Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignantes ont déposé une plainte sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) – la CCDP a renvoyé l’affaire à la Commission au motif que le paragraphe 396(1) de la Loi d’exécution du budget de 2009 prévoit que les plaintes fondées sur les articles 7, 10 ou 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C., 1985, chap. H-6) doivent être renvoyées à la Commission – les plaignantes ont allégué que le Conseil du Trésor avait fait preuve de discrimination fondée sur le sexe à l’égard des agents financiers (FI), un groupe professionnel à prédominance féminine, en les rémunérant moins que les employés de certains groupes professionnels comparatifs à prédominance masculine – le défendeur a soulevé une objection préliminaire au moyen d’une requête et a demandé que la Commission radie la partie de la plainte concernant les niveaux FI-1 et FI-2, en déclarant que le principe de la chose jugée s’appliquait ou qu’il s’agissait d’un abus de procédure, au motif allégué que la question en litige avait déjà été tranchée dans Hall c. Conseil du Trésor, 2015 CRTEFP 56 – la Commission a conclu que la plainte n’était pas irrecevable en raison du principe de la chose jugée puisque les questions en litige sont différentes de celles dans Hall, qui ne portait pas sur la discrimination salariale à l’égard du groupe FI – dans Hall, la plainte portait sur les niveaux FI-1 et FI-2, alors que la présente affaire porte sur l’ensemble de la catégorie FI – puisque la Commission n’a rendu aucune décision en matière de discrimination salariale dans Hall, il n’y a aucun risque qu’une décision contradictoire soit émise – la Commission a souligné qu’il serait injuste de priver une personne du droit de faire entendre ses arguments en matière de droits de la personne si le tribunal de première instance n’a pas abordé l’ensemble de ses préoccupations relatives aux droits de la personne. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et
Loi d’exécution du budget de 2009

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170111
  • Dossier:  666-02-17
  • Référence:  2017 CRTEFP 3

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

NICOLE BISHOP-TEMPKE ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AGENTS FINANCIERS

plaignantes

et

CONSEIL DU TRÉSOR

défendeur

Répertorié
Bishop-Tempke c. Conseil du Trésor


Affaire concernant une plainte renvoyée à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique visée au paragraphe 396(1) de la Loi d’exécution du budget de 2009


DÉCISION PROVISOIRE SUR UNE REQUÊTE PRÉLIMINAIRE

Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour les plaignantes:
James G. Cameron, avocat
Pour le défendeur:
Marie-Josée Montreuil, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 9 décembre 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

1        Le 18 avril 2016, la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») a renvoyé cette plainte à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique en vertu du paragraphe 396(1) de la Loi d’exécution du budget de 2009 (L.C. 2009, ch. 2; la « LEB »), qui est entrée en vigueur le 12 mars 2009. L’article 396 prévoit ce qui suit :

396. (1) Les plaintes ci-après qui concernent des employés et dont la Commission canadienne des droits de la personne est saisie à la date de sanction de la présente loi, ou qui ont été déposées devant elle pendant la période commençant à cette date et se terminant à la date d’entrée en vigueur de l’article 399, sont, malgré l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, renvoyées sans délai par la Commission canadienne des droits de la personne devant la Commission :

a) les plaintes fondées sur les articles 7 ou 10 de cette loi, dans le cas où celles-ci portent sur la disparité salariale entre les hommes et les femmes instaurée ou pratiquée par l’employeur;

b) les plaintes fondées sur l’article 11 de la même loi.

(2) La Commission statue sur les plaintes conformément au présent article.

(3) La Commission dispose, pour statuer sur les plaintes, en plus des pouvoirs que lui confère la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, du pouvoir d’interpréter et d’appliquer les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, même après l’entrée en vigueur de l’article 399.

(4) La Commission procède à un examen sommaire de la plainte et la renvoie à l’employeur qui en fait l’objet ou à celui-ci et à l’agent négociateur des employés qui l’ont déposée, selon ce qu’elle estime indiqué, à moins qu’elle ne l’estime irrecevable pour le motif qu’elle est futile ou vexatoire ou entachée de mauvaise foi.

(5) La Commission peut aider l’employeur ou l’employeur et l’agent négociateur, selon le cas, à qui elle a renvoyé la plainte au titre du paragraphe (4) à régler les questions en litige de la façon qu’elle juge indiquée.

(6) Si l’employeur ou l’employeur et l’agent négociateur, selon le cas, ne règlent pas les questions en litige dans les cent quatre-vingts jours suivant la date à laquelle la plainte leur a été renvoyée ou dans le délai supérieur précisé par la Commission, celle-ci fixe une date pour l’audition de la plainte.

(7) La Commission établit sa propre procédure; elle est toutefois tenue de donner à l’employeur ou à l’employeur et à l’agent négociateur, selon le cas, toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et leurs arguments.

(8) La Commission rend une décision écrite et motivée sur la plainte et en envoie copie à l’employeur ou à l’employeur et à l’agent négociateur, selon le cas, et aux employés.

(9) La Commission peut, à l’égard des plaintes visées au présent article, rendre toute ordonnance que le membre instructeur est habilité à rendre au titre de l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne mais elle ne peut accorder de réparation pécuniaire que sous la forme d’une somme forfaitaire et que pour une période antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 394.

2        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »). En vertu de l’article 441 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40), la Commission a remplacé l’ancienne Commission aux fins de l’article 396 de la LEB.

3        Le 25 février 2016, Nicole Bishop-Tempke et l’Association canadienne des agents financiers (ACAF; ensemble, les « plaignantes ») ont déposé une plainte devant la CCDP en vertu des articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). Les plaignantes soutiennent que le Conseil du Trésor (le « défendeur ») a fait preuve de discrimination à l’égard d’agentes financières, qui sont membres d’un groupe professionnel à prédominance féminine, en raison de leur sexe, ce qui est contraire aux articles 7, 10 et 11 de la LCDP.

4        Selon les plaignantes, la discrimination découle du fait que le défendeur, par ses actes discriminatoires, paie les agentes financières des niveaux de classification FI-1, FI-2, FI-3 et FI-4 moins que le groupe professionnel comparateur à prédominance masculine qui accomplit des fonctions équivalentes dans le même établissement. Cette discrimination entraîne une paie inégale pour des fonctions équivalentes accomplies par les agents financiers.

5        Le 28 avril 2016, la Commission a examiné la plainte en vertu du par. 396(4) de la LEB et l’a renvoyée au défendeur. Selon la loi, les parties avaient au maximum 180 jours pour régler l’affaire soulevée dans la plainte, après quoi la Commission pouvait fixer une audience si elle n’était pas réglée.

II. Requête du défendeur

6        Au moyen d’une lettre du 12 juillet 2016, le défendeur a indiqué qu’il soulèverait une objection préliminaire au moyen d’une requête. Dans une lettre du 12 août 2016, l’avocat des plaignantes a indiqué que les parties n’avaient pas réussi à régler la plainte et a demandé que l’objection préliminaire soit soumise à la Commission pour examen.

7        La requête pour examen a pour but de demander à la Commission de radier la partie de la plainte qui a déjà été tranchée dans Hall et Association canadienne des agents financiers c. Conseil du Trésor, 2015 CRTEFP 56 (« Hall »).

8        Les parties ont fourni des arguments écrits au sujet de la requête avant l’audience. Cette décision concerne uniquement la requête du défendeur de faire radier une partie de la plainte.

A. Décision Hall

9        Aux fins de cette requête, je vais résumer la décision Hall.

10        Karen Hall et l’ACAF ont déposé une plainte devant la CCDP en mars 2009 invoquant une discrimination en vertu des articles 7, 10 et 11 de la LCDP. Selon la plainte, les agentes financières classifiées aux niveaux FI-1 et FI-2, qui étaient tous les deux des groupes à prédominance féminine, étaient moins bien payées que certains groupes comparateurs à prédominance masculine du même établissement, soit du même employeur.

11        Les parties ont convenu que le critère approprié pour déterminer s’il existe un écart salarial fondé sur le sexe défavorable au groupe à prédominance féminine a été établi dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2010 CAF 56. Selon ce critère, pour établir une preuve prima facie de discrimination en vertu de l’art. 11 de la LCDP, le plaignant doit établir ce qui suit :

1. Le groupe professionnel plaignant est composé majoritairement de membres appartenant au même sexe et le groupe professionnel de comparaison est composé majoritairement de membres de l’autre sexe. […]

2. Le groupe professionnel à prédominance féminine et le groupe professionnel à prédominance masculine qui sont comparés sont composés d’employés qui travaillent dans le même établissement.

3. La valeur du travail comparé entre les deux groupes professionnels a été évaluée de façon fiable sur le fondement du dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail. L’évaluation qui s’ensuit établit que le travail comparé est de valeur égale.

4. Une comparaison faite entre les salaires versés aux employés des deux groupes professionnels pour des fonctions équivalentes démontre qu’il existe une différence entre les salaires versés entre les deux groupes, le groupe professionnel à prédominance féminine qui est moins bien rémunéré que le groupe professionnel à prédominance masculine. Cette disparité salariale est communément appelée « écart de rémunération ».

12        Les plaignantes n’ont pas respecté la troisième partie du critère, soit l’évaluation fiable de la valeur du travail comparé entre le groupe professionnel à prédominance féminine et le groupe professionnel à prédominance masculine. La Commission a conclu qu’il y avait trop de lacunes dans le rapport de l’expert portant sur l’évaluation et a donc conclu qu’elle n’était pas fiable. Pour ce motif, la Commission a rejeté la plainte, puisque les conditions permettant de conclure à l’existence d’une preuve prima facie de discrimination n’ont pas été remplies.

13        La décision de la Commission était définitive, elle ne pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

14        Le défendeur souhaite que le principe de la chose jugée soit appliqué à une partie de la plainte ou, si les conditions rigoureuses du principe de la chose jugée ne sont pas respectées, obtenir une déclaration selon laquelle l’inclusion des groupes FI-1 et FI-2 dans l’analyse de la discrimination fondée sur le salaire pour la période visée par Hall constituerait un abus de procédure.

15        Selon le défendeur, une partie de la plainte relève du principe de la chose jugée puisqu’elle a déjà été décidée et qu’il s’agit d’un abus de procédure, en ce qui concerne les groupes FI-1 et FI-2, pour la période qui était en litige dans Hall. Le recours approprié consisterait pour la Commission à radier les groupes FI-1 et FI-2 de la plainte pour la période visée dans Hall.

16        Le principal argument de l’employeur est que la plainte des groupes FI-1 et FI-2, pour la période de 2004 à 2015, a déjà été tranchée de façon concluante dans Hall. Selon l’employeur, la Commission a décidé dans Hall qu’il n’y avait pas de preuve prima facie de discrimination en fonction des articles 7, 10 et 11 de la LCDP.

17        La plainte est irrecevable en vertu du principe de la chose jugée puisqu’il s’agit des mêmes parties, de la même cause d’action et du même objet. De plus, cela constitue un abus de procédure. Les plaignantes avaient eu la possibilité de présenter pleinement leurs arguments devant la Commission dans Hall. Elles ne peuvent le faire de nouveau pour obtenir une décision plus favorable.

18        Le principe de la chose jugée est une doctrine qui a été élaborée par la common law et qui s’applique aux décisions des tribunaux judiciaires et administratifs. Elle repose sur le principe selon lequel les instances doivent avoir un caractère définitif puisque la remise en cause des mêmes questions est un exercice inutile. Le principe de la chose jugée peut être fondé sur l’un des deux types de préclusion, le principe de préclusion ou la préclusion fondée sur la cause d’action. En l’espèce, les deux critères sont respectés : la cause d’action est la même en ce qui concerne les groupes FI-1 et FI-2 et les questions relatives à l’équité salariale et à la discrimination ont été tranchées dans Hall, encore une fois en ce qui concerne les groupes FI-1 et FI-2.

19        Les deux autres conditions nécessaires pour conclure à l’existence du principede la chose jugée sont que la décision doit être définitive et que les parties concernées doivent être les mêmes. Ces deux conditions sont présentes en l’espèce.

20        L’ajout des groupes FI-3 et FI-4 à la plainte et l’ajout de nouveaux groupes comparateurs ne peut justifier l’inclusion des groupes FI-1 et FI-2 dans la plainte. L’analyse pour les groupes FI-3 et FI-4 sera effectuée séparément, puisque chaque groupe doit être évalué afin d’établir s’il y a une iniquité salariale. Les nouveaux groupes comparateurs qui sont ajoutés dans la plainte existaient au moment de la plainte Hall. Encore une fois, on ne peut permettre aux plaignantes de simplement améliorer une affaire qui a déjà été décidée.

21        Les plaignantes devaient présenter leurs meilleurs arguments à la première tentative. Il n’est pas juste de leur permettre de refaire l’exercice qui aurait pu et aurait dû être effectué correctement au départ et cela constitue un gaspillage des ressources judiciaires.

22        L’employeur reconnaît que, même si les conditions du principe de la chose jugée sont respectées, un tribunal judiciaire ou administratif doit tenir compte de la question de savoir s’il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de donner suite dans l’intérêt de la justice.

23        Si la Commission conclut que l’affaire ne correspond pas au principe de la chose jugée, elle devrait néanmoins conclure que l’inclusion des groupes FI-1 et FI-2 pour la période visée par Hall est un abus de procédure puisqu’elle force l’employeur à répondre deux fois aux mêmes allégations, avec les dépenses et le travail que cela comporte.

B. Pour les plaignantes

24        Les plaignantes font valoir que les conditions préalables du principe de la chose jugée ne sont pas respectées.

25        Les plaignantes approuvent la description par le défendeur du critère : une affaire sera considérée comme correspondant au principe de la chose jugée si les mêmes parties sont concernées, si les mêmes questions sont en jeu ou s’il s’agit de la même cause d’action et que de plus, la décision du tribunal judiciaire ou administratif est définitive.

26        En l’espèce, il ne s’agit pas des mêmes parties. Il s’agit du même agent négociateur, l’ACAF, mais la plaignante individuelle dans Hall était Mme Hall, alors qu’il s’agit de Mme Bishop-Tempke en l’espèce.

27        Les questions ne sont pas les mêmes. Même si les deux affaires sont fondées sur les art. 7, 10 et 11 de la LCDP, le groupe à prédominance féminine qui invoque la discrimination et les groupes à prédominance masculine qui servent de groupes comparateurs ne sont pas les mêmes. En outre, l’analyse ne sera pas la même. En l’espèce, elle sera fondée sur une approche de ligne de traitements, soit une analyse de régression du salaire du groupe à prédominance féminine et des groupes à prédominance masculine. L’approche est non seulement différente en ce qui concerne la méthodologie, elle utilise également une base de comparaison différente, l’ensemble du groupe de classification FI, aux fins de l’analyse statistique, plutôt que des groupes distincts, comme les groupes FI-1 et FI-2. Ce changement modifie considérablement l’affaire et les questions à trancher par la Commission.

28        Il ne s’agit pas d’un abus de procédure. Étant donné que les questions à trancher sont différentes, cela ne peut être considéré comme un abus de procédure. En outre, il n’y a aucun risque à obtenir des résultats contradictoires. Dans Hall, les plaignantes ont omis d’établir une preuve prima facie de discrimination parce que la Commission a considéré que l’analyse de la valeur du travail des groupes FI-1 et FI-2 n’est pas fiable. En l’espèce, la Commission tiendra compte de toute la catégorie FI. Cela comprend les groupes FI-1 et FI-2, mais dans une analyse très différente qui n’établit pas de distinction entre les divers niveaux de la catégorie FI. On ne peut donc dire que la même question est remise en cause.

IV. Motifs

29        Le défendeur m’a demandé de déclarer qu’une partie de la plainte relève du principe de la chose jugée ou qu’il y a abus de procédure. J’examinerai les conditions respectives de chacune des doctrines à tour de rôle. J’aborderai ensuite la question du pouvoir discrétionnaire, dans le contexte particulier des droits de la personne.

A. Principe de la chose jugée

30        Les parties se sont entendues sur le critère du principe de la chose jugée (la question de savoir si l’affaire a déjà été tranchée). Le principe de la chose jugée précise essentiellement que les parties déboutées ne devraient pas avoir le droit de remettre en cause des affaires qui ont été réglées au moyen d’une décision définitive. Cela s’appuie sur deux justifications. L’une est que les ressources judiciaires ne devraient pas être gaspillées dans le cadre de litiges répétés. L’autre est que la cohérence du système doit être préservée et qu’elle serait menacée par des décisions potentiellement contradictoires. Le bon moyen de contester une décision est de faire appel ou de demander un contrôle judiciaire, et non de demander un examen par le même niveau de tribunal administratif ou judiciaire. Le critère à appliquer afin d’établir le principe de la chose jugée est énoncé dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44.

31        Le critère comporte trois parties : 1) la même question a été décidée ou la cause d’action est la même; 2) la décision était finale; 3) les parties ou leurs ayants droit sont les mêmes dans les deux procédures. Même si ces conditions sont respectées, le décideur doit quand même décider si le principe de la chose jugée s’applique.

32        En l’espèce, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la même question a été tranchée ou si les affaires sont fondées sur la même cause d’action. La discrimination et l’équité salariale sont en litige. La cause d’action est la violation des dispositions de la LCDP.

33        Le défendeur soutient que les questions de discrimination et d’équité salariale ont été tranchées pour les groupes FI-1 et FI-2 depuis que la Commission a conclu dans Hall que la preuve était insuffisante pour établir une preuve prima facie de discrimination. Les plaignantes soutiennent que comme le groupe est maintenant toute la catégorie FI, aucune décision n’a été rendue quant à la discrimination. Le même raisonnement respectif s’applique pour la cause d’action. Comme le groupe est différent, la cause d’action est nécessairement différente, selon les plaignantes. Les plaignantes utiliseront également des groupes comparateurs à prédominance masculine différents, ce qui modifie davantage les questions.

34        Je conclus que je ne peux décider à ce moment-ci, sans autre preuve, si la cause d’action ou les questions sont les mêmes. Étant donné la différence dans la qualification du groupe qui aurait fait l’objet de discrimination, il existe une chance sérieuse que l’argument selon lequel la question n’est pas la même soit accueilli. La question est maintenant de savoir si toute la catégorie FI a subi une discrimination fondée sur le salaire. L’analyse est nécessairement différente. En outre, la décision dans Hall portait sur la question de la fiabilité de l’évaluation. Elle ne portait pas sur la discrimination comme telle. Je comprends le point de vue de l’employeur selon lequel une partie ne peut remanier ses arguments sous un meilleur jour dans l’espoir d’obtenir gain de cause la deuxième fois. Toutefois, il me semble que cet argument est lié davantage à un abus de procédure qu’au principe de la chose jugée.

35        Les parties ne s’entendent pas non plus sur la question de savoir s’il s’agit des mêmes parties. J’accepte l’argument de défendeur selon lequel les ayants droit sont les mêmes (le défendeur et l’ACAF), même si la plaignante individuelle est maintenant Mme Bishop-Tempke.

36        J’accepte également le fait que la décision dans Hall était définitive et qu’il n’y a eu aucune demande de contrôle judiciaire. Je reconnais également que Hall a été décidé après une audience équitable et conforme à la procédure, de sorte que l’un des motifs invoqués dans Danyluk dans le cadre du pouvoir discrétionnaire résiduel ne s’applique pas en l’espèce.

37        Toutefois, je ne peux conclure que les questions dans Hall et dans la présente plainte sont les mêmes, pour absence de preuve et parce que la question de la discrimination salariale pour tout le groupe FI n’a pas été soulevée dans Hall. Pour cette raison, je ne peux conclure que le principe de la chose jugée s’applique.

B. Abus de procédure

38        Le défendeur soutient que, même si je conclus qu’il ne s’agit pas d’une affaire liée au principe de la chose jugée, je dois examiner la question de savoir si le fait de donner suite à la plainte ainsi qu’elle est énoncée constituerait un abus de procédure. Selon le défendeur, on ne peut permettre aux plaignantes de simplement redéfinir des catégories dans le but de trouver une discrimination. Comme Hall n’a pas permis d’établir l’existence d’une discrimination dans le cas des groupes FI-1 et FI-2, elles ne devraient pas faire l’objet de l’analyse pour les années 2006 à 2015.

39        Dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 79 c. Ville de Toronto, 2003 CSC 63 (« SCFP »), la décision de principe sur l’abus de procédure, le syndicat n’avait pas le droit de remettre en cause devant un arbitre du travail une affaire pour laquelle l’employé avait été condamné dans un procès criminel, alors que l’appel subséquent a été rejeté. La Cour suprême du Canada dans cette affaire a mis l’accent sur le fait que l’abus de procédure, en tant que doctrine invoquée par les tribunaux pour mettre fin à une remise en cause inutile, visait moins à empêcher une partie d’avoir à présenter et à faire valoir les mêmes arguments deux fois et plus à préserver l’intégrité de l’arbitrage en soi. Le fait de permettre la remise en cause peut mener à des résultats malheureux pour le système d’arbitrage, comme l’a déclaré la Cour suprême au paragraphe 51 :

51. La doctrine de l’abus de procédure s’articule autour de l’intégrité du processus juridictionnel et non autour des motivations ou de la qualité des parties. Il convient de faire trois observations préliminaires à cet égard. Premièrement, on ne peut présumer que la remise en cause produira un résultat plus exact que l’instance originale. Deuxièmement, si l’instance subséquente donne lieu à une conclusion similaire, la remise en cause aura été un gaspillage de ressources judiciaires et une source de dépenses inutiles pour les parties sans compter les difficultés supplémentaires qu’elle aura pu occasionner à certains témoins. Troisièmement, si le résultat de la seconde instance diffère de la conclusion formulée à l’égard de la même question dans la première, l’incohérence, en soi, ébranlera la crédibilité de tout le processus judiciaire et en affaiblira ainsi l’autorité, la crédibilité et la vocation à l’irrévocabilité.

40        L’abus de procédure est donc un mécanisme visant à protéger l’intégrité du système d’arbitrage et non les intérêts de l’une ou l’autre des parties. Le fait de décider s’il y a eu un abus de procédure relève du pouvoir discrétionnaire qui sera examiné dans la section qui suit.

C. Pouvoir discrétionnaire

41        La notion de pouvoir discrétionnaire résiduel est soulevée dans le contexte du principe de la chose jugée, comme l’indique Danyluk. Il se peut que, malgré la conclusion selon laquelle les conditions du principe de la chose jugée sont respectées, il existe des raisons de principe qui empêchent un tribunal judiciaire ou administratif de conclure que la deuxième procédure devrait se poursuivre. En l’espèce, j’ai conclu que les conditions du principe de la chose jugée n’ont pas été respectées. En tout état de cause, même si j’avais conclu que ces conditions avaient été respectées, la présente affaire aurait été appropriée pour appliquer le pouvoir discrétionnaire résiduel de rejeter la requête. Que ce soit à la lumière du principe de la chose jugée ou de l’abus de procédure, il ne serait pas approprié d’empêcher que l’affaire se poursuive comme elle a été formulée par les plaignantes.

42        La conclusion selon laquelle une affaire constitue un abus de procédure est une décision discrétionnaire, prise pour défendre l’intégrité du système d’arbitrage. La raison pour laquelle le tribunal administratif ou judiciaire invoquerait une raison pour ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’appliquer la doctrine de l’abus de procédure est formulée au paragraphe 52 de SCFP :

52.[…] D’un point de vue systémique, il est donc évident que la remise en cause s’accompagne de graves effets préjudiciables et qu’il faut s’en garder à moins que des circonstances n’établissent qu’elle est, dans les faits, nécessaire à la crédibilité et à l’efficacité du processus juridictionnel dans son ensemble. Il peut en effet y avoir des cas où la remise en cause pourra servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice […]

[Je souligne]

43        La Cour suprême énumère ensuite trois cas. Les deux premiers ne s’appliquent pas, mais le troisième est pertinent : « […] lorsque l’équité exige que le résultat initial n’ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte ».

44        Comme la Commission dans Hall ne s’est pas prononcée sur la discrimination salariale applicable à la catégorie FI dans son ensemble, je ne suis pas convaincue qu’il s’agit d’une affaire appropriée pour invoquer l’abus de procédure afin d’exclure une partie de la catégorie, à savoir les groupes FI-1 et FI-2. Il n’y a eu aucune conclusion sur la discrimination salariale, il n’y a donc aucun risque de décisions contradictoires. En outre, je crois qu’il est nécessaire de faire preuve de prudence pour établir la portée d’une affaire fondée sur les droits de la personne.

45        Les parties ont soumis une jurisprudence dans laquelle le principe de la chose jugée et l’abus de procédure ont été soulevés dans le contexte de litiges portant sur les droits de la personne. Dans les affaires soumises par le défendeur (Commission canadienne des droits de la personne c. Société canadienne des postes, 2004 CF 81, confirmée dans 2004 CAF 363; Dick v. The Pepsi Bottling Group (Canada) Co., 2014 CanLII 16055 (MB HRC); O’Connor c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 5; Raba v. Vaccarelli, 2014 HRTO 97), une seule personne a soulevé les mêmes arguments devant un forum différent. Dans ces cas, le tribunal administratif a décidé que la question soulevée devant le nouveau forum avait déjà été tranchée.

46        Dans les affaires soumises par les plaignantes (Culic c. Postes Canada, 2006 TCDP 6; Mills c. VIA Rail Canada Inc., 1998 CanLII 3157 (TCDP)), la conclusion était que la dimension des droits de la personne n’avait pas encore été pleinement explorée dans la première procédure et que l’affaire devrait se poursuivre pour que la question des droits de la personne soit tranchée. Il s’ensuit qu’il faut être prudent au moment d’examiner des plaintes en matière de droits de la personne. Il serait injuste de priver une personne du droit de faire entendre ses arguments en matière de droits de la personne si le premier tribunal n’a pas pleinement abordé ces préoccupations.

47        Les affaires soumises par les deux parties abordent principalement la question de la remise en cause devant des forums différents par la même personne. En l’espèce, la plainte a été déposée devant le même forum comme la plainte Hall. Les parties aux plaintes sont essentiellement les mêmes, quoiqu’elles ne sont pas identiques. Le nouvel aspect de cette requête est l’idée qu’une partie du plus grand groupe peut être séparée pour une partie de la période pertinente. La seule décision soumise qui illustre la disjonction d’une question suivant une requête qui invoque l’abus de procédure était Lavigne c. Sous-ministre de la Justice, 2010 TDFP 7, une plainte en matière de dotation en personnel dans le cadre de laquelle la question qui a été séparée avait déjà été tranchée. Ma principale préoccupation en l’espèce est que la question soulevée dans la plainte, la discrimination salariale alléguée invoquée par le groupe FI, n’a pas encore été tranchée.

48        Les plaignantes font valoir que l’évaluation des fonctions sera effectuée différemment pour la catégorie FI dans son ensemble. L’avocate de l’employeur a déclaré que cela était impossible et que l’analyse devrait se faire par niveau et que je pourrais donc ordonner que les groupes FI-1 et FI-2 soient exclus de l’analyse pour les années antérieures à 2015.

49        Je suis extrêmement réticente à ordonner une mesure sans connaître son incidence sur la façon dont les plaignantes ont l’intention de présenter leur preuve. J’ai déclaré plus tôt que je ne peux être certaine que cette situation respecte les conditions du principe de la chose jugée puisqu’il n’est pas clair que les questions sont les mêmes. Je ne peux voir comment il peut y avoir un abus de procédure si je permets aux plaignantes de présenter pleinement leurs arguments. Je ne peux voir comment le principe de l’abus de procédure permettrait d’isoler une partie de la plainte sans savoir exactement comment cette distinction serait exécutée ou quelle serait son incidence. Le retrait des groupes FI-1 et FI-2 de l’analyse globale pour la période de 2006 à 2015 a une incidence sur la composition par sexe de l’ensemble de la catégorie. L’employeur ne m’a pas convaincue qu’un important préjudice ne découlerait pas du retrait prématuré de parties de la catégorie qui doivent être utilisées dans l’analyse qui sera présentée par les plaignantes.

50        La présente plainte est fondée sur un droit de la personne fondamental, le droit des femmes de recevoir une paie identique à celle des hommes pour des fonctions équivalentes. À mon avis, il ne serait pas approprié à cette étape de rendre une ordonnance qui priverait à tort les plaignantes de la possibilité de pleinement défendre leurs droits.

51        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

52        La requête est rejetée.

Le 11 janvier 2017.

Traduction de la CRTEFP

Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la fonction publique

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.