Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était employé au groupe et au niveau CX-01 en tant qu’agent correctionnel – il a été blessé au travail et a reçu des prestations d’assurance-invalidité – lorsqu’il était prêt à revenir au travail, il a fourni trois billets du médecin différents en neuf jours – les billets du médecin présentaient des renseignements contradictoires sur ses restrictions et ses limitations – l’employeur a demandé davantage de précisions au médecin traitant et n’a pas permis au fonctionnaire s’estimant lésé de reprendre le travail pendant ce temps – le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé que ce traitement était une suspension sans solde et qu’il s’agissait d’une discrimination aux motifs de l’invalidité – il a demandé une réparation et des dommages pour souffrances et douleurs – l’employeur a affirmé qu’il a fait preuve de diligence puisqu’il avait des préoccupations légitimes sur la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé à retourner au travail de manière sécuritaire – la Commission n’a pas trouvé d’éléments de preuve suggérant que l’employeur a imposé une mesure disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé – alors que l’employeur attentait les précisions du médecin traitant du fonctionnaire s’estimant lésé sur les capacités de ce dernier à reprendre ses fonctions complètes, il n’a pas offert au fonctionnaire s’estimant lésé une affectation permettant un allégement des tâches – la Commission a conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation dès que l’état de santé le permettait – la Commission a jugé que la demande de dommages pour souffrances et douleurs était injustifiée. Grief alléguant une mesure disciplinaire rejeté. Grief alléguant un défaut de se conformer à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2016-07-28
  • Dossier:  566-02-5673 et 5674
  • Référence:  2016 CRTEFP 69

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

MANJIT DHILLON

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Dhillon c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
David Olsen, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Andrie Lortie, avocat
Pour l'employeur:
Genevieve Ruel, avocate
Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique)
Du 7 au 10 juillet 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1        Le 20 juillet 2011, le Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (l’« agent négociateur ») a renvoyé à l’arbitrage un grief individuel portant sur l’application de l’article 37 de la convention collective, qui porte sur l’élimination de la discrimination.

2        Le 8 avril 2011, le fonctionnaire s’estimant lésé, Manjit Dhillon (le « fonctionnaire »), qui était en congé en raison d’une invalidité, a renvoyé un grief à l’arbitrage. Selon son grief, le 4 mars 2011, il a fourni un certificat médical indiquant qu’il était en mesure de retourner au travail sans restrictions ou limitations à compter du 7 mars 2011. Il a affirmé qu’à la date du grief, le Service correctionnel du Canada (l’« employeur » ou le « SCC ») ne lui avait toujours pas permis de retourner au travail. Il a affirmé que les gestes posés par l’employeur allaient à l’encontre de la convention collective et constituaient une pratique discriminatoire. Il a demandé à ce que l’employeur lui permette de retourner immédiatement au travail, dans son poste antérieur, et qu’on lui verse toute perte salariale, c’est-à-dire sa rémunération habituelle, toute prime de poste et de fin de semaine, ainsi que d’autres réparations, y compris la somme de 20 000 $ pour souffrances et douleurs en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. 1985, ch. H-6; la « LCDP »).

3        Le 20 juillet 2011, l’agent négociateur a renvoyé à l’arbitrage un deuxième grief individuel en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art.2; la « Loi ») (mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire).

4        Le 8 avril 2011, M. Dhillon a déposé un grief contre la décision de l’employeur de ne pas lui permettre de retourner au travail, contrairement à ce qui est prévu dans la convention collective et les lois du travail. Il a allégué que ce geste équivalait à une suspension sans traitement qui n’était pas fondée. Par l’intermédiaire d’une mesure corrective, il a demandé à ce qu’on l’autorise immédiatement à retourner au travail et à ce qu’on lui verse toute perte salariale encourue depuis la décision de l’employeur, entre autres.

5        Dans sa réponse aux deux griefs en date du 16 mai 2011, l’employeur a indiqué que M. Dhillon n’avait pas été suspendu sans traitement et que, au contraire, il recevait des prestations d’assurance-invalidité jusqu’à la date de son retour au travail.

6        L’employeur a aussi indiqué qu’il avait l’obligation de veiller à ce que les employés qui retournent au travail après un congé lié à un trouble médical soient aptes à le faire et aient reçus l’approbation d’un médecin. L’employeur se questionne au sujet de l’aptitude au travail du fonctionnaire. Au cours d’une même semaine, l’employeur a reçu trois certificats médicaux provenant trois médecins différents, lesquels contenaient des renseignements contradictoires quant à l’aptitude du fonctionnaire à retourner au travail en toute sécurité. L’employeur ne lui a pas permis de retourner au travail, ce qui a contraint le fonctionnaire à continuer de recevoir des prestations d’assurance-invalidité jusqu’à ce que l’ambiguïté entourant l’approbation de son retour au travail par ses médecins, ainsi que son aptitude au travail, soit clarifiée.

7        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique.

8        Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

II. Résumé de la preuve

9        L’agent négociateur a appelé deux témoins, soit le fonctionnaire et Gordon Robinson, président régional de la région du Pacifique de l’agent négociateur. L’employeur a appelé deux témoins, soit Gary Monaghan, gestionnaire correctionnel à l’établissement Matsqui (l’« établissement »), et Mark Bussey, directeur adjoint des Opérations à l’établissement.

10        Je conclus que la preuve qui suit est pertinente pour trancher ces griefs.

A. Aperçu

11        M. Dhillon est un agent correctionnel à l’établissement et il est classifié CX -01. Il occupe le poste d’agent correctionnel depuis mai 2004, lorsqu’il a commencé son emploi à l’établissement de Kent. L’établissement est à sécurité élevée et moyenne, et accueille environ 200 détenus de sexe masculin.

12        Un agent correctionnel classifié CX-01 doit notamment s’occuper des détenus, les contrôler, les escorter dans l’établissement et dans le cadre de rendez-vous à l’extérieur, par exemple une comparution devant un tribunal ou une consultation chez le médecin, et mettre fin aux perturbations.

13        Le 11 mars 2010, M. Dhillon s’est blessé au pouce droit après l’avoir coincé dans un porte-clefs pendant qu’il ouvrait la porte d’une cellule. Par conséquent, il n’a pas été en mesure de travailler.

14        La commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique a versé à M. Dhillon des prestations d’invalidité temporaires jusqu’au 9 mai 2010. Par la suite, elle a estimé que M. Dhillon avait déraisonnablement refusé d’effectuer à temps plein les travaux légers appropriés offerts par l’employeur.

15        L’employeur avait offert à M. Dhillon d’occuper des fonctions au poste de contrôle situé à l’entrée principale de l’établissement. L’exigence physique liée au travail à cet endroit consistait à appuyer sur un bouton pour ouvrir et fermer une barrière de sécurité. Il fallait aussi répondre à des appels téléphoniques et, à l’occasion, utiliser une radio portative. Il n’y avait aucune nécessité d’intervenir en cas d’urgence ou d’être en contact avec des détenus. Aucun travail physique n’était requis. La plupart de ces tâches pouvaient être accomplies avec une seule main. L’agent affecté à ce poste veillait aussi à l’entreposage sécuritaire des armes à feu.

16        M. Dhillon a interjeté appel de la décision de la commission des accidents de travail auprès de sa division de la révision et du tribunal d’appel de la commission des accidents de travail de la Colombie-Britannique. Les deux appels ont été rejetés.

17        L’employeur était d’avis que, durant la période pertinente, M. Dhillon ne déployait pas les efforts raisonnables pour retourner au travail et accomplir des travaux légers.

18        Lorsque le versement de ses prestations d’indemnisation des accidents de travail a pris fin, le 9 mai 2010, il a présenté une demande d’assurance-invalidité. La demande a été acceptée et sa couverture a été approuvée jusqu’au 1er mai 2011. L’assurance-invalidité lui versait 70 % de son salaire d’agent correctionnel.

19        M. Dhillon a fait valoir qu’il avait subi de nombreux traitements de réadaptation de la main et que, ultimement, il avait reçu des injections de cortisone. Il a également subi deux chirurgies, le 25 novembre 2010 et le 9 septembre 2011, après être retourné au travail et après que les événements ayant donné lieu au dépôt des griefs se soient produits. Il a une lésion permanente d’un nerf dans deux de ses doigts qu’il est impossible de corriger.

B. Événements particuliers ayant donné lieu au grief

20        Les 15 et 17 février 2011, alors qu’il était en congé d’invalidité, M. Dhillon a reçu des injections de cortisone. Il a déclaré qu’à la suite de ces injections, il a senti une différence considérable et il y avait une amélioration quant à ce qu’il pouvait faire avec sa main; il se sentait mieux. Il a donc décidé de tenter de retourner au travail.

21        M. Dhillon a communiqué avec M. Monaghan, le gestionnaire correctionnel des horaires de travail et du déploiement, et l’a informé qu’il souhaitait retourner au travail. M. Monaghan a informé M. Dhillon qu’il devait lui fournir une note de son médecin à ce sujet.

22        M. Dhillon voulait consulter son médecin traitant, la Dre Galina Strovskaia, mais elle n’était pas disponible. Il s’est présenté à la clinique où elle pratiquait avec le Dr Semion Strovski, qu’il a consulté. Il a indiqué au Dr Strovski qu’il était prêt à retourner au travail. Étant donné que le Dr Strovski n’était pas le médecin de famille traitant de M. Dhillon, il lui a suggéré de commencer par accomplir des travaux légers.

23        Le Dr Strovski a rédigé et signé un certificat de travail daté du 24 février 2011, dans lequel il attestait que M. Dhillon avait été évalué dans son bureau et qu’il était incapable de travailler en raison d’une maladie ou d’une blessure. Il a ajouté que le fonctionnaire retournerait au travail la semaine suivante et qu’il devait effectuer des travaux légers et éviter tout contact avec les détenus. De plus, il a mentionné que le fonctionnaire ne devait pas utiliser sa main et son pouce droits pendant deux mois, et ce, à compter du 1er mars 2011.

24        M. Monaghan croyait avoir reçu le certificat par télécopieur le 24 février 2011. Il l’a montré à M. Bussey, le directeur adjoint.

25        M. Bussey est notamment responsable de la santé et de la sécurité de l’établissement, du personnel, du public et des détenus. En ce qui concerne les retours au travail, il lui incombe de veiller à ce que les agents soient en mesure de s’acquitter de leur mandat et, plus particulièrement, qu’ils puissent effectuer leurs fonctions de protection, tant ce qui les concerne qu’à l’égard d’autrui, et ce, de façon sécuritaire. M. Bussey doit faire preuve de diligence raisonnable afin de veiller à ce que les agents puissent retourner au travail le plus rapidement possible, en toute sécurité.

26        M. Bussey m’a renvoyé à la [traduction] « Directive du commissaire 254 » (la « directive »), intitulée « Programmes de sécurité et santé au travail et de retour au travail », qui souligne ses responsabilités relativement au retour au travail d’un agent à la suite d’un congé pour invalidité.

27        Il a fait référence aux objectifs énoncés dans la directive, soit de « favoriser la création et le maintien de conditions de travail saines et sûres afin de prévenir les blessures et les maladies professionnelles chez les employés ou d’en réduire la fréquence » et de « fournir aux employés du Service correctionnel du Canada qui subissent une blessure ou qui sont malades l’aide et le soutien nécessaires pour qu’ils puissent reprendre un travail productif dès que leur état de santé le permet ».

28        Il a fait référence à l’énoncé de politique indiqué dans la directive, qui indique que le « SCC s’engage à fournir un milieu de travail sain et sûr à ses employés, à agir rapidement pour favoriser le rétablissement des employés blessés ou souffrant d’une invalidité, ainsi qu’à faciliter le retour des employés à des fonctions utiles et productives dans les plus courts délais possible ».

29        Il a fait référence aux responsabilités du SCC, soit qu’il lui incombe de veiller à la protection de chacun de ses employés et de toute personne se trouvant dans ses établissements en ce qui concerne la santé et la sécurité au travail. Le concept de diligence raisonnable doit être mis en application, en prenant toutes les précautions jugées appropriées, compte tenu des circonstances, pour éviter les blessures et les pertes.

30        Il a également fait référence aux principes indiqués dans la directive, soit que « par le biais du Programme de retour au travail, les gestionnaires du SCC doivent voir à ce que les employés qui soignent une blessure ou une maladie (liée ou non au travail) reçoivent l’aide nécessaire pour reprendre, dès que leur état de santé le permet, un emploi productif adapté à leurs capacités » (selon la gravité de l’invalidité).

31        M. Bussey a décrit l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation. Aux termes de cette obligation, il doit trouver un travail adéquat aux employés qui ne sont pas en mesure de s’acquitter de l’ensemble de leurs fonctions en raison d’une invalidité, et il doit le faire jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Par conséquent, l’employeur doit effectuer une analyse de l’emploi et a l’obligation d’attribuer au fonctionnaire des tâches qui conviennent à ses limitations. Habituellement, l’agent chargé des horaires de travail prend la décision définitive quant au retour au travail d’un employé; toutefois, en fin de compte, il s’agit de son pouvoir.

32        Lorsque M. Monaghan a montré le certificat du Dr Strovski à M. Bussey, ce dernier s’est questionné à savoir en quoi consistaient les travaux légers et quelles étaient les restrictions. Il a dit à M. Monaghan qu’il avait besoin d’en savoir plus sur les restrictions applicables à M. Dhillon.

33        M. Monaghan a communiqué avec M. Dhillon et lui a dit qu’il avait besoin de plus de renseignements sur ses limitations.

34        On a demandé à M. Monaghan s’il avait songé, avec M. Bussey, à la possibilité de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de M. Dhillon, selon les limitations indiquées dans le certificat médical du Dr Strovski. Il a répondu « non », parce qu’il ignorait à quoi correspondaient les travaux légers.

35        M. Dhillon s’est ensuite rendu à sa clinique de physiothérapie afin d’obtenir une note de son physiothérapeute indiquant ses restrictions. Il n’a pas dit à son physiothérapeute qu’il avait rencontré et consulté le Dr Strovski.

36        Le physiothérapeute de M. Dhillon lui a remis un billet daté du 25 février 2011, dans lequel il indiquait le diagnostic et les symptômes qui suivent : « Libération du tendon du pouce droit, 25 novembre. Remarque sur les directives de retour au travail progressif – soulever une charge de 10 livres au-dessus de la tête avec les deux mains; 16 livres à la taille avec les deux mains, tirer tout au plus 40 livres avec les deux mains et pousser 16 livres avec les deux mains ».

37        M. Dhillon a remis ce billet à M. Monaghan, qui croyait l’avoir reçu le 26 février. Il a montré le billet à M. Bussey. Ils ont discuté brièvement à savoir où dans l’établissement ils pourraient affecter M. Dhillon en guise de mesure d’adaptation. Ils envisageaient de l’affecter au poste de contrôle à l’entrée principale, du lundi au vendredi, pendant le quart de travail de jour, soit le même poste qui avait été offert à M. Dhillon en avril 2010.

38        Même si M. Monaghan était d’avis que les renseignements fournis par M. Dhillon étaient suffisants pour permettre un retour au travail dans un poste visé par des mesures d’adaptation, il a affirmé que M. Bussey, quant à lui, était préoccupé par les limitations de M. Dhillon. M. Bussey a finalement décidé d’aborder la question avec le comité du personnel de l’établissement.

39        M. Bussey a indiqué que la note du physiothérapeute était plus détaillée que le certificat original du médecin et qu’elle correspondait mieux à ce qu’il cherchait. Il se souvenait d’avoir demandé à M. Monaghan d’évaluer ce que M. Dhillon pouvait faire et ne pas faire.

40        M. Bussey a mentionné une réunion qui a eu lieu le 1er mars 2011, avec un représentant de l’agent négociateur et un représentant des relations de travail, au cours de laquelle ils ont discuté de l’éventuel retour au travail de M. Dhillon. Il se souvient d’avoir discuté de la note du physiothérapeute et du certificat médical. L’agent négociateur avait alors affirmé que le retour au travail devait être imminent, puisque M. Dhillon ne voulait pas perdre son quart de travail de 72 heures continues, qu’il préférait. M. Bussey a informé le représentant syndical qu’il ne s’agissait pas d’un facteur pour déterminer les fonctions que M. Dhillon assumerait. En outre, il n’était pas d’accord avec l’urgence du retour au travail, puisqu’il savait que le fonctionnaire recevait des prestations d’assurance-invalidité de la Financière Sun Life du Canada jusqu’au 1er mai 2011.

41        Il n’arrivait pas à se souvenir si M. Dhillon était présent à la réunion. Il s’est souvenu que, sur la base de la note du physiothérapeute, il avait offert de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de M. Dhillon et de l’affecter à la barrière principale, selon un horaire du lundi au vendredi. Il a affirmé avoir présenté l’offre, que M. Dhillon n’a jamais acceptée.

42        Plus loin dans son témoignage, il a reconnu qu’il n’avait pas discuté personnellement avec M. Dhillon et qu’il avait laissé M. Monaghan s’en charger.

43        M. Monaghan croyait avoir discuté avec M. Dhillon de la possibilité de lui offrir un poste à la barrière principale en guise de mesure d’adaptation. Il a toutefois reconnu qu’il n’était pas certain de l’avoir fait.

44        M. Dhillon a dit qu’on ne lui avait pas offert un poste à la barrière principale en guise de mesure d’adaptation.

45        À la suite des discussions tenues le 1er mars 2011, avec le représentant syndical et les relations de travail, M. Bussey a indiqué qu’il devait obtenir une déclaration définitive du médecin traitant de M. Dhillon sur son pronostic, avant de permettre à ce dernier de retourner au travail à temps plein sans restrictions.

46        Le 2 mars 2011, il a écrit à M. Dhillon, en indiquant en partie ce qui suit :

Par la présente, nous vous informons que nous devons obtenir des renseignements supplémentaires sur vos limitations physiques, qui vous empêchent actuellement de retourner au travail à temps plein sans restrictions.

Nos dossiers indiquent que vous pouvez actuellement recevoir des prestations d’assurance-invalidité jusqu’au 1er mai 2011, tel qu’il a été approuvé.

On m’a informé que vous souhaitez retourner au travail le plus tôt possible et que vous désirez que des mesures d’adaptation soient prises afin de faciliter cette demande.

J’ai reçu des copies de deux certificats médicaux provenant de médecins différents concernant vos limitations actuelles. J’ai examiné ces billets et, malheureusement, ils ne me présentent pas les renseignements requis sur vos limitations physiques par rapport à vos fonctions en tant qu’agent correctionnel. Enfin, je ne peux accepter des certificats médicaux provenant de plusieurs médecins dont les énoncés sont contradictoires.

Par la présente, je vous demande de nous fournir une lettre de votre médecin traitant, qui indiquera en détail la nature exacte de vos limitations physiques et si elles sont permanentes ou pas. Je veux aussi avoir une estimation de la période durant laquelle il faudra prendre des mesures d’adaptation à votre égard. Je n’ai pas besoin de connaître vos renseignements médicaux personnels, seulement les limitations physiques qui découlent de votre état de santé. J’ai joint une copie de l’analyse de l’emploi et de la description de travail à la présente lettre, que votre médecin pourra utiliser à titre de référence pour faire son évaluation.

Par exemple [il ne s’agit pas d’une liste exhaustive], je tiens à savoir si vous pouvez courir ou pas, et si vous pouvez demeurer assis pendant de longues périodes. Je veux également connaître la charge que vous pouvez soulever, ainsi que le type et l’intensité de l’effort physique que vous pouvez faire.

Cette lettre devra être reçue par mon bureau au plus tard le vendredi 18 mars 2011.

Nous examinerons l’évaluation lorsque nous l’aurons reçue afin de déterminer la façon dont nous pourrons prendre des mesures d’adaptation qui conviennent à vos besoins.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

M. Dhillon a pris un rendez-vous avec son médecin traitant et s’est rendu à son cabinet. La Dre Strovskaia a rempli et signé un rapport daté du 4 mars 2011, intitulé [traduction] « Certificat de travail pour M. Manjit Dhillon », qui indique ce qui suit : [traduction] « J’atteste, par la présente, que Manjit Dhillon a été évalué dans ce cabinet et qu’il pourra travailler sans restrictions ou limitations à compter du 7 mars 2011 ».

47        Le jour même, ou le lendemain, M. Dhillon a acheminé la lettre à son lieu de travail ou l’a envoyée par télécopieur.

48        Le vendredi 4 mars 2011, on lui a dit de se présenter au travail le mardi 8 mars 2011. Toutefois, le lundi 7 mars 2011, on lui a dit de ne pas se présenter au travail, en attente d’une autre discussion au sujet de son dossier avec M. Bussey.

49        Selon lui, il a fait tout ce qu’il pouvait pour faciliter son retour au travail. Il avait présenté tous les renseignements requis exigés par la direction.

50         M. Bussey a affirmé avoir été surpris par le rapport de la Dre Strovskaia. Selon le rapport, le fonctionnaire était en mesure de travailler sans restrictions et qu’il pouvait s’acquitter de toutes les fonctions de son poste. Étant donné qu’il ne savait pas comment M. Dhillon avait pu se rétablir en aussi peu de temps, il en a parlé au directeur du jour et aux relations de travail. Pour faire preuve de diligence raisonnable, il a décidé d’écrire directement au médecin de M. Dhillon afin d’obtenir un pronostic définitif absolu.

51        Dans une lettre datée du 10 mars 2011, M. Bussey a écrit à la Dre Strovskaia au sujet du retour au travail de M. Dhillon. La lettre indiquait en partie ce qui suit :

La présente fait suite à la copie de votre certificat médical daté du 4 mars 2011, que M. Dhillon nous a remis et dans lequel vous indiquez qu’il est apte à retourner au travail sans restrictions. Ce billet contredit celui présenté par le Dr Strovskaia (Strovski), le 24 février 2011, qui indiquait des limitations, ainsi que celui de son physiothérapeute, daté du 25 février 2011, qui modifie et qui augmente les limitations. Étant donné que nous avons examiné des renseignements très opposés au cours des huit derniers jours, nous voulions être absolument certains que nous possédons les renseignements requis pour assurer son retour au travail en toute sécurité. Je vous demande de préciser et de confirmer son aptitude au travail et d’expliquer les différences entre les renseignements fournis. En outre, je veux obtenir les renseignements qui suivent : 1. M. Dhillon est-il apte à travailler? 2. Dans l’affirmative, a-t-il des limitations? 3. Si oui, quelles sont-elles et pour combien de temps.

[…]

52        Entre le 4 mars 2011 et le 14 avril 2011, M. Dhillon a affirmé que son état physique était demeuré le même.

53        M. Robinson a indiqué qu’il était membre du comité national de retour au travail. Il a affirmé qu’un fonctionnaire qui souhaitait effectuer un retour au travail après s’être absenté à la suite d’une blessure, devait obtenir un certificat médical, de préférence de son médecin traitant. Si le fonctionnaire a des limitations, le médecin doit les indiquer, ainsi que les restrictions et les mesures d’adaptation requises pour gérer les restrictions. Habituellement, si un employé retourne au travail sans restrictions, un certificat médical à cet égard est suffisant.

54        M. Robinson a parlé du contenu d’un certificat médical. Il a indiqué que, depuis 2006, il n’y avait aucune exigence voulant qu’un médecin fournisse un diagnostic; il n’a qu’à présenter un pronostic et indiquer les limitations et la durée des restrictions, le cas échéant. Il a indiqué que, si l’employé est apte à retourner au travail sans limitations, alors c’est tout ce que le certificat médical doit indiquer.

55        Il a souligné que, dans tous les établissements, lorsqu’un employé s’absente du lieu de travail pendant plus de six mois, son retour au travail doit faire l’objet de discussions à l’échelle régionale ou nationale.

56        M. Robinson a commencé à collaborer au cas de M. Dhillon lorsque le syndicat local a éprouvé des difficultés, à l’échelle régionale, relativement à son retour au travail. Il y avait un problème quant au caractère suffisant des certificats médicaux, y compris celui de son médecin de famille dans lequel il était mentionné qu’il était apte à retourner au travail.

57        Selon une série d’échanges de courriels entre l’agent négociateur et la direction, lorsque M. Dhillon a présenté le premier certificat médical de la Dre Strovskaia, l’agent négociateur a conclu que le fonctionnaire avait présenté un certificat du médecin traitant, tel qu’il a été demandé, ce qui suffisait à justifier son retour au travail. Toutefois, l’employeur était d’avis que sa demande visant à obtenir des précisions supplémentaires était justifiée étant donné que M. Dhillon avait présenté trois billets de trois fournisseurs de soins de santé différents en neuf jours.

58        L’affaire a été renvoyée devant le comité national de retour au travail, qui est formé de représentants du syndicat et de la direction, dans le cadre de sa réunion à Ottawa, le 11 mars 2011. Il a recommandé que M. Dhillon retourne au travail.

59        M. Bussey a indiqué que l’opinion du comité était prise en considération au moment de prendre une décision sur le retour au travail d’un employé. La décision définitive appartient toutefois à lui et au directeur adjoint. Parfois, il tient compte de l’expertise et de l’opinion du comité, et parfois pas.

60        Comme il a été indiqué, il avait décidé d’obtenir de plus amples précisions de la part du médecin traitant de M. Dhillon, et de ne pas permettre à ce dernier de retourner au travail avant de l’avoir obtenu.

61        Apparemment, la Dre Strovskaia n’était pas disponible pour rencontrer M. Dhillon avant le 14 avril 2011, date à laquelle elle a répondu à M. Bussey. Elle lui a alors confirmé que M. Dhillon était apte à travailler, qu’il avait subi un traitement supplémentaire pour ces problèmes, lequel lui avait permis d’améliorer rapidement son état, qu’il n’avait aucune limitation et qu’il pouvait commencer à accomplir ses fonctions habituelles dès que possible.

62        M. Bussey a examiné la note du 14 avril 2011. Il a consulté les relations de travail et le directeur, et il était convaincu d’avoir fait preuve de diligence raisonnable. Il a permis à M. Dhillon de retourner au travail le 18 avril 2011.

63        Il a indiqué qu’il n’avait pas permis à M. Dhillon de retourner au travail plus tôt parce qu’il était dans l’incertitude quant à ses limitations et ses restrictions. Il a également affirmé qu’il n’avait pas pris de mesures disciplinaires à l’égard de M. Dhillon.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

64        Il est frappant que l’employeur ait fait valoir à la commission des accidents du travail que M. Dhillon était apte à retourner au travail dans un poste visé par une mesure d’adaptation à la barrière principale en mai 2010, et que, en février et mars 2011, il ait changé d’idée, et ce, bien que la même blessure et les mêmes limitations aient été en cause.

65        Après avoir examiné les faits, M. Bussey a reconnu qu’après avoir vu la note du physiothérapeute, qui correspondait à ce qu’il recherchait, il a demandé à M. Monaghan de voir s’il était possible de confier à M. Dhillon un poste à la barrière principale, pendant le quart de travail de jour, en guise de mesure d’adaptation. M. Bussey n’a pas été en mesure de confirmer si le poste a réellement été offert à M. Dhillon. Il s’est souvenu d’avoir laissé l’affaire entre les mains de M. Monaghan, qui croyait avoir discuté avec le fonctionnaire au sujet d’un poste visé par une mesure d’adaptation à l’entrée principale, mais il n’en était pas certain. M. Dhillon ne se souvenait d’aucune offre relativement à un poste visé par une mesure d’adaptation qui lui aurait été présentée.

66        À la lumière de cette preuve, selon la prépondérance des probabilités, aucun poste visé par une mesure d’adaptation à l’entrée principale n’a été offert à M. Dhillon.

67        M. Bussey, qui était, semble-t-il, satisfait de la note de février 2011 du physiothérapeute, a changé sa position et a décidé de demander des renseignements supplémentaires auprès du médecin traitant de M. Dhillon, en tenant compte du fait que ce dernier recevait toujours des prestations de la Financière Sun Life et qu’il continuerait d’en recevoir pendant deux autres mois. La Financière Sun Life ne verse que des prestations. Elle n’examine pas un employé blessé ou invalide. S’il retourne au travail, il incombe à l’employé d’en informer la Financière Sun Life.

68        Le médecin traitant a affirmé que M. Dhillon était prêt à retourner au travail, sans limitations. Le certificat médical fourni le 4 mars 2011 contient tous les renseignements requis pour permettre à M. Dhillon de retourner au travail à temps plein sans limitations. M. Bussey voulait en savoir plus, y compris l’opinion du médecin traitant. Il n’a pas le droit d’avoir des détails sur le diagnostic, le traitement ou le type de médicament prescrit à un employé.

69        Lorsque le médecin a indiqué que M. Dhillon était apte à retourner au travail sans restrictions, la responsabilité est passée de l’employeur au médecin. M. Bussey a néanmoins agi comme si M. Dhillon avait toujours des limitations, ce qui correspond à de la discrimination en vertu de la LCDP.

70        La note de la Dre Strovskaia du 14 avril 2011 indique exactement les mêmes renseignements que ceux indiqués dans le certificat médical du 4 mars 2011. La seule différence figure dans la dernière note, où il est précisé que le fonctionnaire avait subi un traitement. M. Bussey n’avait pas droit à ces renseignements.

71        Huit semaines se sont écoulées avant que M. Dhillon ait l’autorisation de retourner au travail. Il ne s’agissait ni de diligence raisonnable ni de conformité à la directive, laquelle prévoit que les employés doivent retourner au travail dès que leur état de santé le permet.

72        Selon le syndicat, M. Dhillon a été victime de discrimination, contrairement à l’article 37.01 de la convention collective. De toute évidence, l’employeur n’a pris aucune mesure d’adaptation à son égard, conformément à ses politiques. M. Dhillon a été privé de la totalité de son traitement, et il a perdu des primes de postes ainsi que des possibilités de travailler des heures supplémentaires. Il a été privé de la possibilité d’accumuler des congés de maladie pendant ces huit semaines, ainsi que de celle d’accumuler huit semaines de service ouvrant droit à pension. Il a subi des difficultés financières excessives et du stress.

73        Dans Dumont c. Commission canadienne des droits de la personne, CanLII 5662, le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») a accueilli une plainte d’un employé alléguant que son ancien employeur avait contrevenu aux dispositions prévues à l’article 7 de la LCDP, en refusant de continuer à l’employer en raison d’une déficience.

74        La preuve a démontré que l’employé dans ce cas souffrait d’une déficience pour laquelle des chirurgies et une période de convalescence étaient nécessaires. L’employeur a obligé l’employé à fournir un certificat médical avant de lui donner du travail. Le demandeur a effectivement obtenu un certificat médical qui indiquait qu’il était apte à reprendre son travail. Aucune restriction ni limitation n’était indiquée dans ce certificat médical. L’employeur n’a pas donné de travail à l’employé.

75        Le Tribunal a conclu que la preuve prima facie soumise par la Commission canadienne des droits de la personne et le plaignant était suffisante pour le convaincre que le plaignant n’avait pas été maintenu en poste en raison d’une déficience perçue. Il a finalement conclu que l’employé avait été victime d’une pratique discriminatoire.

76        Dans Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 41, l’arbitre de grief Shannon a indiqué ce qui suit au paragraphe 129 :

Il n’est pas nécessaire que les considérations en matière de discrimination constituent l’unique raison des actions en litige pour prouver l’allégation de discrimination. Le fonctionnaire devait simplement démontrer que la discrimination était l’un des facteurs de la décision de l’employeur (voir Holden c. Canadian National Railway Company (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (F.C.A.), au paragr. 7). La norme de la preuve dans les affaires de discrimination est la norme civile de la prépondérance des probabilités (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (ministère de la Défense nationale)), [1996] 3 C.F, 789 (C.A.)).

77        En l’espèce, M. Dhillon a été traité différemment de ce qui est requis dans d’autres établissements. L’agent négociateur est d’avis qu’il s’agit de discrimination.

78        Dans Kirby, l’arbitre de grief Shannon a examiné l’application de la même directive en cause dans cette affaire. Elle a indiqué ce qui suit au paragraphe 145 :

Le SCC a accepté qu’il avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de ses employés handicapés ou blessés comme cela est indiqué dans la DC 254 (pièce 2, onglet 76), selon laquelle le SCC s’engage à : «2. […], fournir aux employés du Service correctionnel du Canada qui subissent une blessure ou qui sont malades l’aide et le soutien nécessaires pour qu’ils puissent reprendre un travail productif dès que leur état de santé le permet.»

79        À la lumière des faits présentés dans cette affaire, la Commission a accordé les sommes de 10 000 $ pour souffrances et douleurs, et de 2 500 $ en guise de reconnaissance de l’insouciance délibérée et téméraire de l’employeur à l’égard de ses obligations prévues dans cette directive.

80        Le médecin de M. Dhillon a indiqué que ce dernier était prêt à retourner au travail le 25 février 2011, ce qui a été confirmé par le rapport médical du 4 mars 2011. Il a respecté les règles établies par le SCC et le Conseil du Trésor. L’employeur, qui aurait pu jouer de prudence et lui offrir un poste adapté en attendant qu’il soit déclaré apte à retourner au travail ou lui permettre de retourner à son poste sans restrictions, n’a pas pris de mesures d’adaptation à son égard. L’employeur lui a permis de retourner au travail le 18 avril 2011 seulement.

B. Pour l’employeur

81        M. Dhillon a déposé deux griefs. Le premier grief porte sur une mesure disciplinaire alléguée et le fonctionnaire y affirme avoir été suspendu sans traitement. Le deuxième grief porte sur des contraventions alléguées à la convention collective et à la LCDP.

82        La preuve présentée n’a pas démontré que l’employeur avait pris une mesure disciplinaire.

83        La justification relative au refus de permettre au fonctionnaire de retourner au travail était fondée sur une préoccupation légitime. Il avait présenté trois opinions médicales différentes en neuf jours. Aucune mesure disciplinaire ne peut être déduite des gestes posés par l’employeur.

84        Dans Ho c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 114, le fonctionnaire a contesté la décision de l’employeur de ne pas lui permettre de retourner au travail après son congé de maladie, malgré l’opinion d’un médecin selon laquelle il était apte à le faire. Il a affirmé que la décision de l’employeur était de nature disciplinaire. Dans cette affaire, l’arbitre de grief a indiqué, au paragraphe 47, qu’il incombait au fonctionnaire de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la mesure prise par l’employeur constituait une mesure disciplinaire à son égard.

85        Dans Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, au paragraphe 20, la Cour fédérale a indiqué ce qui suit :

La jurisprudence confirme que toute mesure prise par l’employeur qui a un effet préjudiciable sur l’employé n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. Même si un employé se sent lésé par des décisions qui ont une incidence négative sur ses conditions d’emploi, la grande majorité des adaptations faites en milieu de travail sont de nature purement administrative et ne se veulent pas une forme de sanction […]

86        La Cour a aussi indiqué ce qui suit au paragraphe 24 :

Le problème de la mesure disciplinaire déguisée peut aussi être abordé par l’examen des effets de la mesure sur l’employé.Lorsque l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué, la décision peut être considérée comme disciplinaire […] Cependant, cette norme ne sera pas atteinte si la mesure imposée par l’employeur est jugée comme étant une réaction raisonnable (mais pas nécessairement la meilleure) à des considérations opérationnelles honnêtes.

87        Aucune preuve ne m’a été présentée me permettant d’établir qu’il s’agit d’un cas de discrimination. L’employeur ne faisait que se conformer à ses obligations de veiller à ce que le retour au travail du fonctionnaire soit autorisé par un médecin, afin de garantir la santé et la sécurité du milieu de travail. Cette obligation comprenait la recherche d’informations au sujet des restrictions de M. Dhillon, qui fait partie de la diligence raisonnable au moment de mettre en œuvre l’obligation de prendre des mesures d’adaptation lorsqu’un employé a des limitations. L’employeur a agi de façon raisonnable, compte tenu des faits dont il disposait. Après avoir consulté les relations de travail, et étant donné les notes du Dr Strovski et du physiothérapeute, M. Bussey a décidé qu’il devait obtenir l’opinion du médecin traitant. Lorsqu’il l’a obtenue, à sa surprise, il a été informé que le fonctionnaire était apte à retourner au travail sans restrictions. Il était confus et avait peur que le fonctionnaire se blesse de nouveau.

88        Une offre a été présentée au représentant syndical le 1er mars 2011. Selon cette offre, M. Dhillon pouvait travailler à la barrière principale, en attendant de recevoir des précisions. L’offre tenait toujours. L’employeur n’a jamais obtenu de réponse et a conclu qu’elle n’était pas acceptée. L’employeur était d’avis qu’il appartenait au syndicat de parler de l’offre à M. Dhillon.

89        Par la suite, l’employeur voulait se conformer à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation; il devait toutefois s’assurer que M. Dhillon était apte à s’acquitter de toutes ses fonctions. L’employeur a choisi de privilégier la prudence et d’obtenir des précisions.

90        Dans Halfacree c. Canada (Procureur général), 2014 CF 360, la Cour fédérale indique ce qui suit au paragraphe 45 :

La jurisprudence arbitrale indique qu’un simple billet médical ne suffit pas nécessairement pour justifier une demande de congé de maladie… D’ailleurs, les arbitres ont toujours conclu que l’employeur est en droit de faire des demandes raisonnables pour obtenir des renseignements médicaux lorsqu’il n’est pas certain que l’employé ait adéquatement expliqué son absence. Le caractère raisonnable des demandes dépendra des circonstances de chaque affaire. Des facteurs tels que la durée prévue de l’absence, l’insuffisance des documents produits par l’employé, et la présence de renseignements contradictoires touchant sa santé, peuvent inciter l’employeur à réclamer plus d’informations.

91        Dans Ricafort c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-17422 (19 881 129), [1988] C.R.T.F.P. no 321 (QL), La Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») a eu à trancher une question de fait consistant à déterminer si l’employeur avait des motifs suffisants pour mettre en doute l’aptitude du fonctionnaire (dans cette affaire) à retourner au travail. Dans ce cas, la CRTFP a conclu que, selon les certificats médicaux fournis par le fonctionnaire, l’employeur avait encore plusieurs raisons de douter de son aptitude à s’acquitter de ses fonctions et de conclure qu’en le réintégrant au travail, il pourrait mettre en péril sa santé. À la lumière de ses faux-fuyants sur son état de santé, il était parfaitement raisonnable que la CRTFP conclue que l’employeur avait choisi de privilégier la prudence en demandant au fonctionnaire de lui remettre un autre certificat médical en guise de condition à son retour au travail. La CRTFP a indiqué ce qui suit à la page 15 :

Quant à savoir si l’employeur avait le pouvoir d’agir comme il l’a fait, à mon avis la prépondérance de la jurisprudence en matière d’arbitrage donne raison à l’employeur. En fait, dans presque toutes les décisions d’arbitrage citées par le représentant de l’employé, la Commission reconnaît implicitement ou explicitement que l’employeur avait le pouvoir, voire l’obligation dans certaines circonstances, d’empêcher un employé inapte au travail à reprendre ses fonctions.

92        Il était raisonnable, à la lumière des renseignements indiqués dans les trois certificats, que l’employeur cherche à obtenir plus de renseignements. L’employeur était confus et s’inquiétait du fait que le fonctionnaire ne soit peut-être pas apte à s’acquitter de ses fonctions. Il s’agissait là de préoccupations légitimes jusqu’au 14 avril, date à laquelle le médecin traitant a expliqué que M. Dhillon avait subi un autre traitement et qu’il était donc apte à retourner au travail sans limitations. Rien ne laisse entendre que l’employeur était motivé par autre chose que des préoccupations légitimes. L’employeur a agi conformément aux directives du commissaire, qui exigent d’agir et de prendre des précautions raisonnables pour éviter que le fonctionnaire se blesse.

93        Aucune preuve ne m’a été présentée laissant entendre que le refus de l’employeur, en ce qui concerne le retour au travail du fonctionnaire, constituait une mesure disciplinaire. Aucune preuve ne sous-entend que l’employeur le punissait. Il n’y a eu aucune inconduite; il n’a pas fait l’objet de mesures disciplinaires. Aucune étape du processus disciplinaire habituel n’a été franchie.

94        L’employeur ne croyait pas que le fonctionnaire avait une déficience. Il a agi en fonction des renseignements indiqués dans le premier certificat médical. Le fonctionnaire continuait de recevoir un dédommagement de la Financière Sun Life. L’employeur n’a pas traité M. Dhillon différemment.

95        Même si le comité national de retour au travail a recommandé le retour au travail de M. Dhillon, le directeur ne reçoit pas de directives du comité national de retour au travail, dont le but est de fournir une orientation et non des directives.

96        La preuve selon laquelle M. Dhillon pouvait travailler dans un poste à l’entrée principale de l’établissement en guise de mesure d’adaptation était contradictoire. L’employeur n’a pas laissé entendre que les renseignements médicaux l’auraient empêché d’occuper un emploi adapté là. La preuve contradictoire réside dans le fait qu’il était toujours couvert par la Financière Sun Life.

97        Il n’y avait aucun sentiment d’urgence. M. Dhillon n’était pas sans revenus. Il recevait 70 % de son salaire de la Financière Sun Life. Il était plus important de prendre le temps d’évaluer les risques que de permettre à M. Dhillon de retourner s’acquitter de toutes ses fonctions.

C. Réponse de l’agent négociateur

98        Le besoin d’obtenir des renseignements médicaux supplémentaires doit se fonder sur une preuve claire et convaincante, et non sur des hypothèses.

99        Tout le monde comprenait le processus de retour au travail et ce qui était requis en ce qui concerne le certificat médical. Le comité national de retour au travail a la responsabilité de se pencher sur le retour au travail d’employés qui se sont absentés du lieu de travail pendant plus d’un an. Le comité s’appuie sur les experts avec qui il collabore. Aucune preuve n’a été présentée démontrant pourquoi la directive du comité n’a pas été suivie dans cette affaire. M. Dhillon a été traité de façon différente. L’employeur a ignoré le processus et le conseil du comité.

100        L’examen des certificats médicaux était clair. Que fallait-il de plus pour permettre à M. Dhillon d’occuper le poste à l’entrée principale en guise de mesure d’adaptation? À la lumière d’un examen de la preuve, on ne lui a jamais offert le poste à l’entrée principale en guise de mesure d’adaptation. Si M. Bussey était toujours préoccupé après avoir reçu le premier rapport médical de la Dre Strovskaia, il aurait tout de même pu offrir le poste à l’entrée principale à M. Dhillon en guise de mesure d’adaptation. Il a décidé de ne pas le faire, parce que M. Dhillon continuerait d’être payé pendant deux autres mois.

101        Le refus de réintégrer M. Dhillon dans l’effectif était arbitraire et, selon l’agent négociateur, de nature disciplinaire, et constituait une suspension.

V. Motifs

102        Selon moi, aucune preuve n’appuie la prétention selon laquelle le fait de ne pas permettre à M. Dhillon de retourner au travail constituait une mesure disciplinaire. M. Dhillon n’a pas fait l’objet de mesures disciplinaires et, par conséquent, le grief alléguant le contraire est rejeté.

103        En ce qui concerne le grief alléguant le défaut de se conformer à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, l’arbitre de grief Shannon a tenu compte de l’application de la directive DC 254 dans Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), mentionnée ci-dessus

104        Au paragraphe 145, elle a indiqué que « Le SCC a accepté qu’il avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de ses employés handicapés ou blessés comme cela est indiqué dans la DC 254 (pièce 2, onglet 76), selon laquelle le SCC s’engage à : “2. […], fournir aux employés du Service correctionnel du Canada qui subissent une blessure ou qui sont malades l’aide et le soutien nécessaires pour qu’ils puissent reprendre un travail productif dès que leur état de santé le permet.” »

105        À la lumière des faits en l’espèce, je suis convaincu que l’employeur aurait dû permettre à l’employé d’occuper un poste à la barrière principale de l’établissement en guise de mesure d’adaptation, après que M. Dhillon eût fourni le billet du Dr Strovsky, le 24 février 2011, qui indiquait qu’il pouvait retourner au travail à condition d’accomplir des travaux légers à compter du 1er mars 2011, et la note de son physiothérapeute indiquant ses limitations. Je conclus que l’employeur ne s’est pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire dès que son état de santé l’a permis. Il ne fait aucun doute que M. Dhillon, avec ces restrictions, pouvait accomplir les fonctions d’un agent correctionnel de niveau 1 au poste de l’entrée principale.

106        Bien que, au cours de la réunion du 1er mars 2011, avec M. Bussey, les relations de travail et le représentant syndical, il y ait eu des discussions sur le possible retour au travail de M. Dhillon dans un poste à la barrière principale de l’établissement en guise de mesures d’adaptation, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Dhillon n’a jamais été informé qu’il pouvait retourner au travail à ce poste. M. Bussey a affirmé qu’il avait présenté l’offre et que M. Dhillon ne l’avait jamais acceptée. Il n’arrivait toutefois pas à se souvenir de la présence de M. Dhillon à la réunion. Plus loin dans son témoignage, il a reconnu ne pas avoir discuté avec M. Dhillon et qu’il avait laissé M. Monaghan s’en charger. M. Monaghan croyait avoir discuté de cette possibilité avec M. Dhillon, tout en reconnaissant qu’il n’en était pas certain. M. Dhillon a affirmé qu’on ne lui avait pas offert un poste visé par une mesure d’adaptation à la barrière principale.

107        Je conclus donc que l’employeur ne s’est pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire dès que son état de santé le permettait, comme l’indique sa directive, en ne le réintégrant pas dans un poste visé par une mesure d’adaptation à l’entrée principale.

1. Le défaut de permettre au fonctionnaire de s’acquitter de l’ensemble de ses fonctions en tant qu’agent correctionnel sans limites constitue-t-il un défaut de se conformer à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation?                                

108        L’employeur a une obligation de s’assurer que les employés qui retournent au travail après un congé lié à un trouble médical soient aptes à le faire et à s’acquitter de leurs fonctions, et que leur médecin a approuvé le retour. M. Bussey a indiqué qu’il avait la responsabilité de s’assurer qu’un agent est en mesure de s’acquitter de son mandat et, plus particulièrement, d’accomplir son travail de protection envers lui-même et envers autrui, et qu’il doit faire preuve de diligence raisonnable pour s’assurer qu’un agent peut retourner au travail le plus rapidement possible et en toute sécurité. Il s’agit d’une lourde responsabilité.

109        Étant donné l’ambiguïté des certificats du Dr Strovsky, du physiothérapeute et de la Dre Strovskaia, je suis convaincu que M. Bussey faisait preuve de diligence raisonnable en cherchant à obtenir des précisions de la Dre Strovskaia avant de permettre à M. Dhillon d’accomplir ses fonctions d’agent correctionnel à temps plein sans limitations. Même si je reconnais que le comité national de retour au travail a recommandé la réintégration intégrale M. Dhillon dans son poste, et ce, sans limitations, c’est le directeur sur place qui a l’autorisation de prendre cette décision. C’est cette personne qui assume la responsabilité de la sécurité des détenus et des employés dans l’établissement. Dans les circonstances entourant la présente affaire, le fait de refuser à M. Dhillon d’occuper ses fonctions à temps plein sans limitations ne constitue pas, selon moi, un défaut de se conformer à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

110        Étant donné que j’ai conclu que l’employeur avait omis de s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire en ne lui offrant pas le poste à la barrière principale avec limitations en guise de mesure d’adaptation, et ce, en date du 1er mars 2011, le fonctionnaire doit être dédommagé en conséquence.

111        M. Dhillon a aussi demandé à obtenir la somme de 20 000 $ pour souffrances et douleurs en vertu de la LCDP. Bien que la Commission puisse, à sa discrétion, accorder cette réparation en vertu de l’alinéa 53(2)e), ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé judicieusement. Dans la présente affaire, le fonctionnaire n’a fourni aucune preuve relativement à cette demande. Par conséquent, la demande pour souffrance et douleurs n’est pas justifiée dans les circonstances.

112        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

113        Le grief alléguant une mesure disciplinaire est rejeté.

114        Le grief alléguant une omission de se conformer à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est accueilli. M. Dhillon doit être dédommagé en fonction du fait qu’il aurait dû retourner travailler dans un poste visé par une mesure d’adaptation à la barrière principale de l’établissement, à titre de CX-01, en date du 1er mars 2011.

115        J’ordonne aux parties de se consulter afin de mettre au point les détails de la réparation intégrale, y compris les primes de poste, les occasions d’heures supplémentaires manquées, les primes de fin de semaine, etc., pour la période allant du 1er mars 2011 au 18 avril 2011.

116        Au plus tard dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, les parties informeront la Commission si elles sont parvenues à une entente sur la question de la rémunération, comme il est indiqué ci-dessus.

117        La Commission demeurera saisie de l’affaire en vue de traiter toute question découlant de la présente ordonnance pour une période de 180 jours à compter de l’émission de la présente décision.

Le 28 juillet 2016.

Traduction de la CRTEFP

David Olsen,
une formation de la Commission des relations de travail
et de l’emploi dans la fonction publique
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