Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé une plainte contre l’employeur alléguant qu’il s’était livré à une pratique déloyale de travail en refusant d’accorder un accès à ses locaux aux représentants de l’agent négociateur aux fins de visites et de tenues de réunions sur place en dehors des heures de travail – dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 58, on a conclu qu’un refus d’accès similaire violait l’al. 186(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique – la Commission n’était pas convaincue qu’elle devait tirer une conclusion différente dans ce cas – les mesures de l’employeur ont nui à l’administration par l’agent négociateur de son organisation et à sa représentation des employés membres de l’unité de négociation – trois autres décisions sur lesquelles le défendeur s’est appuyé dans ses arguments tiraient une conclusion différente, et la Commission a conclu qu’elle n’était pas liée par celles-ci – en conséquence, elle a déclaré que le refus de l’accès constituait une violation de l’al. 186(1)a) et a ordonné à l’employeur de cesser de refuser l’accès en l’absence de motifs opérationnels convaincants et justifiables selon lesquels un tel accès pourrait miner ses intérêts légitimes liés au travail.Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et Loi sur les relations
de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20160914
  • Dossier:  561-02-739
  • Référence:  2016 CRTEFP 85

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR

défendeur

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor


Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
Stephan J. Bertrand, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour la plaignante:
Amanda Montague-Reinholdt, avocate
Pour le défendeur:
Richard E. Fader, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 9 au 11 septembre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1                  Le 3 février 2015, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « plaignante », l’« agent négociateur » ou l’« AFPC ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») contre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») en vertu de l’al. 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Dans sa plainte, l’agent négociateur allègue que l’employeur s’est livré à une pratique déloyale de travail, en violation des articles 106 et 185 de la Loi.

2                  À l’audience, l’agent négociateur a retiré l’allégation selon laquelle l’art. 106 avait été violé et a procédé uniquement selon ses allégations concernant l’art. 185. Plus particulièrement, il allègue que l’employeur a contrevenu à l’al. 186(1)a) lorsqu’il a refusé d’accorder aux représentants de son équipe de négociation un accès à plusieurs lieux de travail de l’employeur en vue d’observer le milieu de travail et les conditions de travail et de rencontrer les membres des unités de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration (le « groupe PA »), du groupe Services de l’exploitation (le « groupe SV ») et du groupe Services techniques (le « groupe TC »). La plaignante est l’agent négociateur accrédité des employés qui travaillent dans plusieurs ministères de l’employeur qui sont membres de ces trois unités de négociation.

3        L’alinéa 186(1)a) prévoit ce qui suit :

186 (1) Il est interdit à l’employeur et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, qu’il agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci;

4                  L’agent négociateur avait déposé une plainte semblable le 2 février 2011 que j’ai entendu les 21 et 22 novembre 2011. Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 58 (« AFPC no 1 »), j’ai accueilli la plainte et déclaré que le refus de l’employeur d’accorder à un représentant de l’agent négociateur un accès à ses locaux afin de rencontrer les employés membres de l’unité de négociation en dehors des heures de travail pour discuter de questions liées à la négociation collective violait l’alinéa 186(1)a) de la Loi. J’ai ordonné en outre au Conseil du Trésor de cesser de refuser un tel accès en l’absence de motifs opérationnels convaincants et justifiables. Cette décision, en date du 11 mai 2012, n’a pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire.

5                  Dans sa réponse initiale à la plainte, en date du 16 mars 2015, l’employeur n’a fait renvoi à aucune des conclusions formulées dans la décision AFPC no 1. Au contraire, il a réfuté les allégations de l’agent négociateur et a affirmé que l’accès à ses locaux avait été abordé conformément aux conventions collectives applicables et a cité particulièrement l’article 12 de la convention conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada relativement au groupe Services des programmes et de l’administration qui est arrivée à échéance le 20 juin 2014 (la convention collective du groupe PA). Cette disposition prévoit ce qui suit :

Article 12

Utilisation des locaux de l’employeur 12.01 Un espace raisonnable sur les tableaux d’affichage, dans des endroits accessibles, y compris les babillards électroniques s’ils sont disponibles, est mis à la disposition de l’Alliance pour y apposer des avis officiels de l’Alliance. L’Alliance s’efforcera d’éviter de présenter des demandes d’affichage d’avis que l’Employeur pourrait raisonnablement considérer comme préjudiciables à ses intérêts ou à ceux de ses représentants. L’Employeur doit donner son approbation avant l’affichage d’avis ou d’autres communications, à l’exception des avis concernant les affaires syndicales de l’Alliance, y compris des listes des représentants de l’Alliance et des annonces d’activités sociales et récréatives. Cette approbation ne doit pas être refusée sans motif valable. 12.02 L’Employeur maintient aussi la pratique actuelle consistant à mettre à la disposition de l’Alliance, dans ses locaux et, lorsque c’est pratique, sur les navires, des endroits précis pour y placer des quantités raisonnables de documents de l’Alliance.

12.03 Il peut être permis à un représentant dûment accrédité de l’Alliance de se rendre dans les locaux de l’Employeur, y compris les navires, pour aider à régler une plainte ou un grief, ou pour assister à une réunion convoquée par la direction. Le représentant doit, chaque fois, obtenir de l’Employeur la permission de pénétrer dans ses locaux. Dans le cas des navires, lorsque le représentant de l’Alliance monte à bord, il doit se présenter au capitaine, lui faire part de l’objet de sa visite et lui demander l’autorisation de vaquer à ses affaires. Il est convenu que ces visites n’entraveront pas le départ et le fonctionnement normal des navires.

12.04 L’Alliance fournit à l’Employeur une liste des noms de ses représentants et l’avise dans les meilleurs délais de toute modification apportée à cette liste.

6                  Même si la plainte renvoie à plusieurs incidents concernant huit différents ministères, à l’audience, les parties ont convenu de mettre l’accent uniquement sur les incidents concernant trois ministères. Ces incidents consistaient en ce qui suit :

  1. une demande de tenir une réunion sur place et de visiter l’installation d’Anciens combattants située à Billings Bridge à Ottawa, en Ontario, le 5 novembre 2014;
  2. une demande de visiter les lieux et de tenir une réunion sur place aux bureaux de Santé Canada situés au Complexe Guy-Favreau à Montréal, au Québec, le 25 novembre 2014;
  3. des demandes de tenir des réunions sur place et de visiter la Base Borden du ministère de la Défense nationale (MDN) le 11 décembre 2014, à Borden, en Ontario et l’Agence de logement des Forces canadiennes située sur la promenade Thurston, à Ottawa, le 6 janvier 2015.

7        Selon la plaignante, le défaut de l’employeur d’examiner et d’établir un équilibre équitable entre ses intérêts et les intérêts légitimes de la plaignante lorsqu’il a refusé les demandes de tenir des réunions sur place et de visiter ces lieux de travail a nui à la capacité de la plaignante de représenter ses membres dans le cadre des négociations et violait l’al. 186(1)a) de la Loi. Pour les motifs indiqués ci-dessous, je conclus que l’employeur s’est livré à une pratique déloyale de travail lorsqu’il a refusé aux représentants de l’agent négociateur un accès à ces lieux de travail.

II. Résumé de la preuve

8        La plaignante a appelé deux témoins, soit Gail Lem et Toni Mathews. L’employeur a appelé trois témoins, soit Louis Germain, Anina De Rico et Mary Sebastian.

A. Mme Lem

9        Mme Lem est négociatrice auprès de la plaignante depuis 2006. Avant cette date, elle a agi en la même qualité pendant 10 ans auprès d’un autre agent négociateur. Elle n’est pas une fonctionnaire et une cote de sécurité ne lui a jamais été accordée. Elle a indiqué qu’à titre de principale porte-parole à la table de négociation, il était impératif qu’elle obtienne les commentaires des membres des unités de négociation qu’elle représente, nombre qu’elle estimait s’élever à 75 000 membres, et qu’elle se familiarise avec leurs conditions de travail, afin d’élaborer des priorités et des propositions de négociation.

10        Mme Lem a affirmé que les unités de négociation qu’elle représente englobent plusieurs ministères dans tout le pays et que les conditions de travail dans ces ministères peuvent varier considérablement. Les membres qu’elle représente occupent divers postes. Elle a ajouté qu’elle avait l’habitude de demander des visites des lieux de travail de ses membres qui consistaient à visiter les lieux et à tenir des réunions sur place afin de mieux connaître leur milieu de travail et les différentes questions auxquelles font face les membres de ses unités de négociation. La capacité d’observer les choses de ses propres yeux lui permet de comprendre complètement les modalités dont elle est chargée de négocier.

11        Mme Lem a indiqué qu’elle avait visité bon nombre de lieux de travail dans les ministères de l’employeur au cours des années, y compris de nombreuses bases du MDN et qu’elle ne s’était jamais vue refuser l’accès avant la dernière ronde de négociations en 2014. Avant cette date, plusieurs ministères lui avaient permis de visiter les lieux, accompagnée, et de rencontrer ensuite ses membres. Elle était très étonnée lorsqu’elle s’est vue refuser l’accès pendant les séances de négociations en 2014.

12        Selon la description de Mme Lem, ses visites sur place n’étaient pas envahissantes. Elle a indiqué que, pendant ses visites, elle agissait principalement comme une observatrice silencieuse, mais elle a reconnu qu’elle disait parfois bonjour aux membres et leur pose des questions liées à leurs fonctions. Elle a estimé que la durée de ses visites était d’environ une heure à une heure et demie et que ses réunions ensuite duraient au plus une heure. Elle a ajouté qu’elle n’avait jamais reçu de plainte quant à ses visites sur place antérieures, y compris celles qu’elle avait effectuées aux bases des Forces canadiennes.

13        Mme Lem a indiqué qu’avant que les négociations de 2014 ne commencent, elle avait présenté plusieurs demandes de visites sur place et que, même si elles avaient toutes été accordées à l’origine, la plupart ont ensuite été refusées par les ministères concernés, y compris les trois ministères visés par la présente plainte.

14        Pour ce qui est de sa demande de visiter les locaux de Santé Canada, Mme Lem a affirmé lors de son témoignage que les dispositions prises pour organiser une visite et une réunion avec les membres pendant la pause-repas au Complexe Guy-Favreau à Montréal avaient été coordonnées par la présidente de la section locale du Syndicat national de la santé de la région du Québec, Maryse Veilleux. Mme Lem m’a renvoyé à un échange de courriels entre Mme Veilleux et Mme De Rico, une directrice régionale des ressources humaines pour Santé Canada, région du Québec.

15        Selon cet échange, le 21 novembre 2014, Mme Veilleux a informé Mme De Rico que des représentants du comité de négociation visiteraient les locaux le 25 novembre 2014 et qu’ils inviteraient ensuite les membres de les rencontrer pendant la pause-repas. À l’origine, Mme De Rico a accusé réception du courriel de Mme Veilleux et l’a remerciée d’avoir proposé de tenir la réunion avec les employés pendant la pause-repas. Toutefois, le 24 novembre 2014, Mme De Rico a informé Mme Veilleux que les réunions avec les employés devaient avoir lieu pendant les pauses-cafés ou la pause-repas à l’extérieur des locaux de l’employeur et qu’aucune visite ne serait permise. Mme Veilleux a demandé à l’employeur de lui faire part de son raisonnement pour refuser les visites et les réunions sur place et à renvoyé Mme De Rico à la décision AFPC no 1. Dans sa réponse, Mme De Rico a soutenu la position de l’employeur et a invoqué ses droits de propriété résiduels à titre de justification. Elle n’a abordé aucun des motifs formulés dans la décision AFPC no 1.

16        En ce qui concerne sa demande de visiter les locaux du MDN, Mme Lem a indiqué que des dispositions officieuses avaient été prises pour visiter les deux installations du MDN, y compris une visite de l’Agence de logement des Forces canadiennes à Ottawa le 6 janvier 2015. Dans chaque cas, la visite devait être suivie par une réunion sur place. Toutefois, Mme Lem a ensuite été informée que le MDN n’approuverait ni aucune visite ni aucune réunion sur place à ses installations. Une directive du MDN (la « DAOD 5008-1 ») qui interdit l’utilisation des locaux du MDN si l’activité est liée à la négociation collective a été invoquée à titre de justification du refus des visites et des réunions sur place. Dans un de ses courriels, Mme Lem indiquait clairement que son intention était d’être discrète et de ne pas perturber les employés pendant ses visites.

17        Pour ce qui est de sa demande de visiter les locaux d’Anciens combattants, Mme Lem a affirmé lors de son témoignage que des dispositions avaient été prises avec l’employeur pour visiter les lieux et pour rencontrer les employés sur place pendant une heure, soit de 12 h à 13 h le 5 novembre 2014. Des dispositions avaient également été prises visant à permettre aux employés des lieux de travail d’Anciens combattant d’appeler l’installation et de participer à la réunion. Cependant, à la dernière minute, Mme Lem a été informée que sa demande de visite avait été refusée, qu’elle pouvait rencontrer les membres de son unité de négociation uniquement pendant 30 minutes pendant la pause-repas et que tout temps supérieur aux 30 minutes serait considéré comme un congé à l’égard des employés. Elle a indiqué qu’elle s’est sentie pressée et que la séance d’information n’avait pas été très productive. Ella ajouté qu’une visite lui aurait permis de mieux comprendre une question en matière de sécurité que certains de ses membres avaient soulevée relativement aux changements apportés à l’infrastructure dans l’aire de réception au lieu de travail à Billings Bridge, mais que le refus de l’employeur a fait en sorte que cela était impossible.

18        Mme Lem a déclaré lors de son témoignage que ces refus ont eu une incidence négative sur sa capacité de constater les conditions de travail des membres qu’elle représentait à la table de négociation et de comprendre complètement les questions auxquelles ils faisaient face à leur lieu de travail.

19        En contre-interrogatoire, à la question de savoir si elle pouvait simplement se fier à des photos des sites de travail ou aux descriptions fournies par les employés qui y travaillaient plutôt que de tenir des visites sur place, Mme Lem a répondu qu’il lui serait plus avantageux d’examiner les lieux de travail de ses propres yeux afin d’aborder pleinement les questions qui surviennent à la table de négociation.

B. Mme Mathews

20        Mme Mathews est employée à Anciens combattants à son emplacement à Billings Bridge. Elle est également la présidente de la section locale 70012 du Syndicat des employé-e-s d’Anciens combattants de la région d’Ottawa et Pembroke.

21        Essentiellement, le témoignage de Mme Mathews servait à corroborer la version des événements survenus relativement à la visite d’Anciens combattants décrite par Mme Lem. Elle a confirmé qu’elle avait collaboré avec son directeur de secteur pour prendre les dispositions nécessaires aux fins de la visite de Mme Lem de l’installation à Billings Bridge le 5 novembre 2014. Selon Mme Mathews, il avait été convenu avec le directeur de secteur, tant verbalement que par écrit, que Mme Lem visiterait le lieu de travail, qu’elle accueillerait les membres de son unité de négociation et qu’elle les rencontrerait ensuite dans une salle de conférence pendant une heure durant la pause-repas. Les membres d’autres lieux de travail pouvaient participer en appelant l’installation aux frais de la plaignante.

22        Peu de temps avant la visite prévue, un représentant d’Anciens combattants a informé Mme Mathews que la visite était refusée au motif qu’elle était considérée comme trop perturbante. Aucun autre renseignement ou détail n’a été fourni. Ensuite, peu de temps avant la réunion prévue, elle a été informée que, puisque la pause-repas ne comptait que 30 minutes, tout temps supérieur à ces 30 minutes consacrées à la réunion serait comptabilisé en tant que congé.

23        Mme Mathews a indiqué que la réunion a été tenue, mais qu’elle était limitée à 30 minutes. Au moins 60 employés y ont assisté et de nombreux autres y ont participé par téléconférence. Elle a ajouté que tout le monde s’est senti pressé et que très peu de questions pouvaient être soulevées ou répondues.

24        En contre-interrogatoire, Mme Mathews a reconnu que la pause-repas des employés concernés était de 30 minutes et que les motifs de la décision PSAC no 1 ne permettent pas d’affirmer que les agents négociateurs peuvent rencontrer leurs membres en vue de discuter de questions liées à la négociation collective pendant les heures de travail. Elle a également reconnu que les membres pouvaient soulever leurs préoccupations à l’aide d’autres voies qu’en personne et que de telles réunions pouvaient et étaient réellement tenues hors site dans le passé.

25        En réinterrogatoire, Mme Mathews a affirmé qu’elle avait demandé à la direction de réexaminer sa décision de refuser la visite de Mme Lem et qu’elle avait renvoyé particulièrement à la décision antérieure rendue par l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») selon laquelle de tels refus contrevenaient à la Loi. Elle était d’avis qu’aucune personne d’Anciens combattants n’avait demandé la référence ou une copie de la décision.

C. M. Germain

26        M. Germain est un directeur des Relations de travail du personnel civil au MDN. Il a déclaré lors de son témoignage qu’à sa connaissance, la plaignante avait accès aux tableaux d’affichage dans toutes les installations du MDN, y compris les tableaux d’affichage électroniques, et qu’elle avait accès aux espaces désignés à la distribution de littérature. Il a également renvoyé aux sites Internet de la plaignante, à son droit d’obtenir les coordonnées personnelles à jour de ses membres chaque trimestre et aux avis qui font la promotion de réunions des membres à l’extérieur du lieu de travail qui avaient été affichés sur les tableaux d’affichage du MDN.

27        Selon M. Germain, le MDN traite avec 10 différents agents négociateurs et uniquement 2 de ces derniers avaient demandé des visites, dont un étant la plaignante.

28        En ce qui concerne la demande de Mme Lem de visiter le lieu de travail de l’Agence de logement des Forces canadiennes en janvier 2015, M. Germain a reconnu qu’il n’avait pas pris part aux communications entre le MDN et les représentants de la plaignante. Néanmoins, il a indiqué à maintes reprises qu’il était d’avis que les visites étaient inappropriées et perturbantes au lieu de travail. M. Germain n’a pas expliqué la raison pour laquelle les visites devraient être considérées comme perturbantes dans tous les cas ou si des mesures, le cas échéant, pourraient être mises en place pour éviter les perturbations au lieu de travail. Même s’il savait que les visites de Mme Lem avaient été autorisées par les fonctionnaires du MDN dans le passé, y compris une visite à la base Uplands à Ottawa, il ne pouvait indiquer une perturbation particulière causée pendant ces visites.

29        Selon M. Germain, la justification pour refuser les visites et les réunions sur place, telle que celle qu’elle avait demandée en octobre 2014 de l’installation de l’Agence de logement des Forces canadiennes à Ottawa, figure à la directive DOAD 5008-1, intitulée « Directives et ordonnances administratives de la Défense (DOAD) 5008-1, Utilisation des locaux et de l’équipement du Ministère ainsi que des réseaux électroniques pour des activités de l’agent négociateur ou du syndicat ».

30        Essentiellement, cette directive prévoit que l’utilisation des locaux du Ministère par les agents négociateurs sera refusée si elle est liée à la négociation collective. À la question de savoir si les conclusions formulées dans la décision AFPC no 1, surtout celles figurant aux paragraphes 9, 10, 11 et 48 à 54, pouvaient être confrontées au refus de permettre aux agents négociateurs d’utiliser les locaux du Ministère à des fins de négociations collectives figurant à la directive DOAD 5008-1, M. Germain a indiqué clairement qu’il ne souscrivait pas aux conclusions formulées dans la décision AFPC no 1 et qu’il n’était pas disposé à les respecter. Il a ajouté que, si la plaignante souhaite utiliser les locaux du MDN à des fins de négociations collectives, elle devrait négocier ce droit à la table de négociation.

31        M. Germain a également indiqué que les employés étaient invités pendant les séances de négociation à agir à titre de conseillers ou d’experts-techniques à l’égard de l’agent négociateur et qu’une disposition de la convention collective du groupe PA prévoyait un congé dans ces circonstances.

D. Mme De Rico

32        Mme De Rico avait participé aux discussions portant sur la visite et une réunion avec les membres de l’AFPC pendant la pause-repas au Complexe Guy-Favreau à Montréal. En fin de compte, elle avait refusé la visite et les réunions sur place et a insisté pour dire que ces réunions devaient être tenues pendant les pauses et à l’extérieur des locaux de Santé Canada.

33        Mme De Rico a affirmé que les tableaux d’affichage et l’espace destiné à la distribution de littérature étaient à la disposition de la plaignante dans les locaux de Santé Canada. Elle a donné des exemples de l’utilisation des locaux ou du réseau électronique de l’employeur qu’elle avait autorisée dans le passé, à savoir, entre autres, l’autorisation de communiquer le nom des personnes membres du conseil d’administration de la plaignante, l’autorisation d’utiliser les locaux de l’employeur pour élire les administrateurs de l’AFPC, et une autorisation en vue de permettre à la plaignante d’envoyer une invitation à ses membres à l’assemblée générale annuelle. Mme De Rico a indiqué qu’aucun de ces exemples ne concernait la négociation collective.

34        En ce qui concerne la demande d’accès à l’installation de Santé Canada à Montréal, Mme De Rico a indiqué qu’elle ne se sentait pas à l’aise avec l’idée d’avoir des représentants de la plaignante pour visiter les trois étages du Complexe Guy-Favreau et d’ensuite tenir une réunion sur les lieux. Elle croyait que cela perturberait les employés pendant les heures de travail, que les employés deviendraient émotionnels et qu’une telle visite susciterait des conversations entre les employés pendant les heures de travail. Mme De Rico a reconnu qu’elle n’avait pas exprimé ces préoccupations dans son échange de courriels avec Mme Veilleux et qu’elle n’avait pas donné une justification de la raison pour laquelle la réunion proposée ne pouvait être tenue sur place et pendant les pauses. À la question d’en fournir une, elle a simplement répété qu’il n’était pas approprié de tenir de telles réunions au lieu de travail et qu’elle s’était fiée aux droits de propriété résiduels de l’employeur.

35        Elle a indiqué que le Complexe Guy-Favreau avait offert un certain nombre d’aires communes où de telles réunions pouvaient être tenues, mais elle a ensuite reconnu que le Complexe était un endroit vaste et que le fait de se rendre du 11e étage de l’immeuble où certains employés travaillaient au rez-de-chaussée, où se situaient les aires communes, prendrait essentiellement toute une pause de 15 minutes.

36        En contre-interrogatoire, à la question de savoir si le fait que Mme Lem avait indiqué dans son témoignage qu’elle agissait à titre de simple observatrice pendant les visites et qu’elle limitait son interaction avec les employés à de courtes conversations, laissant les conversations plus longues pour les réunions sur place qui seraient tenues par la suite, avait une incidence sur sa position, Mme De Rico répondu de manière uniforme et catégoriquement « Non ». Mme De Rico a également reconnu qu’une copie de la décision AFPC no 1 lui avait été donnée et qu’elle l’avait examiné avant de refuser la visite et les réunions sur place demandée. Les conclusions formulées dans la décision AFPC no 1 n’ont eu aucune influence sur la position dont elle a fait part, puisqu’elle a répété en toute franchise qu’elle croyait qu’un agent négociateur qui utilisait les installations de l’employeur à des fins de négociation collective pouvait se voir refuser l’accès en vertu des droits de propriété résiduels de l’employeur, malgré ces conclusions.

E. Mme Sebastian

37        Mme Sebastian est une directrice de secteur, au nord-est, d’Anciens combattants Canada. Elle a participé aux discussions qui ont été tenues au sujet d’une visite et d’une réunion sur place avec les membres de l’AFPC pendant une pause-repas d’une heure le 5 novembre 2014, à l’installation Billings Bridge à Ottawa. Elle a finalement refusé la visite et a limité la réunion sur place à la pause-repas de 30 minutes prévues des employés, en insistant pour dire que le temps supérieur aux 30 minutes serait comptabilisé à titre de congé. Elle a indiqué que, même si elle avait fait preuve de souplesse dans des circonstances semblables dans le passé, elle avait décidé d’obtenir des conseils de son secteur de ressources humaines qui lui avait conseillé de limiter la réunion à la pause-repas de 30 minutes.

38        Pour ce qui est de la demande de Mme Lem de visiter les locaux à Billings Bridge, Mme Sebastian a indiqué que son refus était fondé sur le fait qu’elle croyait qu’une visite d’une heure était excessive. Elle a ajouté ensuite qu’elle craignait que les employés qui travaillaient à cet emplacement travaillent dans des postes de travail modulaires et discutaient de renseignements de nature délicate au téléphone avec des clients. Aucune de ces préoccupations n’avait été communiquée par écrit à Mme Mathews à ce moment-là.

39        Selon Mme Sebastian, elle n’avait pas été informée que la visite avait pour objet de simplement observer les conditions de travail des membres de l’AFPC. Toutefois, en contre-interrogatoire, à la question de savoir si elle aurait adopté une autre position si elle en avait été ainsi informée, elle a répondu par la négative parce qu’elle croyait qu’une visite d’une heure était trop longue. Mme Sebastian a reconnu que les documents remplis relativement à cette demande n’indiquent pas qu’elle avait proposé une période plus courte pour la visite afin de traiter sa préoccupation.

40        Mme Sebastian a indiqué que les tableaux d’affichage et l’espace destiné à la distribution de littérature étaient à la disposition de la plaignante dans les locaux d’Anciens combattants. Elle a ajouté que les coordonnées personnelles de ses membres étaient également à la disposition de la plaignante.

41        Tous les trois témoins de l’employeur, y compris Mme Sebastian, ont indiqué qu’ils n’étaient pas au courant d’un grief individuel ou collectif déposé relativement aux refus qui sont visés par cette plainte. La plaignante avait déposé un grief le 13 février 2015 relativement à un accès semblable refusé à une installation d’Environnement Canada.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

42        Selon la plaignante, les motifs formulés dans la décision AFPC no 1 s’appliquent à cette plainte et devraient être suivis. Elle a ajouté qu’il n’existait aucun motif de déroger des motifs de cette décision, puisque la plainte porte sur les mêmes questions et s’applique aux mêmes parties. Elle a soutenu que le caractère définitif de la procédure d’arbitrage des griefs suggérait une préférence à maintenir l’effet de décisions antérieures de la Commission et de son prédécesseur et que les arbitres de griefs devraient être opposés à la dérogation de décisions antérieures, surtout celles concernant les mêmes parties et les mêmes clauses contestées d’une convention collective (voir Stafford c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2011 CRTFP 123, au paragr. 54, et Timson c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 8, au paragr. 22).

43        La plaignante a qualifié de choquante la décision du défendeur de ne pas contester les conclusions de la décision AFPC no 1 à l’aide d’un contrôle judiciaire et d’ensuite écarter volontairement les directives de l’« ancienne Commission » énoncées dans cette décision.

44        La plaignante m’a rappelé des faits importants suivants qui n’ont pas été contestés :

  1. Mme Lem avait visité bon nombre de lieux de travail dans de nombreux ministères de l’employeur au cours des années, y compris de nombreuses bases du MDN, et elle ne s’était jamais vue refuser l’accès avant la dernière ronde de négociations en 2014;
  2. avant 2014, plusieurs ministères lui avaient permis de visiter les lieux, accompagnée, et de rencontrer ensuite les membres des unités de négociation qu’elle représentait;
  3. ses visites sur place n’étaient pas envahissantes et elle agissait principalement en tant qu’observatrice silencieuse pendant les visites;
  4. la durée des visites était d’environ une heure à une heure et demie et les réunions ensuite avec les membres duraient au plus une heure;
  5. elle n’avait jamais reçu de plainte quant à ses visites sur place antérieures.

45        Selon la plaignante, les visites et les réunions sur place tenues après la visite constituaient des activités syndicales utiles et licites. Elles permettent à ses représentants de mieux comprendre les environnements de travail et les questions de ses membres en préparation à la négociation. En refusant l’accès aux représentants de l’AFPC dans les lieux de travail de ses membres sans un motif opérationnel convaincant et justifiable, l’employeur nuit à la capacité de la plaignante de représenter ses membres dans le cadre des négociations au sens de l’al. 186(1)a) de la Loi.

46        Elle a fait valoir qu’en ce qui concerne chacun des trois refus visés par la présente plainte, le défendeur a omis d’examiner et d’établir un équilibre équitable entre ses intérêts et les intérêts légitimes de la plaignante, en préférant se fier aux dispositions sur l’accès prévues dans la convention collective du groupe PA et aux droits de propriété résiduels, une approche qui avait été rejeté dans la décision AFPC no 1. Aucune préoccupation opérationnelle ou de sécurité n’a été communiquée à la plaignante pour justifier les refus de l’employeur.

47        En ce qui concerne le refus du MDN, la plaignante a soutenu que le fait que l’employeur s’est fié à une politique qui était contraire à une décision définitive et exécutoire de l’ancienne Commission exigeait l’intervention de la Commission. En ce qui concerne le refus de Santé Canada, la plaignante a affirmé que l’adoption de la position selon laquelle il n’était pas approprié d’utiliser les locaux de l’employeur à des fins de négociations collectives, après avoir reçu une copie de la décision AFPC no 1 avant d’adopter cette position, équivaut pas moins à un mépris flagrant d’une décision définitive et exécutoire de l’ancienne Commission.

48        La plaignante a soutenu que la présente plainte et celle tranchée dans la décision AFPC no 1 ne comportent aucune différence factuelle importante. Elle est d’avis que les deux résultats devraient identiques.

49        À titre de réparation, la plaignante a demandé une déclaration selon laquelle l’employeur a contrevenu à l’art. 186 de la Loi et une ordonnance enjoignant à l’employeur de cesser de refuser aux représentants de l’AFPC l’accès à ses locaux en l’absence de motifs opérationnels convaincants et justifiables.

B. Pour le défendeur

50        Selon le défendeur, les parties sont parvenues à une entente quant à l’utilisation des installations de l’employeur et elles ont négocié des dispositions précises quant à cet effet. Il m’a renvoyé particulièrement à l’article 12 de la convention collective du groupe PA, qui a été reproduit ci-haut dans la présente décision. Cette disposition énonce quand un représentant de l’AFPC se verra accorder l’accès aux installations de l’employeur et ne mentionne aucunement les visites ou les réunions sur place pour discuter de la négociation collective.

51        En invoquant Merriman c. MacNeil, 2011 CRTFP 87, le défendeur a soutenu que ni les employés ni les agents négociateurs n’ont un droit d’utiliser les biens ou d’accéder aux installations de l’employeur, en l’absence de dispositions précises prévues dans la convention collective pertinente. Le défendeur a ajouté qu’il jouit du contrôle exclusif sur ses biens, sous réserve d’une limitation précise prévue dans la convention collective. De plus, dans la mesure où il existait une pratique antérieure qui permettait de telles visites ou de telles réunions sur place ou une autre pratique ailleurs dans l’administration publique fédérale, le défendeur a fait valoir qu’une telle pratique ne serait pas réputée être un acquiescement de sa part et n’était pas pertinente au fait qu’il avait le pouvoir d’exercer son autorité sous réserve uniquement de ces limitations précises.

52        Le défendeur a soutenu que le fait de conférer aux représentants de l’AFPC un droit absolu d’utiliser les salles de conférence de l’employeur en dehors des heures de travail et de se promener dans les lieux de travail contrevient au processus de négociation collective et n’est pas conforme aux droits de propriété de l’employeur, son autorité législative générale qui lui est conférée en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; la « LGFP »), et à la négociation collective libre. Il a ajouté que la suggestion selon laquelle l’employeur peut exercer ses droits de propriété uniquement lorsqu’une analyse de rentabilité peut être effectuée pour établir qu’un accès particulier serait préjudiciable aux activités n’est pas conforme à la réalité de l’effectif fédéral public.

53        Le défendeur m’a rappelé que la plaignante dispose des coordonnées personnelles de tous ses membres et avait accès aux tableaux d’affichage des syndicats et qu’elle avait la capacité de fournir de la littérature dans le lieu de travail. Il a soutenu que la suggestion selon laquelle la plaignante ne pouvait pas communiquer avec ses membres sans un accès illimité au lieu de travail n’est pas conforme à la réalité moderne des communications.

54        En ce qui concerne la question de savoir si les mêmes arguments ont été présentés et traités dans la décision AFPC no 1, l’employeur a indiqué qu’une observation importante qu’il présentait en l’instance au sujet de l’octroi général de l’autorité qui lui est conférée en vertu de la LGFP n’avait pas été présentée à ce moment-là. Plus particulièrement, les articles 7 et 11 de la LGFP, qui traitent de la gestion du personnel, habilitent le défendeur d’exercer son pouvoir de gestion à son gré et de prendre les mesures qui ne sont pas particulièrement interdites par une loi ou une convention collective. L’employeur a fait valoir que l’omission de fournir un accès au lieu de travail ne peut pas équivaloir au fait d’entraver l’administration ou la représentation par l’agent négociateur de ses membres, à moins qu’il puisse être dit que l’agent négociateur a un droit absolu d’utiliser les biens de l’employeur, ce qu’il a soutenu ne pas être le cas.

55        À l’appui de cette position, le défendeur m’a renvoyé à deux décisions de l’ancienne Commission rendues après la décision AFPC no 1 : Association professionnelle des agents du service extérieur c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2013 CRTFP 111 (« APASE »), qui portait sur l’exercice de contrôle par l’employeur sur ses ressources électroniques et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 138 (« AFPC-2013 »), un cas dans lequel l’agent négociateur avait été empêché de recourir à la méthode consistant à distribuer des documents aux bureaux des employés pour les inviter à assister à une réunion, une méthode qui avait été jugée avoir un effet perturbateur dans le lieu de travail (au paragraphe 92).

56        Le défendeur a soutenu que le fait qu’un négociateur syndical se promène dans le lieu de travail et discute avec les employés en milieu de travail aurait un effet perturbateur sur les activités de l’employeur et que les discussions relatives à la négociation collective en milieu de travail nuisent, de leur propre nature, aux intérêts de l’employeur. Il a ajouté que, même si un négociateur particulier pourrait avoir un souhait légitime de visiter autant de lieux de travail que possible pour discuter avec les employés ou les observer en milieu de travail, ce souhait ne fait pas en sorte que le refus d’accès équivaut à une entrave réelle à la représentation des membres. Selon le défendeur, la suggestion selon laquelle un négociateur doit observer un lieu de travail particulier pour négocier à l’égard du groupe PA n’a aucun fondement.

IV. Motifs

57        La question que je dois trancher est celle de savoir si le défendeur a contrevenu à l’al. 186(1)a) de la Loi lorsqu’il a empêché les représentants de la plaignante d’accéder à certaines de ses installations pour mener des visites et tenir des réunions sur place à l’extérieur des heures de travail.

58        Même si les parties m’ont renvoyé à de nombreuses décisions à l’appui de leurs arguments et même si les faits et les questions décrits dans ces décisions ressemblent à ceux de la présente plainte, elles demeurent, selon moi, différentes et, à quelques exceptions, je ne les mentionnerai pas.

59        Je dois également indiquer que je ne suis pas lié par les décisions antérieures de la Commission ou de ses prédécesseurs, y compris celles invoquées par l’employeur à l’appui de son argument fondé sur la LGFP (APASE et AFPC-2013). Il convient de noter que ces deux décisions n’ont pas traité des motifs formulés dans la décision AFPC no 1 ou n’ont tenté de la distinguer, même si l’agent négociateur l’a invoqué particulièrement dans AFPC-2013. Je peux seulement déduire que, dans AFPC-2013, l’arbitre de grief estimait que les faits et les questions en litige dans la décision AFPC no 1 différaient de ceux dont elle était saisie, tel que cela a été suggéré au paragraphe 77 de ses motifs. De même, je suis d’avis que les faits et les questions en litige dans ces deux décisions diffèrent et je ne les mentionnerai plus.

60        Malgré le fait que l’employeur n’a soulevé ni aucune préoccupation ni aucun motif opérationnel convaincant relativement aux trois incidents visés par la plainte, le défendeur a soutenu que le besoin d’un négociateur de voir un lieu de travail particulier pour négocier au nom d’une unité de négociation a, par sa nature, un effet perturbateur et n’a aucun fondement. Je suis en désaccord. Je suis d’avis que la suggestion de Mme Lem selon laquelle il lui est plus avantageux de voir un lieu de travail de ses propres yeux afin d’aborder pleinement les questions qui surviennent à la table de négociation est entièrement légitime, surtout compte tenu du fait qu’elle représente environ 75 000 membres qui occupent divers postes dans plusieurs ministères partout au pays.

61        Pendant l’audience, l’avocat du défendeur m’a rappelé le fait qu’il avait visité un certain nombre d’établissements correctionnels au moins 20 fois au cours des années afin de se préparer aux fins d’audiences, ce qui n’est pas étonnant, étant donné la nature de son travail. Il est notoire que la Commission et ses prédécesseurs ont tenu de nombreuses visites sur place des installations de l’employeur afin de mieux comprendre les questions soulevées par des parties. Dans les deux cas, l’avocat ou la Commission aurait pu se fier à des photos ou aux versions des témoins qui connaissaient les lieux de travail en litige. Cependant, il va sans dire qu’il est toujours préférable, lorsqu’il est pratique et justifiable, de constater un élément de ses propres yeux, plutôt que de se fier à l’optique ou aux versions d’autres.

62        De plus, même si de telles visites sur place, de leur nature, ont le potentiel de perturber le lieu de travail, elles sont habituellement permises étant donné les avantages évidents qu’elles offrent aux parties qui tentent de régler des questions.

63        Même s’il peut être vrai que l’on peut demander aux employés d’agir à titre de conseillers ou d’experts-techniques à l’égard de l’agent négociateur pendant les séances de négociation et que les dispositions prévues dans la convention collective du groupe PA permettent un congé dans de telles circonstances, je suis d’avis qu’il ne s’agirait pas toujours d’une façon efficace de traiter bon nombre de questions qui sont soulevées dans le cadre de la négociation collective. L’agent négociateur n’a qu’une seule option dans sa poursuite de mieux représenter ses membres pendant la négociation collective.

64        Il est important de ne pas oublier que les motifs de refus de Mme De Rico de la demande de visite et de réunion sur place à une installation de Santé Canada n’ont jamais été communiqués à Mme Veilleux. Il est difficile dans de telles circonstances de conclure que des motifs opérationnels convaincants et des faits objectifs justifiaient son refus d’accès. Même si je ne suggère pas que les principes énoncés dans la décision AFPC no 1 créent une obligation positive à l’égard de l’employeur consistant à fournir une longue description de ses motifs opérationnels, un certain contexte des motifs opérationnels doit être offert en temps opportuns, autrement l’authenticité de ces motifs peut facilement être remise en question.

65        En ce qui concerne la demande de Mme Lem de visiter les locaux d’Anciens combattants à Billings Bridge, Mme Sebastian a déclaré lors de son témoignage que son refus était fondé sur le fait qu’elle estimait qu’une visite d’une heure était excessive et qu’elle se préoccupait du fait que les employés à cet endroit travaillaient principalement dans des postes de travail modulaires et discutaient de renseignements de nature délicate au téléphone avec des clients. Mais, encore une fois, aucune de ces préoccupations n’avait été communiquée par écrit à Mme Mathews au moment du refus de l’accès. À ce moment-là, aucun motif n’a été donné. Pour les mêmes motifs, il est difficile de conclure que des motifs opérationnels convaincants et des faits objectifs justifiaient le refus d’accès par Mme Sebastian.

66        Pour ce qui est du refus de la visite du MDN, il était fondé uniquement sur une politique de l’employeur qui interdit l’utilisation de ses installations à des fins de négociation collective.

67        Dans chacun des trois cas présentés par les parties, l’employeur n’a pas démontré qu’il avait tenté de concilier ses motifs opérationnels convaincants et justifiables allégués avec les objectifs légitimes de l’agent négociateur. En fait, l’employeur n’a soulevé aucune préoccupation opérationnelle lorsqu’il a refusé l’accès à ses locaux. Il semble plutôt que les refus étaient fondés sur ses droits de propriété, une politique non exécutoire qui lui confère un pouvoir qu’il n’a pas ou une interprétation stricte de la convention collective du groupe PA.

68        Je partage l’avis de l’employeur selon lequel les réunions sur place et les visites peuvent être négociées à la table et je suis toujours convaincu que les parties devraient continuer de s’efforcer, dans le cadre de la négociation collective, de s’entendre quant à l’utilisation des locaux de l’employeur qui est adaptée à leurs intérêts mutuels légitimes.

69        Dans AFPC no 1, je suis parvenu aux conclusions suivantes :

[…]

45 Je rejette l’argument de la défenderesse que la clause 12.03 de la convention collective est un code complet régissant l’accès aux locaux de l’employeur. J’ai examiné le contexte élargi dans lequel il convient d’interpréter la Loi, particulièrement les objectifs relatifs à l’établissement de relations patronales-syndicales efficaces, aux efforts de collaboration, à l’expression de divers points de vue dans l’établissement des conditions d’emploi, à la résolution crédible et efficace des problèmes liés aux conditions d’emploi, à la représentation par les agents négociateurs des intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives, à la participation des agents négociateurs dans la résolution des conflits en milieux de travail, dans l’établissement de relations patronales-syndicales respectueuses et harmonieuses, qui sont établis de façon explicite dans le préambule de la Loi, et je suis d’avis que la représentation des employés, telle que présentée dans la Loi, ne se limite pas à assister au règlement des plaintes et des griefs et à prendre part aux réunions organisées par la direction. L’agent négociateur doit également assumer la responsabilité, tout aussi importante, de présenter les demandes et les positions légitimes des employés à la table de négociation, ce qui ne peut être réalisé que dans le cadre d’un dialogue avec ses membres, ce qui en retour fait ressortir le besoin d’avoir accès aux employés faisant partie de l’unité de négociation. Les représentants des organisations syndicales transmettent les demandes et les positions des employés à l’employeur. Les empêcher de mieux comprendre le contexte des questions qui sont en jeu sans raison d’affaires convaincante et justifiable ne peut que nuire au processus de négociation collective.

46 Dans sa réponse à la plainte, l’employeur a mentionné que, bien qu’il soit indiqué au paragraphe 186(3) de la Loi que le fait de permettre à un agent négociateur d’utiliser les locaux de l’employeur pour les activités d’une organisation syndicale n’est pas une pratique déloyale de travail, aucune disposition de la Loi ne suggère que le contraire serait une pratique déloyale. Même si tel est le cas, je suis conscient du fait que le législateur a pris la peine d’inclure cette disposition dans la Loi, ce qui laisse supposer que cette pratique était et est toujours courante et acceptable. Le paragraphe 186(3) est libellé comme suit :

186. (3) Ne constitue pas une violation de l’alinéa (1)a) le seul fait pour l’employeur ou le titulaire d’un poste de direction ou de confiance de prendre l’une ou l’autre des mesures ci-après en faveur d’une organisation syndicale qui est l’agent négociateur d’une unité de négociation groupant ou comprenant des fonctionnaires travaillant pour lui :

a. permettre à un fonctionnaire ou représentant syndical de conférer avec l’employeur ou la personne, selon le cas, ou de s’occuper des affaires de l’organisation syndicale pendant les heures de travail, sans retenue sur le salaire ni réduction du temps de travail effectué pour lui;

b. permettre l’utilisation de ses locaux pour les besoins de l’organisation syndicale.

Le paragraphe 186(3) suggère également qu’une telle pratique est une réalité qui peut avoir lieu même si la convention collective ne contient aucune disposition l’autorisant. Autrement, il n’y aurait pas lieu d’utiliser le paragraphe 186(3) pour sanctionner cette pratique, car elle serait déjà autorisée dans la convention collective.

47 De nombreuses décisions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et de la Cour d’appel fédérale ont reconnu que les employés peuvent légitimement exprimer leurs points de vue sur des questions relatives à la convention collective en portant des autocollants ou des macarons au travail. Je ne vois pas pourquoi on devrait empêcher les employés de formuler des points de vue semblables en privé avec un négociateur de l’agent négociateur en dehors des heures de travail, surtout si cette interdiction n’est pas motivée par une raison d’affaires convaincante et justifiable de la part de l’employeur, autre que le fait qu’une telle utilisation des locaux de l’employeur n’est pas spécifiquement mentionnée dans la convention collective.

48 Un employeur ne devrait pas unilatéralement empêcher un agent négociateur de rencontrer, dans leur milieu de travail, les membres qu’il représente pour discuter de questions de négociation en dehors des heures de travail, à moins qu’il soit en mesure de justifier une telle interdiction en invoquant des raisons d’affaires convaincantes et des faits objectifs (perturbation de la productivité ou de l’ordre, questions de sécurité ou autres intérêts d’affaires légitimes). En déclarant ceci, je pense particulièrement à Mme Therriault-Power, qui a admis que le fait d’autoriser M. Gay à entrer dans les bureaux de l’ASFC permettrait à ce dernier de mieux comprendre le contexte des questions liées au milieu de travail en cause et pourrait profiter au processus de négociation collective.

[…]

[Je souligne]

70        Aucun des faits de cette plainte, ni aucun des arguments du défendeur ne m’ont  convaincu que je devrais conclure différemment en l’espèce. Je suis d’avis que les conclusions formulées dans AFPC no 1 s’appliquent à la présente plainte, sauf une exception. Je ne crois pas que le principe qui émane de la décision AFPC no 1 est celui selon lequel les réunions sur place, comme celles visées par cette plainte, devraient avoir lieu pendant les heures de travail et je ne propose pas d’élargir son sens de cette manière. Par conséquent, je ne crois pas que la limitation que les représentants d’Anciens combattants Canada ont imposée le 5 novembre 2014, soit de limiter la réunion sur place à la pause-repas de 30 minutes, équivalait à une violation de l’al. 186(1)a) de la Loi. Cela étant dit, rien n’empêcherait les parties de convenir à une réunion sur place d’une durée d’une heure entre les représentants de l’agent négociateur et les employés en leur permettant de combiner leur pause-repas et leurs autres pauses quotidiennes.

71        Même si je reconnais que les dispositions législatives confèrent certains droits au défendeur, notamment les articles 7 et 11 de la LGFP qui traitent de la gestion des ressources humaines, je crois que l’octroi de larges pouvoirs légaux doit être exercé en harmonie avec d’autres lois pertinentes, notamment la Loi. Prétendre le contraire permettrait à l’employeur de ne pas se conformer aux principales dispositions de la Loi strictement en fonction de l’octroi de ses larges pouvoirs légaux.

72        Les articles 7 et 11 de la LGFP confèrent clairement des pouvoirs généraux à l’employeur en ce qui concerne la gestion du personnel, mais ils ne servent pas et ne devraient pas servir à se soustraire à l’application du libellé obligatoire énoncée à l’al. 186(1)a) de la Loi. Je suis d’avis que la formulation de motifs opérationnels convaincants et de faits objectifs pour justifier le refus d’accès à une installation de l’employeur, soit des visites, soit des réunions sur places, soit les deux, n’est pas incompatible avec le sens et l’objectif des art. 7 et 11.

73        Je conclus que les prétendues activités de l’agent négociateur, telles qu’elles sont décrites par ses témoins dans le cadre de leurs témoignages, étaient licites et faisaient partie intégrante de son administration de l’organisation syndicale et de sa représentation des employés membres des unités de négociation. Je conclus également que les refus de permettre à un représentant de la plaignante d’effectuer une visite de l’installation d’Anciens combattants à Billings Bridge le 5 novembre 2014, de permettre à un représentant d’effectuer une visite et de tenir une réunion sur place en dehors des heures de travail au Complexe Guy-Favreau de Santé Canada le 25 novembre et de permettre à un représentant d’effectuer une visite et de tenir une réunion sur place en dehors des heures de travail aux installations du MDN le 11 décembre 2014 et le 6 janvier 2016 équivalaient tous à des violations de l’al. 186(1)a) de la Loi commises par le défendeur et les ministères concernés.

74        Ces mesures ont nui à l’administration par l’agent négociateur de son organisation et à sa représentation des employés membres de l’unité de négociation. Ces mesures étaient contraires à la promotion de relations patronales-syndicales efficaces et harmonieuses, d’efforts de collaboration, d’expression de divers points de vue dans l’établissement des conditions d’emploi, la résolution crédible et efficace des problèmes liés aux conditions d’emploi, la représentation par les agents négociateurs des intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives, la participation des agents négociateurs à la résolution des conflits en milieux de travail et le respect mutuel, lesquelles sont des objectifs législatifs énoncés expressément au préambule de la Loi.

75        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

76        Je déclare que les refus de permettre à un représentant de la plaignante d’effectuer une visite de l’installation d’Anciens combattants à Billings Bridge le 5 novembre 2014, d’effectuer une visite et de tenir une réunion sur place en dehors des heures de travail au Complexe Guy-Favreau de Santé Canada le 25 novembre et d’effectuer une visite et de tenir une réunion sur place en dehors des heures de travail aux installations du MDN le 11 décembre 2014 et le 6 janvier 2016 constituaient tous des violations de l’al. 186(1)a) de la Loi commises par le défendeur et les ministères concernés.

77        J’ordonne au défendeur de cesser de refuser un tel accès en l’absence de motifs opérationnels convaincants et justifiables qu’un tel accès pourrait miner ses intérêts légitimes liés au travail.

Le 14 septembre 2016.

Traduction de la CRTEFP

Stephan J. Bertrand,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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