Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont demandé le contrôle judiciaire de la décision de rejeter leurs griefs relatifs à leur suspension et à leur licenciement (2011 CRTFP 99) – la Cour fédérale a accueilli en partie le contrôle judiciaire – les griefs relatifs à la suspension et au licenciement ont été renvoyés à la Commission afin d’obtenir une nouvelle décision en ce qui a trait à la question de la tolérance – l’employeur avait suspendu les fonctionnaires s’estimant lésés pour insubordination (dénonciation) – ils ont contesté le délai entre les incidents et l’imposition de la mesure disciplinaire – la Commission a soupesé l’explication relative au délai présentée par l’employeur par rapport au préjudice subi par les fonctionnaires s’estimant lésés – la Commission a conclu que le défaut de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire en temps opportun ou de justifier le délai à cet égard constituait de la tolérance à l’égard du comportement des fonctionnaires s’estimant lésés – ils auraient dû avoir l’occasion de rectifier le comportement contesté – une fois cette conduite tolérée, l’employeur ne pouvait pas s’appuyer sur cette même conduite pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire – les griefs liés à la suspension ont été accueillis – en ce qui a trait aux griefs liés au licenciement, le dossier disciplinaire du premier fonctionnaire s’estimant lésé comprenait deux suspensions – suivant les principes relatifs aux mesures disciplinaires progressives, son insubordination et son absence de remords constituaient une inconduite grave justifiant l’imposition d’un licenciement – l’examen du dossier disciplinaire du deuxième fonctionnaire s’estimant lésé n’a révélé aucune suspension – dans le cas du deuxième fonctionnaire s’estimant lésé, la Commission a conclu qu’il y avait lieu d’imposer une mesure disciplinaire – le licenciement a été remplacé par une suspension de 20 jours.Deux griefs liés à la suspension ont été accueillis. Un grief lié au licenciement a été accueilli.Un grief lié au licenciement a été rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20160922
  • Dossier:  166-02-34330, 34331, 34767 et 34768
  • Référence:  2016 CRTEFP 89

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SHIV CHOPRA ET MARGARET HAYDON

fonctionnaires s'estimant lésés

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Santé)

employeur

Répertorié
Chopra c. Administrateur général (ministère de la Santé)


Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
Ian Mackenzie, arbitre de grief
Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
David Yazbeck, avocat
Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 24 au 27 mars 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I - Introduction

1        Shiv Chopra et Margaret Haydon, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), ont demandé un contrôle judiciaire de la décision que j’ai rendue relativement à leurs griefs concernant leur suspension et leur licenciement (2011 CRTFP 99). La Cour fédérale a accueilli partiellement le contrôle judiciaire et m’a renvoyé l’affaire aux fins d’une nouvelle décision, conformément à ses motifs (Chopra c. Canada (Procureur général), 2014 CF 246). En mars 2015, j’ai entendu les arguments sur la tolérance de l’employeur en ce qui concerne la conduite des fonctionnaires qui a entraîné leur suspension, et les arguments sur le caractère approprié de leur licenciement si je faisais droit aux griefs concernant la suspension en tout ou en partie.

2        L’employeur a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale. La décision de la Cour d’appel fédérale, qui a confirmé la décision rendue en contrôle judiciaire, a été rendue le 22 septembre 2015 (Chopra c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 205).

II. Aperçu de la décision de la Cour fédérale

3        La Cour fédérale a rédigé des motifs détaillés. L’ordonnance figure à la prochaine section. J’ai également reproduit certaines parties des motifs ayant trait aux questions dont je suis saisi.

A. Jugement et ordonnance

4        La Cour a rendu l’ordonnance suivante :

  • la suspension de 10 jours du Dr Chopra a été confirmée;
  • la suspension de 10 jours de la Dre Haydon pour dénonciation m’a été renvoyée afin que je tranche la question relative à la tolérance dont a fait preuve l’employeur;
  • la suspension de 20 jours du Dr Chopra pour dénonciation m’a été renvoyée afin que je tranche la question relative à la tolérance dont a fait preuve l’employeur;
  • Le grief relatif au licenciement du Dr Chopra m’a été renvoyé afin de déterminer le caractère approprié de la mesure disciplinaire uniquement si sa suspension de 20 jours est modifiée ou annulée;
  • Le grief relatif au licenciement de la Dre Haydon m’a été renvoyé afin de déterminer le caractère approprié de la mesure disciplinaire en fonction de ce qui suit : a) sans égard de sa suspension pour dénonciation en 2001; b) en tenant compte de toute modification ou annulation de sa suspension pour dénonciation de 10 jours.

B. Motifs

5        Lorsqu’elle a rendu cette ordonnance, dans les motifs, la Cour fédérale a formulé des observations pertinentes à cette nouvelle audience.

1. Mesure disciplinaire non valide imposée à la Dre Haydon

6        La Cour fédérale a souligné que je n’avais pas abordé la question relative au fait que l’employeur s’était appuyé sur la mesure disciplinaire imposée à la Dre Haydon en 2001. La Cour fédérale a conclu que, selon le témoignage de Diane Kirkpatrick, cette dernière avait tenu compte des suspensions imposées en 2001 et en 2004 pour parvenir à sa décision de licencier la Dre Haydon. La mesure disciplinaire imposée en 2001 était assujettie à une « clause d’extinction » de la convention collective et elle ne faisait pas partie du dossier disciplinaire de la fonctionnaire au moment de son licenciement.

2. Griefs relatifs à la dénonciation

7        La Cour fédérale m’a ordonné d’examiner davantage l’argument relatif à la tolérance. Cet argument porte sur le délai écoulé avant que l’employeur ne prenne une mesure disciplinaire à l’égard des fonctionnaires relativement à la dénonciation.

8        Aux paragraphes 109, 110, et 196 à 198 de sa décision, la Cour fédérale a résumé les principes juridiques pertinents quant à la tolérance, lesquels ont été abordés dans les motifs de la présente décision. Toutefois, la Cour fédérale a formulé certaines observations quant aux faits de l’espèce présentés par les fonctionnaires et qui sont pertinents à cette nouvelle audience.

9        Au paragraphe 205 de sa décision, la Cour fédérale a déclaré que « […] il s’agissait de déterminer [si les fonctionnaires] avaient été avertis en temps opportun que leur employeur estimait que leurs propos justifiaient la prise de mesures disciplinaires. » La Cour fédérale a conclu que le défaut de l’employeur d’avertir les fonctionnaires que leurs propos justifiaient la prise de mesures disciplinaires devait être considéré dans le contexte des commentaires positifs que le sous-ministre a faits en ce qui concerne les témoignages du Dr Chopra et de la Dre Haydon devant un comité sénatorial. La Cour fédérale a indiqué que le témoignage des fonctionnaires devant le comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts comprenait des critiques au sujet des compétences de leurs superviseurs et des allégations de pressions et de mesures de représailles.

10        Au paragraphe 208 de sa décision, la Cour fédérale a conclu que les fonctionnaires avaient été informés que les processus de recherche des faits n’étaient pas de nature disciplinaire et que l’employeur les avait laissés « faire de nombreuses déclarations publiques au cours d’une longue période, sans jamais les informer que, à son avis, leurs propos justifiaient la prise de mesures disciplinaires ».

11        La Cour fédérale a conclu que l’employeur était au courant des commentaires et elle a conclu qu’il n’existe aucun argument selon lequel le retard d’imposer une mesure disciplinaire pouvait être justifié au motif que l’employeur n’en avait eu connaissance que peu de temps auparavant.

12        La Cour a également indiqué que Mme Kirkpatrick était au courant que les fonctionnaires avaient l’intention de faire des dénonciations avant qu’ils reçoivent les commentaires, au moins à deux occasions, et qu’elle ne leur avait pas demandé de s’abstenir de le faire, mais qu’elle leur avait plutôt rappelé leurs responsabilités en tant que fonctionnaires (voir le paragraphe 210).

13        Au paragraphe 211 de sa décision, la Cour fédérale a souligné que, même si Mme Kirkpatrick a rédigé une lettre à l’intention de l’avocat des fonctionnaires (le 31 juillet 2003) soulignant que les activités inappropriées pourraient entraîner la prise de mesures disciplinaires, « […] elle n’a jamais informé le Dr Chopra et la Dre Haydon, […] qu’elle jugeait leurs propos inappropriés ».

14        Au paragraphe 212 de sa décision, la Cour fédérale a également conclu que rien ne donne à penser, dans les faits rapportés par l’employeur, qu’il y avait eu un [traduction] « […] ‘incident culminant’ après lequel il n’était plus possible pour l’employeur de se montrer tolérant ».

15        Au paragraphe 214 de sa décision, la Cour fédérale a souligné que, même s’il était raisonnable que l’employeur attende le rapport d’enquête du Bureau de l’intégrité de la fonction publique (le « BIFP ») (en date du 21 mars 2003), cela ne justifie pas les huit autres mois écoulés avant la prise de mesures disciplinaires contre le Dr Chopra et les 10 autres mois écoulés avant la prise de mesures disciplinaires contre la Dre Haydon.

16        La Cour fédérale a indiqué que je n’avais pas parlé de l’explication de l’employeur selon laquelle l’absence des lieux de travail du Dr Chopra en février et mai 2003 avait joué un rôle dans le report de la prise de mesures disciplinaires. La Cour a également souligné que « rien n’explique vraiment » pourquoi l’employeur a attendu sept autres mois après le retour du Dr Chopra au travail pour lui imposer des mesures disciplinaires à la suite des propos qu’il a formulés en public (au paragraphe 215). La Cour a de plus souligné qu’elle ne voyait pas très bien non plus de quelle façon l’absence des lieux de travail de la Dre Haydon en janvier 2004 pourrait expliquer le fait qu’aucune mesure disciplinaire n’a été prise contre elle durant les neuf mois écoulés entre la diffusion du rapport d’enquête du BIFP et son absence des lieux de travail (au paragraphe 215).

17        La Cour fédérale a indiqué que les mesures disciplinaires prises contre les fonctionnaires étaient fondées en partie sur le caractère répétitif de leur inconduite alléguée. La question de savoir si le retard à prendre des mesures disciplinaires a causé un préjudice aux fonctionnaires constituait un facteur à prendre en compte pour évaluer les suspensions (au paragraphe 216).

18        La Cour fédérale a également déclaré ce qui suit :

[218] Je ne suis pas prête à formuler des hypothèses sur ce que les demandeurs auraient ou n’auraient pas fait s’ils avaient été visés, en temps opportun, par des mesures disciplinaires pour s’être exprimés en public. Les principes établis dans la jurisprudence arbitrale relativement au retard à prendre des mesures disciplinaires et au concept de tolérance visent à faire en sorte que les employés aient l’occasion de modifier un comportement qui, selon l’employeur, justifie la prise de mesures disciplinaires. Le Dr Chopra et la Dre Haydon étaient peut-être conscients de la possibilité que des mesures disciplinaires soient prises, mais ils n’ont jamais eu l’occasion de décider de façon éclairée s’il convenait qu’ils prennent le risque de continuer à faire des déclarations publiques étant donné que leur employeur ne les a pas informés, avant de prendre des mesures disciplinaires à leur encontre, qu’il estimait que leurs propos justifiaient la prise de mesures.

[219] Encore une fois, je n’ai pas à me prononcer sur les conséquences que tout cela a eues; cette tâche incombait à l’arbitre qui devait mettre en balance l’explication fournie par Santé Canada pour justifier son retard et le préjudice, s’il en est, que ce retard a causé aux Drs Chopra et Haydon. Or, en l’espèce l’arbitre ne s’est aucunement livré à cet exercice.

III. Portée de la nouvelle audience

19        Les parties ont soulevé des questions quant à la portée de la nouvelle audience. Ces questions sont survenues dans le contexte où l’employeur décrivait une pièce (G-267) préparée par la Dre Kirkpatrick et établissait une chronologie des événements. L’avocat des fonctionnaires a soutenu que je ne m’étais pas appuyé sur cette pièce dans la décision initiale et que l’employeur ne pouvait pas présenter de nouveau des arguments sur son cas dans le cadre de la nouvelle audience. Il a également souligné que l’employeur ne s’était jamais fié à cette chronologie pour étayer le délai. Dans le cadre de l’audience, la chronologie a été présentée au moment où le licenciement du Dr Lambert faisait l’objet d’un examen (dans 2011 CRTFP 99). L’avocat des fonctionnaires a soutenu qu’il serait inapproprié de s’y appuyer aux fins de l’analyse de la tolérance. L’avocat des fonctionnaires a fait valoir que j’étais très limité en ce qui concerne la portée de la présente audience et que je n’avais pas à [traduction] « consolider » ma décision. Il a soutenu que j’étais limité à examiner ce qui était énoncé dans la décision de la Cour fédérale.

20        L’avocate de l’employeur m’a renvoyé au paragraphe 414 de la décision, où la Cour fédérale souligne que la nouvelle audience doit se dérouler à partir du dossier existant. Elle a soutenu que si la Cour fédérale avait eu l’intention de limiter la portée de l’audience aux éléments de sa décision ou de la mienne, elle l’aurait indiquée. De plus, elle a soutenu que j’avais le droit de tenir compte de tous les éléments de preuve, tout en soulignant qu’il était pratiquement impossible d’inclure tous les éléments de preuve dans une décision.

21        J’ai réservé ma décision relative à cette opposition pour la nouvelle audience.

22        Je conclus que je suis, à juste titre, saisie du document invoqué par l’employeur (pièce G-267) et que je peux en tenir compte dans le cadre de cette nouvelle audience. La Cour fédérale a clairement établi que la nouvelle audience des griefs sur la suspension doit s’appuyer uniquement sur le dossier existant et qu’aucun nouvel élément de preuve ne peut être déposé par l’une ou l’autre des parties. La Cour fédérale a également déclaré que les parties auront l’occasion de formuler des observations supplémentaires relativement aux questions en suspens. Elle n’a pas limité les parties quant à leurs observations. Par conséquent, je conclus que les deux parties pouvaient renvoyer aux éléments de preuve figurant au dossier dans le cadre de leurs observations. J’ai traité le bien-fondé des arguments de l’employeur relativement à ce document (pièce G-267) dans mes motifs. Tel qu’il sera établi, j’ai conclu que les activités de Mme Kirkpatrick (décrites à la pièce G-267) ne justifient ni n’excusent le retard important à prendre des mesures disciplinaires contre les fonctionnaires après la conclusion de l’enquête du BIFP.

IV. Résumé de l’argumentation

23        Les parties ont formulé des arguments oraux détaillés et ont invoqué les arguments présentés à la Cour fédérale. J’ai résumé les arguments oraux et j’ai tenu compte de tous les arguments afin de parvenir à cette décision.

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

24        L’avocat des fonctionnaires a fait valoir que la décision de la Cour fédérale avait clairement établi que l’employeur avait fait preuve de tolérance. Ils ont également soutenu que les principes relatifs aux mesures disciplinaires progressives exigeaient qu’ils soient réintégrés dans leurs fonctions.

25        L’avocat a également fait valoir que je suis lié par les constatations de la Cour fédérale à l’égard de la mesure disciplinaire non valide imposée à la Dre Haydon.

26        L’avocat des fonctionnaires a examiné attentivement les sections pertinentes de la décision de la Cour fédérale que j’ai résumées plus tôt dans la présente décision.

27        L’avocat a fait valoir que les fonctionnaires n’avaient pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire relativement à leur conduite. Lorsque cette même conduite a eu lieu de nouveau, elle n’a pas non plus fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Il a affirmé que la Cour fédérale avait souligné qu’il ne semblait pas y avoir de différence entre les affirmations qui ont été confirmées par une décision antérieure de la Cour fédérale (Haydon c. Canada, [2001] 2 RCF 82 (T.D.); « Haydon no 1 ») et celles pour lesquelles les fonctionnaires ont fait l’objet d’une mesure disciplinaire. L’avocat a fait valoir que les fonctionnaires avaient le droit de supposer qu’ils pouvaient respecter les nombres établis dans cette décision antérieure de la Cour fédérale.

28        L’avocat m’a renvoyé à la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans McIntyre v. Hockin, [1889] O.J. No. 36 (QL), au paragr. 13, qui renvoie à [traduction] « toute période de temps considérable » au moment de pondérer s’il y a eu tolérance. Il a indiqué que le retard dans cette affaire était au-delà de toute période de temps considérable. Il a également fait valoir que l’administrateur général pourrait être considéré comme un employeur averti qui connaît les mesures qu’il est approprié de prendre au moment d’imposer une mesure disciplinaire. L’avocat a passé en revue un éventail de décisions portant sur des griefs relatifs à la dénonciation et où les retards liés à l’imposition d’une mesure disciplinaire étaient considérablement moindres que ceux en l’espèce. Il m’a également renvoyé aux « Lignes directrices concernant la discipline » du Conseil du Trésor (pièce G-288) qui stipule que la mesure disciplinaire devrait être exécutée en temps opportun.

29        L’avocat s’est également appuyé sur les quatre facteurs de tolérance établis dans Canadian Union of Public Employees, Local 1718 v. Stapleford Medical Management Inc., [2007] S.L.A.A. No. 3 (QL) au paragr. 81 :

[Traduction]

[…]

  1. un retard déraisonnable peut indiquer une tolérance de l’employeur;
  2. le droit de l’employé à l’équité procédurale doit être préservé;
  3. un retard prive effectivement le fonctionnaire de la possibilité de se défendre;
  4. l’exigence relative à une mesure disciplinaire rapide est un principe arbitral général applicable, même en l’absence d’un préjudice ou d’une iniquité pour l’employé.

[…]

30        Il a fait valoir que ces quatre facteurs étaient en cause dans la présente affaire.

31        L’avocat a fait valoir que, selon la conclusion de la Cour fédérale, au paragraphe 199, l’administrateur général n’a pris aucune mesure et n’a pas prévenu les fonctionnaires. Il a également soutenu que la Cour fédérale avait conclu que l’exercice de recherche de faits mené par l’employeur n’était pas un processus disciplinaire et que, par conséquent, il ne s’agissait pas d’un facteur dans la détermination de la question relative à la tolérance.

32        L’avocat a également soutenu que la Cour fédérale avait conclu, au paragraphe 208, que l’employeur avait [traduction] « […] laissé le Dr Chopra et la Dre Haydon faire de nombreuses déclarations publiques au cours d’une longue période, sans jamais les informer que, à son avis, leurs propos justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire ». L’avocat a soutenu que l’employeur avait l’obligation absolue d’informer les fonctionnaires que leur comportement était inapproprié.

33        L’avocat a également fait valoir que la Cour fédérale avait clairement établi que l’employeur ne s’était pas fondé sur un incident culminant pour  la mesure disciplinaire et qu’il n’avait pas le droit de le faire à l’occasion de cette nouvelle audience.

34        L’avocat a fait valoir que la Cour fédérale avait conclu qu’il n’y avait rien pour appuyer les retards de sept et de neuf mois relatifs à l’imposition d’une mesure disciplinaire. Il a également fait valoir que l’employeur ne pouvait pas s’appuyer sur la nature répétitive des commentaires des fonctionnaires, puisqu’il leur a permis de formuler ces commentaires. Il a affirmé que si la nature répétitive des actes est éliminée, une partie essentielle des motifs relatifs à une mesure disciplinaire est éliminée.

35        L’avocat a également fait valoir que la déclaration de la Cour fédérale selon laquelle les fonctionnaires « […] n’ont jamais eu l’occasion de décider de façon éclairée s’il convenait qu’ils prennent le risque de continuer à faire des déclarations publiques étant donné que leur employeur ne les a pas informés, avant de prendre des mesures disciplinaires à leur encontre, qu’il estimait que leurs justifiaient la prise de mesures » (au paragraphe 218) était concluante et déterminante des griefs de dénonciation.

36        L’avocat a fait valoir que, par conséquent, les griefs contre la mesure disciplinaire pour dénonciation devraient être accueillis. De plus, il a fait valoir que les griefs de licenciement devraient également accueillis, car l’employeur s’est appuyé sur une mesure disciplinaire progressive au moment des licenciements.

37        L’avocat m’a renvoyé à Telus Communications Inc. v. Telecommunications Workers Union, 2012 CanLII 39240, qui porte sur la doctrine de l’incident culminant. Il a fait valoir qu’aucun incident culminant n’avait été démontré et que j’avais tranché le caractère approprié du licenciement du Dr Chopra en fonction de son dossier disciplinaire. Il a également insisté sur l’importance de la mesure disciplinaire progressive et a affirmé que, dans le cas de l’annulation d’une étape de cette progression, chacune des autres étapes serait touchée. Il a soutenu que la suspension de 20 jours était la mesure disciplinaire la plus importante des trois suspensions utilisées pour justifier le licenciement du Dr Chopra. Il a affirmé que, par conséquent, il s’ensuit que si la suspension de 20 jours est retirée, le licenciement ne peut pas être justifié. Il a également prétendu que la tâche consiste donc à examiner l’étendue appropriée de la mesure disciplinaire, sans toutefois se rendre jusqu’au licenciement.

38        En ce qui concerne la Dre Haydon, l’avocat a fait valoir que sa suspension de 10 jours devait être annulée pour les motifs établis par la Cour fédérale. À la lumière de l’élimination de cette importante mesure disciplinaire, son licenciement n’était pas justifié.

39        L’avocat a fait valoir que, dans King c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)), 2010 CRTFP 125 (confirmée dans 2012 CF 488 et 2013 CAF 131), l’employeur s’est appuyé sur une mesure disciplinaire progressive pour justifier le licenciement. Dans cette affaire, il y avait des actes d’inconduite similaires, ce qui n’est pas le cas de la présente affaire. De plus, 45 jours de suspension étaient au dossier. En l’espèce, les dossiers disciplinaires des fonctionnaires demeureront bien en deçà de 45 jours. En outre, avec l’annulation de la suspension de 20 jours du Dr Chopra, plus de la moitié de la durée de la mesure disciplinaire sera retirée de son dossier disciplinaire.

40        L’avocat a fait valoir que toute décision autre qu’une annulation des licenciements permettra à l’employeur de débattre à nouveau de sa preuve.

41        En ce qui a trait au licenciement de la Dre Haydon, l’avocat a soutenu que la clause d’extinction de la convention collective est un droit obligatoire et fondamental; voir Labourers’ International Union of North America, Local 506 v. Tri-Krete Ltd., [2012] O.L.A.A. No. 302 (QL) au paragr. 80. Dans cette affaire, l’arbitre de grief a affirmé qu’un employeur n’a pas de motif valable d’imposer une mesure disciplinaire s’il s’appuie sur une mesure disciplinaire antérieure visée par la clause d’extinction. L’avocat a fait savoir qu’un congédiement est nul et sans effet si un employeur s’est appuyé sur une mesure disciplinaire non valide antérieure pour l’appuyer.

42        L’avocat a fait valoir que les griefs contre la mesure disciplinaire pour dénonciation devraient être accueillis et que les fonctionnaires devraient recevoir la paie et les prestations perdues pour la durée de leur suspension. Les fonctionnaires devraient être réintégrés dans leurs postes, moins toute mesure disciplinaire appropriée. Il a également fait valoir que je devrais conserver ma compétence dans l’éventualité où les parties ne seraient pas en mesure de parvenir à un accord relativement aux pertes subies par les fonctionnaires et de traiter toutes les affaires découlant de la présente ordonnance.

B. Pour l’employeur

43        L’avocate de l’employeur a fait valoir que je ne suis aucunement lié à l’analyse et aux commentaires de la Cour fédérale à propos de la dénonciation des fonctionnaires. Elle a soutenu que la seule directive figurant dans la décision de la Cour fédérale est que je ne tienne pas compte de la suspension de 2011 de la Dre Haydon. L’ordonnance de la Cour fédérale stipule uniquement que l’affaire m’est renvoyée, conformément aux motifs de la Cour fédérale. L’avocate a fait valoir que je ne suis pas lié par l’analyse de la Cour fédérale, parce qu’il est dans la nature même d’un contrôle judiciaire qu’un juge ne se « substitut » pas à l’arbitre de grief pour rendre une conclusion de fait. Elle a fait valoir que le juge m’avait renvoyé la présente décision afin d’achever l’analyse de la tolérance et qu’elle ne m’instruisait pas de tirer certaines conclusions.

44        On m’a renvoyé à Rafuse c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2002 CAF 31, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’un tribunal n’a pas le loisir de substituer ses conclusions de fait dans le cadre d’un contrôle judiciaire. On m’a également renvoyé à Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Maan, 2005 CF 1682, et à Parmalat Canada Inc. c. Sysco Corporation, 2008 CF 1104. L’avocate a fait valoir que l’expression « conformément aux présents motifs » signifie simplement que la Cour fédérale a établi les questions que j’aurais dû examiner, puis fourni des conseils sur la façon de les examiner.

45        L’avocate a soutenu que la Cour fédérale ne m’avait pas demandé de conclure à la tolérance. Au lieu de cela, elle m’a instruit d’examiner l’argument relatif au retard au moment d’imposer une mesure disciplinaire et la question de savoir si ce retard devrait entraîner des conséquences. Elle a souligné que la Cour fédérale, au paragraphe 218 de sa décision, a affirmé « [qu’elle n’était] pas prête à formuler des hypothèses » et, au paragraphe 219, qu’« […] [elle n’avait] pas à se prononcer sur les conséquences que tout cela a eu ».

46        L’avocate a soutenu que ma tâche consiste à pondérer le préjudice subi par les fonctionnaires par rapport aux motifs du retard. En ce qui concerne la tolérance, l’avocate a mentionné McIntyre, dans laquelle la Cour d’appel de l’Ontario a affirmé ce qui suit au paragr. 13 :

[Traduction]

[…]

[…] Il ne fait aucun doute que l’employeur devrait disposer d’une période de temps raisonnable pour déterminer ce qu’il doit faire, pour examiner s’il congédiera ou non, ou pour chercher un autre serviteur. Donc, il doit également connaître pleinement la nature et l’étendue de la faute, car il ne peut pas pardonner ou absoudre des questions dont il n’est pas pleinement informé. En outre, la tolérance est assujettie à une condition implicite de bonne conduite future […].

[…]

47        L’avocate a fait valoir que la tolérance nécessite un geste actif de pardon de la part de l’employeur. En outre, l’employé devrait comprendre, dans une certaine mesure, que ce qu’il ou elle fait est mal. Selon sa description, la tolérance sous-tend une [traduction] « réciprocité ». Dans le cas du retard, l’employé ignore que l’employeur n’approuve pas, et c’est là qu’entre en jeu le préjudice subi par l’employé. Selon sa description, il s’agit de l’ignorance de l’employé quant à l’intention de l’employeur.

48        L’avocate a affirmé qu’un retard est une question procédurale et non de fond; voir British Columbia v. British Columbia Government & Service Employees’ Union (1995), 47 L.A.C. (4th) 238 à 245.

49        L’avocate a soutenu qu’au moment d’examiner ce qui constitue un délai raisonnable en ce qui a trait à un retard, il faut se pencher sur les circonstances de chaque cas (voir Renae c. Champs Mushrooms Inc., [2014] C.L.A.D. no 55 (QL)).

50        L’avocate m’a également renvoyé à Re Nova Scotia (Public Service Commission) and NSGEU (Maclean), 2005 CarswellNS 717. Elle a soutenu qu’il est important de se pencher sur la nature du préjudice subi par l’employé. En outre, elle a affirmé qu’on ne pouvait pas déduire qu’il y a eu préjudice – il doit exister une certaine preuve; voir Abitibi-Consolidated Inc. v. International Assn. of Machinists and Aerospace Workers, Local 771, [2000] O.L.A.A. no 81 (QL). De plus, cette affaire établit les questions suivantes auxquelles il faut répondre : Le retard était-il déraisonnable? A-t-il amené le fonctionnaire à conclure qu’il y avait eu tolérance? A-t-il porté atteinte à la capacité du fonctionnaire de se défendre contre les allégations?

51        L’avocate a soutenu que j’avais clairement établi, au paragraphe 457 de ma décision, le caractère raisonnable du retard à prendre des mesures disciplinaires; il ressort clairement que l’employeur était préoccupé par le fait qu’ils s’adressaient aux médias. Elle a passé en revue la preuve de l’audience, dans laquelle le Dr Chopra a reconnu publiquement qu’une mesure disciplinaire était une possibilité. Elle a également signalé que lors d’une séance sur l’irradiation des aliments, le Dr Chopra avait laissé entendre qu’il reconnaissait qu’il avait reçu un avertissement de la part de Mme Kirkpatrick. Le Dr Chopra a également reconnu dans des entrevues que des mesures disciplinaires pourraient s’ensuivre de ses actions. L’avocate a affirmé que le Dr Chopra ne pouvait pas revenir sur ces affirmations pendant la nouvelle audience.

52        L’avocate m’a également renvoyé à la correspondance des fonctionnaires (datée du 8 août 2002; pièce E-15, onglet C-7) à propos des entrevues de recherche de faits, dans laquelle ils ont souligné que [traduction] « […] les questions sous-jacentes pourraient entraîner des conséquences très graves pour notre emploi ». Selon l’avocate, il s’agissait d’une reconnaissance que leurs emplois étaient en jeu et qu’il était manifeste que les fonctionnaires savaient que l’employeur ne leur pardonnait pas leurs actions. L’avocate a également affirmé que la croyance alléguée des fonctionnaires selon laquelle ils avaient le droit de dire ce qu’ils disaient en raison de la décision de la Cour fédérale (Haydon no 1) et les affirmations de M. Dodge n’étaient pas appuyées par les affirmations des fonctionnaires selon lesquelles leurs emplois étaient en jeu. L’avocate m’a en outre renvoyé à la transcription de la preuve du Dr Chopra, dans laquelle ce dernier tient des propos désobligeants à l’égard des commentaires de l’administrateur général. Elle a fait valoir que cela démontrait que, pendant la période pertinente, le Dr Chopra ne croyait pas que l’administrateur général l’autorisait à s’adresser aux médias.

53        L’avocate a soutenu que la politique du Conseil du Trésor prévoit que les enquêtes de recherche de faits ne sont pas une mesure disciplinaire, mais une étape dans le processus qui peut aboutir, en dernier ressort, à une mesure disciplinaire. L’avocate a fait valoir que le malentendu de la Cour fédérale à ce sujet était compréhensible. Elle m’a renvoyé à une lettre en preuve de l’avocat des fonctionnaires, dans laquelle il mentionne la possibilité d’une mesure disciplinaire (pièce E-15, onglet G-6). Elle a fait valoir qu’il s’agissait d’une reconnaissance, de la part du représentant des fonctionnaires, qu’il existait un processus pouvant mener à une mesure disciplinaire éventuelle. L’avocate a souligné qu’il était clair, tant pour les fonctionnaires que leur avocat, que les processus de recherche de faits constituaient une étape du parcours disciplinaire.

54        L’avocate a soutenu que j’avais tiré une conclusion de fait selon laquelle l’attente des résultats de l’enquête du BIFP était raisonnable. L’avocate a passé en revue la preuve sur cette question et a fait valoir que les fonctionnaires avaient reconnu qu’ils attendaient les résultats de l’enquête du BIFP.

55        L’avocate a soutenu que les fonctionnaires n’avaient subi aucun préjudice découlant du retard.

56        L’avocate a soutenu que Mme Kirkpatrick avait décrit les différentes activités auxquelles l’employeur participait pendant cette période, y compris gérer les questions soulevées par les fonctionnaires et une audience devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique concernant le Dr Chopra et répondre à la correspondance abondante en provenance de l’avocat des fonctionnaires (pièce G-267). L’avocate a affirmé que l’employeur ne [traduction] « restait pas les bras croisés » pendant cette période.

57        L’avocate a soutenu qu’un retard ne rendait pas la mesure disciplinaire sans effet. L’avocate a indiqué qu’un retard a de l’importance dans la mesure où il porte atteinte à la capacité des fonctionnaires de répondre à la mesure disciplinaire. Le rapport d’enquête sur le harcèlement (pièce G-190, onglet 12) portait sur les mêmes questions que les griefs. En outre, l’enquête du BIFP portait sur certaines de ces mêmes questions.

58        L’avocate a soutenu que les fonctionnaires étaient en mesure de répondre à la mesure disciplinaire imposée par l’administrateur général. En outre, elle m’a renvoyé au témoignage de M. Haydon à propos de ce que les fonctionnaires auraient fait si on leur avait dit de ne pas faire de commentaire aux médias. Elle a fait valoir qu’ils avaient laissé entendre qu’ils auraient continué à formuler des commentaires, démontrant qu’ils n’avaient subi aucun préjudice découlant du retard de l’employeur.

59        L’avocat a fait valoir que les réponses des fonctionnaires à l’enquête de recherche de faits ont également démontré qu’ils n’avaient subi aucun préjudice découlant du retard dans l’imposition d’une mesure disciplinaire.

60        L’avocate a fait valoir qu’en l’absence de tout préjudice subi par les fonctionnaires, les conclusions à l’égard des griefs ne devraient pas être modifiées, et la décision d’arbitrage devrait être maintenue.

61        Subsidiairement, l’avocate a fait valoir que les griefs concernant les suspensions devraient être rejetés et que les licenciements devraient être confirmés. Le concept d’une mesure disciplinaire progressive n’est pas un processus parallèle. La loi reconnaît que le concept de mesure disciplinaire progressive ne s’applique pas à tous les cas. L’avocate m’a renvoyé à Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, (4e édition), dans lequel les auteurs affirment (au paragraphe 7:4416) que certains gestes sont si graves et contraires à la relation d’emploi qu’un licenciement peut être justifié sans mesure disciplinaire progressive. L’avocate a fait valoir que, dans la présente affaire, l’inconduite représentait l’antithèse d’une relation d’emploi viable avec les deux fonctionnaires.

62        L’avocate m’a également renvoyé à UFCW (Canada), Local 1288P v. B & N Hospitalities Inc., 2006 NBCA 29, qui stipule qu’une mesure disciplinaire progressive n’est pas obligatoire dans les affaires où la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick arrive à la conclusion que celle-ci serait inefficace, en tenant compte de l’incapacité du fonctionnaire de réformer son attitude à l’origine de l’inconduite. Elle a soutenu que l’analyse dans ma décision originale faisait appel à un raisonnement similaire. En ce qui concerne la Dre Haydon, j’avais tiré la conclusion qu’elle avait fait preuve d’une « […] incapacité fondamentale […] d’accepter la supervision et les directives de son employeur ». Elle a également souligné que j’avais conclu que le comportement de la Dre Haydon ne pouvait pas être corrigé. Elle a soutenu que j’avais tiré des conclusions similaires à l’égard du Dr Chopra et qu’une relation d’emploi ne peut se poursuivre lorsqu’un employé choisit ce qu’il veut faire.

63        En conclusion, l’avocat a fait valoir que la Cour fédérale ne m’avait pas ordonné d’annuler les licenciements des fonctionnaires, mais qu’elle m’avait laissé le soin de rendre cette détermination. Dans les deux cas, l’avocate a fait valoir que les licenciements devraient être confirmés, même si les griefs relatifs à la suspension sont accueillis.

64        L’avocate a fait valoir que la décision dans King se distingue en raison des circonstances particulières. Dans cette affaire, l’employeur a adopté une approche en matière de mesure disciplinaire progressive, même si une telle approche n’est pas obligatoire dans tous les cas. Dans le cadre du contrôle judiciaire de cette décision, la Cour fédérale a affirmé que la mesure disciplinaire était « […] permis[e] à l’arbitre de grief […] ». Elle a fait valoir que, en l’espèce, la Cour fédérale a fait la même observation. Elle a affirmé que je devrais pondérer les facteurs et rendre une détermination adéquate à l’égard des licenciements.

65        En ce qui concerne Telus Communications Inc., l’avocate a mentionné le commentaire de l’arbitre de grief voulant que l’une des fins de la mesure disciplinaire progressive consiste à donner une possibilité d’évaluer le potentiel de réhabilitation d’un employé. Elle a également signalé la conclusion de l’arbitre de grief selon laquelle la conduite n’a pas été si grave. Dans la présente affaire, l’inconduite est si grave qu’elle a porté directement atteinte à la relation d’emploi.

66        L’avocate a prétendu que l’agent négociateur des fonctionnaires n’avait pas présenté un grief concernant un manquement à la clause d’exécution de la convention collective et que je ne devrais pas considérer le licenciement de la Dre Haydon comme étant nul et sans effet.

C. Arguments en réponse

67        L’avocat des fonctionnaires a fait valoir que l’employeur n’avait présenté aucune autorité à l’appui de sa prétention selon laquelle je ne peux rendre une décision non conforme aux motifs de la Cour fédérale. Selon son sens ordinaire, la directive de la Cour fédérale voulant que je rendre une nouvelle détermination « conformément aux présents motifs » signifie que je suis lié par ces motifs.

68        L’avocat a soutenu que Rafuse portait sur l’octroi d’un congé. En outre, dans cette affaire, les questions étaient factuelles. Dans la présente affaire, j’ai pris des décisions que la Cour fédérale a trouvé déraisonnables. L’avocat a également fait valoir que Maan n’était pas pertinente dans la présente affaire. En outre, la déclaration de la Cour fédérale dans cette décision, voulant que la Commission procède à une réévaluation des faits pertinents « […] à la lumière des principes juridiques applicables », n’est pas différente d’une déclaration voulant que le décideur rende une nouvelle décision, conformément aux motifs de la cour. Dans Parmalat Canada Inc., la Cour fédérale a souligné qu’il pourrait être approprié de faire référence à une décision aux fins de jugement, « […] conformément aux instructions qu’elle estime appropriées […] ». L’avocat a soutenu que c’est ce que la Cour fédérale a fait dans la présente affaire et que je dois suivre ces directives.

69        En ce qui concerne la lettre envoyée à Mme Kirkpatrick relativement à une mesure disciplinaire, l’avocat a fait valoir que le fait qu’une personne ait posé des questions à propos d’une mesure disciplinaire est une indication qu’il s’agissait d’une question ouverte.

70        Selon l’avocat, le fait que la Cour fédérale ait mentionné qu’elle n’était « pas prête à formuler des hypothèses » sur ce que les fonctionnaires auraient ou n’auraient pas fait s’ils avaient été visés par une mesure disciplinaire pour leur dénonciation en temps opportun, renvoie à l’argument de l’employeur et n’a aucune incidence sur la portée de la nouvelle audience.

71        L’avocat a soutenu que, en ce qui concerne le droit de tolérance, dans la mesure où les affaires présentées par l’employeur ne sont pas conformes à l’évaluation du droit sur le contrôle judiciaire de la Cour fédérale, je ne peux pas m’appuyer sur celles-ci.

72        L’avocat a fait valoir qu’un retard dans l’imposition d’une mesure disciplinaire peut la rendre sans effet (voir M. Mitchnik et B. Etherington, Leading Cases on Labour Arbitration, Vol. 2 (Discharge and Discipline)). L’avocat m’a également renvoyé à I. Christie, Employment Law in Canada, 4e édition, Vol. 2 (au paragraphe 15.59), où il est indiqué que dans le cas d’un retard long et déraisonnable causé par une gestion indécise ou par une inadvertance bureaucratique, le comportement de l’employé sera réputé avoir été toléré.

73        L’avocat a fait valoir que la Cour fédérale a effectivement conclu que les fonctionnaires avaient subi un préjudice découlant du retard et qu’ils n’avaient pas eu l’occasion de prendre une décision éclairée.

74        L’avocat a également soutenu que l’employeur ne pouvait pas déroger de son argument figurant dans son mémoire à l’intention de la Cour fédérale, comme il tentait de le faire en l’espèce. L’avocat a fait valoir que les motifs de l’employeur présenté dans le cadre l’argumentation en ce qui concerne le retard dans l’imposition d’une mesure disciplinaire n’étaient pas pertinents. Le document sur lequel s’est fié l’employeur (pièce G-267) portait sur le grief du Dr Lambert et il est inapproprié de s’y appuyer aux fins de l’analyse relative à la tolérance.

75        En ce qui a trait à la mesure disciplinaire progressive, l’avocat a souligné que l’on ne pouvait ignorer le fait que l’employeur s’était appuyé sur celui-ci pour justifier le licenciement. Il a fait valoir que l’employeur [traduction] « soufflait le chaud et le froid » lorsqu’il s’est appuyé sur la mesure disciplinaire progressive dans la décision de licenciement originale et qu’il ne s’y est pas appuyé pour justifier le licenciement. Il a également affirmé que je ne pouvais pas [traduction] « revenir sur mes conclusions » figurant dans la décision arbitrale originale, selon lesquelles la mesure disciplinaire progressive s’appliquait aux licenciements.

76        L’avocat a fait valoir que mon rôle n’était pas de déterminer si la relation d’emploi n’était plus viable. Mon rôle, a-t-il déclaré, était d’évaluer la mesure disciplinaire progressive. Il a également souligné que le juge de la Cour fédérale avait déclaré qu’il n’était pas question d’un « incident culminant, après lequel il n’était plus possible pour l’employeur de se montrer tolérant » (au paragraphe 212).

77        L’avocat a fait valoir que la réévaluation du bien-fondé des licenciements était au-delà de la portée de la présente audience. Selon l’avocat, dans ma décision originale, j’ai fait référence à tous les actes d’inconduite à l’appui des licenciements. L’avocat a soutenu que, dans toutes les conditions, l’inconduite des fonctionnaires n’était pas le genre de comportement qui justifierait le licenciement en soi. L’avocat a également soutenu que la décision de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans UFCW (Canada), Local 1288P,ne correspond pas aux faits dans les présents griefs.

V. Motifs

78        Dans les présents motifs, je me pencherai d’abord sur la question relative à la tolérance. Alors, à la lumière de mes conclusions sur cette question, je passerai en revue le caractère approprié des licenciements.

79        Les fonctionnaires ont fait valoir que l’employeur ne pouvait pas déroger de ses arguments devant la Cour fédérale. Je suis en désaccord. La Cour fédérale a clairement établi que les parties avaient le droit de formuler des arguments supplémentaires fondés sur le dossier existant et ne limitait pas la nature de ces arguments. Par conséquent, j’ai examiné les arguments de toutes les parties pour parvenir à cette décision.

A. Tolérance

80        La Cour fédérale m’a ordonné d’examiner les suspensions du Dr Chopra et de la Dre Haydon sur la base du retard dans l’imposition d’une mesure disciplinaire et du principe relatif à la tolérance.

81        La suspension de 20 jours du Dr Chopra a été imposée le 9 décembre 2003. La suspension de 10 jours de la Dre Haydon a été imposée le 17 février 2004. La mesure disciplinaire se rapportait à des affirmations publiques qu’ils avaient faites en 14 occasions sur une période de 15 mois, entre juillet 2002 et octobre 2003. Pendant cette période, l’administrateur général ne les a pas avertis qu’il percevait leurs commentaires comme étant une inconduite qui serait assujettie à une mesure disciplinaire éventuelle.

82        Le rapport d’enquête du BIFP a été publié le 21 mars 2003. Le Dr Chopra et la Dre Hayon ont été suspendus 8 et 10 mois, respectivement, après la publication du rapport. Le Dr Chopra était absent du milieu de travail entre février et mai de 2003, et sa suspension a été imposée sept mois après son retour au travail. La Dre Haydon s’est absentée du milieu de travail en janvier 2004. Cependant, comme la Cour fédérale l’a souligné, cela n’explique pas pourquoi aucune mesure disciplinaire n’a été imposée dans les neuf mois entre la publication du rapport du BIFP et son absence du travail.

83        J’adopte la description de la Cour fédérale du principe relatif à la tolérance, lequel correspond au principe établi dans la jurisprudence dans le domaine de l’arbitrage en matière de relation de travail. La Cour fédérale souligne, au paragraphe 218, que le but sous-jacent de la jurisprudence sur le retard et la tolérance consiste à donner aux employés une possibilité de modifier le comportement qui, d’après l’employeur, justifie la prise d’une mesure disciplinaire. La Cour fédérale affirme, au paragraphe 109, que le principe relatif à la tolérance exige qu’un employeur décide s’il convient de prendre une mesure disciplinaire à l’égard d’un employé lorsqu’il est informé de ce qu’il considère comme un comportement indésirable. Le défaut d’agir ainsi en temps opportun peut constituer une tolérance de l’inconduite. Une fois que le comportement a été toléré, l’employeur ne peut pas alors s’appuyer sur la même conduite pour justifier la mesure disciplinaire. Le défaut d’imposer une mesure disciplinaire en temps opportun peut mener un employé à supposer que sa conduite précédente était tolérée par l’employeur, bâtissant ainsi un dossier plus long de ce que l’employeur considère comme de l’inconduite (voir Corporation of the Borough Of North York v. Canadian Union of Public Employees, Local 373, [1979] O.L.A.A. No. 3 (QL) au paragr. 12). Comme le souligne la Cour fédérale, au paragraphe 195 :

[…] si une longue période s’écoule avant qu’une mesure disciplinaire soit prise, l’employé peut supposer que son comportement a été toléré par l’employeur étant donné qu’aucun avertissement ne lui a été servi et qu’il n’a reçu aucun avis relativement à la prise éventuelle mesures disciplinaires. Il est injuste de laisser des employés croire que leur comportement a été toléré, pour leur donner un faux sentiment de sécurité en attendant de les punir plus tard […].

84        Au moment d’évaluer si une mesure disciplinaire devrait être annulée en raison du retard, les arbitres de différends et les arbitres de griefs tiennent compte de trois principaux facteurs : la durée du retard, les motifs du retard et tout préjudice causé par ce retard. Voir Mitchnick et Etherington, Leading Cases on Labour Arbitration, 2e édition, Discharge and Discipline, à 10-60; Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragr. 7:2120; Canadian Union of Public Employees, Local 1718 v. Stapleford Medical Management Inc.(2007), 88 C.L.A.S 362, aux paragr. 81 à 84.

85         Au moment d’examiner ces facteurs, un arbitre de grief est tenu de pondérer l’explication de l’employeur relativement au retard et le préjudice subi par les fonctionnaires pour parvenir à une « […] solution juste et équitable compte tenu de ces intérêts divergents », conformément à British Columbia c. British Columbia Government and Service Employees’ Union, [1995] B.C.C.A.A.A. no 68 (QL) au paragr. 33, (citée par la Cour fédérale, au paragraphe 197, de 2014 CF 246).

86        Même si la Cour fédérale a affirmé au paragraphe 219 qu’« […] [elle] n’a pas à se prononcer sur les conséquences que cela a eu », elle a tout de même formulé certaines observations à l’égard de la preuve et du préjudice subi par les fonctionnaires. J’ai résumé ces observations dans la section de l’aperçu de la présente décision.

87        Bien que je sois d’accord avec l’employeur que les seules directives que la Cour fédérale m’a transmises figurent dans le jugement et dans l’ordonnance, je conclus que les observations de la Cour fédérale dans ses motifs, même si elles ne sont pas obligatoires, sont extrêmement convaincantes. En règle générale, lorsqu’un tribunal présente une justification pour ces motifs, alors cette justification devrait être considérée comme étant convaincante. Les commentaires de la Cour fédérale reflètent son opinion de la preuve, à la lumière du critère juridique relatif à la tolérance. Je souligne également que la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Cour fédérale sans commenter les observations de la Cour fédérale dans la décision.

88        La Cour fédérale a formulé les observations suivantes à l’égard de la preuve :

  • Le sous-ministre a formulé des commentaires positifs à propos des points soulevés par les fonctionnaires au comité du sénatorial, ce qui a pu créer un sentiment de sécurité de leur part.
  • Les processus de recherche de faits étaient explicitement de nature non disciplinaire.
  • L’employeur était au courant des commentaires peu de temps après qu’ils ont été faits.
  • À au moins deux reprises, Mme Kirkpatrick savait à l’avance que les fonctionnaires allaient effectuer une dénonciation, et elle ne les a pas arrêtés.
  • Mme Kirkpatrick n’a pas informé les fonctionnaires que leurs commentaires aux médias étaient inappropriés avant d’imposer une mesure disciplinaire.
  • L’employeur n’a fait aucune suggestion relative à un incident culminant.
  • L’employeur n’a présenté aucune explication pour le retard dans l’imposition d’une mesure disciplinaire à compter de la date du rapport du BIFP.
  • La mesure disciplinaire était fondée en partie sur la nature répétitive des commentaires des fonctionnaires.
  • Les fonctionnaires n’ont jamais eu l’occasion de prendre une décision éclairée quant à savoir s’il devait continuer à prendre le risque de poursuivre leurs commentaires publics.

89        Les observations de la Cour fédérale, plus particulièrement sa déclaration selon laquelle les fonctionnaires n’ont jamais eu l’occasion de prendre une décision éclairée, mènent à la conclusion que les fonctionnaires ont subi un préjudice en raison du retard de l’employeur à imposer une mesure disciplinaire et son omission de les informer de la possibilité d’une mesure disciplinaire.

90        La Cour fédérale a également exprimé un certain scepticisme à l’égard de la justification concernant le retard de l’employeur. La décision de ne pas imposer une mesure disciplinaire pendant une enquête de recherche de faits est justifiée, puisque la recherche de faits est conçue, en partie, afin de réunir des renseignements pour prendre une décision à l’égard de la mesure disciplinaire. Le retard dans le cadre de l’enquête du BIFP est également justifié, puisque la mesure disciplinaire pendant l’enquête pourrait avoir été perçue comme une interférence en cours d’enquête de la part de l’employeur. Cependant, le retard en ce qui concerne l’imposition de la mesure disciplinaire une fois le rapport d’enquête du BIFP publié, soit 8 mois dans le cas du Dr Chopra et 10 mois pour la Dre Haydon, est tout de même important.

91        La justification de l’employeur en ce qui concerne le retard après l’enquête du BIFP a été soulevée au cours de cette nouvelle audience. Selon ma compréhension de la justification, l’employeur a affirmé qu’il était occupé par un éventail de questions soulevées par les fonctionnaires, en plus de ses fonctions régulières. Cet aspect n’a pas été soulevé directement dans l’audience originale de ces griefs, comme l’ont souligné les fonctionnaires. Je comprends qu’il y a eu beaucoup d’activités liées aux fonctionnaires au cours de cette période, en plus des fonctions régulières de Mme Kirkpatrick. Cependant, cela n’explique ni n’excuse la durée du retard supplémentaire dans l’imposition d’une mesure disciplinaire.

92        Par conséquent, je conclus que l’employeur a toléré les commentaires des fonctionnaires et que, en conséquence, ils ont subi un préjudice. En prenant en considération les observations de la Cour fédérale relativement au préjudice, je conclus que le préjudice subi par les fonctionnaires l’emporte sur les motifs de l’employeur pour justifier le retard. Un facteur important dans le préjudice subi par les fonctionnaires a été la durée liée à l’imposition d’une mesure disciplinaire et l’absence subséquente d’une possibilité de prendre une décision éclairée relativement à la dénonciation. En conséquence, la suspension de 10 jours imposée à la Dre Haydon et la suspension de 20 jours imposée au Dr Chopra ne sont pas appropriées et les griefs connexes sont accueillis.

B. Griefs de licenciement

93        La Cour fédérale m’a ordonné de réexaminer la sanction imposée au Dr Chopra pour l’insubordination démontrée, à la lumière du résultat de ma nouvelle détermination du grief de dénonciation. Elle m’a également ordonné de réexaminer la sanction imposée à la Dre Haydon pour l’insubordination démontrée, à la lumière de ma nouvelle détermination du grief de dénonciation et sans tenir compte de la mesure disciplinaire qui lui a été imposée en 2001.

94        Les fonctionnaires ont fait valoir que je ne pouvais pas [traduction] « revenir sur mes conclusions » en ce qui concerne la mesure disciplinaire progressive dans la décision originale. Selon ma compréhension, je crois qu’ils voulaient dire que puisque j’ai fait référence à la mesure disciplinaire progressive à l’appui des licenciements, je n’ai pas le loisir d’ignorer ces conclusions dans la présente décision. Je souligne que la Cour fédérale m’a demandé de passer en revue les licenciements à la lumière des conclusions dans le cadre de cette nouvelle audience, ce qui signifie que je dois réexaminer ma détermination originale sur les griefs de licenciement, et ce, uniquement en ce qui concerne la mesure disciplinaire antérieure au dossier. Il s’agit d’un nouvel examen d’une mesure disciplinaire progressive, comme l’exige la Cour fédérale.

C. Licenciement du Dr Chopra

95        Au moment d’évaluer le caractère approprié du licenciement du Dr Chopra  pour inconduite, je dois trancher de nouveau l’affaire en fonction du dossier disciplinaire révisé. En l’espèce, le grief contre la suspension de 20 jours a été accueilli et le Dr Chopra a désormais un dossier disciplinaire indiquant une suspension de cinq jours et une suspension de 10 jours. La suspension de cinq jours concernait une dénonciation relative à l’anthrax (voir Chopra c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2003 CRTFP 115, confirmée dans Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 958). La suspension de 10 jours portait sur son refus de se présenter au travail et le grief contestant cette suspension a été rejeté dans ma décision originale. La Cour fédérale a confirmé cette décision.

96        Les motifs de licenciement ont été exposés comme suit dans la lettre de licenciement :

[Traduction]

Au début d’avril, on vous a attribué un projet. Vous avez vous-même reconnu que ce projet d’inscrivait parfaitement dans la portée de vos fonctions et capacités professionnelles à titre d’évaluateur principal de médicaments vétérinaires. Il a été convenu et entendu que vous termineriez ce travail en 90 jours. Étant donné les préoccupations existantes au sujet de votre rendement, il a été jugé approprié d’assurer un suivi de l’évolution de ce dossier à intervalles réguliers.

J’ai terminé le 5 mai 2004 l’examen périodique pour les 30 premiers jours, qui m’a permis d’établir qu’aucun travail réel n’avait été accompli durant cette période, et vous ne m’avez fournie aucune justification raisonnable pour expliquer cette absence totale d’avancement. À deux occasions, on vous a fourni des directives supplémentaires précises relativement aux exigences du projet, mais vos réponses n’ont pas indiqué que vous accomplissiez un travail valable, comme il vous l’avait été demandé. En fonction de ce qui précède, j’ai conclu que vous aviez choisi de délibérément refuser de respecter mes directives et que votre conduite à cet égard constitue de l’insubordination.

Vu vos antécédents disciplinaires et votre refus constant d’assumer la responsabilité des tâches qui vous étaient attribuées, j’ai jugé que le lien de confiance essentiel à toute relation employeur-employé productive avait été irrémédiablement rompu sans qu’il n’y ait d’attente raisonnable de rectification de votre comportement, et que notre relation employeur-employé n’est plus viable.

En foi de quoi, je mets fin à votre emploi pour motif déterminé conformément à l’autorité que me confère l’administrateur général et à l’alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Aux fins de cette décision, j’ai pris en considération des facteurs atténuants, notamment vos longues années de service.

97        Les commentaires de la Cour fédérale à propos du licenciement du Dr Chopra sont pertinents à ma nouvelle détermination du grief de licenciement. La Cour fédérale a formulé ses commentaires dans un contexte où elle adressait les arguments des fonctionnaires quant au contrôle judiciaire portant sur l’absence de preuves sur la rupture de la relation employeur-employé. La Cour fédérale a refusé d’aborder cet argument, car il n’a pas été présenté à l’audience d’arbitrage. Cependant, la Cour fédérale a formulé des commentaires pertinents au paragraphe 310 de sa décision :

[…] le libellé même de la lettre de licenciement révèle que le seul motif de licenciement du Dr Chopra était l’« insubordination » vu son comportement relatif à la tâche de classification. Les commentaires formulés au sujet de la rupture de la relation employeur-employé ne visaient qu’à justifier le choix du licenciement comme sanction appropriée et ne constituaient pas un motif de sanction différent et indépendant.

98        Le Dr Chopra a désormais un dossier disciplinaire comprenant 15 jours de suspension avant son licenciement. Je dois maintenant déterminer si le licenciement était une sanction appropriée dans les circonstances. Le fait que le dossier disciplinaire antérieur a été réduit lors de cette nouvelle audience ne change rien au fait que l’inconduite précédente était grave. La suspension de cinq jours relative à la dénonciation et la suspension de 10 jours pour insubordination ont été confirmées par la Cour fédérale. La suspension de 10 jours était également relative à une insubordination et était semblable à l’inconduite sur laquelle l’employeur s’est fondé pour le licencier. Aucune amélioration dans le comportement du Dr Chopra n’a été démontrée entre l’imposition de la suspension de 10 jours et la mesure disciplinaire imposée après son dernier acte d’insubordination, après laquelle il a été licencié. En outre, il n’a admis aucune erreur relative à son comportement lors de l’audience des griefs dont je suis saisi.

99        Je souligne également que, dans ma décision originale, j’ai conclu que le licenciement de la Dre Haydon était approprié. Dans son cas, elle avait fait l’objet d’une suspension de cinq jours et d’une suspension de 10 jours, imposées pour les actes de dénonciation. Au paragraphe 820 de ma décision 2011 CRTFP 99, j’ai déclaré ce qui suit : 

Comme la Dre Haydon comptait déjà une mesure disciplinaire à son dossier, son licenciement ne constituait pas une mesure disciplinaire excessive. Je ne peux accepter son argument selon lequel son inconduite n’était pas semblable à son inconduite antérieure. Tous les actes d’inconduite dénotent une attitude sous-jacente de défi envers l’employeur. Ces actes ont témoigné de l’incapacité fondamentale de la Dre Haydon d’accepter la supervision et les directives de son employeur.   

100        Ce que j’ai affirmé ci-dessus à propos de la Dre Haydon à ce moment s’applique avec encore plus de force aux circonstances du Dr Chopra dont je suis saisi dans la présente nouvelle audience.

101        Le Dr Chopra a rompu le lien de confiance avec l’employeur. Compte tenu de son attitude et de son défaut de répondre à une mesure disciplinaire moindre, la réintégration  « […] représenterait une caution donnée à ses actions et inviterait à une répétition du comportement », conformément à King (2010 CRTFP 125), au paragr. 219, paraphrasant Nanaimo Regional General Hospital v. H.E.U (1999), 81 L.A.C. (4e) 1, au paragr. 196.

102        En conséquence, je rejette le grief du Dr Chopra contre son licenciement.

D. Licenciement de la Dre Haydon

103        Au moment d’évaluer le caractère approprié du licenciement pour inconduite de la Dre Haydon, je dois trancher de nouveau l’affaire au motif du dossier disciplinaire révisé. La suspension de 2001 n’est pas prise en considération. De plus, la suspension de 10 jours pour dénonciation ne doit plus être prise en considération. Par conséquent, la Dre Haydon n’a aucun dossier disciplinaire antérieur à son licenciement dont l’on doit tenir compte.

104        Les motifs de licenciement de la Dre Haydon ont été établis dans la lettre de licenciement, comme suit :

[Traduction]

Au début de décembre 2003, votre supérieur immédiat et vous avez discuté de votre évaluation du rendement; pour une deuxième année de suite, il a été jugé que votre rendement était nettement inférieur aux normes acceptables pour une évaluatrice principale de médicaments vétérinaires. À l’époque, vous avez affirmé que vous termineriez l’évaluation des présentations en votre possession en moins de deux mois, ce que vous n’avez pas fait. Au début de mai 2004, on vous a adressé un avertissement écrit précisant qu’on attendait une amélioration marquée de votre rendement général.

Votre réaction a été fort troublante. En aucun cas, malgré vos affirmations contraires, pouvez-vous soutenir ne pas avoir été au courant des problèmes portés à votre attention au cours du processus d’évaluation de votre rendement. Pourtant, vous avez une fois de plus choisi de n’assumer aucune responsabilité pour votre rendement insatisfaisant.

Le dernier suivi prévu de la tâche qui vous a été attribuée révèle peu d’efforts et de volonté de votre part à apporter les améliorations requises à votre rendement. Plus précisément, je souligne votre engagement à enfin terminer, au plus tard le 4 juin 2004, l’évaluation des présentations de médicament qui étaient en votre possession depuis plus de deux ans. Au lieu de vous conformer aux directives convenues, vous avez soumis une ébauche incomplète en expliquant qu’il y aurait d’autres retards, et ce, même si aucune autre tâche ne vous avait été confiée. Le rapport final que vous avez soumis manque de cohérence, est incomplet et ne permet pas de prendre de décision sur l’issue des présentations. J’en conclus que le temps excessif que vous avez consacré à produire ce rapport non concluant dénote chez vous une tentative délibérée et systématique d’éviter et d’esquiver le travail qui vous a été attribué en fonction d’instructions qui vous ont été fournies, et que votre conduite constitue de l’insubordination.

Étant donné vos antécédents disciplinaires et votre refus constant d’assumer la responsabilité des tâches qui vous étaient attribuées, j’ai jugé que le lien de confiance essentiel à toute relation employeur-employé productive avait été irrémédiablement rompu sans qu’il n’y a pas d’attente raisonnable que votre comportement change, et que notre relation employeur-employé actuelle n’est plus viable.

En foi de quoi, je mets fin à votre emploi pour motif déterminé conformément à l’autorité que me confère l’administrateur général et à l’alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Aux fins de cette décision, j’ai pris en considération des facteurs atténuants, notamment vos états de service.

105        Les commentaires de la Cour fédérale en ce qui concerne le licenciement de la Dre Haydon sont également pertinents à ma nouvelle détermination du grief de licenciement. La Cour fédérale a affirmé ce qui suit aux paragraphes 399 et 400 :

[399] […] la simple lecture de la lettre de licenciement qu’en réalité un seul motif était invoqué pour justifier le licenciement de la Dre Haydon, soit sa [traduction] « tentative délibérée et systématique d’éviter et d’esquiver le travail qui [lui avait] été attribué en fonction d’instructions qui [lui avaient] été fournies », ce qui a amené Santé Canada à conclure en dernière analyse que son comportement constituait de l’insubordination.

[400] J’estime de plus que les commentaires formulés dans la lettre de licenciement relativement à la rupture de la relation employeur-employé visaient à démontrer que le licenciement était une sanction appropriée et ne constituaient pas une raison distincte de prendre une mesure disciplinaire. La conclusion selon laquelle le lien de confiance entre la Dre Haydon et son employeur avait été irrémédiablement rompu était, de plus, amplement étayée par le dossier dont était saisi l’arbitre, y compris le long témoignage fourni par la Dre Haydon au cours de l’audience […].

106        L’avocat de la Dre Haydon a mentionné Tri-Krete Ltd. à l’appui de sa position selon laquelle le licenciement était nul et sans effet. Les faits de Tri-Krete Ltd. se distinguent de ceux dans le cas du licenciement de la Dre Haydon. Dans Tri-Krete Ltd., l’employeur s’est appuyé sur un incident culminant qui ne faisait pas partie du dossier disciplinaire pour justifier un licenciement. Dans la présente affaire, l’employeur s’est fondé sur une mesure disciplinaire antérieure qui comprenait la suspension de 10 jours qui faisait partie du dossier disciplinaire de la fonctionnaire. Même si la suspension de 10 jours ne fait plus partie de son dossier, elle en faisait partie au moment du licenciement. La Cour fédérale n’a pas abordé l’argument selon lequel le licenciement était nul et sans effet. Elle a toutefois déterminé que la Dre Haydon avait fait preuve d’insubordination et que l’appui de l’employeur sur une mesure disciplinaire non valide témoigne du caractère approprié de la mesure disciplinaire imposée. En conséquence, je conclus que la mesure disciplinaire n’était pas nulle et sans effet. Une certaine mesure disciplinaire était manifestement appropriée, et ma tâche consiste à déterminer si son licenciement était la sanction appropriée.

107        Je suis d’accord avec l’employeur qu’il peut y avoir une inconduite qui justifie un licenciement en l’absence d’une mesure disciplinaire progressive. L’employeur dans UFCW (Canada), Local 1288P ne s’est pas fondé sur le concept de la mesure disciplinaire progressive dans sa décision de licencier le fonctionnaire dans cette affaire. Cependant, en l’espèce, l’administrateur général s’est fondé sur une inconduite antérieure afin de justifier sa décision de licencier la Dre Haydon. Il s’est appuyé sur cette inconduite antérieure dans la lettre de licenciement et dans la preuve (dans laquelle Mme Kirkpatrick a affirmé qu’elle s’était fiée à la mesure disciplinaire antérieure, y compris la suspension de 10 jours). À mon avis, la mesure disciplinaire précédente était un facteur important dans la décision de licencier la Dre Haydon.

108        Cette mesure disciplinaire antérieure ne fait plus partie du dossier disciplinaire de la Dre Haydon et il est interdit à l’employeur de s’y appuyer pour justifier sa décision de la licencier. En conséquence, un élément important de la décision de la licencier n’existe plus pour la justifier.

109        Cependant, l’inconduite de la Dre Haydon est importante et la Cour fédérale l’a reconnu lorsque, au paragraphe 400, elle a affirmé que « [l]a conclusion selon laquelle le lien de confiance entre la Dre Haydon et son employeur avait été irrémédiablement rompu était, de plus, amplement étayée par le dossier dont était saisi l’arbitre, y compris le long témoignage fourni par la Dre Haydon au cours de l’audience. »

110        L’insubordination de la Dre Haydon justifie une sanction disciplinaire importante. Cependant, le licenciement n’est pas approprié, pour deux motifs. Dans un premier temps, comme il a été indiqué plus tôt, l’employeur s’est appuyé sur le concept de mesure disciplinaire progressive pour la licencier. Deuxièmement, les employés dans des situations similaires devraient être traités de façon égale. Dans la présente affaire, le Dr Chopra a été licencié pour insubordination, son dossier disciplinaire indiquant désormais des suspensions de cinq et de 10 jours. Dans l’affaire de la Dre Haydon, son licenciement n’était précédé d’aucune mesure disciplinaire figurant maintenant au dossier.

111        Je conclus que, à la lumière de l’absence d’un dossier disciplinaire antérieur et des années de service de la Dre Haydon, une suspension de 20 jours aurait été une sanction disciplinaire appropriée pour les actes d’insubordination décrits dans la lettre de licenciement qu’elle a commis.

112        En conséquence, le licenciement de la Dre Haydon est remplacé par une mesure disciplinaire sous la forme d’une suspension de 20 jours.

113        Je demeurerai saisi de toutes les questions liées à la mise en œuvre de la présente détermination de la sanction disciplinaire appropriée. Je n’ai pas entendu les arguments des parties relativement à la réparation appropriée dans l’éventualité où le grief de licenciement serait accueilli et remplacé par une sanction moindre. Je laisserai le soin aux parties de régler la question de la réparation appropriée. Je demeurerai saisi de l’affaire pendant 120 jours dans l’éventualité où les parties ne parviendraient pas à une entente.

114        Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

115        Le grief contre la suspension de 20 jours du Dr Chopra est accueilli.

116        Le grief contre la suspension de 10 jours de la Dre Haydon est accueilli.

117        Le grief contre le licenciement du Dr Chopra est rejeté.

118        Le grief contre le licenciement de la Dre Haydon est accueilli et remplacé par une suspension de 20 jours.

119        Je demeurerai saisi de l’affaire pendant une période de 120 jours pour traiter toutes les questions liées à la mise en œuvre de la présente décision.

Le 22 septembre 2016.

Traduction de la CRTEFP

Ian Mackenzie,
arbitre de grief

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