Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que le défendeur avait agi de façon arbitraire lorsqu’il n’a pas donné suite au contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne – selon la plaignante, cela équivalait à une pratique déloyale de travail – le défendeur a fait valoir qu’une enquête approfondie avait été faite sur sa demande de la représenter dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire et qu’il avait conclu qu’il ne la représenterait pas – il n’avait pas l’obligation de la représenter puisqu’il avait évalué équitablement les chances de succès de sa demande – la Commission a indiqué que la plaignante devait démontrer que les actes ou l’inaction du défendeur, qu’elle a contestés, étaient arbitraires, discriminatoires ou de mauvaise foi – le rôle de la Commission n’est pas de se pencher sur le bien-fondé de la décision du défendeur, mais plutôt sur le processus décisionnel qui y a mené – la Commission a conclu que le défendeur avait réalisé une analyse minutieuse et équitable avant de décider de rejeter la demande de soutien dans le cadre du processus de contrôle judiciaire – sa décision était fondée sur une analyse des faits et la probabilité de réussite. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170502
  • Dossier:  561-02-785
  • Référence:  2017 CRTEFP 49

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

DITURIJE BERBERI

plaignante

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Berberi c. Alliance de la Fonction publique du Canada


Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
Margaret T. A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour la plaignante:
Elle-même
Pour la défenderesse:
Amy Kishek, avocate
Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 4 au 6 janvier 2017.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1         La plaignante, Diturije Berberi, a déposé une plainte conformément à l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « LRTFP »), alléguant que l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse ») a agi de façon arbitraire et discriminatoire lorsqu’elle a refusé de poursuivre un contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP »), qui avait statué sur la plainte en matière des droits de la personne qu’elle avait déposée (la « plainte no 2 »). Elle a allégué que cette omission de la défenderesse constituait une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 et une violation de l’article 187 de la LRTFP.

II. Résumé de la preuve

A. Pour la plaignante

2        Dans son témoignage, la plaignante a fait valoir que les circonstances qui ont donné lieu à cette plainte ont commencé en 2010, lorsque la défenderesse a retiré ses griefs sans son consentement à la suite d’une médiation qui avait eu lieu la même année, ce qu’elle n’a appris qu’en 2014. Entre 2007 et 2014, elle avait présumé que la CCDP s’occuperait de sa plainte dans le cadre de la plainte no 1. Lorsqu’elle a finalement appris ce qui était arrivé, la CCDP a refusé de traiter les griefs puisqu’ils avaient été réglés.

3        La plaignante a retenu les services d’un avocat pour examiner la situation et elle a été informée que, puisque les griefs avaient été retirés avant l’arbitrage, ils n’avaient pas été traités dans le processus de règlement de griefs. Le contrôle judiciaire de la décision de la CCDP sur la plainte no 1 a donné lieu au renvoi à la CCDP pour être jugé sur le fond, puisque les allégations n’avaient pas été traitées dans le processus de règlement de griefs. À ce moment, la plaignante a demandé l’aide de la défenderesse relativement à cette plainte, ce qu’elle a obtenu.

4        La plaignante a déposé une autre plainte (la « plainte no 2 ») auprès de la CCDP à la fin de 2007. Lorsque la Cour fédérale a retourné la plainte no 1 à la CCDP, la plaignante a demandé à ce qu’elle soit combinée à la plainte no 2. La CCDP n’avait aucun dossier de la plainte no 2 et lui a demandé de la déposer de nouveau, ce qu’elle a fait en 2014. Elle l’a datée à la même date à laquelle elle l’avait déposée à l’origine.

5        La CCDP a éventuellement rejeté la plainte no 2 parce qu’elle avait été déposée en dehors des délais prescrits. La plaignante a de nouveau demandé l’aide de la défenderesse pour le contrôle judiciaire de la décision de la plainte no 2. La défenderesse a refusé sa demande, ce qui a donné lieu à la présente plainte. Selon la plaignante, la défenderesse ne souhaitait pas l’aider à remettre sa plainte no 2 sur la bonne voie et n’était pas disposée à l’aider avec ses griefs.

6        Le 10 novembre 2015, la plaignante a été informée que la CCDP n’enquêterait pas sur la plainte no 2, parce que les actes discriminatoires allégués avaient eu lieu plus d’un an avant le dépôt de la plainte et qu’aucune explication raisonnable du délai de son dépôt n’avait été fournie (pièce 3, appendice 8).

7        Le 17 novembre 2015, la plaignante a tenté de communiquer avec Jean-Rodrigue Youboua, un employé de la défenderesse, pour discuter de la décision de la CCDP relativement à la plainte no 2. Elle cherchait à obtenir l’aide de la défenderesse afin que la plainte no 2 puisse faire l’objet d’un contrôle judiciaire et que les deux plaintes puissent être examinées ensemble. Ils ont discuté au téléphone, après quoi elle lui a envoyé un courriel de suivi (pièce 3, appendice 10b).

8        Le 20 novembre 2015, la plaignante a de nouveau communiqué avec M. Youboua pour déterminer si la défenderesse l’aiderait à déposer une demande pour obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la CCDP relativement à la plainte no 2. Il a répondu en lui demandant de lui faire parvenir les dernières observations qu’elle avait faites à la CCDP. (Notez que la défenderesse n’était pas impliquée dans la plainte no 2 et qu’elle n’était pas au courant de ce qui avait été déposé en septembre 2015 sur la question des délais. La plaignante avait déposé ces observations elle-même.)

9        La plaignante lui a fait parvenir les documents le 23 novembre 2015, à 12 h 7, et a fait un suivi auprès de lui à 12 h 22, pour savoir ce qu’il pensait.

10        Le 2 décembre 2015, M. Youboua a envoyé un courriel à la plaignante pour l’informer que la défenderesse ne l’aiderait pas concernant le contrôle judiciaire de la plainte no 2. Elle a répondu en lui demandant quels étaient les motifs de la défenderesse pour refuser de lui accorder sa demande.

11        Le 10 décembre 2015, la plaignante a de nouveau fait un suivi auprès de M. Youboua. Elle voulait savoir où se trouvait la lettre expliquant les motifs de la défenderesse pour lui refuser son assistance relativement au contrôle judiciaire. M. Youboua a répondu et joint une lettre lui expliquant les motifs (pièce 3, appendices 16 et 17).

12        Dans sa réponse détaillée, la défenderesse a expliqué à la plaignante que la plainte no 2 avait un problème relativement au délai de prescription et qu’il y avait une préoccupation quant à la nature de ses allégations, à savoir si elles respectaient le seuil pour constituer du harcèlement. M. Youboua lui a expliqué qu’elle disposait de 30 jours à compter de la date de réception de la décision de la CCDP pour demander le contrôle judiciaire, ce qu’elle pouvait faire elle-même si elle le désirait.  À ce moment, il restait une semaine à la plaignante pour déposer sa demande de contrôle judiciaire, ce qui n’était pas suffisant pour préparer la demande par elle-même, et elle n’avait pas les moyens de retenir les services d’un avocat pour le faire à sa place. N’eût été le retard de la défenderesse à répondre à sa demande, elle aurait eu le temps de se préparer convenablement pour le contrôle judiciaire de sa plainte no 2.

13        La plaignante a souligné qu’elle se fiait à la défenderesse pour déposer la deuxième demande de contrôle judiciaire, comme elle l’avait fait dans le cas de la décision de la CCDP relative à la plainte no 1. Les affaires étaient étroitement liées et, à son avis, il était arbitraire et déraisonnable pour la défenderesse de refuser de l’aider.

14        Dès le début de ses communications avec M. Youboua, en 2015, la plaignante était d’avis qu’il ne connaissait pas bien son dossier et qu’il n’était pas bien informé. Il l’a aidée à préparer des observations à la CCDP pour la plainte no 1 et pour le contrôle judiciaire. Selon son témoignage, il l’a aidé [traduction] « un peu », mais comme il ne connaissait pas le dossier, il ne pouvait pas l’aider pleinement. La plaignante a fait valoir qu’elle avait fait tout le travail et qu’il l’avait examiné.

15        Lorsqu’elle a demandé à M. Youboua son aide au sujet la plainte no 1, après le renvoi de cette dernière à la CCDP, elle a reçu une lettre déroutante de sa part (pièce 1, onglet 3) indiquant que la défenderesse ne poursuivrait pas le contrôle judiciaire d’une affaire qui avait déjà fait l’objet d’un contrôle judiciaire avec succès.

16        Selon la plaignante, la défenderesse n’avait apporté aucune aide relativement à ses plaintes auprès de la CCDP, malgré ses demandes d’assistance. Lorsqu’on lui a dit qu’aucune aide ou aucun soutien ne lui serait fourni pour le contrôle judiciaire de la plainte no 2, la défenderesse n’a fourni aucune justification. La plaignante a souligné qu’elle avait attendu de connaître ces motifs avant de demander le contrôle judiciaire de la plainte no 2. M. Youboua était au courant de la date limite pour déposer la demande de contrôle judiciaire et du fait que la plaignante attendait sa réponse. Il n’a pas été diligent dans la rédaction de sa réponse; la plaignante ne l’a reçue que huit jours après la date à laquelle M. Youboua lui a dit qu’il la lui enverrait.

17        Selon la plaignante, M. Youboua ne s’est pas efforcé de l’aider. Sa demande d’aide relativement au contrôle judiciaire de sa plainte no 2 n’a reçu aucune véritable considération.

18        M. Youboua a témoigné pour le compte de la défenderesse. Il a commencé à travailler pour la défenderesse comme agent de représentation en septembre 2010. Son travail consiste à aider les membres de la défenderesse relativement aux dossiers de la CCDP et du Tribunal de santé et sécurité au travail. En janvier 2012, il a parlé à la plaignante au sujet de sa plainte no 1. Il a participé et présenté des observations sur la plainte no 1 en son nom. La décision définitive de la CCDP sur la plainte no 1 a été de la rejeter, et cette décision définitive n’a pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire.

19        Le 11 septembre 2015, la défenderesse a reçu une demande de la plaignante pour obtenir de l’aide concernant la plainte no 2. On lui a offert de l’aide sous forme de conseils pour les observations qu’elle rédigerait par la suite. Elle n’a envoyé aucune de ses observations aux fins d’examen par la défenderesse, malgré ses demandes à cet égard (pièce 1, onglet 8). M. Youboua lui a parlé à plusieurs reprises, à compter du 15 septembre, et a exprimé ses préoccupations relativement aux délais de prescription de ses plaintes, et au fait qu’elle n’avait déposé aucun grief relativement à l’allégation de la plainte no 2.

20        La CCDP a rejeté la plainte no 2. La plaignante a demandé l’aide de la défenderesse pour la demande de contrôle judiciaire. La défenderesse a refusé de l’aider et l’en a informée au moyen d’une lettre en date du 25 novembre 2015. Pour prendre sa décision, M. Youboua a étudié la décision de la CCDP pour déterminer si elle était raisonnable et fondée sur les faits. Il a examiné la jurisprudence pertinente et consulté ses collègues. Il n’était pas inhabituel de conclure de ne pas recommander le contrôle judiciaire, puisque seulement 5 % à 10 % des affaires où la défenderesse est impliquée passe au contrôle judiciaire.

21        Pendant la semaine du 23 novembre 2015, M. Youboua avait deux médiations, des ordonnances à mettre en œuvre, de nombreuses téléconférences et plusieurs observations à la CCDP sur deux autres dossiers, ce qui signifie qu’il n’a pas pu envoyer la lettre détaillée à la plaignante avant le 25 novembre. Elle n’a jamais exprimé d’objection relativement à ce délai, mais elle a été offusquée par l’évaluation de la situation des faits par M. Youboua décrite dans la lettre (pièce 1, onglet 3). Elle estimait qu’il n’était pas dans son camp.

22        M. Youboua a tenté d’expliquer à la plaignante qu’il ne choisissait pas de camp. Il était difficile d’expliquer le retard dans le dossier, ce que la CCDP a noté. La plainte avait été déposée en 2007, mais la plaignante n’a décidé de la poursuivre qu’en 2014. Si le processus de plainte de harcèlement s’était terminé en 2010, elle aurait dû poursuivre la plainte à ce moment-là. Le dépôt de la plainte no 2 comportait plusieurs irrégularités parce que la plaignante n’a pas suivi le processus approprié, ce qui a aggravé les problèmes de délai. Lorsque la plainte a été examinée objectivement, il n’y avait pas suffisamment de preuves pour justifier les allégations de harcèlement qui s’y trouvaient.

23        Selon son évaluation du dossier, M. Youboua a conclu qu’il n’était pas justifié d’octroyer des ressources pour un contrôle judiciaire de la décision de la CCDP sur la plainte no 2. Il a envoyé à la plaignante la lettre standard de la défenderesse pour expliquer cette décision. Étant donné son expérience dans le contrôle judiciaire de la plainte no 1, M. Youboua était convaincu de la capacité de la plaignante à poursuivre le contrôle judiciaire de la plainte no 2 par elle-même.

24        M. Youboua a expliqué que le traitement de ce dossier et l’interaction avec la plaignante avaient été très exigeants. Il était difficile d’obtenir des renseignements de la plaignante, et elle donnait souvent des réponses déroutantes. Les circonstances liées à la plainte no 1, les griefs qui ont été retirés après la médiation, le dépôt de la plainte no 2, le contrôle judiciaire de la plainte no 1 et le refus de poursuivre le contrôle judiciaire de la plainte no 2 étaient liés, et il était très difficile garder les faits en ordre.

25        D’autre part, la plaignante a allégué qu’elle avait toujours entretenu un rapport professionnel avec M. Youboua et qu’il n’était pas à la hauteur de la tâche pour s’occuper de ses dossiers. Il ne connaissait pas les faits et était souvent mal informé. Si son dossier était trop exigeant pour lui, il aurait dû demander des précisions ou de l’aide. Il ne l’a pas fait.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

26        Au cours de la période débutant en 1998, la plaignante a été impliquée dans un conflit avec son employeur afin de faire l’objet de mesures d’adaptation au travail à la suite d’un accident de voiture. Elle a déposé de nombreux griefs relativement à l’omission de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à son égard. Elle a également déposé des plaintes de harcèlement et concernant les droits de la personne auprès de la CCDP. Tout au long de la multitude de processus, la défenderesse l’a représentée. Jusqu’à ce qu’elle demande de l’aide relativement à la plainte no 2, la défenderesse l’a aidée, et la plaignante se fiait à son aide.

27        En novembre 2015, l’aide qu’elle a demandée relativement à la poursuite des allégations devant la CCDP relativement à la plainte no 2 lui a été refusée. La défenderesse a refusé de procéder au contrôle judiciaire de la décision de la CCDP sur la plainte no 2. La défenderesse a omis de protéger ses intérêts dans le processus de mesures d’adaptation; elle a été laissée à elle-même. Ses représentants étaient mieux en mesure de promouvoir ses intérêts, parce qu’ils connaissaient la situation et les gestionnaires de son employeur (voir Cyr c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 35).

28        Après la médiation en janvier 2010, où la plaignante et la défenderesse ont refusé une offre de règlement, elle s’attendait à ce que ses griefs passent à l’arbitrage. La défenderesse a plutôt retiré ses griefs sans son consentement en raison de questions de compétence et de délais. L’affaire n’avait pas été entendue sur le fond. En retirant les griefs sans son consentement, la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable (voir Jakutavicius c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2005 CRTFP 70).

29        Le devoir de représentation équitable s’étend aux dossiers pour lesquels l’approbation de l’agent négociateur n’est pas requise (voir Taylor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 35). La plainte no 2 portait sur des problèmes continus liés aux tentatives de la plaignante d’obtenir des mesures d’adaptation au travail et au harcèlement continu de la part de son gestionnaire. La défenderesse devait s’assurer que le coordonnateur du harcèlement signe la plainte et qu’elle soit déposée. La plaignante a supposé que la plainte no 2 avait été déposée le 27 décembre 2007, soit dans l’année suivant l’incident. Ce n’est qu’en juin 2014 qu’elle a appris que la plainte n’avait jamais été déposée. On lui a demandé de la déposer de nouveau, ce qu’elle a fait.

30        En septembre 2015, la plaignante a déposé, par elle-même, une demande de joindre les deux plaintes. Elle a rédigé les observations contenant les allégations de 2007 et a utilisé le même numéro de dossier. La défenderesse n’a pas enquêté davantage sur ce qui était survenu et ne l’a pas conseillée différemment. Bien qu’elle ait demandé de l’aide, aucune ne lui a été accordée.

31        Le 10 novembre 2015, lorsqu’elle a reçu l’avis de la CCDP indiquant que la plainte no 2 avait été présentée en dehors des délais prescrits et qu’elle était rejetée, la plaignante a de nouveau communiqué avec la défenderesse, demandant son appui dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Après être demeurée sans nouvelle jusqu’au 17 novembre 2015, elle a de nouveau communiqué avec la défenderesse. Le 20 novembre 2015, elle a envoyé un courriel demandant une réponse. Cette fois, elle a reçu une réponse de M. Youboua lui demandant de lui envoyer une copie de ses dernières observations, ce qu’elle a fait le 23 novembre 2015.

32        Le 2 décembre 2015, la défenderesse a communiqué avec la plaignante l’informant qu’il n’y aurait pas de soutien pour un contrôle judiciaire de la plainte no 2 et qu’une lettre suivrait avec une explication. Elle a informé M. Youboua qu’il lui fallait la lettre avant de pouvoir décider si elle procéderait au contrôle judiciaire par elle-même.

33        N’ayant toujours pas reçu de lettre, le 10 décembre 2015, la plaignante a envoyé un courriel à M. Youboua. Le délai de prescription pour le dépôt d’un contrôle judiciaire arrivait à grands pas puisqu’elle disposait de 30 jours à compter de la date de réception de la décision de la CCDP pour déposer une demande de contrôle judiciaire. Il lui a envoyé une copie de la lettre, laquelle avait été envoyée à la mauvaise adresse courriel.

34        La défenderesse a agi de façon arbitraire lorsqu’elle a omis d’aviser la plaignante de son droit de déposer une demande de contrôle judiciaire (voir Jakutavicius). La défenderesse lui a dit qu’elle pourrait continuer par elle-même, mais elle ne l’a pas fait en temps opportun. Elle n’a pas tenu compte des sommes déjà dépensées pour le contrôle judiciaire de la plainte no 1. Elle aurait dû préciser avec la CCDP les dates de dépôt de la plainte no 2, surtout puisqu’un des représentants de la défenderesse en avait déjà accusé réception en mars 2007 (pièce 3, appendice 9). Les observations déposées avec la plainte no 2 étaient encore valides en 2014 et auraient dû être considérées sur le fond. La plainte no 2 n’aurait pas dû être rejetée pour un détail technique.

35        En l’espèce, le cœur du problème est que la défenderesse n’est pas intervenue auprès de la CCDP concernant la date de dépôt de la plainte no 2. Il est difficile d’accepter l’opinion de la défenderesse selon laquelle, puisque le dossier était exigeant, M. Youboua n’a pas communiqué avec la plaignante pour lui demander des précisions. Un membre exigeant n’est pas une raison valable pour refuser la représentation (voir Perron c. Syndicat des douanes et de l’immigration, 2013 CRTFP 13). La défenderesse ne pouvait pas refuser arbitrairement de représenter la plaignante parce qu’elle était exigeante. Ses droits n’ont pas été protégés, parce qu’elle n’a pas été représentée.

B. Pour la défenderesse

36        La Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») a été enjointe à trancher la question de savoir si la défenderesse avait enfreint son devoir de représentation équitable en refusant de poursuivre le contrôle judiciaire d’une décision de la CCDP en temps opportun. La portée de l’audience s’est limitée aux allégations de la plaignante; c’est-à-dire qu’elle ne pouvait entendre que la question du refus de poursuivre le contrôle judiciaire. Le nœud de l’argumentation de la plaignante renvoie à la décision de la défenderesse de ne pas intervenir auprès de la CCDP concernant la date à laquelle la plainte no 2 a été déposée, ce qui ne fait pas partie de la plainte. La plaignante avait dépassé les délais prescrits pour déposer une plainte connexe en vertu de l’article 190 de la LRTFP.

37        Cette plainte ne vise pas la qualité de la représentation, la décision d’appuyer le contrôle judiciaire de la plainte no 1, ou des fautes de frappe et des erreurs dans les communications. La plaignante a peut-être trouvé les interactions avec M. Youboua inférieures à la moyenne, mais elle ne l’a jamais soulevé avant l’audience.

38        En décembre 2015, une lettre détaillée a été envoyée à la plaignante pour expliquer la décision de la défenderesse. Elle savait pourquoi la CCDP avait rejeté la plainte no 2. Elle l’avait déposée sans la participation de la défenderesse. La CCDP ne l’avait jamais acceptée de manière appropriée en raison du défaut de respecter la procédure. La plainte a langui jusqu’en 2014, lorsque la plaignante a demandé de joindre la plainte no 2 à la plainte no 1.

39        Lorsque la défenderesse a accepté de représenter la plainte no 1, elle a appris l’existence de la plainte no 2. La plaignante avait choisi de poursuivre la plainte no 2 par elle-même, même si elle savait que la défenderesse était disponible pour la représenter. Lorsque les enjeux préliminaires ont été soulevés en août 2015 relativement aux délais de prescription de la plainte no 2, la plaignante a présenté ses observations par elle-même. Le 11 septembre 2015, elle a envoyé un courriel à la défenderesse, lui demandant de l’aide concernant ses observations. La date limite pour les présenter était le 16 septembre 2015. Le 14 septembre 2015, la défenderesse l’a avisée qu’elle ne serait pas en mesure d’aider, étant donné le court préavis. Elle a déposé ses observations le 14 septembre 2015 (pièce 3, appendice 7).

40        Le 17 novembre 2015, M. Youboua a reçu un courriel de la plaignante qui avait joint la décision de la CCDP relativement à la plainte no 2 (pièce 1, onglet 11). La défenderesse avait demandé des copies des observations et de la décision de la CCDP, en réponse à laquelle elle n’a reçu que la décision. M. Youboua avait besoin des deux documents pour rédiger une demande de contrôle judiciaire. La plaignante a enfin fourni les observations le 23 novembre 2015. Le 2 décembre 2015, elle a été avisée par courriel que la défenderesse n’appuierait pas une demande de contrôle judiciaire de la plainte no 2. Cet avis a aussi été confirmé dans une lettre.

41        Il n’y a aucune indication d’animosité ou de mauvaise foi dans les rapports entre la défenderesse et la plaignante. Ce qu’elle voulait n’est pas clair. La plaignante savait, le 2 décembre 2015, que la défenderesse n’appuierait pas sa demande de contrôle judiciaire, ce qui lui laissait amplement le temps de présenter la demande par elle-même. Elle avait de l’expérience dans ce domaine, et il n’était pas nécessaire qu’elle attende la lettre de la défenderesse avant de le faire.

42        Pour mettre cette demande dans son contexte, la plaignante voulait obtenir l’aide de la défenderesse, peu importe la probabilité de réussite. Il ressort clairement de la preuve qu’elle a présentée qu’elle a reçu de l’aide lorsqu’elle l’a demandée. Elle s’est rétractée à plusieurs reprises lorsqu’il a été démontré qu’elle avait reçu des conseils. La défenderesse n’a pas refusé de la représenter. La plaignante a refusé d’accepter les résultats et l’opinion juridique.

43        Il incombait à la plaignante de démontrer que la défenderesse avait agi arbitrairement. La défenderesse a le droit de refuser de représenter un membre. Une plainte en vertu de l’article 190 de la LRTFP n’est pas un mécanisme d’appel pour une décision prise par la défenderesse. La lettre de décembre qui lui avait été envoyée indique clairement qu’une enquête approfondie de sa demande avait été effectuée, et non une enquête superficielle ou hâtive. Le seuil pour établir qu’il y a eu conduite arbitraire est délibérément élevé. La défenderesse a une grande latitude lorsqu’elle prend des décisions de représentation (voir Jean-Pierre c. Arcand, 2012 CRTFP 23, au paragraphe 48).

44        Il ne revient pas à la Commission d’évaluer l’opinion juridique de la défenderesse. Le simple fait que la plaignante ne soit pas d’accord avec cette opinion ne veut pas dire qu’elle n’a pas été représentée convenablement. Il n’y a aucune obligation de poursuivre une action si une évaluation équitable a été menée quant à ses chances de réussite (voir Tran c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2014 CRTFP 71, aux paragraphes 102 et 107).

45        La défenderesse n’est pas tenue de poursuivre chaque grief ou chaque plainte (voir Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509; et Detorakis c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 139). Comme dans Jackson c. Syndicat des douanes et de l’immigration et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2013 CRTFP 31, la plaignante en l’espèce allègue que l’existence de problèmes de communication avec M. Youboua est une preuve que la défenderesse a choisi de ne pas la représenter. Il doit y avoir une preuve positive que les problèmes de communication étaient liés au refus de la représenter.

46        La défenderesse a fourni à la plaignante une opinion juridique détaillée en ce qui concerne sa décision, ce qu’elle n’était pas tenue de faire (voir Jean-Pierre et Cloutier c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2008 CRTFP 12). Elle a été avisée en temps opportun et elle avait suffisamment de temps pour poursuivre le contrôle judiciaire par elle-même, comme elle l’avait fait pour la plainte no 1. Tout retard à répondre à sa demande ne créait pas de préjudice et ne constituait pas une pratique déloyale de travail (voir Detorakis).

IV. Motifs

47        Dans Guilde de la marine marchande du Canada, la Cour suprême a déclaré que, lorsque l’on décide d’appuyer un grief ou, en l’espèce, le contrôle judiciaire d’une décision de la CCDP, un agent négociateur doit tenir compte de l’importance et de la portée du grief pour le plaignant. Peu importe si les rapports avec un plaignant sont difficiles et si le plaignant est clair ou peu avenant dans ses communications, la défenderesse doit respecter ses obligations, tel qu’il a été établi dans Guilde de la marine marchande du Canada, et tel qu’il est codifié à l’art. 187 de la LRTFP comme suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

48        Toutefois, il incombait à la plaignante d’établir que la défenderesse avait agi d’une manière qui violait l’article 187 de la LRTFP (voir Jean-Pierre, au paragraphe 42). Il ne lui suffisait pas de démontrer qu’elle était mécontente de ses décisions ou qu’elle n’était pas d’accord avec la façon dont les choses ont été traitées. Elle devait démontrer que les actions ou les inactions de la défenderesse, qu’elle a contestées, étaient arbitraires, discriminatoires ou de mauvaise foi. Le rôle de la Commission n’est pas de trancher sur le fond de la décision de la défenderesse, mais plutôt sur le processus décisionnel qui a mené à la décision contestée (voir Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28).

49        Je dois examiner la façon dont la décision a été prise pour décider si la plaignante a établi que la défenderesse a agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi lorsqu’elle a conclu qu’elle n’appuierait pas sa demande de contrôle judiciaire. Je souscris au passage suivant de Jakutavicius, au paragraphe 126 :

[126] N’étant pas tenue de porter les griefs en arbitrage, et en l’absence d’arbitraire, de discrimination ou de mauvaise foi, l’AFPC devrait conserver son plein pouvoir discrétionnaire de prendre ces décisions, car elle possède des droits exclusifs concernant la convention collective. Il importe de préciser que la défenderesse a sérieusement envisagé la possibilité de porter ce grief en arbitrage et a procédé à une analyse minutieuse et équitable avant de décider de ne pas le faire.

50        Je suis convaincue que la défenderesse a examiné attentivement la possibilité d’un contrôle judiciaire de la décision de la CCDP relativement à la plainte no 2. La preuve figure dans la lettre envoyée à la plaignante en décembre 2015 qui établit clairement l’analyse au moyen de laquelle la défenderesse est parvenue à sa décision. Elle a mené une analyse minutieuse et équitable avant de décider de refuser la demande de soutien dans le processus de contrôle judiciaire.

51        Il ne s’agit d’une affaire où la défenderesse a refusé de fournir une représentation parce que les relations avec une plaignante étaient difficiles, comme dans l’affaire Perron, citée par la plaignante. La décision de la défenderesse s’appuyait sur une analyse des faits et sur la probabilité de réussite.

52        Cette audience a duré quatre jours, principalement en raison de la preuve de la plaignante, où elle tentait de remettre en litige des griefs qui auraient ou non été retirés ainsi que la plainte no 1, lesquels étaient tous hors délai en vertu de l’art. 190 de la LRTFP, sans importance ou conséquence dans l’affaire dont je suis saisie, et pour lesquels je n’ai pas compétence. Il y avait un manque de preuves liées au véritable objet de cette plainte, soit l’allégation selon laquelle la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable en refusant de poursuivre le contrôle judiciaire de la décision de la CCDP pour la plainte no 2.

53        Il était on ne peut plus clair que, dans le cadre de cette plainte, l’objectif visé par la plaignante était que quelqu’un convienne que son employeur avait mal agi à son égard en 2007, ce que je ne peux faire.

54        Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

55        La plainte est rejetée.

Le 2 mai 2017.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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