Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief dans lequel il a allégué qu’en refusant de le muter à un certain lieu de travail, l’employeur a contrevenu à la clause de la convention collective portant sur l’élimination de la discrimination, parce que cette dernière renvoie à la situation familiale – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas démontré une preuve prima facie de discrimination – la Commission a estimé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas satisfait à tous les critères établis dans Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110 – en l’espèce, aucune règle ou situation n’a donné lieu au problème du fonctionnaire s’estimant lésé – l’employeur a pris un certain nombre de mesures pour tenter de muter le fonctionnaire s’estimant lésé dans un poste plus près de ses enfants, mais il ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques de ces postes. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et Loi sur les
relations de travail dans
la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20160923
  • Dossier:  566-02-7971
  • Référence:  2016 CRTEFP 96

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

COREY FLEMING

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Fleming c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Doug Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Joshua Alcock, avocat
Affaire entendue à Saint John (Nouveau-Brunswick),
les 7 et 8 juillet 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Corey Fleming, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), avait été embauché par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) à titre d’agent des services frontaliers (ASF) dans le groupe de techniciens divers au groupe et au niveau FB-03 depuis le 2 juin 2008. Son lieu de travail était situé au 3e pont du point d’entrée de St. Stephen (le « PDE de St. Stephen ») à St. Stephen, au Nouveau-Brunswick.

2        Le 19 juillet 2011, le fonctionnaire a déposé auprès de son employeur une demande en vue d’obtenir que des mesures d’adaptation soient prises à son égard et dans laquelle il indiquait vouloir être muté dans un poste à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard, pour des motifs portant sur l’état familial et l’état civil.

3        Le 29 septembre 2011, l’employeur a rejeté la demande du fonctionnaire, en indiquant que sa situation familiale ne satisfaisait pas au critère pour l’appuyer.

4        Le 17 octobre 2011, le fonctionnaire a déposé un grief contestant le rejet de sa demande de mesures d’adaptation et, à titre de réparation, il a indiqué qu’il voulait que sa demande soit approuvée ainsi qu’une mesure corrective intégrale. Son grief a été rejeté aux premier, troisième et dernier paliers de la procédure de règlement de griefs et, le 15 janvier 2013, il a renvoyé l’affaire à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

5        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été promulguée (TR/2014-184), créant ainsi la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») qui remplace l’ancienne CRTFP ainsi que l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont également entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une procédure amorcée en vertu de la Loi avant le 1er novembre 2014 doit être assumée et résumée en vertu de la Loi, dans sa version modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

II. Résumé de la preuve

6        Le fonctionnaire a présenté son témoignage pour son propre compte, et l’employeur a appelé un témoin, Debra Thompson, qui, au moment de l’audience, était directrice de district de l’ASFC pour le sud du N.-B. et l’Î.-P.-É.

7        L’employeur a présenté un mémoire de documents comprenant 25 onglets. Le mémoire a été accepté à titre de pièce alors qu’il était entendu que tous les documents qu’il contenait seraient identifiés par un témoin dans le cours normal de l’audience conformément aux règles de preuve ou qu’ils auraient fait l’objet d’une approbation de la part du fonctionnaire. À la fin de l’audience, tous les documents, sauf trois, avaient été acceptés comme élément de preuve et les trois documents en question ont été retirés et retournés à l’avocat de l’employeur.

8        Les conditions d’emploi du fonctionnaire sont en partie régies par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada relativement à tous les employés du groupe des services frontaliers, laquelle est venue à échéance le 20 juin 2011 (la « convention collective »). L’article 19 est intitulé « Élimination de la discrimination », et la clause 19.01 est ainsi formulée :

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

9        Mme Thompson a occupé de façon intermittente le poste de directrice intérimaire du district depuis septembre 2014. Son poste d’attache est celui de chef des opérations aux points d’entrée de St. Stephen et de St. Croix, au N.-B. Elle occupe son poste d’attache depuis juin 2009, dans le cadre duquel elle est responsable des activités quotidiennes aux deux points d’entrée. Le fonctionnaire relève indirectement d’elle, par l’intermédiaire d’un superviseur. Alors qu’elle occupait le poste de façon intérimaire, elle assurait la surveillance administrative de 13 points d’entrée au N.-B. et à l’Î.-P.-É., en plus de ceux de St. Stephen et de St. Croix.

10        Selon la route empruntée, le point d’entrée de St. Croix est situé à une distance de 50 à 65 kilomètres au nord de St. Stephen, N.-B., à la frontière avec le Maine.

11        Le 9 mai 2008, le fonctionnaire a reçu une offre d’un emploi à temps partiel pour une durée indéterminée de l’ASFC à titre d’ASF au groupe et niveau FB-03 au PDE de St. Stephen dans son district du sud du N.-B. et de l’Î.-P.-É., à compter du 2 juin 2008. Il s’agissait d’un poste désigné « anglais essentiel » qui lui demandait de travailler 15 heures par semaine. De plus, l’offre d’emploi établissait les modalités présentées ci-dessous :

  • le fonctionnaire devait se présenter au PDE de St. Stephen, le 5 juin et le 6 juin;
  • il était assujetti à une période d’essai de 12 mois conformément à l’art. 61 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13);
  • il devait être disposé à accepter une mutation ou une série d’affectations à l’intérieur du district ou de la région de l’ASFC;
  • il devait consentir à travailler différents quarts de travail par rotation, les fins de semaine et les jours fériés;
  • il devait consentir à travailler des heures supplémentaires au besoin.

12         Le jeudi 29 mai 2008, le fonctionnaire a signé et accepté les modalités de l’offre d’emploi.

13        Le fonctionnaire n’est pas bilingue.

14        Au moment de la réception et de l’acceptation de l’offre d’emploi par le fonctionnaire :

  • il était marié depuis presque quatre ans;
  • il était le père de deux enfants, un garçon de deux ans et demi et une fille d’un an et demi;
  • sa femme et lui étaient les propriétaires de leur demeure située à Stratford, comté de Queens, Î.-P.-É., où ils habitaient;
  • ses parents demeuraient à Charlottetown;
  • ses beaux-parents vivaient à Cardigan, comté de Kings, Î.-P.-É.;
  • sa femme occupait un poste d’enseignante dans une commission scolaire de l’Î.-P.-É., depuis sept ou huit ans;
  • Sa femme était en congé de maternité d’un an;
  • sa femme prévoyait prendre un congé d’un an pour les soins et l’éducation d’enfants d’âge préscolaire à la suite de son congé de maternité d’un an;
  • il avait un emploi à Charlottetown, mais non avec l’ASFC ni avec la fonction publique.

15        Le fonctionnaire a déclaré qu’en juin 2008, au commencement de son emploi avec l’ASFC, son épouse et lui, ainsi que leurs deux enfants, ont déménagé à St. Stephen, où ils y ont loué un appartement. Ils sont restés les propriétaires de leur maison familiale à Stratford, bien qu’ils l’aient louée à un couple pour une année (le bail a pris fin le 30 juin 2009). Sa femme n’a pas quitté son emploi à la commission scolaire à l’Î.-P.-É. Le fonctionnaire n’a pas précisé le moment exact du déménagement de sa famille au N.-B.

16        Le fonctionnaire a déclaré que, durant l’été de 2008, il avait participé à la formation offerte par l’ASFC à son installation de Rigaud, au Québec, durant une période de formation des ASF de neuf semaines.

17        Le fonctionnaire a déclaré que sa femme et ses enfants n’avaient pas passé beaucoup de temps à St. Stephen entre juin et septembre 2008 et que, durant cette période, ils étaient maintes fois retournés à l’Î.-P.-É. Il a déclaré que sa femme voulait qu’il fasse la navette entre l’Î.-P.-É. et St. Stephen.

18        Le fonctionnaire a déclaré que, vers les mois de juin ou de juillet de 2008, alors qu’il suivait sa formation à Rigaud, il avait présenté sa première demande visant une mutation à l’Î.-P.-É.

19        Le fonctionnaire a indiqué qu’en septembre 2008, sa femme et ses enfants étaient retournés vivre à l’Î.-P.-É en permanence; comme la maison familiale était louée, il a précisé que sa femme et ses enfants étaient allés vivre chez ses beaux-parents. Il n’a pas précisé le moment exact de leur déménagement.

20        Une copie d’un accord de séparation (AS) conclu entre le fonctionnaire et sa femme a été présentée en preuve lors de l’audience. Selon lui, même si la copie produite en preuve n’est pas signée, la copie signée est réellement identique. La date inscrite à la copie de l’AS est janvier 2009.

21        En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a été renvoyé à la clause 22 de l’AS (intitulée « Conseils juridiques indépendants (CJI) »). Il a indiqué que sa femme et lui avaient le même avocat, que ce dernier agissait en tant que médiateur et qu’il avait rédigé l’accord. La clause 22 est ainsi formulée :

[Traduction]

22      CONSEIL JURIDIQUE INDÉPENDANT

1)       [Nom omis] et Corey reconnaissent de part et d’autre qu’il ou elle :

a) a reçu un conseil juridique indépendant ou a reçu un avis l’informant de l’importance d’obtenir un tel conseil et a choisi de ne pas avoir recours audit conseil;

b) comprend les droits et les obligations établis par le présent accord;

c) signe le présent accord de son plein gré

22        En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a convenu que ses droits et obligations concernant sa femme et ses enfants sont établis dans l’AS, lequel constitue l’intégralité de l’accord.

23        Selon les renseignements produits au commencement de l’accord, le fonctionnaire et sa femme vivaient séparément depuis le 25 octobre 2008; cependant, dans son témoignage livré en ma présence, il a déclaré que cette séparation avait commencé en septembre 2008, lorsque sa femme est retournée vivre à l’Î.-P.-É en permanence.

24        Le fonctionnaire a déclaré qu’après que sa femme et lui se sont séparés, il a présenté une deuxième demande visant une mutation à l’Î.-P.-É.

25        Une liste relative au district de l’ASFC pour le sud du N.-B. et l’Î.-P.-É. préparée par la directrice du district comprenant les noms des employés désignés qui souhaitaient être mutés dans le district ou à l’extérieur de celui-ci (la « liste de mutation ») a été présentée en preuve lors de l’audience. En plus de l’identité de chaque employé et de ses coordonnées, cette liste de mutation contenait des renseignements tels que la date de sa demande de mutation, sa compétence en matière de langues, le lieu de travail demandé, les motifs de la demande et le statut de la demande. Le nom du fonctionnaire figure à la liste de mutation, et les dates du 15 juillet 2008 et du 19 octobre 2009 sont les dates qui y sont indiquées comme dates des demandes de mutation à l’Î.-P.-É.

26        Des copies de deux lettres ont été produites en preuve à l’audience. La première, datée du 15 septembre 2008, indique au fonctionnaire qu’à compter du 16 octobre 2008, ses heures de travail allaient passer de 15 à 22,5 heures par semaine. La deuxième, en date du 1er avril 2009, lui indique qu’à compter du 6 avril 2009, ses heures de travail allaient passer de 22,5 à 37,5 heures par semaine.

27        Le fonctionnaire a indiqué que, bien qu’il soit un employé à plein temps du PDE de St. Stephen, il travaillait des quarts de travail. Il travaillait cinq jours et avait trois jours de congé. Les quarts de travail à cet endroit sont répartis de la façon suivante : de 8 h à 17 h (quart de jour), de 15 h à minuit (quart de soir) et de 23 h à 8 h (quart de nuit).

28        Les 30 août et 1er septembre 2010, un échange de courriels a eu lieu entre le fonctionnaire et Mme Thompson :

[Traduction]

[M. Fleming à Mme Thompson; le 30 août 2010, à 6 h 41]

Par la présente, je vous écris pour vous demander de changer mon poste à un poste saisonnier.

Au cours deux dernières années, j’ai fait la navette entre ici et l’Î.-P.-É., afin d’y voir mes enfants. Chaque fois que je m’y rends, le retour est de plus en plus difficile.

L’hiver approche et, pour en avoir déjà fait l’expérience, je crains de me retrouver dans le fossé et [nom de l’enfant omis] commence sa première année scolaire; il sera donc très difficile de passer un peu de temps avec lui en raison de mes quarts de travail et du fait d’avoir seulement deux fins de semaine de congé sur huit.

J’ai longuement réfléchi à la question et j’estime avoir épuisé tous les autres recours.

[Mme Thompson à M. Fleming; le 30 août 2010, à 8 h 44.]

Bonjour Corey, je veux m’assurer que j’interprète correctement votre demande. Votre demande consiste-t-elle à faire modifier votre poste ici pour qu’il passe de plein temps à saisonnier et simplement ne pas travailler pendant la saison morte ou demandez-vous ce changement dans l’espoir d’être muté à l’Î.-P.-É.?

[Traduction]

[M. Fleming à Mme Thompson; le 1er août 2010, à 11 h 47]

Je souhaite voir mon poste ici devenir saisonnier. Bien que je souhaite vraiment trouver quelque chose à l’Î.-P.-É., je doute que cela se produise avant un certain temps. Je désire simplement être en mesure de passer plus de temps avec [noms des enfants omis].

J’espère que vous comprenez.

29        Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait retiré sa demande de modification à un poste saisonnier avant que l’ASFC y ait donné suite.

30        Des courriels échangés par Mme Thompson et Charlotte Demers-Doiron entre le 30 mars 2011 et le 17 mai 2011 ont été produits en preuve à l’audience. À l’époque, Mme Demers-Doiron était chef des opérations aux points d’entrée de l’Î.-P.-É. Mme Thompson a présenté un témoignage portant sur l’échange de courriels, et le fonctionnaire a présenté un témoignage portant sur leur objet. Étant donné que le fonctionnaire avait présenté une demande visant une mutation à l’Î.-P.-É. et que ses enfants y habitaient, une discussion portant sur une option potentielle a eu lieu, selon laquelle il aurait échangé son poste à plein temps pour une durée indéterminée à St. Stephen contre un poste saisonnier à Charlottetown. Selon Mme Thompson, il y avait un poste vacant à Saint John, N.-B., et un ASF saisonnier qui travaillait à Charlottetown était disposé à prendre ce poste, ce qui aurait eu pour effet d’entraîner la création d’un poste vacant à Charlottetown, où elle proposait de muter le fonctionnaire.

31        Ni Mme Thompson ni Mme Demers-Doiron ne disposaient du pouvoir délégué pour autoriser le déplacement. Ce pouvoir revenait à Don Collins qui, à l’époque, était le directeur du district pour le sud du N.-B. et l’Î.-P.-É. Mme Thompson a confié au fonctionnaire que, même si on espérait que puisse se réaliser ce déplacement, il était impossible de lui confirmer quoi que ce soit.

32        Mme Thompson a déclaré qu’au même moment, ou à peu près à ce moment-là, M. Collins avait demandé à Mme Demers-Doiron d’effectuer un « examen des ressources » en ce qui a trait à son secteur de responsabilité, lequel est préparé en vue de s’assurer que, dans une région donnée, l’ASFC a les ressources requises pour répondre aux besoins.

33        Le projet visant à muter le fonctionnaire à Charlottetown ne s’est pas réalisé puisque la charge de travail au point d’entrée de Charlottetown avait diminué et son déclin soutenu se poursuivait. Le courriel du 17 mai 2011 entre Mme Thompson et Mme Demers-Doiron est reproduit ci-dessous :

[Traduction]

[Mme Thompson à Mme Demers-Doiron, à 16 h 46]

Bonjour Charlotte, nous n’avons pas discuté de cette question depuis un certain temps et Corey est passé me voir à quelques reprises au cours de la dernière semaine, ou à peu près. Selon ma compréhension de la chose, Don avait demandé un examen des ressources avant que tout déplacement puisse être réalisé, y a-t-il du nouveau à signaler à ce sujet?

[Mme Demers-Doiron à Mme Thompson, à 16 h 55]

À l’heure actuelle, je ne suis pas en mesure de muter [nom omis] à Saint John comme employé à plein temps, alors j’imagine que nous allons devoir attendre. De plus, la quantité des vols a diminué comparativement aux années précédentes, alors je dispose de suffisamment de personnel.

34        La structure organisationnelle du district pour le sud du N.-B. et l’Î.-P.-É. a été produite en preuve à l’audience. Les activités au point d’entrée de Charlottetown visaient essentiellement à dédouaner les paquebots de croisière et d’autres bateaux privés accostés durant la saison des paquebots de croisière, ainsi que les vols à l’aéroport de Charlottetown si un transporteur aérien y prévoyait des vols internationaux durant la saison hivernale.

35        Un organigramme du point d’entrée de Charlottetown en date du 23 juin 2015, ainsi qu’une liste du personnel de Charlottetown présentant les postes, les personnes qui les occupent, et les profils linguistiques de ces postes, de mai 2007 à décembre 2014, ont été produits en preuve à l’audience. Cet organigramme démontre l’existence de cinq postes d’ASF et d’un poste de stagiaire d’agent de l’ASFC (classifié FB-02), lequel relève de la supervision d’un directeur (classifié FB-05). Mme Thompson a déclaré que

  • des cinq postes d’ASF, seulement trois étaient pourvus;
  • les deux postes vacants demeureront non pourvus en raison de la diminution de la charge de travail à Charlottetown;
  • le directeur du point d’entrée de Charlottetown ne se trouve pas physiquement à l’Î.-P.-É., mais il est plutôt au PDE de Moncton, au N.-B.

36        Un tableau conçu par Mme Thompson présentant l’historique de dotation du personnel au PDE de Moncton, du 30 avril 2010 au 19 décembre 2011, a été produit en preuve à l’audience. Elle a indiqué que le fonctionnaire n’aurait pu y occuper un poste parce qu’il n’avait pas le profil linguistique requis.

37        Le 20 juin 2011, le fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Collins, indiquant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

J’ai entendu dire qu’un poste saisonnier anglais essentiel à Charlottetown n’était pas pourvu. Je me demande simplement si cette information est exacte et, si oui, compte tenu de mes responsabilités familiales, si je peux être pris en considération pour ce poste.

Je souhaite simplement pouvoir me rapprocher de mes enfants. Je suis simplement épuisé physiquement et financièrement. J’avais même présenté une demande de congé d’un an pour des raisons personnelles, mais elle m’a été refusée en raison des exigences du service.

Je me demande simplement si vous êtes en mesure de me tenir à jour à cet égard ou me faire part de tout élément nouveau.

[…]

38        Le 21 juin, M. Collins a répondu en ces termes :

[Traduction]

Je comprends que vous puissiez vivre une situation difficile et, d’ici à ce que je trouve un poste vacant à Charlottetown ou qu’il y ait une augmentation des vols, je dispose de suffisamment d’employés pour assurer la prestation du service. Je poursuivrai mes discussions avec Charlotte en ce qui a trait à toute autre possibilité. Nous souhaitons réellement que votre emploi à l’Agence se poursuive et soyez assuré que cette question a maintes fois fait l’objet de nos discussions.

Avez-vous étudié la possibilité de travailler comme employé saisonnier à St. Stephen et de retourner à l’Î.-P.-É. pour six mois jusqu’à ce qu’un poste soit vacant à Charlottetown? Cette option pourrait être envisagée de notre part si elle vous intéresse.

[…]

39        Le 21 juin 2011, le fonctionnaire a répondu en ces termes :

[Traduction]

J’y avais pensé l’an dernier, mais ma situation financière est très difficile. Ainsi, même si je travaillais comme employé saisonnier à l’Î.-P.-É., je devrais tout de même faire des économies pour survivre l’hiver. Un simple emploi saisonnier ici ne serait pas suffisant au plan financier. Un simple emploi saisonnier ici ne permettrait pas d’avoir la garde scindée des enfants.

Je vous remercie de me proposer ces options et vous ferai part de ma décision si la situation devait évoluer.

40        Le 19 juillet 2011, le fonctionnaire a déposé auprès de l’ASFC une demande en vue d’obtenir que des mesures d’adaptation soient prises à son égard, une demande visant la prise de mesures d’adaptation permanentes fondée sur l’état matrimonial et la situation familiale. Il a demandé qu’un poste lui soit accordé et qu’il travaille à Charlottetown.

41        Dans une lettre en date du 29 septembre 2011, l’employeur a rejeté la demande du fonctionnaire visant la prise de mesures d’adaptation à son égard. Néanmoins, il indiquait dans cette correspondance que cette décision n’aurait aucune incidence sur le résultat des demandes de mutation présentées antérieurement par le fonctionnaire et que, si une occasion se présentait ou qu’un poste devenait vacant, sa demande serait prise en considération.

42        Mme Thompson a déclaré que, malgré ce rejet, l’employeur a tenté de trouver des moyens de muter le fonctionnaire et de l’aider à trouver d’autres postes potentiels dans d’autres ministères ou organismes gouvernementaux. Plusieurs exemples de ces mesures et de cette aide ainsi que les courriels qui lui ont été envoyés par Mme Thompson ayant trait à l’emplacement des postes affichés pour lesquels il aurait éventuellement eu les compétences requises, ou qui auraient pu l’intéresser à l’Î.-P.-É. ou plus près de Charlottetown que ne l’est St. Stephen, ont été produits en preuve à l’audience.

43        À un moment donné, avant le 25 janvier 2012, un sondage a été effectué auprès des ASF de Charlottetown afin de vérifier la possibilité que l’un d’entre eux envisage un déménagement à St. Stephen. Mme Demers-Doiron a confirmé dans un courriel, le 25 janvier 2012, que personne n’avait démontré d’intérêt en ce sens.

44        Entre le 28 et le 31 mai 2012, un échange de courriels, dont une copie a été envoyée à Mme Thompson, a eu lieu entre le fonctionnaire et M. Collins, qui à l’époque était toujours le directeur du district. L’échange de courriels s’est déroulé comme suit :

[Traduction]

[M. Fleming à M. Collins; 28 mai 2012]

Je vous écris au sujet de ma demande de mutation.

Il n’y a pas très longtemps, j’apprenais de mon représentant syndical qu’un ASF de Charlottetown pourrait accepter un poste à Rigaud et que, s’il en était ainsi, un poste deviendrait vacant.

Lors d’une conversation que j’ai eue avec ma chef, Mme Thompson, elle m’indiquait qu’un poste vacant à Charlottetown ne serait pas pourvu.

Selon les renseignements qui m’ont été communiqués, Charlottetown a perdu un poste. Il devrait alors toujours y avoir un poste à pourvoir, et je demande à être muté dans ce poste.

[M. Collins à M. Fleming; 31 mai 2012]

Les PDE de moindre envergure comme celui de Charlottetown sont pourvus en fonction de la demande de la clientèle et des volumes. En 2008, nous avons établi un niveau estimatif de dotation relatif à ce PDE fondé sur un ratio de service et d’autres activités à l’aéroport de 16/7 heures. Malheureusement, le niveau d’activités à cet endroit a été inférieur aux niveaux prévus dans le plan d’affaires de l’aéroport qui, en fait, est actuellement moins occupé qu’en 2009 et en 2010. Notre personnel de Charlottetown se compose actuellement de trois employés nommés pour une période indéterminée à plein temps et de trois saisonniers. Tous ces postes ont été pourvus. Il n’y existe en ce moment aucun poste vacant dans lequel vous muter.

De plus, en vertu du plan d’action pour la réduction du déficit, l’ASFC modifiera ses procédures de traitement relatives aux paquebots de croisière et, en 2013, Charlottetown n’aura plus la désignation de PDE des paquebots de croisière. Nous devrons réaliser des économies en raison de ce changement et, par conséquent, même s’il arrivait qu’un poste devienne vacant, je ne pourrais m’engager à le pourvoir compte tenu des volumes actuels.

Votre demande de mutation est au dossier et elle sera prise en compte dans le cas d’une quelconque vacance à Charlottetown. Je regrette de ne pas pouvoir vous communiquer des nouvelles plus réjouissantes ou vous livrer un message d’espoir, mais je dois vous présenter la situation telle qu’elle l’est actuellement. Je suggérerais également qu’il est peut-être préférable qu’à l’avenir vous posiez des questions liées aux situations de dotation plutôt que de tirer des conclusions à partir d’éléments d’information provenant de sources diverses.

45        Le fonctionnaire a déclaré qu’il a été en congé de maladie durant deux mois au cours de l’été 2012.

46        Le fonctionnaire a pris un congé non payé (CNP) du 1er novembre 2013 au 30 octobre 2014. Au moment de son retour au travail, le 1er novembre 2014, il a été affecté au point d’entrée de St. Croix, où les quarts de travail sont établis selon la formule de quatre jours de travail suivis de quatre jours de congé et qu’il n’y a que deux quarts de travail de douze heures par jour.

47        La clause 1 b) de l’AS indique que la maison familiale est située à Stratford.

48        À la clause 2, il est précisé que l’AS est régi par le droit applicable à l’Î.-P.-É.

49        La clause 5 de l’AS est intitulée [traduction] « La garde et l’accès ». Il est stipulé à la clause 5 a) que le fonctionnaire et sa femme auront la garde conjointe des enfants nés du mariage, que la femme assurera quotidiennement la garde et le contrôle des enfants et que le fonctionnaire aura un droit de visite généreux et raisonnable fondé sur un avis raisonnable et un commun accord, tenant compte de son horaire de travail et de l’âge des enfants, qui, au moment de la présentation de la demande du fonctionnaire visant la prise de mesures d’adaptation à son égard, avaient respectivement cinq et trois ans.

50        Il est prévu à la clause 5 b) de l’AS que l’horaire de visite du fonctionnaire concernant son plus jeune enfant deviendra plus généreux proportionnellement à l’âge de cette dernière. Il a déclaré que, lorsque lui et sa femme se sont séparés, sa plus jeune n’était qu’un nourrisson qui était encore allaité et que, par conséquent, la période dont il disposait pour passer du temps avec elle lors de ses visites était restreinte. Cette situation a évolué depuis car, au moment de l’audience, elle avait sept ans.

51        Il est prévu à la clause 5 f) de l’AS que les visites du fonctionnaire auront lieu à l’Î.-P.-É. ou au N.-B. et à des moments convenus entre les parties.

52        Il est indiqué à la clause 5 g) de l’AS que le fonctionnaire aura jusqu’à concurrence de deux semaines de visites avec les enfants durant les mois de juillet et d’août en plus de toute heure prévue à l’horaire régulier convenu entre lui et sa femme. Au moment de conclure l’AS, une autre disposition limitait les périodes de visites estivales à un maximum de quatre jours consécutifs et celle-ci semble avoir cessé d’avoir effet lorsque la plus jeune des enfants a atteint l’âge de cinq ans, une période désormais écoulée.

53        Il est prévu à la clause 5 h) de l’AS que le fonctionnaire et sa femme conviennent de se consulter au besoin par téléphone, par la poste, par courriel ou en personne, pour discuter de plans et des arrangements parentaux relatifs aux enfants.

54        Il est prévu à la clause 5 l) de l’AS que le fonctionnaire et sa femme auront tous deux des contacts raisonnables avec leurs enfants, y compris un contact quotidien lorsque les enfants sont avec l’autre parent.

55        Le fonctionnaire a déclaré que la relation entre sa femme et lui est amicale. Il communique quotidiennement avec les enfants, et la question de l’accès et des droits de visite ne pose aucun problème. Il a également confirmé que sa femme et lui se consultent eu égard aux besoins des enfants en ce qui a trait à leurs parents. Il a indiqué que, durant l’année de son CNP, les enfants passaient environ 40 % du temps avec lui et 60 % avec sa femme et que, lorsqu’ils étaient avec lui, c’est lui qui en avait la garde. Il s’occupait d’eux et veillait à assurer leurs déplacements à destination et en provenance de l’école et de leurs activités. Il a déclaré qu’à la suite de cette année de CNP, il voulait assurer la garde de ses enfants.

56        Un document d’analyse de Statistique Canada préparé par Marie Sinha de la Division de statistique sociale et autochtone, en date de février 2014 et intitulé « Rôle parental et pension alimentaire après une séparation ou un divorce » (le « document de StatCan ») a été produit en preuve à l’audience. Deux tableaux ont été reproduits aux pages 10 et 11. Ils portent sur les parents non gardiens qui, dans le contexte des tableaux en question, sont les parents dont l’enfant réside avec l’ex-conjoint. Le terme « enfant » désigne un enfant ou plusieurs enfants.

57        Le graphique no 2, à la page 10 du document de StatCan, présente le pourcentage des parents non gardiens qui n’ont pas passé de temps avec leur enfant au cours des 12 derniers mois ou ont passé moins de trois mois avec celui-ci. Selon ce graphique, 18 % des parents non gardiens n’ont pas du tout passé de temps avec leur enfant au cours d’une période de 12 mois, et 44 % d’entre eux ont passé un peu de temps, mais moins de trois mois avec leur enfant. Selon les commentaires à la page 10 et le graphique no 3 à la page 11, 22 % des parents non gardiens vivaient à plus de deux heures de route du lieu de résidence de leur enfant.

58        Mme Thompson a présenté un témoignage portant sur le programme du « premier point d’arrivée » de l’ASFC et elle a identifié une note de service de l’ASFC datée le 28 mai 2013, laquelle était signée par Pierre Sabourin, le vice-président à la Direction des opérations, et par Martin Bolduc, le vice-président adjoint à la direction, qui avait pour objet de préciser les lieux de désignation dans le cadre du programme du premier point d’arrivée.

59        Le programme du premier point d’arrivée consistait à exiger des paquebots de croisière qu’ils soient dédouanés dans leur premier point d’arrivée lorsqu’ils viennent au Canada. Ces points d’arrivée sont désignés par l’ASFC. Cette exigence ne signifiait pas pour autant que les paquebots de croisière ne pouvaient pas accoster dans d’autres ports, mais simplement que tous les ports dans lesquels les paquebots de croisière souhaitaient faire escale n’étaient désormais plus des points d’entrée aux fins de douanes, en ce qui les concerne; ils seraient tenus d’obtenir le dédouanement dans un point d’arrivée désigné. Le programme portait sur les services relatifs aux paquebots de croisière dans certains ports dans le sud de l’Ontario, à Toronto, à Québec, et dans la région de l’Atlantique (laquelle comprend notamment le district du sud du N.-B. et de l’Î-P.-É.). Le programme qui est entré en vigueur le 1er juin 2013 a retiré la désignation à certains PDE dont celui de Charlottetown. Il en ressort essentiellement que, même si les paquebots de croisière pouvaient continuer à accoster au port de Charlottetown, ils devaient être dédouanés ailleurs et qu’aucun ASF ne serait en mesure de les dédouaner à Charlottetown.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

60        Le fonctionnaire m’a renvoyé à Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110, où, au paragraphe 74, il est indiqué ce qui suit :

74. […] le motif de la situation de famille prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne comprend les obligations parentales qui engagent la responsabilité légale du parent envers son enfant, telle que les obligations en matière de garde d’enfants, par opposition à tout ce qui relève d’un choix personnel. Le fait de définir la portée du motif de distinction illicite en fonction de la responsabilité légale des parents (i) garantit que la protection offerte par la loi tient compte de caractéristiques immuables (ou considérées immuables) des rapports familiaux visés par le concept de situation de famille, (ii) permet de définir le droit en fonction de concepts légaux facilement compréhensibles, c) [sic] place le motif de la situation de famille dans la même catégorie que d’autres motifs de distinction illicite énumérés tels que le sexe, la couleur, la déficience, etc.

61        Le fonctionnaire a soutenu que la situation de famille dont il est question au paragraphe 74 de Johnstone est différente de ce qui est décrit au paragraphe 72 de la même décision, où est établie la distinction entre les obligations contractuelles et les choix personnels. Les activités parascolaires ne permettent pas de formuler une allégation de discrimination.

62        Le fonctionnaire m’a renvoyé à la clause 5 g) de l’AS et il a soutenu que ce n’est pas ainsi que tout se déroulait lorsqu’il était en CNP, alors qu’il avait les enfants 40 % du temps et que sa femme les avait durant 60 % du temps.

63        Le fonctionnaire a également soutenu qu’il était envisagé qu’il aurait les enfants plus souvent que ce qui est prévu à l’AS.

64        Le fonctionnaire ne se contente pas de rendre occasionnellement visite à ses enfants, il a des responsabilités légales à titre de parent envers son enfant ainsi que des obligations en matière de garde d’enfants. Il a des obligations envers eux, lesquelles entrent en conflit avec son horaire de travail. La formule de quatre jours de travail suivis de quatre jours de congé ou le fait de travailler cinq jours et d’avoir trois jours de congé l’empêche de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfant comme le veut la formule de la garde scindée de 60 % et 40 %.

65        L’ASFC ne peut prendre connaissance de l’AS et conclure que la situation du fonctionnaire ne satisfait pas la définition de situation de famille. L’ASFC a d’abord affirmé qu’il n’avait ni la garde ni le contrôle, et ensuite elle a pris l’horaire en considération. Le fonctionnaire tente d’assurer la garde scindée des enfants.

66        Le fonctionnaire soutient que son horaire de travail l’empêche de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfant. Il m’a renvoyé aux paragraphes 81 et 82 de Johnstone, où il est énoncé ce qui suit :

81 Je conviens que le critère qui doit s’appliquer pour pouvoir conclure à une discrimination de prime abord fondée sur le motif interdit de la situation de famille doit être essentiellement le même que celui qui s’applique dans le cas des autres motifs énumérés de discrimination. Il ne doit pas y avoir de hiérarchie en matière de droits de la personne. Toutefois, même s’il devrait être essentiellement le même, le critère doit nécessairement être souple et adapté aux circonstances, comme la Commission canadienne des droits de la personne l’a à juste titre signalé dans les observations qu’elle a présentées devant notre Cour.

82 Le point de départ du critère préliminaire permettant de conclure à l’existence d’une preuve de discrimination de prime abord a été énoncé dans l’arrêt Commission des droits de la personne de l’Ontario c. Simpsons-Sears, précité, à la page 558, dans lequel le juge McIntyre a fait observer que la personne qui dépose une plainte devant un Tribunal des droits de la personne doit démontrer qu’il y a à première vue discrimination et « dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé ».

67        Le fonctionnaire soutient qu’étant donné que son état civil a changé, une apparence de droit suffisante est établie, et qu’il incombe à l’employeur de déterminer s’il s’agissait d’une exigence professionnelle justifiée.

68        Le fonctionnaire m’a renvoyé au paragraphe 94 de Johnstone, lequel établit le premier facteur permettant de déterminer si le fonctionnaire satisfait au critère de la preuve de prime abord, c’est-à-dire démontrer qu’il entretient ce type de relation avec l’enfant en question et que son défaut de répondre aux besoins de l’enfant entraînera sa responsabilité légale. Il a soutenu qu’il est le père des enfants et que, lorsqu’il en a la charge, il a des obligations envers eux.

69        Le fonctionnaire m’a renvoyé au paragraphe 95 de Johnstone, lequel établit le deuxième facteur, qui consiste à démontrer qu’il existe une obligation qui engage sa responsabilité légale envers l’enfant. Si l’on tient compte de la garde scindée de 60 % et 40 % entre le fonctionnaire et la mère des enfants, de l’âge de ces derniers et de la participation active du fonctionnaire à leur égard, il est démontré l’existence d’une obligation et de responsabilités.

70        Le fonctionnaire m’a renvoyé au paragraphe 96 de Johnstone, lequel établit le troisième facteur, qui consiste à démontrer que le fonctionnaire a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations relatives à la garde des enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable. Le fonctionnaire a soutenu que ses obligations sont clairement précisées dans son accord de séparation. Une prise en compte du temps qu’il a passé à l’Î.-P.-É. durant son CNP d’un an démontre les efforts qu’il a déployés pour s’acquitter de ses obligations. Sa demande de modification de son poste dans lequel il a été nommé pour une période indéterminée à un poste saisonnier démontre qu’il a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations relatives à la garde des enfants.

71        L’AS a pour objet d’assurer l’intérêt supérieur des enfants. Il n’est pas de leur intérêt supérieur qu’ils soient séparés de leur père au cours d’une période de temps prolongée. Il n’est pas sain que les enfants soient séparés de leur père au cours de périodes de temps prolongées.

72        Le fonctionnaire m’a renvoyé au paragraphe 97 de Johnstone, lequel établit le quatrième et dernier facteur, qui exige que les règles controversées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité à s’acquitter de ses obligations relatives à la garde des enfants. Le fonctionnaire soutient qu’il travaille des quarts de travail et que la distance qui le sépare de ses enfants et le défaut de prendre des mesures d’adaptation à son égard l’ont empêché de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfant selon la garde scindée de 60 % et 40 % envers laquelle il s’est engagé alors qu’il était en CNP d’un an.

73        Le fonctionnaire soutient qu’il satisfait aux critères établis dans Johnstone et que, par conséquent, je suis habilité à rendre une déclaration visant à ce que soient prises des mesures d’adaptation à son égard.

74        Le fonctionnaire soutient qu’à titre de mesure prise à son égard, il souhaite que son nom soit inscrit sur une liste de priorités.

75        Le fonctionnaire défend également la position selon laquelle le fait de ne pas avoir obtenu un poste saisonnier pour une durée indéterminée l’a forcé à prendre une année de congé. Le fonctionnaire demande une année de salaire.

B. Pour l’employeur

76        Selon le fonctionnaire, l’ASFC ne lui a pas accordé un poste à Charlottetown et n’a pas modifié son horaire de quarts de travail; la demande visant à ce que soient prises des mesures d’adaptation à son égard consistait, en fait, à le muter à Charlottetown et qu’il y occupe un poste.

77        L’employeur m’a renvoyé à Babiuk et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CRTFP 51 au paragr. 51, où il est indiqué qu’il est fondamental que la question à l’origine du grief soit exprimée en des termes on ne peut plus clairs. L’employeur m’a également renvoyé à Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] A.C.F. no 225 (1er inst.) (QL),aux paragr. 15 et 26, dans laquelle la cour fédérale souligne que les mots utilisés dans un grief sont importants puisqu’ils précisent la compétence. Un grief ne peut être modifié de manière à en créer un nouveau. Dans la même veine, on m’a également renvoyé à Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2014 CRTEFP 02, qui énonce que le grief qu’il faut trancher est celui qui a été déposé.

78        L’ASFC soutient que le critère que je dois appliquer est celui établi dans Johnstone, aux paragr. 94 à 97, et qui se présente comme suit :

  1. le fonctionnaire assume effectivement l’entretien et la surveillance des enfants;
  2. l’obligation ou les obligations en cause ayant trait à la garde des enfants font jouer la responsabilité légale envers ces enfants et il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel;
  3. le fonctionnaire a déployé les efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable;
  4. les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité à s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants.

79        En ce qui a trait au fardeau de la preuve, l’employeur m’a renvoyé aux paragraphes 109 et 119 de Ontario (Disability Support Program) v. Tranchemontagne, 2010 ONCA 593, où il est indiqué qu’il incombe à la partie alléguant la discrimination d’en établir la preuve plutôt qu’à la partie défenderesse d’établir la preuve du contraire. Il incombe au fonctionnaire de produire des éléments de preuve suffisants, si ceux-ci sont acceptés, pour appuyer une conclusion de discrimination et, une fois cette étape franchie, il peut y avoir un déplacement du fardeau de la preuve de sorte que l’ASFC peut devoir réfuter l’allégation de discrimination.

80        L’employeur soutient que le fonctionnaire doit démontrer que les quatre facteurs établis dans Johnstone sont tous présents pour prouver la discrimination de prime abord.

81        En ce qui a trait au premier facteur, selon lequel le fonctionnaire assume effectivement l’entretien et la surveillance des enfants, l’employeur convient que le fonctionnaire a certaines obligations légales à respecter à l’égard de ses enfants lorsqu’il exerce son droit d’accès auprès d’eux et qu’il doit leur payer une pension alimentaire. Il n’a pas démontré qu’il lui était impossible de satisfaire à ses obligations légales en raison de son emploi.

82        Concernant le deuxième facteur selon lequel les obligations en cause ayant trait à la garde des enfants fait jouer la responsabilité légale envers ces enfants et qu’il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel, l’employeur soutient que le fonctionnaire s’appuie sur les périodes au cours desquelles il ne travaille pas et a plus souvent accès aux enfants comparativement aux périodes où il est au travail, ce qui est fondamentalement différent de ce qui a été envisagé par la Cour dans Johnstone. Dans cette affaire, il était question d’employés de l’ASFC dont les quarts de travail  par rotation de 56 jours étaient variables; les horaires manquaient d’uniformité et étaient imprévisibles, de sorte qu’il était impossible d’organiser la garde de deux enfants. La Cour indique que l’obligation en cause ayant trait à la garde des enfants doit être identifiée, laquelle doit être exécutée, car son inobservation engagerait la responsabilité légale du parent envers les enfants.

83        Au paragr. 68 de Johnstone, il est indiqué que les activités relatives à la garde des enfants visées par le motif interdit de la situation de famille sont celles qui ont des caractéristiques personnelles immuables ou considérées comme immuables et qu’elles appellent un examen attentif. Au paragraphe 70, la Cour a décidé que les obligations en matière de garde des enfants doivent posséder des caractéristiques immuables comme celles qui font partie intégrante des relations juridiques entre un parent et son enfant. Les obligations en matière de garde d’enfants dont il est question sont celles qu’un parent ne peut négliger sans engager sa responsabilité légale; ainsi, un père ou une mère ne peut laisser un jeune enfant sans surveillance à la maison pour aller travailler, étant donné que cette façon d’agir constituerait une forme de négligence.

84        Dans, Johnstone, la Cour a étendu la définition de l’expression « exécuter ses obligations légales » en donnant des exemples permettant de formuler une allégation de discrimination découlant d’une obligation de prendre des mesures d’adaptation imposée à l’employeur. Au paragraphe 71, la Cour a décidé que les obligations parentales dont l’exécution est protégée par la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) sont celles dont l’inobservation engage la responsabilité légale du parent envers l’enfant.

85        L’employeur soutient que la volonté du fonctionnaire de trouver une solution de rechange relative à l’accès et à la garde de ses enfants n’entraîne aucune obligation légale du fait de ne pas pouvoir y parvenir. Le paragraphe 5 de l’AS ne crée aucune obligation légale dans le sens exprimé dans Johnstone. Il est louable que le fonctionnaire ait comme objectif de passer plus de temps avec ses enfants, mais il ne s’agit pas d’une obligation légale imposée.

86        La clause 5 g) de l’AS permet jusqu’à deux semaines de vacances d’été avec les enfants, en plus des moments prévus à l’horaire des visites (lequel n’est pas précisé dans l’AS). L’horaire de visite du fonctionnaire semble plus généreux lorsqu’il n’est pas au travail, ce qui est une bonne chose, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il est menacé au plan légal. Il en découle simplement qu’il voit moins ses enfants durant les moments où il travaille.

87        Le fonctionnaire a fait état d’une garde scindée de 60 % et 40 %; pourtant, cette option n’est pas le seul choix raisonnable et aucun élément de preuve n’appuie une telle proposition.

88        Le fonctionnaire a relevé les éléments présentés ci-dessous relatifs à son emploi, lesquels ont tous une incidence défavorable sur lui et ses enfants :

  • il doit effectuer de longs déplacements pour rendre visite à ses enfants (qui sont à l’Î.-P.-É. alors que lui est au N.-B.);
  • les déplacements en hiver peuvent s’avérer plus compliqués;
  • en raison des quarts de travail par rotation, ses jours de repos ne coïncident pas toujours avec les fins de semaine;
  • il n’est pas en mesure de rendre visite à ses enfants aussi souvent qu’il le souhaiterait.

89        Aucune des situations problématiques liées à son emploi ne constitue une preuve indiquant qu’il n’est pas en mesure de satisfaire aux besoins essentiels de ses enfants ou à toute autre obligation qu’il doit exécuter. Au contraire, la preuve présentée a établi les éléments suivants :

  • le fonctionnaire peut exécuter toutes ses obligations prévues dans l’AS à la suite de négociations;
  • la relation entre sa femme et lui est amicale, et cette dernière rend plus faciles ses visites avec les enfants;
  • il exerce régulièrement son droit de visite;
  • il bénéficie de deux semaines de vacances avec les enfants comme le prévoit l’AS, et même parfois plus;
  • des visites spéciales sont rendues possibles lors d’évènements et des jours fériés;
  • sa relation avec les enfants est saine;
  • lorsque ses enfants sont avec leur mère, il peut communiquer avec eux quotidiennement, ce qu’il fait par ailleurs;
  • il participe activement aux plans parentaux relatifs aux enfants;
  • il respecte ses engagements en matière de pension alimentaire.

90        La situation du fonctionnaire suscite la compassion, mais elle n’est pas différente de celle de nombreuses autres familles canadiennes. Elle n’entraîne pas une obligation de prendre des mesures d’adaptation; rien n’a été présenté à l’audience pour étayer l’obligation de l’employeur de prendre une mesure d’adaptation à son égard.

91        Dans Flatt, il était question d’allégation de défaut de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’une employée fondée sur la situation de famille lorsque l’employeur a rejeté sa demande visant à ce que soit prise une telle mesure à son égard, c’est-à-dire faire du télétravail à la suite de son congé de maternité d’un an, afin qu’elle puisse poursuive l’allaitement de son enfant. Au paragraphe 181, la Commission a conclu que l’obligation légale du parent est d’alimenter son enfant; la façon dont un parent s’acquitte de cette obligation est une question de choix, et l’allaitement maternel n’est pas le seul choix possible, mais bien l’un de ces choix. La Commission a néanmoins convenu qu’il arrive parfois que le nombre d’options soit réduit à une seule et que, dans de tels cas, le choix ne constitue plus un choix, il devient une obligation légale.

92        J’ai également été renvoyé aux paragraphes 14 et 42 de Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Natural Resources and Forestry), 2015 CanLII 23821 (« Bharti »). Dans cette affaire, il a été conclu que l’obligation de prodiguer personnellement ce que le fonctionnaire en l’espèce affirmait n’existait pas. Cependant, il n’a pas laissé entendre qu’il ne pouvait subvenir aux besoins essentiels.

93        L’employeur m’a renvoyé à International Brotherhood of Electrical Workers, Local 636 v. Power Stream Inc. (2009), 186 L.A.C. (4e) 180, dans laquelle il a été décidé qu’un changement à une règle régissant le milieu de travail, qui oblige les parents à modifier une entente de garde minutieusement constituée à leur détriment dans le but de permettre l’application de ladite règle, pourrait être considéré comme discriminatoire. Cependant, j’ai également été renvoyé à Saroyan v. Deco Automotive, 2011 HRTO 236, dans laquelle il a été conclu qu’une modification à une règle régissant le milieu de travail n’était pas discriminatoire parce que l’employé en cause avait déployé un minimum d’efforts dans le but de faire modifier ses droits de visite et, en fait, il n’était même pas possible de conclure si l’employé avait eu la moindre discussion sérieuse avec sa femme en vue de modifier leur entente visant les droits de visite.

94        En ce qui a trait au troisième facteur, selon lequel le fonctionnaire a déployé les efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en cherchant des solutions de rechange raisonnables, alors qu’aucune solution de rechange ne peut raisonnablement être adoptée, les éléments de preuve produits n’ont pas permis de conclure que ni lui ni sa femme n’étaient en mesure de satisfaire aux obligations ayant trait à la garde des enfants. Il doit y avoir une obligation légale exécutoire à l’égard de laquelle aucune solution de rechange raisonnable n’existe. Le terme clé utilisé par la Cour lors des discussions portant sur le troisième facteur est « de rechange », sur lequel portaient principalement les discussions dans Flatt, au paragr. 178.

95        Le fonctionnaire a demandé que son poste à plein temps pour une durée indéterminée soit changé à un poste saisonnier, mais il a retiré sa demande par la suite. Il a également demandé une mutation à l’Î.-P.-É. Il a également demandé et a obtenu un CNP d’un an. La preuve montre clairement que l’employeur cherchait activement à trouver une solution au problème relatif à sa situation familiale.

96        Le fonctionnaire a de son plein gré conclu un AS; il était conscient du fait que les enfants allaient vivre à l’Î.-P.-É., alors que lui vivrait au N.-B., et qu’il allait devoir faire la navette. Aucun élément de preuve n’a démontré que le fonctionnaire avait exploré d’autres solutions de rechange, ou que sa situation était impossible ou déraisonnable.

97        Le fonctionnaire n’a produit aucun élément de preuve étayant des recherches d’emploi qu’il aurait entreprises en vue de trouver des solutions de rechange à la situation à l’ASFC ou dans d’autres ministères ou le fait qu’il n’avait pas accès aux postes qui lui ont été présentés par l’ASFC.

98        Il est évident que le fonctionnaire espérait retourner à l’Î.-P.-É., lorsque sa famille et lui ont déménagé à St. Stephen en juin 2008, ils sont restés les propriétaires de leur demeure à l’Î.-P.-É et ils ont simplement loué un appartement à St. Stephen. La femme du fonctionnaire n’a pas quitté son travail à l’Î.-P.-É. et aucune preuve n’a été produite non plus pour étayer le fait que cette dernière avait vérifié la possibilité de trouver un emploi au N.-B., ou constaté qu’il n’y en avait aucun. En fait, le fonctionnaire a présenté une demande de mutation alors qu’il était en formation à Rigaud.

99        L’ASFC m’a renvoyé à Bharti, aux paragraphes 47 à 52, où il a été établi que, lorsque le fonctionnaire dans cette affaire n’était pas à sa résidence, sa femme ou ses enfants allaient s’occuper de ses parents, établissant ainsi l’existence de solutions de rechange dont disposait le fonctionnaire dans cette affaire, et que, par conséquent, il n’avait pas réussi à démontrer qu’il satisfaisait au troisième critère établi dans Johnstone, selon lequel il y avait absence de solutions de rechange.

100        L’ASFC m’a renvoyé à Canadian Staff Union v. Canadian Union of Public Employees (Reynolds Grievance), [2006] N.S.L.A.A. No. 15, une affaire de la Nouvelle-Écosse fondée sur une décision de la Colombie-Britannique dans laquelle avait été élaborée une argumentation allant dans le même sens que les facteurs établis dans Johnstone. Au paragraphe 141 de cette décision, l’arbitre se prononce en ces termes :

[Traduction]

La « situation de famille » du fonctionnaire et son « état matrimonial » l’ont-ils effectivement empêché de déménager à Halifax? Puisque j’ai conclu que le comportement de l’employeur en l’espèce ne constituait pas, à première vue, une discrimination fondée sur l’état matrimonial ni sur la situation de famille, je n’ai logiquement pas besoin de répondre à cette question comme s’il s’agissait d’un sujet distinct. Néanmoins, si j’ai tort d’accepter le type de limite imposée au concept de la discrimination de prime abord par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Health Sciences Association of British Columbia v. Campbell Rive North Island Transition Society [2004] B.C.J. No. 922, à titre subsidiaire, je fonde ma décision en l’espèce sur les faits. Je conclus que les responsabilités familiales du fonctionnaire dans le grief dont je suis saisi n’étaient pas des responsabilités sur lesquelles pouvait être fondée une conclusion de discrimination, en vertu de la convention collective ou de toute autre législation canadienne applicable en matière de droits de la personne. Les choix que doivent faire M. Reynolds et sa famille sont déchirants, mais il s’agit de choix familiaux qui ne sont ni nouveaux ni rares, tout particulièrement dans le cas où les deux conjoints travaillent. Depuis toujours, personne, y compris les personnes dans le milieu de travail, n’échappe à la responsabilité et aux préoccupations liées aux parents âgés.

101        Au paragraphe 142 de Reynolds, l’arbitre a conclu que, bien qu’il soit stressant de vivre séparément, une multitude de couples vivent cette situation en raison d’obligations liées à l’emploi. Au paragraphe 143, l’arbitre a indiqué que, si la famille du fonctionnaire dans cette affaire n’était pas en mesure de se déplacer, il aurait pu déménager et faire la navette périodiquement, et en assumer les coûts. Au paragraphe 183 de Flatt, il est question du facteur lié aux coûts des options. Dans cette affaire, la Commission s’est ainsi exprimé :

J’examine maintenant la troisième condition décrite dans le critère établi dans FCA-Johnstone[…] Selon le témoignage de la fonctionnaire, elle avait trouvé une garderie ayant une place et qu’elle était située à proximité du bureau de Burlington. Le fait que, comme l’a indiqué la fonctionnaire, elle [traduction] « travaillerait simplement pour payer les frais de garderie » n’établit pas en soi qu’il ne s’agit pas d’une solution de rechange raisonnable. La vie – peu importe si la personne est seule ou si elle a une famille ou des personnes à charge – et les choix qui y sont liés entraîneront certains coûts que l’on travaille pour payer. En outre, ces choix découlent habituellement d’une analyse coût-avantage qui comprend, sans toutefois s’y limiter, leurs coûts économiques. Le fait qu’une personne pourrait avoir à travailler pour payer les coûts associés à un choix particulier ne suffit pas en soi pour rendre ce choix déraisonnable.

102        En ce qui a trait à la question des trajets, l’ASFC m’a renvoyé à Halfacree c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2012 CRTFP 130, où il est statué au paragraphe 188 que les longs trajets peuvent faire partie de la vie et que, pris seuls, ces longs trajets, même pour ceux qui ont une famille, ne justifient pas une obligation de prendre des mesures d’adaptation.

103        Enfin, en ce qui a trait au quatrième facteur : les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité à s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants, le fonctionnaire n’a pas souligné la moindre obligation liée à la garde des enfants qu’il n’avait pas été en mesure de satisfaire, par conséquent, il n’existe aucune règle susceptible d’entraver sa capacité à s’acquitter de ses obligations. Le fonctionnaire n’a produit aucun élément de preuve pour appuyer cette prétention.

104        L’ASFC demande que le grief soit rejeté.

105        À titre subsidiaire, l’ASFC soutient que, si la Commission conclut à l’existence d’une preuve de discrimination de prime abord, alors, selon les éléments de preuve présentés, l’ASFC a démontré qu’elle ne peut pas prendre de mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire sans s’imposer de contraintes excessives pour elle-même. À cet égard, l’ASFC m’a renvoyé à Canada (Procureur général) c. Cruden, 2013 CF 520 et à Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131.

106        Bien que le fonctionnaire ait prétendu à l’existence à l’Î.-P.-É. d’un poste auquel il avait droit, selon la preuve produite par l’ASFC, il n’y avait pas de poste à l’Î.-P.-É. Il est vrai que le nom du fonctionnaire figurait à une liste d’éventuelles mutations relative à l’Î.-P.-É., le point d’entrée de Charlottetown était petit et ses charges de travail étaient en diminution. Selon les éléments produits en preuve relatifs aux périodes pertinentes au cours desquelles le fonctionnaire tentait d’obtenir une mutation à l’Î.-P.-É., il n’y avait aucun poste vacant à l’Î.-P.-É. Et, lorsqu’un poste est devenu vacant, il n’a pas été pourvu en raison d’un manque de travail. À un moment donné, il n’y avait plus d’agent bilingue à Charlottetown et le poste a dû être pourvu, mais il s’agit là de l’unique exception; le fonctionnaire n’étant pas bilingue, il ne pouvait être nommé à ce poste désigné bilingue à Charlottetown. À Moncton, ville située à plus courte distance de l’Î.-P.-É. que ne l’est St. Stephen, tous les postes étaient de nomination bilingue impérative.

107        La preuve a également révélé que l’employeur avait tenté de trouver des occasions d’emploi pour le fonctionnaire, mais que, malheureusement, il n’avait pas les compétences exigées par ces postes. Aucun élément de preuve n’a été produit pour démontrer l’existence de postes à l’égard desquels le fonctionnaire aurait possédé les compétences, et pour lesquels l’employeur aurait omis de présenter sa candidature.

108        L’ASFC soutient qu’il n’y a aucun fondement sur lequel appuyer la demande d’une année de salaire.

C. La réponse du fonctionnaire s’estimant lésé

109        En ce qui a trait à la position de l’ASFC relative à la contrainte excessive, le fonctionnaire soutient que le fait de créer un poste saisonnier et de l’y nommer n’aurait pas entraîné de contrainte excessive.

110        En ce qui a trait au premier facteur soulevé dans Johnstone, il lui est impossible de satisfaire à ses obligations légales lorsqu’il exerce son droit de visite; d’un commun accord, le fonctionnaire et sa femme se sont entendus sur les responsabilités en matière de garde en les scindant à 60 % et 40 %. La responsabilité liée à la garde des enfants est celle du fonctionnaire, et non celle de la conjointe. À cet égard, sa femme n’est pas tenue de satisfaire à ses responsabilités à lui liées à la garde des enfants. Ils ont conclu un accord de garde scindée à 60 % et 40 % et maintenant il doit l’abandonner parce qu’il lui est impossible de la respecter.

IV. Motifs

111        Le fonctionnaire a prétendu qu’en ne le mutant pas à l’Î.-P.-É., l’ASFC avait contrevenu à la clause de l’élimination de la discrimination de la convention collective (article 19), puisque celle-ci porte sur la situation de famille. Il est simplement indiqué dans le grief que sa demande d’adaptation fondée sur la situation de famille a été rejetée et qu’à titre de réparation, il voulait que sa demande soit approuvée ainsi qu’une mesure corrective intégrale. Dans sa demande visant à ce que soient prises des mesures d’adaptation à son égard, il a précisément demandé à travailler à Charlottetown.

112        Le fonctionnaire et sa femme se sont mariés à l’été de 2004. Ils ont vécu et travaillé à Charlottetown ou dans les environs. Leurs familles élargies respectives ont également vécu à Charlottetown ou dans les environs et continuent de le faire. La femme du fonctionnaire occupait un poste d’enseignante dans une commission scolaire dans les environs de Charlottetown et, selon les connaissances actuelles de la présente Commission, cette situation n’a pas changé. Elle et le fonctionnaire étaient les propriétaires d’une maison familiale à Stratford, près de Charlottetown. Ils ont deux enfants, un premier, né en 2005, et une deuxième, née au printemps de 2008.

113        En mai 2008, le fonctionnaire a obtenu un poste d’ASF doté pour une période indéterminée au PDE de St. Stephen de 15 heures par semaine. Il a indiqué qu’il avait commencé à travailler en juin 2008 et qu’il avait passé neuf semaines à Rigaud à l’installation de formation de l’ASFC. Cependant, dans sa lettre d’offre, il était indiqué que, les deux premiers jours, les 5 et 6 juin 2008, seraient passés au PDE de St. Stephen. Lors de son témoignage, il n’a également rien dit en ce qui a trait au temps passé à Rigaud. Selon les renseignements produits, je peux uniquement déduire qu’il n’avait pas dans les faits suivi toute la formation et qu’il travaillait à St. Stephen au plus tôt jusqu’à la fin de juillet ou éventuellement jusqu’en août 2008.

114        Bien que le fonctionnaire ait indiqué que, lorsqu’il a commencé à travailler à l’ASFC, sa femme et ses enfants étaient venus le joindre à St. Stephen, les éléments de preuve qu’il a produits n’établissent pas clairement s’ils ont déménagé au début de juin ou après son retour de ses neuf semaines de formation à Rigaud. Il a également déclaré que sa femme et ses enfants n’avaient pas passé beaucoup de temps à St. Stephen durant l’été de 2008 et qu’ils (sa femme et ses enfants) étaient retournés vivre à l’Î.-P.-É. en septembre 2008. Le fonctionnaire n’a pas précisé combien de temps ils avaient passé à St. Stephen durant juin, juillet et août 2008 ni le moment exact de leur nouveau déménagement vers l’Î.-P.-É., si c’était au début ou à la fin de septembre. Il est indiqué à la clause 14 de l’AS que la maison familiale était louée. Ce bail prenait fin le 30 juin 2009. Le fonctionnaire a déclaré qu’elle était louée pour un an. M’appuyant sur ces renseignements, je présume que le bail relatif à cette maison a débuté en juillet 2008.

115        Selon l’AS, à la fin d’octobre 2008, le fonctionnaire et sa femme étaient séparés de façon permanente. Cependant, une fois de plus, la date exacte de la séparation n’a pas été précisée et, lors de son témoignage, le fonctionnaire s’est montré ambigu sur ce point. Comme cela est mentionné, il a laissé entendre que sa femme et ses enfants étaient partis de St. Stephen une fois pour toutes en septembre 2008, mais le moment exact de leur départ n’a jamais été indiqué précisément. Il n’a également pas indiqué s’il avait fait la navette entre l’Î.-P.-É. et sa demeure durant la période de septembre et d’octobre 2008, et il n’a pas non plus précisé s’il avait été avec sa famille à l’été 2008 alors qu’ils n’étaient plus à St. Stephen et que lui n’était plus à Rigaud ni ne travaillait.

116        La clause 5 a) de l’AS précise que le fonctionnaire et sa femme ont la garde conjointe des deux enfants alors que la femme en assure quotidiennement la garde et le contrôle. Son épouse et ses enfants ont résidé dans les environs de Charlottetown depuis leur retour en septembre 2008. Sa femme et lui ont consulté le même avocat lors des négociations menant à l’AS, lequel est régi par les lois en vigueur à l’Î.-P.-É. Le fonctionnaire a convenu lors de son témoignage que les droits et les responsabilités les concernant tous les deux à l’égard de leurs enfants sont entièrement régis par l’AS.

117        Le fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage que la relation entre sa femme et lui est amicale, qu’il jouit de droits de visite généreux relatifs à ses enfants et que, lorsqu’il était en CNP, ses enfants ont passé 40 p. 100 de leur temps avec lui. Il a confirmé dans son témoignage que sa femme et lui se consultent eu égard aux besoins des enfants en ce qui a trait à leurs parents.

118        À l’heure actuelle, le fonctionnaire travaille à St. Croix, où les quarts de travail favorisent davantage sa capacité à se rendre à l’Î.-P.-É. pour rendre visite à ses enfants.

119        L’ASFC a soutenu, sans que le conteste le fonctionnaire, qu’il incombe à la partie alléguant la discrimination de prime abord d’en établir la preuve, c’est-à-dire le fonctionnaire en l’espèce (voir Tranchemontagne).

120        L’affaire Johnstone est l’arrêt définitif dans ce domaine. Au paragraphe 93, il énonce l’analyse en quatre volets que doit effectuer une cour ou un tribunal pour conclure à l’existence d’une discrimination de prime abord fondée sur le motif interdit de la situation de famille en raison des obligations liées à la garde des enfants. Pour conclure à l’existence d’une discrimination de prime abord, le fonctionnaire devait démontrer ce qui suit :

  1. que le fonctionnaire assume effectivement l’entretien et la surveillance de son enfant ou de ses enfants;
  2. que l’obligation en cause relative à la garde des enfants fait jouer sa responsabilité légale envers cet enfant et qu’il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel;
  3. que le fonctionnaire a déployé les efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable;
  4. que les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants.

121        Chacun des quatre facteurs établis dans Johnstone sert de point de départ pour le prochain, ce qui signifie que, lors d’une allégation de discrimination fondée sur la situation de famille, le demandeur doit satisfaire à chacun des facteurs, en commençant par le premier. Et si, dans le cadre de cette analyse, le demandeur ne réussit pas à respecter tous les éléments requis pour satisfaire au facteur, il ne s’acquittera pas du fardeau qui lui incombe d’établir l’existence de la discrimination de prime abord.

122        Chacune des quatre parties de l’analyse est définie plus en détail aux paragraphes 94 à 97 de Johnstone. Pour les motifs présentés ci-dessous, je conclus que le fonctionnaire n’a pas établi l’existence de la discrimination de prime abord conformément à l’analyse établie dans Johnstone et, par conséquent, son grief est rejeté.

123        Selon le premier facteur de l’analyse, le demandeur doit démontrer qu’il assume effectivement l’entretien et la surveillance de son enfant ou de ses enfants. Pour ce faire, la personne qui allègue avoir fait l’objet de discrimination fondée sur la situation de famille doit démontrer que sa relation avec son enfant ou ses enfants en cause est telle que le fait de ne pas satisfaire à ses besoins ou à leurs besoins entraînera sa responsabilité légale. Dans le cas de parents, cette situation découlera normalement de leur statut de parents. Dans le cas d’un parent seul ayant la garde, c’est simple, puisque ce parent a la garde exclusive de l’enfant ou des enfants et que, par conséquent, il en a la responsabilité.

124        Néanmoins, bien que le fonctionnaire soit un parent et qu’il ait certaines responsabilités légales concernant ses enfants, celles-ci sont détaillées et circonscrites dans les modalités de l’AS, qu’il a par ailleurs négociées avec sa femme et acceptées et librement. Il est précisé à la clause 5 a) de l’AS que les soins et la garde des enfants sont confiés à sa femme, qui vit à l’Î.-P.-É. Les enfants vivent avec elle et vont à l’école à l’Î.-P.-É. Les responsabilités du fonctionnaire sont essentiellement financières et, bien qu’il ait des responsabilités lorsqu’il exerce son droit de rendre visite à ses enfants, c’est à sa femme qu’incombent les responsabilités quotidiennes à leur égard; par conséquent, il ne satisfait pas au premier facteur établi dans Johnstone.

125        Selon le deuxième facteur de l’analyse, le demandeur doit démontrer l’existence d’une obligation qui engage sa responsabilité légale envers son enfant ou ses enfants. Il faut alors que le demandeur démontre que l’enfant en question n’a pas atteint un âge où l’on peut s’attendre raisonnablement à ce qu’il prenne soin de lui-même alors que ses parents sont au travail. Ce facteur exige également que l’on démontre que les besoins en matière de garde d’enfants en cause découlent d’une obligation légale et non d’un choix personnel.

126        Le deuxième facteur est étroitement lié au premier. Le fonctionnaire n’a pas démontré que les besoins des enfants découlant de sa responsabilité légale à l’égard de ces derniers étaient en jeu. La preuve a révélé que ni son lieu de travail ni son horaire ne posaient problème en matière de questions liées à la garde d’enfants et aux garderies. Je n’ai pas reçu de détails précis relatifs à l’horaire de la conjointe; néanmoins, ceux-ci ne sont pas pertinents, puisqu’aucun élément de preuve n’a été produit pour étayer qu’elle n’arrivait pas à s’occuper des enfants et à satisfaire à leurs besoins quotidiens, y compris le service de garde au besoin.

127        Le fonctionnaire a soutenu que, lors de l’exercice visant à déterminer s’il avait satisfait au critère de la preuve de prime abord établie dans Johnstone, je devrais tenir compte de l’accord tel qu’il existait alors qu’il ne travaillait pas parce qu’il avait été en CNP pendant une année, durant laquelle sa femme et lui avaient la garde scindée selon la formule 40 % et 60 % et que je devrais extrapoler et interpréter la situation comme s’il avait travaillé. Bien qu’il puisse souhaiter qu’il en soit ainsi (une garde scindée à 40 % et 60 %), une telle situation ne correspond pas à la réalité; sa femme assure quotidiennement la garde et la surveillance des enfants comme il est établi dans l’AS, auquel il a par ailleurs consenti. Par conséquent, l’hypothèse sur laquelle il se fonde pour établir que les premier et deuxième facteurs du critère de Johnstone ont été satisfaits est erronée.

128        Le troisième facteur de l’analyse oblige le fonctionnaire à démontrer qu’il a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations relatives à la garde des enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable. Un fonctionnaire est appelé à démontrer que ni lui ni sa femme ne sont en mesure de s’acquitter de leurs obligations liées à la garde des enfants tout en conservant son emploi et qu’ils n’ont pas raisonnablement accès à des services de garde d’enfants ou à des mesures de substitution qui leur permettront de respecter leurs obligations professionnelles. En d’autres mots, le fonctionnaire doit essentiellement démontrer qu’il est aux prises avec un véritable problème en ce qui concerne la garde d’enfants. Chaque cas est essentiellement un cas d’espèce qui sera examiné individuellement, compte tenu de toutes les circonstances.

129        En fait, la preuve en l’espèce démontre le contraire. Dans la situation du fonctionnaire, il n’y a même pas lieu d’explorer des solutions de rechange puisque la responsabilité légale envers les enfants incombe à leur mère et elle s’en acquitte adéquatement. Aucune preuve du contraire n’a été présentée en l’espèce. Même si j’ai tort en ce qui a trait aux facteurs un et deux de Johnstone, le fonctionnaire n’aurait tout de même pas gain de cause dans le cas du facteur trois, parce qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour étayer qu’il a exploré des solutions de rechange raisonnables. Je soupçonne également que, si le fonctionnaire ne peut satisfaire au troisième facteur, c’est en partie dû au fait que, lorsque j’examine le quatrième facteur établi dans Johnstone, il n’aurait pas eu gain de cause à cet égard non plus.

130        Le quatrième et dernier facteur de l’analyse exige que les règles controversées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité à s’acquitter de ses obligations relatives à la garde des enfants. Le contexte qui sous-tend chaque cas où les besoins des enfants sont en conflit avec un horaire de travail doit être examiné afin d’établir si l’interférence est plus que négligeable ou insignifiante.

131        Le facteur quatre tient compte du règlement en vigueur dans le milieu de travail qui est à l’origine du problème au départ. S’il n’existe aucune règle en vigueur ou situation dans le milieu de travail posant problème, tous les autres facteurs perdent alors de leur pertinence. En l’espèce, il n’existe aucune règle en vigueur ou situation dans le milieu de travail posant problème. Il est difficile de prendre en considération tous les autres facteurs si aucun règlement ne crée de situations qui, comme l’a indiqué la Cour dans Johnstone, empêchent l’exécution des obligations liées à la garde des enfants qui engagent une responsabilité légale.

132        C’est le lieu de travail du fonctionnaire qui lui pose problème; bien qu’il s’agisse vraiment d’un problème en ce qui le concerne, il ne satisfait pas à la définition dans Johnstone, où il est question d’une règle ou d’une politique en vigueur dans le milieu de travail qui entrave l’exécution d’une obligation qui engage une responsabilité légale.

133        En résumé, le lieu de travail est problématique parce que le fonctionnaire veut vivre plus près de ses enfants et veut que son travail soit plus près d’eux. Bien que cette volonté soit admirable, elle ne satisfait pas au quatrième facteur de Johnstone.

134        Je conclus que le fonctionnaire n’a pas établi l’existence de la discrimination de prime abord et, par conséquent, il n’y a pas lieu de se pencher sur la question de savoir si l’employeur s’est acquitté de l’obligation qui lui incombait de prendre une mesure d’adaptation à son égard. Néanmoins, je souligne ce qui suit en ce qui a trait aux efforts déployés par les parties.

135        L’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, établit les principes désormais biens reconnus applicables aux cas complexes d’obligation de prendre des mesures d’adaptation. La Cour suprême du Canada a décidé ce qui suit :

[…]

Pour faciliter la recherche d’un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part. À la recherche d’un compromis raisonnable s’ajoute l’obligation de faciliter la recherche d’un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

[…]

[…]L’autre aspect de cette obligation est le devoir d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable. C’est cet aspect que le juge McIntyre a mentionné dans l’arrêt O’Malley. Le plaignant ne peut s’attendre à une solution parfaite. S’il y a rejet d’une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l’employeur s’est acquitté de son obligation.

[…]

136        Le représentant du fonctionnaire a fait valoir que l’ASFC aurait pu créer un poste saisonnier à l’Î.-P.-É. J’estime que cette observation est à la fois malhonnête et troublante.

137        Selon la preuve dont j’ai été saisi, le travail de l’ASFC à l’Î.-P.-É. est restreint et en déclin. Les postes vacants qui autrement auraient été pourvus et auxquels le fonctionnaire aurait eu accès sont demeurés vacants parce qu’il n’y a simplement pas assez de travail. J’ai l’impression que, s’il y avait initialement eu un poste à pourvoir à l’Î.-P.-É. au moment où le fonctionnaire a présenté sa candidature au poste qu’il a obtenu à l’ASFC, il aurait présenté sa candidature à ce poste. Aucun élément de preuve n’a été produit en ce sens, et tous ceux qui ont été produits ont révélé un déclin à l’Î.-P.-É. La création d’un poste saisonnier destiné au fonctionnaire aurait simplement réduit la charge de travail des ASF déjà en place à l’Î.-P.-É., ce qui aurait pu entraîner le dépôt de griefs si leurs heures avaient dû être réduites. Ces griefs auraient été soulevés par le même agent négociateur que celui qui a représenté le fonctionnaire.

138        La preuve dont je suis saisi a également démontré que les supérieurs du fonctionnaire ont pris un certain nombre de mesures visant à permettre sa mutation à l’Î.-P.-É. parce que sa femme y était retournée avec les enfants. Ils ont même tenté de lui trouver quelque chose plus près en vérifiant s’il n’y aurait pas eu des possibilités à Moncton. Tous les postes au PDE de Moncton étaient de nomination bilingue impérative; le fonctionnaire est unilingue anglais. Il ne satisfaisait pas aux exigences de ces postes.

139        J’ai également été saisi d’éléments de preuve selon lesquels le superviseur du fonctionnaire lui avait envoyé de l’information relative à d’autres postes au sein de l’ASFC et d’autres ministères. Je n’ai été saisi d’aucun élément de preuve venant de sa part et faisant état de démarches qu’il aurait entreprises dans le but de trouver un emploi à l’Î.-P.-É.

140        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

141        Le grief est rejeté.

Le 23 septembre 2016.

Traduction de la CRTEFP

John G. Jaworski,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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