Décisions de la CRTESPF
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Contenu de la décision
Loi sur l’emploi dans la
fonction publique et
Loi sur la commission des relations
de travail et de l’emploi
dans la fonction publique
- Date: 20170307
- Dossier: 2014-9153, 9154 et 9169
- Référence: 2017 CRTEFP 22
Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
ENTRE
COLIN THOMPSON, ARTUR PRZYBYLO ET STEPHEN PAYNTER
plaignants
et
LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
intimé
Répertorié
Thompson c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada
Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir déposées en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
- Devant:
- Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
- Pour les plaignants:
- Laura Ross et Jean Ouellette, agents des relations de travail
- Pour l’intimé:
- Jean-Michel Cazabon, stagiaire en droit, et Allison Sephton, avocate
les 7 et 8 décembre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)
MOTIFS DE DÉCISION
Introduction
1 Les plaignants, Colin Thompson, Artur Przybylo et Stephen Paynter, allèguent que le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC » ou l’« intimé ») a abusé de son pouvoir relativement au choix du processus et à l’application du principe du mérite dans la nomination pour une période indéterminée de Chaluka Ailapperuma (la « personne nommée ») à un poste de spécialiste technique de la technologie de l’information (TI), classifié CS-04, à la Direction générale de l’information, des sciences et de la technologie (ISTB) de l’ASFC, à Ottawa, en Ontario.
2 Ils allèguent que le processus était empreint de mauvaise foi et qu’il était partial envers la personne nommée, puisque la sélection de cette personne était prédéterminée. Selon eux, l’intimé n’a pas fourni de justification valable relativement à l’utilisation d’un processus non annoncé et il a adapté l’énoncé des critères de mérite (ECM) en fonction des qualifications de la personne nommée. Ils soutiennent également que, de toute façon, la personne nommée n’était pas qualifiée selon cet ECM. À l’audience, les plaignants ont retiré leur allégation quant au favoritisme personnel.
3 L’intimé nie toutes les allégations. Il fait valoir que le choix du processus et la nomination ont été faits conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (S.C. 2003, ch. 22, art.12 et 13;la « LEFP »)et aux valeurs de dotation et que la personne nommée était qualifiée pour ce poste.
4 La Commission de la fonction publique (la « CFP ») n’a pas participé à l’audience, mais elle a présenté des observations écrites décrivant ses politiques et ses lignes directrices pertinentes en matière de nomination. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte.
5 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») et la Commission des relations de travail dans la fonction publique. La Commission est maintenant responsable du traitement des plaintes déposées en vertu de la LEFP. Par conséquent, la présente décision a été rendue par une formation de la Commission.
6 Pour les motifs qui suivent, je conclus que les plaignants n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a procédé à cette nomination.
II. Contexte
7 Pour éviter de répéter la preuve, les parties ont accepté que M. Thompson témoigne pour toutes les plaintes. Il sera appelé le « plaignant ». Depuis mai 2011, il travaille comme spécialiste technique, au groupe et au niveau CS-03, à la Division de l’élaboration des systèmes commerciaux (la « Division commerciale »). Cette division est responsable du développement de la TI pour tous les systèmes commerciaux et la cotation des risques commerciaux de l’ASFC au soutien de l’évaluation et du passage de marchandises commerciales à destination et en provenance du Canada.
8 En 2012 et en 2013, il a travaillé au projet « Plan d’action Par-delà la frontière », plus précisément auprès du volet commercial « Manifeste électronique », qui était une initiative avancée d’information commerciale créée afin d’assurer la déclaration obligatoire exacte, opportune et anticipée des renseignements sur le fret, le transport, l’équipage, le transitaire et l’importateur. À l’époque, le projet était à l’étape de l’analyse préliminaire et de la conception.
9 Vers septembre 2012, Johanne Maisonneuve est devenue la directrice de la Division commerciale; le plaignant relevait d’elle. Dans le cadre de son témoignage, Mme Maisonneuve a mentionné que la création de l’ASFC était entrée en vigueur en décembre 2003 par suite d’un décret, et qu’elle était le résultat de la fusion de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« ADRC ») avec les employés frontaliers et d’application de la loi du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration et de l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Elle a dit qu’elle avait commencé à travailler pour l’ADRC en 1992, aux ressources humaines, et qu’elle avait présidé environ 30 processus de dotation durant l’ensemble de sa carrière à l’ADRC et à l’ASFC.
10 Mme Maisonneuve a déclaré avoir obtenu un baccalauréat en technologie de l’information en 1990, et avoir commencé à travailler pour l’ASFC, comme CS-01, cette même année. Elle a franchi les différents niveaux pour finalement devenir une CS-03, après quoi elle a décidé de devenir cadre plutôt qu’experte technique. Elle a indiqué dans son témoignage que la gestion et la [traduction] « capacité de placer les bonnes personnes aux bons postes » constituaient sa force.
11 En septembre 2012, Pierre Ferland, le directeur général, a demandé à Mme Maisonneuve de rejoindre le volet commercial des opérations afin de reprendre l’élaboration et la mise en œuvre du projet Manifeste électronique; son objectif ultime était de [traduction] « repousser les frontières ». Son rôle consistait à évaluer le projet et à informer le directeur général de l’état et du développement du projet. Elle a mentionné que le projet avait été retardé et qu’il ne respectait pas le calendrier qui avait été fourni par le Conseil du Trésor. Le directeur général lui a demandé de prendre des mesures pour assurer l’élaboration et la mise en œuvre opportunes du projet.
12 Peu de temps après la nomination de Mme Maisonneuve à titre de directrice, la personne nommée s’est jointe à la section en tant que CS-04 intérimaire. Par la suite, d’autres personnes se sont jointes à la section. Certaines fonctions ont alors été retirées à la personne nommée et ont été affectées à d’autres personnes. Le plaignant est devenu responsable d’une seule application particulière au passage commercial. En juillet 2013, il a demandé une réunion en personne avec Mme Maisonneuve afin de discuter de ses préoccupations et de ses aspirations quant à une promotion.
13 Pendant cette réunion, le plaignant a informé Mme Maisonneuve de ses aspirations professionnelles et lui a dit qu’il souhaitait obtenir de l’expérience en tant que CS-04. Elle lui a dit qu’elle songeait à pourvoir quatre postes au groupe et au niveau CS-04, et que des personnes avaient été présélectionnées. Il s’agissait d’un poste de gestionnaire de la gestion des données de référence et durabilité, d’un poste de gestionnaire de l’évaluation du risque et d’un poste de gestionnaire de l’infrastructure du projet Manifeste électronique, qui serait assumé par la personne nommée; enfin, un poste de développement d’applications générales devait être assumé par rotation.
14 Au cours des mois qui ont suivi, le plaignant était découragé parce qu’il n’avait pas pris d’expérience en tant que CS-04. Il a commencé à chercher d’autres possibilités à l’extérieur de la Division commerciale. Finalement, en octobre 2013, comme aucune occasion ne se présentait à lui, il a quitté la division.
15 La « notification de candidature retenue » (la « NCR ») de la personne nommée a été affichée le vendredi 16 mai 2014, soit la journée avant la longue fin de semaine de la fête de la Reine. Le dernier jour de la période d’attente était le mardi 20 mai 2014, soit le premier jour suivant la longue fin de semaine. Le court délai a amené les plaignants à s’interroger sur la transparence du processus. Selon eux, la période était courte, bien que, techniquement, elle respectait la période minimale de cinq jours établie par les lignes directrices en matière de notification de la CFP adoptées en vertu du par. 48(2) de la LEFP. Néanmoins, le fait que l’annonce ait été affichée pendant une longue fin de semaine a rendu presque impossible de communiquer avec la personne responsable de la nomination dans le délai prescrit.
16 Le 29 mai 2014, la « Notification de nomination ou de proposition de nomination » (la « NAPA ») de la personne nommée a été affichée. Selon le plaignant, il s’agissait de la réalisation d’une [traduction] « prophétie établie d’avance » et d’une injustice. Le 30 mai 2014, il a déposé sa plainte dans laquelle il a affirmé que lui-même et d’autres personnes de sa section avaient respecté toutes les qualifications essentielles établies pour ce poste. Il a soutenu que puisque ce poste n’avait pas été annoncé, lui-même et les autres plaignants avaient été privés d’une possibilité de [traduction] « participer au concours » de façon équitable. Selon lui, l’ouverture du processus à tous les employés aurait permis à la meilleure personne d’être sélectionnée.
III. Questions
17 Les plaintes soulèvent les questions suivantes :
- L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en sélectionnant un processus de nomination non annoncé?
- L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans sa sélection des critères de mérite?
- L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans son évaluation des qualifications de la personne nommée?
IV. Analyse
18 L’article 77 de la LEFP précise qu’un candidat non retenu qui est dans la zone de sélection d’un processus de nomination interne non annoncé peut présenter à la Commission une plainte selon laquelle il n’a pas été nommé à un poste ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination pour un poste en raison d’un abus de pouvoir.
19 La LEFP ne prévoit aucune définition de l’expression « abus de pouvoir », mais elle indique ce qui suit au par. 2(4) : « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel ». Une erreur ou une omission peut constituer un abus de pouvoir, même en l’absence de négligence ou d’insouciance grave (Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, au par. 38). Toutefois, la gravité et la nature de toute erreur ou omission et la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière déterminera s’il s’agit d’un abus de pouvoir (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, au par. 66; Song c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2016 CRTEFP 73, au par. 11).Il incombe donc aux plaignants de s’acquitter du fardeau de la preuve qui leur incombe en présentant une preuve suffisante pour que la Commission détermine, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu un abus de pouvoir.
A. Question I : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé?
1. Le choix d’un processus de nomination non annoncé
20 Les plaignants allèguent que le processus était empreint de mauvaise foi et qu’il était partial envers la personne nommée. Ils allèguent que les documents à l’appui contiennent des erreurs graves et des contradictions, et qu’ils ont été approuvés après la sélection de la personne nommée. L’intimé nie ces allégations. Il soutient que le gestionnaire d’embauche a effectué une [traduction] « analyse interne » et qu’il a établi que ce processus était l’option valide à prendre en considération. Un gestionnaire d’embauche a un large pouvoir discrétionnaire en vertu de la LEFP quant à la sélection d’un processus annoncé ou non annoncé.
21 Mme Maisonneuve a déclaré que le poste CS-04 de spécialiste technique de la TI avait été créé conformément à la vision du directeur général pour le projet Manifeste électronique, et ce, afin d’assurer l’élaboration et l’achèvement rapides du projet. Un rapport interne trimestriel de l’ASFC en date du 30 novembre 2013 indiquait que le projet envisageait une stratégie de déploiement et de mise en œuvre pour un lancement en juillet 2014, et que cela nécessiterait la modification du calendrier intégré. Selon les prévisions, le calendrier révisé devait être préparé en janvier 2014, au plus tard.
22 Mme Maisonneuve a souligné qu’en novembre 2013, le statut du projet était passé au [traduction] « jaune », ce qui signifiait qu’il serait reporté de cinq ans. Les résultats opérationnels soulignés dans le rapport indiquaient que l’un des objectifs était d’améliorer la capacité de l’ASFC à détecter et à interdire les envois, le fret et les personnes à risque élevé avant leur entrée au Canada. L’autre objectif consistait en une harmonisation avec les initiatives américaines et internationales qui avaient pour but d’utiliser des renseignements anticipés afin de faciliter le commerce et de gérer les risques plus efficacement. Ainsi, une personne ayant une expertise organisationnelle horizontale, qui connaissait les activités, les voyageurs ainsi que le volet commercial et de renseignements de l’ASFC, était requise. Le projet avait une valeur de plus de 420 millions de dollars.
23 Dans son témoignage, Mme Maisonneuve a souligné que puisque le projet avait été retardé de cinq ans, il était impératif d’effectuer une restructuration complète du projet et de s’assurer que les bonnes personnes occupaient les bons postes en vue de son achèvement. Par ailleurs, il y avait un risque que le projet soit éliminé ou donné en sous-traitance. En janvier 2014, l’état global du projet s’est vu attribuer un statut [traduction] « rouge », signifiant qu’il était compromis.
24 M. Ferland et Mme Maisonneuve ont signé le formulaire de processus de nomination non annoncé (le « formulaire de justification ») visant la personne nommée. Tel qu’il est mentionné dans le formulaire de justification, l’objectif consiste à aider les gestionnaires à expliquer le choix d’un processus non annoncé, et ce, en identifiant les critères applicables et la raison pour laquelle il s’agit de la bonne option et en quoi cette dernière est conforme au [traduction] « Plan des RH » de l’ASFC et à ses valeurs fondamentales et directrices.
25 Le formulaire était daté du 10 octobre 2013. La date de nomination proposée indiquée sur le formulaire était le [traduction] « 1er janvier 2013 », pour un spécialiste technique de la TI au groupe et au niveau CS-04. Étant donné que le formulaire était en date du 10 octobre 2013, je crois qu’il s’agissait d’une coquille et que la nomination réelle était prévue pour le 1er janvier 2014. Au bout du compte, la nomination n’a été faite que le 29 mai 2014. Il semble cependant que le formulaire n’ait été mis au point que le 10 octobre 2013.
26 Une correspondance par courriel entre Mme Maisonneuve et les Ressources humaines, envoyées du 12 au 27 novembre 2013, a été déposée en preuve. Les courriels contenaient des échanges sur ce qui devrait être écrit dans plusieurs sections du formulaire.
27 Le formulaire contenait une section dans laquelle il fallait indiquer les critères utilisés pour justifier un processus de nomination non annoncé, à partir d’une liste de critères possibles issus de la Politique sur les nominations non annoncées (la « Politique ») de l’intimé, que j’aborderai plus en détail un peu plus loin dans la décision. Le critère [traduction] « compétences très spécialisées » a été sélectionné, après quoi l’énoncé suivant a été inclus :
[Traduction]
[…]
Il est essentiel pour l’ASFC de nommer [la personne nommée] à un poste pour une période indéterminée de spécialiste technique de la TI, puisque nous cherchons une personne qui possède des compétences très spécialisées en technologie pour le plan d’action Par-delà la frontière – nous avons besoin d’un candidat qui connaît et qui comprend tous les systèmes essentiels à la mission de l’ASFC et qui y a été confronté. Il possède l’expertise et les qualifications dont nous avons besoin pour respecter notre programme technologique important, ainsi que tous ses produits livrables. Il compte plus de 18 ans d’expérience pratique dans l’environnement opérationnel 7-24 de la TI à l’ASFC, qui est essentielle au poste à doter.
28 Mme Maisonneuve a déclaré qu’au moment de la nomination, le titre du poste était [traduction] « architecte de solutions », même si le formulaire mentionnait un poste CS-04 de spécialiste technique de la TI. Elle a expliqué qu’après un examen interne, on a conclu qu’aucun employé ne possédait l’expertise et les qualifications nécessaires au poste. Un processus de dotation externe avait été mené plusieurs années auparavant pour plusieurs postes semblables, duquel aucune nomination n’était découlé. Ce processus visait un poste CS-04 de spécialiste technique principal de la TI, portant le numéro de processus de sélection 10-BSF-EA-IND-HQ-IST-CS-3071 (le « répertoire CS-04 »). Un répertoire de candidats qualifiés CS-04 a été généré à partir de ce processus; le répertoire a été ouvert du 2 mars 2012 au 7 septembre 2013. Je souligne que le poste visé par la plainte est un poste CS-04 de spécialiste technique de la TI, et non un poste de spécialiste technique principal de la TI ou d’architecte de solutions. Je souligne également que Mme Maisonneuve a déclaré qu’elle avait consulté les résultats de deux processus de nomination antérieurs; cependant, le formulaire de justification n’appuie pas cette affirmation. Selon le formulaire, avant la nomination, Mme Maisonneuve n’a examiné que les candidats qualifiés des processus externes mentionnés ci-dessus (le répertoire CS-04) pour trouver des personnes qui pourraient être nommées éventuellement.
29 Pour justifier le choix du processus de sélection non annoncé, Mme Maisonneuve a indiqué dans le formulaire que les curriculum vitae des deux candidats qui faisaient partie du répertoire CS-04 initial avaient fait l’objet d’un examen et qu’ils ne respectaient pas les exigences spéciales concernant [traduction] « l’ampleur et l’étendue » de l’expérience requises dans le domaine de la négociation des projets technologiques de l’ASFC avec des partenaires internationaux.
30 Dans ces circonstances, selon elle, le choix d’un processus non annoncé était équitable et juste pour les employés de l’ASFC, les fonctionnaires et les Canadiens. Elle a indiqué que l’expérience technique requise était unique et que l’exécution d’un autre processus aurait été inefficace, plus coûteuse et aurait pris du temps. Comme elle savait que la personne nommée possédait les compétences et l’expérience nécessaires, la tenue d’un processus annoncé aurait été une perte d’argent et de temps précieux.
31 Le plaignant a indiqué que le [traduction] « répertoire CS-04 avait expiré et qu’il n’avait pas été mis à jour », ce qui, selon moi, signifie qu’un nouveau processus de sélection n’a pas été entrepris. La période pour postuler à ce processus a pris fin en 2011, peu de temps après qu’il ait commencé à travailler à l’ASFC. Le répertoire n’était pas conçu pour un poste technique accompagné d’exigences commerciales. Le répertoire visait un poste CS-04 de spécialiste principal de la TI, et non un poste CS-04 de spécialiste technique de la TI, lequel fait l’objet de la plainte.
32 En outre, selon le plaignant, comme Mme Maisonneuve était nouvelle et ne connaissait pas bien les qualifications de son équipe, elle ne pouvait pas établir avec exactitude qu’aucun autre employé de la Division commerciale n’avait les qualifications requises sans d’abord les évaluer.
33 Selon ce qui est indiqué dans le formulaire, Mme Maisonneuve a tenu compte de l’incidence de la nomination sur le moral du personnel. Dans son témoignage, elle a indiqué qu’elle en avait discuté avec M. Ferland, le directeur général à l’époque où le processus de nomination a été entrepris, ainsi qu’avec sa successeure, Christiana Cavazzoni. La personne nommée devait partager son expérience avec le personnel subalterne, afin de lui fournir des possibilités de se perfectionner dans des postes semblables.
34 Selon ce qui est indiqué dans le formulaire, [traduction] « l’expérience approfondie de la personne nommée est bien reconnue par ses pairs qui approuvent entièrement sa nomination, car il a également une expérience approfondie de la négociation avec des comités internationaux de transport arien ». Selon elle, aucun autre employé classifié au même groupe et au même niveau que la personne nommée n’a été pris en considération parce qu’aucun des employés techniques CS-03 n’avait [traduction] « l’ampleur et l’étendue de l’expérience » nécessaire pour ce poste, en particulier l’expérience du travail et de la négociation avec des comités techniques internationaux de transport arien.
35 Elle a indiqué dans le formulaire que pendant une réunion de dotation avec leur supérieur immédiat, tous les employés de la section avaient été informés du choix d’un processus de nomination non annoncé et qu’ils avaient tous été invités à en discuter avec leur gestionnaire d’embauche. Elle a déclaré que la nécessité de doter ce poste avait été communiquée aux employés au moyen d’un [traduction] « processus de sélection officiel » et maintenant au moyen de cette [traduction] « nomination sans concours », ce qui signifie, probablement, le processus de nomination annoncé antérieur qui a entraîné le répertoire CS-04 et le processus non annoncé actuel.
36 Dans son témoignage, le plaignant a indiqué que ce n’était pas vrai et qu’une réunion n’avait jamais eu lieu. Les plaignants et les employés de la Division commerciale n’ont jamais eu la possibilité de discuter de la nomination avec leur gestionnaire, parce que la nomination a été faite [traduction] « derrière des portes closes ». Toutefois, Mme Maisonneuve a soutenu que, selon elle, la réunion avait eu lieu.
37 Au moment où le formulaire de justification a été rempli, aucun détail n’a été fourni au sujet des fonctions qu’un spécialiste technique de la TI CS-04 devrait accomplir et aucune indication sur le contenu de l’ECM à parti duquel la personne nommée serait évaluée n’y figurait. Dans son témoignage, Mme Maisonneuve a abordé de façon très générale la question de savoir en quoi consistent les fonctions du poste.
38 La section [traduction] « Résumé » du formulaire de justification contient plusieurs paragraphes indiquant que la nomination non annoncée était conforme aux valeurs de dotation applicables ainsi qu’aux plans de gestion des ressources humaines, d’équité en matière d’emploi d’activités intégrées et de ressources humaines de l’ASFC. Mme Maisonneuve affirme également dans le résumé que la nomination a été faite de façon objective, sans favoritisme personnel ou partialité, et que la nomination proposée est justifiée et conforme aux critères d’utilisation des processus de nomination non annoncés de l’ASFC. Le formulaire a été signé par Mme Maisonneuve et par M. Ferland, et la date du 10 octobre 2013 a été estampillée à côté de la signature de ce dernier.
39 En janvier 2014, les RH ont envoyé une note de service (la « note ») à Maurice Chénier, le vice-président de la DGIST. Dans cette note, les RH ont fourni des renseignements et des conseils au sujet de la nomination non annoncée proposée. Il y était mentionné que les nominations non-annoncées faisaient régulièrement l’objet d’une surveillance aux fins de conformité en matière de dotation. Il y était également expliqué qu’une partie des considérations servant à justifier la nomination non annoncée comprenait le fait que de multiples méthodes étaient envisagées pour doter ce poste clé, et que le poste était essentiel puisqu’il nécessite des connaissances et une expertise particulière dans des projets précis de l’ASFC.
40 Étant donné que les efforts de la direction pour doter ce poste à partir du répertoire créé dans le processus annoncé antérieur se sont révélés infructueux, les RH ont estimé que les valeurs de dotation avaient été respectées. Les RH ont toutefois mentionné que bien que le processus de nomination non annoncé soit une option, la direction devait démontrer comment elle prévoyait éviter de faire face à une situation semblable à l’avenir, comment elle prévoyait préparer la relève pour ce poste dans l’éventualité où il deviendrait vacant, et comment cette situation aurait pu être évitée pour améliorer la gestion future des ressources humaines.
41 Les représentants des RH ont signé la note le 21 janvier 2014. Le vice-président de la DGIST l’a signée le 24 avril 2014, après avoir coché la case indiquant qu’il appuyait le processus non annoncé. Aucune preuve n’a été présentée à savoir pourquoi le formulaire de nomination non annoncé avait été rempli en retard en octobre 2013 ou expliquant l’urgence initiale qui a mené à la création du poste pour la nomination de la personne nommée en juin 2014. L’intimé a simplement déclaré que le projet était compromis.
42 Mme Maisonneuve a déclaré qu’elle avait vu la note pour la première fois lorsqu’elle a reçu le dossier de dotation. Elle a indiqué que la note avait pour objet de veiller à ce que les valeurs de dotation de l’ASFC soient respectées. Au bout du compte, pour les motifs énoncés ci-dessus, ils ont décidé de procéder à un processus de dotation non annoncé.
2. Politique relative au recours à un processus de nomination non annoncé
43 Conformément au cadre de nomination de la CFP, l’ASFC a établi des critères normalisés, au moyen d’une politique, pour l’utilisation appropriée des nominations non annoncées. Le plaignant a obtenu deux versions de la politique dans le cadre du processus d’échange de renseignements et il les a déposées en preuve. Une version de la politique est datée du 26 avril 2011, et l’autre n’est pas datée. L’intimé n’a pas précisé quelle politique était en vigueur au moment où les plaintes ont été déposées. Pour les besoins de la présente plainte, j’ai tenu compte des deux versions. Elles précisent chacune que les processus de nomination non annoncés peuvent être utilisés dans la mesure où ils sont conformes aux plans d’activités et de RH intégrés de l’organisation.
44 Les politiques précisent que l’ASFC est responsable d’élaborer les critères de nomination et de démontrer que les nominations respectent les valeurs fondamentales d’équité, d’accès, de transparence et de représentativité de la fonction publique. Essentiellement, les deux politiques prévoient les mêmes exigences sauf en ce qui concerne l’exigence du formulaire de justification du processus de nomination non annoncé.
45 En l’espèce, les critères invoqués pour justifier le recours à un processus de nomination non annoncé étaient [traduction] « autres circonstances », plus précisément, des compétences très spécialisées. Selon les politiques, ces types de nomination non annoncée n’ont pas été approuvés dans le but d’être utilisés de façon générale à l’ASFC, mais qu’elles peuvent être envisagées lorsqu’il est possible de démontrer qu’il s’agit de la meilleure option de dotation dans des circonstances précises. L’une des circonstances énumérées est le cas d’une personne qui possède des [traduction] « compétences très spécialisées », comme l’expertise reconnue qui a été ciblée pour le recrutement dans le cadre du plan des RH. Aucune preuve n’a été déposée pour démontrer comment les compétences de l’expertise de la personne nommée étaient ciblées pour le recrutement dans le cadre du plan des RH.
46 Selon la politique d’avril 2011, avant de décider de recourir à une nomination non annoncée dans d’autres circonstances, les personnes figurant dans les répertoires de candidats qualifiés qui pourraient être choisis pour pourvoir le poste doivent faire l’objet d’un examen minutieux et complet. Selon la version non datée de la politique, des tentatives raisonnables doivent être faites avant de recourir à un processus de nomination non annoncé.
47 Ces tentatives comprennent tout type d’exercice de recrutement en matière de dotation annoncée, comme des processus internes et externes annoncés, des mutations, des affectations ou des détachements, et des possibilités d’affectation intérimaire. Le gestionnaire subdélégué peut envisager d’accroître la zone de sélection afin d’inclure un nombre suffisant de candidats qui sont susceptibles de respecter les qualifications minimales requises. Mme Maisonneuve a déclaré qu’avant de procéder à la nomination non annoncée en l’espèce, elle a consulté une liste qui lui a été fournie comportant des personnes ayant un statut prioritaire. Elle a conclu qu’aucune de ces personnes n’avait les connaissances et l’expérience requises. Elle a ensuite envisagé la possibilité de sélectionner l’une des deux personnes qui figurent toujours au répertoire des candidats qualifiés du processus CS-04 antérieur. Elle les a rencontrées. L’une de ces personnes ne souhaitait pas travailler à l’ASFC et l’autre n’avait pas [traduction] « l’ampleur de l’expérience » des systèmes de l’ASFC. Dans son témoignage, Mme Maisonneuve a fait valoir que le processus de dotation externe pour le poste CS-04 de spécialiste technique principal de la TI a attiré un nombre décevant de candidats qualifiés. Pour cette raison, elle a supposé qu’elle devait s’attendre à moins de candidats qualifiés si l’intimé annonçait le poste CS-04 de spécialiste technique de la TI en exigeant une qualification plus précise. Étant donné le nombre décevant de candidats qualifiés pour le poste CS-04 de spécialiste technique principal de la TI, aucun autre candidat n’aurait pu se qualifier pour le poste en litige.
48 Mme Maisonneuve connaissait la personne nommée puisqu’elle avait travaillé avec elle. Elle a conclu que cette personne conviendrait pour le poste. Les deux versions de la politique abordent de façon détaillée le processus d’approbation pour les nominations non annoncées faites en vertu du critère [traduction] « autres circonstances » et établissent certaines autres exigences et un processus d’approbation précis. Elles exigent que, pour toutes les nominations non annoncées, une justification soit préparée comprenant les renseignements suivants :
- la conformité aux plans intégrés des activités et des RH;
- la preuve que, avant de proposer la nomination non annoncée pour toutes les nominations faites dans d’autres circonstances, des tentatives raisonnables ont été faites pour pourvoir le poste vacant, sans toutefois porter ses fruits;
- une démonstration à savoir comment les valeurs fondamentales ont été respectées :
- l’équité, soit que les décisions soient prises objectivement, sans favoritisme politique ou personnel; que les politiques et les pratiques tiennent compte du traitement équitable des employés et des postulants; que les postulants aient le droit d’être évalués dans la langue officielle de leur choix dans le cadre d’un processus de nomination;
- l’accès, soit veiller à ce que les personnes aient une possibilité raisonnable de postuler et d’être prises en compte pour l’emploi;
- la transparence, soit que des renseignements au sujet des décisions, des politiques et des pratiques soient communiqués d’une façon transparente et opportune;
- la représentativité, soit que les processus de nomination soient menés sans partialité et qu’ils ne créent pas d’obstacles systémiques pour aider à parvenir à une fonction publique à l’image de la population canadienne à qui elle offre des services.
49 Le formulaire de justification comprend des sections pour toutes ces questions, lesquelles ont été remplies par Mme Maisonneuve relativement à cette nomination et à la personne nommée. Par exemple, sous l’intitulé de la représentativité, elle a souligné que la personne nommée était issue d’un groupe de la minorité visible et elle a affirmé que les valeurs de représentativité et d’équité avaient été respectées dans le cadre de ce processus.
50 Plus tôt dans cette décision, j’ai résumé une grande partie des autres renseignements qui figuraient dans le formulaire de justification. Je conclus que, même si certaines sections du formulaire manquent de détails et contiennent, essentiellement, des affirmations selon lesquelles les valeurs et les normes appropriées ont été respectées, les renseignements du formulaire suffisent à démontrer le fondement sur lequel s’est appuyé l’intimé pour procéder au moyen d’un processus non annoncé en l’espèce. Le plaignant n’a présenté aucune preuve d’une intention malveillante de la part de l’intimé.
51 Le plaignant a soulevé une question relativement au fait que l’intimé a indiqué que le poste de spécialiste technique principal de la TI était très précis puisqu’il nécessitait des compétences très spécialisées que seule la personne nommée possédait. Toutefois, comme l’a également souligné le plaignant, l’intimé a utilisé l’ECM d’un poste de spécialiste principal de la TI pour lequel l’organisation comptait quatre postes qu’elle pouvait doter, conformément à son [traduction] « Modèle de dotation tactique pour les ressources humaines et la planification opérationnelle ». Même s’il avait été préférable que l’intimé crée un document précisant l’ECM à utiliser pour le poste de spécialiste technique principal de la TI, rien ne l’empêchait d’utiliser l’ECM d’un autre poste et d’y ajouter toute qualification requise.
52 L’intimé a répondu qu’il y avait un besoin urgent de nommer une personne au poste CS-04 de spécialiste technique de la TI afin de démarrer le projet Manifeste électronique. Le plaignant a remis en question cette affirmation en soulignant que, selon la preuve, le projet avait été retardé de cinq ans, en date de novembre 2013. L’intimé n’a pas expliqué la raison du retard. En outre, sept mois se sont écoulés entre le moment où le formulaire de nomination non annoncé a commencé à être rempli, en octobre 2013, et le moment de la nomination en juin 2014. Le plaignant soutient que l’intimé aurait pu choisir d’exécuter un processus interne annoncé dans le même délai et qu’il aurait pu nommer un candidat qualifié. Même si ce délai soulève certaines préoccupations, il ne suffit pas, à mon avis, pour établir un abus de pouvoir.
53 Selon le plaignant, les connaissances de Mme Maisonneuve relativement aux qualifications de son équipe n’étaient pas suffisantes pour évaluer de manière appropriée ce qui aurait dû être pris en considération pour la nomination. Toutefois, cet argument est fondé sur l’hypothèse erronée qu’elle aurait dû examiner la question de savoir si d’autres personnes qualifiées étaient disponibles aux fins d’une nomination. En réalité, Mme Maisonneuve n’avait aucune obligation en vertu de la LEFP d’envisager une autre personne que la personne nommée.
54 Le paragraphe 30(4) de la LEFP précise qu’il n’est pas nécessaire « de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite ». Comme l’a souligné le Tribunal dans Jack c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 26, au par. 18, les employés n’ont pas un « droit d’accès garanti à toutes les possibilités d’emploi ». Le fait qu’un plaignant affirme que d’autres personnes et lui-même pourraient être qualifiés ne démontre pas qu’un intimé a abusé de son pouvoir en décidant de nommer une autre personne. En outre, en dehors de l’opinion personnelle du plaignant, aucune preuve n’a été présentée établissant qu’elle ne connaissait pas les qualifications de son équipe.
55 En ce qui concerne les témoignages contradictoires du plaignant et de Mme Maisonneuve au sujet de la question de savoir si le personnel a été informé à l’avance que la nomination serait faite par un processus non annoncé, je conclus que la question est ultimement sans importance puisque, comme l’a fait remarquer le Tribunal dans Clout c. le Sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et al., 2008 TDFP 22, au par. 38, le fait que d’autres employés n’aient pas été mis au courant à l’avance d’une nomination au terme du processus non annoncé ne constitue pas une preuve d’abus de pouvoir. Il n’y a généralement pas de préavis et, dans le cas d’un processus de nomination non annoncé, il n’est pas nécessaire qu’il y en ait.
56 Les plaignants allèguent que l’intimé était partial envers la personne nommée et qu’il s’agissait de la véritable justification pour son choix d’un processus de sélection non annoncé. Dans Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, l’ancien Tribunal de dotation a conclu que la « partialité » du comité d’évaluation pouvait constituer un abus de pouvoir.
57 Dans Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada), 2016 CRTEFP 33, la Commission fait un examen de l’historique de la terminologie utilisée pour définir la « partialité » dans le contexte du processus décisionnel administratif dans Newfoundland Telephone Company c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities) [1992] 1 R.C.S. 623; [1992] S.C.J. no 21 (QL) et Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29. La Commission a conclu que le critère devait être reformulé comme suit : « si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir la partialité chez une ou plusieurs des personnes responsables de l’évaluation, la Commission peut conclure à l’existence d’un abus de pouvoir ».
58 Les allégations des plaignants selon lesquelles l’intimé était partial envers la personne nommée reposent sur le fait qu’il était préalablement établi que cette personne serait nommée au poste en litige parce qu’elle avait travaillé avec Mme Maisonneuve dans le passé. À mon avis, cela ne suffit pas pour établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Comme il est mentionné ci-dessus, l’intimé n’a pas l’obligation d’envisager plus d’un candidat. Si les plaignants avaient établi que l’intimé n’avait pas un motif valable quant à la sélection d’un processus de nomination non annoncé ou qu’ils avaient démontré que la personne nommée n’était pas qualifiée pour le poste, la prétention de la partialité aurait pu reposer sur un certain fondement. Ce n’est pas le cas, comme je vais l’expliquer plus loin dans la présente décision.
59 Les plaignants ont fait valoir que le formulaire de justification précisait que la personne nommée avait été évaluée par rapport à l’ECM. Les parties ont déposé en preuve le tableau d’évaluation intitulé [traduction] « Évaluation : Énoncé des critères de mérite et conditions d’emploi » (le « tableau d’évaluation »), qui comporte 19 pages et documente la façon dont la personne nommée a été évaluée. Les plaignants ont fait remarquer que le tableau d’évaluation ne porte aucune date et qu’il n’a pas été signé par Mme Maisonneuve à la ligne où son nom a été dactylographié. Le nom de M. Ferland avait aussi été dactylographié, mais il a été rayé et remplacé, à la main, par celui de Mme Cavazzoni. La signature de cette dernière est la seule qui figure sur le document. Étant donné que le formulaire de justification a été signé par M. Ferland, le fait que sa successeure ait signé le tableau d’évaluation signifie qu’il a probablement été préparé après le formulaire de justification. L’intimé n’a fourni aucune explication à cet égard.
60 Toutefois, je conclus que même si le tableau d’évaluation a été rempli par la suite, cela ne démontre pas que la personne nommée n’a pas été évaluée ou que l’ECM n’existait pas au moment où la justification a été formulée.
61 En conséquence, même si le tableau d’évaluation a, pour une raison quelconque, été rempli après le formulaire de justification, les plaignants n’ont pas démontré que l’intimé était partial envers le plaignant ou qu’il a favorisé la personne nommée.
62 Pour ces motifs, je conclus que les plaignants n’ont pas établi que l’intimé était partial ou qu’il a abusé de son pouvoir en sélectionnant un processus non annoncé pour cette nomination. L’intimé a démontré l’existence d’une justification pour sa décision : l’urgence du projet Manifeste électronique.
B. Question II : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans sa sélection des critères de mérite?
63 Le paragraphe 30(2) de la LEFP donne la définition de mérite et accorde un large pouvoir discrétionnaire aux administrateurs généraux d’établir les qualifications essentielles et constituant un atout dans le cadre d’une nomination. La disposition prévoit qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne nommée possède les qualifications essentielles établies par l’administrateur général.
64 Les plaignants allèguent que l’intimé n’a pas établi qu’il y avait des critères essentiels justes. La description de travail a été adaptée aux qualifications de la personne nommée, et l’intimé n’a pas établi de lien entre l’ECM et la description de travail. Les plaignants soutiennent également que tous les documents à l’appui ont été approuvés après la nomination de la personne en question.
65 L’intimé estime qu’il n’a pas abusé de son pouvoir dans l’application du mérite et qu’il a établi des critères de mérite essentiels qui étaient justes. Quant au lien entre la description de travail et l’ECM, les descriptions de travail ne sont que l’un des nombreux facteurs qui doivent être pris en considération au moment de créer un ECM. L’intimé nie avoir adapté l’ECM à l’expérience et aux connaissances de la personne nommée.
66 Bien qu’il soit possible que le tableau d’évaluation ait été rempli après le formulaire de justification, je ne peux conclure que l’ECM lui-même a été créé après la nomination.
67 Le plaignant a soutenu que les qualifications essentielles énumérées dans l’ECM du processus externe ne sont pas pertinentes au poste CS-04 de spécialiste technique de la TI et qu’elles ont été ajoutées afin d’offrir à la personne nommée un avantage injuste. Par exemple, l’expérience du Système de soutien aux opérations des bureaux locaux (SSOBL) est indiquée comme étant essentielle. La personne nommée avait une expérience personnelle de certaines plateformes de gestion de l’information (GI) et de TI énumérées sous le critère de l’expérience, par exemple [traduction] « ordinateur central du SSOBL ». Pourtant, au moment du processus de nomination, en 2014, ce système était hors service et n’était pas utilisé à la Division commerciale, ce qui n’a pas été contesté par l’intimé.
68 Le plaignant soutient que l’expérience dans ces domaines a été ajoutée au poste uniquement parce que la personne nommée avait de l’expérience à cet égard, ce qui amène le plaignant à conclure que les critères essentiels ont été spécifiquement adaptés à la personne nommée.
69 Mme Maisonneuve a expliqué que la personne nommée avait une expérience horizontale à l’ASFC puisqu’elle avait travaillé avec le programme d’« information préalable sur les voyageurs » (l’« IPV »), le Système de soutien aux opérations des bureaux locaux (le « SSOBL ») et le langage COBOL. Elle a déclaré que même si l’ASFC n’utilise plus certaines de ces plateformes, outils et langages, le Manifeste électronique remplace seulement 60 % des systèmes commerciaux actuels qui utilisent ces programmes. La connaissance de ces plateformes, outils et langages de GI et de TI était une exigence de la connaissance de l’interaction de ces systèmes.
70 Le plaignant a déclaré que l’expérience de l’IPV, qui figurait également dans l’ECM, n’était pas pertinente à la nomination parce qu’elle portait uniquement sur les renseignements relatifs aux voyageurs, qui ne s’appliquent pas au volet commercial. Toutefois, Mme Maisonneuve a indiqué que l’IPV était une exigence du volet commercial. Elle a donné l’exemple d’une personne qui tente d’importer illégalement des organes humains.
71 Comme je l’ai indiqué plus tôt, en vertu du par. 30(2) de la LEFP, les gestionnaires bénéficient d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer les qualifications relatives à un poste (voir Neil c. le sous-ministre d’Environnement Canada, 2008 TDFP 4, au par. 45). Le fait qu’un plaignant ne souscrive pas à la sélection d’un critère donné dans l’ECM ne permet pas de conclure qu’il y a abus de pouvoir (Mahakul c. le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2011 TDFP 23, au par. 22).
72 En ce qui concerne l’affirmation du plaignant selon laquelle l’ECM par rapport auquel la personne nommée a été évaluée ne concernait pas la description de travail, le Tribunal a conclu qu’il n’est pas nécessaire que les qualifications essentielles relatives à un poste en particulier soient énumérées dans une description de travail (Feeney c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 17, au par. 42. Il faut simplement établir les qualifications pour le travail à accomplir (Neil, au par. 46). Selon la preuve présentée, je ne suis pas convaincue que les qualifications établies pour ce poste étaient sans lien avec le travail à accomplir.
73 Je conclus donc que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir dans la détermination des critères de mérite pour cette nomination.
V. Question 3 – L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans son évaluation des qualifications de la personne nommée?
74 L’article 36 de la LEFP accorde aux gestionnaires délégués un pouvoir discrétionnaire dans la sélection et l’utilisation des méthodes d’évaluation. Toutefois, ces pouvoirs ne sont pas absolus. Par exemple, il peut y avoir une conclusion d’abus de pouvoir si un plaignant démontre que la méthode d’évaluation comporte un vice fondamental. Tel qu’il a été mentionné dans Ouellet c. le président de l’Agence canadienne de développement international, 2009 TDFP 26, les méthodes d’évaluation qui n’évaluent pas les qualifications, qui sont déraisonnables et discriminatoires ou qui produisent un résultat inéquitable peuvent constituer un abus de pouvoir.
75 L’intimé soutient qu’il a évalué la personne nommée de façon équitable et que cette dernière a respecté toutes les qualifications du poste, y compris l’expérience essentielle relativement au langage COBOL et au SSOBL. Le formulaire de justification indique ce qui suit :
[Traduction]
[…] la personne nommée respecte et dépasse tous les critères requis pour ce poste. Elle a les compétences, les habiletés et les connaissances requises pour accomplir son travail, et toutes ses qualifications ont été évaluées par rapport à l’ECM. Plus précisément, son expérience technique à l’ASFC est très rare, ayant travaillé avec le SSOBL-IPV et COBOL.
76 Mme Maisonneuve a également déclaré dans le formulaire que la nomination a été faite objectivement et uniquement en fonction du mérite. Elle a indiqué que ses qualifications avaient été évaluées par rapport aux critères de mérite puisqu’il s’agissait du seul candidat qualifié pour le poste à ce moment-là. Elle a également écrit que, compte tenu de l’ampleur et de l’étendue de son expérience et de son exposition à la TI de l’ASFC, il était dans l’intérêt supérieur de l’ASFC de nommer cette personne au moyen d’un processus de nomination non annoncé puisqu’il s’agissait d’un moyen rentable.
77 Le tableau d’évaluation précisait que la personne nommée avait plus de 18 ans d’expérience dans la préparation d’applications distribuées à plusieurs paliers et dans le développement et la maintenance de solutions de TI. Le plaignant a soutenu que le tableau n’était pas exact puisque l’ASFC n’existe que depuis 2003. Cette critique n’est pas valide. Les opérations frontalières remontent de toute évidence à une période antérieure à 2003 et elles étaient gérées par les prédécesseurs de l’ASFC, soit l’ADRC et Revenu Canada. La personne nommée, selon son curriculum vitae, a fourni ses services à l’ADRC et à Revenu Canada pendant plus de cinq ans pendant la période antérieure à 2003. Présumément, ce commentaire visait l’expérience de la personne nommée au sein de ces organisations.
78 Le plaignant a déclaré que la personne nommée n’avait indiqué aucune expérience ou connaissance relativement au langage COBOL dans son curriculum vitae. Selon les critères de mérite, une expérience récente et appréciable était requise auprès de plateformes, outils et langages de GI et de TI différents, comme Java, COBOL, IPV, l’ordinateur central du Système de soutien des opérations des bureaux locaux, le réseau distribué et LAN, UNIX (plusieurs), Cognos, SAP et le stockage de données. Toutefois, le plaignant a reconnu en contre-interrogatoire qu’il s’agissait simplement d’une liste de types d’expérience recherchée et qu’il n’était pas essentiel d’avoir de l’expérience dans toutes les plateformes de GI et de TI.
79 Selon le formulaire de justification, au moment de décider de nommer la personne en question, Mme Maisonneuve a tenu compte de l’incidence de la nomination sur le moral du personnel. Elle a indiqué dans son témoignage qu’elle en avait discuté avec M. Ferland et Mme Cavazzoni. La personne nommée devait partager son expérience avec le personnel subalterne, afin lui fournir des possibilités de se perfectionner dans des postes semblables.
80 Le formulaire de justification précisait également que l’expérience approfondie de la personne nommée était bien reconnue par ses pairs, et que ces derniers approuvaient entièrement sa nomination puisque la personne nommée avait également une expérience approfondie de la négociation avec des comités internationaux de transport aérien. Selon Mme Maisonneuve, aucun autre employé du même groupe et niveau que la personne nommée n’a été pris en considération parce qu’aucun des employés techniques CS-03 n’avait l’ampleur et l’étendue de l’expérience nécessaire pour ce poste, en particulier l’expérience de la négociation avec des comités techniques internationaux de transport aérien.
81 Dans sa réponse relative à la question des RH en ce qui concerne la connaissance par la personne nommée de l’IPV, de l’« ordinateur central du service de soutien aux opérations des bureaux locaux » et du « Portail des négociants fiables », elle a indiqué que la personne nommée était le responsable technique principal du « Portail des négociants fiables, Par-delà la frontière (PV21) ». Elle a ajouté que la personne nommée avait conçu le protocole de communication technique entre le « Portail commercial » et la nouvelle application sur les négociants fiables. La personne nommée a également supervisé le volet technique de l’élaboration et a joué un rôle de mentorat dans le cadre de l’examen du code de développement et des pratiques exemplaires. Elle a représenté le gouvernement canadien lorsque l’échange de données a fait l’objet de discussions avec l’application Portail des négociants fiables des États-Unis et elle a représenté l’ASFC à la dernière réunion du comité « triple C ». Selon elle, toute cette expérience équivalait à des [traduction] « compétences très spécialisées ».
82 Mme Maisonneuve a déclaré qu’elle connaissait l’expérience et l’expertise de la personne nommée et elle a précisé que cette personne était très technique et qu’elle aimait partager ses connaissances avec les autres, en plus d’être très patiente et facile d’approche. Il s’agit d’une personne très respectée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation, qui a démontré une capacité à orienter les personnes qui travaillent à différents projets vers un objectif commun. Enfin, la personne nommée a une vaste expérience du travail sur différentes plateformes technologiques.
83 Mme Maisonneuve connaissait les capacités de la personne nommée pour avoir travaillé avec elle en 2008 sur la livraison et la mise en œuvre du projet « Enregistrement du numéro personnel » qui visait à évaluer le risque posé par les voyageurs. La personne nommée a souvent participé à d’autres projets de grande envergure au sein de l’organisation.
84 Dans son témoignage, Mme Maisonneuve a déclaré qu’elle avait examiné le curriculum vitae de la personne nommée dans ses deux nominations intérimaires précédentes ainsi que la nomination actuelle pour une période indéterminée au poste CS-04 de spécialiste technique de la TI. Elle a mentionné son expérience de plus de 18 ans en solutions de TI à l’ASFC et à l’ADRC, et le fait qu’avant de devenir fonctionnaire cette personne avait travaillé à titre de consultant pendant un certain nombre d’années.
85 Dans son témoignage, le plaignant a indiqué que, durant l’échange de renseignements dans le cadre de ce processus de plainte, l’intimé lui avait dit que la personne nommée avait participé au processus de nomination externe qui avait mené à la création du répertoire CS-04, mais qu’elle ne s’était pas qualifiée. Le plaignant se questionnait à savoir comment la personne nommée pouvait maintenant posséder les qualifications pour occuper une poste de spécialiste technique, qui est manifestement plus spécialisé que le poste de spécialiste principal.
86 Mme Maisonneuve a expliqué qu’entre-temps, la personne nommée avait acquis une expérience supplémentaire dans le cadre de deux nominations intérimaires au niveau CS-04, soit d’avril 2012 à mars 2014. L’expérience qu’elle a acquise dans ces nominations intérimaires était déterminante pour réussir à acquérir les qualifications relatives au poste CS-04 de spécialiste technique de la TI pour une période indéterminée, y compris dans la conception de systèmes notionnels et la conception architecturale technique.
87 Mme Maisonneuve a déclaré que la personne nommée relevait d’elle pendant ces nominations intérimaires, où elle occupait le poste de responsable technique de l’intégration du système de traitement d’acquisition de données. La personne nommée a également travaillé sur le SSOBL. Les fonctions accomplies dans le cadre de ce poste sont semblables à celles qui ont été accomplies par le titulaire du poste contesté, puisqu’il était responsable de l’examen du code élaboré par des employés subalternes et d’assurer le déploiement approprié du projet. Le plaignant a déclaré que Mme Maisonneuve avait favorisé la personne nommée en lui offrant des possibilités d’affectation intérimaire, une non annoncée et une annoncée, ce qui l’a placée dans une position privilégiée pour obtenir le poste CS-04 de spécialiste technique de la TI. Cependant, n’eût été ces possibilités, la personne nommée n’aurait pas eu l’expérience et les compétences très techniques requises pour le poste en litige.
88 Toutefois, le simple fait qu’une personne nommée ait déjà occupé, par intérim, un poste identique ou semblable ne démontre pas, en l’absence de tout autre preuve à l’appui, un favoritisme personnel, de la partialité ou, en général, un abus de pouvoir (voir, par exemple, Soccar c. le Commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada, 2013 TDFP 14, au par. 42; Turner c. le sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2009 TDFP 22, au par. 100). En l’espèce, je note d’abord que les plaignants ont précisément déclaré à l’audience qu’ils retiraient leurs allégations de favoritisme personnel. Par conséquent, si je leur permettais de soulever de nouveau cette allégation, à cette étape-ci de la procédure, il s’agirait d’une violation de l’équité procédurale. En tout état de cause, l’intimé a fourni une explication raisonnable pour les deux nominations intérimaires. La première nomination n’a pas été annoncée et a été faite avant que Mme Maisonneuve assume ses fonctions à la Division commerciale. La deuxième nomination intérimaire a été faite à partir d’un processus annoncé. Aucune preuve n’a été présentée démontrant que la nomination avait été contestée ou qu’elle était par ailleurs irrégulière.
89 Par conséquent, je conclus que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir dans son évaluation de la personne nommée. La personne nommée avait l’expérience requise et respectait toutes les qualifications essentielles préétablies.
VI. Conclusion
90 Pour toutes ces raisons, je conclus que les plaignants n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé était partial envers la personne nommée et qu’il a abusé de son pouvoir dans le cadre de sa nomination. Même si le formulaire de justification à l’appui de la nomination manquait de détails dans certaines sections, cette omission n’équivaut pas à un abus de pouvoir. L’intimé avait une justification valable pour sa décision de mener un processus de sélection non annoncé et n’avait aucune obligation légale d’envisager plus d’un candidat. Les plaignants n’ont pas démontré que la personne nommée n’était pas qualifiée pour faire le travail qu’on attendait d’elle.
91 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
VII. Ordonnance
92 Les plaintes sont rejetées et les dossiers sont fermés.
Le 7 mars 2017.
Traduction de la CRTEFP
Chantal Homier-Nehmé,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique