contribuables ordinaires en l’équité de notre système fiscal.

37        L’employeur a présenté une preuve par l’entremise de deux représentants de sa direction, MM. Steven Tiessen et Doug Fleming. Tous deux ont présenté un témoignage sur l’importance cruciale de la confiance des contribuables en notre système fiscal, puisque le Canada compte sur la production volontaire de déclarations de revenus. Les deux témoins ont laissé entendre que chaque cas de traitement préférentiel avait le potentiel d’éroder la confiance des Canadiens en leur système fiscal.

38        En plus des facteurs atténuants mentionnés par le fonctionnaire, l’employeur invoque ce qu’il estime être un facteur aggravant, à savoir le manque initial de coopération auquel il a fait face lorsqu’il a confronté le fonctionnaire aux allégations d’inconduite. Mme Tonya Hawa, l’enquêteuse interne de l’employeur à qui le dossier a été attribué, a déclaré que lorsque le fonctionnaire a été confronté à ces allégations pour la première fois, il a déclaré qu’il recevait à l’occasion des appels d’amis qui sollicitaient son aide, mais qu’il les aiguillait vers la ligne d’assistance à la clientèle de l’employeur.

39        À l’appui de sa décision de licencier le fonctionnaire, l’employeur s’est appuyé sur Ward et le Conseil du Trésor (Revenu Canada-Impôt), Dossiers CRTFP 166-2-16121 et 16122, [1986] C.R.T.F.P.C. no 335 (QL). Cette décision porte aussi sur le licenciement d’une employée qui avait consulté des dossiers de contribuables sans autorisation. Dans cette affaire, la fonctionnaire s’estimant lésée a prétendu qu’elle avait consulté des dossiers pour un ami qui se trouvait dans une situation personnelle précaire. Elle a déclaré qu’elle traversait une période de crise personnelle à l’époque de son inconduite. Aucune allégation ne laissait entendre que la fonctionnaire s’estimant lésée s’était enrichie financièrement ou que le gouvernement fédéral avait subi une perte financière.

40        Dans Ward, le licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée a été maintenu. Le commissaire a déclaré que l’inconduite n’était pas attribuable à une erreur de jugement momentanée, mais bien qu’elle était volontaire et répétée. Dans cette affaire, la fonctionnaire s’estimant lésée et d’autres employés ont été avertis à maintes reprises de ne pas consulter des dossiers sans autorisation. Malgré le fait que la fonctionnaire s’estimant lésée avait un bon dossier de service par ailleurs, l’arbitre de grief a conclu que tout le système fiscal canadien était compromis lorsque des employés enfreignent le code de conduite, ont accès à des dossiers non autorisés et divulguent des renseignements à des tiers. L’importance du droit des contribuables à s’attendre à la protection de leurs renseignements personnels a aussi été soulignée.

41        Le fonctionnaire a invoqué Nolan c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Impôt), dossier de la CRTFP 166-02-17111 (19871125), [1987] C.R.T.F.P.C. no 338 (QL), à titre de décision faisant autorité. Dans cette décision, il a été conclu que le licenciement d’une employée de l’impôt pour inconduite était injuste et qu’une suspension de trois mois devait être substituée en guise de mesure disciplinaire. Cette affaire met en cause une employée de longue date de Revenu Canada. Il a été établi qu’elle avait consulté des dossiers sans autorisation, effectué de faux signalements relativement à ces fonctions de travail et utilisé les renseignements d’un contribuable pour harceler un agent de police. L’arbitre de grief a conclu qu’une bonne partie de la preuve produite contre la fonctionnaire s’estimant lésée dans cette affaire était circonstancielle ou constituait du ouï-dire (page 2). Cependant, il a été conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait commis plusieurs actes d’inconduite consistant à consulter des dossiers ou à contrefaire des documents. Malgré cela, son licenciement a été jugé excessif.

42        Je ne suis ni lié ni convaincu par Nolan. Il s’agit d’une affaire qui remonte à une autre époque, où l’on se souciait beaucoup moins de la protection des renseignements personnels par comparaison à notre ère numérique contemporaine. Selon ma compréhension de Nolan, il n’est pas question d’une quelconque mesure mise en place par l’employeur et l’agent négociateur dans le but d’éduquer les employés et les convaincre de respecter le code de conduite interdisant l’accès aux dossiers et la divulgation de renseignements non autorisés, des questions qui sont pertinentes dans l’affaire dont je suis saisi.

43        Le fonctionnaire m’a aussi renvoyé à McGoldrick c. Conseil du Trésor (Revenue Canada – Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-25796 (19941003), [1994] C.R.T.F.P.C. no 121 (QL), qui concerne un employé qui a utilisé des renseignements sans autorisation et les a divulgués à des tiers. L’arbitre de grief a cité Ward et le risque de préjudice pour la crédibilité du système fiscal canadien. Cependant, la différence fondamentale est la conclusion selon laquelle le fonctionnaire dans cette affaire, malgré son incapacité à exprimer clairement ses remords [traduction] « […] a maintenant réalisé […]  que son erreur était très grave » (à la page 19). Bien que je comprenne difficilement comment une personne arrive à ne pas éprouver de remords tout en appréciant réellement la gravité de son inconduite, la preuve dont je dispose ne démontre pas que le fonctionnaire comprend la gravité de son inconduite. Par conséquent, je conclus que McGoldrick se distingue en fonction de ses faits.

44        J’ai lu les autres affaires invoquées par le fonctionnaire, mais je ne les trouve pas suffisamment pertinentes, compte tenu des faits qui diffèrent, pour justifier leur prise en considération en l’espèce.

Départ à la retraite du fonctionnaire

45        La tentative du fonctionnaire de devancer sa date antérieurement prévue de départ à la retraite, avant que l’employeur n’ait décidé de suspendre son emploi ou d’y mettre fin, a-t-elle pour effet de bloquer cette décision?

46        Les parties ont présenté des éléments de preuve et de la jurisprudence en lien avec la tentative du fonctionnaire de prendre sa retraite avant que son employeur ne puisse donner suite aux mesures disciplinaires résultant de son inconduite.

47        Ni l’une ni l’autre partie n’a choisi de poursuivre cette question en détail dans son plaidoyer final. À la fin des argumentations, j’ai confirmé aux avocats que, selon ma compréhension, l’affaire dont j’étais saisi consistait simplement à déterminer si la décision de licencier le fonctionnaire était justifiée et, dans le cas contraire, à l’annuler. Les deux avocats se sont entendus pour dire qu’il s’agissait effectivement de la seule question à trancher. À ce titre, je ne rends aucune décision sur la question du rejet par l’employeur de la tentative du fonctionnaire de devancer la date de son départ à la retraite avant que l’employeur n’ait décidé de le suspendre et ensuite de le licencier.

Conclusion

48        Le fonctionnaire a consulté et partagé avec des tiers des renseignements fiscaux concernant leur ex-époux et a, par conséquent, enfreint le code de conduite de l’employeur; à mon avis, il s’agit d’une conduite périlleuse. Le droit des Canadiens de s’attendre à la confidentialité de leurs affaires personnelles doit être protégé. L’attente du respect de la vie privée à la suite d’un divorce ou d’une séparation est très importante. Dans certains cas, la sécurité et le bien-être de l’ex-époux d’une personne peuvent être à risque, et la divulgation non autorisée de ses renseignements personnels peut exposer cette personne à un danger. Heureusement, aucune allégation de cet ordre n’a été faite en l’espèce. Toutefois, la divulgation non autorisée de tout renseignement à un ex-époux demeure une question très préoccupante à mes yeux.

49        Je rejette l’argument voulant que le long bilan de bons services du fonctionnaire devrait constituer un facteur atténuant. Qui plus est, ses nombreuses années de service devraient être considérées comme un facteur aggravant. On lui avait offert des douzaines d’auxiliaires didactiques et d’aide-mémoire, ainsi que de l’appui conjoint de la part de l’employeur et de l’agent négociateur pour veiller à ce qu’il comprenne bien le code de conduite et s’y conforme. Un employé de longue date devrait être plus sensibilisé à son milieu de travail et, par conséquent, plus digne de la confiance de l’employeur.

50        Finalement, le fonctionnaire n’a exprimé aucun remords démontrant qu’il comprend le préjudice potentiel que son inconduite pouvait causer à son employeur. Il a d’emblée reconnu qu’il savait que ce qu’il faisait constituait une violation de son code de conduite, mais il a choisi de récidiver à de nombreuses reprises. Il a déclaré qu’il souhaitait ne pas avoir commis les actes d’inconduite, mais j’ai interprété ce commentaire au sens où il regrette d’avoir perdu son indemnité de départ, plutôt que comme un regret à l’égard de ce qu’il a fait à son employeur. À ce titre, je dois rejeter le grief.

51        Agir autrement et autoriser la réintégration du fonctionnaire, et d’autres fonctionnaires ayant agi ainsi, aurait nécessairement pour effet d’augmenter le risque d’inconduite de la part d’un employé qui comprend parfaitement que ce qu’il a fait est répréhensible mais qui, pour ses propres motifs, décide de commettre régulièrement des actes d’inconduite contre son employeur. Le fonctionnaire n’a démontré aucune compréhension du préjudice potentiel pour le système fiscal canadien que sa décision d’ignorer le code de conduite de l’employeur pouvait occasionner.

52        Il ne s’agit pas d’un cas où des mesures disciplinaires progressives justifieraient une mesure disciplinaire moindre, afin de favoriser la réintégration de l’employé. Pour les motifs énoncés ci-dessus, un préjudice irréparable a été porté au lien de confiance sous-jacent aux relations employeur-employé par suite de la décision du fonctionnaire d’ignorer le code de conduite de l’employeur, et ce, à répétition.

53        Pour tous les motifs énoncés ci-dessus, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

54        Le grief est rejeté.

Le 25 juillet 2016.

Traduction de la CRTEFP

Bryan R. Gray,
une formation de la Commission des relations de travail
et de l’emploi dans la fonction publique
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