Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé est un agent correctionnel – il a demandé que la suspension de 20 jours sans traitement qui lui a été imposée soit annulée – l’employeur a allégué que le fonctionnaire s’estimant lésé avait eu recours à une force excessive au moment de contraindre un détenu et qu’il avait menti à ce sujet au moment de le rapporter – le fonctionnaire s’estimant lésé a prétendu que son usage de la force n’était pas excessif et qu’il n’avait réagi avec force que lorsque le détenu avait agressé un autre agent – le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi prétendu qu’il n’avait pas modifié les renseignements ou la preuve afin de tromper l’employeur – l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait fourni aucune explication justifiant ses actions – le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé ait frappé le détenu même après que ce dernier soit tombé au sol et menotté était particulièrement préoccupant – la preuve que le fonctionnaire s’estimant lésé a fournie à l’audience n’était pas complètement conforme à ses explications précédentes et contredisait complètement son rapport de l’incident – la nature aggravante de ses actions et son omission de les déclarer avec exactitude, soit une partie fondamentale de son rôle en tant qu’agent de la paix, justifiaient des mesures disciplinaires sévères – l’arbitre de grief était convaincue que l’employeur avait correctement évalué les circonstances aggravantes et atténuantes – la suspension de 20 jours n’était ni déraisonnable ni erronée.Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et Loi sur les
relations de travail dans la
fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20160930
  • Dossier:  566-02-10681
  • Référence:  2016 CRTEFP 99

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la dans la fonction publique


ENTRE

DARRYL HICKS

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Hicks c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Amélie Charlebois, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN
Pour le défendeur:
Joshua Alcock, avocat
Affaire entendue à Saskatoon (Saskatchewan),
les 7 et 8 juin 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Darryl Hicks, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a demandé que la suspension de 20 jours sans traitement imposée par l’employeur, le Service correctionnel du Canada (SCC), le 9 octobre 2014, pour son recours excessif à la force présumé et pour avoir prétendument menti dans un rapport d’observation ou déclaration d’un agent (RODA), soit annulée.

II. Résumé de la preuve

2        Le fonctionnaire est employé en tant qu’agent correctionnel (CX) au Pénitencier de la Saskatchewan à Prince Albert, en Saskatchewan (l’« établissement »).

3        Le 1er juillet 2014, il a été impliqué dans un incident de recours à la force à l’unité 6 de l’établissement au sujet d’un détenu à qui les CX de service avaient demandé de retourner à sa cellule après avoir terminé ses tâches de nettoyage. Les CX étaient d’avis que le détenu prenait trop de temps pour terminer ses tâches et ils lui ont ordonné de ranger sa vadrouille et son sceau et de retourner à sa cellule. Il ne voulait pas collaborer et a refusé d’obéir à l’ordre.

4        Cinq CX ont tenté d’accompagner le détenu à sa cellule. Il s’est tourné pour les confronter. Ils ont tenté de mettre fin à la confrontation et de le faire entrer dans sa cellule. Il s’est alors tourné et a frappé l’un des CX. Une bousculade s’en est suivie au cours de laquelle les CX ont tenté de contrôler le détenu. Selon les témoins de l’employeur, le fonctionnaire, alors qu’il participait à cette bousculade, a frappé le détenu dans le dos et à l’épaule à au moins six occasions. Tout cela a été enregistré dans la vidéo de sécurité de l’unité (pièce 2). Selon l’employeur, le geste du fonctionnaire, fait après que le détenu a été contrôlé, était excessif.

5        Le RODA du fonctionnaire, rempli peu de temps après l’incident, manquait de détails au sujet de ses gestes, notamment sur le fait qu’il a frappé le détenu. Le 3 juillet 2014, on a demandé au fonctionnaire de remplir un deuxième RODA, dans lequel il a ajouté plus de détails et admis qu’il avait frappé le détenu une fois, comme tactique de distraction. Il n’a pas mentionné les autres fois où il a frappé le détenu pendant la bousculade.

6        L’employeur a effectué un examen de recours à la force, qui a permis de conclure que le recours à la force par le fonctionnaire avait été excessif. Selon les conclusions de l’examen et les lacunes de son RODA, le fonctionnaire s’est vu imposer une suspension de 20 jours sans traitement. Il s’agissait d’une faute grave qui justifiait une sanction grave, selon l’employeur. De son côté, le fonctionnaire soutenait que la sanction était déraisonnable et excessive.

          Témoignage deMark Anderson

7        Mark Andersen était le directeur adjoint intérimaire, Opérations (DAO), pour les unités à sécurité maximale de l’établissement à ce moment-là. Son poste d’attache à cet endroit était gestionnaire correctionnel, Opérations (GCO). En tant que DAO, il gérait la routine quotidienne des unités à sécurité maximale. En tant que GCO, il était responsable de l’examen de chaque incident de recours à la force à l’établissement. Il connaît bien les politiques sur le recours à la force. À certains moments de sa carrière, il dirigeait l’équipe d’intervention en cas d’urgence (EIU) et il a enseigné l’audodéfense aux CX qui en faisaient partie. Pendant une période de six mois en 2012, il a effectué une affectation d’administrateur régional, sécurité, et de directeur des opérations pour la région des Prairies du SCC; il a revu chaque incident de recours à la force de la région.

8        Le 1er juillet 2014, l’incident de recours à la force en question a été porté à l’attention de M. Andersen par la GCO Brenda Zimmer après son examen initial des RODA. Il a revu la vidéo de l’incident du 1er juillet 2014 ainsi que les RODA que les CX concernés avaient remplis. Il a signalé ses préoccupations quant au recours à la force par le fonctionnaire et son omission de déclarer l’incident. Le sous-directeur, qui était le directeur intérimaire à ce moment, a demandé à M. Andersen d’entreprendre une enquête disciplinaire afin d’établir si le fonctionnaire avait eu recours à une force excessive et s’il avait omis de déclarer correctement ses actions. Le fonctionnaire avait été avisé avant la réunion disciplinaire de l’exigence d’être présent et de son droit de se faire accompagner par un représentant syndical.

9        M. Andersen a examiné tous les documents pertinents, y compris la « Directive du commissaire DC-567 » (pièce 1, onglet 4), qui est la politique applicable au recours à la force dans un établissement. Le modèle de gestion de situations inclus dans la DC-567 est utilisé afin d’analyser le comportement des détenus et de déterminer le niveau approprié d’intervention requis pour gérer ce comportement. Chaque CX est tenu par la loi de connaître de comprendre la DC-567.

10        Le modèle de gestion de situations oblige un CX à évaluer continuellement le niveau de force utilisée et la réaction du détenu à cette force. Les tactiques doivent être modifiées en fonction du comportement du détenu, de l’endroit et des risques pour les employés. Les CX sont formés en techniques de recours à la force et en audodéfense ainsi que sur la façon d’appliquer le modèle de gestion de situations durant le programme de formation de base (PFB), que chaque agent doit suivre. Les agents doivent ensuite effectuer des cours de perfectionnement dans ce domaine et d’autres tous les ans.

11        Les CX doivent recourir à la force de façon appropriée et proportionnelle, d’une façon sécuritaire tout en respectant la primauté du droit. La sécurité du détenu et des employés est primordiale. Lorsqu’un détenu ne respecte pas l’ordre d’un CX, le recours à la force peut être requis. Après chaque recours à la force, le CX concerné doit remplir un RODA, que le gestionnaire correctionnel de service examine, lequel peut fournir de la rétroaction à l’agent concerné ou le porter à l’attention du directeur.

12        L’incident du 1er juillet 2014 a été enregistré sur une vidéo (pièce 2). Les caméras qui l’ont enregistré étaient situées en haut de la rangée (une rangée de cellules) à l’unité 6 de la sécurité maximale. Deux caméras se trouvaient dans la rangée, pointant chacune vers une direction opposée. L’incident en question est survenu près de l’entrée et sous la caméra 2 et hors du champ de cette dernière. Comme cela est enregistré par la caméra 1, le détenu tient un balai et un porte-poussière. Il est séparé de l’Unité spéciale de détention et des CX par une porte de métal. Il parle à un CX, après quoi d’autres CX entrent dans la rangée par la porte qui est contrôlée par un CX du poste de contrôle. À ce moment, le détenu refuse de retourner à sa cellule comme on le lui ordonne.

13        La porte ouvre et le CX entre. Le détenu place ses articles de nettoyage dans l’armoire. Lorsque la première porte de la barrière s’ouvre, il ne manifeste aucune agression immédiate. Il est ensuite escorté dans la rangée, les CX marchant derrière lui. Lorsqu’il atteint la deuxième barrière de la rangée et qu’il est près de la cellule 1, l’incident se produit. On voit le détenu en train de parler aux CX. Il se tourne ensuite et tente de frapper un agent deux fois. En réponse, les CX s’approchent pour exercer un contrôle physique du détenu. Leur objectif est de lui passer les menottes en lui plaçant les mains derrière le dos. Pour lui passer les menottes, ils mettent le détenu sur le sol, face contre terre, et ils lui ramènent les mains derrière le dos.

14        Les CX apprennent les prises d’arrestation et de contrôle à utiliser sur les bras, les poignets et les coudes d’un détenu ainsi que les prises de mise au sol pour plaquer un détenu au sol. On s’attend à ce qu’ils utilisent ces techniques pour contrôler les détenus et leur passer les menottes de façon sécuritaire.

15        Le détenu est agressif verbalement puis physiquement et il devient physiquement non coopératif, comme le démontre l’enregistrement vidéo. Le fonctionnaire fait le tour du détenu pour se rendre au bras que ce dernier utilise afin de frapper le CX pour avoir le contrôle de son bras gauche. Chaque CX contrôle un bras ou une jambe du détenu. Le fonctionnaire a ensuite le contrôle des deux bras du détenu. Alors que sa main gauche est placée sur l’avant-bras du détenu, le fonctionnaire retire sa main droite et frappe le détenu environ cinq fois. Au moment des coups, le détenu était dans une position défensive qu’il a prise après avoir frappé le CX et il ne constituait plus une menace physique.

16        Les coups comme ceux donnés par le fonctionnaire peuvent permettre à un agent de gagner du temps et de l’espace au moment de maîtriser un détenu qui est agressif et qui résiste physiquement. Toutefois, des coups de poing ou des coups ne distraient pas le détenu ou ne permettent pas à un CX de le contrôler, selon M. Andersen. Donner des coups de poing à un détenu sur la tête et dans le dos ne permet pas à un CX de le contrôler. Dans cette situation, les coups qu’a donnés le fonctionnaire n’ont pas aidé à contrôler le détenu. Sa réaction aux coups a fait en sorte qu’il a été plus sur la défensive et qu’il a ramené ses bras vers lui, ce qui a rendu son contrôle difficile.

17        À son audience disciplinaire, le fonctionnaire a dit à M. Andersen qu’il n’était pas en contrôle, même après avoir frappé le détenu cinq fois. M. Andersen n’était pas d’accord, selon son visionnement de la vidéo, à ce moment, le détenu était contre le mur de l’unité et il ne donnait plus de coups. Les agents avaient un certain degré de contrôle sur le détenu, qui était une personne mince, pesant environ 150 livres.

18        Pendant l’audience disciplinaire, le fonctionnaire a fixé la vidéo et n’a fourni aucun commentaire. Il a demandé à sa représentante syndicale pourquoi il ne pouvait pas se rappeler avoir frappé le détenu comme l’indique la vidéo. Il pensait avoir frappé le détenu seulement trois fois, alors qu’en fait la vidéo a montré qu’il l’avait fait cinq ou six fois. Le fait que le fonctionnaire ne pouvait se rappeler avoir frappé le détenu six fois a amené M. Andersen à se préoccuper de la sincérité du fonctionnaire et de son aptitude à être un agent s’il ne pouvait se rappeler avoir frappé le détenu comme il l’avait fait. M. Andersen s’est demandé comment on pouvait véritablement faire confiance au fonctionnaire pour signaler ses actions s’il ne pouvait se les rappeler. Les déclarations du fonctionnaire contredisent le fait qu’il ne se rappelait pas les événements et que le détenu n’était pas contrôlé, de sorte que les coups étaient requis. Le seul trou de mémoire qu’avait le fonctionnaire concernait le nombre de coups.

19        Le fonctionnaire n’a démontré aucun remords et n’a pas assumé la responsabilité de ses actions pendant la bousculade du 1er juillet 2014. Il a dit à M. Andersen que [traduction] « le recours à la force semblait excessif, mais le détenu a-t-il été blessé? ».

          Témoignage de Justin Hope

20        Justin Hope était le directeur de l’établissement depuis 2009. M. Andersen lui a parlé de l’incident de recours à la force du 1er juillet 2014 concernant le fonctionnaire. Après un examen des renseignements, il a demandé une enquête disciplinaire. Après l’enquête et l’audience disciplinaires, M. Hope a imposé une suspension de 20 jours sans traitement au fonctionnaire, comme l’indique la lettre disciplinaire (pièce 1, onglet 2). Pour en venir à cette décision, M. Hope a tenu compte de la vidéo de l’incident, des RODA, du rapport sur le recours à la force et des commentaires du fonctionnaire formulés à l’audience disciplinaire qui lui ont été rapportés par M. Andersen. Il a également tenu compte des renseignements qui lui ont été remis dans le cadre de consultations avec les Relations de travail et ses discussions avec la Gendarmerie royale du Canada au sujet du dépôt possible d’accusations d’agression contre le fonctionnaire.

21        Le fonctionnaire a contrevenu au code de conduite de l’employeur (« DC-060 »). Son RODA ne faisait pas mention des événements enregistrés sur les vidéos et il ne tenait pas compte des questions « qui, quoi, quand, où et pourquoi » de l’incident, ce qui est la raison pour laquelle M. Hope a conclu que le fonctionnaire avait produit un faux RODA. Le recours excessif à la force enregistré sur la vidéo contrevenait également à la DC-060. Le fait de donner des coups, qu’il ait été très émotif ou qu’il ne se soit pas attendu à en donner, obligeait le fonctionnaire à réévaluer la situation lorsqu’il a constaté que le premier coup n’a pas fonctionné. Chaque coup donné par la suite était punitif.

22        On s’attend à ce qu’un CX demeure concentré tout au long d’un incident de recours à la force. Pendant ce temps, tout le monde doit se concentrer sur la sécurité des employés et des détenus et éviter les blessures. Le phénomène des œillères ne s’applique pas dans les incidents de recours à la force, selon M. Hope. Il n’a pas été présenté à l’employeur comme moyen de défense et cela n’empêcherait pas l’établissement de rapports précis sur les détails d’un incident. Le fonctionnaire a omis des faits importants et ce n’est qu’après que M. Hood l’a incité à produire un deuxième RODA qu’il l’a fait, lequel manquait lui aussi des faits importants.

23        Pendant sa carrière, seuls trois autres incidents de recours à la force ont préoccupé M. Hope de la même façon que celui-ci.

24        Le fonctionnaire a présenté un deuxième RODA quelques jours après l’incident (pièce 1, onglet 8), ce qui n’est pas inhabituel. Il manquait également des détails nécessaires dans le rapport de suivi. Il a mentionné avoir donné un coup et non six comme l’indique la vidéo. Au départ, le fonctionnaire n’a pas du tout mentionné avoir frappé le détenu.

25        Pendant la réunion disciplinaire, le fonctionnaire a déclaré qu’il se rappelait trois coups, même si au départ il n’en a déclaré aucun, puis n’en a déclaré qu’un seul. Le fait que le fonctionnaire ne se rappelait pas le nombre de coups qu’il a donnés a préoccupé M. Hope, tout comme M. Andersen, puisque les CX sont formés pour observer les événements et y réagir. M. Hope se préoccupait également de l’aptitude du fonctionnaire à être un CX, puisque, dans ce rôle, il pouvait avoir à décider en tout temps d’utiliser une force mortelle.

26        Des facteurs atténuants et aggravants ont été pris en compte. La responsabilité du fonctionnaire en sa qualité d’agent de la paix et sa responsabilité à exécuter la mission du SCC sont des facteurs particulièrement aggravants. Sa durée de service et l’investissement important fait par l’employeur pour le préparer à accomplir ses fonctions sont également considérés comme des facteurs aggravants. Parmi les facteurs atténuants, on trouve le fait que le détenu avait frappé un agent, ce qui a provoqué l’incident.

27        Le fonctionnaire n’a démontré aucun remords, selon M. Hope. Il a présenté ses excuses à M. Hope, qui n’a pas cru en leur sincérité. Le fonctionnaire était désolé d’avoir été surpris, mais non d’avoir contrevenu à la DC-060. Il n’a pas reconnu ses torts, ce qui a fait en sorte que le niveau de confiance de l’employeur à son égard a diminué. Le fonctionnaire a souligné le fait que le détenu n’a pas été blessé, mais cela n’était pas pertinent et démontrait que le fonctionnaire n’a pas reconnu la gravité de ses actions.

28        Les autres agents concernés dans l’incident de recours à la force du 1er juillet 2014 ont témoigné. L’avocat de l’employeur a fait valoir que, comme le fonctionnaire était présent tout au long de leur témoignage, sa crédibilité devait être remise en question lorsque son témoignage était conforme au leur et qu’il contredisait ou améliorait les déclarations qu’il avait faites pendant le processus disciplinaire.

          Témoignage de Jay Skopik

29        Jay Skopik est un CX-02 qui avait travaillé avec le fonctionnaire pendant un an et demi au moment de l’incident. Il trouvait que le fonctionnaire était ferme, mais équitable avec les détenus; le fonctionnaire s’attendait à ce que les détenus respectent les directives et les règles de l’établissement. M. Skopik a suivi le PFB et il a appris les techniques d’arrestation et de contrôle, d’autodéfense et d’autres techniques pour maîtriser des détenus qui résistent ou qui sont agressifs, comme l’ont fait tous les autres CX avec qui il a travaillé. Pour le PFB, M. Skopik a suivi sa seule formation en rédaction de RODA.

30        Le 1er juillet 2014, il se trouvait dans la rotonde de l’unité 6 de l’établissement en tant que coordonnateur du secteur. Il devait vérifier le nombre de détenus et signaler le déplacement des détenus se trouvant dans les unités 6 et 7. Y travaillaient également ce jour-là les agents Hicks, Adrian Orynik, Leather et Painchaud.

31        Vers 21 h 20, M. Skopik a entendu quelqu’un crier à l’unité 6, rangée C. Il a entendu M. Orynik donner un ordre direct à un détenu pour qu’il retourne à sa cellule, ce que le détenu a refusé de faire. Le détenu a résisté verbalement, le fonctionnaire s’est donc approché et a tenté de négocier avec lui. Le détenu a levé un manche à balai dans un geste menaçant et le fonctionnaire l’a convaincu d’aller le placer ainsi que les articles de nettoyage dans l’armoire. Le détenu était coopératif à ce moment; les agents ont commencé à l’escorter vers sa cellule, au moment où il a frappé M. Orynik au visage. Ce n’était pas la première fois que ce détenu frappait un agent. À un bilan de quart de travail quelques mois plus tôt, on avait signalé qu’il avait frappé un agent.

32        Après que le détenu eut attaqué M. Orynik, M. Skopik a saisi la jambe du détenu pour tenter de le contrôler, ce qui était l’action la plus appropriée dans les circonstances, puisqu’il était plus facile de contrôler un détenu s’il est mis face contre terre. Il a donné au détenu l’ordre de montrer ses bras pour qu’il puisse lui passer les menottes, mais le détenu a refusé. M. Skopik a ordonné aux agents présents de lui présenter les bras du détenu. Ils ont fini par y arriver et ils ont passé les menottes au détenu. M. Skopik a déclaré que, pendant l’incident, il a vu le fonctionnaire frapper le détenu deux fois.

33        Du gaz poivré n’a pas été utilisé pour contrôler le détenu, ce n’était pas une option, étant donné le nombre d’agents qui auraient été contaminés dans ce cas. Aucun matériel de contrainte n’a été utilisé parce que le détenu respectait au départ les directives des agents. Le détenu a fini par se pencher; les agents craignaient qu’il ait une arme cachée dans sa ceinture, qu’il tentait de sortir, puisqu’il agissait comme si c’était le cas. Tout le long de l’incident, M. Skopik s’est concentré sur cette menace.

34        Au bout du compte, ils ont passé les menottes au détenu et l’ont ramené à sa cellule, après quoi M. Skopik a rédigé son RODA alors que l’incident était frais à sa mémoire. Son RODA devait documenter tous les renseignements importants (pièce 1, onglet 7). Toutefois, il n’a pas mentionné le fait que le détenu pouvait avoir une arme. Il consignait ce que M. Skopik se rappelait et ce qu’il a fait pendant l’incident de recours à la force. Il ne consignait pas ce que le fonctionnaire a fait au cours de l’incident; il croyait que cela été visé par sa mention du contrôle physique. Un RODA doit porter sur les propres actions d’un agent; il revient aux autres agents de déclarer ce qu’ils ont fait dans leur propre RODA.

          Témoignage d’Adrian Orynik

35        M. Orynik était l’agent qui a été frappé par le détenu visé par l’incident de recours à la force du 1er juillet 2014. Il a suivi la même formation décrite par M. Skopik. Pendant le quart de travail en question, il se trouvait dans la rotonde de l’unité 6 et était responsable du déplacement des détenus. Un agent du poste de contrôle lui a demandé d’ordonner au détenu en question de retourner à sa cellule. M. Orynik s’est approché de la barrière et a ordonné plusieurs fois au détenu de retourner à sa cellule, mais le détenu a refusé. Le fonctionnaire et M. Skopik se sont alors approchés de la barrière. Le fonctionnaire a parlé au détenu et l’a convaincu de ranger ses articles de nettoyage, et la barrière a alors été ouverte.

36        Les agents ont ensuite commencé à escorter le détenu à sa cellule, au moment où ce dernier s’est arrêté, s’est retourné et a frappé M. Orynik trois fois à la tête. Les agents ont répondu par un contrôle physique. Le détenu a résisté et a été plaqué au sol et menotté. Après avoir été agressé, M. Orynik s’est trouvé au milieu de la mêlée. Il a tenté d’avoir le contrôle du détenu en lui saisissant le bras, mais il en a été incapable tant que le détenu n’était pas au sol.

37        M. Orynik a rédigé son RODA (pièce 1, onglet 7) vers 21 h 45. Il y a déclaré avoir été frappé deux fois, mais, après le visionnement de la vidéo, il a réalisé que c’était trois fois.

          Témoignage du fonctionnaire

38        Le fonctionnaire était un CX depuis dix ans. Il s’agissait de sa première infraction disciplinaire. Les examens de son rendement sont tous très bons. Il a suivi la même formation que les autres agents sur le recours à la force et la rédaction de RODA. Le jour en question, il était affecté en tant que CX-02 intérimaire à l’unité à sécurité maximale de l’établissement. Il se trouvait au bureau lorsqu’il a entendu que quelqu’un élevait la voix dans la rangée C. Il s’y est dirigé pour enquêter. L’agent du poste de contrôle lui a donné l’ordre d’enfermer le détenu, qui accomplissait une tâche de nettoyage.

39        M. Orynik se trouvait à la barrière, ordonnant au détenu de retourner à sa cellule, mais ce dernier a refusé de collaborer et il était physiquement et verbalement non coopératif. La barrière était ouverte, et le fonctionnaire a réussi à calmer le détenu. Il a respecté l’ordre de ranger les articles de nettoyage. Il a reçu au moins deux fois l’ordre de retourner à sa cellule, ce qu’il a refusé de faire. Selon le fonctionnaire, le détenu collaborait physiquement, mais non verbalement. Le détenu a commencé à se diriger vers sa cellule. Lorsqu’il s’est arrêté au début de la rangée, le fonctionnaire a placé une main sur son épaule et lui a dit de continuer à marcher.

40        Le fonctionnaire et M. Orynik ont escorté le détenu le long de la rangée. Les agents Skopik, Painchaud et Leather marchaient derrière eux. M. Orynik a dit au détenu de continuer à marcher, lorsque ce dernier s’est retourné soudainement et a frappé M. Orynik trois fois au visage. Le fonctionnaire a réagi en poussant le détenu contre le mur. Il lui a ordonné de présenter ses bras, ce qu’il a refusé de faire. Les mains du détenu étaient près de sa ceinture, ce qui faisait craindre au fonctionnaire qu’il pouvait avoir une arme.

41        Le fonctionnaire a donné au détenu des coups de distraction à son épaule tout en lui ordonnant de présenter ses bras. Après un certain nombre de coups, le détenu a présenté un bras. Le fonctionnaire a alors fait une clé de bras pour amener le détenu au sol. Il a tenté de faire une prise de poignet au détenu pour qu’il puisse placer ses bras derrière son dos afin de le menotter. Après que le détenu a été menotté, les agents l’ont relevé. Le fonctionnaire a ensuite vérifié que tout le monde allait bien. Il a également vérifié si du matériel avait été perdu pendant la bagarre. Il a placé le détenu dans un poste sécurisé puis est allé rédiger son RODA.

42        Tout l’incident a duré environ huit secondes, pendant lesquelles le fonctionnaire a donné six coups de distraction sur l’épaule du détenu. Il a cessé les coups lorsque le détenu s’est trouvé au sol et menotté. Le détenu n’a pas subi de blessures et a été interrogé à la suite de l’incident par le gestionnaire correctionnel et par la Direction des soins de santé de l’établissement, comme cela est requis. Le détenu n’a formulé aucune plainte au sujet de l’incident. Le fonctionnaire a rédigé son RODA à 21 h 30. Il a suivi les instructions qu’il a reçues pendant le PFB sur la façon d’en rédiger un (pièce 1, onglet 8).

43        Le fonctionnaire est allé voir son agent correctionnel après avoir appris qu’il y avait des préoccupations quant à son recours à la force. Il a demandé à l’agent correctionnel s’il y avait des problèmes et si l’employeur avait des inquiétudes. Il a passé en revue les événements tels qu’il se les rappelait avec le gestionnaire correctionnel, qui lui a indiqué qu’il serait prudent de rédiger un deuxième RODA. Sur la directive de l’agent correctionnel, le fonctionnaire n’a mentionné qu’un seul coup dans son RODA; à l’audience disciplinaire, il s’est rappelé avoir frappé le détenu trois fois. À l’audience disciplinaire, il a indiqué que le recours à la force dans la vidéo semblait excessif, mais que c’est le cas pour tous les recours à la force.

44        Selon le fonctionnaire, un RODA doit être court et pertinent. Lorsqu’il a rédigé son RODA à la suite de l’incident, il croyait que sa description, soit qu’il avait eu recours au contrôle physique, suffisait et qu’il n’avait pas besoin de préciser le nombre de coups donnés. Il a mentionné n’avoir donné qu’un seul coup, à la suggestion de son gestionnaire correctionnel. Le fonctionnaire ne se rappelait pas le nombre de coups qu’il avait donnés, mais il savait que, s’il continuait de frapper le détenu, ce dernier respecterait l’ordre de présenter ses bras, même si cela signifiait que le fonctionnaire devait libérer l’emprise qu’il avait réussi à faire du bras gauche du détenu pour continuer à donner des coups. Au début, il tenait le bras du détenu à deux mains. Il n’a fait aucune mention dans son RODA d’une arme, même si, selon son expérience, les détenus dissimulent des armes dans leur ceinture.

45        On a dit au fonctionnaire que son RODA était insuffisant et qu’il faisait l’objet d’une enquête menée par son gestionnaire correctionnel. Il ne devait avoir aucun contact avec les détenus pendant qu’il faisait l’objet de l’enquête et il a été accompagné à l’extérieur de l’établissement.

          Témoignage de Ryan Deback

46        Ryan Deback est un CX-01 au Centre psychiatrique régional du SCC à Saskatoon, en Saskatchewan. Il est membre de l’EIU de l’établissement depuis 14 ans. En tant que membre, il participe aux recours à la force préparés, comme les extractions de cellules. Il est un instructeur certifié de l’EIU et il a donné le cours de perfectionnement sur la formation en sécurité personnelle et en contrainte pour l’employeur. Selon M. Deback, les coups sont enseignés tant dans le cadre du cours de perfectionnement que du PFB. Les coups qui sont enseignés ne visent pas à neutraliser un détenu. Ils visent à détourner l’attention du détenu et à le distraire par une douleur momentanée, ce qui permet à l’agent de reprendre le contrôle. Il faut éviter les coups de poing, puisque leur apprentissage approprié prend beaucoup de temps. Toutefois, ils peuvent être utilisés pour frapper les tissus mous, au besoin.

47        Un incident de recours à la force est spontané, et la force utilisée dépendra de l’historique du détenu, de l’endroit où se trouvent ses mains, de la question de savoir s’il est debout ou couché sur le plancher, du nombre d’agents concernés, de l’expérience de ces derniers, des parcours d’évacuation disponibles et de la question de savoir s’il est possible de préparer un plan. La taille du détenu peut limiter les options de réaction. Le simple fait qu’un détenu est petit ne signifie pas qu’il n’est pas en mesure de causer du tort. La douleur et le respect des ordres sont utilisés pour obtenir le contrôle. Une douleur est infligée tout en donnant des directives verbales. La douleur cesse lorsque le détenu respecte les ordres. La douleur peut également être utilisée pour contrôler un détenu qui ne respecte pas les ordres.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

48        La jurisprudence a établi que le recours excessif à la force et l’omission de présenter un RODA justifient une mesure disciplinaire. En tant qu’agent de la paix, les CX sont dans une position de confiance importante. C’est un travail difficile et dangereux dans le cadre duquel le recours à la force peut être requis en tout temps. Les CX doivent prendre des décisions en une fraction de seconde lorsqu’un risque se présente. Une gamme de réactions est possible, et on s’attend à ce que les CX choisissent la réponse appropriée. Les CX sont embauchés pour leur capacité à travailler dans ces circonstances. Ils n’ont pas un pouvoir discrétionnaire illimité sur la façon de réagir dans des situations comme celle qui est visée par la présente décision. Leur réaction doit être fondée sur le droit, les politiques et la formation.

49        Le 1er juillet 2014, le fonctionnaire a manqué à sa responsabilité en recourant à une force excessive en réponse à une situation provoquée par un détenu. Il a appris les politiques de recours à la force et l’application de la force appropriée. Malgré cela, il a frappé le détenu six fois.

50        Pour trancher cette affaire, l’arbitre de grief doit examiner uniquement la vidéo (pièce 2). Le détenu entre dans la rangée, suivi de cinq CX. Il se tourne et frappe M. Orynik, après quoi les agents ferment l’endroit, agrippent les bras du détenu et tentent de le plaquer au sol.

51        Au départ, le fonctionnaire tient l’un des bras du détenu avec ses deux mains. Il est dans une bonne position pour appliquer les techniques de pression. Tout le flanc gauche du détenu est exposé. Le détenu est poussé contre le mur et il adopte une position défensive. Pour une raison inconnue, de sa main gauche, le fonctionnaire laisse le bras du détenu et commence à le frapper à répétition. Selon le témoignage du fonctionnaire, il s’agissait d’une stratégie délibérée de coups de distraction et de contrainte par la douleur, mais ce n’était pas une approche raisonnable pour contrôler le détenu.

52        M. Deback a indiqué dans son témoignage que, principalement, les coups donnés avec une main ouverte sont enseignés. L’objectif de frapper un détenu consiste à le distraire par une sensation de douleur momentanée puis à passer à une action plus appropriée. Six coups de distraction ont été donnés, sans délai entre chacun pour réévaluer la situation. Le fonctionnaire n’a pas tenté de prise de contrainte. Le recours à la force ne s’est conclu que lorsque les autres agents ont réussi à plaquer le détenu au sol après que M. Skopik l’eut contourné et lui eut étiré les jambes. Alors que le détenu tombe, on peut voir le dernier des six coups.

53        Personne d’autre que le fonctionnaire ne donne des coups de poing. M. Orynik ne réplique pas après avoir été frappé. Il pousse le détenu contre le mur et tente de l’amener au sol. M. Skopik contourne le fonctionnaire en courant pour atteindre le flanc gauche du détenu, qui est exposé au fonctionnaire pendant tout l’incident. M. Skopik a fait ce que le fonctionnaire aurait dû faire au début plutôt que de frapper le détenu six fois.

54        Les justifications fournies par le fonctionnaire n’excusent pas son approche. Il a l’obligation de prendre des décisions dans le temps dont il dispose. Le manque de temps n’excuse pas ses actions. Ses craintes que le détenu puisse avoir une arme n’étaient pas particulières à cet incident. Un détenu peut avoir une arme en tout temps et les CX doivent donc être vigilants en tout temps. Ils sont formés pour supposer que chaque détenu a une arme. La question de savoir comment six coups de poing auraient réglé la situation si le détenu avait eu une arme ne se justifie pas et ne s’explique pas.

55        Il est curieux qu’aucun des CX concernés n’ait mentionné une arme ou la crainte d’une arme dans son RODA, en particulier le fonctionnaire qui en a produit deux. Même en sachant qu’il faisait l’objet d’une enquête, il n’a pas mentionné une arme ou la façon dont sa réaction aurait été appropriée à la menace. En outre, il n’a pas non plus mentionné durant l’enquête disciplinaire ou l’audience disciplinaire comment sa réaction était appropriée dans les circonstances.

56        Le contrôle d’un détenu couvre un spectre. Ce n’est pas seulement lorsqu’un détenu est menotté ou sécurisé que le recours à la force devient excessif. Le recours à la force doit être évalué au moment où il est exercé et, dans le présent cas, il a été fait alors que le détenu s’efforçait de garder son équilibre. Durant l’enquête disciplinaire, le fonctionnaire a admis que le recours à la force semblait excessif. Sa déclaration selon laquelle tous les recours à la force semblent excessifs signifiait que, pour un profane, la vidéo paraîtrait mal. Il a admis, pendant l’enquête disciplinaire, qu’il avait franchi la limite et que la force qu’il avait utilisée le 1er juillet 2014 avait été excessive. Cela n’aurait aucun sens qu’il demande à l’arbitre de grief de parvenir à une conclusion différente.

57        La jurisprudence concernant le recours excessif à la force est uniforme. Il s’agit d’une inconduite grave, qui justifie une mesure disciplinaire sévère (voir Roberts c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 28, aux paragraphes 285 et 286; Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services) (2008), 172 L.A.C. (4e) 385, aux paragraphes 160 à 162 et 167; Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services) (2008), 177 L.A.C. (4e) 1, au paragr. 189; Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services) (2007), 159 L.A.C. (4e) 186, aux paragraphes 45 et 51; Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services) (2013), 236 L.A.C. (4e) 91, au paragr. 122; Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Public Safety and Security), [2002] O.G.S.B.A. No. 58, aux paragraphes 66 à 68 (QL); Ontario Public Service Employees Union (Zolnierczyk) v. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2011 CanLII 17011 (ON GSB), aux paragraphes 71 et 78; Ontario Public Service Employees Union (Maude) v. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2016 CanLII 18935 (ON GSB); Ontario Public Service Employees Union (Wild) v. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2016 CanLII 18942 (ON GSB), aux paragraphes 81 à 83; Rose c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 17; Legere c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)), 2014 CRTFP 65).

58        Le fonctionnaire a fait l’objet de mesures disciplinaires non seulement pour avoir eu recours à une force excessive, mais également pour avoir manqué à son devoir de signaler le recours à la force. L’établissement de rapports fait partie du rôle d’un agent de la paix et le manquement à cette obligation justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire (Newman c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 88, au paragr. 840). Les CX sont formés pour être brefs et pour rapporter tous les faits pertinents. Le premier RODA du fonctionnaire était bref au point d’être superficiel. L’omission de faits pertinents, comme le fait de donner un coup de poing au détenu, est particulièrement préoccupante. L’omission de signaler le fait d’avoir frappé un détenu est une inconduite grave (Maude,au paragr. 45).

59        Le fonctionnaire n’a pas signalé les véritables faits de l’incident à la première occasion. Même après avoir parlé à son gestionnaire correctionnel qui lui a conseillé de produire un autre RODA plus détaillé, il a admis avoir frappé le détenu une seule fois. Il n’a pas cru que les cinq autres fois étaient pertinentes. Il manque de crédibilité. Il n’a pas signalé de façon exacte ses actions du 1er juillet 2014. M. Orynik n’a pas vu les coups, ce qui explique pourquoi il ne les a pas signalés. M. Skopik les a vus, mais il ne les a pas signalés; toutefois, le fonctionnaire assumait la responsabilité la plus importante de les signaler parce qu’il en était l’auteur.

60        Le recours excessif à la force du fonctionnaire a été aggravé par son omission de signaler ses actions. Il s’agit de deux infractions graves qui justifient l’imposition d’une mesure disciplinaire. La suspension de 20 jours sans traitement était appropriée.

B. Pour le fonctionnaire

61        L’arbitre de grief doit décider si une mesure disciplinaire était justifiée et, dans l’affirmative, si la mesure disciplinaire imposée était déraisonnable. L’employeur avait le fardeau de prouver selon preuve prépondérante claire, solide et convaincante que le fonctionnaire a eu recours à une force excessive le 1er juillet 2014. Ce dernier a démontré que la force utilisée était nécessaire et appropriée. Ce n’est que lorsque le détenu s’est retourné et a agressé des employés que le fonctionnaire a réagi avec force.

62        La présente affaire diffère de Legere, où un CX a frappé à répétition un détenu sans s’arrêter pour évaluer la situation; le fonctionnaire a arrêté ses coups dès qu’il a réalisé que le détenu était contrôlé. Le détenu a pris beaucoup de temps avant de respecter les ordres, selon MM. Skopik et Orynik. Un recours à la force n’est jamais agréable à regarder, mais on ne peut décider s’il était excessif simplement à le regarder. Les politiques de l’employeur n’interdisent pas l’utilisation de coups de poing.

63        Le caractère du détenu et la population doivent être pris en compte (voir Stefenac c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14528 (19850129) à la p. 12; et Dagenais c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 02-15767 (19870818), à la p. 9). Le détenu n’a pas été blessé et il a refusé une évaluation de son état de santé qui lui a été offerte. Il ne s’est pas plaint du recours à la force, ce dernier ne peut donc pas avoir été excessif. À l’audience disciplinaire, le fonctionnaire a admis que le recours à la force semblait excessif; il n’a pas déclaré qu’il l’avait été.

64        L’employeur s’en est remis à la vidéo pour conclure que le fonctionnaire aurait dû faire l’objet d’une mesure disciplinaire. Selon King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 84, au paragr. 103, la séquence de vidéo de surveillance est peu fiable. En l’espèce, il n’y avait pas de son pour accompagner la vidéo, qui montrait un seul angle, même si un autre était disponible. Au moins 12 RODA ont été produits au sujet de l’incident, mais on ne sait pas combien l’employeur en a examiné. Il est également préoccupant de voir que l’employeur n’a pas interrogé les autres agents concernés, l’agent correctionnel qui a déclaré que le recours excessif avait été raisonnable, l’infirmière ou le détenu. Aucune enquête n’a été effectuée; il n’y a que la vidéo, sans contexte. M. Hope a indiqué dans son témoignage qu’il était évident que le recours à la force était excessif en fonction uniquement de la vidéo.

65        L’employeur croit qu’à l’audience disciplinaire, le fonctionnaire n’a pas assumé la responsabilité de ses actions, mais comment aurait-il pu le faire, s’il croyait que le recours à la force était raisonnable?

66        Le fonctionnaire n’a pas falsifié son RODA; il n’a pas modifié les renseignements ou la preuve afin de tromper l’employeur. Il n’avait pas d’intérêt à mentir dans son RODA. Il savait que l’incident avait été enregistré et que cet enregistrement serait visionné. Il n’a pas falsifié son RODA; il ne se rappelait simplement pas les événements. Il est difficile de se rappeler chaque détail dans une situation de recours à la force. Il a écrit son premier RODA quelques minutes seulement après l’incident. Les CX étaient pressés par le temps pour rédiger leur RODA avant la fin de leur quart. Il est fréquent qu’ils oublient certains détails. Le fonctionnaire a pris l’initiative 48 heures plus tard d’écrire un RODA plus détaillé.

67        La seule formation qu’ont suivie les CX sur la rédaction de RODA est le PFB. Une formation supplémentaire sur la rédaction de RODA serait plus appropriée dans les circonstances qu’une mesure disciplinaire. D’autres employés ont présenté des RODA qui comportaient des lacunes, mais seul le fonctionnaire a fait l’objet de mesures disciplinaires. Il est un agent expérimenté qui n’a pas fait l’objet d’autres mesures disciplinaires et qui a de bons examens du rendement. La suspension de 20 jours sans traitement était clairement injustifiée et excessive.

IV. Motifs

68        La représentante du fonctionnaire a concentré la majeure partie de son argumentation sur ce qu’elle considérait comme des lacunes dans le processus d’enquête que l’employeur a utilisé lorsqu’il a conclu que les actions du fonctionnaire justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire. Les audiences devant un arbitre de grief sont des audiences de novo et tout préjudice ou iniquité causé par un problème de procédure est corrigé par l’audition du grief (voir Maas c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123, au paragr. 118; Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70; et Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL)).

69        La représentante du fonctionnaire a aussi longuement fait valoir que la vidéo (déposée comme pièce 2) ne peut être fiable parce qu’elle n’a pas de son ni de contexte. Elle a principalement invoqué King et les commentaires de l’arbitre de grief au paragraphe 103. Cette affaire ne porte pas sur le contexte. Il ne ressemble pas non plus à celui décrit dans Legere, où l’employeur a fait valoir que le fonctionnaire dans cette affaire avait dit quelque chose à un détenu qui avait amené ce dernier à en agresser un autre. Dans les deux affaires, sans un enregistrement audio, il n’y avait aucune preuve pour appuyer la décision de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire aux fonctionnaires s’estimant lésés. La présente affaire serait plutôt visée par le commentaire suivant formulé par l’arbitre de grief dans King : « […] il existe des circonstances où un manque d’audio sur une vidéo de surveillance ne constitue pas un problème […] ». Je ne m’inquiète pas en l’espèce du fait que la vidéo présentée provenait d’un bout de la rangée puisque l’explication de l’employeur pour l’absence d’un autre point de vue, soit que les événements se sont déroulés sous la caméra 2 et hors de son champ, suffisait pour excuser que la vidéo soit à l’autre bout de la rangée.

70        Le recours à la force est une triste réalité dans le milieu correctionnel. Pour cette raison, l’employeur offre une formation à ses employés et il a adopté des politiques liées au recours à la force et à son signalement dans ses établissements (pièce 1, onglets 6 et 7). L’omission de respecter ces politiques constitue un manquement au Code de discipline de l’employeur (DC-060; pièce 12, onglet 3). À ce titre, cela justifie une mesure disciplinaire. Le fait que d’autres n’ont pas fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir omis de signaler les actions du fonctionnaire qui a frappé un détenu n’annule pas ses responsabilités en vertu de la DC-060.

71        La jurisprudence confirme clairement que le recours excessif à la force au moment de contraindre un détenu est une faute disciplinaire grave, tout comme l’omission de déclarer précisément les événements dans un RODA (voir Roberts, Legere, Maude, Wild et Newman). La représentante du fonctionnaire avait raison de dire que l’employeur assume le fardeau de preuve en l’espèce et qu’il doit établir selon la prépondérance des probabilités et selon une preuve prépondérante claire, solide et convaincante que le fonctionnaire a contrevenu à la DC-060 en recourant à une force excessive et en omettant de le déclarer dans son RODA.

72        J’ai examiné la vidéo à de nombreuses occasions pour en venir à ma conclusion sur cette affaire. J’ai également tenu compte du témoignage de M. Andersen et de son explication de ce qu’il a vu dans la vidéo. Il est évident que le détenu en question ne respectait pas les ordres et qu’il a frappé M. Orynik, ce qui a donné lieu au recours à la force contre lui. Le fonctionnaire est clairement dans une position où le flanc du détenu lui est exposé, comme l’a décrit l’avocat de l’employeur. Le fonctionnaire libère l’une de ses mains du bras du détenu afin de le frapper. Comme l’a fait valoir l’avocat de l’employeur, cette action est inexplicable. Le fonctionnaire n’a présenté aucun élément de preuve pour l’expliquer; il n’a pas non plus présenté suffisamment d’éléments de preuve pour expliquer pourquoi il a continué de frapper le détenu sans s’arrêter pour évaluer la situation. Selon mon visionnement de la vidéo, ses coups n’ont servi à rien d’autre qu’à énerver davantage le détenu et à mettre les autres CX en danger. Si le fonctionnaire avait arrêté à l’occasion et évalué si les coups qu’il donnait amenaient le détenu à respecter les ordres, il aurait certainement constaté qu’ils étaient inefficaces.

73        Le fait que le fonctionnaire a frappé le détenu même après qu’il fut tombé au sol et menotté est particulièrement préoccupant. Tous ses coups visaient le haut du dos, les épaules, le cou et la tête du détenu. Le témoin du fonctionnaire, M. Deback, a indiqué dans son témoignage que les coups de poing ne sont pas enseignés aux CX et qu’ils doivent être évités. Ils peuvent être utilisés pour frapper les tissus mous, au besoin, ce qui, selon mon évaluation, ne comprend pas les régions du corps du détenu que le fonctionnaire a frappées.

74        Le fait que le détenu en question était plus petit que le fonctionnaire n’est pas pertinent, particulièrement à la lumière du témoignage de M. Deback selon lequel la taille d’un détenu peut limiter les options de réaction, mais ne détermine pas la question de savoir s’il peut ou non causer du tort. Ce détenu avait la réputation de frapper les agents, ce qui était une raison pour ces derniers d’être particulièrement vigilants dans les circonstances. Toutefois, cela ne donnait pas une raison au fonctionnaire pour réagir de façon violente, ce qui a mis ses collègues en danger parce qu’il a aggravé la situation. M. Hope a déclaré qu’il croyait que l’agression de M. Orynik par le détenu était un facteur atténuant dans l’examen de la mesure disciplinaire appropriée à imposer au fonctionnaire.

75        Je suis convaincue que l’employeur s’est acquitté de son fardeau de preuve. Le fonctionnaire n’a fourni aucune explication qui excuserait ses actions cette journée-là. En fait, la preuve qu’il a fournie à l’audience semble être une autre version des événements qui n’était pas complètement conforme à ses explications précédentes, par exemple le nombre de fois où il a frappé le détenu, et cela contredisait complètement son RODA. Ses actions contrevenaient à la DC-060 et justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire. La nature grave de ses actions, comme le montre la vidéo des événements, et son omission de déclarer précisément ses actions, qui sont une partie fondamentale de son rôle en tant qu’agent de la paix, justifiaient des mesures disciplinaires sévères. Je suis convaincue que l’employeur a correctement évalué les circonstances aggravantes et atténuantes de la présente affaire.

76        La représentante du fonctionnaire a fait valoir que, étant donné que d’autres employés n’ont pas fait l’objet de mesures disciplinaires quant à la qualité des RODA qu’ils ont produits ce jour-là, il aurait dû en être de même pour le fonctionnaire. Les autres personnes à qui elle fait référence n’ont pas frappé le détenu, seul le fonctionnaire l’a fait. La combinaison des deux infractions justifiait une sanction sévère, qui a été établie à une suspension de 20 jours sans traitement par l’employeur. À mon avis, cela n’était ni déraisonnable ni inacceptable. Dans de nombreux cas invoqués par l’avocat de l’employeur, les employés ont été licenciés pour de telles infractions, ce qui aurait également été raisonnable en l’espèce.

77        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

78        Le grief est rejeté.

Le 30 septembre 2016.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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