Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Six plaignants se sont plaints que leur agent négociateur et six de ses représentants avaient manqué à leur devoir de représentation équitable à l’égard d’une entente de règlement globale négociée par l’agent négociateur et l’employeur des plaignants – ladite entente prévoyait le retrait de 400 griefs liés à la protection salariale, en échange du dédommagement de plus de 2 000 employés, dont certains n’avaient pas déposé de griefs mais auraient bénéficié de l’entente de règlement – la Commission a conclu que les plaignants n’avaient pas produit de preuve forte et probante démontrant que les défendeurs avaient agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi, dans le cadre de leurs décisions et stratégies visant à négocier l’entente de règlement – la Commission a conclu que la décision de l’agent négociateur était motivée et fondée sur l’intérêt légitime de tous les employés faisant partie de l’unité de négociation, dans son ensemble, et sur les préoccupations des défendeurs – la Commission a conclu que les défendeurs avait fourni de la représentation avec intégrité et compétence et qu’ils avaient tenu compte des répercussions de l’entente de règlement sur tous les employés concernés – la Commission a conclu que les motifs sous‑jacents des défendeurs et les moyens qu’ils ont utilisés pour parvenir à leurs décisions étaient légitimes et raisonnables.Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et Loi sur les relations
de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20160919
  • Dossier:  561-02-519, 537, 541, 561 et 671
  • Référence:  2016 CRTEFP 87

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

SUSAN BIALY, KAMALARANJINI MYLVAGANAM, NAUSHEEN KHAN,
KENNETH MAYHEW, LAURIE JARVIS ET ANDREA SINCLAIR

plaignants

et

JOHN GORDON, ANTHONY TILLEY, JEANNETTE MEUNIER-MCKAY,
STEVE McCUAIG, ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA,
GARY TRIVETT ET ROBYN BENSON

défendeurs

Répertorié
Bialy c. Gordon


Affaire concernant des plaintes visées à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
Stephan J. Bertrand, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour les plaignants:
Susan Bialy, Kamalaranjini Mylvaganam et Nausheen Khan
Pour les défendeurs:
Morgan Rowe, avocat
Affaire entendue à Toronto (Ontario)
du 7 au 9 juillet et le 8 septembre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plaintes dont est saisie la Commission

1                  À l’aide de cinq plaintes distinctes, déposées entre juin 2011 et février 2014, Susan Bialy, Kamalaranjini Mylvaganam, Nausheen Khan, Kenneth Mayhew, Laurie Jarvis et Andrea Sinclair (les « plaignants ») ont allégué que leur agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), John Gordon, Anthony Tilley, Jeannette Meunier-Mckay, Steve McCuaig, Gary Trivett et Robyn Benson (les « défendeurs ») ont manqué à leur devoir de représentation équitable à leur égard. Ces plaintes ont été déposées en vertu de l’al. 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») qui se lit comme suit :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

2                  Selon la définition prévue à l’article 185 de la Loi, une pratique déloyale s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1). Le renvoi figurant à l’art. 185 qui s’applique aux faits de ces plaintes est l’art. 187, qui prévoit ce qui suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

3        L’article 187 a été édicté afin d’imposer un devoir de représentation équitable aux organisations syndicales et à leurs représentants auquel, selon les plaignants, les défendeurs ont fait preuve de manquement. Les défendeurs ont répondu de manière uniforme qu’ils se sont acquittés de leur devoir de représentation équitable et qu’aucune des allégations des plaignants n’équivaut à une violation de l’art. 187.

4        À la suite de deux conférences de gestion des cas, il a été déterminé que les cinq plaintes pouvaient être regroupées et entendues ensemble. À l’audience, les plaignants ont précisé qu’ils ne prétendaient pas que les défendeurs avaient agi de manière discriminatoire, mais plutôt qu’ils ont agi de manière arbitraire et de mauvaise foi en relation avec l’entente de règlement conclue entre l’AFPC et l’employeur des plaignants, Ressources humaines et Développement des compétences Canada (l’« employeur »), qui prévoyait, entre autres, le retrait des griefs concernant la protection salariale qu’ils avaient déposés au nom des plaignants.

5             Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2 de la Loi) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013. De plus, en vertu de l’article 395 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, le commissaire de l’ancienne Commission saisi de cette affaire avant le 1er novembre 2014 a les mêmes attributions qu’une formation de la nouvelle Commission.

II. Résumé de la preuve

6        Les faits pertinents de ces plaintes ont été résumés à partir de la preuve documentaire déposée par les parties et des témoignages de Susan Bialy, une des plaignantes, d’Anthony Tilley, président du Syndicat national de la santé, un élément de l’AFPC, et d’Ian Thompson, un représentant principal du Syndicat de l’Emploi et de l’Immigration du Canada, un autre élément de l’AFPC.

7                  Les plaignants sont des agents de prestation des services II (des « APS ») employés dans le secteur des Programmes de la sécurité du revenu de l’employeur. Une description de travail générique nationale élaborée en 1994 s’appliquait à tous les APS qui exerçaient des fonctions relativement à l’application du Régime de pensions du Canadaet de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (L.R.C. (1985), ch. O-9) et visait les trois voies de prestation de services suivants : le traitement, le centre d’appels et la prestation de services en personne. Dans certaines des installations de l’employeur, les APS exerçaient des fonctions dans les trois voies sans exception de manière interchangeable, tandis qu’il n’y avait aucun chevauchement dans d’autres installations. Selon cette description de travail, tous les APS étaient classés selon le groupe et niveau CR-05.

8                  Entre 1996 et 2004, l’AFPC a présenté de nombreux griefs pour le compte des APS liés à leur salaire, à leur classification et à leur description de travail, ce qui a entraîné des consultations avec l’employeur et qui a en dernier ressort abouti à une entente portant sur le contenu d’une nouvelle description de travail des APS en 2005. Entre-temps, les griefs non réglés qui avaient été déposés pour le compte des APS ont été tenus en suspens.

9                  En août 2005, dans le cadre d’une réponse à un grief au dernier palier relativement à des griefs antérieurs sur le contenu de la description de travail, l’employeur a fourni à certains employés une version provisoire de la nouvelle description de travail. Cette réponse a fait en sorte que les griefs soient accueillis en partie et elle a reconnu que la nouvelle description de travail indiquait mieux les fonctions des APS. Toutefois, comme Mme Bialy l’a reconnu dans son témoignage, cette description de travail n’était qu’une ébauche; elle n’indiquait ni le numéro du poste ni sa classification, elle ne comprenait aucune date d’entrée en vigueur et elle n’était pas signée.

10        Même si Mme Bialy m’a renvoyé à un rapport du comité de classification en date du 25 mai 2006 qui semble suggérer que la nouvelle description de travail des APS avait été reclassée au groupe et au niveau PM-02, elle a également reconnu que ce rapport n’était pas signé et qu’il pourrait s’agir simplement d’une ébauche. Le résumé d’une conférence téléphonique tenue le 29 mars 2007, à laquelle Mme Bialy a participé, semble suggérer qu’il en est ainsi. Ce qui est clair est que l’employeur n’a jamais mis en œuvre ni classifié la description de travail jointe à la réponse au grief au dernier palier d’août 2005 (voir l’onglet 25 de la pièce 1, pages 33 à 35).

11        Après le processus d’examen de classification en 2006, l’employeur a décidé de diviser le poste d’APS en deux postes distincts visés par deux descriptions de travail différentes; il a annoncé cette division le 4 juillet 2007. Selon M. Tilley, cette décision a été prise conformément à l’octroi général de pouvoir conféré à l’employeur par le paragr. 11.1(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11) et sans consulter l’AFPC. Une description de travail s’appliquait aux employés qui exerçaient des fonctions dans le centre d’appels et de prestation de services en personne (la [traduction] « description de travail pour le contact avec la clientèle ») et l’autre s’appliquait aux employés qui exerçaient des fonctions de traitement (la [traduction] « description de travail aux fins des critères d’admissibilité aux prestations »). Les employés ne devaient plus exécuter toutes les voies de prestation de services de manière interchangeable, mais devaient plutôt exercer les fonctions de prestation de services visées par la description de travail en vertu de laquelle ils ont été employés.

12        Même si la description de travail pour le contact avec la clientèle demeurait classifiée au groupe et au niveau CR-05, celle aux fins des critères d’admissibilité aux prestations a en dernier ressort été classifiée au groupe et au niveau PM-02, puisqu’il a été constaté que les APS traitaient des dossiers plus complexes et litigieux. Les deux descriptions de travail devaient être considérées en vigueur du 1er avril 1996 au 13 septembre 2006. Mme Bialy a reconnu que, pendant la période concernée, elle exerçait principalement des fonctions dans le centre d’appels.

13        L’AFPC ne souscrivait pas à la décision de l’employeur de créer deux postes d’APS distincts. En juin 2009, elle a renvoyé à l’arbitrage plus de 400 griefs afin de contester l’omission de l’employeur de mettre en œuvre la description de travail provisoire de 2005, contrairement à ce dont l’employeur avait convenu dans sa réponse au grief au dernier palier. L’audience de ces griefs était prévue en mars 2010 à titre de cas type devant un arbitre de grief (le « cas type Abraham »).

14        Il ressort clairement de la preuve documentaire et du témoignage de M. Tilley que l’AFPC communiquait fréquemment avec Mme Bialy, tant par courriel que par téléphone, pendant la phase du cas type Abraham afin de la tenir à jour quant à l’état du cas et de répondre à ses questions. Il ressort clairement de la preuve qu’elle a été informée des nombreuses préoccupations de l’AFPC quant à la viabilité et au bien-fondé des griefs non réglés, plus particulièrement en ce qui concerne le délai et les oppositions liées à la compétence soulevées par l’employeur. M. Tilley a indiqué les nombreuses difficultés auxquelles l’AFPC faisait face lorsqu’elle a tenté d’assurer la mise en œuvre de la description de travail provisoire de 2005 ou de la faire déclarer exécutoire par un arbitre de grief dans le cadre d’un arbitrage. Il a ajouté que ces difficultés avaient été communiquées à Mme Bialy à ce moment-là.

15        Le premier jour de l’audience du cas type Abraham, l’AFPC et l’employeur ont discuté de la possibilité de régler tous les griefs non réglés concernant les APS. Pendant son témoignage, M. Tilley a indiqué que Mme Bialy avait été invitée à assister à cette audience, ce qu’elle a fait, qu’elle avait été consultée et qu’elle avait participé au processus décisionnel quant à la question de savoir si des négociations de règlement devraient être amorcées avec l’employeur. À ce moment-là, on lui a rappelé de nouveau les avantages et les risques de procéder à l’audience des griefs non réglés concernant les APS. L’AFPC estimait que, puisque les APS n’avaient pas tous déposé des griefs, un règlement global serait avantageux pour le plus grand nombre d’employés membres de l’unité de négociation et elle a communiqué cette position à Mme Bialy à ce moment-là.

16        À la suite de nombreuses consultations internes, l’AFPC a accepté d’amorcer des négociations de règlement avec l’employeur, un processus qui s’est déroulé pendant la plus grande partie de 2010 et au début de 2011. L’AFPC a tenu les employés membres de l’unité de négociation au courant du processus de négociation et de sa position relativement à un règlement possible par l’intermédiaire de son site Web et des sites Web de ses éléments.

17        En juillet 2011, l’AFPC et l’employeur sont parvenus à une entente qui permettait de régler essentiellement tous les griefs non réglés concernant les APS, y compris ceux portant sur la description de travail des APS visant la période d’avril 1996 à septembre 2006. Selon M. Tilley, à ce moment-là, il existait environ 1 200 griefs non réglés. En échange du retrait des griefs non réglés concernant les APS, l’employeur a accepté de rémunérer tous les employés qui avaient travaillé à titre d’APS au taux approximatif de celui d’un PM-02 pour le nombre de jours pendant lesquels ils ont exercé des fonctions entre ces dates. Selon M. Tilley, plus de 2 000 employés étaient touchés par cette entente de règlement et l’employeur avait versé un montant approximatif de 80 000 000 $ à titre de rémunération.

18        À ce moment-là, il a été indiqué clairement à Mme Bialy que l’entente de règlement reconnaissait les APS travaillant dans les centres d’appels, comme elle, comme des fonctionnaires occupant de manière intérimaire les postes PM-02 de 1996 à 2006 et que des efforts visant à ce que son poste soit reclassifié au groupe et au niveau PM-02 de manière permanente étaient entrepris dans le cadre d’une autre procédure de règlement des griefs, qui était en cours et qui n’était pas visé par l’entente de règlement (pièce 5). En fait, il ressort de la preuve que l’AFPC a continué de représenter Mme Bialy après qu’elle a déposé ses plaintes contre celle-ci.

19        L’employeur a ensuite envoyé une communication écrite aux plaignants en août 2011 en vue de les informer de leur admissibilité à la rémunération aux termes de l’entente de règlement et de demander qu’ils signent une décharge indiquant qu’ils acceptaient ces conditions et autorisant le retrait de leurs griefs. La décharge prévoyait particulièrement ce qui suit :

[Traduction]

ATTENDU QUE le 8 juillet 2011, l’Alliance de la Fonction publique du Canada […] et Ressources humaines et Développement des compétences Canada […] ont signé une entente de règlement qui constituait un règlement complet et final de tous les griefs et réclamations qu’un employé occupant le poste de APS-02 […] avait, a ou pourrait avoir […]

[…]

[…] Je, Susan Bialy, libère et dégage maintenant et définitivement (l’employeur) […] de toute responsabilité à l’égard de tous […] griefs […]

[…]

JE COMPRENDS ET JE SUIS D’ACCORD qu’au moment de réception du paiement mentionné ci-dessus, mon ou mes griefs de classification est ou sont par les présentes retirés et, si l’employeur en fait la demande, je signerai tout document nécessaire pour retirer un ou de tels griefs.

JE COMPRENDS, JE SUIS D’ACCORD ET JE DÉCLARE EN OUTRE que j’ai demandé des conseils du Syndicat et que j’ai été représenté pleinement et équitablement avant de signer cette décharge, ou que j’ai choisi de renoncer à ce droit et que j’ai lu la présente décharge et que je comprends complètement les conditions et les effets juridiques de la présente décharge et qu’il n’existe aucune déclaration, garantie, promesse, incitation, entente ou condition relativement à la présente décharge ou à la responsabilité des parties en vertu de celle-ci, autre que celles qui y sont prévues.

20        Le 2 décembre 2011, les plaignants ont chacun signé la décharge en question et l’ont retournée à l’employeur avec la mention suivante : [traduction] « signé sous l’effet de la contrainte et d’un abus d’influence ». Il a répondu en leur indiquant qu’il ne serait pas en mesure de traiter leur paiement en fonction des décharges signées de cette manière.

21        Le 29 décembre 2011, les plaignants ont signé un autre ensemble de décharges, sans aucune mention ou remarque. Ils n’ont présenté aucun élément de preuve de contrainte ou d’abus d’influence à l’audience. De plus, Mme Bialy a reconnu avoir reçu une copie de l’entente de règlement dans le cadre d’une demande d’accès à l’information présentée plusieurs mois avant d’avoir signé la décharge. Elle a également reconnu avoir lu l’entente de règlement et avoir demandé d’autres précisions auprès de l’AFPC avant de la signer.

22        Les paiements de toute rémunération prévue par l’entente de règlement, y compris les plaignants, ont été effectués à la mi-janvier 2014. Un paiement forfaitaire important a été versé au nom de Mme Bialy afin d’augmenter son salaire au taux approximatif de celui d’un PM-02 pour la période d’avril 1996 à septembre 2006. L’AFPC a ensuite retiré tous les griefs non réglés concernant la description de travail des APS visant la période de 1996 à 2006, tel qu’elle en avait convenu. M. Tilley a affirmé qu’à ce moment-là, l’AFPC aurait pu retirer ces griefs en vertu du paragr. 209(2) de la Loi puisque son approbation était requise pour les renvoyer à l’arbitrage. Les plaignants n’auraient pas été en mesure de poursuivre ces questions par eux-mêmes, sans l’approbation de l’AFPC.

23        Un grand nombre d’échanges de courriel entre l’AFPC et Mme Bialy ont été déposés en preuve et il ressort clairement de ces échanges que les représentants d’AFPC ont tenté à maintes reprises de répondre à ses questions, à traiter ses préoccupations, à l’informer de ses positions et à lui donner des conseils. Après l’entente de règlement, l’AFPC a continué de répondre aux questions des plaignants quant à sa nature et à sa mise en œuvre. Elle les a également informés qu’elle demeurait prête à poursuivre en leur nom tout grief fondé futur, y compris ceux concernant leur classification après 2006.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les plaignants

24        Mme Bialy m’a présenté un document de 117 pages qu’elle a proposé de lire textuellement au titre de ses arguments. Il ne contenait aucun titre ou sous-titre et semblait être un collage d’affirmations et d’opinions formulées par les plaignants au cours des années. Lorsque j’ai demandé à Mme Bialy de m’indiquer clairement les parties saillantes qui étayaient le mieux ses arguments, elle n’a pas été en mesure de le faire.

25        Malheureusement, les arguments des plaignants sont élaborés et constituent un mélange de faits, d’affirmations et d’arguments présentés d’une manière qu’il m’est impossible de résumer. L’idée maîtresse de leurs préoccupations variait d’un argument à l’autre.

26        Toutefois, ce qui ressort très clairement est que les plaignants ne souscrivaient pas aux stratégies de l’AFPC et à sa décision d’accepter de retirer tous les griefs non réglés concernant la description de travail des APS, surtout les leurs, dans le cadre d’un règlement global touchant tous les APS. Malgré le fait que les plaignants ont chacun signé une décharge indiquant qu’ils avaient fait l’objet d’une représentation équitable et qu’ils avaient obtenu des paiements importants au titre de la rémunération, ils ont continué d’affirmer que l’AFPC n’aurait jamais dû avoir accepté le règlement conclu en juillet 2011, qu’elle n’aurait jamais dû avoir accepté de retirer leurs griefs non réglés et qu’elle aurait dû continuer de contester l’omission de l’employeur de mettre en œuvre la description de travail des APS de 2005. Selon les plaignants, ces actes ont été effectués de manière arbitraire et de mauvaise foi, contrairement à l’art. 187 de la Loi.

B. Pour les défendeurs

27        Les défendeurs m’ont rappelé que le fardeau de la preuve revient aux plaignants et qu’ils devaient, dans ces types de cas, présenter une preuve suffisante permettant d’établir que les défendeurs avaient agi d’une manière qui est contraire à leur devoir prévu à l’art. 187 de la Loi. Ils ont fait valoir que mon rôle dans le cadre de l’évaluation de chaque plainte consiste à déterminer si les défendeurs ont agi d’une manière qui était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi et non s’ils ont pris la bonne ou la mauvaise décision dans le cadre de leur représentation des plaignants. Selon les défendeurs, la question devrait se limiter à celle de savoir si leur processus décisionnel était conforme à leur devoir de représentation équitable. À l’appui de cet argument, ils m’ont renvoyé à Cousineau c. Walker et Alliance de la fonction publique du Canada, 2013 CRTFP 68.

28        Les défendeurs ont soutenu que certaines décisions rendues par la nouvelle et l’ancienne Commission ont reconnu qu’un agent négociateur peut décider de ne pas poursuivre le grief d’un employé, même si l’employé le conteste, sans manquement au devoir de représentation équitable. De même, ils ont suggéré que ce principe s’applique aux circonstances où un agent négociateur choisit de régler un grief lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé le conteste. À l’appui de cet argument, ils m’ont renvoyé à Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13; Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC LRB); Cousineau.

29        Les défendeurs ont suggéré qu’en concluant un règlement global avec l’employeur, l’AFPC a tenu compte non seulement des intérêts des plaignants, mais également de ceux de tous les employés membres de l’unité de négociation, y compris les APS qui n’avaient pas déposé des griefs, mais qui pourraient bénéficier d’un règlement. Ils m’ont renvoyé à Buchanan c. Association canadienne des employés en télécommunications, 2006 CCRI 348, une décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) qui portait sur une situation factuelle très semblable.

30        Dans cette décision, la plaignante alléguait que son Syndicat avait manqué à son devoir de représentation juste lorsqu’il a retiré une plainte concernant l’équité salariale, lorsqu’il a négocié une entente de règlement avec l’employeur, dont elle était d’avis qu’elle était discriminatoire à l’égard de certains employés, et lorsqu’il a omis de la représenter de manière juste dans le cadre de sa propre plainte concernant l’équité salariale. Le CCRI a rejeté les deux arguments et a conclu que le Syndicat devait tenir compte des intérêts de tous les membres touchés, et non pas seulement ceux de la plaignante. Il a ajouté que son rôle ne consistait ni à déterminer le caractère légitime de l’entente ni à interpréter son contenu.

31        Les défendeurs ont soutenu en outre qu’un simple désaccord quant à l’interprétation de la loi ou à l’évaluation du bien-fondé d’un grief n’entraîne pas une violation de l’art. 187.

32        Les défendeurs m’ont également rappelé que les plaignants avaient signé une décharge qui comprenait une disposition indiquant que l’AFPC les avait représentés de manière équitable dans le cadre des négociations du règlement.

IV. Motifs

33        La question que je dois trancher dans ces plaintes est celle de savoir si les actes des défendeurs équivalent à une violation de l’art. 187 de la Loi. Tel que je l’ai indiqué antérieurement, cette disposition a été édictée afin d’imposer un devoir de représentation équitable aux organisations syndicales et à leurs représentants.

34        Même si la Loi prévoit que tout employé peut présenter un grief concernant toute condition d’emploi (art. 208), le renvoi à l’arbitrage nécessite l’appui de l’agent négociateur de l’employé si le grief concerne l’application ou l’interprétation d’une convention collective (art. 209), ce qui est le cas pour les griefs non réglés concernant les APS. Toutefois, la question de savoir si un agent négociateur offrira un soutien ne peut être dissociée de son devoir de représentation équitable.

35        L’arrêt de principe relatif à l’interprétation de ce devoir est Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, où figure l’énoncé suivant sur le devoir de représentation équitable, à la page 527 :

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

36        Si l’on applique le raisonnement de la Cour suprême du Canada, pour avoir gain de cause dans ces plaintes, les plaignants devaient établir qu’ils avaient été traités d’une manière arbitraire ou discriminatoire ou qu’ils avaient fait l’objet de mauvaise foi, et non pas simplement qu’ils ne souscrivaient pas aux décisions des défendeurs relativement aux griefs non réglés concernant les APS. Hormis ces principes, les défendeurs disposent d’une grande latitude relativement à leur processus décisionnel.

37        Un grand nombre de décisions rendues par l’ancienne et la nouvelle Commission ont porté sur les exigences pour étayer une allégation de mauvaise foi ou de conduite arbitraire ou discriminatoire. Dans Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95, l’ancienne Commission renvoie à certains des arrêts de principe de la manière suivante :

[…]

22 Sur le terme arbitraire, la Cour suprême du Canada, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, écrit au paragraphe 50 :

Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée. […]

[…]

23 Dans International Longshore and Wharehouse Union, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Empire International Stevedores Ltd. et al., [2000] A.C.F. no 1929 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale, sur la question du caractère arbitraire d’une décision, écrit que, pour faire la preuve d’un manquement au devoir de représentation équitable, « […] le plaignant doit convaincre le Conseil que les investigations faites par le syndicat au sujet du grief étaient sommaires et superficielles ».

[…]

38        Dans Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52, l’ancienne Commission s’est également penchée sur la détermination d’un agent négociateur quant à savoir s’il devrait assurer une représentation. Cette décision présente les lignes directrices et les concepts utiles qui suivent :

[…]

44 […] Il revient à l’agent négociateur de décider des griefs qu’il traite et de ceux qu’il ne traite pas. Pour prendre ces décisions, l’agent négociateur peut se fonder sur les ressources et les besoins de l’organisation syndicale dans son ensemble (Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13). Ce processus décisionnel de l’agent négociateur a été décrit comme suit dans Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC L.R.B.) :

[Traduction]

[…]

42. Lorsqu’un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief pour des considérations pertinentes concernant le lieu de travail – par exemple, vu son interprétation de la convention collective, vu l’effet sur d’autres fonctionnaires ou vu son évaluation selon laquelle le fondement du grief n’est pas suffisant – il accomplit son travail consistant à représenter les fonctionnaires. Le fonctionnaire en cause, dont le grief a été abandonné, peut estimer que le syndicat ne le « représente » pas. Toutefois, décider de ne pas poursuivre un grief en se basant sur ces genres de facteurs est une partie essentielle du travail syndical consistant à représenter les fonctionnaires dans leur ensemble. Quand un syndicat agit en se fondant sur des considérations se rapportant au lieu de travail ou à son travail de représentation des fonctionnaires, il est libre de déterminer la meilleure voie à suivre, et une telle décision n’équivaut pas à une violation du [devoir de représentation équitable].

[…]

39        Dans Buchanan, dans des circonstances semblables à celles qui s’appliquent à ces plaintes, le CCRI a tranché la question d’intérêts conflictuels et a fait les énoncés suivants au paragraphe 101 :

[101] […] il est fréquent qu’un syndicat soit confronté aux intérêts divergents et même parfois opposés des employés qu’il représente. Dans l’affaire Fred Blacklock et autres, [2001] CCRI no 139, le Conseil a apporté les commentaires suivants à ce sujet :

[19] Il n’appartient pas au Conseil d’examiner en appel une décision d’un syndicat, ni de substituer son jugement à celui du syndicat ou de remettre en question l’opinion qu’il s’est formé d’une situation particulière. Le Conseil n’est pas un tribunal de dernier recours ayant pour rôle d’entendre les plaintes des syndiqués qui sont mécontents des décisions de leur syndicat. Les plaignants doivent être en mesure d’établir à la satisfaction du Conseil, dans les délais prescrits, que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

[20] Le syndicat a le droit de tenir compte des intérêts légitimes de l’ensemble de l’unité de négociation en même temps que des intérêts de l’employé concerné. Il a le droit de fonder sa décision sur l’expérience acquise dans le cadre d’affaires semblables. Le Conseil n’est même pas habilité à se prononcer sur la question de savoir si le syndicat aurait pu procéder d’une autre manière ou si sa décision est justifiée. […]

40        Je suis d’avis que ces principes s’appliquent aux circonstances de ces plaintes. La preuve m’a convaincu que les défendeurs ont entrepris d’importantes mesures pour représenter les plaignants avant, durant et après le traitement de leurs griefs dans le cadre du processus. Ils ont participé à des négociations importantes officieuses avec l’employeur en vue de régler les questions liées aux fonctions de travail, à la classification et à la rémunération de plus de 2 000 employés qui étaient des APS, y compris les plaignants. Dans le but légitime de régler des questions de longue durée, l’AFPC a accepté de représenter un nombre important d’APS à l’arbitrage, a accepté de poursuivre un cas type et a participé à une médiation avec l’employeur qui a en dernier ressort abouti à un règlement global dont ont bénéficié le plus grand nombre d’employés membres de l’unité de négociation. Cette décision n’a pas été prise à la légère. Il s’agissait d’une décision motivée et qui était fondée à la fois sur i) les intérêts légitimes de l’ensemble des APS et ii) les véritables préoccupations des défendeurs quant au bien-fondé du cas type Abraham et al. et de tous les griefs non réglés concernant les APS. Ce faisant, ils se sont acquittés de l’élément essentiel de leur devoir de représentation équitable.

41        Il ne ressort aucunement de la preuve que les défendeurs ont démontré une attitude indifférente ou cavalière à l’égard des intérêts des plaignants. Il n’a pas non plus été établi qu’ils ont agi pour des motifs inadéquats ou en raison d’une hostilité personnelle envers les plaignants ou que l’AFPC ou ses représentants ont fait une distinction entre les employés membres de l’unité de négociation fondée sur des motifs illicites, arbitraires ou déraisonnables. Au contraire, il ressort de la preuve que les défendeurs ont représenté les plaignants avec intégrité et compétence, ce qui a été démontré en grande partie par les nombreux échanges de courriel entre Mme Bialy et les représentants de l’AFPC. Ces échanges indiquent un agent négociateur qui est disposé à répondre aux questions et aux préoccupations d’un employé et à justifier les motifs de son processus décisionnel.

42        Même si un agent négociateur décide de défendre un ensemble d’intérêts au détriment d’un autre, ce que je ne crois pas qu’il se soit produit dans ces cas, une telle décision n’est pas contestable à condition que l’agent négociateur examine tous les facteurs pertinents et que sa décision ne soit pas motivée par des intentions inappropriées.

43        Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, écrite et verbale, présentée par les parties, je conclus que les plaignants ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer que les défendeurs ont agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi lorsqu’ils ont négocié un règlement global en juillet 2011. Même si les plaignants ne souscrivent pas aux stratégies des défendeurs et aux décisions qu’ils ont prises, ils n’ont présenté aucune preuve solide et convaincante qui indique que ces stratégies et décisions constituaient un manquement du devoir de représentation équitable. Au contraire, la preuve a permis d’établir que les défendeurs ont examiné de manière approfondie les avantages et les inconvénients du règlement des griefs non réglés concernant les APS et qu’ils ont tenu compte des préoccupations des plaignants et des intérêts de plus de 2 000 employés membres de l’unité de négociation touchés par ce règlement. Les motifs sous-jacents des défendeurs et des méthodes utilisées pour parvenir à leurs décisions étaient légitimes et raisonnables dans les circonstances.

44        Même si les défendeurs n’étaient pas eux-mêmes des parties aux griefs des plaignants et ne pouvaient pas les retirer sans le consentement des plaignants, ce consentement a été fourni, à toutes fins utiles, lorsque les plaignants ont signé la décharge (voir le paragraphe 19).

45        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

46        Les plaintes sont rejetées.

47        J’ordonne la fermeture des dossiers 561-02-519, 537, 541, 561 et 671.

Le 19 septembre 2016.

Traduction de la CRTEFP

Stephan J. Bertrand,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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