Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants ont chacun déposé une plainte d’abus de pouvoir relativement à une nomination intérimaire et, par la suite, à une nomination pour une période indéterminée pour un poste de superviseur – ils ont allégué que le défendeur a abusé de son pouvoir en utilisant un processus non annoncé, en favorisant la personne nommée et en n’évaluant pas correctement les qualifications de la personne nommée – les employés de l’unité savaient qu’il y aurait bientôt un poste de superviseur à pourvoir – pour occuper ce poster, il fallait terminer avec succès deux formations, ce que la personne nommée a fait – après qu’un plaignant ait présenté un grief, qui a été admis, les plaignants ont été informés qu’ils auraient également l’occasion de suivre la formation requise – la première formation était mal organisée et les plaignants l’ont échouée – la formation a été offerte de nouveau, mais ils ont refusé d’y participer – une deuxième formation leur a été offerte et ils ont de nouveau refusé d’y participer – la Commission a maintenu que le défendeur avait répondu à toute allégation de favoritisme lorsqu’il a décidé d’offrir la formation obligatoire à tous les employés intéressés par le poste de supervision – le défendeur a utilisé un processus non annoncé puisque la personne nommée était la seule employée qui possédait toutes les qualifications nécessaires – la Commission n’a constaté aucun abus dans le choix de processus – la Commission a étudié toutes les qualifications et a estimé que la personne nommée les possédait; par conséquent, il n’y a pas eu d’abus dans le processus d’évaluation – les plaignants contestaient la nécessité d’une des qualifications essentielles – la Commission a jugé que la qualification en question était mal formulée; elle a toutefois souligné que le défendeur avait expliqué la signification de cette qualification à l’audience et qu’il avait démontré que la personne nommée la possédait – par conséquent, il n’y a pas eu d’abus de pouvoir dans le choix du processus, dans le choix des qualifications ou dans l’évaluation de la personne nommée.Plaintes rejetées.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170501
  • Dossier:  EMP-2015-9803, 9804 et 9809, EMP-2016-10662 et 10663
  • Référence:  2017 CRTEFP 47

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

ELIZABETH MERKLEY, BONNIE FISHER ET RAYMOND CUMMINGS

plaignants

et

SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

défendeur

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Merkley c. Sous-ministre de la Défense nationale


Plainte d’abus de pouvoir aux termes des alinéas 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour les plaignants:
Louis Bisson, Union des employés de la Défense nationale (UEDN)
Pour le défendeur:
Jenna-Dawn Shervill, avocate
Pour la Commission de la fonction publique:
Louise Bard
Affaire entendue à Wainwright (Alberta),
le 28 février et le 1er mars 2017.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1                  Elizabeth Merkley, Bonnie Fisher et Raymond Cummings (les « plaignants ») ont chacun déposé une plainte le 16 juin 2015 (dans le cas de M. Cummings, le 17 juin), en relation avec le processus non annoncé pour la nomination intérimaire de Colleen Burnett (la « personne nommée ») au poste de superviseur technicien civil des munitions, classifié au groupe et au niveau GT-03 (le « poste GT-03 »). Ils ont déposé leurs plaintes en vertu des alinéas 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13; LEFP). Ils prétendent que le défendeur, le sous-ministre de la Défense nationale, a abusé de son pouvoir en utilisant un processus non annoncé, en favorisant la personne nommée, et en n’évaluant pas correctement ses qualifications. Le défendeur nie ces allégations.

2                  Le 31 août 2016, le défendeur a annoncé la nomination pour une période indéterminée de la personne nommée au poste GT-03, encore une fois par suite d’un processus non annoncé. Mme Fisher et M. Cummings ont déposé des plaintes en réaction à cette nomination le 7 septembre 2016. Les allégations dans cette affaire sont que le choix du processus ne respectait pas les politiques de la Commission de la fonction publique (CFP) et qu’il y a eu de l’abus dans l’application des critères de mérite, de même que du favoritisme.

3                  La Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») a consolidé les trois premières plaintes le 22 juillet 2016, pour les besoins de l’audience et de la décision subséquente. Pendant la conférence préparatoire à l’audience tenue le 16 janvier 2017, les parties ont convenu de consolider toutes les plaintes pour l’audience et la décision.

4                  La CFP a présenté des arguments écrits relatifs au cadre législatif applicable à la nomination intérimaire et à la nomination pour une période indéterminée en question, mais n’a pas pris position sur le bien-fondé des plaintes. Elle ne s’est pas présentée à l’audience.

5                  Pour les motifs qui suivent, je conclus que le bien-fondé des plaintes n’a pas été établi.

II. Contexte

6                  Mme Fisher a témoigné à l’audience au nom des plaignants. Le défendeur a appelé trois témoins. Ils ne sont plus au lieu de travail des plaignants, mais ils occupaient leur poste énoncé à l’époque. Il s’agit du major Doug McCarthy, commandant de la Base des Forces canadiennes Wainwright en Alberta (la « base »), où les plaignants et la personne nommée travaillent; Leslie Lambert, agente d’administration pour le soutien logistique; le capitaine Marvin Lacea, technicien civil des munitions à la base. La preuve est résumée ci-dessous.

7                  La base comprend une composante de munitions qui emploie du personnel militaire et civil. Les employés civils s’occupent de l’envoi, l’entreposage et la récupération de munitions sous la direction de superviseurs militaires. Certaines opérations, comme l’élimination des munitions (par explosion ou d’autres moyens) sont exclusivement le travail du personnel militaire, qui reçoit une formation spécialisée pour de telles opérations.

8        Trois des services de la section des munitions rendent compte à des superviseurs civils, soit l’unité d’expédition, sous les ordres d’un superviseur de l’acheminement; l’unité de l’entrepôt, sous les ordres d’un superviseur d’entrepôt; l’unité de récupération sous les ordres d’un superviseur de la récupération. Ces trois superviseurs ont le même titre conformément à la description de travail générique, soit superviseur technicien civil des munitions, et la même classification, soit GT-03.

9                  Mme Fisher et M. Cummings travaillent à l’unité de l’entrepôt et Mme Merkley travaille à l’unité de la récupération. Leur poste est classifié au groupe et au niveau GT-02. La personne nommée travaille à l’unité d’expédition et, avant sa nomination, son poste était également classifié au groupe et au niveau GT-02.

10        En novembre 2013, les employés qui travaillaient à la section des munitions ont été informés que le superviseur de l’acheminement prendrait sa retraite au printemps 2014 et devrait être remplacé. On a également dit aux employés qu’ils auraient tous la possibilité de se présenter pour le poste. Il est incertain s’ils ont été informés à ce moment des exigences du poste, mais personne ne conteste que le poste nécessitait un cours de formation spécial nommé Technicien de munitions civil, niveau 3, que tous les témoins nommaient le cours « CAT 3 ». Il est composé de 27 modules différents et est généralement donné à la base sur une période de six semaines.

11        La personne nommée a suivi le cours au début de 2014. Il est devenu clair pour les plaignants que le terminer serait requis s’ils devaient être pris en compte pour le poste de superviseur de l’acheminement.

12        En avril 2014, Mme Fisher a déposé un grief sur le fait que l’occasion de formation n’a pas été offerte à tous les employés intéressés. Le grief a été admis, et le major Arcouette, l’agent responsable du soutien logistique, a assuré à Mme Fisher, dans sa réponse, que la formation serait offerte à tout le monde. Il a ajouté ce qui suit : [traduction] « Aucune nomination pour une période indéterminée ne sera effectuée avant que les candidats intéressés n’aient eu l’occasion d’effectuer tous les 27 modules, et aucun avantage ne sera accordé à la candidate qui reçoit actuellement la formation CAT 3 écourtée. » La candidate était la personne nommée.

13        Malgré ces assurances, cela a pris quelque temps, jusqu’au printemps 2015, pour offrir la formation CAT 3 aux employés intéressés, dont deux des plaignants, Mme Fisher et M. Cummings. Le major McCarthy a témoigné que la formation offerte aux plaignants était moins que satisfaisante. L’agent qui a donné la formation était quelque peu désorganisé et la formation ne s’est pas bien déroulée, ce qui n’est pas peu dire. Les deux plaignants ont échoué au cours. Le major McCarthy pensait qu’il était important qu’ils reprennent le cours au complet, et pas seulement l’examen, puisqu’il ne pensait pas qu’ils avaient reçu une formation adéquate.

14        Mme Fisher a témoigné que, au moment où le cours a été offert de nouveau, elle n’était plus intéressée, ayant été découragée par les nombreux obstacles.

15        M. Cummings et Mme Merkley n’ont pas témoigné à l’audience, même s’ils y ont assisté. Le major McCarthy et Mme Lambert ont témoigné que M. Cummings ne souhaitait pas non plus reprendre le cours CAT 3. Mme Merkley a suivi la formation subséquente que le major McCarthy a offerte et a réussi. Cependant, pour le poste pour une période indéterminée, il y avait une autre qualification essentielle, la qualification « expédition et manutention de biens dangereux », soit l’« AHUR » ou le cours « 3K ». Mme Merkley a refusé la formation, selon les témoins du défendeur. La preuve n’était pas contredite.

16        Le cours 3K est un cours d’envoi de munition poussé et il est offert à Borden, en Ontario. Il est principalement conçu pour les techniciens des mouvements militaires et, lorsque des places sont disponibles, il peut être offert aux travailleurs civils des munitions. Le cours dure plusieurs semaines. Il a été offert à Mme Fisher en septembre 2014. Cette offre a été retirée, en raison du manque de places disponibles. Il lui a de nouveau été offert en novembre 2014, mais elle a dû refuser, pour des raisons personnelles.

17        Le major McCarthy a confirmé que le cours est principalement destiné aux techniciens des mouvements et que les places sont limitées. Il a également indiqué que cette qualification est essentielle pour le poste de superviseur de l’acheminement. Ce poste a trait à l’envoi de matériel dangereux et la dimension de la sécurité était de toute importance pour lui. Les munitions sont envoyées entre les bases de l’armée sur les routes publiques. Il va sans dire que cela ne doit présenter aucune menace pour le public canadien. Les deux parties ont convenu que la qualification 3K n’était pas une exigence pour le poste intérimaire, mais qu’il s’agissait d’une exigence valide pour le poste pour une période déterminée.

18        Le 1er octobre 2014, la personne nommée, qui a réussi la formation CAT 3 et avait la qualification 3K, a été nommée à titre intérimaire pour quatre mois. Cette nomination a été prolongée à partir du 31 janvier 2015. L’avis de nomination intérimaire a été publié le 3 juin 2015. La nomination intérimaire devait durer jusqu’au 30 septembre 2016.

19        Mme Fisher a déposé un deuxième grief lié au poste GT-03 le 19 mai 2015 et le lieutenant-colonel Richardson, le commandant de la base de l’époque, a répondu le 19 juin 2015. Lorsque le grief a été entendu, en juin 2015, une annonce avait déjà été faite pour indiquer que la personne nommée occuperait le poste GT-03 de manière indéterminée. Dans sa réponse au grief, le lieutenant-colonel Richardson répond à trois préoccupations : le temps requis pour que Mme Fisher reçoive la formation CAT 3, la nomination pour une période indéterminée de la personne nommée et le fait que la nomination intérimaire n’a pas été offerte à qui que ce soit d’autre. Les éléments essentiels de sa réponse sont reproduits ci-dessous.

[Traduction]

[…]

4. […] Le poste de superviseur de l’acheminement nécessite la qualification expédition et manutention de biens dangereux (dont le code du cours est AHUR et qui est aussi généralement nommé 3K), en plus de la formation CAT 3, afin d’exécuter l’ensemble des fonctions du poste. Même si ce cours a été offert à divers civils de la section des munitions par le passé, dont vous, il n’y a en ce moment qu’un seul civil [la personne nommée] dans la section qui possède ces qualifications.

5. J’ai soigneusement étudié tous les renseignements auxquels j’ai accès. J’ai déterminé que, conformément à la décision de grief à laquelle vous avez fait référence, la dotation pour une période indéterminée ne devait pas commencer avant que soit terminée la formation CAT 3. Par conséquent, ce processus est maintenant annulé. L’affectation intérimaire actuelle ne sera pas révoquée; cependant, elle se terminera plus tôt que la date indiquée sur l’ANI. Lorsque la formation CAT 3 actuelle sera terminée, les occasions intérimaires seront offertes aux employés ayant la qualification CAT 3. La dotation de postes intérimaires et pour une période indéterminée sera faite conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, qui prévoit un cadre pour les nominations fondé sur un ensemble commun de valeurs directrices qui garantissent l’équité, la transparence, l’accessibilité et la représentativité. Par conséquent, dans la mesure susmentionnée, votre grief est maintenu et votre mesure corrective est partiellement accordée.

20        Comme cela est précisé plus haut, la personne nommée a été nommée de manière indéterminée au poste GT-03 le 31 août 2016.

21        Je remarque que le défendeur a fourni quelques documents liés à la personne nommée à titre de preuve. Ses renseignements personnels ont été retirés de certains documents, mais, dans deux autres, ils ne l’ont pas été. Le Code d’identification de dossier personnel (CIDP) qui apparaît sur ces deux documents sera retiré.

III. Questions en litige

22        Les plaignants indiquent qu’un certain nombre de motifs soutiennent une conclusion selon laquelle il y a eu abus de pouvoir dans les trois aspects suivants du processus de nomination : le choix d’un processus non annoncé, l’évaluation erronée d’un critère de mérite et la mise en place de qualifications essentielles. Je formulerai ces questions différemment aux fins de mon analyse, en ces termes :

Question en litige I : Y a-t-il eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé?

Question en litige II : Y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’évaluation des critères de mérite?

Question en litige III : Y a-t-il eu abus de pouvoir pour la détermination des qualifications essentielles?

IV. Analyse

A. Question en litige I : Y a-t-il eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé?

23        L’article 77 de la LEFP prévoit que tout candidat non retenu du secteur de sélection d’un processus de nomination interne peut présenter une plainte à la Commission pour indiquer qu’il n’a pas été nommé ou proposé pour une nomination en raison d’un abus de pouvoir. Comme cela est indiqué dans Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 66 et 71, un abus de pouvoir peut comprendre un acte, une omission ou une erreur que le législateur n’aurait pu avoir l’intention de déléguer dans le cadre du pouvoir discrétionnaire accordé à ceux qui ont un pouvoir délégué en matière de dotation. L’abus de pouvoir est une question de degré. Pour en arriver à une telle conclusion, l’erreur ou l’omission doit être à ce point grave qu’elle ne puisse être inhérente au pouvoir discrétionnaire délégué du gestionnaire. Le plaignant a le fardeau de la preuve (voir Tibbs, au paragraphe 50).

24        L’article 33 de la LEFP prévoit que la CFP (ou un administrateur général, comme c’est le cas en l’espèce, par délégation) peut choisir un processus non annoncé. De plus, le paragraphe 30(4) prévoit que la CFP « […] n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite ». En d’autres termes, en tant que tribunal prédécesseur de la Commission, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») a précisé dans Jack c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 26, au paragraphe 18, qu’il n’y a pas de droit d’accès garanti à toutes les possibilités d’emploi. Même si la séquence des événements peut avoir mené à un résultat malheureux pour les plaignants, elle ne suffit pas à conclure qu’il y a eu un abus de pouvoir.

25        Au moment de choisir un processus non annoncé, un employeur doit faire attention de ne pas favoriser une personne et doit évaluer de manière juste et objective les qualifications du candidat. Ces questions sont étudiées plus loin dans la décision. Les plaignants n’ont pas directement fait d’allégations de favoritisme à l’audience, mais cet élément sous-tendait leurs allégations relatives au bien-fondé et au choix du processus. Par conséquent, je souhaite traiter directement ce point.

26        Aucune preuve de relation personnelle qui aurait favorisé la personne nommée n’a été présentée. Ses supérieurs militaires, selon leur témoignage, ne la connaissaient pas avant de venir à la base. Ils ont travaillé avec elle pendant une période de deux ans et ont considéré que c’était suffisant pour évaluer ses capacités, mais aucune preuve présentée ne suggérait de favoritisme personnel. Comme le Tribunal l’a précisé dans plusieurs décisions, il doit y avoir des éléments de preuve démontrant un favoritisme personnel, et non seulement des allégations fondées sur des perceptions (voir Carlson-Needham et Borden c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 38).

27        La personne nommée travaillait à l’unité d’expédition lorsque le poste de superviseur est devenu disponible. Elle avait déjà la formation 3K. Elle savait que la formation CAT 3 serait essentielle et elle s’est empressée de l’obtenir. Les témoins du défendeur ont tous indiqué qu’elle était la seule employée de la base qui était à la fois intéressée par le poste intérimaire et qualifiée pour l’occuper.

28        La perception des plaignants, que j’ai recueillie du témoignage de Mme Fisher, est que la personne nommée semblait avoir décidé dès le départ que le poste serait à elle. Lorsque le superviseur de l’acheminement a pris sa retraite, elle a pris son stationnement et a déplacé ses effets dans son bureau. Puisqu’elle a eu la première nomination intérimaire, elle a reçu de la formation en cours d’emploi sur la formation et elle a obtenu de l’expérience de l’encadrement du personnel débutant.

29        Cependant, si ces éléments peuvent mener à un soupçon de favoritisme envers la personne nommée, l’argument est contré par la réaction du défendeur aux deux griefs liés à ce favoritisme apparent, soit l’offre de la formation à toute personne intéressée et la décision de procéder à la nomination pour une période indéterminée uniquement lorsque le défendeur aurait l’assurance que la formation était terminée (ou, comme ce fut le cas, que la formation n’était plus désirée). La formation a laissé à désirer, comme l’a reconnu le défendeur, mais je ne peux pas considérer qu’il s’agissait d’une tentative délibérée de contrecarrer les aspirations des plaignants.

30        Le major McCarthy a expliqué qu’un processus non annoncé a été utilisé puisqu’il voulait donner la possibilité d’avancement à quelqu’un qui avait déjà dévoué des années à la base. Il a expliqué que les occasions d’avancement dans le domaine des munitions sont plutôt rares et qu’il voulait les offrir aux employés de la base. En même temps, sa préoccupation était de s’assurer que peu importe qui serait nommé, cette personne aurait les qualifications nécessaires pour doter le poste. Le défendeur a établi à sa satisfaction que la personne nommée était la seule candidate de la base qui avait les qualifications nécessaires. Le raisonnement s’appliquait à la fois au poste intérimaire et à la nomination pour une période indéterminée. Je ne considère pas qu’il s’agit d’un abus de pouvoir.

31        Les plaignants ont allégué que les politiques de la CFP relatives aux nominations intérimaires n’avaient pas été respectées, notamment, l’exigence selon laquelle une évaluation doit être effectuée et un avis de nomination intérimaire doit être publié, les deux de manière rapide. En fait, il y a eu un retard considérable pour effectuer l’évaluation et publier l’avis de nomination par intérim, du 31 janvier 2015 (la date de début de la prolongation de l’affectation intérimaire) au 2 juin 2015 (la date de l’évaluation) et au 3 juin 2015 (la date de l’avis). Le défendeur a expliqué que le retard était une erreur administrative.

32        Dans d’autres décisions, le Tribunal a souvent traité cette question et a jugé qu’un retard n’équivaut pas à un abus de pouvoir (voir Soccar c. le Commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada, 2013 TDFP 14; et Bérubé-Savoie c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2013 TDFP 2).

33        Même si l’évaluation n’a pas été effectuée à temps, la preuve démontre que la personne nommée respectait les qualifications essentielles au début de sa nomination intérimaire et qu’elle a été nommée pour cette raison. Compte tenu de la durée de la nomination intérimaire, même si le caractère tardif de l’avis était malheureux, je ne pense pas que ce retard ait porté atteinte au droit de recours des plaignants.

34        Par conséquent, je conclus que le choix d’un processus non annoncé n’était pas un abus de pouvoir.

B. Question en litige II : Y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’évaluation des critères de mérite?

35        Les plaignants estimaient que les qualifications de la personne nommée n’avaient pas été correctement évaluées. Mme Lambert a témoigné qu’elle a évalué la personne nommée pour la nomination intérimaire. Elle a reconnu qu’elle n’avait ni expérience ni connaissance spécialisée dans le domaine des munitions, mais elle a indiqué qu’elle s’est fiée sur des documents (comme des certificats), le curriculum vitae de la personne nommée et les rapports des superviseurs de la personne nommée.

36        Le capitaine Lacea a signé l’évaluation pour le poste pour une période indéterminée. Il a reconnu que le rapport avait été écrit en avance, et que son rôle avait consisté à confirmer ce qui avait été écrit. Essentiellement, son rapport reproduisait l’évaluation initiale de Mme Lambert.

37        L’article 36 de la LEFP précise que l’administrateur général « […] peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’[il] estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications [du poste] […] ». La personne nommée avait sept ans d’expérience dans les services de munitions. Le défendeur a présenté en preuve le curriculum vitae de la personne nommée et ses évaluations du rendement. Je ne doute aucunement qu’elle respectait les qualifications essentielles du poste. Mme Lambert a parlé aux superviseurs de la personne nommée. Le capitaine Lacea a supervisé son travail. Ils avaient tous deux accès à des renseignements suffisants pour établir qu’elle avait les qualifications nécessaires. Personne ne conteste que, à toutes les périodes pertinentes, la personne nommée avait les deux qualifications essentielles recherchées par le défendeur pour la nomination pour une période indéterminée : le cours CAT 3 et la qualification 3K.

38        Les plaignants ont contesté que les critères de mérite avaient été établis pour certaines des qualifications, en particulier, pour l’expérience de l’instruction au personnel civil et militaire au stagiaire ou dans le cadre de formation en cours d’emploi (FCE); pour l’expérience de l’utilisation de logiciel informatique, en particulier le « SGIM », qui n’était plus utilisé; pour l’expérience de l’exercice d’opérations de disposition, impossible à avoir pour un civil, puisque seul le personnel militaire effectue cette fonction.

39        L’allégation relative à la FCE était principalement qu’il est impossible d’obtenir une telle expérience, sauf par un poste intérimaire. Le major McCarthy et le capitaine Lacea ont expliqué que cette qualification désignait simplement l’instruction de personnel en formation, ce que la personne nommée avait fait même avant d’obtenir le poste intérimaire selon son curriculum vitae et ses superviseurs. J’estime qu’il est raisonnable de conclure que la personne nommée respectait cette qualification.

40        Les témoins du défendeur ont tous convenu que le SGIM n’était plus utilisé puisqu’il avait été remplacé par un autre logiciel. Cependant, la formulation présentait le SGIM comme un exemple et non comme une exigence. L’objet de cette qualification était la familiarité avec le contrôle d’inventaire des munitions et le logiciel différent utilisé pour en faire le suivi. Je n’ai aucun motif de douter que la personne nommée satisfaisait à cette exigence, puisqu’elle avait travaillé dans ce domaine pendant sept ans.

41        En ce qui concerne l’élimination des munitions, je traiterai cette question au point III, qui est lié à l’allégation d’abus de pouvoir pour établir les qualités essentielles.

C. Question en litige III : Y a-t-il eu abus de pouvoir pour la détermination des qualifications essentielles?

 

42        Au début, les plaignants avaient contesté la nécessité du cours 3K, puisqu’il était demandé pour le poste pour une période indéterminée, mais pas pour le poste intérimaire. Le point de vue du défendeur à ce sujet a été précisé à l’audience et les deux parties ont convenu que la qualification du cours 3K était une exigence valide pour le poste GT-03 pour une période indéterminée, mais pas pour le poste intérimaire. La preuve démontre que la personne nommée avait en fait, terminé la formation avant août 2014. Elle a renouvelé sa certification ce mois-là par un test en ligne. Elle avait par conséquent cette qualification même avant sa première nomination intérimaire, mais, selon les témoins du défendeur, ça n’aurait pas été une exigence pour d’autres personnes intéressées par l’affectation intérimaire.

43        La seule question litigieuse des qualifications essentielles était l’expérience pour effectuer des opérations d’élimination. Les plaignants étaient convaincus que les employés civils n’effectuent aucune opération d’élimination. Par conséquent, il était impossible que la personne nommée ait respecté cette qualification essentielle particulière, et il était abusif de la nommer comme qualification essentielle.

44        À l’audience, tant le major McCarthy que le capitaine Lacea ont convenu que les employés civils n’exécutent pas des opérations d’élimination; elles sont effectuées exclusivement par le personnel militaire. Cependant, la qualification précisée désignait une certaine expérience de la première étape de l’élimination, soit la capacité de déterminer les munitions endommagées qui doivent être retirées de la circulation. La formulation était maladroite, mais je ne pense pas qu’elle ait fait de différence pour l’évaluation de la personne nommée. Elle avait de l’expérience des opérations de récupération, et une certaine expérience pour traiter les munitions endommagées ou utilisées. En d’autres mots, le défendeur a estimé qu’elle avait l’expérience qu’il recherchait en ce qui concerne les étapes préliminaires pour éliminer des munitions, ce que confirment son curriculum vitae et ses évaluations du rendement.

45        Par conséquent, je conclus que le défendeur n’a pas abusé de ses pouvoirs pour l’établissement des critères de mérite et l’évaluation de la personne nommée.

V. Conclusion

46        Les plaignants ont réagi à un processus qui semblait un peu trop favorable pour la personne nommée. Cependant, maintenant que le contexte a été fourni et que les décisions ont été expliquées, la Commission ne peut pas conclure qu’il y a eu abus de pouvoir. La personne nommée avait les qualifications nécessaires, en particulier les deux exigences principales, selon les témoins du défendeur, soit la formation CAT 3 et la qualification 3K.

47        Dans les cas où le Tribunal a conclu à un abus de pouvoir dans un processus non annoncé, la preuve démontrait que des employés qualifiés ont été ignorés au profit d’une personne qui n’avait pas les qualifications essentielles (voir Ayotte c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 21; et Robert c. le Sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 24) ou que la personne nommée n’a pas été évaluée pour toutes les qualifications essentielles (voir Patton c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 8; et Cameron c. l’Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 16).

48        Il n’en est pas ainsi en l’espèce. La personne nommée remplissait les qualifications essentielles pour les nominations intérimaires et pour une période indéterminée. Au début, lorsque le défendeur savait que le superviseur de l’acheminement serait remplacé en raison de la retraite, personne n’avait reçu la formation CAT 3. Pour quelque raison, la personne nommée l’a reçu avant les autres. Cela aurait pu mener à une conclusion d’abus de pouvoir, n’eut été les griefs qui ont interrompu deux fois ce qui aurait pu paraître comme un processus inéquitable de ne pas offrir la formation à tous les employés intéressés et de nommer la personne nommée prématurément (en juin 2015) avant que les autres employés aient eu l’occasion de terminer leur formation. La réponse au premier grief a été l’offre de la formation à tous les employés intéressés; la réponse au deuxième a été d’annuler la nomination pour une période indéterminée en juin 2015 afin de permettre aux autres employés intéressés de terminer leur formation.

49        C’est principalement parce que le défendeur a par deux fois retardé le processus afin de permettre aux plaignants de se mettre à niveau que je ne peux pas conclure qu’il y a eu abus de pouvoir dans ce processus. Il est malheureux que la formation CAT 3 reçue par Mme Fisher et M. Cummings fût inadéquate. Je considère qu’il s’agissait d’une erreur, mais le défendeur a tenté de la corriger en offrant de nouveau le cours. Mme Merkley a terminé le cours avec succès, mais elle a ensuite refusé la formation 3K, qui était essentielle pour la nomination pour une période indéterminée. Les plaignants ne remplissaient pas les qualifications essentielles pour le poste GT-03. La personne nommée les avait. Le défendeur n’a pas abusé de son pouvoir.

50        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

51        Les plaintes sont rejetées.

Le 1er mai 2017.

Traduction de la CRTEFP

Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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