Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a demandé à Commission d’émettre une ordonnance déclarant que les postes de cinq agents principaux de l’intégrité et de sécurité internes (« enquêteurs principaux ») sont exclus de l’unité de négociation en raison d’un conflit d’intérêts et en raison de leurs fonctions auprès de l’employeur – le rôle d’un enquêteur principal consiste à mener des enquêtes spéciales liées à des inconduites en milieu de travail – la direction examine les conclusions de l’enquête – bien que les enquêteurs ne formulent pas de recommandations à l’égard de la mesure disciplinaire, les décisions à cet égard sont prises en fonction des rapports qu’ils rédigent – la Commission a conclu que, bien qu’ils ne participent pas à la prise de décisions, leurs fonctions et responsabilités auprès de l’employeur constituent un conflit d’intérêts – le droit d’appartenir à une unité de négociation ne devrait être retiré qu’en cas de nécessité, mais dans la présente affaire, il est difficile de déterminer comment l’employeur pourrait réorganiser ses affaires pour minimiser le besoin de recourir à l’exclusion – la Commission a conclu que les postes d’enquêteurs principaux sont des postes de direction et de confiance, et qu’ils sont exclus de l’unité de négociation.Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20160825
  • Dossier:  572-02-3259 à 3263
  • Référence:  2016 CRTEFP 80

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

CONSEIL DU TRÉSOR

demandeur

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Conseil du trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada


Affaire concernant une demande de déclaration qu’un poste est un poste de direction ou de confiance, prévue au paragraphe 71(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
David Olsen, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le demandeur:
Joshua Alcock, avocat
Pour la défenderesse:
Linda Cassidy, agente des exclusions et des services essentiels
Affaire entendue à Ottawa (Ontario)
le 10 novembre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

1        Le 30 janvier 2015, le Conseil du Trésor (l’« employeur ») a demandé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») d’émettre une ordonnance déclarant que les postes de cinq agents principaux de l’intégrité et de la sécurité internes, également appelés « enquêteurs principaux », à la Direction générale des services d’intégrité régionale d’Emploi et Développement social Canada (le « ministère »), sont des postes de direction et de confiance en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »).

2        L’employeur soutient que les titulaires des postes devraient être exclus d’une unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de leurs fonctions auprès de l’employeur.

3        Dans sa demande, l’employeur a expliqué et justifié sa position comme suit :

[Traduction]

Le titulaire planifie et mène des enquêtes administratives sur des allégations de méfaits ou d’autres activités illégales commis par un employé ou un groupe d’employés. Le titulaire communique avec des gestionnaires ministériels de niveaux supérieurs et avec leurs agents supérieurs du personnel afin de discuter et d’examiner les allégations de méfaits commis par un employé. Le titulaire conseille les cadres supérieurs et leur fournit des notes d’information sur la preuve et le déroulement des enquêtes.

Le titulaire choisit le moment le plus approprié et les circonstances où il rencontrera un employé visé par une enquête, y compris les témoins. Les recommandations du titulaire quant à la question de savoir si la preuve est suffisante pour transférer le cas aux organismes d’application de la loi, pourraient avoir une incidence sur la carrière de l’employé au sein du ministère et sur sa réputation.

Le rapport d’enquête du titulaire, qui est conforme aux exigences prévues par la loi et les règlements, constitue le fondement d’une décision qui pourrait mener à la prise de mesures disciplinaires à l’égard de l’employé, allant d’une réprimande verbale au licenciement, y compris le dépôt d’accusations au criminel.

Le titulaire aide à préparer les cas aux fins de poursuite et assiste aux procédures officielles (c.-à-d. tribunaux, cour criminelle) à l’appui des constatations de l’enquête. Dans le cadre de ses fonctions, le titulaire doit représenter l’employeur au cours de son enquête. Le titulaire, en raison de ses fonctions, est en conflit d’intérêts entre le syndicat et la direction.

4        Le 5 février 2015, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a écrit à la Commission pour lui signifier qu’elle s’opposait aux propositions d’exclusion en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi, car la documentation qui a été fournie ne l’a pas convaincu qu’il y avait un conflit d’intérêts.

II.Résumé de la preuve

5        L’employeur a cité un témoin, Penny Levesque, directrice générale du service et agente ministérielle de la sécurité. L’agent négociateur n’a cité aucun témoin.

6        Mme Levesque a indiqué que la fonction principale de son organisation portait sur la gestion des urgences et de la sécurité. La fonction relative à la gestion des urgences consiste à veiller à ce que le ministère soit adéquatement équipé pour poursuivre ses opérations en cas d’urgence. Elle participe à la planification afin de parer aux éventualités telles que les incendies, les séismes, les pannes d’électricité et les catastrophes nationales.

7        La fonction de sécurité de l’organisation consiste à assurer la sécurité du ministère, qui emploie environ 22 000 personnes. Cette responsabilité englobe la sécurité physique des employés, ainsi que les enquêtes spéciales liées aux actes répréhensibles en milieu de travail.

8        Le poste de Mme Lévesque ne fait pas partie de l’unité de négociation. Les postes en litige relèvent de l’Unité des enquêtes spéciales (UES), laquelle figure dans l’organigramme de la Direction générale des services d’intégrité.

9        Le poste de gestionnaire de l’UES, classifié AS-07, est exclu. Ce gestionnaire relève d’un directeur qui occupe un poste classifié EX-01, lequel est exclu. Le directeur EX-01 est responsable de la sécurité ministérielle et des enquêtes internes et relève de Mme Levesque. Le directeur supervise le fonctionnement de l’UES, ce qui comprend le filtrage de sécurité du personnel et les enquêtes spéciales. L’UES donne des conseils et fournit une orientation au ministère sur les questions de sécurité. Le gestionnaire supervise les enquêtes et fournit une expertise aux enquêteurs.

10        Les postes en litige sont cinq postes d’enquêteurs principaux de l’UES, classifiés AS-06. Les titulaires de ces postes relèvent du poste de gestionnaire. Le rôle des employés qui occupent ces cinq postes consiste à mener des enquêtes spéciales liées à des inconduites en milieu de travail. Plus particulièrement, les titulaires de ces postes mènent des enquêtes exhaustives qui renforcent la recherche des faits préliminaire effectuée par les agents de sécurité régionaux.

11        Le ministère comprend cinq régions. Chaque région a un [traduction] « bureau régional de la sécurité », où des agents de sécurité régionaux travaillent. Ceux-ci sont des agents de sécurité et non des enquêteurs, et ils sont exclus de l’unité de négociation.

12        Les personnes visées par ces enquêtes sont au service du ministère. Le mandat de l’enquêteur principal ne s’étend pas aux enquêtes sur la conduite de personnes qui ne sont pas des employés.

13        Les actes répréhensibles sur lesquels les enquêteurs principaux enquêtent comprennent, par exemple, l’utilisation inappropriée d’Internet, le vandalisme et le recours abusif à l’accès privilégié par des employés.

14        La description de travail du poste d’enquêteur principal a été mise à jour pour la dernière fois en 2001. Les principales activités qui y sont décrites sont les suivantes :

[Traduction]

Planifier et mener des enquêtes de sécurité sur la violation des politiques de sécurité gouvernementales et ministérielles et sur les incidents compris dans un portefeuille de cas, et rédiger des rapports et formuler des recommandations sur les constatations.

Recueillir et analyser des renseignements pertinents à la sécurité du ministère et du gouvernement fédéral, et diffuser de l’information et des analyses au sein d’une communauté de praticiens de la sécurité et du renseignement.

Participer à l’élaboration de politiques et de processus d’enquête de sécurité ministériels et représenter le ministère dans les groupes de travail interministériels et intergouvernementaux qui prennent part à l’analyse et à l’élaboration de systèmes de sécurité auxquels plusieurs juridictions participent.

Participer à l’élaboration du matériel de formation sur la sécurité et de sensibilisation à la sécurité, et faire des présentations aux gestionnaires et au personnel de l’Administration centrale et des régions.

Donner des conseils et fournir une orientation à la direction de l’Administration centrale et des régions sur les politiques et les processus ayant trait aux enquêtes de sécurité officielles.

Rédiger des notes d’information et de la correspondance sur l’état et les constatations des cas de sécurité et d’enquête dans un portefeuille à l’intention de la haute direction du ministère.

15         Selon la description de travail de 2001, la planification et la tenue d’enquêtes de sécurité sur les violations alléguées du Code criminel est l’une des principales activités de l’enquêteur principal. Les exigences suivantes figurent dans la description de travail : assurer la liaison avec les organismes d’application de la loi fédéraux, provinciaux et municipaux en vue de coordonner les enquêtes sur les incidents et les dépôts d’accusations au criminel, rédiger et présenter des comptes rendus et des rapports à l’intention des procureurs du ministère de la Justice, et présenter un témoignage dans le cadre de procédures devant un tribunal criminel pour appuyer la position de la Couronne. Ces tâches ne font plus partie des fonctions de l’enquêteur principal, car cette responsabilité a été confiée aux organismes d’application de la loi.

16        Un [traduction] « arbre décisionnel des enquêtes administratives » illustre le rôle des enquêteurs principaux au ministère.

17        Lorsqu’un gestionnaire d’un bureau régional de la sécurité est informé de la possibilité d’un acte répréhensible ou d’un comportement inapproprié de la part d’un employé, une enquête préliminaire visant à établir les faits est menée. Cette enquête comprend une évaluation préliminaire des renseignements et des éléments de preuve, afin de déterminer si les renseignements sont suffisants pour que la direction se penche sur la question, en collaboration avec la section du ministère qui s’occupe des relations de travail (les « Relations de travail »), et impose des mesures disciplinaires ou règle par ailleurs la question.

18        S’il est conclu qu’un acte répréhensible peut avoir été commis et qu’une enquête plus poussée doit être menée en vue de découvrir plus d’éléments de preuve, une demande d’enquête administrative est présentée par écrit au Bureau de la sécurité ministérielle. Dans ce contexte, un acte répréhensible signifie qu’il y a probablement eu violation d’une loi, d’un règlement ou d’une politique, directive, norme ou procédure du ministère ou du Conseil du Trésor, ou encore du code de conduite ministériel.

19        En collaboration avec les Relations de travail et le sous-ministre adjoint responsable, le gestionnaire rédige un mandat d’enquête. Si l’agent de sécurité du ministère l’approuve, le cas est attribué à un enquêteur principal pour qu’il mène une enquête administrative.Une fois l’enquête terminée, l’enquêteur principal présente un rapport au sous-ministre adjoint concerné et aux Relations de travail afin que les mesures appropriées en matière de relations de travail puissent être prises.

20        Si une mesure disciplinaire est justifiée, elle sera fondée sur les conclusions formulées dans le rapport de l’enquêteur principal. Les conclusions de l’enquêteur pourraient mener à d’autres procédures administratives.Selon la gravité de l’inconduite, les conclusions pourraient déclencher une révision de la cote de fiabilité de l’employé ou un filtrage de sécurité.Quant aux conséquences pratiques, les conclusions d’un enquêteur pourraient mener au licenciement.

21        Le rapport de l’enquêteur principal ne comprend aucune recommandation au sujet des mesures que les Relations de travail devraient prendre à l’égard d’un employé, car toute mesure disciplinaire relève de la responsabilité de la direction. Toutefois, un rapport pourrait comprendre une recommandation de révision en raison de la cote de fiabilité d’un employé.

22        Mme Levesque consulte les Relations de travail et le sous-ministre adjoint concerné pour ce qui est des mesures à prendre selon la gravité de l’inconduite.

23        Un système de freins et contrepoids est suivi dès le début afin de déterminer le plan d’enquête. Le gestionnaire a un rôle important à jouer dans l’élaboration du plan d’enquête avec l’enquêteur principal.

24        Les enquêteurs principaux mènent leurs enquêtes de façon autonome. Au cours d’une enquête, la portée de leur mandat est très vaste et peut être élargie selon ce qu’ils trouvent, car d’autres allégations pourraient être révélées, notamment contre d’autres employés.Le gestionnaire et le directeur interviennent dans le cas où un enquêteur principal reçoit un nouveau mandat ou un mandat élargi, selon ce que l’enquêteur a trouvé.

25        À la conclusion de l’enquête, les constatations sont examinées avec le gestionnaire et le directeur, puisque les répercussions sur la réputation et l’emploi d’un employé peuvent être très graves.

26        Le rôle de l’enquêteur principal est de taille, car la direction s’en remet à son approche exhaustive et objective. La direction ne revérifie pas les faits; elle se fie à la formation et au professionnalisme des enquêteurs, puisqu’ils sont conscients des conséquences d’un rapport.

27        La direction s’en remet également à l’exhaustivité du rapport de l’enquêteur principal pour ce qui est de la recherche des faits, car le rapport est exempt d’opinion et la direction peut s’y appuyer pour décider si une mesure disciplinaire doit être imposée.

28        Lorsque les enquêteurs principaux interrogent des employés, ceux-ci ont le droit d’être représentés par un collègue, un avocat ou un représentant syndical; entre 80 % et 85 % des employés interrogés sont représentés. Toutefois, ils doivent s’exprimer en leur nom.

29        Selon la gravité des allégations, par exemple une inconduite présumée qui pourrait justifier un licenciement, il est très probable que l’employé soit accompagné d’un représentant.

30        Les enquêteurs principaux mènent des enquêtes sur les types d’inconduite présumée suivants :

  • violations du Code de conduite du ministère ou du Code de valeurs et d’éthique du secteur public;
  • abus de pouvoir, modifications de documents, non-respect d’ententes et conflits d’intérêts;
  • accès inappropriés ou non autorisés, mauvais usage de fonds et traitement préférentiel;
  • divulgations non autorisées de renseignements (c.-à-d. révélations aux médias ou à la concurrence);
  • non-respect des personnes (c.-à-d. ne pas offrir un milieu de travail sain et sécuritaire);
  • questions liées aux entrevues préventives;
  • abus de confiance (confiance de l’employeur (intégrité));
  • non-respect de la confidentialité des renseignements;
  • révisions pour motif valable;
  • violation de la politique sur l’utilisation du réseau électronique.

31        De plus, le sous-ministre adjoint charge directement les enquêteurs principaux d’enquêter sur les plaintes d’employés qui craignent des représailles pour avoir divulgué un acte répréhensible en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (L.C. 2005, ch. 46) (la « LPFDAR »). Les enquêteurs principaux relèvent directement de l’agent principal aux divulgations.Ce processus suppose un niveau plus élevé de secret des communications, et il n’existe aucun frein et contrepoids.

32        Pendant le contre-interrogatoire, Mme Levesque a reconnu que certains des enquêteurs principaux occupaient leur poste depuis au moins cinq ans. Elle a également reconnu que l’unique changement qui a été apporté à la description de travail depuis 2001 était le retrait de l’exigence voulant que les enquêteurs principaux enquêtent sur les comportements criminels.Elle ne savait pas pourquoi l’employeur n’avait pas demandé l’exclusion des postes avant le dépôt de cette demande.

33        Elle était au courant que les cinq employés qui occupaient les postes avaient présenté un grief contre la proposition de les exclure de l’unité de négociation.

34        En ce qui concerne les enquêtes en vertu de la LPFDAR, elle a confirmé que les enquêteurs principaux en avaient mené quelques-unes, mais elle ne pouvait pas dire combien d’enquêtes avaient été effectuées puisqu’elle n’a le droit de connaître les détails de ces enquêtes.

35        Elle a reconnu que les agents de sécurité régionaux dont les postes sont exclus de l’unité de négociation effectuent des fonctions autres que la recherche des faits, et qu’ils fournissent de l’aide dans le cadre d’événements où il y a des besoins en matière de sécurité, y compris la responsabilité d’assurer la sécurité des employés et des installations en cas de grève.

36        La justification de l’exclusion des agents de sécurité régionaux de l’unité de négociation est en partie ainsi rédigée :

[Traduction]

[…]

En outre, le titulaire est responsable de la mise en œuvre des mesures de sécurité pendant tout conflit de travail et lorsque les conventions collectives sont reconduites, et il offre des conseils et une orientation à la direction sur les mesures de sécurité dans le cadre des manifestations et des piquets de grève. Le titulaire peut intervenir dans les cas où les entrées des immeubles sont bloquées en raison des événements (grèves, etc.). Il peut également discuter de certains litiges avec les directeurs, les gestionnaires, les représentants du service de police, le personnel de la sécurité et les propriétaires de toute entreprise qui sont présents. L’expertise des agents principaux d’IIS est requise pour aborder toutes les questions de sécurité dans le cadre de ces événements. Le fait d’être membre d’une unité de négociation met directement le titulaire en situation de conflit d’intérêts. S’il est membre d’une unité de négociation, il est presque impossible de remplir cette fonction avec impartialité.

37        Mme Levesque a confirmé que les enquêteurs principaux ne formulent aucune recommandation au sujet des mesures disciplinaires, ni au sujet de la révocation de la cote de sécurité d’un employé.

38        Les enquêteurs principaux sont appelés à témoigner devant la Commission afin d’appuyer les mesures prises par l’employeur contre des employés. Dans Heyser c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2015 CRTEFP 70, un grief a été déposé par une employée dont la cote de fiabilité a été révoquée et qui, finalement, a été licenciée. Dans cette affaire, l’un des enquêteurs principaux dont le poste est en litige en l’espèce, Frank Bourque, a présenté à la Commission des éléments de preuve concernant son enquête.  

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

39        L’alinéa 59(1)g) de la Loi prévoit ce qui suit :

59(1) Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie, l’employeur peut présenter une demande à la Commission pour qu’elle déclare, par ordonnance, que l’un ou l’autre des postes visés par la demande d’accréditation est un poste de direction ou de confiance pour le motif qu’il correspond à l’un des postes suivants :

[…]

g) poste dont le titulaire, bien que ses attributions ne soient pas mentionnées au présent paragraphe, ne doit pas faire partie d’une unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur […]

[…]

40        La seconde partie de l’alinéa, à savoir « […] en raison de ses fonctions auprès de l’employeur […] », est ambiguë. Néanmoins, il s’agit d’un argument de poids en faveur de l’exclusion des postes en litige en vertu de l’une ou l’autre des parties de l’alinéa 59(1)g).

41         Conseil du trésor (Service correctionnel du Canada) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 46, une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique rendue en 2012, a été la première décision relative à cette disposition depuis de nombreuses années.

42        L’arbitre de grief dans cette affaire a indiqué que l’alinéa 59(1)g) était une disposition générique, qui énumérait un large éventail de motifs d’exclusion pour des raisons de conflits d’intérêts. Elle a décrit le deuxième motif d’exclusion, c.-à-d., en raison des fonctions d’une personne auprès de l’employeur, comme étant encore moins limitatif, et comme ayant pour intention de permettre les exclusions qui ne correspondent à aucun autre des motifs d’exclusion énumérés dans l’article.

43         Institut professionneldu Service public du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe de l’économique, de la sociologie et de la statistique - Catégorie scientifique et professionnelle), dossier de la CRTFP 172-02-31 (19710714), [1971] C.R.T.F.P.C. no 8 (QL), est une des premières décisions rendues par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP »). Dans cette affaire, afin de déterminer si les employés occupaient un poste de direction ou de confiance, la CRTFP a fait référence aux discussions devant le Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur les relations employeur-employé dans la fonction publique, ainsi qu’aux débats sur le projet de loi C-170 tenus devant la Chambre des communes et les Sénat pour justifier l’inclusion d’une clause passe-partout dans la Loi. Cette clause avait pour but de permettre à la CRTFP et à ses successeurs de faire face aux situations spéciales, car il n’était pas possible de prévoir toutes les circonstances dans lesquelles un employé peut occuper un poste de direction ou de confiance.

44        Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor — unité de négociation du Groupe de l’achat et de l’approvisionnement), dossier de la CRTFP 174-02-250 (19770214), [1977] C.R.T.F.P.C. no 3 (QL), la majorité de la CRTFP a fait valoir que le fait d’être membre de l’équipe de gestion supposait une réelle probabilité de conflit d’intérêts; toutefois, si l’on pouvait affirmer que tous les cas d’appartenance à l’équipe de gestion engendraient cette probabilité, il ne s’ensuivait pas que tous ces cas étaient nécessairement liés à l’appartenance à l’équipe de gestion. 

45        La majorité a conclu qu’une personne pouvait être exclue de la définition pertinente en vertu de l’alinéa g), même si celle-ci ne pouvait pas être considérée comme un membre de l’équipe de gestion, pourvu que le conflit d’intérêts démontré soit latent dans le cadre de ses fonctions et responsabilités auprès de l’employeur.

46        L’employeur ne soutient pas que le groupe de postes en l’espèce fait partie de l’équipe de gestion. L’enjeu en l’espèce réside dans le fait que la tenue d’une enquête sur des actes répréhensibles présumés commis par d’autres employés, dont 85 % occupent des postes syndiqués, constitue la caractéristique clé des fonctions de ce groupe de postes.

47        Il ressort du processus d’enquête que la tension entre les rôles s’exacerbe pendant le processus.

48        L’enquêteur établit un plan lorsqu’il mène une enquête sur des allégations voulant qu’un employé, par exemple, ait violé le code de conduite. L’enquêteur peut déterminer que l’allégation n’est pas fondée.S’il conclut que l’allégation est fondée, son rapport est alors renvoyé au gestionnaire.Une mesure quelconque sera ensuite prise contre l’employé; cette mesure pourrait aller d’une réprimande au licenciement.

49        Un enquêteur peut conclure que les allégations concernant la cote de fiabilité d’un employé sont fondées.

50        Dans un cas comme dans l’autre, ces conclusions auront de profondes conséquences sur l’employé touché.

51        Bien que l’enquêteur ne tranche pas définitivement la question de savoir si une cote de fiabilité devrait être annulée, la décision repose sur son rapport. Une fois que la décision est prise, si elle n’est pas en faveur de l’employé, le rôle de l’enquêteur principal est placé au cœur de la relation syndicale-patronale, ce qui est conflictuel.

52        Dans de nombreux cas, l’étape suivante est le dépôt d’un grief qui est ensuite renvoyé à l’arbitrage. Il y a donc la direction d’un côté, qui se fie aux conclusions factuelles de l’enquêteur principal; de l’autre côté, il y a l’employé, qui est souvent représenté par un agent négociateur qui remet en question le fondement factuel du rapport de l’enquêteur.

53        Le paragraphe 59(1) dans son ensemble est une tentative de retirer d’une unité de négociation des employés qui sont au cœur d’un croisement conflictuel entre le syndicat et la direction. L’alinéa 59(1)c) porte sur l’exclusion de postes dont les titulaires dispensent des avis sur les relations de travail et est fondé sur le même conflit de base.Ces employés finissent par témoigner au nom de la direction à l’arbitrage.Le rapport d’un enquêteur principal peut avoir d’importantes conséquences pour les employés.

54        Lorsqu’il exerce son autonomie, l’enquêteur principal fait preuve de jugement, détermine les éléments de preuve qui sont pertinents, évalue la valeur de la preuve documentaire examinée et tire les conclusions de fait. Il peut suggérer d’élargir une enquête en cours sur la conduite d’un employé ou d’enquêter sur d’autres employés.

55        Les décisions sont prises en collaboration avec les cadres supérieurs. L’employeur doit faire entièrement confiance à l’enquêteur et être capable de se fier à son impartialité et à son objectivité dans le cadre de l’enquête.

56        En théorie, un enquêteur principal pourrait être le président de l’agent négociateur qui représente l’employé visé par l’enquête.

57        Dans Institut professionneldu Service public du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe de l’économique, de la sociologie et de la statistique - Catégorie scientifique et professionnelle), [1971] C.R.T.F.P.C. no 8, la CRTFP a une fois de plus tenu compte de l’interprétation à donner à la disposition législative pour exclure des personnes par ailleurs non décrites, mais qui, de l’avis de la CRTFP, ne devraient pas faire partie d’une unité de négociation en raison de ses fonctions auprès de l’employeur.

58        Dans cette affaire, l’employeur cherchait à exclure une personne qui occupait un poste d’adjoint administratif au sein du Comité du Cabinet chargé des priorités et de la planification, ainsi qu’une autre personne qui occupait un poste d’agent du Conseil privé au Secrétariat du Cabinet.

59        En décidant d’exclure les deux postes, la CRTFP, entre autres facteurs, a pris en considération le fait que, si les deux employés n’étaient pas désignés, ils auraient non seulement eu droit à ce que leurs conditions de travail soient déterminées dans le cadre des négociations collectives, mais également de s’asseoir à la table de négociation en tant que membres de l’agent négociateur, tout en participant à la formulation de politiques de gestion qui auraient pu, si ce n’est directement, certainement indirectement, avoir de profondes conséquences sur le processus de négociation collective dans une large mesure.

60        La CRTFP a conclu ce qui suit : « Il est inconcevable, à notre avis, que le Parlement ait voulu qu’une personne soit dans une position telle qu’elle puisse s’asseoir des deux côtés de la table de négociation en même temps ». Le but de l’analogie est de souligner que, bien que les employés puissent ne pas jouer un rôle actif dans les négociations collectives, ils y ont droit s’ils font partie de l’unité de négociation.

61        Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 175-02-465 (19861210), [1986] C.R.T.F.P.C. no 341 (QL), la CRTFP a conclu que « Mme Lacombe » était visée par l’alinéa g) de la définition d’une personne titulaire d’un poste de direction ou de confiance, prévue par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-35), dans des circonstances où elle était au courant de renseignements confidentiels sur les négociations.

62        La CRTFP a notamment soutenu que, si cette employée devait exercer tous ses droits en tant que membre de l’unité de négociation, y compris le droit de la représenter à la table de négociation, l’employeur n’aurait pas pu l’empêcher d’utiliser les renseignements confidentiels dont elle disposait sur les négociations et qu’elle avait obtenus dans le cadre de son emploi.

63        Dans les circonstances en l’espèce, les enquêteurs principaux doivent effectuer des évaluations difficiles quant à la question de savoir si les employés ont fait preuve d’inconduite, ce qui nécessite la tenue de discussions avec la haute direction.À son tour, la haute direction doit pouvoir compter sur l’impartialité, le jugement et l’autonomie de ces employés.

64        Dans Alliance de la Fonction publique du Canada et Canada (Conseil du Trésor) (Groupe de l’achat et de l’approvisionnement), [1977] C.R.T.F.P.C. no. 3 (QL), à la page 11, la minorité a renvoyé à l’objet du conflit d’intérêts tel qu’il était abordé par Jacob Finkelman, c.r., l’ancien président de la CRTFP, dans son examen de la LRTFP, intitulé [traduction] « Employeur-employés, relations de travail dans la Fonction publique du Canada », à la page 29, en partie ainsi rédigé : 

Le problème qui se pose ici concerne la distinction entre les employés dont la loyauté envers leurs collègues et leur agent négociateur peut être tolérée et même encouragée sans nuire au système et ceux qui sont tenus de servir exclusivement les intérêts de leur employeur.

65        Les enquêteurs principaux ne peuvent pas diviser leur loyauté. Ils peuvent être loyaux uniquement envers l’employeur, ce qui nécessite l’avantage d’une bonne décision à laquelle ce dernier peut entièrement et véritablement se fier.

66        Dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Office national du film du Canada, dossier de la CRTFP 174-08-501 (19900406), [1990] C.R.T.F.P.C. no 78 (QL), la CRTFP s’est penchée sur la question de savoir si une infirmière qui relevait du chef de la dotation à la gestion des ressources humaines, et dont les fonctions comprenaient l’obtention de renseignements supplémentaires à la demande d’agents du personnel ou de gestionnaires au sujet d’employés en congé de maladie, devait être exclue de l’unité de négociation. Bien que l’infirmière respecte son serment de confidentialité professionnel et obtienne le consentement des employés pour communiquer des renseignements médicaux, elle donnait son opinion aux conseillers en personnel.

67        La CRTFP devait déterminer si elle devait être exclue parce qu’elle occupait un poste de direction ou de confiance ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur. La CRTFP a conclu qu’elle n’occupait pas un poste de direction ou de confiance.Toutefois, elle a également conclu qu’elle ne devrait pas faire partie d’une unité de négociation en raison de ses fonctions auprès de l’employeur.

68        La CRTFP a conclu que, bien qu’elle garde tout renseignement confidentiel pour elle-même, elle communiquait ses évaluations au sujet des employés en congé de maladie à la direction et participait souvent à des discussions menant à un plan d’action pour l’un de ces employés.

69        Même si elle ne prenait aucune décision relative au plan d’action, elle était informée de celui-ci avant l’employé. La CRTFP a conclu qu’elle pouvait très difficilement être membre de l’unité de négociation, à l’instar des employés au sujet de qui elle fournissait des renseignements à la direction, et fournisseur de ces renseignements. La CRTFP a ajouté qu’elle serait en conflit d’intérêts si elle demeurait au sein de l’unité de négociation.Il existe une ressemblance avec les faits en l’espèce.

B. Pour l’agent négociateur

70        Dans Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 174-02-378 (19820831), [1982] C.R.T.F.P.C. no 148 (QL), la CRTFP a conclu que chaque cas devait être tranché individuellement. En particulier, elle a indiqué ce suit au paragraphe 23 :

23. En ce qui concerne le principe res judicata, la Commission a conclu qu’elle ne pouvait accepter la motion préliminaire selon laquelle la désignation de M. Dare et Bédard devrait être déterminée en se fondant sur le fait que d’autres personnes avaient été désignées à la suite d’une décision rendue par la Commission (ou d’un accord conclu entre les parties) dans des circonstances analogues à celles de la présente affaire. Par res judicata, on entend une question ayant déjà fait l’objet d’une décision (dans une affaire antérieure) dans des circonstances identiques et où les mêmes parties sont en cause. Or, on ne peut prétendre en l’occurrence que les circonstances sont exactement les mêmes que dans l’affaire Bolduc. Les deux affaires se ressemblent peut-être sensiblement, mais elles ne pourront jamais être identiques, ne serait-ce que parce que M. Bolduc n’est pas M. Dare. Aussi, la Commission rejette-t-elle l’affirmation du représentant de l’employeur selon laquelle la décision rendue dans l’affaire Bolduc détermine d’avance celle que la Commission doit rendre en l’occurrence à l’égard de M. Dare et Bédard   

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

71        La CRTFP a indiqué au paragraphe 33 que « […] le fait que les parties ont décidé entre elles de désigner un certain nombre de personnes assumant essentiellement les mêmes fonctions que [celles du poste en litige] n’influe aucunement la décision de la Commission […] ».

72        Dans Conseil du trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossiers de la CRTFP 172-02-884A et 886A (19971219), [1997] C.R.T.F.P.C. no 143 (QL), la CRTFP a indiqué ce qui suit aux pages 13 et 14 :

En vertu de l’alinéa 5.1(1)d), la Commission a une certaine latitude pour déterminer si les fonctions et les responsabilités d’un poste rattachent le titulaire de ce poste à l’employeur au point d’en justifier l’exclusion ou s’il y a risque d’un grave conflit d’intérêts entre les fonctions du poste et l’adhésion du titulaire à l’unité de négociation.C’est à cet égard que la notion d’« équipe de gestion » définie par la Commission au fil des années s’applique.

Il est particulièrement important, au moment d'interpréter l'alinéa 5.1(1)d), de se rappeler que le droit d'adhésion à une unité de négociation (syndicalisation) ne devrait pas être enlevé à la légère. Dans la mesure du possible, un employeur doit organiser ses affaires de façon à réduire au minimum le besoin de recourir à l'exclusion. Cela est nécessaire pour préserver le cadre législatif régissant les relations du travail dans la fonction publique. Les exclusions aux termes de l'alinéa 5.1(1)d) doivent être étayées d'une preuve forte selon laquelle il y a risque de conflit ou association avec la direction en raison des fonctions du poste.

73        Le fardeau de la preuve repose sur l’employeur. Il doit démontrer que les fonctions et responsabilités du titulaire du poste placeront l’employé en situation de conflit d’intérêts. Le conflit ne doit pas être perçu; il doit être réel.

74        Les titulaires de ces postes exercent leurs fonctions sans qu’il y ait un conflit réel ou perçu depuis de nombreuses années. Comme il ressort de leurs griefs, selon eux, il n’y a aucun conflit entre leurs fonctions et responsabilités d’enquêteurs principaux et leur affiliation syndicale.

75        Par exemple, comme on y a fait allusion plus tôt, dans Heyser, M. Bourque, un enquêteur principal de l’UES de l’employeur depuis 2010, a mené une enquête relativement à une allégation selon laquelle une employée avait falsifié un document médical qu’elle avait soumis à l’employeur afin de prolonger une entente de télétravail existante. L’enquête sur cette allégation a été entreprise en 2011, et a été conclue en 2012. L’enquête incluait un autre employé de la même unité de négociation.M. Bourque est demeuré membre de l’agent négociateur tout au long de l’enquête.

76        L’employeur a appelé M. Bourque à témoigner à l’appui de sa révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire s’estimant lésée dans cette affaire. La décision souligne que sa participation a pris fin lorsqu’il a présenté le rapport d’enquête administrative et qu’il a été étonné d’apprendre plusieurs mois plus tard que la cote de fiabilité de la fonctionnaire avait été révoquée.

77        Tout au long de cette période, l’employeur a semblé peu soucieux qu’un conflit d’intérêts puisse exister. L’agent négociateur croit que les titulaires de ces postes peuvent enquêter de façon objective et qu’ils peuvent présenter un rapport factuel à l’employeur.

78        Dans Conseil du Trésor c. Association des gestionnaires financiers de la fonction publique, dossiers de la CRTFP 172-02-1003 et 1004 (19981202), [1998] C.R.T.F.P.C.  no 106 (QL), l’employeur a déterminé que les postes de « gestionnaire, planification et analyse financières » et de « gestionnaire, services financiers », dans différentes régions desservies par Affaires autochtones et du Nord Canada, étaient des postes de direction et de confiance. L’agent négociateur s’y est opposé.La CRTFP a conclu que, bien que les titulaires de ces postes exerçaient des fonctions de supervision, la preuve n’avait pas établi qu’ils exerçaient aussi des fonctions de gestion importantes.

79        De plus, en rejetant la désignation de ces deux postes par l’employeur à titre de postes de direction et de confiance, la CRTFP a conclu, à la page 46, que la preuve n’avait révélé aucun rôle décisionnel ou de recommandation effective pour l’un ou l’autre des postes qui aurait justifié de les exclure.

80        En l’espèce, les enquêteurs principaux fournissent un rapport factuel direct. Ils ne formulent aucune recommandation quant à la disposition.La direction prend la décision.

81        L’employeur a fait valoir que les enquêteurs principaux qui participent aux enquêtes en vertu de la LPFDAR sont en situation de conflit potentiel. Aucun élément de preuve n’a été déposé à l’appui de ce conflit potentiel.

82        Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 174-02-515 (19920429), [1992] C.R.T.F.P.C. no 62 (QL), l’employeur a proposé qu’un gestionnaire des finances et de l’administration, à la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, soit exclu au motif que la fonctionnaire occupait un poste de direction ou de confiance. L’agent négociateur s’y est opposé.L’employeur a fait valoir qu’elle faisait partie de l’équipe de gestion de la direction et que l’exclusion était donc justifiée.

83        En concluant que la gestionnaire ne devait pas être désignée comme titulaire d’un poste de direction et de confiance, la CRTFP a indiqué ce qui suit à la page 5 de la décision :

 […]  Les commissions des relations du travail ont en général conclu qu'un tel conflit ne pouvait être réputé découler de la simple possibilité, voire de la probabilité, que le titulaire puisse recevoir de temps à autre des renseignements confidentiels. Tout employé est tenu, du simple fait que l'employeur lui fait confiance, de garder le secret en pareilles circonstances. La question fondamentale est de savoir si l'employé fait partie intégrante de la direction, en dépit du fait que ses rapports avec l'employeur ne sont pas décrits ailleurs dans la définition. […]

84        On s’est appuyé sur la décision d’exclure les enquêteurs régionaux de la sécurité de l’unité de négociation. Les titulaires de ces postes participent de façon importante à la prestation de services de sécurité pendant les interruptions de travail et les activités de grève. Aucun élément de preuve n’a été présenté indiquant que les titulaires des postes dont il est question en l’espèce pourraient être dans cette position.

85        L’agent négociateur reconnaît les préoccupations abordées dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada et Office national du film du Canada, à savoir qu’il existe des situations qui pourraient créer des conflits d’intérêts si des employés se prévalaient de leur droit de prendre part à un syndicat. Les titulaires de ces postes avaient accès à des renseignements liés à la table de négociation.Ce concept est généralement admis par la plupart des juridictions.

86        En l’espèce, il n’y a pas d’accès possible aux renseignements à la table de négociation. Il ne s’agit pas d’une question en litige.Le conflit n’existerait pas.

87        Les membres d’une unité de négociation ont le droit de participer à leurs activités syndicales.

88        Un examen des actions des cinq membres en question, qui occupent leur emploi depuis un à cinq ans, a clairement démontré qu’ils ont la capacité d’enquêter et de fournir un rapport factuel à l’employeur sans donner lieu à un conflit d’intérêts.

C. Réponse de l’employeur aux arguments

89        La participation des enquêteurs principaux aux enquêtes en vertu de la LPFDAR est une composante du dossier de l’employeur, mais son principal argument se rapporte à leur rôle d’enquêteur relativement à la conduite d’autres employés de l’unité de négociation.

90        L’agent négociateur m’a renvoyé à Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 174-02-515, dans laquelle des renseignements confidentiels, notamment l’affectation budgétaire et du personnel, étaient parfois portés à l’attention de l’employé. La CRTFP a conclu que les éléments de preuve ne l’avaient pas convaincu que l’employé faisait partie intégrante de la direction. 

91        L’argument de l’employeur en l’espèce n’est pas lié à des renseignements confidentiels. Le conflit réside dans le processus d’enquête.

92        Il n’a pas été clairement établi qu’il est possible d’attribuer quoi que ce soit aux déclarations figurant dans les formulaires de grief soumis par les employés occupant les postes d’enquêteurs principaux au moment de présenter leur grief contre la demande de l’employeur, à savoir qu’ils soient exclus de l’unité de négociation. Leur opinion sur la question de savoir s’il existe un conflit d’intérêts n’est pas substantielle.

93        M. Bourque a témoigné devant la Commission des relations de travail de la fonction publique dans Heyser, soit avant que l’employeur propose d’exclure son poste. L’unique question importante consiste à déterminer si le poste justifie l’exclusion, peu importe le moment où le témoignage a eu lieu.

IV. Motifs

94        L’employeur soutient que les titulaires des postes d’enquêteurs principaux ne devraient pas faire partie de l’unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de leurs fonctions auprès de l’employeur. Il se fonde sur l’alinéa 59(1)g) de la Loi.

95        Dans Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), l’arbitre de grief s’est penché sur le sens des motifs énoncés à l’alinéa 59(1)g), à savoir « conflits d’intérêts » et « […] des fonctions d’une personne auprès de l’employeur […] », de la manière suivante :

[…]

[68] L’emploi de « conflit d’intérêts » à l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP est quelque peu ambigu. Le raisonnement souvent présenté dans la jurisprudence pour justifier l’exclusion d’un employé aux motifs qu’il exerce « des attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires » (alinéa 59(1)e)), qu’il « […] participe directement aux négociations collectives pour le compte de l’employeur […] » (alinéa 59(1)f)) ou qu’il dispense « […] des avis sur les relations de travail, la dotation en personnel ou la classification […] » (alinéa 59(1)c)) est que ces fonctions créent un conflit entre les obligations associées au poste d’un employé et le statut de ce dernier à titre de membre d’une unité de négociation.

[…]

Le deuxième motif d’exclusion du poste d’un titulaire en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP — « […] ses fonctions auprès de l’employeur […] » — est encore moins limitatif.Cette description confère à la CRTFP un pouvoir discrétionnaire très large pour exclure un employé sur la base d’aspects de ses fonctions et de ses responsabilités et pour demander aux arbitres de grief de considérer avec soin, en vertu de cet alinéa, les relations globales entre le poste et les intérêts du demandeur. […]

[…]

96        Toutefois, elle a précisé que, lorsqu’il s’agit de décider si un poste devrait être exclu d’une unité de négociation, la perte de la protection de l’agent négociateur et de l’avantage d’une convention collective pouvait avoir d’importantes répercussions sur un employé, et que le fait de ne pas tenir compte de ces avantages ne doit pas être pris à la légère. Elle a fait l’observation suivante :

[…] dans certaines circonstances, inclure un employé dans une unité de négociation peut compromettre l’efficacité de cet employé dans l’exercice de fonctions essentielles pour le demandeur. Il ressort de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP que les raisons permettant de conclure à l’existence de ce risque peuvent comprendre des facteurs qui ne sont pas pris en compte d’ordinaire. S’il est conclu qu’il y a une incompatibilité fondamentale entre les fonctions d’un employé et son inclusion dans une unité de négociation, le poste de l’employé peut légitimement être exclu.

97        Dans Office national du film du Canada, la CRTFP a conclu qu’une infirmière serait en situation de conflits d’intérêts si elle demeurait au sein de l’unité de négociation. L’infirmière avait communiqué ses évaluations d’employés en congé de maladie à la direction et avait souvent participé à des discussions ayant mené à l’établissement de plans d’action par la direction pour les employés, même si elle n’avait pris aucune décision à l’égard de ces plans.

98        En l’espèce, il ressort clairement des éléments de preuve devant moi que le rôle des enquêteurs principaux est de mener des enquêtes spéciales concernant l’inconduite présumée d’autres employés dans le lieu de travail, y compris les membres de la même unité de négociation. La direction s’en remet aux conclusions de faits formulées dans les rapports des enquêteurs spéciaux lorsqu’elle décide si une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement est justifiée, si d’autres procédures administratives devraient être lancées, ou si les constatations justifient la révision de la cote de fiabilité d’un employé ou un filtrage de sécurité.

99        L’employeur a cité les enquêteurs principaux à témoigner devant les prédécesseurs de la Commission à l’appui des décisions, comme celles révoquant la cote de fiabilité des employés.

100        Bien que je ne considère pas les titulaires des postes en question comme des membres de l’équipe de gestion, et que je sois au fait qu’ils ne participent pas à la prise de décisions, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que leurs fonctions et responsabilités auprès de l’employeur peuvent mener à un conflit d’intérêts, au sens de l’alinéa 59(1)g) de la Loi, à l’instar de la situation de l’infirmière dans Office national du film du Canada.

101        L’agent négociateur fait valoir à juste titre que le droit d’appartenir à une unité de négociation ne devrait être retiré qu’en cas de nécessité et que, dans la mesure du possible, un employeur doit prendre les mesures nécessaires pour minimiser le nombre d’employés exclus.

102        Étant donné la nature particulière des fonctions des enquêteurs spéciaux consistant à enquêter sur l’inconduite d’autres employés dans le lieu de travail, je ne sais pas au juste comment l’employeur pourrait réorganiser ses affaires.

103        Je serais toutefois négligent si je ne formulais aucun commentaire sur le retard inexpliqué de l’employeur à déposer sa demande de désignation de ces postes à titre de postes de direction et de confiance. Le retard ne peut pas être dans l’intérêt supérieur des relations de travail entre les parties.

104        Néanmoins, il est de ma responsabilité d’appliquer l’article 59 de la Loi, et je conclus que les titulaires des postes d’agents principaux de l’intégrité et de la sécurité internes à la Direction générale des services d’intégrité régionale du ministère sont des postes de direction ou de confiance. Ils sont exclus de l’unité de négociation.

105        Dans sa demande, l’employeur a demandé à ce que les postes soient déclarés comme des postes de direction ou de confiance à compter du premier jour suivant la date de clôture indiquée à l’article 34 du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79). Une copie de la demande a été reçue par l’agent négociateur le 2 février 2015; par conséquent, la date de clôture serait le 22 février 2015.  

106        Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

107        La demande est accueillie, et je déclare que les postes d’agents principaux de l’intégrité et de la sécurité internes à la Direction générale des services d’intégrité régionale du ministère, désignés par les numéros de poste 78364, 81714, 85351, 61440 et 61441, sont des postes de direction ou de confiance, et ce, à compter du 23 février 2015.

Le 25 août 2016.

Traduction de la CRTEFP

David Olsen,
Une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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