Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée, une ancienne cadre supérieure de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, a fait l’objet d’une enquête, a été suspendue sans traitement et a finalement été licenciée parce qu’elle aurait supposément triché dans le cadre de deux processus de nomination en utilisant des documents non autorisés – le défendeur s’est fié aux conclusions des rapports d’enquête, selon lesquelles la fonctionnaire s’estimant lésée avait apporté et utilisé des documents non autorisés pendant la période de préparation à l’entrevue – elle a présenté deux griefs contre son ancien employeur – le premier concernait la suspension, mais il a été retiré – le deuxième portait sur son licenciement – dans son grief, elle a nié les allégations du défendeur et a affirmé qu’elle avait simplement mémorisé beaucoup d’informations qu’elle a rapidement écrites dans ses notes d’entrevue - pour déterminer si son licenciement était justifié, la Commission devait trancher entre les deux versions concurrentes des évènements et déterminer si la fonctionnaire s’estimant lésée avait triché dans le processus de nomination – en se fondant sur Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, la Commission a conclu que la version des évènements de la fonctionnaire s’estimant lésée était davantage crédible – compte tenu de l’ensemble de la preuve, orale, écrite et physique, la Commission a conclu que le défendeur n’avait pas présenté de preuves claires, convaincantes et logiques qu’une fraude avait été commise dans les deux processus de dotation – la Commission a aussi conclu que le licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas fondé et que le défendeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait un motif de la licencier en raison de son inconduite – la Commission a réintégré la fonctionnaire s’estimant lésée dans le poste qu’elle occupait à la date de son licenciement, laquelle coïncidait avec le début de la suspension sans traitement.Le grief portant sur le licenciement est accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170131
  • Dossier:  566-02-12092 et 12093
  • Référence:  2017 CRTEFP 14

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

MICHELINE NEHMÉ

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

défendeur

Répertorié
Nehmé c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Andrew Raven et Amanda Montague-Reinholdt, avocats
Pour le défendeur:
Sean Kelly, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 8 au 11 août et les 12, 13 et 15 décembre 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1        Micheline Nehmé, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a été licenciée de son poste de cadre supérieur à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (le « défendeur » ou « TPSGC »), à la suite d’une enquête durant laquelle elle a été suspendue avec traitements, puis sans traitement.

2        La fonctionnaire a renvoyé deux griefs à l’arbitrage. Le premier portait sur la suspension sans traitement; il a été retiré à l’audience. Le deuxième portait sur le licenciement.

3        Pour les motifs qui suivent, je conclus que le licenciement était sans fondement. La fonctionnaire doit être réintégrée dans son poste à compter de la date du licenciement, laquelle coïncide avec la date du début de la suspension sans traitement.

II. Résumé de la preuve

4        La fonctionnaire occupait le poste de directrice générale de la Politique sur l’intégrité et du Groupe de gestion juricomptable, à TPSGC. Le poste était classifié au niveau EX-02. Selon la fonctionnaire, ce poste a été reclassifié au niveau EX-03. Aucune preuve contredisant cette affirmation n’a été présentée.

5        En 2013 et en 2014, la fonctionnaire était candidate à deux processus de nomination. Après plusieurs enquêtes, le défendeur a conclu que la fonctionnaire avait triché dans les deux processus et, par conséquent, elle a été licenciée.

6        Le premier processus de nomination auquel la fonctionnaire a présenté sa candidature, en 2013, comprenait deux volets. Le premier volet visait le poste de directeur général, Bureau des petites et moyennes entreprises et de l’engagement stratégique, et le deuxième volet visait le poste de directeur général, Politique, risque, intégrité et gestion stratégique; les deux postes étaient classifiés au niveau EX-03, à TPSGC, au sein de la Direction générale des approvisionnements. Aux fins de cette décision, ce processus sera appelé « DGA ».

7        Le deuxième processus de nomination auquel elle a présenté sa candidature, en 2014, visait le poste de vice-présidente, Services professionnels, classifié une fois de plus au niveau EX-03, à TPSGC, cette fois-ci au Bureau de la traduction. Ce processus sera appelé « BT ».

8        Dans les deux processus, La fonctionnaire a franchi l’étape de la présélection puisqu’elle répondait aux qualifications initiales relatives aux études et à l’expérience. Chaque évaluation a été effectuée en partie au moyen d’une entrevue. Dans les deux processus, elle a échoué à l’étape de l’entrevue.

9        Au préalable, les candidats devaient préparer leurs réponses aux questions d’entrevues de manière individuelle dans une salle fermée. Pendant cette période, ils pouvaient prendre des notes qu’ils pouvaient ensuite consulter pendant l’entrevue. Les candidats n’étaient pas autorisés à avoir des documents dans la salle de préparation, y compris des documents écrits, des ordinateurs ou des téléphones cellulaires.

10        La fonctionnaire a été licenciée à la suite de quatre enquêtes sur des allégations d’inconduite dans le contexte des deux processus de nomination. George Da Pont, sous-ministre de TPSGC à l’époque, a signé la lettre de licenciement. Dans son témoignage, il a dit qu’il s’était fié aux rapports d’enquête pour conclure que la fonctionnaire avait triché en utilisant des documents non autorisés pour se préparer aux entrevues et que, par conséquent, il n’était plus possible de lui faire confiance dans le poste de haute direction qu’elle occupait au ministère.

11        Étant donné que les quatre rapports constituaient le fondement de la lettre de licenciement, je crois qu’il est important de les décrire. Un seul rapport a été examiné de façon approfondie à l’audience au moyen de l’interrogatoire et du contre-interrogatoire de son auteur.

A. Rapports

1. Rapport de Renaud Paquet

12        M. Paquet n’a pas été cité à titre de témoin à l’audience. Son rapport a été inclus dans le recueil de documents du défendeur. M. Da Pont a reconnu que le rapport avait joué un rôle dans sa décision de licencier la fonctionnaire. Ce rapport est important parce qu’il faisait partie de l’enquête sur l’inconduite alléguée de la fonctionnaire et qu’il constituait l’un des motifs de son licenciement.

13        M. Paquet s’est vu confier le mandat de mener une enquête de recherche de faits, dont la portée était [traduction] « […] de déterminer si Mme Nehmé avait agi de manière inappropriée en utilisant des documents non autorisés […] » au moment de participer à deux processus de dotation. Un troisième processus de dotation devait faire l’objet d’une enquête, mais M. Paquet a déterminé que la preuve était insuffisante à l’égard de ce processus pour en tirer une conclusion.

14        À la fin de son rapport, M. Paquet a ajouté une liste de [traduction] « faits plutôt surprenants » qui, selon lui, établissent que la fonctionnaire devait avoir utilisé des [traduction] « documents non autorisés » pour préparer ses notes. Aucune explication quant à la façon de procéder n’a été fournie et il n’a formulé aucune hypothèse. Il a effectivement interrogé la fonctionnaire dans le cadre de son enquête et reçu les commentaires de cette dernière sur son rapport par l’entremise de son avocat à l’époque, Ben Piper (annexe 7 du rapport). M. Paquet n’a interrogé aucun des collègues de travail de la fonctionnaire. À son avis, les explications de la fonctionnaire ne suffisaient pas pour écarter les conclusions qu’il avait déjà tirées, comme suit :

[Traduction]

En examinant la preuve documentaire qui m’a été présentée, j’ai relevé une série de faits plutôt surprenants liés aux notes préparatoires de Mme Nehmé pour le processus de dotation du Bureau de la traduction :

  • Les notes préparatoires de Mme Nehmé n’étaient pas structurées selon les questions d’entrevues, mais selon les critères de mérite.
  • Aucun autre candidat n’a structuré ses notes comme l’a fait Mme Nehmé; Mme Nehmé a produit l’équivalent de neuf pages complètes de notes extrêmement complètes et détaillées, sans mots rayés, à interligne simple et bien rédigées, en 45 minutes.
  • Les notes de Mme Nehmé comprenaient une section complète sur son style de gestion, même si aucune question d’entrevue ne portait sur celui-ci.
  • Une partie importante des notes de Mme Nehmé est très semblable aux pages Web du SCT sur les compétences clés en leadership et aux pages Web de TPSGC sur les compétences en service à la clientèle.
  • Mme Nehmé a utilisé un type de papier différent que celui qui lui a été fourni pour rédiger ses notes.

Mme Nehmé a offert quelques explications pour justifier ces anomalies apparentes. Elle a déclaré qu’elle avait étudié les critères de mérite, qu’elle avait mémorisé ces résumés, y compris les renseignements figurant sur lesdites pages Web dont elle croyait avoir besoin pour parler de son style de gestion et qu’elle avait écrit ce qu’elle avait mémorisé.

Je ne crois pas l’explication de Mme Nehmé, en raison de la présence simultanée de « faits surprenants » énumérés ci-dessus. Selon la prépondérance des probabilités, je crois plutôt que Mme Nehmé a agi de manière inappropriée en utilisant des documents non autorisés lors de sa participation au processus de dotation du Bureau de la traduction.

En ce qui concerne le processus de dotation de la Direction générale des approvisionnements, je trouve surprenant que Mme Nehmé ait produit dix pages de notes complètes en 35 minutes. Une partie des notes ne porte pas directement sur les questions. Les notes comprenaient une demi-page reproduisant une citation presque « textuelle » des quatre principes directeurs d’Objectif 2020 présentés dans une page Web. Aucune question d’entrevue ne portait sur ce sujet. En outre, Mme Nehmé n’a pas utilisé le même papier que les autres candidats.

Mme Nehmé a expliqué qu’elle rédigeait toujours beaucoup de notes. Elle a indiqué qu’elle avait mémorisé les principes directeurs d’Objectif 2020, puisqu’elle était convaincue qu’elle aurait besoin de ces renseignements pour répondre aux questions. Elle a aussi déclaré qu’elle avait écrit ce qu’elle avait mémorisé afin de l’aider à répondre à la dernière question d’entrevue.

J’ai de la difficulté à croire que Mme Nehmé aurait pu rédiger neuf pages complètes de notes bien structurées, bien organisées et grammaticalement correctes en 45 minutes (Bureau de la traduction) et dix pages complètes de notes du même type en 35 minutes (Direction générale des approvisionnements). Ces notes sont reproduites aux annexes 1 et 4 du présent rapport. En outre, pour les deux processus de dotation, Mme Nehmé a écrit ses notes sur du papier qu’elle avait apporté ou, selon ses dires, qu’elle avait pris dans une imprimante à proximité de l’endroit où elle se trouvait.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

15        M. Paquet a conclu que, pour le processus du BT, la fonctionnaire avait [traduction] « agi de manière inappropriée en utilisant des documents non autorisés ». En ce qui concerne le processus de la DGA, aucune conclusion de la sorte n’est tirée, outre le fait que, selon M. Paquet, il est difficile de croire qu’elle ait pu rédiger les notes.

16        Le 24 mars 2015, M. Piper a répondu au rapport préliminaire au nom de la fonctionnaire. Il a formulé plusieurs objections à ses conclusions, qu’il a exprimées de nouveau en août 2015, avant le licenciement de la fonctionnaire, en réponse aux quatre enquêtes. J’ai résumé les objections dans les prochains paragraphes.

17        Pour le processus de la DGA, M. Paquet a indiqué que les notes de la fonctionnaire suivaient essentiellement les questions d’entrevue. Il fallait alors conclure que les notes avaient été rédigées pendant le temps de préparation, après que la fonctionnaire ait reçu les questions. Si des [traduction] « documents non autorisés » ont été utilisés, cela signifie que la fonctionnaire aurait eu à apporter des notes déjà préparées sans qu’elles soient détectées. Elle aurait eu à parcourir ces notes préparées, à les organiser selon les questions d’entrevue, et à copier les parties pertinentes aux fins de l’entrevue. Étant donné que sa rapidité de rédaction et la nature organisée de ces notes étaient remises en question, la théorie des [traduction] « documents non autorisés » ne fait qu’ajouter à la complexité plutôt que d’expliquer pourquoi les notes sont si exhaustives. Si les dix pages de notes ont été préparées au préalable, il n’y a donc aucun moyen d’expliquer comment elles peuvent suivre l’ordre des questions d’entrevue.

18        Pour le processus du BT, le rapport fait valoir que les notes préparatoires semblent suivre les Énoncés des critères de mérite (ECM), plutôt que les questions. Elles reprennent aussi étrangement les sites Web du gouvernement.

19        Le rapport ne mentionne pas l’explication de la fonctionnaire voulant qu’elle ait mémorisé les renseignements en fonction des ECM et qu’elle ait rédigé ses réponses conformément aux critères énumérés dans les questions. Le fait que les autres candidats n’ont pas procédé de cette façon ne peut être retenu contre elle. Le rapport ne mentionne pas non plus la technique qu’elle a utilisée, notamment, le [traduction] « vide mémoire », qui consiste à consigner tout ce qui a été mémorisé sur un sujet donné avant même de commencer à examiner une question. Le détail des notes et leur similitude étroite avec les documents d’origine peuvent être expliqués par un phénomène de mémoire, un peu comme un pianiste de concert qui peut jouer plusieurs heures de musique complexe sans regarder les partitions musicales.

20        L’usage par la fonctionnaire d’un type de papier différent de celui fourni peut être expliqué. Dans le premier cas, la fonctionnaire avait avec elle un bloc de papier ligné non utilisé qu’elle a préféré au papier fourni, car elle ne savait pas s’il y en aurait suffisamment. Dans le deuxième cas, des blocs de papier bleu étaient fournis; elle a trouvé du papier blanc, car elle n’aime pas écrire sur du papier bleu.

2. Rapport d’Alexandre Picard

21        Le défendeur a cité M. Picard à présenter un témoignage à l’audience à propos de son rapport. M. Picard travaillait dans l’Unité de surveillance de la dotation (USD) de TPSGC et avait la tâche d’enquêter sur ce qui s’était produit dans les deux processus de dotation, plus particulièrement [traduction] « afin de mener une analyse des notes d’entrevue de l’employé […] » (Rapport de l’USD, 30 juin 2015, page 2). Son enquête a été menée environ en même temps que l’enquête de M. Paquet et, en réalité, M. Paquet a fait référence aux échanges qu’il a eus avec M. Picard sur la question.

22        Le rapport analyse le contenu des notes et se penche sur la vitesse à laquelle elles ont été rédigées. M. Picard a expliqué que, pour analyser le contenu, sa méthode consistait essentiellement à comparer les notes aux documents Web existants.

23        Pour le processus de la DGA, le rapport tire les conclusions suivantes. Les notes de la fonctionnaire sont organisées au moyen d’en-têtes correspondant aux numéros des questions, « Q1 », « Q2 », « Q3 », etc. Il y a également des pages supplémentaires qui, même si elles ne sont pas liées à une question en soi, reproduisent les principes d’Objectif 2020 et de la Stratégie de service à la clientèle de TPSGC. Il y a également [traduction] « une transcription quasi textuelle » de l’architecture d’alignement des programmes de TPSGC. Le rapport ajoute [traduction] : « Aucun de ces documents ne peut être lié à des éléments de réponse aux questions en cause et ils ne font pas non plus partie, après vérification, des réponses attendues. »

24        Même si les documents ne faisaient pas partie des réponses attendues, selon les notes d’entrevue de l’un des membres du comité d’évaluation, il semble que la fonctionnaire ait intégré ces éléments afin de répondre à une question sur le rôle de TPSGC au sein du gouvernement fédéral. Comme il a été soulevé lors du contre-interrogatoire de M. Picard, le candidat retenu a également inclus la Stratégie de service à la clientèle et Objectif 2020 dans ses notes préparatoires.

25        Dans son témoignage et dans son rapport, M. Picard a affirmé à un certain nombre de reprises que la fonctionnaire n’avait pas répondu aux questions dans ses notes préparatoires, mais qu’elle semblait plutôt avoir fondé ses notes sur les ECM qui figuraient sur l’affiche de l’annonce. À la question de savoir en quoi c’était problématique, il a répondu qu’il ne s’agissait pas de la façon appropriée ou habituelle de se préparer pour une entrevue.

26        Une importante partie du rapport vise à démontrer à quel point les notes semblent reproduire ce qui figure dans différents sites Web du gouvernement. La similitude est effectivement frappante. À partir de cette similitude, le rapport tire des conclusions quant au pourcentage de mots utilisés dans les notes (par exemple, 50 %) qui reproduisent exactement ce que l’on trouve dans le site Web. Une affirmation a été ajoutée précisant que l’ordre des mots est en tous points identique à celui que l’on trouve dans le site Web.

27        Ces conclusions sont plutôt étonnantes. En contre-interrogatoire, M. Picard a reconnu que l’ordre des mots n’était pas toujours identique. Il a également expliqué que, pour établir ses pourcentages, il a pris les segments des sites Web qui avaient été reproduits dans les notes, mais pas ceux qui n’avaient pas été reproduits.

28        À titre d’exemple, le rapport stipule ce qui suit à la page 13 [traduction] : « L’employée a parfaitement reproduit 95 mots sur 191 (50 %) du Plan d’entreprise intégré 2014-2015 du Programme des approvisionnements. »

29        Le [traduction] « Plan d’entreprise intégré 2014-2015 du Programme des approvisionnements » est un document de 37 pages. Le [traduction] « Résumé » comprend deux pages. Les notes préparatoires de la fonctionnaire reproduisent les trois premiers paragraphes (moitié de la page) du [traduction] « Résumé » en style télégraphique. Ses notes ont été organisées en rubriques qui ne figurent pas dans le « Résumé ». Les rubriques sont intitulées : [traduction]« Priorités de la DGA », « Mandat de la DGA », « Vision de la DGA » et « priorités ». Sous ces rubriques, elle a effectivement reproduit le contenu, mais avec de nombreuses abréviations. Elle a également ajouté des éléments et restructuré les renseignements. En d’autres termes, les notes semblent être un rassemblement de renseignements par opposition à une reproduction intégrale.

30        Le rapport contient également des commentaires sur la rapidité de rédaction, affirmant qu’il serait difficile (impossible est sous-entendu) de rédiger 12 pages de notes (1 980 mots) en 35 minutes (processus de DGA). Il est également question d’un test d’écriture rapide effectué par une employée anonyme pour voir combien des notes elle pourrait reproduire en 35 minutes; le résultat était de 4,5 pages.

31        L’avocat de la fonctionnaire a demandé que cette preuve soit ignorée. L’avocat du défendeur était d’accord. M. Picard n’a pas été interrogé à ce sujet. J’ai déclaré à l’audience que je ne tiendrais pas compte de cette preuve, car je conclus que cette expérience est dénuée de tout fondement scientifique – un trop grand nombre de variables n’ont pas été contrôlées et, par conséquent, le résultat est entièrement vide de sens. Cependant, je tiens à mentionner le fait que ces renseignements faisaient partie du rapport et qu’ils ont été présentés en tant que preuve tangible confirmant l’allégation qu’il est impossible que la fonctionnaire n’ait pas triché. À mon avis, un rapport d’enquête devrait présenter les faits tels qu’ils sont trouvés. Ce type d’expérimentation est non seulement déplacé, il est dangereusement trompeur.

32        Les notes préparées pour le processus du BT ont également été examinées. Dans la présente affaire, le rapport stipule que les notes préparées reflètent directement les ECM telles qu’elles sont présentées aux candidats avant l’entrevue. Au lieu d’être présentées en rubriques, comme dans l’autre processus, par « Q1 », « Q2 », « Q3 », etc., les notes sont présentées avec les en-têtes [traduction] « C1 », « C2 », « C3 », « C4 » (soit les critères de connaissances), [traduction] « CL » (pour compétences en leadership) et [traduction] « Compétence en service à la clientèle (niveau 3) », faisant allusion aux critères à évaluer. Les notes comprenaient également une page et demie intitulée [traduction] « Style de gestion » qui était rédigée dans un style personnel et qui présentait des renseignements sur l’expérience de gestion de la fonctionnaire. Finalement, deux pages décrivent le programme de transformation du BT. Une fois de plus, le rapport relève de manière détaillée la similitude entre les notes préparées et les différentes pages Web du gouvernement. Une fois de plus, en contre-interrogatoire, M. Picard a reconnu que les mots tirés des notes n’étaient pas exactement dans le même ordre que dans les sites Web originaux (comme il est affirmé dans le rapport). Il a expliqué une fois de plus que la proportion avait été établie en examinant uniquement les mots correspondants, et non les pages Web dans leur intégralité.

33        La vitesse de rédaction a encore fait l’objet de commentaires. La rapidité est très élevée et n’est pas comparable à celle d’autres candidats. La fonctionnaire a rédigé environ 1 980 mots en 45 minutes (curieusement, le même nombre de mots rédigés précédemment en 35 minutes). Les autres candidats n’ont pas rédigé autant de notes, loin de là (de 2,5 à 6 pages et aucun compte de mots n’a été présenté; la fonctionnaire a rédigé neuf pages complètes de notes).

34        Aucune conclusion spécifique ne figure dans le rapport. Chaque analyse de processus se termine par des observations finales, comme suit :

[Traduction]

Observations finales sur le processus 2013-SVC-IA-HQ-96878 (Direction générale des approvisionnements)

L’USD a formulé les observations suivantes :

  • Les notes préparatoires ont été conçues et ont été liées aux critères des ECM et non avec les questions de l’entrevue.
  • De nombreux éléments présents dans les notes préparatoires de l’employé sont identiques, en ce qui a trait à la nature et à la structure, aux sources existantes.
  • Le nombre de pages produites par l’employée dépasse considérablement le nombre de pages produites par les autres candidats, en quantité et en contenu.
  • Le nombre de mots rédigés par un employé dans le temps alloué correspond à plus du double de l’extrant moyen, en dépit du fait que ce calcul exclut toute période de temps allouée pour lire les questions, établir une stratégie et formuler une réponse.
  • Le test mené par l’USD a donné un extrant qui représente la moitié de l’extrant de l’employée, en dépit du fait que cela exclut toute période de temps allouée pour lire les questions, établir une stratégie et formuler une réponse.

35        Les notes préparatoires étaient organisées selon la séquence de questions d’entrevue suivantes, les en-têtes numérotés de « Q1 » à « Q6 ». Comme on le décrira plus tard, les questions commençaient par les critères évalués figurant dans les ECM annexés à l’annonce du poste.

[Traduction]

Observations finales sur le processus 2014-SVC-IA-21138 (Bureau de la traduction)

L’USD a formulé les observations suivantes :

  • Les notes préparatoires ont été conçues et ont été liées aux critères des ECM et non avec les questions de l’entrevue.
  • De nombreux éléments présents dans les notes préparatoires de l’employé sont identiques, en ce qui a trait à la nature et à la structure, aux sources existantes.
  • Les compétences clés en leadership du SCT et la Compétence en service à la clientèle – niveau 3 de TPSGC ont été reproduites presque intégralement et avec une ressemblance extraordinaire à leur source originale.
  • Le nombre de pages produites par l’employée dépasse considérablement le nombre de pages produites par les autres candidats, en quantité et en contenu.
  • Le nombre de mots rédigés par un employé dans le temps alloué correspond à plus du double de l’extrant moyen, en dépit du fait que ce calcul exclut tout toute période de temps allouée pour lire les questions, établir une stratégie et formuler une réponse.
  • Le test mené par l’USD a donné un extrant représentant la moitié de l’extrant de l’employée, en dépit du fait que cela exclut toute période de temps allouée pour lire les questions, établir une stratégie et formuler une réponse.

36        Dans ce processus, les notes avaient pour en-tête [traduction] « C1 », « C2 », « C3 », « C4 » et [traduction] « CL », soit les critères énumérés dans les ECM. Chaque question à préparer commençait par les critères à évaluer. Par exemple, sous la question 1, le texte qui suit apparaissait :

[Traduction]

Critères évalués :

C1 :    Connaissance du cadre législatif, stratégique et opérationnel du Bureau de la traduction

C2 :    Connaissance des pratiques opérationnelles dans un environnement de recouvrement des coûts, d’organisme de service spécial (OSS) ou de fonds renouvelables

CCL2 : Raisonnement stratégique – Analyse

37        La question figurait à la suite du paragraphe mentionné ci-dessus, comme suit :

[Traduction]

Comme vous le savez, le Bureau de la traduction joue un rôle de premier plan afin de permettre au gouvernement du Canada de répondre à ses obligations en matière de langues officielles et est un élément clé de l’infrastructure de prestation de services du gouvernement fédéral. Fondé en 1934, le Bureau de la traduction est devenu le centre d’expertise du gouvernement fédéral en services linguistiques, notamment la traduction, l’interprétation et la terminologie. En 1995, il a été établi par le Conseil du Trésor comme un « organisme de service spécial » (OSS) et a reçu le pouvoir d’exploiter des fonds renouvelables.

Pourriez-vous nous présenter un aperçu des principaux instruments de politiques et de pratiques opérationnelles régissant un OSS tel que le Bureau de la traduction, ainsi que ce que vous considérez comme les principaux défis, avantages et désavantages d’offrir des services dans le cadre d’un modèle de fonds renouvelables dans l’environnement d’aujourd’hui?

38        Sous la question 3, le texte suivant apparaissait :

[Traduction]

Critères évalués :

CCL1 :         Valeurs et éthique – intégrité et respect

CCL4 :         Excellence en gestion – La gestion par l’action et la gestion de l’effectif

39        La question 3 était rédigée comme suit :

Vous avez récemment été nommé v.-p. des Services professionnels et vous vous rendez compte que deux de vos six unités de traduction ne produisent pas les résultats attendus : ils ont des résultats de production inférieurs à la moyenne, ils ont externalisé un nombre important de demandes de traduction, leurs coûts d’exploitation sont supérieurs à la moyenne et ils ont un nombre important de griefs. En lisant les rapports d’évaluation du rendement pour les gestionnaires de l’unité, vous avez remarqué que tous les gestionnaires ont reçu la cote de « a été atteint ou dépassé » pour les deux dernières années. Au moment d’en discuter avec votre adjoint, il vous répond que ce n’est pas la pratique du Bureau d’octroyer la cote « n’a pas atteint » et que la situation dans les deux unités est normale, étant donné que nous n’exerçons aucun contrôle sur la demande et que celle-ci fluctue.

Pourriez-vous nous dire comment vous aborderiez cette situation? Quelles mesures mettriez-vous en place pour corriger la situation et vous assurer que les unités sont efficaces? Comment composeriez-vous avec les employés et votre adjoint?

40        Les critères mentionnés dans cet exemple figuraient dans les ECM accompagnant l’annonce du poste. Sous [traduction] « Qualifications essentielles », on trouve plusieurs en-têtes : [traduction] « Études », « Expérience », « Connaissances », « Compétences clés en leadership » et « Autres compétences ». Les critères sous les trois derniers en-têtes sont rédigés comme suit :

[Traduction]

CONNAISSANCES

Connaissance du cadre législatif, stratégique et opérationnel du Bureau de la traduction

Connaissance des pratiques opérationnelles dans un environnement de recouvrement des coûts, d’organisme de service spécial (OSS) ou de fonds renouvelables.

Connaissance des initiatives d’amélioration des processus opérationnels, comme la gestion allégée, la transformation des processus de bout en bout, la productivité de l’entreprise ou les opérations intégrées. [Critère figurant à la question 2 de l’entrevue.]

Connaissance des tendances émergentes dans les médias sociaux et collaboratifs, y compris la technologie linguistique et leurs répercussions éventuelles sur les opérations et les activités opérationnelles. [Critère figurant à la question 4 de l’entrevue.]

COMPÉTENCES CLÉS EN LEADERSHIP

Valeurs et éthique (intégrité et respect)

Mobilisation (personnes, organisations, partenaires [Critère figurant à la question 2 de l’entrevue.]

Excellence en gestion (La gestion par l’action, la gestion de l’effectif et la gestion des finances)

Remarque : Pour obtenir des renseignements sur les compétences clés en leadership, veuillez visiter le site Web suivant : [lien vers le site Web du Secrétariat du Conseil du Trésor]

AUTRES COMPÉTENCES

Compétence en service à la clientèle – niveau 3 [Critère figurant à la question 5 de l’entrevue.]

Remarque : Vous trouverez des renseignements concernant la Compétence en service à la clientèle de TPSGC à [lien vers le site Web de TPSGC]

41        En contre-interrogatoire, M. Picard a dû reconnaître que certaines de ses conclusions n’étaient pas entièrement appuyées par les faits. Par exemple, à la page 4 de son rapport, il indique que [traduction] « […] pour la question 1, aucun des éléments de réponse énumérés dans les notes préparatoires de base n’ont été retracés dans la réponse verbale réelle aux intervieweurs ». Ce n’est pas le cas. Une comparaison des notes préparatoires et des notes prises par l’un des intervieweurs établit de nombreux points communs. Pour la question 2, M. Picard a écrit ce qui suit : [traduction] « Un examen des notes préparatoires pour la question 2 (deux pages) a également soulevé des questions quant au fait que de nombreux éléments de la réponse n’étaient pas liés aux réponses attendues ». Deux commentaires doivent être formulés à cet égard. En premier lieu, le fait qu’un candidat comprenne mal une question et qu’il n’y réponde pas correctement ne constitue pas une preuve de tricherie. Deuxièmement, le type de réponse que la fonctionnaire a présenté dans ses notes et dans l’entrevue correspondait effectivement à la deuxième partie de la réponse clé pour cette question [traduction] « D’autres réponses pertinentes comprennent […] ».

42        Dans son rapport, M. Picard tire la conclusion qu’il existe une similitude considérable entre plusieurs sites Web et les notes de la fonctionnaire. Le rapport indique que les notes étaient inhabituellement claires et abondantes, et qu’elles répondaient davantage aux ECM qu’aux questions. En réponse à une question en contre-interrogatoire, qui visait à savoir si, selon la théorie de M. Picard, les notes avaient été rédigées avant la période de préparation, il a répondu : [traduction] « Ce n’est pas ce que je dis, pas directement. » Il a ajouté que son rapport consistait principalement en des observations.

3. Les rapports de la Commission de la fonction publique

43        La Commission de la fonction publique (CFP) a produit deux rapports, un pour chaque processus. Les deux rapports ont été rédigés par Alain Cousineau, qui n’a pas présenté de témoignage à l’audience. Selon les deux rapports, la fonctionnaire a commis une fraude au sens de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13), en utilisant sciemment des documents non autorisés pendant son temps de préparation et l’entrevue.

44        Le fondement de cette conclusion est le même dans les deux rapports. Selon la prépondérance des probabilités, il était peu probable que la fonctionnaire ait pu produire les notes qu’elle a préparées. Les notes étaient trop détaillées et ressemblaient davantage aux documents du site Web qu’à ses propres notes d’étude dactylographiées, qu’elle a affirmé avoir mémorisées et reproduites. Elle n’a pas utilisé le même papier que les autres candidats. Le rapport stipule clairement que la fonctionnaire a forcément apporté des notes de l’extérieur. La façon dont elle pourrait y être parvenu ne fait pas partie de l’analyse, tel qu’il est énoncé dans l’extrait qui suit, lequel figure dans les deux rapports (au paragraphe 59 du rapport sur le processus de la DGA, et au paragraphe 71 du rapport sur le processus du BT) :

[Traduction]

Pour démontrer la malhonnêteté dans le cadre du processus de nomination, il n’est pas nécessaire d’établir de quelle façon Mme Nehmé a pu apporter les documents non autorisés dans la salle de préparation. Le fait d’utiliser sciemment des documents interdits pendant un processus de nomination, lorsque c’est expressément interdit par les directives, suffit pour conclure qu’un candidat dans un processus de nomination a agi de façon malhonnête.

45        La conclusion est résumée dans le paragraphe suivant pour le processus de la DGA :

[Traduction]

77. La preuve recueillie tout au long de cette enquête démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est plus que probable que Mme Nehmé ait rédigé au moins quelques-unes de ces notes avant la préparation de l’entrevue et qu’elle ait utilisé ces notes, ce qui allait à l’encontre des directives.

46        Pour le processus du BT, la conclusion est la suivante :

[Traduction]

87. Au moment d’examiner les faits susmentionnés dans leur ensemble [le fait que la fonctionnaire ne se souvenait pas exactement où elle avait pris les feuilles de papier blanches] notamment la quantité, les détails et la précision des notes manuscrites de Mme Nehmé, et le fait qu’aucun autre candidat dans ce processus de nomination n’avait utilisé du papier autre que celui fourni, il est plus que probable que Mme Nehmé ait utilisé des documents de référence non autorisés pendant la période allouée pour se préparer à l’entrevue. La preuve recueillie tout au long de cette enquête démontre par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Nehmé a rédigé ses notes avant la préparation de l’entrevue et qu’elle les a utilisées, violant ainsi les directives.

47        Dans ces rapports, comme dans les rapports précédents, c’est l’exhaustivité improbable des notes préparatoires de la fonctionnaire ainsi que l’utilisation d’un papier différent de celui fourni aux candidats qui mènent à la conclusion qu’elle doit avoir apporté des notes rédigées à l’avance pour l’entrevue.

B. Preuve du défendeur sur les processus de dotation

48        Le défendeur a appelé à titre de témoins les deux adjointes administratives qui étaient responsables de la préparation de l’entrevue pour les processus de la DGA et du BT. Leurs fonctions consistaient à accueillir les candidats, à les conduire dans la salle de préparation, à fournir les questions d’entrevue, à passer en revue les directives avec les candidats et, une fois le délai de préparation écoulé, à conduire les candidats avec leurs notes dans la salle d’entrevue.

49        Karine Thibodeau était une adjointe administrative aux Ressources humaines, à TPSGC, au moment du processus de la DGA. Le jour de l’entrevue de la fonctionnaire, elle l’a accueillie et l’a conduite dans la salle de préparation. Elle a pris le BlackBerry de la fonctionnaire et lui a remis une enveloppe contenant les questions et les directives. Sur la table, il y avait des feuilles de papier que Mme Thibodeau avait préparées sous forme de document Word. Les feuilles étaient lignées et portaient l’en-tête [traduction] « Notes ». Dans son témoignage, elle a souligné qu’elle ne se souvenait pas si la fonctionnaire lui avait montré un bloc de papier sur lequel elle avait l’intention d’écrire pour préparer les questions d’entrevue. Elle a ajouté que, si on lui avait montré le bloc, elle l’aurait vérifié et y aurait apposé ses initiales. Ses initiales ne figurent pas sur les notes préparatoires.

50        Après la période de préparation, Mme Thibodeau est allée chercher la fonctionnaire pour la conduire à la salle d’entrevue. Selon la procédure établie, elle devait prendre les questions et les notes préparatoires et les placer dans l’enveloppe afin de les apporter dans la salle d’entrevue, où on les remettrait à la candidate. En contre-interrogatoire, Mme Thibodeau a admis qu’elle n’avait aucun souvenir précis de cette journée, ce qui est également indiqué dans le rapport de M. Paquet. Mme Thibodeau a également reconnu qu’au moment de prendre les notes pour les placer dans l’enveloppe, elle n’avait pas remarqué si la fonctionnaire avait utilisé son propre bloc de papier ou le papier fourni.

51        Mélanie Joanisse était l’adjointe administrative de la présidente-directrice générale du Bureau de la traduction au moment du processus du BT. Elle a accueilli la fonctionnaire et l’a escortée jusqu’à la salle de préparation. Elle ne savait pas avec certitude si elle avait pris les effets personnels de la fonctionnaire (manteau, deux téléphones cellulaires et une serviette) à ce moment-là ou lorsqu’elle y est retournée quelques minutes plus tard avec l’enveloppe contenant les questions d’entrevue. Entre-temps, la fonctionnaire s’était procuré du papier blanc non ligné qu’elle a montré à Mme Joanisse. Cette dernière n’avait pas préparé les enveloppes et elle ne savait pas si l’enveloppe contenait du papier pour préparer les questions. Dans la salle de préparation, il y avait un bloc de papier ligné bleu.

52        Dans son témoignage, Mme Joanisse a dit qu’elle avait vu le papier blanc, mais qu’elle ne l’avait pas examiné de près. La fonctionnaire a dit à Mme Joanisse qu’elle n’aimait pas écrire sur du papier de couleur et qu’elle ne voulait donc pas utiliser le bloc de papier bleu fourni. Mme Joanisse a quitté la salle après s’être assurée que la fonctionnaire avait lu les directives. Elle a indiqué à la fonctionnaire qu’elle reviendrait pour l’informer qu’il ne restait que cinq minutes avant la fin de la période de préparation, ce qu’elle a fait; à ce moment, la fonctionnaire écrivait toujours. Cinq minutes plus tard, elle a dû dire à la fonctionnaire de cesser d’écrire. Mme Joanisse n’arrivait pas à se souvenir si elle ou la fonctionnaire avait rassemblé les notes et les questions pour les remettre dans l’enveloppe aux fins de l’entrevue.

53        Le défendeur a appelé à titre de témoin Karine Baron, une gestionnaire de la dotation des cadres à TPSGC au moment du processus du BT, qu’elle supervisait. Elle faisait également partie du comité d’évaluation. Les enveloppes comprenant les questions d’entrevue et les directives ont été préparées sous sa direction par son adjointe, Mme Joanisse, ou par un autre adjoint. Elle leur a donné comme directive d’inclure le papier à note ligné intitulé [traduction] « Notes » dans l’enveloppe. L’un des candidats n’avait aucun papier à notes dans son enveloppe et a choisi d’écrire sur le bloc de papier bleu qui était fourni dans la salle.

54        Dans son témoignage, Mme Baron a dit qu’elle avait pris les notes dans l’enveloppe pour les remettre à la fonctionnaire pour l’entrevue. Elle ne se souvenait pas d’avoir remarqué quoi que ce soit de particulier à propos des notes. Une fois l’entrevue terminée, elle a récupéré les questions et les notes auprès des candidats. Le papier ligné non utilisé qui était dans l’enveloppe était utilisé pour un autre processus. Mme Baron ne se rappelait pas si un bloc-notes inutilisé se trouvait dans l’enveloppe de la fonctionnaire.

55        À l’entrevue pour le processus du BT, deux membres du jury d’évaluation ont remarqué que la fonctionnaire semblait avoir beaucoup de notes, qu’elle lisait souvent. Après avoir examiné les notes plus étroitement après l’entrevue, les membres du jury d’évaluation ont déterminé que les notes étaient abondantes et bien structurées et qu’elles avaient été rédigées sur du papier différent de celui fourni aux candidats (soit le papier ligné, soit le papier bleu). La haute direction a ensuite décidé d’enquêter.

56        Ninon Huard a également témoigné pour le défendeur. Mme Huard est une spécialiste en ressources humaines et elle a travaillé avec la fonctionnaire dans le cadre d’autres processus de nomination pour lequel cette dernière était la gestionnaire responsable de l’embauche. Dans son témoignage, Mme Huard a dit qu’à un certain moment entre mars et juin 2014, la fonctionnaire lui a demandé ce que l’on faisait des notes des personnes passées en entrevue une fois l’entrevue achevée. Mme Huard lui a alors répondu que ces notes étaient conservées jusqu’à ce qu’une personne soit nommée au poste, après quoi elles étaient détruites. Mme Huard a trouvé la question un peu étrange et c’est la raison pour laquelle elle s’en est souvenue. Aucun des auteurs des rapports d’enquête n’a questionné Mme Huard. Il n’y avait pas d’autres preuves à ce sujet.

C. Preuve de la fonctionnaire s’estimant lésée

1. Témoins

57        La fonctionnaire a appelé quatre témoins : Brad Brohman, Lise Charbonneau, Renita Halladay et Andrea Knight.

58        M. Brohman était un conseiller principal pour le premier ministre de la Colombie-Britannique et, lorsque le gouvernement fédéral l’a recruté dans le cadre d’un programme d’échange pour diriger le Régime de prêts d’études canadien (RPEC), il était spécialisé dans les modèles de prestation de rechange et la gouvernance du secteur public. M. Brohman a expliqué qu’en 2000, les banques majeures, jusque-là les prêteurs et les titulaires des dossiers de tous les prêts d’études postsecondaires, ont décidé de se retirer du secteur, laissant le gouvernement fédéral se démener pour rapatrier le programme et créer une solution de rechange viable.

59        Le premier point à l’ordre du jour était d’embaucher trois gestionnaires qui auraient pour tâche de mettre sur pied une équipe de 30 à 40 employés. La fonctionnaire a été recommandée à titre de gestionnaire éventuelle. M. Brohman estimait que son curriculum vitae répondait à ses besoins en raison des compétences analytiques avancées qui y étaient démontrées. Il a rencontré la fonctionnaire. Au départ, elle n’était pas intéressée, mais elle l’a rappelé quelques mois plus tard pour accepter le poste.

60        La fonctionnaire était un atout précieux pour l’équipe. Elle avait de solides compétences en ressources humaines et en mathématiques et elle était une excellente négociatrice, ce qui était important, car il y avait beaucoup de négociations avec les provinces, compte tenu de leur rôle en éducation.

61        M. Brohman a souligné combien la fonctionnaire était toujours extrêmement bien préparée pour les réunions et les présentations, et combien il se fiait à elle pour ses présentations. À un certain moment, il pensait lui faire une faveur en lui demandant de présenter la deuxième moitié d’une présentation, étant donné qu’elle avait préparé la présentation. Elle l’a fait, mais, par la suite, elle était extrêmement en colère. Elle a dit à M. Brohman que parler en public la rendait insupportablement nerveuse. La seule façon pour elle de surmonter cette nervosité était de se préparer, et même de le faire de façon excessive, longtemps à l’avance. Elle lui a demandé de ne plus jamais la surprendre comme il l’avait fait en lui demandant à la dernière minute de parler en public.

62        Cet incident a frappé M. Brohman et il en est venu à comprendre que, contrairement à lui ou à d’autres, la fonctionnaire était incapable d’improviser. Elle devait se préparer bien à l’avance pour toute situation où elle devait parler en public, bien qu’elle savait déjà tout ce qu’il y avait à dire. Cela signifiait qu’elle se préparait toujours de manière exhaustive pour toute présentation – elle avait l’habitude de créer des classeurs contenant des onglets et d’autres documents. Parallèlement, elle mémorisait tous ces documents écrits.

63        Pendant les réunions, la fonctionnaire prenait toujours des notes exhaustives, presque textuellement, extrêmement précises, et elle préparait un compte rendu impeccable des décisions et des interventions. Celles-ci étaient particulièrement importantes dans le contexte d’un groupe de travail fédéral-provincial composé de 25 à 30 personnes. Il était important de prendre des notes précises, car les provinces étaient quelque peu méfiantes à l’égard d’un processus dirigé par le gouvernement fédéral.

64        La fonctionnaire a également conçu un cadre analytique pour les mesures de remboursement que tous les ministres de l’éducation provinciaux avaient adoptées. Ce cadre représentait un accomplissement majeur qui mettait en évidence à la fois la force de la fonctionnaire en mathématiques et sa capacité à travailler avec différents autres intervenants.

65        Au cours de l’exercice 2005-2006, M. Brohman a suivi une formation linguistique. Un concours a été organisé pour une affectation intérimaire à son poste. Les trois gestionnaires ont postulé au poste. Selon M. Brohman, la fonctionnaire était la leader naturelle de l’équipe, cependant, sa candidature n’a pas été retenue. Elle lui a dit qu’elle n’avait pas bien répondu à l’entrevue, car elle n’avait pas eu suffisamment de temps pour se préparer. M. Brohman lui a offert de l’aider à se préparer à l’occasion de possibilités futures.

66        M. Brohman a quitté le gouvernement en décembre 2007. La fonctionnaire a présenté avec succès sa candidature pour son poste. Il l’a aidée à se préparer à d’autres possibilités d’emploi, y compris le poste qu’elle occupait au moment de son licenciement. Il a décrit combien sa présentation était exhaustive et combien elle était en mesure de mémoriser. M. Brohman a indiqué que le temps de préparation était à la limite de la [traduction] « folie »; il a affirmé qu’il n’avait jamais vu personne consacrer autant de temps à se préparer à des entrevues d’emploi.

67        M. Brohman a déclaré que la fonctionnaire était l’une des personnes les plus travaillantes qu’il avait rencontrées. Il a été complètement choqué lorsqu’il a entendu qu’elle avait été licenciée pour avoir triché, car un tel comportement ne faisait pas partie de sa personnalité.

68        En contre-interrogatoire, M. Brohman a déclaré qu’il n’avait pas aidé la fonctionnaire à se préparer aux processus de la DGA et du BT.

69        Mme Charbonneau travaillait comme adjointe exécutive au directeur du RPEC. Elle a travaillé avec la fonctionnaire pendant 10 ans. Elle a décrit la fonctionnaire comme une personne extrêmement travaillante, très minutieuse et très gentille. Elle a également décrit comme une excentricité le fait que la fonctionnaire n’aimait pas écrire sur du papier de couleur et qu’elle était très particulière à propos de la prise de notes sur du papier blanc dans un cahier. Elle a mentionné que la fonctionnaire prenait des notes détaillées pendant les réunions. Elle était également incrédule lorsqu’elle a appris que la fonctionnaire avait été licenciée pour avoir triché dans le cadre d’un processus de dotation.

70        Mme Halladay rendait compte à la fonctionnaire d’août 2013 à janvier 2014 à TPSGC. Elle a travaillé étroitement avec la fonctionnaire. Elle a également déclaré que la fonctionnaire prenait beaucoup de notes et qu’elle n’aimait pas le papier de couleur. Selon elle, la fonctionnaire était très structurée et très stratégique, elle était en mesure de récupérer des renseignements instantanément.

71        Mme Knight travaillait au sein de la fonction publique fédérale depuis 2000. La fonctionnaire l’avait embauchée au RPEC, où elle a travaillé entre avril 2002 et décembre 2011. Lorsque la fonctionnaire a quitté le RPEC, Mme Knight l’a remplacée au poste de directrice.

72        En tant que subordonnée directe de la fonctionnaire, elle a eu l’occasion d’observer ses habitudes de travail. Elle se souvenait de la fonctionnaire comme d’une perfectionniste, qui avait des exigences particulières en ce qui a trait aux détails et à la minutie. La fonctionnaire avait une mémoire extraordinaire. Elle se montrait également rigoureuse pour ce qui est des réunions bien préparées comprenant des notes d’allocution détaillées. Une fois à la réunion, elle pouvait répéter mot pour mot le texte préparé sans consulter les notes.

73        Mme Knight avait également eu l’occasion de lire et de transcrire les notes que la fonctionnaire prenait lors de réunions. Elles étaient extrêmement précises, attribuées adéquatement à chaque conférencier malgré le fait qu’un grand nombre de personnes participaient aux réunions et qu’elles parlaient toutes rapidement. Les notes étaient très lisibles et, par conséquent, elles étaient faciles à transcrire.

74        Mme Knight a également été choquée d’apprendre que la fonctionnaire avait été licenciée pour avoir triché dans le cadre d’un processus de dotation. Ce n’est pas du tout ce à quoi elle se serait attendue de la personne avec qui elle avait travaillé aussi étroitement pendant 10 ans.

75        En contre-interrogatoire, l’avocat du défendeur a demandé à ces témoins (à l’exception de Mme Halladay) s’ils avaient apporté des exemples des notes que la fonctionnaire avait prétendument prises dans le passé. La réponse était toujours négative. L’avocat du défendeur a également questionné les témoins à propos de leurs relations personnelles avec la fonctionnaire. Dans le cas de M. Brohman et de Mme Knight, il semble que ces relations avec la fonctionnaire étaient des relations d’amitié, car ils socialisaient en dehors du travail.

2. La fonctionnaire s’estimant lésée

76        La fonctionnaire a parlé de son éducation et de sa carrière dans la fonction publique. Elle est née au Liban. Elle a commencé l’école très tôt et, à la suite d’une série de circonstances, dont son intelligence, elle a sauté un certain nombre d’années, de sorte qu’à l’âge de 14 ans elle avait terminé sa onzième année. Sa famille a émigré à ce moment afin d’échapper à la guerre civile. Lorsqu’elle est arrivée au Canada, elle parlait un peu le français, mais pas du tout l’anglais. Elle a néanmoins été placée en douzième année à la suite d’une évaluation menée par les autorités scolaires. Elle a suivi un tutorat en français et en anglais, puis elle a obtenu son diplôme d’études secondaires en français de l’école De La Salle, à Ottawa, en Ontario.

77        Elle a entrepris des études en ingénierie civile à l’Université d’Ottawa à l’âge de 16 ans. Elle n’aimait pas l’ingénierie et elle a changé pour les mathématiques après un trimestre. Le programme de mathématiques n’était pas facile; les deux premières années ont été un combat, puisqu’elle avait manqué une partie importante des mathématiques de base avec le programme accéléré au Liban, dans lequel trois années avaient été combinées en une. Au moment où elle a obtenu son diplôme, ses notes étaient parmi les plus élevées.

78        Son premier diplôme achevé, elle a commencé à travailler au sein de la fonction publique dans le cadre d’un emploi contractuel et elle a rapidement été nommée pour une période indéterminée. Dès le départ, elle était une employée engagée et modèle, excellente avec les chiffres et les plans, en plus d’être dévouée à son travail. La fonctionnaire a expliqué comment dans son tout premier emploi, un emploi contractuel, on lui avait donné deux semaines pour établir un document de données structuré; elle a accompli la tâche en trois jours. Le gestionnaire a alors été convaincu qu’elle devait être embauchée de façon permanente.

79        D’après les déclarations des témoins et le témoignage de la fonctionnaire, on m’a donné l’impression d’une fonctionnaire déterminée, sérieuse et dévouée. En 25 ans, elle a gravi les échelons, passant d’un poste CR-04 à un poste EX-02, avec des responsabilités toujours de plus en plus importantes; aux dires de tous, y compris selon les évaluations de rendement qui ont été présentées à l’audience, elle a toujours excellé.

80        Malgré sa grande réussite, la fonctionnaire a témoigné au sujet de son insécurité fondamentale, surtout lorsqu’elle sent que sa maîtrise de l’anglais est mise à l’épreuve. Elle est sensible au fait que les gens relèvent habituellement son léger accent et insistent souvent pour savoir d’où elle vient. Sa façon de composer avec cette situation consiste à se préparer de manière approfondie pour toute situation où elle a à parler en public, que ce soit dans le cadre d’une entrevue ou d’une présentation, comme l’a confirmé M. Brohman.

81        Dans son témoignage, la fonctionnaire a parlé des événements relatifs aux deux processus de nomination.

82        Le processus de la DGA a été lancé en septembre 2013. La fonctionnaire était très intéressée par cet emploi. Elle a déclaré à l’audience que, en réalité, elle avait été approchée quelque huit mois plus tôt par le sous-ministre adjoint des Approvisionnements d’alors, Tom Ring, pour occuper ce poste par intérim. Après quelques échanges entre son gestionnaire et M. Ring, il a été déterminé que la fonctionnaire ne pouvait pas occuper le poste de façon intérimaire, car on avait besoin d’elle à son poste d’attache pour diriger un projet qu’elle avait élaboré, soit le cadre d’intégrité de Travaux publics.

83        La fonctionnaire a témoigné en disant qu’elle était très déçue de ne pas avoir eu la possibilité d’accepter le poste intérimaire à la Direction générale des approvisionnements. M. Ring l’a encouragée à présenter sa candidature lorsque le poste allait être annoncé.

84        Comme elle était très motivée à réussir et à obtenir le poste, elle a commencé à se préparer dès qu’elle a présenté sa candidature, en septembre 2013. À partir de ce moment jusqu’à l’entrevue, en mars 2014, son temps libre était consacré à sa préparation. Elle a recueilli tous les documents qu’elle a pu trouver, les a tous lus intégralement, puis elle a commencé à se concentrer sur la préparation de ses notes d’étude. Elle a fait l’examen écrit en décembre 2013, et l’a réussi. Elle a raconté comment l’examen, qui était à domicile, a été reçu un vendredi et devait être remis le lundi suivant. Elle y a mis beaucoup d’efforts, a à peine dormi et l’a envoyé le dimanche soir. En février 2014, elle a été invitée à l’entrevue de mars 2014.

85        La fonctionnaire a témoigné en disant qu’elle avait consacré des centaines d’heures à se préparer à l’examen et à l’entrevue. Une clé USB (dont il sera question plus tard dans la présente décision) montre l’ampleur et l’étendue de sa préparation. Elle contient beaucoup de documents, tirés de sites Web du gouvernement ou de présentations effectuées au sein du ministère, ainsi que les notes d’étude qu’elle a rédigées.

86        L’entrevue pour le processus de la DGA se déroulait dans le même immeuble que son bureau. Elle n’y a apporté que son BlackBerry et un bloc-notes. La fonctionnaire a expliqué qu’elle apportait toujours son propre bloc-notes aux entrevues, car, en raison de son expérience, elle savait que le papier fourni serait insuffisant pour ses longues notes préparatoires.

87        Elle a été accueillie par Mme Thibodeau, qui a pris son BlackBerry et l’a placé dans son bureau et l’a escortée dans la salle de préparation. Mme Thibodeau lui a remis l’enveloppe contenant les questions. La fonctionnaire a montré son bloc-notes à Mme Thibodeau et lui a demandé si elle pouvait l’utiliser. Mme Thibodeau l’a feuilleté, le lui a remis et a répondu [traduction] « Oui, absolument ».

88        La période de préparation était de 35 minutes. La fonctionnaire a lu les questions, a souligné les éléments sur lesquels elle allait se concentrer, puis a commencé à écrire ce qu’elle avait mémorisé. Selon elle, elle peut rédiger des notes très claires très rapidement, comme les personnes qui ont travaillé avec elle l’ont remarqué. Elle a utilisé toute la période pour rédiger ses notes.

89        Mme Thibodeau est revenue, a ramassé les notes et les questions d’entrevue, puis les a placées dans l’enveloppe. Ensuite, elles sont entrées dans la salle d’entrevue, où l’attendait le comité d’évaluation. Mme Thibodeau a sorti les notes de l’enveloppe et les a placées devant la fonctionnaire pour l’entrevue.

90        La fonctionnaire pensait que l’entrevue s’était très bien déroulée. Elle a été choquée de découvrir quelques semaines plus tard qu’elle n’avait pas réussie l’entrevue. Elle a accepté l’offre d’avoir une discussion informelle avec un des membres du comité d’évaluation pour comprendre ce qui avait mal tourné. Selon les renseignements qu’elle a reçus, elle avait commis certaines erreurs en rapportant des statistiques sur les petites et moyennes entreprises (PME). Elle était plutôt surprise, car elle était certaine d’avoir rapporté les chiffres correctement. En outre, elle n’avait pas démontré de compétence en leadership, notamment en ce qui concerne le raisonnement stratégique.

91        Dans le cadre du processus du BT, la fonctionnaire a fait valoir que son intérêt était très différent. Elle ne voulait pas l’emploi. Il s’agissait plutôt d’un exercice en vue de faire partie d’un répertoire EX-03, et son gestionnaire l’a encouragée à y participer. Son emploi faisait l’objet d’un processus de reclassification au niveau EX-03, mais si elle était placée dans un répertoire EX-03, plus de possibilités allaient s’offrir à elle.

92        Elle n’a pas eu autant de temps pour se préparer pour l’entrevue du processus du BT, car elle était extrêmement occupée au travail. Elle a présenté sa candidature en octobre 2014 et a été invitée à l’entrevue en novembre 2014. Il n’y avait pas d’examen écrit. La fonctionnaire a fait valoir que sa préparation pour le processus de la DGA avait servi de base – elle avait déjà une bonne idée du contexte ministériel général. Elle a eu environ une semaine pour se préparer, de sorte qu’elle s’est concentrée à sa mémorisation des ECM, des connaissances et des compétences en leadership, ainsi que sur les présentations du Bureau de la traduction (des présentations PowerPoint).

93        L’entrevue du processus du BT a eu lieu dans un immeuble différent. Elle est arrivée très tôt pour la période de préparation et elle a attendu dans la cafétéria avant de se rendre à l’aire de réception désignée. Elle avait son manteau, son sac à main et une serviette, qui contenait les documents de résumé et d’autres documents, ainsi que son bloc-notes. Mme Joanisse l’a rencontrée et l’a conduit à un poste de travail modulaire, où la fonctionnaire a laissé ses effets personnels. Mme Joanisse lui a dit qu’elle pouvait conserver son sac à main, la fonctionnaire l’a donc ouvert pour montrer son contenu. Mme Joanisse l’a escortée dans la salle de préparation et a dit qu’elle reviendrait avec les questions d’entrevue dans environ 10 minutes. La fonctionnaire s’est alors rendu compte qu’elle n’avait pas pris son bloc-notes dans sa serviette. Elle a remarqué qu’il y avait des blocs-notes bleus sur la table dans la salle de préparation. Craignant qu’il n’y ait pas d’autre papier, elle est sortie de la salle et a trouvé un photocopieur avec du papier à côté de celui-ci. Elle a pris une petite pile de papier et est retournée dans la salle d’entrevue.

94        Mme Joanisse est revenue avec l’enveloppe contenant les questions. La fonctionnaire lui a montré le papier blanc qu’elle s’était procuré et a mentionné à Mme Joanisse qu’elle n’aimait pas écrire sur du papier de couleur. Elle a demandé si elle pouvait utiliser le papier blanc du photocopieur, et Mme Joanisse a accepté. Dans l’enveloppe, en plus des questions d’entrevue, il y avait environ trois pages de papier ligné agrafées aux questions. La fonctionnaire ne les a pas utilisées.

95        Cette fois, la fonctionnaire a à peine jeté un coup d’œil aux questions. Elle a plutôt choisi d’écrire tout ce dont elle se souvenait à propos des différents ECM reflétés dans l’examen – C1 à C4 et les compétences en leadership. Elle écrivait toujours lorsque Mme Joanisse est revenue cinq minutes avant la fin de la période de préparation. Elle écrivait toujours à la fin de la période et Mme Joanisse a dû lui dire de poser son stylo.

96        Mme Joanisse a placé tous les documents, c’est-à-dire, les questions d’entrevues et les notes préparatoires, dans l’enveloppe. La fonctionnaire l’a suivie dans la salle d’entrevue.

97        L’entrevue a été un désastre, selon la fonctionnaire. Elle a choisi de lire les questions à voix haute (plutôt que de demander aux membres du comité d’évaluation de le faire) avant d’y répondre. Elle les lisait de manière détaillée pour la première fois et elle s’est aperçue qu’elles comportaient plusieurs volets et que ces notes lui seraient peu utiles. Elle devait sans cesse parcourir ses notes écrites et a perdu le fil dans les cinq minutes, ne sachant pas comment répondre.

98        Elle a découvert plutôt rapidement qu’elle n’avait pas réussi. Cette fois, elle n’a pas demandé la tenue d’une discussion informelle. Elle savait pourquoi elle avait échoué. Elle est partie quelque temps pour des vacances à l’étranger pendant la période des Fêtes. À son retour, le 6 janvier 2015, elle a été convoquée au bureau du sous-ministre adjoint (SMA) des ressources humaines. Elle a appris alors qu’on la soupçonnait de fraude et qu’elle était placée immédiatement en congé payé. Elle a été escortée par la sécurité jusqu’à son bureau pour récupérer ses effets personnels. Son gestionnaire a convaincu la sécurité qu’il n’était pas nécessaire qu’une escorte accompagne la fonctionnaire pour quitter l’immeuble. Le gestionnaire allait l’accompagner. Le gestionnaire a tenté de la rassurer, en affirmant que toute cette histoire serait éclaircie dans les quatre à six semaines.

99        En fait, aucune autre décision n’a été prise avant le mois d’août. Entre-temps, les enquêtes ont eu lieu. Le 3 août 2015, M. Da Pont a écrit à la fonctionnaire, et lui a dit qu’à la suite des rapports de la CFP ainsi que du rapport de recherche de faits de M. Paquet, elle était suspendue sans traitement à compter de cette date. Le 21 août 2015, accompagnée par son avocat, la fonctionnaire a rencontré Tom Balfour, SMA intérimaire pour les ressources humaines, afin de fournir des commentaires sur les quatre rapports. Le 1er octobre 2015, M. Da Pont a signé une lettre de licenciement, dont la date d’entrée en vigueur correspondait à la date de début de la suspension sans traitement.

100        Dans son témoignage, la fonctionnaire a fait valoir que la période de janvier à octobre 2015 avait été extrêmement difficile pour elle. Son estime de soi a été anéantie. Son travail avait été au cœur de sa vie; elle avait placé sa carrière par-dessus tout. Pendant 10 mois, elle n’a pas été en mesure de raconter à sa famille ce qui s’était produit. Elle a continué de faire semblant qu’elle travaillait. Elle se sentait particulièrement mal pour ses parents, qui avaient abandonné tant de choses pour venir au Canada pour donner un meilleur avenir à leurs enfants. Elle éprouvait des problèmes de santé, elle dormait mal et sortait à peine de la maison.

101        En contre-interrogatoire, l’avocat du défendeur a cherché à démontrer que la fonctionnaire n’avait pas vécu recluse pendant ces mois, car elle avait suivi un cours payé par le ministère, le programme d’excellence en gestion, pour lequel elle avait été choisie pour représenter son ministère. La fonctionnaire a reconnu avoir participé au cours et qu’elle avait effectué deux voyages à l’étranger afin de participer au volet éducatif du cours.

102        Après son licenciement, la fonctionnaire a reçu de nombreux appels de personnes qui avaient entendu dire qu’elle avait été licenciée pour avoir commis une fraude. Selon elle, sa réputation a été gravement endommagée par les allégations du défendeur.

D. Notes préparatoires et clé USB

103        Les notes préparatoires à l’entrevue originales ont été présentées à l’audience. Dans le cadre du processus de la DGA, les notes ont été rédigées à l’encre bleue sur du papier ligné. Le papier est parfaitement lisse. Le flux de l’écriture est continu, quelques remarques ont été ajoutées dans la marge avec la même encre. Pour le processus du BT, les notes sont rédigées à l’encre noire sur du papier blanc non ligné. Le flux de l’écriture est continu et donne l’impression d’avoir été écrit rapidement, car l’écriture est très serrée, même si les lettres sont relativement bien formées. La rédaction n’est pas droite, mais est en angle vers le haut, prétendument parce qu’il n’y a aucune ligne à suivre. Une fois de plus, le papier est parfaitement lisse et il n’est aucunement froissé. Dans les deux cas, il y a un certain nombre d’abréviations et de signes, ce qui contribue à l’impression que les notes ont été écrites rapidement.

104        La fonctionnaire a expliqué de manière détaillée comment elle se prépare pour les entrevues. En tant que gestionnaire, elle sait très bien comment un comité d’évaluation évaluera un candidat en se fondant sur les connaissances et les aptitudes. Les questions d’entrevue ne sont pas connues à l’avance. Ce que l’on connaît, ce sont les connaissances et les éléments de leadership qui seront évalués. Pour chaque question d’entrevue, les intervieweurs ont une feuille de notation comprenant une série de points génériques que la personne passée en entrevue devrait aborder, en donnant des exemples personnalisés. La fonctionnaire a dirigé plusieurs processus de nomination et a été membre d’un certain nombre de comités d’évaluation.

105        À l’audience, les documents que la fonctionnaire avait étudiés pour se préparer pour les deux processus de nomination ont été présentés au moyen d’une clé USB. Les documents comprenaient plusieurs niveaux de préparation : les documents réunis pour les entrevues, plusieurs présentations et tableaux liés aux mandats du ministère ou des sections, et les notes d’étude que la fonctionnaire avait rédigées et mémorisées pour l’entrevue.

106        Dans son témoignage, la fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait lu à au moins une reprise tous les documents qu’elle avait réunis. D’après ces documents, elle rassemblait les renseignements, puis les mémorisait, à parti de la version papier plutôt qu’à l’écran.

107        La fonctionnaire prétend que les notes préparatoires ont été rédigées à partir des documents mémorisés qu’elle a préparés. Pour décrire les notes de manière détaillée, je ferai référence aux notes préparatoires et au matériel d’étude qui figurent sur la clé USB.

108        Pour le processus de la DGA, elle a répondu aux questions dans l’ordre. Au haut de la première page des notes préparatoires, l’en-tête « Q1 » apparaît. La première question consistait à décrire un succès important dans sa carrière, pour illustrer l’excellence en gestion. Les notes préparatoires sous la Q1 sont rédigées de manière très serrée et sont très détaillées et bien organisées. Le défendeur a reconnu que ces notes étaient personnelles et qu’elles n’avaient pas été reproduites à partir d’un site Web quelconque.

109        En réalité, ces notes, même si elles sont personnelles, sont une reproduction d’un document qui se trouve sur la clé USB. Le contenu est presque identique. Pour ne donner qu’un exemple, sur la clé USB, sous [traduction] « travail d’équipe », ce qui suit apparaît dans les notes d’étude : [traduction] « Je suis une personne d’équipe, je travaille bien de manière horizontale ». Dans les notes préparatoires, cela est reproduit comme [traduction] « Je suis une joueuse d’équipe, travaille bien ↔ ». La question préparée dans les notes d’étude est : [traduction] « Pourquoi êtes-vous la plus apte pour ce poste? ». La deuxième partie commence par [traduction] « en ce qui concerne mon style de leadership » et présente plusieurs en-têtes ([traduction] « travail d’équipe », « engagement », « responsabilisation », « prise de risques » et « renouvellement »). Ces en-têtes et leurs contenus sont tous reproduits dans les notes préparatoires.

110        La « Q2 » du processus de la DGA est rédigée comme suit : [traduction] « En quoi le rôle du ministère de TPSGC s’inscrit-il dans les priorités générales actuelles du gouvernement fédéral? » Les notes préparatoires commencent par [traduction] « Budget de 2014 », suivi de [traduction] « DT [discours du Trône] de 2013, « Ponts » « priorités du GC » et « Capacités industrielles », suivis de [traduction] « priorités de la DGA », « mandat de la DGA », « vision de la DGA » et « priorités ». Tous ces en-têtes peuvent être trouvés dans des notes d’étude différentes qui figurent sur la clé USB. Dans son rapport, M. Picard stipule que ses notes préparatoires sont très similaires au [traduction] « Résumé » de la Direction générale des approvisionnements (dont il est question plus haut dans la présente décision). Elles reproduisent encore plus étroitement les notes d’étude qui comprennent les titres ne figurant pas dans le résumé.

111        La « Q3 » était une question sur le processus décisionnel du gouvernement fédéral. Le défendeur a produit à l’audience une version agrandie d’un tableau très détaillé portant sur les différentes étapes du processus fédéral d’élaboration des lois, du discours du Trône jusqu’à la sanction royale. Dans ses notes préparatoires, la fonctionnaire résume le processus. Son résumé est remarquablement détaillé, mais incomplet. Le tableau est enregistré sur la clé USB, ainsi qu’une note dans l’une des notes d’étude pour étudier le tableau sur l’élaboration des lois. Dans son témoignage, la fonctionnaire a déclaré qu’elle avait étudié ses propres notes, ainsi que les tableaux, qu’elle trouvait faciles à mémoriser.

112        La « Q4 » portait sur l’élaboration de politiques et le processus d’approbation du gouvernement et demandait un exemple d’une initiative importante en matière de politiques dont la candidate avait été responsable. Les notes préparatoires reproduisent les notes d’étude figurant sur la clé USB sous [traduction] « Volet B K » – l’exigence relative aux connaissances concernant le processus du [traduction] « volet B », tel qu’il est indiqué dans la question d’entrevue.

113        La « Q5 » porte sur les défis auxquels sont confrontées les PME qui souhaitent devenir des fournisseurs pour le gouvernement du Canada par l’intermédiaire du processus d’approvisionnement de TPSGC. Elle demande également à la candidate de raconter l’expérience d’une mobilisation réussie en vue d’aider des PME à atteindre un résultat avec le gouvernement. Dans les notes préparatoires, la fonctionnaire dresse la liste des caractéristiques des PME, puis, dans le milieu des pages, elle écrit [traduction] « Moi – Expérience – littératie – renseignements ». Elle a expliqué à l’audience qu’il s’agissait de l’exemple qu’elle avait l’intention de donner, qui correspondait à son expérience d’élaborer la littératie du programme pour ceux qui utilisait le RPEC. Les notes préparatoires reproduisent le contenu d’un fichier USB intitulé « OSME » qui inclut l’exemple de l’expérience sur la littératie du RPEC.

114        La « Q6 » portait sur les lois et les principes applicables à l’approvisionnement et aux contrats avec le gouvernement fédéral. Les notes préparatoires reproduisent un document figurant sur la clé USB intitulé « C3 ». Après les notes relatives à la Q6, on retrouve des notes sur Objectif 2020 et la Stratégie de service à la clientèle, que la fonctionnaire considérait comme des politiques importantes pour la DGA. Une fois de plus, ces notes reproduisent les documents sur la clé USB.

115        Les notes préparatoires pour le processus du BT n’étaient pas classées selon les questions, mais selon les critères de connaissances et les compétences en leadership dans les ECM. Elles comprenaient également un programme détaillé sur la transformation du Bureau de la traduction. Les notes préparatoires pour les ECM suivent étroitement les notes d’étude figurant sur la clé USB. Le programme de transformation du BT se trouve dans une présentation PowerPoint que la fonctionnaire affirme avoir étudiée également.

116        La plupart des documents figurant sur la clé USB qui sont reproduits dans les notes préparatoires ont été préparés par la fonctionnaire avant les dates d’entrevue. Certains tableaux et le programme de transformation du BT constituent une exception. Ces documents ne sont pas des notes rassemblées qu’elle a produites, mais les documents originaux de source gouvernementale.

117        La clé USB est une compilation des documents tirés de l’ordinateur de la fonctionnaire au travail après sa suspension. Elle n’avait plus d’accès direct à son ordinateur, de sorte que la clé USB a été compilée par les services de TI selon les directives qui lui ont été communiquées par la fonctionnaire par téléphone. Selon elle, les documents ne correspondent pas nécessairement aux dernières versions. Elle avait également préparé des classeurs, mais on ne les a pas trouvés dans son bureau.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

118        La question, selon le défendeur, consiste à déterminer s’il est plus probable qu’improbable que la fonctionnaire ait utilisé des documents non autorisés dans le cadre du processus de la DGA ou du BT, ou les deux. Il est bien établi que le fait de tricher dans le cadre d’un processus de dotation constitue une grave inconduite qui mérite une mesure disciplinaire grave.

119        La norme de la preuve est la prépondérance des probabilités. Le fait que la preuve soit circonstancielle ne mine pas sa valeur probante. Le poids d’une telle preuve dépend de l’addition de nombreuses circonstances. Le défendeur a insisté sur le nombre de pages rédigées par la fonctionnaire pendant sa préparation à l’entrevue, l’exactitude et l’exhaustivité de ces notes, ainsi que leur grande similitude aux publications du gouvernement et à ses notes d’étude.

120        Le défendeur a également souligné que la fonctionnaire n’avait pas utilisé le papier fourni pour les notes préparatoires. Dans le cadre du processus de la DGA, elle est arrivée avec son bloc-notes en main. Ses réponses entrent sans déborder sur des pages distinctes. Elle avait une page distincte portant sur Objectif 2020, un sujet qui n’était pas abordé directement par l’une des questions. Ses notes préparatoires étaient très différentes de celles des autres candidats en ce qui concerne leur qualité, leur quantité et leur exhaustivité, en plus d’avoir été rédigées sur du papier différent.

121        En ce qui concerne le processus du BT, la fonctionnaire a eu peu de temps pour se préparer, ce qui ne l’a pas empêché de mémoriser une grande quantité de renseignements. Une fois de plus, les notes préparatoires étaient exhaustives et détaillées. Cependant, le défendeur a souligné qu’une quantité considérable des renseignements dans les notes d’étude n’a pas été reproduite dans les notes préparatoires. Certaines des notes préparatoires ne correspondaient pas aux notes d’étude de la fonctionnaire, bien qu’elle ait déclaré qu’elle avait mémorisé ses notes d’étude, compilées à partir de différentes sources gouvernementales.

122         Le défendeur a fait valoir que je devrais ignorer la preuve présentée par les personnes qui ont travaillé avec la fonctionnaire, étant donné que ces personnes pouvaient être considérées comme des amis, ce qui jette un certain doute sur la validité de leur témoignage. Certains ont témoigné quant à la qualité, aux détails et à la minutie des notes prises par la fonctionnaire pendant les réunions, cependant ces notes n’ont jamais été produites.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

123        Selon la fonctionnaire, le défendeur a omis de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu tricherie dans l’un ou l’autre des processus. La preuve est entièrement circonstancielle et peut être expliquée. Essentiellement, selon la preuve du défendeur, il est impossible d’écrire des notes aussi détaillées dans le peu de temps accordé pour se préparer à l’entrevue. Cependant, aucune preuve d’expert n’a été présentée à l’appui de cette allégation. Le défendeur n’a présenté aucune preuve contredisant le souvenir direct des événements de la fonctionnaire.

124        Lorsque la preuve circonstancielle est utilisée pour établir la fraude, la preuve doit être très claire. La fonctionnaire a cité la « règle établie dans Hodge », selon laquelle, si la seule preuve est circonstancielle, l’inconduite supposée doit alors correspondre uniquement à l’explication rationnelle, ne laissant aucune autre conclusion logique rationnelle appuyant la détermination que la personne n’est pas coupable. La fonctionnaire a également cité des cas d’arbitrage où des circonstances simplement suspectes n’ont pas suffi à établir l’inconduite (McIntosh-Smith c. Chambre des communes, dossier de la CRTFP 466-H-150 (19910415), [1991] C.R.T.F.P.C. No. 76 (QL); et Canada Post Corp. v. CUPW (2015), 251 L.A.C. (4th) 170).

125        Lorsque la preuve est examinée minutieusement, il est évident que le défendeur n’a pas établi une preuve claire et convaincante d’un acte répréhensible. La preuve qu’il a présenté, notamment le rapport approfondi de M. Picard, ne suffit pas à établir une tricherie. La preuve démontre plutôt qu’il est invraisemblable que les notes préparatoires aient été copiées à l’avance. Les notes sont plus conformes à la mémorisation qu’à la simple copie, compte tenu des différences entre celles-ci lorsqu’on les compare aux documents d’origine.

126        Les personnes qui ont témoigné pour le compte de la fonctionnaire ont insisté sur sa capacité à mémoriser beaucoup de renseignements, ainsi que sa capacité à rédiger des notes complètes et exactes aux réunions. La preuve du défendeur ignore également la préparation importante qu’elle a présentée dans son témoignage, ce qui ne serait pas compatible avec l’acte d’apporter furtivement les notes d’étude. Le défendeur n’a jamais expliqué comment elle aurait apporté les notes, compte tenu de leur état impeccable et l’absence d’un sac pour les apporter.

IV. Analyse

127        Les parties ont convenu que la décision que je dois rendre est essentiellement factuelle. La loi est claire : le défendeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait un motif de licencier la fonctionnaire en raison d’une inconduite. La fonctionnaire a reconnu que, dans l’éventualité où l’inconduite était établie, alors la sanction, soit le licenciement, serait justifiée.

128        Alors, toute l’affaire repose sur la question de savoir s’il y a eu une inconduite ou non. Les parties ont également convenu que la preuve du défendeur était circonstancielle. Il n’y a aucune preuve concrète que la fonctionnaire a triché.

129        Le défendeur a présenté un extrait de Gorsky et al., Evidence and Procedure in Canadian Arbitration (1994), sur la preuve circonstancielle. Cet extrait souligne que, puisque la preuve circonstancielle dépend des conclusions tirées des éléments de preuve, celle-ci a une faiblesse inhérente. Cependant, le passage continue comme suit (à la page 13-5) :

[Traduction]

Même si cela peut être vrai en tant que proposition abstraite, en pratique, le bien-fondé d’une preuve directe ou circonstancielle dépend de sa source et de sa relation particulière avec les enjeux dans une affaire. La preuve circonstancielle peut autant mener à un sentiment profond de sûreté que la preuve directe. Effectivement, la preuve circonstancielle peut parfois être plus convaincante qu’une preuve directe. Le pouvoir convaincant de la preuve circonstancielle réside habituellement dans l’addition du poids des nombreuses circonstances. La combinaison de la preuve est ce qui la rend efficace. Par conséquent, elle est utile pour expliquer à la commission comment toutes les pièces correspondent et elle est encore plus utile pour s’assurer que les pièces correspondent effectivement.

130        Aux fins de la présente décision, je garderai à l’esprit l’idée [traduction] « […] que les pièces correspondent effectivement ». Une bonne partie de la preuve du défendeur reposait sur le caractère invraisemblable des notes préparatoires; cependant, comme on le verra, l’hypothèse du défendeur était également invraisemblable puisqu’il n’a jamais présenté d’hypothèse détaillée quant à l’utilisation de [traduction] « documents non autorisés ».

131        La fonctionnaire m’a renvoyée à la règle établie dans Hodge, en citant un passage de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, au paragraphe 3:5130, qui est rédigé en partie comme suit :

[Traduction]

Cette règle prévoit que, si la seule preuve présentée est circonstancielle, une telle preuve ne constituera pas une preuve du fait à établir, sauf si elle mène de façon concluante aux conclusions tirées et qu’elles ne sont pas en mesure d’appuyer toute autre conclusion rationnelle qui exclurait la culpabilité.

132         En réplique, le défendeur a présenté un autre extrait de Evidence and Procedure in Canadian Arbitration, de la page 13-6, qui stipule que la règle établie dans Hodge ne s’applique pas dans une affaire civile, où la norme de preuve est la prépondérance des probabilités, et non pas la preuve au-delà de tout doute raisonnable.

133        La règle établie dans Hodge a été rejetée par certains comme n’étant pas pertinente en arbitrage en matière de travail, comme le reconnaissent également Brown et Beatty. Entre autres raisons, cette règle est devenue largement incomprise par les tribunaux et les commentateurs comme étant une extension du fardeau de la preuve en droit criminel de déclarer une personne coupable au-delà de tout doute raisonnable. Comme Benjamin L. Berger le démontre dans un article très éclairant sur le sujet, « The Rule in Hodge’s Case: Rumours of its Death are Greatly Exaggerated » ([traduction] La règle établie dans Hodge : Les rumeurs de son décès sont grandement exagérées), (2005) Canadian Bar Review, vol. 84, à 47-74, le but original de la règle était d’alerter les jurés quant aux dangers particuliers de la preuve circonstancielle.

134        Alors que la preuve directe doit être pondérée aux fins de sa crédibilité, la preuve circonstancielle exige deux étapes : déterminer si les faits sont véridiques et tirer une conclusion à partir de ces faits. L’affaire originale (telle qu’elle est citée dans Berger, à la page 51, de Hodge (1838), 2 Lewin 227, 168 E.R. 1136) souligne les dangers du raisonnement par inférence, comme suit :

[Traduction]

[] la prédisposition de l’esprit humain à chercher – et souvent à déformer légèrement les faits afin d’établir une telle proposition [culpabilité] – oubliant qu’une seule circonstance qui n’est pas conforme à une telle conclusion, revêt plus d’importance que tout le reste, dans la mesure où elle détruit l’hypothèse de culpabilité.

135        En ce qui concerne le fardeau de la preuve approprié, je crois que l’avertissement sous-entendu dans la règle peut être appliqué de façon utile à la présente affaire, puisque le licenciement en question reposait entièrement sur un raisonnement par inférence.

136        Les parties ont convenu que la norme de preuve est la prépondérance des probabilités, tel qu’il est confirmé dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53. Comme la Cour suprême du Canada l’a écrit au paragraphe 49 : « Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu ». La Cour énonce le critère au paragraphe 46 comme suit : « […] la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités ». En l’espèce, il incombait au défendeur de démontrer que la preuve était « claire et convaincante » qu’une fraude avait été commise dans un ou deux processus de dotation.

137        La lettre de licenciement était fondée sur les quatre rapports produits par un enquêteur privé, un employé du défendeur, et la CFP. Le défaut important des quatre rapports réside dans la violation du principe de base du droit administratif : audi alteram partem, « entends l’autre partie ». Même si les explications de la fonctionnaire relativement à sa conduite figurent dans les rapports, elles ne sont pas prises au sérieux. Les auteurs ont ignoré tout élément de preuve qui permettrait de corroborer la version de la fonctionnaire et ne se sont attardés que sur ce qui est attendu des candidats dans le cadre de la préparation à une entrevue. Ils n’ont pas envisagé une seule fois qu’il était possible de mémoriser une grande quantité de renseignements, que la vitesse de rédaction est grandement accélérée par l’utilisation d’abréviations et de symboles, et que certaines personnes écrivent effectivement plus vite que d’autres.

138        Avant de me pencher sur l’analyse de la question de savoir si le défendeur s’est acquitté du fardeau de présenter une preuve claire et convaincante, je mentionnerai deux questions accessoires qui ne sont pas déterminantes, mais qui sont tout de même importantes. Ces deux questions se rapportent à des commentaires formulés par l’avocat du défendeur dans ses conclusions finales.

139        Un commentaire reflète l’incapacité apparente du défendeur de voir le point de vue de la fonctionnaire. L’un des thèmes que la fonctionnaire avait préparés dans ses notes d’étude était le style de gestion, qu’elle avait intitulé [traduction] « Mon style de gestion ». Elle a reproduit ces notes presque mot pour mot dans le cadre de sa préparation de la Q1 du processus de la DGA. L’avocat a posé la question rhétorique suivante : [traduction] « Qui fait cela, préparer de manière anticipée une réponse à une question sur son propre style de gestion? Ne connaît-elle pas son propre style? »

140        Qui fait cela? Il me semble que le témoignage de la fonctionnaire a fourni une réponse : la fille d’immigrants, l’enfant douée qui a dû lutter pour apprendre deux nouvelles langues à l’adolescence, souffrant à jamais d’insécurité en raison de la traîtrise de la prononciation en anglais. Comment fait-on pour composer avec la peur de l’humiliation? Pratiquer tellement ce qui doit être dit que le discours devient une seconde nature. Cela constituait très certainement une grande part de son témoignage, ce que M. Brohman a corroboré dans son témoignage.

141        L’autre commentaire concerne le poids à accorder au témoignage des personnes qui ont témoigné pour la fonctionnaire, notamment Mme Knight et M. Brohman. Ils ont une connaissance approfondie des habitudes de travail et des traits professionnels de la fonctionnaire. J’accepte de concéder au défendeur qu’ils sont également ses amis.

142        En soi, je ne crois pas que l’amitié disqualifie un témoin. M. Brohman et Mme Knight ont rencontré la fonctionnaire dans un environnement professionnel. Si une amitié s’est développée au fil des ans, c’était, d’après leur témoignage, notamment en raison du respect qu’ils avaient à son égard. La fonctionnaire a travaillé dans la fonction publique pendant 25 ans. S’il existe une preuve quelconque pour contredire le témoignage sous serment de Mme Knight et de M. Brohman, je ne l’ai pas entendue. Personne n’a contredit la preuve concernant la minutie de sa préparation pour toute tâche qu’elle entreprenait.

143        Les rapports qui ont servi de fondement à son licenciement ont été rédigés par des personnes qui ne connaissaient pas la fonctionnaire, ce qui est parfaitement approprié. Cependant, ils ont choisi de ne pas interroger de témoins qui la connaissaient dans son environnement de travail. On ne peut pas retenir contre la fonctionnaire le fait qu’elle ait appelé ces témoins devant la Commission.

144        La preuve en l’espèce est circonstancielle. Personne n’a vu la fonctionnaire rédiger les notes préparatoires. Par conséquent, la question consiste à trancher quelle explication est la plus probable : celle du défendeur, selon laquelle la fonctionnaire a utilisé des documents non autorisés, puisque personne ne peut rédiger des documents aussi précis en si peu de temps, ou celle de la fonctionnaire, selon laquelle les notes ont été entièrement rédigées de mémoire pendant la période allouée pour préparer l’entrevue. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que l’explication de la fonctionnaire est plus vraisemblable que celle du défendeur.

145        La règle dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, est habituellement invoquée lorsque deux témoignages oraux sont contradictoires. Elle peut également être appliquée pour choisir entre deux versions des mêmes événements, comme dans la présente affaire. Comme il est indiqué à la page 357 de cette affaire :

                   [Traduction]

[…] Il convient d’examiner de manière raisonnable la compatibilité de l’exposé des faits du témoin à la lumière des probabilités se rapportant aux conditions qui existent à l’heure actuelle. Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans de tels cas, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaitrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu des circonstances et de la situation […]

146        La seule preuve concrète dont je suis saisie concerne les notes préparatoires. Il y a un certain nombre de lacunes dans les explications du défendeur à cet égard. Il n’a jamais fait valoir que la fonctionnaire avait apporté des notes dans la salle de préparation. La lettre de licenciement renvoie à des [traduction] « documents non autorisés », tout comme le rapport de M. Paquet. Les rapports de la CFP stipulent qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer comment les documents non autorisés auraient pu être apportés. Il suffit de démontrer que les notes reproduisent de grands extraits de différents sites Web du gouvernement. À la question de savoir quelle était sa théorie sur la façon dont les notes auraient pu être apportées, compte tenu de leur état immaculé et du fait que la fonctionnaire n’avait aucun sac dans lequel les apporter, M. Picard a refusé de formuler une hypothèse.

147        Il s’agit du premier défaut dans la preuve du défendeur – comment les notes ont-elles pu apparaître soudainement alors que la fonctionnaire n’avait aucun sac pour les apporter? Si elles avaient été introduites clandestinement sur sa personne, elles auraient été à tout le moins un peu froissées, alors qu’elles ne l’étaient pas.

148        Deuxièmement, le contenu des notes correspond aux questions d’entrevue pour le processus de la DGA, ce que le défendeur n’a pas non plus pu expliquer. Les rapports ont tous fait valoir que les notes correspondaient aux ECM plutôt qu’aux questions. Une autre façon d’examiner les ECM est de prendre en compte qu’ils annoncent les différentes connaissances et compétences qui seront évaluées. Si la fonctionnaire les a mémorisés pour être en mesure de répondre aux questions qui mettraient à l’épreuve ses connaissances et aptitudes par rapport aux ECM, alors, bien entendu, il y aurait une correspondance. Cela n’explique pas pourquoi les notes étaient dans le même ordre que les questions de l’examen dans le cadre du processus de la DGA.

149        Troisièmement, les deux ensembles de notes sont très différents l’un de l’autre, mais chacun d’eux est rédigé très uniformément. L’un d’eux est rédigé sur du papier blanc avec des lignes bleues, à l’encre bleue. L’autre est sur du papier blanc non ligné, à l’encre noire. Si la fonctionnaire les avait préparés à l’avance, on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient plus similaires. On s’attendrait à ce que, méticuleuse et minutieuse comme elle est, elle n’aurait pas choisi d’écrire sur du papier non ligné de sorte que les notes soient tortueuses et inclinées vers le haut.

150        Dans son témoignage, Mme Thibodeau, l’adjointe administrative dans le cadre du processus de la DGA, a dit qu’elle aurait apposé ses initiales sur le papier si la fonctionnaire le lui avait présenté. Cependant, j’ai trouvé son témoignage un peu difficile à suivre. Elle a déclaré qu’elle avait imprimé du papier ligné comprenant le mot [traduction] « Notes » au haut de la page et qu’il était attendu des candidats qu’ils utilisent ce papier. Cependant, lorsqu’elle a recueilli les notes de la fonctionnaire et qu’elle l’a conduite à la salle d’entrevue, elle n’a apparemment pas été surprise par le papier comprenant des lignes bleues, provenant clairement d’un bloc-notes. Elle n’a pas prévenu immédiatement le comité d’évaluation que les notes n’étaient pas comme elles auraient dû l’être. Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire si elle avait remarqué quoi que ce soit d’étrange à propos des notes, Mme Thibodeau a simplement répondu [traduction] « Non ». Il me semble plus approprié de croire la version de la fonctionnaire, soit qu’elle a montré le bloc-notes à Mme Thibodeau et que cette dernière l’ait approuvé (et oublié d’y apposer ses initiales).

151        Mme Joanisse a déclaré que, pour le processus du BT, elle se souvenait que la fonctionnaire lui avait montré qu’elle avait pris une pile de papier [traduction] « quelque part par là », en agitant sa main en direction de la porte. Une fois de plus, à la fin de la période de préparation, Mme Joanisse n’a rien trouvé de surprenant à propos des notes sur le papier non ligné et elle n’a rien dit au comité d’évaluation à propos du fait que la fonctionnaire n’avait pas utilisé le papier à notes imprimé dans l’enveloppe ou les blocs bleus sur la table. Mme Baron, la membre du comité d’évaluation qui a sorti les notes de l’enveloppe pour les remettre à la fonctionnaire au début de l’entrevue, n’a pas non plus remarqué quoi que ce soit qui n’allait pas à ce moment-là. Je conclus que la version de la fonctionnaire selon laquelle elle est sortie et qu’elle a pris du papier dans un photocopieur à proximité, est tout à fait crédible. J’ai de la difficulté à imaginer que, dans la pile de papier à côté d’un photocopieur, dans un immeuble que la fonctionnaire ne connaissait pas bien, se trouvaient des notes rédigées au préalable, auxquelles elle aurait ajouté des commentaires (puisqu’elle a effectivement écrit, comme en a témoigné Mme Joanisse), dans un flux continu (bien que de manière inclinée) d’écriture.

152        Dans les deux processus, je conclus que la fonctionnaire a expliqué de manière convaincante l’origine du papier. Il reste alors le contenu des notes.

153        Un des commentaires qui a été formulé dans les rapports de la CFP, et que l’avocat du défendeur a tenté de faire ressortir pendant le contre-interrogatoire, est que les notes préparatoires semblent souvent se rapprocher davantage des sites Web que des notes d’étude préparées par la fonctionnaire et qui, selon ce qu’elle maintient, ont constitué la base de sa mémorisation. J’ai examiné étroitement la clé USB qui a été présentée en preuve et présenté plus tôt mes constatations factuelles sur les notes préparatoires, les notes d’étude et les autres documents figurant sur la clé USB. Je souligne également l’explication de la fonctionnaire voulant que tous ses documents ne figuraient pas sur la clé USB. Deux classeurs de notes et de documents n’ont jamais été trouvés. Elle n’avait pas accès à son lecteur personnel après sa suspension en janvier 2015 et, selon elle, certains documents ne correspondaient pas aux dernières versions.

154        Les notes préparatoires peuvent être liées en grande partie à la quantité considérable de documents que la fonctionnaire avait préparés et qui figurent sur la clé USB. Comme l’a également soulevé l’avocat du défendeur, les rapports insistent pour dire qu’il n’y avait aucune correspondance parfaite entre les notes d’étude et les notes préparatoires. Il me semble fort probable que la fonctionnaire ait simplement combiné plusieurs segments mémorisés, qui peuvent tous être liés à la clé USB, et qu’elle les ait consignés. Cela expliquerait certainement mieux sa rapidité d’écriture que le fait d’accéder à un grand nombre de sites Web et de copier les documents qui y figurent ou d’organiser les documents au préalable pour qu’ils correspondent aux questions.

155        Les rapports ont également fait valoir que la fonctionnaire semblait fournir le contenu des ECM plutôt que de répondre aux questions d’entrevue et que, par conséquent, il s’agissait d’une preuve de tricherie. Il peut tout aussi bien s’agir de la preuve d’un exercice important de mémorisation. De toute évidence, la fonctionnaire ne pouvait pas mémoriser les réponses aux questions. Elle aurait toutefois pu mémoriser le contenu des ECM, annoncés dans les annonces pour les postes.

156        En plus des caractéristiques inhabituelles de ses notes préparatoires, il y avait les reproductions détaillées de tableaux. Certains ont été reproduits avec des boîtes et des cercles, alors que d’autres ne contenaient que des renseignements. Le tableau horizontal représentant le processus législatif était présenté verticalement dans les notes préparatoires; inversement, les points de transformation du BT ont été présentés horizontalement, alors qu’ils apparaissent verticalement dans la présentation PowerPoint du BT. Dans son témoignage, la fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait étudié un certain nombre de ces tableaux directement – les chiffres et les tableaux vont de pair avec son esprit mathématique. Une fois de plus, d’après son cheminement de carrière et les témoignages des différents témoins, il est plausible que les renseignements présentés en tableaux lui soient particulièrement faciles à mémoriser. La modification de certains tableaux (de vertical à horizontal ou l’inverse) peut être interprété, selon moi, comme un indice de mémorisation par opposition à la simple copie.

157        Le rapport de M. Picard semble démontrer que certaines notes ont été rédigées de travers et semblaient ajoutées, ce qui est constituait une preuve d’ajouts aux notes déjà rédigées. Je ne suis pas convaincue. Au beau milieu du gribouillage de toutes les choses qu’elle avait mémorisées, il est parfaitement concevable que la fonctionnaire puisse avoir pensé à des renseignements supplémentaires qu’elle a ajoutés, de travers parfois si l’espace avait déjà été utilisé. L’encre et l’écriture sont identiques.

158        Le défendeur n’a pas abordé était la question de la technique de la fonctionnaire, qui allait en apparence à l’encontre de ses intérêts. Si elle avait réellement apporté ses notes d’étude pour se préparer aux entrevues, il me semble qu’elle aurait eu le temps de mieux planifier les réponses aux questions. Selon la preuve tirée des notes des intervieweurs, la fonctionnaire n’a pas entièrement répondu aux questions. À mon avis, elle était tellement occupée à consigner ce qu’elle avait appris par cœur qu’elle n’a pas pris le temps d’examiner attentivement les questions. Son comportement aux entrevues appuie davantage l’hypothèse d’une personne se préparant en se concentrant simplement sur la rédaction, plutôt qu’une personne prenant le temps de réfléchir aux questions, aidée par des notes qu’elle avait fait entrer clandestinement.

159        Ultimement, c’est l’aspect physique des notes préparatoires que je trouve le plus convaincant – le flux continu d’écriture, les nombreuses abréviations, le style pressé, l’homogénéité intégrale des notes. Après les avoir examinées (je mentionne de nouveau le papier non froissé), et après avoir entendu la façon dont la fonctionnaire s’est préparée pour ses entrevues, je conclus qu’il est parfaitement vraisemblable qu’elle soit entrée dans les salles de préparation et qu’elle ait simplement consigné ce qu’elle avait mémorisé. Dans un cas, elle a apporté un bloc-notes et, dans l’autre, elle a oublié de sortir de sa serviette celui qu’elle avait apporté. Les notes suivent la séquence des questions d’entrevue dans le cas du processus de la DGA et comprennent des éléments ajoutés qu’elle considérait comme importants (tels que Objectif 2020). Pour le processus du BT, la fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait simplement consigné ce qu’elle avait mémorisé pour les sujets « C1, C2, CL », etc. Elle a à peine examiné les questions, préférant consigner par écrit tous les renseignements qu’elle avait mémorisés. Il ne s’agissait pas d’une stratégie gagnante, comme elle a été la première à l’admettre.

160        Pour prendre une décision, je dois comparer les deux explications. Celle du défendeur s’appuie sur l’impossibilité de mémoriser autant de renseignements et de les reproduire par écrit si rapidement. L’utilisation de documents non autorisés est alléguée, sans jamais identifier les documents ou préciser la façon dont ils ont été introduits.

161        L’explication de la fonctionnaire couvre tous les aspects, si l’on accepte qu’elle procède de manière inhabituelle et qu’elle est capable de mémoriser de grandes quantités de documents et d’écrire très rapidement. En ce qui concerne son approche inhabituelle, je n’arrive pas à y voir une indication de fraude. J’accepte les témoignages de M. Brohman, de Mme Knight et de Mme Halladay, selon lesquels la fonctionnaire est une employée très organisée qui accorde beaucoup d’attention aux détails et pour qui il est absolument essentiel d’être bien préparée. Les notes étaient inhabituelles, mais une fois de plus, sa préparation l’était tout autant, comme le démontrent la clé USB et son témoignage ainsi que celui des autres témoins sur l’étendue de sa mémorisation.

162        Dans ses conclusions finales, l’avocat de la fonctionnaire a mentionné un article sur la mnémonique. L’avocat du défendeur s’est opposé à la présentation tardive de la preuve. Je conviens avec l’avocat du défendeur qu’aucune preuve n’a été présentée pendant l’audience sur la mémorisation en tant que sujet technique et expertise. Ma décision n’est pas affectée par la tentative apparemment réussie d’un journaliste de mémoriser un jeu de cartes mélangé (deux, en fait) en cinq minutes.

163        Cependant, je crois que tout le monde sait que les pianistes de concert joueront, pendant des heures, parfois très rapidement, deux lignes distinctes d’une série de notes qui peuvent être altérées par des dièses et des bémols, sans jamais regarder une partition. Personne ne remet en question leur capacité, qui dépasse de loin ce qu’un musicien amateur pourrait faire. Je crois qu’au-delà du talent, cette grande capacité repose sur des heures et des heures de pratique. Cette idée n’est pas nouvelle – elle a été soulevée pour la première fois par le premier avocat de la fonctionnaire en réponse aux enquêtes du défendeur. J’admets que le lien entre un concerto de Rachmaninoff et la prose ampoulée des sites Web gouvernementaux peut ne pas être évident, mais le principe de base demeure le même. Avec de la pratique et de la concentration, une personne peut absorber une grande quantité de renseignements, notamment s’ils suivent une tendance familière. La rapidité des mains peut être développée. Aucun des rapports ne s’est jamais sérieusement penché sur cette possibilité. Cependant, plusieurs témoins qui ont travaillé avec la fonctionnaire ont confirmé qu’elle rédigeait des notes inhabituellement claires, détaillées et complètes lors des réunions.

164        Je suis donc confrontée à deux versions contradictoires des événements. La version du défendeur comprend des [traduction] « documents non autorisés », qui sous-tend une fraude et justifie le licenciement. Le problème dans la thèse du défendeur est qu’il n’existe aucune explication quelconque quant à la façon ou le moment où les documents non autorisés sont apparus; leur contenu n’a jamais été précisé.

165        L’autre version est celle de la fonctionnaire, qui explique tous les détails des événements et exige seulement que l’on accepte qu’il soit possible de mémoriser une grande quantité de renseignements et d’écrire rapidement. J’accepte cette possibilité. La preuve de la fonctionnaire et des autres témoins a confirmé que la fonctionnaire était en mesure de le faire.

166        Entre les deux versions, je conclus que celle de la fonctionnaire est la plus crédible, en me fondant sur Faryna. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, orale, écrite et physique, je conclus que le défendeur n’a pas présenté une preuve claire et convaincante qu’une fraude a été commise dans les deux processus de dotation.

V. Réparation

167        La fonctionnaire a demandé à être réintégrée dans le poste qu’elle occupait lorsqu’elle a été suspendue en janvier 2015. Ce poste a depuis été reclassifié au niveau EX-03. L’avocat du défendeur a fait valoir que, si je tranchais en faveur de la fonctionnaire et que j’ordonnais sa réintégration, celle-ci devrait être au niveau EX-02, soit le niveau auquel elle était classifiée au moment de sa suspension en janvier 2015.

168        La fonctionnaire a droit au poste qu’elle occupait au moment de son licenciement sans motif valable. La preuve qu’elle a présentée, qui n’a pas été contredite par une preuve quelconque du défendeur, était que son poste était en voie d’être reclassifié pendant qu’elle était toujours au travail et qu’elle avait en fait travaillé avec l’agent de classification sur la nouvelle description de travail.

169        Compte tenu de ce qui précède, la fonctionnaire a droit à son poste au niveau reclassifié, à compter de la date d’entrée en vigueur de la reclassification. Je ne suis saisie d’aucune preuve qui me porterait à conclure que, si elle était demeurée au travail, elle n’aurait pas conservé son poste reclassifié. Son gestionnaire a insisté pour qu’elle demeure à son poste plutôt que d’accepter l’offre pour un poste EX-03 intérimaire. Cependant, elle a encouragé la fonctionnaire à participer au processus du BT afin de faire partie du répertoire EX-03. Si sa carrière n’avait pas été interrompue, en tenant compte de sa trajectoire et de la preuve non contredite présentée à l’audience concernant la reclassification de son poste, je n’ai aucun doute qu’elle serait aujourd’hui classifiée au niveau EX-03.

170        La fonctionnaire a droit non seulement à son salaire, mais aussi aux primes de rendement qu’elle aurait reçues (d’après son expérience), de même qu’à des intérêts au taux des obligations d’épargne du Canada à l’égard de toutes les sommes dues, avec la déduction de tout revenu gagné depuis son licenciement du montant à payer.

171        La fonctionnaire a demandé des dommages moraux pour le préjudice subi pendant cette épreuve. Elle a également demandé des dommages pour l’atteinte à sa réputation. On m’a renvoyée à Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports),2010 CRTFP 70, et Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux),2010 CRTFP 83, en guise d’exemples d’affaires où l’ancienne Commission (la Commission des relations de travail dans la fonction publique) a accordé des dommages pour le comportement fautif de l’employeur.

172         Dans Robitaille, le fonctionnaire avait fait l’objet d’une plainte de harcèlement, ce qui avait entraîné une réaffectation à un autre lieu de travail, avec moins de responsabilités. L’arbitre de grief a conclu que la plainte de harcèlement n’était pas fondée et que le fonctionnaire avait été mal traité sans relâche par l’employeur, qui avait mené une enquête injuste teintée de nombreux défauts procéduraux et substantiels. L’arbitre de grief a octroyé des dommages compensatoires et punitifs, et les dommages ont été confirmés lors du contrôle judiciaire (Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2011 CF 1218).

173        Dans Tipple, le fonctionnaire a été licencié à la suite de la parution d’une série d’articles dans les médias qui dénonçait faussement des actes d’inconduite. L’employeur a empêché M. Tipple de défendre sa réputation dans les médias, lui causant de la détresse psychologique, une perte de réputation et une perte de revenus à la suite de son licenciement. L’arbitre de grief a octroyé des dommages pour la perte de réputation et la blessure psychologique.

174        En l’espèce, la fonctionnaire a d’abord été suspendue avec traitements, en attendant l’issue de l’enquête. Elle a été suspendue sans traitement au moment où le défendeur a eu l’impression qu’il avait une preuve d’acte répréhensible. Elle a été licenciée deux mois plus tard, le licenciement étant antidaté au début de la suspension sans traitement.

175        J’ai déjà conclu que le défendeur n’avait pas de preuve suffisante pour licencier la fonctionnaire. Cependant, je n’arrive pas à la conclusion que le défendeur a agi de mauvaise foi. Il a fondé sa décision sur les conclusions de quatre enquêtes et, pendant l’essentiel de cette période, la fonctionnaire a reçu son salaire. Je ne tiens pas à minimiser la détresse que cette situation lui a causée, mais cette détresse a découlé de l’enquête et du licenciement, non pas de la manière dont ils ont été menés. Je ne vois pas dans la présente affaire la persécution persistante que l’on observait dans Robitaille ou la diffamation très publique qui a eu lieu dans Tipple. Je crois que sa réintégration dans un poste EX-03 l’indemnise intégralement.

176        En raison de son poste de gestion, la fonctionnaire n’était pas représentée par un agent négociateur. Elle a dû retenir les services d’un avocat pour défendre son affaire difficile et complexe. Dans Robitaille, l’arbitre de grief a contourné le manque de compétence de la Commission afin d’ordonner des dépens en faisant en sorte que les pertes subies par M. Robitaille pour payer ses frais juridiques soient remboursées par l’employeur. La Cour fédérale est arrivée à la conclusion qu’il s’agissait d’une erreur (2011 CF 1218). La décision de la Cour suprême du Canada dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, a en outre confirmé qu’en l’absence d’un libellé précis de sa loi habilitante, un tribunal administratif ne peut pas ordonner des dépens. Dans la présente affaire en particulier, je trouve que cela est très malheureux, mais je suis liée par la loi et la jurisprudence. Je ne peux pas ordonner de dépens et je ne peux pas ordonner de dommages pour couvrir les dépens.

177        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

178        Le grief de licenciement est accueilli.

179        La fonctionnaire est réintégrée dans son poste à compter de la date de licenciement, avec plein salaire et avantages sociaux, au niveau EX-03. Le salaire doit être versé au niveau EX-03 à compter de la date d’entrée en vigueur de la reclassification.

180        La fonctionnaire doit recevoir les primes de rendement qu’elle aurait gagnées, d’après son expérience.

181        Des intérêts doivent être ajoutés, au taux des obligations d’épargne du Canada, au salaire et aux primes de rendement. Tout revenu gagné par la fonctionnaire depuis le 3 août 2015 doit être déduit du montant à payer.

182        Je demeure saisie de l’affaire pendant 90 jours à compter de la date de publication de la présente décision afin de régler toute question découlant de la mise en œuvre de la présente ordonnance.

Le 31 janvier 2017.

Traduction de la CRTEFP

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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