Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé une plainte en vertu du Code canadien du travail (le « Code ») alléguant que l’employeur l’avait menacé après qu’il ait invoqué son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux – il a allégué qu’il avait été soumis à de la violence en milieu de travail et à du harcèlement et que son évaluation du rendement contenait des commentaires négatifs, ce que l’employeur a nié – il a également déposé un grief dans lequel il a allégué que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son endroit en omettant de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de ses besoins familiaux, qui comportaient des responsabilités liées à la garde des enfants, en le privant du droit de travailler une semaine de travail comprimée – selon l’employeur, en fonction des renseignements dont il disposait, les options proposées au fonctionnaire s’estimant lésé étaient raisonnables et respectaient ses besoins énoncés – la Commission a d’abord traité la plainte déposée en vertu du Code et a conclu qu’il n’avait pas été démontré que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire ou qu’il avait été menacé pour avoir invoqué ses droits en vertu du Code – en ce qui concerne le grief, la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas établi une preuve prima facie de discrimination en fonction de sa situation familiale – elle a déterminé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas respecté le troisième et le quatrième volet du critère établi dans Canada (Procureur général) c. Johnstone 2014 CAF 110 – il n’a pas démontré qu’il avait déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations relatives à la garde des enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables ni que son horaire de travail entravait d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations – la Commission a ajouté que, même si le fonctionnaire s’estimant lésé avait établi une preuve prima facie de discrimination, l’employeur a pris une mesure d’adaptation raisonnable en lui remettant un ordinateur portatif pour qu’il puisse faire du télétravail et en lui permettant d’avoir un horaire flexible – on ne pouvait pas reprocher à l’employeur d’avoir trouvé une solution qui aurait une incidence minimale sur ses activités.Plainte rejetée.Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique, Loi sur les relations
de travail dans la fonction publique et
Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170112
  • Dossier:  560-02-114 et 117 et 566-02-9459
  • Référence:  2017 CRTEFP 4

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

COREY NASH

plaignant et fonctionnaire s’estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Nash c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail et affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le plaignant et fonctionnaire s’estimant lésé:
James Craig, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour le défendeur:
Joel Stelpstra, avocat
Affaire entendue à Edmonton (Alberta),
du 16 au 18 août 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1        Corey Nash, le plaignant et fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a déposé deux plaintes en vertu de l’art. 133 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2 le « Code »), dans lesquelles il faisait valoir qu’il avait reçu des menaces du défendeur, le Service correctionnel du Canada (l’« employeur »), après avoir invoqué son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux. Il a également déposé un grief. À l’audience, il a retiré la plainte portant le numéro de dossier 560-02-117 attribué par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »). Par conséquent, l’audience a porté uniquement sur la plainte portant le numéro de dossier 560-02-114 attribué, ainsi que le grief, numéro de dossier 566-02-09459. Selon le grief, l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard des besoins familiaux du fonctionnaire en le privant du droit de travailler une semaine de travail comprimée pendant les mois d’été en 2013.

2        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission qui a remplacé l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. La Commission a entendu la présente plainte et le présent grief en vertu des dispositions législatives connexes de mise en œuvre.

II. Résumé de la preuve

A. La plainte

1. Témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé

3                  Le fonctionnaire travaille comme agent de libération conditionnelle pour l’employeur à son bureau sectoriel d’Edmonton, en Alberta. Dans le cadre de ses fonctions, il délivre des mandats pour l’arrestation de délinquants qui ont violé les conditions de leur libération conditionnelle, ce qui peut entraîner la révocation ou la suspension de la libération conditionnelle d’un délinquant. Il a le pouvoir de renoncer à un mandat ou de l’annuler s’il croit que le risque que représente le délinquant peut être géré dans la collectivité. Le fonctionnaire peut recommander à la Commission des libérations conditionnelles du Canada que la libération conditionnelle d’un délinquant soit révoquée s’il croit que le risque qu’il représente ne peut plus être géré dans la collectivité, si le délinquant a violé une condition de sa libération conditionnelle ou pour empêcher la violation d’une condition d’une libération conditionnelle.

4                  En tant qu’agent de libération conditionnelle, le fonctionnaire aide les délinquants quant à la formation et à l’emploi et pour obtenir un traitement dans la collectivité. Il recommande à la Commission des libérations conditionnelles du Canada la libération ou non du délinquant et les conditions qui devraient être imposées à un délinquant mis en liberté. Il rencontre les délinquants afin de s’assurer qu’ils respectent leurs plans correctionnels en surveillant leur emploi, leurs relations et leur hébergement. Les rencontres se font en personne et peuvent se tenir au bureau de l’employeur à Edmonton, en Alberta, dans la collectivité, sur le lieu de travail des délinquants, à leur résidence ou dans les endroits qu’ils fréquentent. Il gère des délinquants à risque élevé et violents. Si le fonctionnaire recommande la révocation de la libération conditionnelle d’un délinquant, ce dernier est retourné dans un établissement et sa peine est calculée de nouveau jusqu’à la date de libération d’office.

5                  Lorsqu’un délinquant dont la libération conditionnelle a déjà été révoquée est remis en liberté dans la collectivité, il se voit habituellement assigner un agent de libération conditionnelle différent. Au cours de sa longue carrière, le fonctionnaire a travaillé avec un seul délinquant dont la libération conditionnelle avait été révoquée à sa recommandation et, dans ce cas, la révocation s’était produite 10 ans auparavant. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que, dans ce cas, suffisamment de temps et de distance s’étaient écoulés pour qu’il le supervise de nouveau.

6                  Selon le fonctionnaire, le risque de confier de nouveau un délinquant dont la libération conditionnelle a été révoquée au même agent de libération conditionnelle l’emporte sur tout avantage éventuel. L’animosité que le délinquant ressentira en raison de la révocation de sa libération conditionnelle antérieure fera en sorte qu’il ne collaborera probablement pas aux plans de l’agent de libération conditionnelle.

7                  Le travail d’un agent de libération conditionnelle est dangereux en soi selon le fonctionnaire. Les risques liés au travail d’un agent de libération conditionnelle varient de blessures liées à une activité répétitive à des agressions, à du harcèlement et au décès provoqués par le libéré conditionnel ou un accident. Les menaces des délinquants contre les agents de libération conditionnelle sont fréquentes dans la collectivité et les établissements et sont souvent très subtiles. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que des délinquants l’ont menacé à de nombreuses reprises. L’employeur a des protocoles pour les agents de libération conditionnelle qui sont aux prises avec des délinquants violents, y compris une liste de contrôle pour l’évaluation de la sécurité du personnel. Tous les agents de libération conditionnelle ont des téléphones cellulaires grâce auxquels l’employeur peut les surveiller lorsqu’ils travaillent seuls. Malgré ces mesures de protection, l’un des collègues du fonctionnaire a été assassiné par un délinquant en 2004. Les agents de libération conditionnelle ne portent pas d’armes.

8                  Les circonstances qui ont donné lieu à la plainte du fonctionnaire concernaient un délinquant qui avait été reconnu coupable d’un homicide involontaire. Le délinquant bénéficiait d’une semi-liberté avant d’être libéré dans la collectivité. Au bout d’une semaine, il avait violé deux fois les conditions de sa mise en liberté et avait été retourné à l’établissement sur la recommandation du fonctionnaire jusqu’au moment où il obtiendrait une libération d’office. Au cours de la semaine pendant laquelle il a supervisé le délinquant, le fonctionnaire a trouvé au délinquant un logement dans un établissement résidentiel du secteur d’Edmonton puisque le fonctionnaire avait conclu que le délinquant représentait un risque pour sa collectivité d’origine. Une semaine plus tard, le délinquant avait été arrêté dans sa collectivité d’origine en état d’ébriété et il avait été retourné à l’établissement sur la recommandation du fonctionnaire.

9        À sa libération d’office suivante, le délinquant a été affecté à la charge de travail du fonctionnaire. Le fonctionnaire s’en préoccupait et il a parlé avec son gestionnaire, Kevin Horbasenko, et le superviseur qui a affecté le délinquant à sa charge de travail, John Holzmann. Le fonctionnaire a exprimé ses préoccupations au sujet de renseignements que le délinquant a divulgués à son psychologue, selon lesquelles il avait agi par vengeance lorsqu’il avait commis l’infraction pour laquelle il avait été emprisonné. Ces renseignements différaient de ce qui était dans son profil, qui ne mentionnait pas qu’il avait agi par vengeance. Le fonctionnaire craignait que, puisqu’il était responsable du retour du délinquant dans l’établissement pertinent, ce dernier pourrait souhaiter se venger de lui.

10        L’employeur a refusé de confier le délinquant à un autre agent de libération conditionnelle. Selon le fonctionnaire, ce refus constituait une différence de traitement en ce qui concerne l’assignation des cas. À une réunion tenue pour discuter de l’assignation et à laquelle ont assisté M. Horbasenko, M. Holzmann, le Dr Greg Cotfas, (le psychologue du délinquant), un représentant de la Gendarmerie royale du Canada, le fonctionnaire, ainsi que son représentant syndical, les représentants de l’employeur ont refusé d’écouter les préoccupations du fonctionnaire, qu’il a exprimées à la réunion. Il a indiqué qu’à la réunion, ces représentants étaient hostiles envers lui.

11        Le fonctionnaire s’est inquiété du fait que, puisqu’il avait recommandé la révocation de la libération conditionnelle du délinquant plutôt que de recommander son admission dans un centre de traitement résidentiel, le délinquant représentait une menace pour sa sécurité si son cas lui était de nouveau confié. Le délinquant avait agi par vengeance et sous l’influence de substances intoxicantes, ce qui a entraîné son incarcération. Il a été démontré que le délinquant ne s’abstenait pas de consommer des substances intoxicantes; le fonctionnaire préférait éviter la possibilité de devenir la cible du besoin de vengeance du délinquant.

12        Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que l’employeur ne respectait aucune [traduction] « logique » lorsqu’il assignait des cas aux agents de libération conditionnelle. D’autres délinquants auraient pu être confiés au fonctionnaire plutôt que le délinquant en question. L’assignation arbitraire par l’employeur de ce délinquant à la charge de travail du fonctionnaire était un acte de violence en milieu de travail. D’autres agents de libération conditionnelle auraient pu superviser le délinquant plutôt que le fonctionnaire.

13        Le jour où le délinquant est arrivé au bureau sectoriel d’Edmonton afin de rencontrer le fonctionnaire, ce dernier a fait parvenir un courriel à M. Horbasenko, pour signaler la présence du délinquant au bureau, pour prévenir M. Horbasenko que, selon lui, le fait de travailler avec ce délinquant n’était pas sécuritaire et pour faire remarquer qu’il exerçait son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux en vertu du Code en refusant de rencontrer le délinquant.

14        M. Horbasenko et le fonctionnaire se sont rencontrés afin de discuter de ce refus. M. Horbasenko a donné au fonctionnaire l’ordre direct de rencontrer le délinquant en sa présence. Cela n’a pas répondu aux préoccupations du fonctionnaire en ce qui concerne l’assignation des cas et il a continué de refuser de rencontrer le délinquant. Selon le fonctionnaire, M. Horbasenko l’a informé qu’il ferait l’objet d’une mesure disciplinaire s’il continuait de refuser. À un certain moment après que M. Horbasenko lui a ordonné de rencontrer le délinquant, le fonctionnaire a exercé officiellement son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux par courriel (pièce 2).

15        Le fonctionnaire a demandé que son refus de travailler soit renvoyé au Comité sur la santé et la sécurité au travail et qu’aucune enquête ne soit menée. Sa demande a été rejetée; l’employeur devait enquêter sur son refus de travailler. Toutefois, le comité a refusé d’enquêter en présence du fonctionnaire. Tout au long de cette période, il a continué de refuser de travailler avec le délinquant en question et l’affaire a été transmise au Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (Travail Canada).

16        Dans le mois qui a suivi l’exercice de son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux, le fonctionnaire s’est vu confier trois autres délinquants dont la libération conditionnelle avait été révoquée. Au cours des 10 années précédentes, il ne s’était vu confier que 5 délinquants de ce genre. Le fonctionnaire était soumis à une pression extrême en raison de sa charge de travail et de son refus continu de travailler avec le premier délinquant. Le fonctionnaire s’était inquiété de se voir confier un deuxième délinquant de ce genre; son superviseur Frank Winkfein n’a pas répondu à sa demande par courriel de voir ce délinquant confié à quelqu’un d’autre (pièce 1, onglet 8).

17        Ce deuxième délinquant avait purgé une peine au même établissement que le premier délinquant avec lequel le fonctionnaire avait refusé de travailler. Il aurait dit à l’agent de libération conditionnelle de l’établissement qu’il n’avait pas peur du fonctionnaire. Ce commentaire montrait au fonctionnaire que le délinquant avait fait preuve d’un esprit ou d’un sentiment clair de forte hostilité à son endroit et que l’indifférence du délinquant à son égard le rendait incapable de le superviser efficacement.

18        Lorsque le deuxième délinquant est arrivé au bureau sectoriel d’Edmonton, le fonctionnaire a fait parvenir un courriel à M. Winkfein et à M. Horbasenko (pièce 1, onglet 8), pour les aviser qu’il exerçait son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux pour une deuxième fois et qu’il refusait d’assumer ses fonctions d’agent de libération conditionnelle. M. Horbasenko et Derek Stankey, le directeur de secteur de l’employeur, ont demandé à rencontrer le fonctionnaire en personne. Selon le fonctionnaire, ils lui ont dit à la rencontre que, s’il ne souhaitait pas travailler, il serait renvoyé chez lui sans rémunération. Le fonctionnaire éprouvait une contrainte extrême.

19        Finalement, M. Stankey a dit au fonctionnaire que le délinquant serait confié à un autre agent de libération conditionnelle, en échange de quoi le fonctionnaire retirerait son refus de travailler qu’il avait déposé relativement à ce délinquant. Le fonctionnaire a également accepté d’accomplir ses fonctions d’agent de libération conditionnelle désigné. Le processus de refus de travailler lié au premier délinquant s’est poursuivi (pièce 1, onglet 8). M. Stankey a dit au fonctionnaire qu’il ne ferait pas l’objet d’une mesure disciplinaire en raison de son deuxième refus de travailler.

20        Il s’est avéré que cela n’était pas vrai. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire au moyen de représailles par l’employeur, de harcèlement, de violence en milieu de travail et de commentaires dans son examen du rendement. Il n’a jamais été suspendu avec ou sans rémunération. Finalement, Travail Canada a conclu que le fonctionnaire n’était pas en danger. L’employeur a pris des mesures d’adaptation à son égard alors qu’il a fait appel de cette décision en ne lui confiant pas d’autres délinquants dont la libération conditionnelle avait été révoquée, une pratique que l’employeur maintient depuis.

2. Témoignage de M. Horbasenko

21        M. Horbasenko a décrit les événements qui ont mené au refus par le fonctionnaire de travailler avec le premier délinquant. Il a indiqué dans son témoignage qu’avant que le délinquant entre dans le bureau, rien n’indiquait que le fonctionnaire se préoccupait pour sa sécurité s’il travaillait avec ce dernier. Ce jour-là, le 13 novembre 2014, le fonctionnaire a dit à M. Horbasenko qu’il n’était pas à l’aise de superviser le délinquant parce qu’il l’avait déjà supervisé dans la collectivité. M. Horbasenko a examiné les dossiers et le registre des interventions et n’a trouvé aucune indication d’animosité entre le délinquant et le fonctionnaire ou d’un danger si le fonctionnaire devait superviser le délinquant.

22        Rien dans les politiques ou les pratiques de l’employeur ne précise qu’un agent de libération conditionnelle ne doit pas se voir confier de nouveau un délinquant dont la libération conditionnelle a déjà été révoquée sur sa recommandation. En réponse à la demande du fonctionnaire de voir le délinquant réaffecté, M. Horbasenko et M. Holzmann l’ont rencontré. Il a fait valoir que ses préoccupations concernaient sa sécurité et qu’elles étaient liées à la supervision du délinquant. Malgré cela, le cas du délinquant n’a pas été confié à quelqu’un d’autre et, lorsque ce dernier s’est présenté comme il était prévu, le fonctionnaire a fait parvenir un courriel (pièce 2) à M. Horbasenko pour lui dire qu’il ne rencontrerait pas le délinquant.

23        En réponse, M. Horbasenko a rencontré le fonctionnaire le 21 novembre 2014. Ce dernier a soulevé l’infraction de meurtre par vengeance commise par le délinquant comme la cause de sa préoccupation pour sa sécurité. Selon M. Horbasenko, cette infraction n’était pas réellement un meurtre par vengeance, mais plutôt la conséquence d’une consommation d’alcool entre amis. Des solutions ont été proposées au fonctionnaire pour régler l’impasse. Il a maintenu son refus de travailler. M. Horbasenko a prévenu le fonctionnaire qu’il ferait l’objet d’une mesure disciplinaire s’il continuait de refuser d’accomplir ses fonctions, mais aucune mesure disciplinaire n’a été imposée. M. Horbasenko voulait simplement s’assurer que le fonctionnaire était conscient des conséquences possibles de ne pas assumer ses fonctions d’agent de libération conditionnelle.

24        M. Horbasenko a rédigé des rapports en vertu des articles 127 et 128 du Code et il les a présentés au Comité sur la santé et la sécurité au travail. Pour préparer ces rapports, M. Horbasenko a examiné le Système de gestion des délinquants et le registre des interventions. Il a vérifié auprès du bureau de la sécurité et du renseignement de l’établissement en question pour savoir s’il était au courant de l’existence de préoccupations; il n’y en avait aucune. La conclusion des deux rapports était qu’il n’y avait aucun danger.

25        Le refus de travailler initial était en cours lorsque le fonctionnaire s’est vu confier le deuxième délinquant dont la libération conditionnelle avait déjà été révoquée. Lorsque le fonctionnaire a appris qu’il s’était vu confier un deuxième délinquant de ce genre, il a déclaré qu’il avait l’intention de refuser de travailler également avec ce délinquant. Lorsque le délinquant s’est présenté au bureau de libération conditionnelle, le fonctionnaire a refusé de le rencontrer. Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait toujours des préoccupations en matière de sécurité découlant de son premier refus de travailler qui n’avait pas été réglé à sa satisfaction. Il a alors avisé l’employeur qu’il refusait d’accomplir les fonctions d’agent de libération conditionnelle.

26        M. Horbasenko a rencontré le fonctionnaire afin de discuter de ses préoccupations liées à la rencontre du délinquant qui s’était présenté au bureau afin de le voir et de la conséquence sur sa charge de travail en général. Les préoccupations du fonctionnaire visaient précisément le délinquant. Pendant la rencontre, la salle d’attente s’est remplie de délinquants qui étaient venus rencontrer le fonctionnaire; ils ont été rencontrés par d’autres agents de libération conditionnelle, ce qui a fâché les collègues du fonctionnaire et dérangé les délinquants. Confronté à cela, M. Horbasenko a demandé au fonctionnaire s’il avait l’intention de refuser d’accomplir toutes ses fonctions et, si c’était le cas, il lui a recommandé de quitter le milieu de travail (pièce 1, onglet 1, page 3). Il n’a pas indiqué que le fonctionnaire pourrait faire l’objet d’une mesure disciplinaire.  

3. Témoignage de M. Stankey

27        Lorsque le fonctionnaire s’est inquiété de se voir confier le premier délinquant, M. Horbasenko et M. Holzmann ont examiné le cas. Le 17 novembre 2014, le fonctionnaire a demandé à M. Stankey de l’examiner également, ce qu’il a fait. Il a examiné le cas dans le Système de gestion des délinquants et il a tenu compte des renseignements fournis par le fonctionnaire, M. Horbasenko et M. Holzmann. Il a examiné le profil criminel du délinquant et l’évaluation de la sécurité du personnel et il a vérifié si le délinquant a été désigné pour être suivi par une équipe de gestion de cas en tandem, ce qui signifie que deux agents de libération conditionnelle devaient le rencontrer et qu’il n’y aurait aucune rencontre individuelle.

28        Le délinquant ne respectait pas les critères d’une équipe en tandem. Les circonstances qui ont donné lieu à la réincarcération du délinquant n’ont pas été communiquées au fonctionnaire. Rien n’indiquait que le délinquant était hostile ou agressif envers le fonctionnaire ou le personnel du bureau de libération conditionnelle en général. Le 26 novembre 2014, lorsque le délinquant a été mis en liberté, le fonctionnaire a refusé de travailler avec lui, invoquant un travail dangereux. Il n’a fourni aucun nouveau renseignement ou nouvelle préoccupation pour appuyer ce refus; il a simplement répété que l’assignation n’était pas sécuritaire.

29        Lorsque le deuxième délinquant a été confié au fonctionnaire le 8 décembre 2014, il a fait parvenir un courriel à son superviseur et à M. Stankey et il a de nouveau exprimé ses préoccupations quant à l’assignation. Le fonctionnaire n’avait rien à voir avec la révocation de la libération conditionnelle du deuxième délinquant, contrairement au premier délinquant; pourtant, il soutenait toujours que le fait de travailler avec ce délinquant constituait un travail dangereux. Le 17 décembre 2014, le fonctionnaire a fait parvenir un courriel à M. Horbasenko et à M. Stankey, indiquant qu’il refusait de rencontrer le délinquant et qu’il refusait d’accomplir toutes ses fonctions d’agent de libération conditionnelle (pièce 1, onglet 8).

30        M. Stankey a rencontré le fonctionnaire et M. Horbasenko après avoir reçu ce courriel alors que le délinquant attendait dans la salle de réception en compagnie d’autres délinquants qui attendaient de rencontrer le fonctionnaire. Le fonctionnaire a demandé de reporter la rencontre jusqu’à ce qu’un représentant syndical soit présent. Lorsque le représentant est arrivé, M. Stankey a rencontré M. Horbasenko, le fonctionnaire et le représentant syndical afin de discuter du dernier refus de travailler du fonctionnaire. Le fonctionnaire a dit à M. Horbasenko que les délinquants allaient commencer à s’accumuler dans la salle d’attente, mais il ne s’est pas préoccupé de l’incidence sur les activités du bureau, selon M. Stankey.

31        Le fonctionnaire n’a fourni aucun nouveau renseignement sur son refus de travailler avec le deuxième délinquant. Quant à son refus d’accomplir toutes ses autres fonctions d’agent de libération conditionnelle, il a dit aux personnes présentes à la rencontre que son attention était détournée parce qu’il devait gérer les exigences de son premier refus de travailler et qu’en conséquence, il n’était pas en mesure d’accomplir ses fonctions comme il devait le faire. Lorsqu’il a été interrogé sur les fonctions qu’il avait l’intention d’assumer, le fonctionnaire a répondu qu’il n’en assumerait aucune. La conversation s’est poursuivie et on lui a dit que, s’il ne souhaitait pas travailler, il pourrait faire l’objet d’une mesure disciplinaire, y compris être renvoyé chez lui en congé non payé. Il s’agissait d’une mise en garde sur la façon dont il se comportait dans le milieu de travail. Il n’a pas été renvoyé chez lui.

32        Le fonctionnaire a eu du temps pour s’entretenir avec son représentant syndical. Après une pause-dîner, la rencontre a repris et ils se sont entendus sur une réponse. Le deuxième délinquant a été réaffecté, et le fonctionnaire a repris ses fonctions. Il n’a fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire.

B. Le grief

i. Témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé

33        Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard en fonction de sa situation familiale, en violation de l’article 19 de la convention conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration (tous les employé-e-s), dont la date d’expiration est le 20 juin 2014, en refusant sa demande d’avoir un horaire comprimé pendant huit semaines durant les mois d’été de 2013 pour qu’il puisse être à la maison afin de superviser ses enfants.

34        Le fonctionnaire a 6 enfants qui avaient de 10 ans à 18 ans à la date de l’audience; 2 étaient à l’école secondaire, 2 étaient à l’école intermédiaire et 2 étaient à l’école primaire en 2013. Les trois plus jeunes ne pouvaient pas légalement être laissés à la maison sans supervision. L’épouse du fonctionnaire était la personne qui s’occupait principalement des enfants jusqu’à ce qu’elle retourne au travail en 2012. En 2013, elle était en voie de démarrer sa propre entreprise. Les grand-mères des enfants n’étaient pas en mesure d’offrir une aide régulière. Le coût des camps de jour ou des gardiennes d’enfants était exorbitant.

35        Le fonctionnaire a soumis par écrit sa demande de modification de ses heures de travail et d’une semaine comprimée et il a offert de faire preuve de souplesse quant à la façon dont ses heures seraient comprimées. Il ne voyait pas pourquoi cela aurait préoccupé l’employeur. Il a dit à l’employeur qu’il ferait preuve de souplesse quant à la façon dont ses heures seraient comprimées. Ses cas et le nombre d’heures qu’il devait effectuer demeureraient au niveau de temps plein d’un agent de libération conditionnelle. Il était disposé à travailler du lundi au vendredi au besoin et il travaillerait par téléphone. Aucun dossier n’aurait à être réaffecté (pièce 1, onglet 13).

36        Malgré le fait que le fonctionnaire souhaitait discuter de sa demande avec la direction, l’employeur ne le lui a jamais demandé. Le 24 mai 2013, il a appris que sa demande de congé avait été refusée (pièce 1, onglet 14) en raison des exigences opérationnelles. M. Horbasenko lui a offert l’option de continuer d’avoir un horaire flexible comme c’était le cas dans le passé et il l’a informé que ses heures de travail pourraient être effectuées entre 7 h et 18 h.

37        Le fonctionnaire s’inquiétait du fait que l’horaire de travail flexible proposé ne garantissait pas qu’une personne soit à la maison avec ses enfants. Il voulait s’assurer qu’une personne était à la maison en tout temps. Comme son employeur a refusé sa demande d’avoir un horaire comprimé, ses enfants ont été laissés seuls à la maison à plusieurs occasions avec l’aîné, ce qui a entraîné des disputes familiales. Les enfants plus âgés ne souhaitaient pas être responsables de leurs frères et sœurs plus jeunes et, selon le fonctionnaire, ce n’était pas leur responsabilité.

38        Lorsque le fonctionnaire s’est vu refuser la possibilité d’avoir un horaire comprimé, il a demandé un congé pour obligations familiales pour le mois de juillet, ce qui a également été refusé. Le congé avec étalement du revenu n’était pas une option puisqu’il n’y avait pas contribué l’année précédente. Un congé non payé n’était pas non plus une option, ni le fait de payer pour d’autres options de garderie.

39        L’employeur a finalement remis au fonctionnaire un ordinateur portatif pour qu’il puisse travailler de la maison. Il travaillait de la maison les lundis, les mercredis et les vendredis. Il se rendait au bureau ou effectuait des visites de supervision les mardis et jeudis. Ses tentatives de travailler de la maison ne lui ont pas permis d’atteindre son but souhaité, puisque ses enfants se sentaient mis de côté. Il n’était pas à la disposition de ses enfants ou en mesure de leur donner des soins directement les lundis, les mercredis et les vendredis en raison de ses obligations professionnelles.

2. Témoignage de M. Horbasenko

40        Le fonctionnaire a fait parvenir à M. Horbasenko un courriel de sa demande d’un horaire de travail comprimé pour les mois d’été 2013. Il proposait de travailler de 6 h à 18h trois jours par semaine (pièce 1, onglet 13, page 5). En réponse, M. Horbasenko a demandé au fonctionnaire plus de renseignements sur la façon dont il avait l’intention de gérer ses cas et les motifs de sa demande. M. Horbasenko a examiné la demande avec M. Stankey. Ensemble, ils ont examiné les employés qui se trouvaient au bureau et ceux qui seraient disponibles pour remplacer le fonctionnaire. Si un problème survient au sujet d’un délinquant pendant la fin de semaine, des rapports de situation sont dus le lundi suivant. Les rapports relatifs aux analyses d’urine nécessitent une mesure dès qu’ils sont présentés. Tout cela devait être abordé en l’absence du fonctionnaire.

41        La décision de l’employeur, qui a été envoyée par courriel au fonctionnaire, indiquait que les exigences opérationnelles ne permettaient pas d’accorder sa demande. Il a également été avisé que d’autres options pour sa proposition étaient disponibles; par exemple, il pouvait travailler des heures flexibles entre 7 h et 18 h tous les jours, cinq jours par semaine ou faire du télétravail.

42        La demande du fonctionnaire en 2013 était différente de ce qu’il avait demandé l’année précédente. En 2012, il venait de terminer une affectation et il n’avait pas de cas actif. De plus, il avait choisi son congé annuel pour cette période de l’année, alors l’incidence opérationnelle en 2012 était faible. En 2013, après s’être vu accorder un congé annuel pour tout le mois d’août, il a simplement demandé un congé, indiquant que c’était pour des raisons familiales, sans donner de détails, alors qu’en 2012, lorsqu’il a demandé congé, cela avait pour but de tenir compte des camps pour ses enfants.

43        M. Horbasenko a rencontré le fonctionnaire et son représentant syndical dans l’espoir de préciser les raisons familiales qui nécessitaient l’horaire comprimé que proposait le fonctionnaire. Le fonctionnaire a appris que des renseignements supplémentaires étaient nécessaires parce que sa demande de congé était à l’étude, mais il n’a fourni aucun autre renseignement. Il a simplement répondu que cela concernait des questions familiales générales. On lui a de nouveau offert l’option d’avoir des heures flexibles et un ordinateur portatif, ce qui lui permettrait de travailler de la maison. Il a accepté l’ordinateur portatif et a demandé de travailler de la maison en tant que mesure d’adaptation temporaire alors que sa demande de congé était examinée (pièce 1, onglet 15).

44        Le fonctionnaire a travaillé de la maison les lundis, les mercredis et les vendredis à compter de mai ou juin 2013. Il a pris le mois d’août 2013 en congé annuel.

3. Témoignage de M. Stankey

45        La demande de congé pour obligations familiales du fonctionnaire a été soumise à l’attention de M. Stankey en mai 2013. Le fonctionnaire avait demandé une période de congé annuel, qui avait été approuvée, puis il avait demandé d’avoir une semaine de travail comprimée pour obligations familiales au cours des mois de juin et de juillet 2013. M. Horbasenko a consulté M. Stankey au sujet de la demande. Le fonctionnaire a fait parvenir un courriel à M. Stankey pour connaître l’état de sa demande. M. Stankey a répondu le 23 mai 2013 (pièce 1, onglet 13), mettant en évidence ses préoccupations quant à la demande.

46        Les agents de libération conditionnelle ont des échéances juridictionnelles qui doivent être respectées. Si le travail n’est pas fait, il est transmis aux agents de libération conditionnelle de l’établissement. Si le fonctionnaire pouvait faire son horaire sur trois jours, il aurait fait des quarts de 13 heures, ce qui est très long. De plus, il n’aurait pas été disponible deux jours par semaine. De plus, il avait déjà prévu cinq semaines de congé annuel pendant la période de congé de pointe, alors que ses collègues souhaitaient passer du temps avec leurs familles. Ses deux demandes ont mis beaucoup de stress sur le bureau sectoriel d’Edmonton et, en conséquence, les demandes de congé d’autres agents de libération conditionnelle pour cette période ont dû être refusées.

47        Le fonctionnaire n’a fourni aucun renseignement ni justification au sujet de sa demande; il a simplement déclaré qu’elle concernait des questions familiales générales.

48        Les heures flexibles étaient possibles, ce qui aurait signifié que le fonctionnaire travaille cinq jours par semaine et modifie ses heures de début et de fin pour respecter les besoins de sa famille. Il avait également l’option de travailler de la maison durant le jour avec un ordinateur portatif que l’employeur était disposé à lui fournir.

49        Le 30 mai 2013, M. Stankey a rencontré M. Horbasenko, le fonctionnaire et son représentant syndical afin de discuter de ces options. On a demandé au fonctionnaire s’il fournirait plus de renseignements au sujet de sa situation familiale et de la motivation de sa demande. Il n’était pas disposé à discuter de cela et il a avisé les représentants de l’employeur qu’il ne fournirait pas de telles explications. Selon M. Stankey, cette rencontre n’a servi à rien; la seule solution acceptable pour le fonctionnaire était que sa demande soit accordée, ce que l’employeur ne pouvait faire étant donné les exigences opérationnelles auxquelles il faisait face et le refus du fonctionnaire de fournir des renseignements pour appuyer sa demande.

50        M. Stankey était au courant des circonstances de l’été 2012 au cours duquel le fonctionnaire a été autorisé à prendre congé pour respecter les besoins de sa famille, sans qu’il y ait d’incidence sur son rendement. Les circonstances étaient telles que lui permettre de prendre congé n’a eu aucune incidence opérationnelle importante, puisqu’il venait de terminer une affectation à l’extérieur du bureau et qu’il n’avait pas de cas à gérer. En général, les agents de libération conditionnelle ont deux à trois semaines de congé chaque été; le fonctionnaire s’était vu approuver un congé annuel de cinq semaines en 2013 avant de demander un horaire comprimé. Pendant cette période très occupée, il n’était pas possible d’accepter la demande de semaine de travail comprimée du fonctionnaire et de continuer de respecter les besoins des autres employés du même bureau.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

51        Le critère pour établir une violation du Code figure aux paragraphes 62 et 64 de Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52. Le fonctionnaire devait démontrer qu’il a exercé ses droits en vertu du Code, qu’il a subi des représailles, que les représailles étaient de nature disciplinaire et que l’exercice de ses droits et les représailles de l’employeur avaient un lien direct.

52        Dans son témoignage, le fonctionnaire a établi que les fonctions d’un agent de libération conditionnelle sont dangereuses. En novembre 2013, il s’est vu confier de nouveau le cas d’un délinquant pour lequel il avait contribué à la révocation de la libération conditionnelle. Le fonctionnaire a exercé son droit prévu par le Code de refuser d’effectuer un travail dangereux parce qu’il croyait que ce délinquant voulait se venger. Selon le témoignage du fonctionnaire et celui de M. Horbasenko, le fonctionnaire a été menacé de faire l’objet de mesures disciplinaires parce qu’il avait refusé de travailler avec le délinquant. Par conséquent, le fonctionnaire a respecté la première partie du critère dans Vallée.

53        Lorsque le deuxième délinquant a été confié au fonctionnaire, il a de nouveau invoqué son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux, cette fois en refusant d’accomplir toutes les fonctions d’agent de libération conditionnelle, parce qu’il craignait que la charge de travail causée par son premier refus de travailler le distraie et l’amène possiblement à faire des erreurs. À la rencontre entre le fonctionnaire, son représentant syndical et l’employeur, le fonctionnaire a été menacé d’être renvoyé chez lui sans être payé parce qu’il refusait d’accomplir ses fonctions d’agent de libération conditionnelle. Cette menace respecte le reste du critère dans Vallée.

54        L’employeur aurait pu affecter le fonctionnaire à du travail de bureau en décembre 2014 plutôt que de menacer de le renvoyer chez lui sans le payer. Une suspension sans rémunération ou la menace de suspension constitue une menace disciplinaire liée au deuxième refus de travailler. Un employeur a le droit d’imposer une mesure disciplinaire à un employé dans la mesure où il n’y a aucun lien avec le refus de travailler, ce qui a été clairement établi en l’espèce. L’avertissement qu’a reçu le fonctionnaire représentait une réprimande verbale et une menace de mesure disciplinaire. Le Code indique clairement que les menaces de mesures disciplinaires sont interdites, et la preuve est suffisante en l’espèce pour conclure qu’il y a eu contravention au Code (voir Martin-Ivie c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 40).

55        Pour ce qui est de la question de savoir si l’employeur a fait preuve de discrimination à l’égard du fonctionnaire en raison de sa situation familiale, on ne pouvait s’attendre à ce qu’il sache quels renseignements il devait partager avec l’employeur pour aider ce dernier à prendre sa décision. Son congé pour obligations familiales avait été approuvé en 2012. Les renseignements fournis à ce moment-là étaient suffisants pour respecter les besoins de l’employeur. Le fonctionnaire a participé activement au processus de la prise de mesures d’adaptation. Il a répondu aux questions de l’employeur par courriel (pièce 1, onglet 15). Il a répondu à ses préoccupations opérationnelles. La seule différence était qu’en 2013, il avait demandé un congé deux fois plus long que celui de 2012. L’employeur avait tous les renseignements dont il avait besoin en 2012 pour accorder la demande et il aurait dû tenir compte de ces renseignements en 2013.

56        Les mesures d’adaptation proposées par l’employeur n’établissaient pas l’équilibre requis par la famille du fonctionnaire. Les enfants n’auraient pas bénéficié de toute son attention s’il avait travaillé de la maison (voir Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110 au par. 21).

57        Un processus de prise de mesures d’adaptation procédural et complet doit être suivi afin d’établir les mesures d’adaptation appropriées, ce que l’employeur n’a pas fait. Si une preuve prima facie de discrimination a été établie, le fardeau est transféré à l’employeur qui doit démontrer qu’une exigence professionnelle justifiée existe et qu’une mesure d’adaptation ne pouvait être prise à l’égard du fonctionnaire sans subir de contraintes excessives (voir Johnstone, au par. 75). L’employeur est fautif parce qu’il n’a pas enquêté pour savoir si la semaine de travail comprimée demandée par le fonctionnaire aurait pu fonctionner. Il n’y a pas eu de période d’essai. Selon les faits de 2012, cela avait déjà fonctionné. Rien dans la preuve n’indique que l’employeur a même tenté de faire en sorte qu’une semaine de travail comprimée fonctionne.

58        La solution de l’employeur n’était pas raisonnable. En conséquence, les arrangements pris par le fonctionnaire pour la garde de ses enfants ont échoué. Le fait de travailler de la maison n’a pas réduit son incapacité à travailler; il ne pouvait travailler et respecter les besoins de ses enfants en même temps. Le télétravail était un pas dans la bonne direction, mais cela n’a pas allégé son fardeau. La priorité de l’employeur était de trouver une solution qui aurait une incidence minimale sur ses activités. Il était à blâmer pour ne pas avoir posé les bonnes questions.

59        Pour cette raison et pour son omission à prendre des mesures d’adaptation à son égard, le fonctionnaire demande 10 000 $ pour préjudice moral et un montant supplémentaire de 10 000 $ pour dommages généraux en raison de disputes qu’il a eues avec ses enfants, son épouse et sa belle-famille et parce que ses enfants ont été laissés seuls à la maison contre son souhait, parce que l’employeur a refusé de prendre des mesures d’adaptation à son égard en raison de sa situation familiale.

B. Pour l’employeur

60        Le fonctionnaire a raison de dire que le critère pour établir une violation du Code figure dans Vallée. Le fardeau de la preuve incombait à l’employeur en vertu du par. 133(6) du Code qui devait prouver qu’il n’y a pas eu de contravention à l’art. 147, s’il peut démontrer l’une des situations suivantes (voir White c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 63 au par. 142, ainsi que la décision a été citée; et Court c. John Grant Haulage Ltd., 2010 CCRI 498, au par. 121) :

  1. Le plaignant n’a pas agi conformément à l’article 128.
  2. Le défendeur n’a imposé aucune mesure disciplinaire ni sanction pécuniaire au plaignant.
  3. Si le défendeur a imposé des mesures disciplinaires ou une sanction disciplinaire, elles n’ont rien avoir avec l’exercice du droit de refuser de travailler par le plaignant en vertu de l’article 128 du Code.

61        Lorsque le deuxième délinquant est arrivé dans la salle d’attente en décembre 2014, le fonctionnaire savait depuis au moins deux semaines que le délinquant avait été assigné à sa charge de travail. Il s’attendait à ce que l’employeur applique généralement ses préoccupations exprimées dans le contexte de son premier refus de travailler à tous les délinquants dont la libération conditionnelle avait été révoquée. Selon le fonctionnaire, l’omission par l’employeur d’appliquer généralement ses préoccupations et l’assignation subséquente du deuxième délinquant représentaient des représailles pour avoir invoqué son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux. L’assignation faisait partie de la pratique normale des affaires de l’employeur et n’était pas des représailles, comme le soutenait le fonctionnaire.

62        Lorsque l’employeur a prévenu le fonctionnaire au sujet de l’accomplissement de ses autres fonctions, les délinquants en question se trouvaient dans la salle d’attente. Il n’y avait aucune menace sous-jacente de mesures disciplinaires liées à leur présence. L’employeur tentait simplement de gérer une situation difficile, alors que des délinquants arrivaient dans la salle d’attente. Après les deux rencontres avec M. Horbasenko, M. Stankey et le fonctionnaire en novembre puis en décembre, on a demandé au fonctionnaire s’il avait compris les conséquences possibles du refus d’accomplir toutes ses fonctions d’agent de libération conditionnelle. Il avait le droit de refuser d’effectuer un travail dangereux, mais il n’avait pas le droit d’invoquer un arrêt de travail. L’employeur aurait eu le droit de le renvoyer chez lui sans le payer en raison de l’arrêt de travail.

63        Le lien nécessaire entre le refus de travailler et le comportement du fonctionnaire n’existe pas (voir Martin-Ivie, au par. 59). Il n’a pas été renvoyé à la maison; on lui a simplement dit que, s’il continuait son arrêt de travail, il le serait. Le représentant du fonctionnaire a soutenu que l’employeur aurait dû l’affecter à d’autres fonctions. Ce n’était pas possible; rien ne pouvait lui être assigné puisqu’il refusait d’accomplir toutes les fonctions d’agent de libération conditionnelle.

64        Après un temps de réflexion, les parties ont trouvé une solution. Le travail a repris et la possibilité d’être renvoyé à la maison a été éliminée. L’employeur souhaitait simplement calmer un conflit en milieu de travail et faire en sorte que le milieu de travail continue de fonctionner.

65        En ce qui concerne la prétention du fonctionnaire selon laquelle il a fait l’objet de discrimination, il a omis d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. Même s’il l’avait fait, la direction n’a pas eu une possibilité suffisante de répondre à sa demande de mesures d’adaptation puisqu’il n’a fourni aucun renseignement pour l’appuyer. L’employeur lui a accordé beaucoup de souplesse dans l’accomplissement de ses fonctions et a pris des mesures d’adaptation à l’égard de ses besoins. Ce n’est que lorsque le fonctionnaire s’est acquitté du fardeau d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination que l’employeur est obligé de justifier ses mesures (voir Johnstone; et Souaker c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2009 CRTFP 145).

66        Le fait que le fonctionnaire ne connaissait pas les critères d’établissement d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation familiale ne le soustrayait pas à son obligation de participer au processus de prise de mesures d’adaptation. Le simple fait qu’une personne a une famille n’établit pas une preuve prima facie d’une situation familiale (voir Halfacree c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2012 CRTFP 130). En outre, il doit y voir un lien entre l’appartenance à un groupe déterminé et le caractère arbitraire de la décision de l’employeur (voir Veillette c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 32 au par. 66).

67        Le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve d’une obligation légale par rapport aux enfants qui n’aurait pas été respectée grâce à d’autres arrangements. En fait, il n’a respecté ces obligations d’aucune autre façon, par l’entremise de son épouse, de ses enfants adolescents ou d’autres membres de la famille. L’éducation des enfants est une responsabilité partagée et, contrairement à la situation dans Johnstone, ce n’est pas un cas où tous les enfants sont des nouveau-nés et où les parents sont des travailleurs par quart. Cette demande était fondée sur les préférences personnelles du fonctionnaire et non sur une obligation légale.

68        Le fonctionnaire n’a fourni aucune explication logique de la façon dont un horaire de travail comprimé aurait respecté ses obligations parentales et ses choix à l’exclusion des autres options. Le télétravail lui a fourni plus de temps à la maison qu’une semaine de travail comprimée l’aurait fait. L’employeur a tenté de l’aider à respecter ses obligations parentales. Si le télétravail ne convenait pas, le fonctionnaire avait d’autres options à sa disposition, comme un congé non payé, ce qu’il n’a pas envisagé parce que ces options ne respectaient pas sa situation financière. Les besoins financiers d’un employé n’obligent pas l’employeur à prendre des mesures d’adaptation à l’égard de l’employé.

69        Les options proposées par l’employeur étaient raisonnables et elles respectaient les besoins énoncés du fonctionnaire. Elles respectaient de manière substantielle ses besoins indiqués. Si ce n’était pas le cas, il lui revenait de démontrer qu’il avait des besoins en dehors du fait que ses enfants n’allaient pas à l’école durant l’été et qu’il ne souhaitait pas les laisser seuls à la maison. Il a refusé de discuter de sa situation familiale et, en conséquence, l’employeur a pris sa décision en fonction des renseignements dont il disposait.

70        Le processus de prise de mesures d’adaptation fonctionne dans les deux sens. Un employé n’a pas droit à une mesure d’adaptation parfaite, mais simplement raisonnable. Pour déterminer ce qu’est une mesure d’adaptation raisonnable, un employeur a besoin des renseignements nécessaires pour prendre une décision. Il revient à l’employé d’indiquer ses besoins; le fonctionnaire ne l’a pas fait. Le défaut de participer au processus de prise de mesures d’adaptation suffit pour rejeter le grief (voir Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 à 994). Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire a bénéficié de mesures d’adaptation.

71        Aucun préjudice n’a été démontré qui appuierait une prétention de dommages en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6).

IV. Motifs

A. La plainte

72        Le fonctionnaire a refusé de travailler lorsque le délinquant lui a été confié de nouveau. Il a invoqué le par. 128(1) du Code, qui prévoit qu’un employé peut refuser de travailler ou d’accomplir une tâche si cela constitue un danger pour lui-même. Ce n’est pas mon rôle de décider si le travail que le fonctionnaire a refusé représentait un danger, même si une grande partie de son témoignage visait ce point. Mon rôle consiste à décider si des actes de représailles se sont produits et, le cas échéant, s’ils étaient une conséquence directe de l’exercice de son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux, ce qui aurait contrevenu au Code.

73        Les articles pertinents du Code sont les articles 133 et 147. Le paragraphe 133(1) prévoit ce qui suit :

133 (1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

74        L’article 147 du Code prévoit ce qui suit :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[Je souligne]

75        Le paragraphe 133(6) du Code est également pertinent parce qu’il prévoit que lorsqu’un employé a établi qu’il a déposé une plainte en vertu du par. 133(1) du Code en ce qui concerne l’exercice du droit de refuser de travailler en vertu des articles 128 ou 129, il revient à l’employeur de démontrer que l’art. 147 n’a pas été contrevenu (voir White au par. 141) :

133 (6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

76        Il n’est pas contesté que le fonctionnaire a déposé une plainte en vertu du par. 133(1) dans les délais applicables, de sorte qu’il s’est acquitté de son fardeau initial et qu’il revient maintenant à l’employeur de démontrer que l’art. 147 n’a pas été contrevenu.

77        Selon les types de représailles indiqués à l’art. 147, le fonctionnaire n’a réellement invoqué que le fait qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire ou a été menacé de faire l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir exercé son droit de refuser de travailler. Pour qu’il soit établi qu’il y a eu représailles disciplinaires, il doit y avoir un lien entre l’exercice des droits du fonctionnaire en vertu de la partie II du Code et la mesure disciplinaire prise par l’employeur (voir Gaskin c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 96, au par. 62; Tanguay c. Opérations des enquêtes statistiques, 2005 CRTFP 43, au par. 14; Vallée, au par. 64; Martin-Ivie).

78        Je ne suis saisie d’aucune preuve qui indique que le fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir invoqué ses droits. En outre, rien dans la preuve n’indique que l’employeur l’a menacé d’une façon quelconque parce qu’il a exercé ses droits.

79        Les témoignages des deux parties portaient sur les circonstances du refus de travailler et ne fournissaient aucune idée des allégations de représailles. Même si les commentaires de M. Horbasenko sur la possibilité d’une mesure disciplinaire étaient peu judicieux, ils étaient liés au refus du fonctionnaire d’accomplir ses fonctions d’agent de libération conditionnelle et non à l’assignation du cas de délinquants dont la libération conditionnelle avait été révoquée, ce pour quoi le fonctionnaire avait invoqué son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux. La preuve n’appuie pas le fait qu’il y avait un lien entre le fait que le fonctionnaire a invoqué ses droits prévus au Code et les avertissements de l’employeur en réponse à son refus d’accomplir une partie ou la totalité de ses fonctions d’agent de libération conditionnelle, ce qui ne constitue pas en soi une mesure disciplinaire ou une menace de mesure disciplinaire.

80        Le fonctionnaire a refusé d’accomplir ses fonctions d’agent de libération conditionnelle, y compris la rencontre du deuxième délinquant, parce que son premier refus de travailler n’était toujours pas réglé. Même si une partie des fonctions du fonctionnaire qu’il a refusé d’accomplir en décembre 2014 pouvait être dangereuse à son avis, sa préoccupation quant à la poursuite de ses droits liés à un refus de travailler précédent n’était pas une raison pour refuser d’accomplir la totalité des fonctions de l’emploi dans le cas d’un deuxième refus de travailler. Le fait qu’on le lui a rappelé n’était pas une mesure disciplinaire. Comme l’a fait valoir le représentant du fonctionnaire, d’autres fonctions auraient pu être assignées au fonctionnaire, mais, comme il avait refusé toutes les fonctions d’agent de libération conditionnelle, il avait privé l’employeur de sa marge de manœuvre.

81        Brown et Beatty, dans Canadian Labour Arbitration (4e édition), discutent de la nature des sanctions disciplinaires au par. 7:4210. Au moment de décider si un employé a fait l’objet d’une mesure disciplinaire, un arbitre de différends ou un arbitre de grief doit tenir compte de l’objet et de l’effet des mesures de l’employeur. La caractéristique essentielle de la mesure disciplinaire est l’intention de corriger un mauvais comportement. La garantie d’un employeur selon laquelle il ne souhaite pas que ses mesures aient une nature disciplinaire règle souvent la question, mais pas toujours. L’employeur a le droit de demander des précisions relativement à un refus de travailler de l’employé afin de savoir ce qui constitue exactement un travail dangereux selon l’employé. Dans le cas du premier refus de travailler du fonctionnaire, cela était clair. C’était moins clair dans le cas du second, puisqu’il a refusé de faire tout travail lié à son emploi d’agent de libération conditionnelle.

82        Une sanction disciplinaire doit à tout le moins avoir la possibilité d’avoir un effet préjudiciable sur un employé. En l’espèce, le fait que le fonctionnaire a été prévenu que, s’il refusait un travail et pas seulement celui pour lequel il avait exercé ses droits en vertu du Code, il serait renvoyé à la maison ne constitue pas à mon avis une mesure disciplinaire dans le contexte de l’un ou l’autre des refus de travailler. Un employeur raisonnable peut s’attendre à ce qu’un employé dans le milieu de travail accomplisse les fonctions de son poste. Le défaut par l’employé de respecter ses obligations d’emploi justifie un avertissement selon lequel ce défaut peut faire en sorte qu’il ne soit pas payé. Un tel avertissement n’a pas une nature disciplinaire. En outre, l’employeur avait le droit d’assigner un travail légitime au fonctionnaire, peu importe la question de savoir s’il avait déjà invoqué ses droits en vertu du Code relativement à un autre travail.

83        La première fois que le fonctionnaire a invoqué son droit de refuser d’effectuer un travail dangereux, cela était lié à un délinquant précis. Le fonctionnaire craignait que ce délinquant commette un acte de vengeance à son égard puisqu’il avait contribué à la révocation de sa libération conditionnelle à un moment dans le passé, ce qui ne signifiait pas qu’il refusait de travailler avec un délinquant dont la libération conditionnelle avait été révoquée. L’employeur assigne les délinquants aux charges de travail en fonction des circonstances opérationnelles de la journée. Rien dans la preuve n’appuie l’affirmation selon laquelle l’assignation au fonctionnaire du deuxième délinquant dont la révocation conditionnelle avait été révoquée était autre chose que le déroulement normal des activités. Aucun lien entre le refus d’effectuer un travail dangereux par le fonctionnaire et l’assignation du deuxième délinquant n’a pas été démontré. Je conclus donc que l’assignation du deuxième délinquant n’était pas un acte de représailles.

84        Le fonctionnaire a également allégué qu’il avait été soumis à de la violence en milieu de travail et à du harcèlement et que son évaluation du rendement contenait des commentaires négatifs, ce que l’employeur nie. Ces prétentions n’étaient rien d’autre que de simples affirmations de sa part. Il n’a fourni aucun autre détail à leur sujet ni d’éléments corroborants, que ce soit sous forme de documents ou de témoignages. À mon avis, son témoignage au sujet de ces prétentions était si faible qu’il ne justifiait même pas une explication de l’employeur et était certainement insuffisant pour tirer une conclusion au sujet de représailles.

85        En ce qui concerne les motifs non disciplinaires énumérés à l’art. 147, au sujet desquels le fonctionnaire n’a formulé pratiquement aucune allégation, il n’est pas contesté qu’il n’a pas été congédié, mis à pied ou rétrogradé. En outre, il n’y a eu aucune preuve d’une sanction pécuniaire ou autre ou qu’on lui a refusé un paiement. Au paragraphe 19 de Tanguay, la vice-présidente de la Commission accepte la définition de « sanction » comme une « peine ou récompense prévue pour assurer l’exécution d’un acte » ou une « peine établie ou infligée par une loi ou une autorité quelconque pour réprimer un acte défendu ». Le fonctionnaire n’a pas été puni pour avoir fait valoir ses droits en vertu du Code.

86        La question de savoir si le fonctionnaire a fait l’objet de mesures disciplinaires ou s’est vu imposer des sanctions au sens de l’art. 147 et, dans ce cas, celle de savoir s’il y a un lien entre eux et l’exercice de ses droits en vertu du Code sont de pures questions de fait. L’employeur s’est acquitté de son fardeau en vertu de l’art. 133 du Code, comme le décrit White. Selon la preuve dont je suis saisie, je conclus que le fonctionnaire n’a fait l’objet d’aucune mesure, encore moins d’une mesure liée à l’exercice de ses droits en vertu de l’art. 128 du Code. Sa plainte est rejetée.

B. Le grief

87        Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de ses besoins familiaux et qu’il a fait preuve de discrimination à son égard. Pour appuyer ces affirmations, les fonctionnaires s’estimant lésés doivent d’abord présenter une preuve prima facie de discrimination. Lorsqu’elle a été établie, l’analyse passe à la deuxième étape où l’employeur doit démontrer qu’il a pris des mesures d’adaptation à l’égard de ces besoins ou que la politique ou la pratique appliquée est une exigence professionnelle justifiée et que les personnes touchées ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’adaptation sans qu’elles subissent des contraintes excessives.

88        Comme la Commission l’a fait remarquer dans le récent cas Fleming c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 96 au par. 120, la décision de la Cour d’appel fédérale dans Johnstone est l’arrêt définitif dans ce domaine de discrimination. La Cour, dans Johnstone, établit un critère en quatre volets qui doit être respecté pour établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation familiale relativement aux responsabilités liées à la garde des enfants :

  1. que le fonctionnaire assume effectivement l’entretien et la surveillance de son enfant ou de ses enfants;
  2. que l’obligation en cause relative à la garde des enfants fait jouer sa responsabilité légale envers cet enfant et qu’il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel;
  3. que le fonctionnaire a déployé les efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable;
  4. que les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants.

89        Pour les motifs suivants, je conclus que le plaignant a omis d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination.

90        Il n’est pas contesté que le fonctionnaire et son épouse assument effectivement l’entretien et la surveillance de leurs enfants non adultes et que les trois plus jeunes ne pouvaient légalement être laissés à la maison sans supervision. Les volets 1 et 2 du critère sont donc respectés, puisqu’il a une obligation légale de s’assurer que les enfants plus jeunes sont pris en charge correctement en son absence.

91        Toutefois, le fonctionnaire n’a pas démontré qu’il respecte le troisième volet du critère. Selon ce facteur, l’employé doit démontrer qu’il a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations relatives à la garde des enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable. Les employés doivent donc démontrer que ni eux ou elles  et ni leurs conjoints ou conjointes ne sont en mesure de s’acquitter de leurs obligations liées à la garde des enfants tout en conservant leur emploi et qu’ils n’ont pas raisonnablement accès à des services de garde d’enfants ou à des mesures de substitution qui leur permettront de respecter leurs obligations professionnelles (Johnstone au par. 96).

92        En l’espèce, le fonctionnaire n’a pas démontré qu’il a déployé tous les efforts raisonnables. Il a mentionné que son épouse exploite une nouvelle entreprise, mais il n’a pas démontré qu’elle n’est pas en mesure de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants tout en exploitant son entreprise. Le fonctionnaire affirme que les grand-mères des enfants ne peuvent fournir une aide régulière, mais il n’a pas indiqué si une autre personne est en mesure de le faire.

93        En fait, le fonctionnaire a effectivement reconnu qu’il était en mesure de s’acquitter de ses obligations relatives à la garde des enfants en les laissant aux soins d’un enfant adulte et de deux autres enfants plus âgés. C’est simplement parce que cet arrangement a entraîné des [traduction] « disputes familiales » qu’il l’a rejeté. Toutefois, à mon avis, ce n’est pas un motif raisonnable pour rejeter l’option de la garde d’enfants et cela démontre que le fonctionnaire n’a pas déployé tous les efforts raisonnables avant d’aborder l’employeur pour obtenir une modification de son horaire de travail. Enfin, je conclus que, même si le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que le coût des camps de jour est [traduction] « exorbitant », il n’a fourni aucune preuve précise pour démontrer quels étaient ces coûts et établir comment ils étaient véritablement exorbitants pour lui.

94        Contrairement au présent grief, je remarque que, dans Johnstone, la plaignante a présenté une preuve détaillée de ses démarches auprès de services de garde non enregistrés, y compris auprès des membres de sa famille, et qu’elle avait également effectué des recherches élargies pour chercher à obtenir des services de garde souples lui permettant de respecter son horaire de travail. Le membre du Tribunal canadien des droits de la personne qui avait entendu la plainte au départ avait obtenu une preuve au sujet des horaires de travail des deux conjoints et conclu qu’ils ne leur permettaient pas de s’occuper de leurs enfants selon un horaire fiable. Aucune preuve semblable n’a été déposée par le fonctionnaire en l’espèce.

95        En conséquence, je conclus que le fonctionnaire n’a pas respecté le troisième volet du critère de Johnstone.

96        De plus, je ne suis pas convaincue que le quatrième volet du critère a été respecté. Dans Johnstone au par. 107, la Cour a fait remarquer qu’un témoignage expert avait été présenté quant à l’incidence des horaires de travail imprévisible des parents sur le fait de trouver un service de garde d’enfants, en particulier étant donné leurs heures prolongées après les heures normales de travail. En l’espèce, rien n’indique que l’horaire du fonctionnaire, qui comprenait l’option d’avoir des heures flexibles entre 7 h et 18 h puis de travailler de la maison les lundis, les mercredis et les vendredis, portait atteinte de façon plus que négligeable ou insignifiante à sa capacité de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que le fait de travailler de la maison ne lui permettait pas d’atteindre son but souhaité, puisque ses enfants se sentaient mis de côté. Cela n’établit toutefois pas que ses enfants étaient sans supervision, ce qui est l’obligation légale qu’il ne pouvait accomplir selon lui.

97        Pour ces raisons, je conclus que le fonctionnaire n’a pas établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination.

98        En tout état de cause, même si le fonctionnaire avait présenté une preuve prima facie, j’aurais conclu que l’employeur a démontré qu’il a pris des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard du fonctionnaire en lui offrant un ordinateur portatif qui lui permettait de faire du télétravail et d’avoir un horaire flexible.

99        La Cour suprême du Canada a indiqué, dans Central Okanagan School District No. 23, que les employés qui demandent une mesure d’adaptation sont tenus de collaborer avec leur employeur en lui fournissant des renseignements quant à la nature et à l’étendue de leurs besoins en matière d’adaptation, ce qui lui permettra de déterminer les mesures d’adaptation nécessaires. L’employeur a demandé au fonctionnaire de préciser ses besoins et il n’en a fourni aucun, en dehors du fait qu’il avait besoin du congé pour des raisons familiales générales, ce qui ne peut guère être considéré comme une collaboration avec l’employeur dans sa recherche d’une mesure d’adaptation convenable. Le fonctionnaire n’a fourni aucune précision sur ses besoins lorsqu’on lui en a demandé et il est incompréhensible que l’employeur soit considéré comme ayant agi de façon déraisonnable parce que, comme l’a soulevé le représentant du fonctionnaire, [traduction] « il n’a pas posé les bonnes questions ». Si le fonctionnaire ne souhaitait pas préciser ses besoins de façon ouverte et franche, l’employeur ne peut en être tenu responsable.

100        En l’espèce, l’employeur s’est efforcé de trouver une mesure d’adaptation raisonnable à l’égard du fonctionnaire selon les renseignements qui lui ont été fournis. Il a accepté les options mises en avant à titre de mesure provisoire, puis il a présenté un grief; il ne les aimait pas, mais elles respectaient tout de même ses besoins. L’employeur a collaboré avec lui pour élaborer les options; il a abordé sa principale préoccupation d’être à la maison avec ses enfants durant l’été et a fourni une mesure d’adaptation raisonnable, qui respecte ses besoins tout en perturbant au minimum le milieu de travail. L’option privilégiée par le fonctionnaire aurait été qu’il soit à la maison trois jours par semaine pendant des périodes prolongées. Un employé n’a pas droit à une mesure d’adaptation parfaite, mais simplement raisonnable (voir Andres c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 86). L’employeur n’est pas tenu de mettre en œuvre une mesure d’adaptation qui perturbe le milieu de travail, alors qu’il existe d’autres options moins intrusives et qui respectent les besoins indiqués de l’employé.

101        L’employeur a évalué la demande du fonctionnaire d’après les renseignements qu’il a fournis et il a créé une solution qui pouvait fonctionner et qui permettait au fonctionnaire d’être à la maison à temps plein avec ses enfants lorsqu’il n’y avait pas d’école. On ne peut reprocher à l’employeur d’avoir trouvé une solution qui aurait une incidence minimale sur ses activités.

102        Ainsi, l’employeur a fourni une explication raisonnable démontrant qu’une mesure d’adaptation complète avait été prise à l’égard du fonctionnaire. Même si la mesure d’adaptation n’était pas parfaite, elle répondait aux limites du fonctionnaire et elle était raisonnable. Par conséquent, même si une preuve prima facie de discrimination avait été établie, l’employeur a fourni un moyen de défense valide. Les allégations du fonctionnaire selon lesquelles l’employeur a fait preuve de discrimination à son endroit n’ont donc pas été prouvées.

103        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

104        La plainte est rejetée.

105        Le grief est rejeté.

Le 12 janvier 2017.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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