Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte auprès de la Commission en vertu de l’art. 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), en alléguant que le défendeur, plus précisément la Direction de la traduction parlementaire, avait violé l’art. 107 de la Loi – la plaignante a affirmé que le défendeur avait violé la disposition relative au gel des conditions d’emploi en mettant fin à la pratique de longue date de permettre aux traducteurs parlementaires de modifier leur horaire de travail et de travailler le jour, soit entre 8 h à 18 h, lorsque le Parlement ne siège pas (la « période d’intersession »), tout en gardant le supplément de rémunération – selon le défendeur, l’employeur avait le pouvoir de modifier les heures de travail en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques et de l’article 4 de la convention collective, puisque son droit de changer les heures de travail demeure pendant un gel – en ordonnant aux traducteurs parlementaires de conserver leur horaire de travail de soir et de nuit afin de recevoir le supplément de rémunération, l’employeur a affirmé qu’il avait appliqué la convention collective efficacement – la Commission a conclu que la preuve déposée a montré que les traducteurs parlementaires ont subi des dommages qui se sont fait grandement sentir sur leur vie privée – les pertes ont été subies lorsqu’ils ont perdu la possibilité de faire leurs quarts de travail le jour pendant la période d’intersession – l’employeur a changé unilatéralement les conditions d’emploi des traducteurs parlementaires après qu’un avis de négocier a été signifié, lorsqu’il a mis en œuvre l’horaire de soir obligatoire pendant les périodes d’intersession – la Loi prévoit que l’employeur a l’obligation de consulter l’agent négociateur pour tout changement pendant les négociations, ce qui n’a pas été fait – la Commission a ordonné la révocation de la décision prise par l’employeur de ne plus permettre aux traducteurs parlementaires d’effectuer leurs quarts de travail le jour pendant les périodes d’intersession, tout en recevant le supplément de rémunération – la Commission a ordonné à l’employeur d’accorder une heure de congé payé pour chaque heure travaillée après 18 h pendant la période d’intersession pour les traducteurs qui travaillaient l’horaire de 10 à 18 h et une heure de congé payé pour chaque heure travaillée après 21 h pendant la période d’intersession pour les traducteurs qui travaillaient l’horaire de 13 h à 21 h.Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-07-26
  • Dossier:  561-02-763
  • Référence:  2016 CRTEFP 68

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS

plaignante

et

SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA
(Travaux publics et services gouvernementaux Canada)

défendeur

Répertorié
Association canadienne des employés professionnels c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (Services publics et Approvisionnements Canada)


Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique
Pour la plaignante:
Benjamin Piper, avocat
Pour le défendeur:
Michel Girard, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 23 mars 2016.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1        L’Association canadienne des employés professionnels (l’« ACEP » ou la « plaignante ») est l’agent négociateur accrédité, conformément à la Loi sur les relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Loi »), pour tous les employés du groupe TR, soit les traducteurs, les interprètes et les terminologues du Bureau de la traduction, un service qui relève de Services publics et Approvisionnements Canada. La convention collective applicable est celle qui a été conclue entre le Conseil du Trésor et l’ACEP, pour le groupe Traduction, venant à échéance le 18 avril 2014 (la « convention collective »); l’avis de négociation a été signifié par l’employeur le 7 mars 2014. Les négociations se poursuivent à ce jour.

2        Le 31 juillet 2015, l’ACEP a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), en vertu de l’article 190 de la Loi. Elle a  allégué que le Conseil du Trésor du Canada (le « défendeur »), plus précisément la Direction de la traduction parlementaire (la « DTP »), avait enfreint l’article 107 de la Loi. La plaignante a affirmé que le défendeur avait contrevenu au gel des conditions d’emploi en mettant fin à la longue pratique visant à permettre aux traducteurs parlementaires de modifier leur horaire de travail et de travailler le jour, soit entre 8 h et 18 h, pendant la période où le Parlement ne siège pas (la « période d’intersession »), et ce, tout en préservant le supplément de rémunération.

3        Selon le défendeur,  l’employeur a le pouvoir de changer les heures de travail en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques et de l’article 4 de la convention collective. Selon le critère de la poursuite des activités normales, le pouvoir de l’employeur de changer les heures de travail se poursuit durant la période de gel. En ordonnant aux traducteurs parlementaires de conserver leur horaire de travail de soir et de nuit afin de bénéficier du supplément de rémunération, l’employeur s’est non seulement acquitté de répartir les ressources humaines de façon efficace, il a également appliqué la convention collective.

4        Les parties se sont entendues de procéder par exposé conjoint des faits. Les faits qui ont mené à la plainte ne sont pas contestés et le défendeur a reconnu que depuis au moins dix ans, les traducteurs parlementaires pouvaient travailler le jour pendant les périodes d’intersession, tout en maintenant le supplément de rémunération.

5          Stéphanie Beaulieu et Marie-Josée Hamel, traductrices parlementaires, ont été citées à témoigner pour la plaignante. Elles ont décrit le contexte dans lequel les traducteurs parlementaires effectuent leur travail et comment le changement les a affectées.

6        Simon Lamoureux, directeur de la DTP, est le seul témoin à comparaître pour le défendeur. Il a expliqué pourquoi la direction avait choisi de modifier sa pratique en juin 2015.

7        Pour les raisons qui suivent, je conclus que le défendeur a enfreint l’article 107 de la Loi lorsqu’il a mis fin à la longue pratique d’accorder le choix aux traducteurs parlementaires de modifier leur horaire de travail et de travailler le jour, tout en préservant le supplément de rémunération, pendant la période d’intersession. L’employeur a choisi de ne pas consulter l’ACEP avant d’instaurer le changement. De plus, je conclus que ce changement unilatéral ne constituait pas une mesure de représailles contre les traducteurs parlementaires par suite de la demande de l’ACEP de révoquer la modification.   

II. Résumé de la preuve

8        Par souci de concision, seuls les faits pertinents à la détermination de la plainte ont été reproduits. La présente plainte se rapporte aux traducteurs qui sont affectés au service parlementaire et qui doivent traduire le compte-rendu des délibérations du Sénat et de la Chambre des communes (les « Débats »), communément appelé le Hansard.

A. Heures de travail

9        La convention collective prévoit que les traducteurs parlementaires sont « normalement tenus d’accomplir des journées de travail de longueur variable à des heures irrégulières ». Ces traducteurs ne travaillent pas selon un horaire fixe. Ils sont affectés à des quarts de travail qui débutent en fin d’après-midi ou en début de soirée, et ils travaillent jusqu’à ce que toutes les délibérations parlementaires de la journée soient traduites. 

10        Depuis le 7 novembre 2011, Mme Beaulieu, traductrice parlementaire, occupe un poste classifié au groupe et au niveau TR-2 à la DTP. Elle a fait valoir qu’elle était actuellement en affectation en tant que TR-3, aux Débats parlementaires. Elle a expliqué que les traducteurs parlementaires travaillent des heures variables lors de la session parlementaire. Les TR-2 débutent leurs quarts de travail à 16 h, les lundis, mardis et jeudis, à 18 h les mercredis, et à 14 h les vendredis.

11        Mme Beaulieu a également expliqué que les traducteurs parlementaires classifiés TR-3, qui assument un rôle de réviseurs, commencent toujours leur quart de travail deux heures plus tard que les TR-2. Les TR-2 traduisent les délibérations du Sénat et de la Chambre des communes. Une fois la traduction complétée, les TR-3 révisent la traduction pour assurer la qualité du travail, c’est-à-dire veiller à ce que le texte traduit soit fidèle au texte de départ et à ce qu’il ne contienne aucune coquille.

12        Lors de la session parlementaire, les TR-3 terminent leur quart de travail une fois que toutes les délibérations sont traduites et révisées. Ils doivent travailler rapidement et respecter la norme de production de la DTP.

13        Le volume et la charge de travail varient d’un jour à l’autre et dépendent de ce qui se passe au Parlement. Dans une journée typique, les traducteurs parlementaires peuvent terminer leur travail vers 3 h ou 4 h. Lorsque la séance est écourtée, par exemple à cause d’une annonce importante comme le budget national, ils terminent plus tôt, soit vers 1 h 30.

14        Toutefois, en juin, la séance parlementaire s’étire parfois jusqu’à minuit et même 2 h. Lorsque c’est le cas, le quart de travail des traducteurs parlementaires peut commencer à 14 heures et se terminer vers 3 h, voire même à 5 h. Par conséquent, les traducteurs parlementaires TR-3, soit les  réviseurs, terminent encore plus tard.

15        En contre-interrogatoire, Mme Beaulieu a indiqué que son horaire de travail variait beaucoup lorsque le Parlement siégeait. Elle a toutefois mentionné que les cas où elle commençait à 16 h et terminait vers 5 h 30 étaient exceptionnels. Comme elle est rapide, elle termine vers 2 h les lundis et mardis. Toutefois, elle a souligné que d’autres traducteurs sont moins rapides et terminent plus tard.

16        Lors de sa première période d’intersession, soit de novembre 2011 à janvier 2012, elle commençait son quart de travail vers 11 h ou 13 h, mais jamais à  9 h. Elle choisissait toujours de travailler entre 10 h et 18 h, comme la majorité des traducteurs parlementaires.

17        L’ACEP a cité Mme Hamel, traductrice parlementaire classifiée au groupe et au niveau TR-2, à la DTP, à témoigner. En tant que TR-2, elle  accomplit principalement les mêmes tâches et aux mêmes heures, conformément à ce qui est décrit dans l’énoncé conjoint des faits. Elle a expliqué que son horaire était variable et dépendait de la durée de la séance de la Chambre ou du Sénat. Les lundi, mardi et jeudi, elle commence son quart de travail à 15 h, le mercredi à 16 h 30 et le vendredi à 14 h. Elle ne sait jamais à quelle heure elle va terminer. Lorsque tout le travail est distribué, un courriel est envoyé aux traducteurs parlementaires, et ils travaillent jusqu’à ce que tout soit traduit.

18        Selon son témoignage, lors de la session parlementaire, elle n’a pas de vie personnelle, car elle ne sait pas à quelle heure elle va terminer ses quarts de travail. Ses soirées sont consacrées au travail. Elle ne peut pas s’occuper de son enfant, par exemple : aller aux réunions de parents à l’école ou encore l’aider avec ses devoirs. Elle ne voit pas son conjoint, son enfant, ni ses amis. Sa vie de famille et sociale existe seulement la fin de semaine.

19        En contre-interrogatoire, M. Lamoureux a reconnu qu’avant juin 2015, l’employeur permettait aux traducteurs parlementaires de choisir leur plage horaire pendant la période d’intersession, tout en leur accordant le supplément. Il a également admis que les traducteurs parlementaires recevaient le supplément même lors des périodes de congés. Enfin, il a admis que, dans la convention collective, le supplément n’est pas décrit comme une prime de soir et que le libellé faisait seulement référence aux heures irrégulières, à l’horaire variable et au supplément de rémunération.

B. Rémunération

20        Il n’est pas contesté que les traducteurs parlementaires ne sont pas rémunérés pour les heures supplémentaires travaillées. Ils reçoivent une compensation spéciale sous forme de congé parlementaire, ainsi qu’un supplément de rémunération. Cette rémunération est accordée aux traducteurs classifiés TR-2 et TR-3, qui assurent le service parlementaire. Ils reçoivent cette compensation, car ils travaillent le soir ou la nuit, toujours à la hâte, et qu’ils doivent satisfaire aux exigences qualitatives et quantitatives fixées par la DTP.

21        Mme Beaulieu a témoigné que les TR-2 reçoivent une prime de sept pour cent et que les TR-3 reçoivent une prime de quatre pour cent. Le supplément est versé lorsqu’ils sont en congé annuel ou pour tout autre congé rémunéré, ainsi que pendant les périodes d’intersession. Les séances de la Chambre des communes et du Sénat ont lieu seulement pendant certaines semaines de l’année, lesquelles sont précisées dans le calendrier parlementaire. Ils doivent travailler lors de la session parlementaire et même lors de la période d’intersession. Ils peuvent être rappelés en tout temps pendant l’été. En plus du supplément, ils ont environ 40 jours de congé. Ces congés augmentent après 12 années de service.

22        En contre-interrogatoire, Mme Beaulieu a souligné qu’elle bénéficiait de 40 jours de congés additionnels, en plus des trois semaines de vacances. Elle bénéficie donc de 11 semaines de congés au total.

23        M. Lamoureux a témoigné que la période d’intersession, combinée avec la période estivale, représente environ un quart de l’année. Pour les traducteurs parlementaires, cela représente environ 40 jours de congés parlementaires, en plus des congés annuels. Après 11 ans de service, les traducteurs parlementaires bénéficient de 50 jours de congés parlementaires, en plus des congés annuels.

24        En contre-interrogatoire, il a reconnu que les traducteurs parlementaires devaient prendre leurs congés pendant la période d’intersession et que tous les traducteurs parlementaires devaient prendre la majorité de leurs congés pendant l’été.

C. Pratique habituelle

25        Le défendeur a reconnu que depuis au moins dix ans, les traducteurs parlementaires avaient le choix de travailler le jour durant les périodes d’intersession. Ils pouvaient choisir les heures de leur quart de travail tout en maintenant le supplément de rémunération.

26        Mme Beaulieu a fait valoir qu’à compter de 2012, la DTP fixait les plages horaires parmi lesquelles les traducteurs parlementaires pouvaient effectuer leurs quarts de travail, soit de 10 h à 18 h, de 13 h à 21 h ou de 16 h à 24 h. Ceci avait pour but de faciliter la répartition du travail pendant les périodes d’intersession. Elle a expliqué qu’elle bénéficiait d’un horaire fixe, de 13 h à 21 h, pendant la période d’intercession. Aucune limite n’était imposée aux traducteurs parlementaires quant aux choix des plages horaires, c’est-à-dire qu’il n’y avait aucune exigence voulant que toutes les plages horaires soient comblées.

27        Pendant l’intersession, les traducteurs parlementaires étaient assujettis au même travail que les autres employés du Bureau de la traduction. Ils étaient assujettis aux mêmes normes de production que les autres traducteurs classifiés au même niveau, c’est-à-dire 1 600 mots par jour pour les TR-2, et 1 800 mots par jour pour les TR-3. Les textes provenaient des ministères avec lesquels ils avaient été jumelés ou encore des bassins de répartiteurs.

28        Mme Hamel a témoigné que sa première période d’intersession avait eu lieu trois semaines après qu’elle ait commencé à travailler à la DTP, en janvier 2011. Elle a expliqué qu’il y avait environ une période d’intersession par mois, sauf en juin. Cette année-là, une élection avait été déclenchée. Par conséquent, il n’y a eu aucun débat à traduire pendant une longue période. Dans de tels cas, les traducteurs parlementaires sont prêtés au Bureau de la traduction et ils sont jumelés à des ministères œuvrant dans des domaines qu’ils connaissent bien.

29        Selon la pratique, pendant cette période, les traducteurs parlementaires travaillaient de jour. Mme Hamel travaillait de 8 h à 16 h, ou 8 h 30 à 16 h 30. Ses collègues de travail bénéficiaient d’un horaire de jour semblable. Le supplément continuait de leur être versé. Cette pratique a duré jusqu’en juin 2015.

30        Avant la période d’intersession de l’hiver 2014, la Direction de la DTP a envoyé un courriel aux traducteurs parlementaires leur demandant de confirmer « la plage horaire de votre choix »; trois options étaient offertes pour la période d’intersession. De façon similaire, le 12 mars 2015, la DTP a envoyé un courriel dans le même sens demandant aux traducteurs parlementaires de « confirmer votre choix » parmi les trois plages horaires offertes pour la période d’intersession du printemps 2015. Les trois plages horaires offertes étaient les suivantes : 10 h à 18 h, 13 h à 21 h et 16 h à minuit.

31        Pendant ces périodes d’intersession, les traducteurs parlementaires pouvaient modifier leur horaire de travail tout en maintenant le supplément de rémunération. Le supplément de rémunération est prévu à l’article 5 des « Notes sur la rémunération » de l’Appendice A de la convention collective. Ce supplément faisait toujours partie de leur rémunération en dépit du fait qu’ils travaillaient le jour.

D. Le changement

32        Selon le témoignage de Mme Beaulieu, l’employeur n’a jamais imposé de limites pour les plages horaires, autres que de leur demander de travailler le jour. La pratique a changé en juin 2015.

33        M. Lamoureux est directeur de la DTP depuis mai 2014. Le 5 juin 2015, lors d’une réunion du comité de consultation patronale-syndicale, il a mentionné que le supplément accordé aux traducteurs parlementaires ne serait désormais plus accordé s’ils décidaient de changer leur horaire de soir pour travailler le jour pendant la période d’intersession.

34        En contre-interrogatoire, M. Lamoureux a reconnu que, le 15 juin 2015, la question de savoir si les traducteurs parlementaires qui choisissaient de travailler le jour allaient conserver le supplément n’était pas établie clairement. Il a reconnu qu’il n’y avait pas eu de consultation avec l’ACEP au niveau national.

35        Il a expliqué avoir instauré ce changement parce qu’il devait signer un formulaire d’autorisation pour un des employés qui se rapportait à lui. Sur le formulaire, il était question d’un supplément de rémunération pour des heures effectuées le jour. C’est à ce moment-là qu’il s’est questionné à savoir pourquoi un employé qui travaille le jour devrait recevoir un supplément de rémunération.

36        Il a indiqué que lui-même, ainsi que d’autres employés, travaillent le jour et ne reçoivent pas de supplément, alors pourquoi est-ce que les traducteurs parlementaires faisant de même bénéficieraient de ce qu’il qualifiait de « prime de soir »? Selon lui, le supplément de rémunération est l’équivalent d’une prime de soir. Travailler le jour tout en recevant un supplément ne fait aucun sens.

37        Il a expliqué qu’il gérait un budget de 15 millions et qu’il devait « breffer » ses patrons. Il a souligné que la « prime de soir » s’appelle ainsi pour une raison et qu’il est redevable à ses collègues et à ses patrons. Par conséquent, il a demandé aux traducteurs parlementaires qui choisissaient de travailler le jour, pendant la période d’intersession,  de communiquer à leur gestionnaire leur horaire de travail pour la période allant de la fin de juin au début de septembre, et ce, avant 18 h,                       le 19 juin 2015.

38        Le 24 juin 2015, l’ACEP a exprimé sa position à M. Lamoureux, par l’entremise d’une lettre de la part d’Isabelle Germain, agente des relations de travail. L’ACEP a indiqué que les agissements de l’employeur constituaient « une violation explicite des conditions du gel statutaire prévu à l’article 107 de la LRTFP ». L’ACEP a demandé à l’employeur de révoquer immédiatement cette modification et de rétablir le paiement du supplément aux traducteurs parlementaires lorsqu’ils travaillaient le jour pendant la période d’intersession.

39        M. Lamoureux a souligné que lorsqu’il a donné l’option aux traducteurs parlementaires de travailler le jour sans recevoir le supplément, ces derniers n’étaient pas contents. Le but ultime était d’enlever le supplément pour les traducteurs parlementaires qui travaillaient le jour. Il a indiqué qu’il avait consulté ses collègues ainsi que le Conseil du Trésor, et qu’ils étaient tous d’accord que le supplément était accordé pour le travail accompli le soir.

40        Il a expliqué que son courriel avait pour but d’offrir un choix aux traducteurs parlementaires. Comme le syndicat a refusé, il a remis l’horaire du soir en place. Par conséquent, dans un courriel daté du 24 juin 2015, il a informé Mme Germain que l’employeur ne permettrait plus aux traducteurs parlementaires de changer leur horaire de soir pour travailler le jour pendant la période d’intersession.

41        Mme Germain a de nouveau informé M. Lamoureux qu’un changement à l’horaire de travail des traducteurs parlementaires pendant la période du gel constituait une violation de la Loi.

42        Lors d’une réunion du 24 juin 2015, M. Lamoureux a avisé les traducteurs parlementaires qu’ils devaient travailler les quarts de soir durant la période d’intersession afin de maintenir le supplément. Depuis, les traducteurs parlementaires doivent travailler les quarts de soir, même pendant les périodes d’intersession.

43        Par la suite, la direction a donné aux traducteurs parlementaires le choix de commencer leur quart de travail entre 14 h et 16 h et, par conséquent, de terminer entre 22 h et minuit.  Les quarts de travail de soir débutant entre 14 h et 16 h, ont été offerts aux traducteurs parlementaires en guise de mesure d’accommodement. M. Lamoureux a expliqué que c’était du donnant, donnant. Il n’était pas à l’aise de laisser les traducteurs parlementaires accomplir leurs quarts de travail de 12 h à 20 h, tout en leur accordant le supplément. Il a tenté de faire preuve de souplesse en acceptant de devancer l’heure de départ de deux heures.

44        M. Lamoureux a ajouté qu’au niveau opérationnel, il était logique d’avoir les traducteurs parlementaires disponibles pour assurer un service après les heures normales de travail.  Affaires mondiales Canada, l’Agence de la Santé publique du Canada et la Gendarmerie Royale du Canada font beaucoup de demandes après les heures. Le fait d’avoir les traducteurs parlementaires disponibles en soirée permet le retour des documents traduits dès le lendemain.

45        M. Lamoureux a fait valoir que le moment du changement, en juin 2015, n’était pas idéal, car c’était en pleine période électorale. Avant, le service après les heures était assuré par les traducteurs situés à Vancouver. Il a admis que, comme l’a souligné Mme Hamel, c’est plus tranquille le soir. Toutefois, selon lui, ce changement est justifié et constitue une économie, car la DTP n’a plus besoin d’avoir recours à des fournisseurs de services externes le soir.

46        M. Lamoureux a expliqué que toutes les demandes de traduction des clients doivent passer par le Centre de traitement, qui s’occupe ensuite de les traiter. Il s’agit d’une approche différente pour les traducteurs parlementaires, qui sont habitués à traiter un client à la fois. Il a fait valoir qu’il y avait eu quelques manquements par le passé. Il a indiqué que le commentaire de Mme Beaulieu, selon lequel il y avait des périodes creuses pendant l’intersession, est lié à la période électorale et au rodage du Centre de traitement des demandes. Selon ses souvenirs, il n’y a que cinq personnes environ qui se sont plaintes qu’il n’y avait pas assez de travail le soir.

47        Mme Beaulieu a souligné que, depuis ce changement, le travail provient des répartiteurs, selon le nouveau système de répartition. Les textes sont, en général, de nature semblable aux textes du Bureau de la traduction, et les traducteurs parlementaires sont assujettis au même niveau de production. Les répartiteurs ont une liste de traducteurs disponibles le soir et le jour. Les textes sont assignés selon la disponibilité des traducteurs. 

48        En contre-interrogatoire, M. Lamoureux a indiqué que cette décision n’était aucunement en guise de représailles, en réponse à la lettre initiale de l’ACEP. Il a fait valoir qu’il avait proposé à la direction d’offrir aux traducteurs parlementaires de travailler le jour sans supplément. On lui a alors expliqué que c’était compliqué pour le service de la paie d’enlever le supplément pendant la période d’intersession pour ensuite le redonner pendant la session parlementaire. Il a témoigné qu’il n’y avait pas eu de consultation avec le bureau national de l’ACEP au sujet de la lettre, mais que l’ACEP avait demandé le statu quo jusqu’à la signature d’une nouvelle convention collective.

49        En contre-interrogatoire, il a témoigné que la lettre de l’ACEP lui avait fait comprendre qu’il ne pouvait pas enlever le supplément aux traducteurs parlementaires. Toutefois, il avait le droit de changer l’horaire puisque leurs heures habituelles étaient le soir. Il a compris qu’il ne pouvait pas offrir un horaire de jour sans supplément, alors il a tout simplement instauré l’horaire du soir pour que les traducteurs parlementaires puissent continuer de bénéficier du supplément.

50        Selon les besoins opérationnels, les traducteurs parlementaires travaillent le soir 75 % de l’année. M. Lamoureux a reconnu que, dans la convention collective, il n’y a aucune limite en ce qui concerne les heures. Il n’est mentionné nulle part que le supplément de rémunération peut être retiré. La direction a accordé le supplément de rémunération pendant des années pendant l’intersession pour des heures effectuées le jour. M. Lamoureux a fait valoir qu’il n’était pas là à l’époque et que le supplément était payé pour le travail effectué selon un horaire irrégulier.

51        Toujours en contre-interrogatoire, M. Lamoureux a expliqué qu’il y avait une équipe et qu’il y avait un besoin pour un service après les heures. En tant que gestionnaire, il a le pouvoir de définir l’horaire de travail par rapport à cela. Il a ajouté qu’il y avait le même nombre de traducteurs avec des urgences de soir.

52        En réplique, M. Lamoureux a expliqué que le travail des traducteurs parlementaires est effectué le soir ou la nuit. Ils sont responsables de traduire les débats qui se déroulent le jour et, par conséquent, le travail se fait forcément le soir ou la nuit. Quand le Parlement ne siège pas, les conditions sont différentes.

53        Lors de la session parlementaire, les TR-2 doivent respecter une norme de production de 2 500 mots par jour, et les TR-3 de 2 800 mots par jour; ils travaillent sous pression et sont toujours à la hâte. En-dehors de la session parlementaire, les TR 2 doivent respecter une norme de production de 1 600 mots par jours, et les TR-3 de 1 800 mots par jour; les conditions pour lesquelles ils reçoivent le supplément n’existent pas dans ce cas et le supplément ne devrait pas être accordé.

54        M. Lamoureux a ajouté que la traduction de la langue parlée n’était pas la même chose que la traduction de documents déjà rédigés. Le stress et le niveau de production ne sont pas les mêmes pendant la période d’intersession.

E. Incidence sur les traducteurs de soir

55        Mme Beaulieu a expliqué que les traducteurs parlementaires travaillaient toujours en décalage par rapport aux autres et que, par conséquent, leur vie personnelle en était affectée. Elle a mentionné que le dimanche, elle disait au revoir à son partenaire, et qu’elle ne le revoyait que le vendredi. Elle a ajouté qu’ils faisaient chambre à part, ce qui veut donc dire qu’elle a des nuits de sommeil peu paisibles. Enfin, puisqu’elle doit dormir le jour, elle ne peut pas dormir profondément et bénéficie de très peu de repos. La période d’intersession lui permet de recharger ses batteries et de remettre les choses en place dans sa vie personnelle, non seulement en ce qui concerne sa santé, mais aussi sa vie sociale.

56        Mme Beaulieu a souligné que la modification de ses heures de travail avait eu un impact négatif sur sa vie personnelle. Elle a expliqué qu’elle n’avait aucune vie sociale, car elle travaillait tard. Elle a ajouté qu’elle passait très peu de temps avec son conjoint et qu’ils n’arrivaient même pas à passer 48 heures ensemble. Lors de la session parlementaire, elle ne bénéficie d’aucune période de récupération ou de vie normale : aucun répit.

57        Mme Beaulieu a mentionné que lors de son embauche, on lui avait dit qu’elle aurait l’occasion de récupérer pendant la période d’intersession. Pour elle et les autres traducteurs parlementaires, cette modification était un changement soudain des conditions de travail avec les mêmes exigences. En ce qui concerne la formation, tous les traducteurs sont obligés de suivre une formation pour le nouveau logiciel de traduction. Cette formation est seulement offerte le jour et, par conséquent, selon ses heures de travail de soir, il était possible qu’elle ne bénéficie pas d’une nuit complète de sommeil. Elle a ajouté que l’employeur avait dit que c’était à eux, les traducteurs parlementaires, de s’adapter en fonction de leur horaire de soir.

58        En contre-interrogatoire, elle a témoigné que sa lettre d’offre faisait état des heures de travail variables selon un horaire irrégulier et qu’il n’était pas question du choix de travailler un quart de travail de jour pendant l’intersession. Ce choix lui a été communiqué oralement.

59        Mme Hamel a souligné que le changement avait eu un impact sur son enfant, car elle ne pouvait pas l’aider avec ses devoirs. Elle a dû engager une tutrice. Elle a mentionné qu’elle n’avait aucune vie familiale ou sociale pendant la semaine et qu’elle trouvait très difficile de ne pas voir son conjoint la semaine. Elle ne peut pas, non plus, aller visiter sa famille, à Québec, puisqu’ils ne peuvent voyager le vendredi soir étant donné qu’elle travaille jusqu’à 22 h. Ce changement a également eu un impact sur son sommeil. Tous les matins, elle se lève avec son enfant à 6 h 45 et, par conséquent, son sommeil est interrompu. Le changement d’heure pendant la période d’intersession lui permettait de récupérer et d’avoir des périodes de vie normale avec sa famille et ses amis. En contre-interrogatoire, elle a affirmé qu’elle finissait de travailler à 22 h, et qu’elle se levait à 6 h 45. Elle dort environ cinq ou six heures par nuit.

60          Elle a expliqué qu’en raison de la modification à l’horaire, pendant la période d’intersession, les traducteurs parlementaires sont affectés à d’autres sections. Comme ils doivent travailler avec des gens qui travaillent de jour, la communication est difficile, puisqu’ils doivent attendre au lendemain pour recevoir les informations manquantes. Elle a ajouté qu’il y avait parfois des périodes creuses où il n’y avait pas de travail.

61        La modification à l’horaire a également eu un impact sur ses plans de carrière. Le 24 juin 2015, dès la fin de la réunion où les deux changements ont été annoncés, Mme Hamel a dit à sa supérieure immédiate, Maryse Bertrand, qu’il était impossible pour les traducteurs parlementaires qui ont des enfants de travailler le soir à longueur d'année et qu’elle devrait trouver un autre emploi.

62        Elle a informé la direction qu’elle adorait son travail, que les sujets étaient très intéressants et qu’elle était prête à composer avec des heures variables pendant la session parlementaire. Toutefois, en raison de ce changement, elle a souligné qu’elle perdait du temps avec sa famille et que c’était trop difficile de continuer dans le contexte actuel. À moins que la situation change, elle allait devoir chercher un emploi ailleurs.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

63        La preuve et l’énoncé conjoint des faits établissent tous les éléments constitutifs d’une violation des conditions d’emploi prévue par la Loi. La convention collective a expiré le 18 avril 2014, et l’avis de négociation a été signifié par l’employeur le 7 mars 2014. Au moment de la signification de l’avis de négocier, il existait une condition d’emploi qui était en vigueur et qui pouvait figurer dans une convention collective. L’employeur a unilatéralement aboli la pratique de longue date de permettre aux traducteurs parlementaires de choisir de travailler le jour pendant la période d’intersession, et ce, tout en préservant le supplément de rémunération.

64        Selon l’article 19 de la convention collective, les traducteurs parlementaires sont tenus d’effectuer des heures irrégulières et exigeantes. C’est pourquoi ils ont des congés parlementaires et qu’ils reçoivent un supplément de rémunération; ils travaillent à la hâte et sous pression. Ils bénéficient du supplément, peu importe le temps de l’année, même lorsqu’ils sont en congés. Pour Mme Beaulieu et Mme Hamel, la possibilité de travailler le jour est importante pour leur santé mentale, pour profiter du temps en famille et pour leur qualité de vie.   

65        Le 24 juin 2015, l’employeur a avisé les traducteurs parlementaires qu’ils devaient maintenir l’horaire de soir pendant la période d’intersession, ce qui équivaut à un changement aux conditions d’emploi pendant la période de gel prévu par la loi.

66        Ce changement a eu un impact important pour Mme Beaulieu et Mme Hamel. Elles aiment beaucoup leur travail. Néanmoins, elles sont assujetties à une norme de production plus élevée que les autres et leur horaire ainsi que leurs exigences de travail ont un impact non négligeable sur leurs vies familiale et sociale. Mme Hamel ne peut pas aider son enfant avec ses devoirs, son conjoint doit le faire. Elle ne peut plus visiter sa famille à Québec et elle n’a pas le temps de voir ses amis.   

67        Mme  Hamel a fait valoir qu’il était important d’avoir une semaine par mois pour retrouver une vie normale. Elle aime son travail, mais elle se questionne à savoir si elle peut continuer de travailler selon un horaire de soir sur une base régulière. Même avec le nombre de vacances auxquelles elle a droit, il y a un grand nombre de jours où elle ne bénéficie pas de vacances pendant la période d’intersession.

68        Le supplément de rémunération est une exigence liée au poste de traducteurs parlementaires. Selon les clauses 5a)ii) et j) des notes sur la rémunération de l’Appendice A de la convention collective, un supplément est ajouté à la rémunération des traducteurs parlementaires qui doivent « habituellement » effectuer des heures de travail le soir ou la nuit, « toujours à la hâte », ou qui travaillent aussi le soir ou la nuit. La convention collective prévoit qu’ils peuvent être rappelés à tout moment à assurer le même service.

69        L’article 19 de la convention collective  prévoit un congé parlementaire pour le fonctionnaire qui est affecté au service parlementaire et qui est « normalement » tenu d’accomplir des journées de travail de longueur variable à des heures irrégulières [je souligne]. Ce n’est pas un langage péremptoire. De toute façon, ce n’est pas pertinent dans le contexte d’une plainte pour violation du gel des conditions d’emploi.

70        Selon l’employeur, le retrait du supplément de  rémunération est permis par la convention collective et découle de son droit de gestion. Toutefois, la preuve n’appuie pas cette prétention. Après avoir reçu la lettre de l’ACEP, l’employeur a décidé de ne pas procéder au retrait du supplément pendant la période de négociation.

71        L’employeur a reconnu qu’il ne pouvait agir ainsi. C’est la raison pour laquelle il a exigé que les traducteurs parlementaires effectuent leurs heures de travail le soir. La jurisprudence prévoit certaines exceptions, lesquelles ne s’appliquent pas aux circonstances de cette plainte.

72        La Reine du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor c. L’Association canadienne du contrôle du trafic aérien [1982] 2 C.F. 80 (C.A.) est l’arrêt faisant autorité sur cette question. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’une condition d’emploi pouvait prendre la forme d’une entente ou de l’exercice unilatéral du pouvoir de gestion après consultation. Cet arrêt a aussi établi que la disposition sur le gel prévu par la loi ne s’appliquait pas seulement aux conditions d’emploi qui sont incluses expressément dans la convention collective, mais aussi à celles qui sont susceptibles d’être incluses dans la convention collective [je souligne].

73        Selon l’employeur, puisque cette pratique ne figure pas dans la convention collective, il avait le droit de modifier l’horaire des traducteurs parlementaires. Ce n’est pas ce que la Loi et la jurisprudence indiquent. Dans Institut Professionnel de la Fonction Publique du Canada et le Conseil du Trésor (dossier de la CRTFP 148-2-125 19870211), la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») a jugé que la politique de l’employeur sur le stationnement, qui avait été énoncée et instaurée par le circulaire du 23 septembre 1974 et modifié ultérieurement, était une condition d’emploi applicable aux employés membres desdites unités de négociation puisque celle-ci pouvait figurer dans une convention collective [je souligne].

74        En l’espèce, le défendeur a reconnu et admis qu’il n’avait pas le droit de retirer le supplément pendant la période de gel prévu par la loi. Il a reconnu que c’était une condition d’emploi. Toutefois, il n’a pas reconnu que l’horaire de travail était aussi une condition d’emploi.

75        L’employeur a admis qu’il y avait une période creuse en ce qui concerne la charge de travail en raison de la période électorale. Il a également reconnu qu’il y avait des difficultés liées au rodage du nouveau système de répartition. Il n’y avait aucun besoin opérationnel de travailler le soir. L’urgence en ce qui concerne les besoins de traduction en soirée était théorique et ne représentait pas un besoin réel. La position du défendeur selon laquelle le changement visait à répondre à un besoin opérationnel est peu crédible.

76        Lorsque le changement a été instauré par l’employeur pour la première fois, les employés avaient le droit de travailler le jour sans le supplément de rémunération. Ce n’est qu’une fois qu’il a reçu la lettre de Mme Germain, de l’ACEP, qu’il a changé sa position initiale selon laquelle les traducteurs parlementaires devaient travailler le soir pour recevoir le supplément.

77        Selon M. Lamoureux, il ne s’agit pas d’une mesure de représailles. Toutefois, le jour même où il a reçu la lettre de l’ACEP l’avisant qu’il ne pouvait changer la pratique consistant à payer le supplément de rémunération, il a obligé les traducteurs parlementaires à travailler le soir lors des périodes d’intersession. Dans tout contexte juridique, ceci constitue un exemple clair d’une mesure de représailles.

78        Tout cela prit dans son ensemble, il est difficile d’accepter qu’il y avait réellement un besoin opérationnel. La preuve a démontré le contraire. De toute façon, dans le contexte d’une plainte relative à un gel prévu par la loi, les besoins opérationnels ne sont pas pertinents.

79        Ce n’est pas ce qui s’est produit dans les circonstances. L’employeur ne peut pas s’appuyer sur les besoins opérationnels pour justifier la modification à la pratique qu’il a reconnue pendant plus de dix ans.

80        En tant que mesure de redressement, l’ACEP a demandé une déclaration soulignant que l’employeur a enfreint l’article 107 de la Loi, que la pratique initiale est réinstaurée et qu’une compensation pécuniaire est accordée conformément à l’alinéa 192(1)a) de la Loi. L’ACEP s’est appuyé sur la décision de l’ancienne commission dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor,2005 CRTFP 36, dans laquelle le vice-Président de la Commission a ordonné le paiement d’une indemnité provisoire aux membres de l’unité de négociation CS, avec effet rétroactif.

81        Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 46, la formation de l’ancienne Commission a ordonné à la défenderesse de verser à l’agent négociateur des dommages équivalent aux sommes qui auraient été versées aux employés entre le 15 août 2012 et la date de la décision, comme si l’arrangement n’avait pas été annulé.

82        Dans Re Pacific Press Ltd. And Vancouver, New Westminster Newspaper Guild, Local 115,[1980] 27 L.A.C. (2d) 42, l’arbitre de grief a déterminé que le préjudice associé au travail de nuit était irréparable, car c’était une perte non économique. L’arbitre de grief a conclu qu’un montant était approprié pour dédommager une vie sociale interrompue et une perte de sommeil mais, selon lui, constituait un pauvre substitut. Il a déterminé qu’une période de congé payé serait la meilleure façon de dédommager les employés affectés.

83        Dans Re Buanderie Central de Montréal Inc. And Syndicat des Travailleurs (euses) de la Buanderie centrale de Montréal (CSN),1989 6 L.A.C. (4th) 403, l’arbitre de grief a accordé des dommages compensatoires pour l’inconvénient extrême subi par les employés lorsque l’employeur les a forcés de travailler de nuit. Les employés recevaient une prime pour le travail accompli de nuit. L’arbitre de grief a calculé le dédommagement en fonction de la prime prévue dans la convention collective applicable et en a ordonné son paiement en guise de réparation pour l’extrême inconvénient souffert par les employés.

84        L’ACEP a demandé une compensation en congés payés, sans conséquence sur les congés parlementaires auxquels les traducteurs parlementaires ont droit. La modification date de presque un an, l’ACEP demande une décision sur le résultat de la plainte, ainsi qu’une mesure de redressement intégrale.

B. Pour le défendeur

85        Le défendeur a présenté des arguments écrits. La plaignante ne s’y est pas opposée. Par souci de concision, seuls les arguments principaux ont été reproduits. Selon le défendeur, la question à trancher est la suivante, est-ce que le pouvoir de l’employeur de changer l’horaire subsiste durant la période de gel?

86        Le défendeur a fait valoir qu’en vertu des principes énoncés dans la Loi sur la gestion des finances publiques et selon le critère de la poursuite des activités normales, le pouvoir de l’employeur de changer les heures de travail est maintenu durant la période de gel.

87        L’article 107 de la Loi indique que toute condition en vigueur avant que l’avis de négocier soit signifié doit demeurer en vigueur jusqu’à ce qu’une nouvelle convention collective soit négociée. L’article 107 a pour effet de geler les droits prévus dans la convention collective à la date du dépôt de l’avis de négocier ou, comme la Cour d’appel fédérale l’a indiqué dans Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) c. Canada (Conseil du Trésor),[1983] A.C.F. 700 (CAF)(QL) « l’objet de l’article […] est de maintenir l’application de la convention qui existe entre les parties, non de limiter ou restreindre cette application ».

88        L’employeur avait le droit de modifier les horaires de travail avant le dépôt de l’avis de négocier, et ce droit existait encore en juin 2015, lorsque les horaires de travail ont été modifiés. L’employeur a le pouvoir de modifier unilatéralement les conditions d’emploi, sauf exceptions particulières prévues par la Loi ou la convention collective. Ce pouvoir découle de l’alinéa 7(1)e) et de l’article 11.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

89        L’article 12 de la convention collective prévoit les heures de travail normales et les mesures que l’employeur doit entreprendre pour modifier ces heures de travail pour les employés visés par la clause 12.01. Cependant, l’article 12 ne s’applique pas aux traducteurs parlementaires.

Article 12 -  Durée du travail

[…]

12.01 Semaine normale

a) La semaine de travail normale est de trente-sept virgule cinq (37,5) heures et s’étend du lundi au vendredi (la journée normale de travail étant de sept virgule cinq (7,5) heures et s’effectuant entre 8 h 00 et 18 h 00) sauf pour les fonctionnaires assujettis à l’article 19, Congé parlementaire et congé d’interprétation, ou travaillant par poste.

[…]

90        L’article 19 de la convention collective prévoit que les traducteurs parlementaires sont « normalement tenus d’accomplir des journées de travail de longueur variable à des heures irrégulières ». Il s’agit de la seule disposition de la convention collective qui mentionne les heures de travail des traducteurs parlementaires. Contrairement aux employés assujettis à l’article 12 de la convention collective, il n’y a rien dans la convention collective qui restreint le pouvoir discrétionnaire de l’employeur de définir les heures de travail ou de les modifier.

[…]

19.01 Congé parlementaire et congé d’interprétation

a) (i) En plus de son congé annuel, le fonctionnaire qui est affecté au service parlementaire et qui est normalement tenu d’accomplir des journées de travail de longueur variable à des heures irrégulières, reçoit une compensation spéciale sous forme de congé parlementaire calculé au prorata du nombre de jours travaillés par le fonctionnaire pour le compte de l’employeur pendant l’exercice financier.

[…]

91        En fait, la convention collective prévoit que l’employeur conserve toutes les fonctions et attributions et tous les droits et pouvoirs qui ne sont pas explicitement restreints par la convention collective, notamment le droit d’affecter les ressources humaines.

Droit de la direction

[…]

4.01 L’employeur conserve toutes les fonctions et attributions et tous les droits et pouvoirs qui ne sont pas explicitement restreints, délégués ou modifiés par la présente convention, notamment le droit d’affecter les ressources humaines de manière à répondre aux besoins du service.

[…]

92        En contrepartie, en ce qui concerne le travail en soirée, la convention collective prévoit que les traducteurs parlementaires bénéficient d’un congé parlementaire et d’un supplément quand ils travaillent le soir ou la nuit :

Annexe A

[…]

5. a) Un supplément d’un montant égal à sept pour cent (7 %) de la rémunération est ajouté à la rémunération du fonctionnaire classé TR-2 qui occupe :

(ii) un poste de traducteur qui assure le service parlementaire et qui doit travailler le soir ou la nuit, toujours à la hâte, et justifier d’une production qui satisfasse aux exigences raisonnables qualitatives et quantitatives fixées par l’employeur.

[…]

93        Les traducteurs doivent donc travailler le soir ou la nuit pour bénéficier du supplément.

Annexe A

[…]

5. j) Un supplément d’un montant égal à quatre pour cent (4 %) de la rémunération est ajouté à la rémunération du fonctionnaire classé TR-3 qui assure le service parlementaire et qui doit habituellement effectuer ses heures de travail le soir ou la nuit, toujours à la hâte, ou qui travaillant aussi le soir ou la nuit peut être appelé à tout moment à assurer le même service.

[…]

94        Même si le libellé comprend le terme « habituellement », il indique également clairement que le travail est effectué « toujours à la hâte ». Durant la période d’intersession, le travail ne s’effectue pas à la hâte et le nombre de mots à traduire est moins élevé.

95        Avant que l’avis de négocier soit signifié, l’employeur avait le pouvoir de mettre fin à la pratique consistant à laisser les traducteurs parlementaires travailler le jour pendant la période d’intersession. La discrétion de l’employeur d’établir les horaires de travail était en vigueur avant le dépôt de l’avis de négocier. En outre, la convention collective ne prévoit pas que l’horaire soit définitif. L’employeur a la prérogative d’établir les heures de travail, surtout pour respecter la convention collective.

96        En l’espèce, il n’y a rien dans la convention collective qui restreint le droit de l’employeur de modifier les heures de travail et il n’y a aucune obligation de consulter le syndicat avant de le faire. En réalité, l’article 4 de la convention collective indique que la direction a la prérogative d’établir les heures de travail.

97        L’ancienne Commission, ainsi que plusieurs autres décideurs administratifs, ont confirmé que si l’employeur avait le droit de modifier les horaires de travail avant le dépôt de l’avis de négocier, ce droit existait encore durant la période de gel. Ce principe a été reconnu dans Canadian Union of Public Employees Local 1605 v. Mohawak Hospital Services Inc.,[1993] OLRB Rep. September 873; Dongara Pellet Plant LP v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America (Carpenters’ Union, Central Ontario Regional Council),[2012] O.L.A.A. No. 30 (QL), et UCCO-SACC-CSN c. Conseil du Trésor, 2004 CRTFP 38.

98         Dans ces trois décisions, les arbitres de grief ont conclu que puisque la convention collective prévoyait que l’employeur pouvait changer les heures de travail, ce privilège existait avant la période de gel et donc se poursuivait après que l’avis de négocier a été envoyé.

99        Dans Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) c. Canada (Conseil du Trésor),[1983] A.C.F. no 700 (CAF)(QL), la Cour a conclu qu’à la lecture de la convention collective, c’est l’employeur qui a le privilège d’établir unilatéralement les horaires des postes. Avant la mise en œuvre des horaires ainsi fixés, l’employeur devait rencontrer le groupe des employés, ou ses représentants, pour examiner les modifications, c’est-à-dire pour informer le groupe des modifications envisagées avant leur mise en application officielle. Dans notre cas, il n’y a rien dans la convention collective qui empêche l’employeur de modifier les heures de travail. Il n’y a aucune obligation de consulter le syndicat avant de modifier les heures. L’article 4 de la convention indique que la direction a la prérogative d’établir les heures de travail.

100        Dans Association canadienne des professionnels de l’exploitation radio et le Conseil du Trésor (Transports Canada) c. Le Conseil du Trésor (dossier de la CRTFP 148-2-173) (19900508), l’employeur a instauré un horaire par roulement pour les instructeurs afin de répondre aux besoins opérationnels. Les instructeurs allaient dorénavant effectuer des heures irrégulières ou être affectés par alternance à l’un ou l’autre des trois postes suivants : 8 h à 16 h; midi à 20 h; ou 16 h à minuit. Les employés ont donc perdu la rémunération des heures supplémentaires. Les employés recevaient une prime s’ils travaillaient après 16 h parce que leur horaire les obligeait à le faire. L’ancienne Commission a conclu que les dispositions pertinentes de la convention collective n’excluaient pas la possibilité qu’il pouvait y avoir un tel changement de statut et que le gel des conditions de travail n’y changeait rien.

101        Dans Association canadienne du contrôle de trafic aérien et le Conseil du Trésor (Transports Canada),(dossier de la CRTFP 148-2-149) (19890119), l’ancienne Commission a statué que les droits ou prérogatives des parties à une convention collective ne s’atrophient pas du fait de leur non-utilisation. Conclure autrement signifierait qu’il faudrait se prévaloir de tous ses droits et prérogatives, que les circonstances le justifient ou pas, pendant la durée de la convention collective. En vertu de son pouvoir prévu à l’article 4 de la convention collective, l’employeur avait instauré, en 2011, trois plages horaires avant que l’avis de négocier soit signifié.

102        La décision faisant autorité pour l’approche de la poursuite des activités normales est Spar Aerospace Products Ltd. Une décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario, dans laquelle elle a déclaré que l’intention du gel prescrit par la loi était de poursuivre les habitudes antérieures de la relation d’emploi dans son ensemble.

103        Avant le gel, il n’était pas inhabituel que des traducteurs parlementaires maintiennent leur horaire habituel durant les périodes d’intersession et travaillent le soir. L’employeur fixait les plages horaires parmi lesquelles les traducteurs parlementaires pouvaient choisir leurs quarts de travail, soit de 10 h à 18 h, de 13 h à 21 h ou de 16 h à minuit. On ne peut donc pas dire que l’employeur n’a jamais changé l’horaire avant le gel. Pour toutes ces raisons, la plainte devrait être rejetée.

104        Dans l’éventualité où la Commission déterminait que la plainte est fondée, l’employeur avance qu’aucun dommage ne devrait être accordé. Le paragraphe 192(1) a) de la Loi indique que :

[…] la Commission, peut par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances et, notamment : a) en cas de contravention par l’employeur à l’article 107 ou au paragraphe 125(1), lui enjoindre de payer à un fonctionnaire donné une indemnité équivalent au plus, à son avis, à la rémunération qui aurait été payée par l’employeur au fonctionnaire s’il n’y avait pas eu contravention; […]

105        Les traducteurs parlementaires n’ont subi aucune perte. Leur paie est demeurée la même et ils ont tous reçu le supplément. Ils ont trois mois de congés par année. L’employeur ne devrait pas être tenu de payer des dommages pour avoir essayé de faire respecter la convention collective. L’employeur n’agissait pas de mauvaise foi en changeant l’horaire des TR durant la période d’intersession et cette mesure ne peut être considérée comme des représailles.

106        La décision de mettre fin à une pratique qui ne respecte pas la convention collective n’est pas une violation de l’article 107 de la Loi. La plainte devrait être rejetée parce que l’employeur avait le droit de modifier les horaires de travail avant la signification de l’avis de négocier, et ce droit existait encore en juin 2015 lorsque les horaires de travail ont été modifiés. Seulement deux traducteurs parlementaires ont présenté des témoignages relativement aux préjudices subis. À part ces deux employés, il n’y a aucune preuve à l’appui des préjudices que ce changement aurait pu occasionner.

C. Réplique de la plaignante

107        Le gel prévu par la Loi s’applique aux droits de gestion et bénéficie de la même protection prévue par la Loi. Dans la détermination d’une violation des conditions d’emploi en période de gel, il faut examiner la pratique. Les cas où les plaintes ont été rejetées sont ceux où la pratique elle-même permettait le changement ou lorsqu’il n’y avait pas de pratique constante.

108        Dans les circonstances de cette plainte, l’employeur a fait des changements à l’horaire. Ceci n’est pas contesté. Toutefois, même s’il y a eu des changements à l’horaire, l’employeur donnait le choix aux traducteurs parlementaires de travailler le jour.

109        La question consiste à déterminer en quoi consistait la pratique?

110        L’employeur a allégué que la pratique avait changé en 2011. La plaignante avance qu’il n’y a pas eu de changement de pratique, mais que la pratique a été modifiée. Cette pratique de permettre aux traducteurs parlementaires d’effectuer un choix de plage horaire existe depuis au moins 2012.  La durée de la pratique n’est pas pertinente pour déterminer si elle a été enfreinte. Même si on accepte que la pratique a été changée en 2011 ou en 2012, il faut examiner celle qui était en vigueur à partir de ce moment-là, jusqu’en mars 2014.

111        Pour ce qui est de la mesure de redressement, l’alinéa 192(1)a) prévoit que la Commission peut enjoindre un employeur de payer une indemnité. Ce pouvoir est beaucoup plus large. Le libellé inclut le terme « notamment », lequel précise que ce qui est prévu n’est pas exhaustif. La Commission a le pouvoir d’ordonner toute mesure de redressement approprié dans les circonstances.

112        La modification de l’horaire par l’employeur était en réponse directe à la lettre envoyée par l’ACEP pour faire valoir les droits de ses membres. Il n’est pas nécessaire de démontrer la mauvaise foi de la part de l’employeur pour déterminer qu’il y a eu représailles.

D. Question en litige

113        La principale question consiste à déterminer si la pratique d’accorder le choix aux traducteurs parlementaires de travailler le jour pendant la période d’intersession tout en bénéficiant du supplément de rémunération, et ce, dans le cadre de la poursuite des activités normales entre l’employeur et l’ACEP, existait avant le gel.

114        La deuxième question consiste à déterminer si le changement imposé unilatéralement par l’employeur constituait une mesure de représailles envers les traducteurs parlementaires, par suite de la lettre de l’ACEP en date du 24 juin 2015.

115        Si la Commission détermine que la plainte est fondée, est-ce qu’elle peut ordonner une mesure de redressement autre qu’une indemnité compensatoire?

IV. Motifs

A. L’objet de l’article 107

116        L’article 107 de la Loi prévoit ce qui suit :

107 Une fois l’avis de négociation collective donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve de l’article 132, les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou : a) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue ; b) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

[Je souligne]

117        Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 46, et dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 19, les formations de l’ancienne et de la nouvelle Commission, respectivement, ont retenus les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Conseil du Trésor) c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1982] 2 C.F. 80 (C.A.), dans la détermination de l’ampleur de la protection prévue à l’article 107 de la Loi.

118        Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale renvoie à l’article 51 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. 1970, ch. P-35). Cette disposition constitue essentiellement la même disposition sur le gel prévu par cette loi que celle prévue par l’article 107 de la LRTFP. L’article 51 prévoyait :

[…]

51. Si un avis de négocier collectivement a été donné, toute condition d’emploi applicable aux employés de l’unité de négociation pour laquelle l'avis a été donné, qui peut être incluse dans une convention collective et qui était en vigueur le jour où l’avis a été donné, doit rester en vigueur et être observée par l'employeur, l'agent négociateur de l’unité de négociation et les employés de celle-ci, à moins qu'il n'en soit autrement disposé par une convention à ce sujet que peuvent conclure l'employeur et l'agent négociateur, […]

 

[Je souligne]

119        Dans cette affaire, il fallait déterminer s’il y avait, avant la période de gel prévu par la loi et dans le cadre de la poursuite des activités normales entre l’employeur et le syndicat, une pratique de permettre aux employés de refuser de faire des heures supplémentaires. Bien que la convention collective prévoyait le contraire, la Cour a statué qu’une telle pratique existait et que celle-ci pouvait faire l’objet d’une clause dans la convention collective. La Cour a défini l’étendue de cette protection comme suit :

[Traduction]

[…]L’article 51 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique vise à maintenir le statu quo pour ce qui est des conditions d’emploi pendant que les parties entreprennent la négociation d’une convention. Il s’agit là d’une version particulière d’une disposition qu’on trouve généralement dans la législation ouvrière, destinée à promouvoir une négociation collective ordonnée et équitable. Il faut qu’il y ait un cadre de référence constant et stable servant de point de départ pour la négociation. Il ne faut donc pas donner de cette disposition une interprétation rigide qui lui ferait échec.

L’article 51 porte sur « toute condition d’emploi applicable aux employés de l’unité de négociation » à une période donnée. Cette condition doit être celle qui peut être incluse dans une convention collective, et non pas nécessairement celle qui y est déjà incluse.Elle doit être « en vigueur » à la date de l’avis de l’intention de négocier collectivement. […]

[Je souligne]

120        Le droit des employés de refuser de travailler des heures supplémentaires était en vigueur au déclenchement du gel imposé par l’article 51 et ce droit pouvait figurer dans une convention collective. La Cour a statué, que « l’un des éléments des rapports employeur-employé existant à la veille de l’avis, quoique non inclus dans la convention collective, était la convention entre les parties selon laquelle le droit de l’employeur d’imposer les heures supplémentaires dans les limites fixées par la convention collective avait été modifié de façon à permettre aux employés de les refuser ».

121        Dans Air Canada (Re) (1977), 24 di 203, la Canadian Air Line Pilots Association s’était plainte qu’Air Canada, l’employeur, avait modifié unilatéralement les conditions d’emploi lorsqu’il a mis fin aux droits des pilotes de voyager en première classe lorsqu’ils effectuent une mise en place ou qu’ils retournent chez eux après un vol. L’article 148b) du Code canadien du travail à l’époque était libellé comme suit :

148. Lorsqu’une mise en demeure de négocier collectivement a été adressée en vertu de la présente Partie,

b) l’employeur ne doit pas modifier l’échelle des salaires, ni aucune condition d'emploi, ni aucun droit ou privilège des employés de l’unité de négociation ni aucun droit ou privilège de l’agent négociateur, tant que les conditions des alinéas 180(1)a) à 180(1)d) n'ont pas été remplies, à moins que l’agent négociateur ne consente à la modification d’une telle condition ou d’un tel droit ou privilège.

[Je souligne]

122        Le Conseil canadien des relations du travail du Canada a convenu que la disposition sur le gel prévu par la loi, soit l’alinéa 148b) à cette époque, avait été violée et elle a énoncé l’objectif de la disposition comme suit, à la page 213 :

[Traduction]

[…]Cette restriction est imposée à l’employeur parce que le Parlement est conscient que c’est ce dernier qui, dans le cours normal des choses, est en mesure d’influencer le déroulement des événements à la table de négociation en prenant des décisions touchant l’exploitation de son entreprise sans au préalable consulter le syndicat. […]

[Je souligne]

123        Dans cette affaire, la Commission des relations du travail du Canada a statué que l’objet de l’alinéa 148b) est [traduction] « […] de protéger les droits exclusifs de l’agent négociateur susceptibles d’être compromis par une initiative unilatérale de l’employeur, et susciter un esprit de collaboration lors des négociations collectives et en vue du règlement positif des différends […]». Ceci correspond à l’exigence mentionnée à l’alinéa 148b) portant que l’employeur ne peut apporter des modifications « qu’avec le consentement de l’agent négociateur ».

124        Elle a déterminé [traduction] « qu’en prenant de telles décisions et en agissant de façon unilatérale, l’employeur peut miner le pouvoir de l’agent négociateur représentant les employés, empoisonner l’atmosphère dans laquelle se déroulent les négociations collectives et par la même occasion, déclencher un conflit de travail légal ou illégal » qui aurait pu autrement être évité. Selon celle-ci, « ces initiatives unilatérales sont contraires à l’esprit de collaboration auquel la Partie V du Code canadien du travail fait allusion et que le législateur a cherché à promouvoir ».

125        Selon la Commission des relations du travail du Canada :

                    [Traduction]

[…] ce consentement exige de l’employeur qu’il reconnaisse les prérogatives et le rôle de l’agent négociateur et nécessite des contacts suivis entre l’employeur et l’agent négociateur susceptibles de favoriser une solution mutuellement acceptable protégeant les intérêts de chaque partie.

126        Selon la Loi et la jurisprudence, l’objectif d’un gel statutaire est de veiller à ce que les parties soient sur un pied d’égalité tout au long des négociations, en empêchant la position de l’employeur d’être imposée unilatéralement sur les conditions à négocier et de miner les droits exclusifs de représentation de l’agent négociateur. Le but est d’assurer la paix dans les relations de travail. C’est la relation entre les employés et l’employeur, tel qu’elle existait au moment de l’avis de négocier, qui est protégée dans son ensemble. Cette protection dure jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou, jusqu’à ce qu’une décision arbitrale soit rendue ou qu’une grève légale puisse être déclarée ou autorisée.

B. La pratique

127        Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 46, la formation de l’ancienne Commission a adopté l’approche de la poursuite des activités normales dans la détermination d’une violation à l’article 107 de la Loi. La décision faisant autorité pour l’approche de la poursuite des activités normales est Spar Aerospace Products Ltd,[1979] 1 Can. LRBR 61, une décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario, dans laquelle elle a déclaré que l’intention du gel prescrit par la loi était de poursuivre les habitudes antérieures de la relation d’emploi dans son ensemble. Cette commission a affirmé :

[Traduction]

[…] L’approche de la poursuite des activités normales ne signifie pas qu’un employeur ne peut continuer de gérer ses activités. Elle signifie simplement qu’un employeur doit continuer de gérer ses activités en poursuivant les habitudes établies avant les circonstances ayant mené au gel, ce qui donne un point de départ clair pour la négociation et élimine l’effet de « douche froide » qu’un retrait d’avantages inattendus aurait sur la représentation des employés par un syndicat. […]

[Je souligne]

128        Dans cette affaire, l’ancienne Commission a adopté une approche libérale et a déterminé que c’est l’ensemble de la relation entre l’agent négociateur et l’employeur qui est protégée par l’article 107 de la Loi. La détermination de la pratique doit se faire en fonction de la politique opérationnelle de l’employeur dans le cadre des « activités normales », c’est-à-dire que l’ensemble des habitudes antérieures dans le cadre de la relation d’emploi entre l’employeur et l’agent négociateur doit être maintenue.

129        Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 19, la nouvelle Commission a statué que ce critère ne serait pas contredit par le critère relatif aux « attentes raisonnables » décrit dans la jurisprudence, selon lequel les employés s’attendraient à ce que l’employeur poursuive ses pratiques normales pendant la période de gel prévu par la loi. L’approche de la poursuite des activités normales n’est pas exclusive à l’approche de l’attente raisonnable. La poursuite des activités normales de l’employeur dans la détermination des heures de travail inclut les attentes des traducteurs parlementaires.

130        Une fois l’avis de négocier signifié par l’une des parties, le gel imposé par l’article 107 de la Loi exige que les parties respectent chaque condition d’emploi s’appliquant aux fonctionnaires de l’unité de négociation visés par l’avis et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été signifié. Cette condition doit être celle qui peut être incluse dans une convention collective, et non pas nécessairement celle qui y est déjà incluse.

131        Dans les circonstances de cette plainte, l’avis de négocier a été signifié par l’employeur le 7 mars 2014. Les négociations se poursuivent depuis. Les critères préliminaires de l’article 107 de la Loi sont donc remplis. Il s’agit maintenant de déterminer quelle était la pratique de l’employeur et quelles étaient les attentes des traducteurs parlementaires dans la détermination des quarts de travail pendant la période d’intersession au moment où l’avis de négocier a été signifié.

132        La preuve est claire et non contestée. M. Lamoureux a affirmé que, au moment où l’avis de négocier a été signifié, la DTP accordait le choix aux traducteurs parlementaires de travailler le jour pendant la période d’intersession tout en bénéficiant du supplément de rémunération. Depuis 2011, la preuve a démontré que les traducteurs parlementaires avaient le choix entre trois plages horaires pendant la période d’intersession, soit de 10 h à 18 h, de 13 h à 21 h ou de 16 h à minuit. Bien que les plages horaires soient déterminées par la DTP, le choix appartenait aux traducteurs parlementaires. Ainsi, ils bénéficiaient d’un horaire fixe déterminé par l’employeur, selon leur choix, le jour ou le soir, tout en préservant le supplément de rémunération. Ils bénéficiaient du supplément même lorsqu’ils étaient en congé.

133        Cette pratique existait au moment où l’avis de négocier a été signifié. Celle-ci est protégée par la Loi car elle pouvait faire l’objet d’une clause prévue dans une convention collective. Il n’y a aucune disposition législative, soit dans la Loi ou la Loi sur la gestion des finances publiques qui prévoient l’exclusion de ce type de clause d’une convention collective.

134        La Loi et la jurisprudence sont sans équivoque. Le fait que cette pratique ne soit pas incluse dans une clause prévue à la convention collective n’est pas pertinent. Au moment de la signification de l’avis de négocier, le 7 mars 2014, il existait une condition d’emploi qui était en vigueur et qui pouvait figurer dans une convention collective.

135        En effet, un tel argument contredit complètement la Loi et la jurisprudence qui prévoient la préservation de la relation entre l’employeur et les employés dans la poursuite des activités normales, même si celle-ci contredit la convention collective. Plusieurs décisions jurisprudentielles dont Canada (Conseil du Trésor) c. l’Association canadienne du contrôle du trafic aérien, ont reconnu ce principe.

136        L’argument de l’employeur selon lequel il avait le droit de modifier les heures de travail en vertu des principes énoncés dans la Loi sur la gestion des finances publiques, et que ce pouvoir se poursuivait durant la période de gel, ne peut être retenu pour justifier sa décision de forcer les traducteurs parlementaires à travailler le soir afin de bénéficier du supplément de rémunération.

137        Accepter cet argument viderait la protection accordée à l’article 107 de la Loi de son sens et pourrait mener à une interprétation absurde de la Loi. Cela voudrait donc dire qu’il ne pourrait jamais y avoir de violation au gel prévu par la Loi de par l’existence même des pouvoirs résiduels de l’employeur. Tel qu’il a été établi par la jurisprudence, ce n’était pas l’intention du législateur. Cette protection a pour but d’assurer une négociation ordonnée entre les parties, une négociation d’égal à égal et des relations de travail paisibles pendant la période de gel statutaire. Une telle interprétation permettrait à l’employeur de prendre des actions qui pourraient déséquilibrer cette relation et, par conséquent, violer ce que l’article 107 cherche à protéger.

138        L’employeur se fonde sur les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) c. Canada (Conseil du Trésor) (C.A.F.) [1983] A.C.F. no 700 (CAF). Dans cette affaire, la Cour a déterminé que l’objet de l’article 51 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, (S.R.C. 1970, c. P-35), était de maintenir l’application de la convention collective qui existe entre les parties.

139        Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a, sans justifier sa conclusion, déterminé que c’est le maintien de la convention collective qui est protégé par le gel statutaire. Elle ignore sa propre conclusion dans Canada (Conseil du Trésor) c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, voulant que l’objectif manifeste de l’article 51 était de maintenir les rapports employeur-employés pour ce qui est des conditions d’emploi.

140        De plus, je conclus que les faits de cette décision diffèrent considérablement des circonstances de la présente plainte. Dans Alliance de la Fonction publique du Canada, le litige portait sur l’horaire de postes des pompiers de l’aéroport de Thunder Bay. Le 3 novembre 1981, l’Alliance a signifié son avis de négocier. À cette époque, les pompiers avaient un horaire de postes de 16 heures. L’employeur les avait toutefois informés par avis en date du 29 octobre 1981, qu’à partir du 10 novembre 1981, cet horaire de postes serait remplacé par un horaire de postes de 9 heures.

141        L’article 22.05 de la convention collective prévoyait l’obligation de l’employeur de consulter l’Alliance et de justifier la modification qui avait été faite dans les circonstances. La Cour a déterminé qu’il n’y avait rien dans l’article 51 de la Loi qui avait pour effet d’invalider une convention expresse conclue entre les parties pour établir une telle modification. Par conséquent, elle a rejeté l’argument de l’Alliance que l’interprétation et l’application de la Commission de l’article 22.05 étaient contraires à l’esprit de l’article 51 parce qu’elle permettait une modification d’une condition d’emploi après la signification de l’avis de négocier.

142        La décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Conseil du Trésor) c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, est mieux motivée, reflète l’objet de la disposition et concorde mieux avec le libellé exprès de l’article 107 de la Loi qui fait référence à « chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné » et non la « convention collective ». De plus, cette décision a été adoptée par cette Commission et son prédécesseur, et se rapproche plus des principes soutenus dans Spar Aerospace et de l’approche de la poursuite des activités normales.

143        L’argument de l’employeur voulant que la décision de mettre fin à une pratique qui ne respecte pas la convention collective ne constitue pas une atteinte à l’article 107 de la Loi, au motif que l’employeur s’est non seulement acquitté de répartir les ressources humaines de façon efficace mais qu’il a également appliqué, à juste titre, la convention collective pertinente, ne peut pas non plus être retenu.

144        La Cour a statué qu’il ne faisait aucun doute qu’une politique ou une pratique, tant qu’elle subsistait, constituait ou devenait une condition d’emploi. Au moment de l’avis de l’intention de négocier, le 7 mars 2014, il n’y a pas eu révocation et cette pratique d’accorder le choix de plages horaire aux traducteurs parlementaires était en vigueur à l’époque.

145        Dans Canada (Conseil du Trésor) c. l’Association canadienne du contrôle du trafic aérien, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’une condition d’emploi pouvait prendre la forme d’une entente ou de l’exercice unilatéral du pouvoir de gestion après consultation. Même si la convention collective prévoyait autrement, les parties dans cette décision ont adopté une ligne de conduite selon laquelle les heures supplémentaires n’étaient pas obligatoires pour les contrôleurs de la circulation aérienne travaillant au Centre de contrôle de Montréal. Cette ligne de conduite existait au moment où l’avis de négocier a été signifié et elle pouvait faire partie de la convention collective. Par conséquent, la Cour a déterminé que c’était une condition d’emploi protégée par le gel statutaire.

C. Violation du gel prévu par la loi

146        La preuve a démontré que l’employeur a unilatéralement changé la pratique d’accorder le choix aux traducteurs parlementaires de travailler le jour ou le soir tout en préservant le supplément de rémunération. Le 5 juin 2015, M. Lamoureux a annoncé, lors d’une réunion du comité de consultation patronale-syndicale, que le supplément accordé aux traducteurs parlementaires ne serait plus accordé s’ils décidaient de changer leur horaire de soir pour travailler le jour pendant la période d’intercession.

147        M. Lamoureux a mis ce changement en place parce qu’il trouvait injuste que les traducteurs parlementaires puissent bénéficier d’un supplément lorsqu’ils travaillaient le jour. Lui-même ainsi que d’autres traducteurs travaillaient le jour et ne recevaient pas de supplément. Il ressort du témoignage de M. Lamoureux qu’il confond le supplément de rémunération et la prime de soir. Or, il n’y a aucune mention de prime de soir dans la convention collective. Je conclus que le supplément de rémunération diffère d’une prime de soir. Si les parties à la convention collective avaient l’intention de qualifier le supplément de rémunération de prime de soir, ils auraient inclus ce langage dans la convention collective.

D. Mesures de représailles

148        Le 17 juin 2015, M. Lamoureux a annoncé officiellement que le supplément ne serait plus accordé aux traducteurs parlementaires qui décidaient de travailler le jour. L’ACEP a communiqué avec la Direction de la DTP lorsqu’elle a pris connaissance du changement. Elle a indiqué à l’employeur que cette mesure unilatérale constituait une violation du gel prévu par la Loi. Elle a demandé à l’employeur de révoquer cette modification et de rétablir la pratique du paiement du supplément de rémunération pour les quarts de travail effectué le jour.

149        En réponse à cette lettre, M. Lamoureux a fait valoir que le changement avait pour but d’offrir un choix aux traducteurs parlementaires, soit : travailler le jour sans supplément, ou travailler le soir avec le supplément. Il a souligné que le syndicat avait refusé et que, par conséquent,  il avait remis l’horaire du soir. Ainsi, le 24 juin 2015, il a décidé que, désormais, les traducteurs parlementaires n’auraient plus le droit de changer leur horaire de soir pour travailler le jour pendant la période d’intersession.

150        J’accepte l’argument de l’employeur qu’il n’agissait pas de mauvaise foi en changeant l’horaire des TR durant la période d’intersession. Je conclus que cette mesure ne peut être considérée comme des représailles. Toutefois, je conclus qu’il s’agissait de l’entêtement de la part de l’employeur. Cette pratique de « prêté pour un rendu » n’a pas de place en relations de travail, surtout en période de gel prévu par la Loi. Ce genre de conduite de la part de l’employeur en période de négociation collective n’est pas propice à de bonnes relations de travail et peut sérieusement entraver les négociations qui perdurent déjà depuis longtemps.

151        L’argument de l’employeur selon lequel le changement du 24 juin 2015 a été instauré en réponse à des besoins opérationnels est sans importance dans la détermination d’une violation au gel prévu par la Loi. La Loi prévoit une obligation de consultation. De plus, la preuve n’appuie pas du tout cette prétention. Mme Hamel, Mme Beaulieu et M. Lamoureux ont tous souligné que, lors de la mise en application du changement, il y avait des périodes creuses en soirée en raison de la période électorale. En toute absence de preuve du contraire, je ne suis donc pas convaincue qu’il y avait réellement des besoins opérationnels.

E. Impact sur les traducteurs parlementaires

152        Mme Hamel et Mme Beaulieu ont souligné que ce changement avait eu un impact important sur leur vie personnelle respective et qu’elles avaient été surprises par le changement. Les deux ont mentionné qu’elles aimaient leur emploi. Toutefois, l’impact que ce changement a eu sur leur vie personnelle a fait en sorte qu’elles n’envisageaient pas de continuer à travailler pour la DTP sous de telles conditions. Depuis plus d’un an, elles ne voient plus leurs familles ni leurs amis et souffrent de perte de sommeil. L’impact n’est pas négligeable.

F. Mesures de redressements

153        Selon l’ACEP, la Commission possède un vaste pouvoir, en vertu de l’alinéa 192(1)a) de la Loi,d’enjoindre un employeur à payer une indemnité pour la perte subie. Le libellé inclut le terme « notamment »,  qui précise que ce qui est prévu n’est pas exhaustif. Les traducteurs parlementaires ont perdu la jouissance de leur vie de famille et sociale ainsi qu’une perte de sommeil. La perte est non économique. La Commission a le pouvoir d’ordonner toute mesure de redressement appropriée dans les circonstances, dont un congé en plus des congés parlementaires prévus à la convention collective.

154        L’employeur a soumis que les mesures de redressement prévues à l’alinéa 192(1)a) de la Loi devaient être interprétées restrictivement. La Loi prévoit « […] une indemnité équivalant au plus, à son avis, à la rémunération qui aurait été payée par l’employeur au fonctionnaire s’il n’y avait pas eu contravention » [je souligne]. Malgré le changement d’horaire, les traducteurs parlementaires n’ont subi aucune perte. Selon lui, aucun dommage ne devrait être accordé puisque tous les traducteurs parlementaires ont été rémunérés, ils ont reçu le supplément ainsi que les congés parlementaires, conformément à la convention collective.

155        L’alinéa 192(1)a) de la Loi prévoit ce qui suit :

Ordonnances de la Commission

192 (1) si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances et, notamment :

a) en cas de contravention par l’employeur à l’article 107 ou au paragraphe 125(1), lui enjoindre de payer à un fonctionnaire donné une indemnité équivalant au plus, à son avis, à la rémunération qui aurait été payée par l’employeur au fonctionnaire s’il n’y avait pas eu contravention; […]

[Je souligne]

156        Le libellé de la Loi est clair. La Commission a le pouvoir d’ordonner toute mesure de redressementqu’elle estime appropriée dans les circonstances. Elle peut notamment ordonner le paiement d’une indemnité équivalant à la rémunération qui aurait été payée par l’employeur au fonctionnaire s’il n’y avait pas eu contravention. Ce pouvoir est large et non restreint au paiement d’une indemnité pour une perte pécuniaire.

G. Perte

157        La preuve a démontré que les traducteurs parlementaires ont subi des préjudices qui ont eu des répercussions importantes sur leurs vies privées. Aucune preuve directe de perte pécuniaire n’a été présentée. La perte est intangible, non économique. Ils ont perdu la jouissance de leurs vies de famille et sociale. La preuve a démontré que l’impact n’était pas négligeable. Cette perte est liée au fait d’avoir perdu l’opportunité d’effectuer leurs quarts de travail le jour pendant la période d’intersession.

158        Les préjudices associés au travail de soir sont irréparables, car il s’agit d’une perte non économique. Une compensation pécuniaire peut aider à rectifier : une vie dérangée; une perte de vie sociale et familiale; une perte de sommeil; mais constitue un pauvre substitut. La demande de l’ACEP d’accorder un congé payé de plus aux traducteurs parlementaires qui avaient l’habitude d’effectuer leurs quarts de travail le jour en période d’intersession tout en bénéficiant du supplément est accordée.

159        L’employeur n’a pas présenté d’argument en réponse à la demande de l’ACEP d’accorder un congé payé de plus. L’employeur a tout simplement fait valoir que la Commission n’avait pas compétence pour accorder cette mesure de redressement en vertu de l’article 192(1) de Loi et que les traducteurs parlementaires n’avaient subi aucune perte.   

160        Un congé payé est la mesure de redressement la plus appropriée dans les circonstances. Une déclaration disant que le changement unilatéral imposé par l’employeur est déclaré nul et non avenu n'est pas une mesure de redressement adéquate pour compenser la perte subite par les traducteurs parlementaires. S’il n’y avait pas eu violation, les traducteurs parlementaires auraient eu un choix entre trois plages horaires, dont une le jour, de 10 h à 18 h, et une l’après-midi, de 13 h à 21 h. Ils auraient eu l’opportunité de se reposer, de jouir de leur vie familiale et sociale pendant les périodes d’intersession, tout en bénéficiant du supplément.

161        L’ACEP n’a pas présenté de preuve quant aux nombres de traducteurs parlementaires qui auraient choisi l’horaire de jour. La mesure appropriée pour faire cette détermination est d’examiner le nombre de traducteurs parlementaires qui travaillait l’horaire de jour au moment où l’avis de négocier fut signifié, le 7 mars 2014, et la date du changement imposé par l’employeur, le 24 juin 2015.

162        La formule appropriée pour déterminer le nombre de congé payé sera comme suit : pour les traducteurs parlementaires qui travaillaient l’horaire de 10 h à 18 h, une heure de congé payé pour chaque heure de travail effectuée après 18 heures; pour ceux qui travaillaient l’horaire de 13 h à 21 h, une heure de congé payé pour chaque heure travaillée après 21 h. Ce congé doit être accordé depuis la date du changement imposé par l’employeur, soit le 24 juin 2015, jusqu’à la date de cette décision. Ce congé s’ajoute aux congés parlementaires prévus à la convention collective et doit être utilisé en conformité avec celle-ci, de façon à ne pas déranger les opérations de l’employeur.

V. Conclusion

163        Pour toutes ces raisons, je conclus qu’il y a eu violation des articles 190 et 107 de la Loi. La preuve est sans équivoque. L’employeur a unilatéralement changé les conditions de travail des traducteurs parlementaires après que l’avis de négociation a été signifié lorsqu’il a mis en œuvre l’horaire de soir obligatoire pendant la période d’intersession. Pendant plusieurs années, la DTP accordait le choix aux Traducteurs parlementaires de travailler le jour pendant la période d’intersession tout en préservant le supplément de rémunération. Cette pratique pouvait faire l’objet d’une clause dans une convention collective. La Loi prévoit l’obligation de l’employeur de consulter l’agent négociateur pour tous changements lors des négociations. Toutefois, il a choisi de ne pas le faire. En l’absence de preuve de mauvaise foi, je conclue que ce changement unilatéral ne constituait pas une mesure de représailles directe en réponse à la lettre de l’ACEP demandant la révocation de ce changement.  

164        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

165        La plainte est accueillie.

166        La Commission déclare que l’employeur a contrevenu aux articles 107 et 190 de la Loi.

167        La Commission ordonne la révocation de la décision de l’employeur de ne plus permettre aux traducteurs parlementaires le choix d’effectuer leurs quarts de travail pendant le jour pendant la période d’intersession tout en bénéficiant du supplément de rémunération.

168        Le changement imposé le 24 juin, 2015 est déclaré nul et non avenu jusqu’à ce que les négociations soient terminées. Pour plus de clarté, les négociations sont terminées lorsqu’une nouvelle convention collective a été conclue entre les parties, lorsqu’une décision arbitrale a été rendue ou lorsqu’une grève peut être déclarée ou autorisée sans contrevenir au paragraphe 194(1) de la Loi.

169        La Commission ordonne à l’employeur d’accorder une heure de congé payé pour chaque heure travaillée après 18 h pendant la période d’intersession pour les traducteurs qui travaillaient l’horaire de 10 h à 18 h.

170        La Commission ordonne à l’employeur d’accorder une heure de congé payé pour chaque heure travaillée après 21 h pendant la période d’intersession pour les traducteurs qui travaillaient l’horaire de 13 h à 21 h.

171        Les traducteurs parlementaires couverts sont ceux qui effectuaient les horaires de 10 h à 18 h ou 13 h à 21 h entre la date de l’avis de négocier, le 7 mars 2014, et la date du changement, le 24 juin 2015. Ce congé s’ajoute aux congés parlementaires prévus à la convention collective et doivent être utilisé en conformité avec les dispositions applicable de façon à ne pas déranger les opérations de l’employeur.

172        La Commission ordonne à l’employeur d’afficher cette décision dans un lieu bien en vue dans tous les lieux de travail des employés de l’unité de négociation.

173        La Commission ordonne à l’employeur d’envoyer une copie électronique de la décision à tous les membres de l’unité de négociation au plus tard, dans les quatre semaines qui suivent la date de cette décision.

174        La formation de la Commission demeure saisie de cette décision pour une période de 90 jours advenant des difficultés dans sa mise en application.

Le 26 juillet 2016.

Chantal Homier-Nehmé,
une formation de la Commission des relations de travail
et de l'emploi dans la fonction publique
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