Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée est une agente des services frontaliers – elle a déposé un grief contre une suspension sans solde de trois quarts de travail (l’équivalent de 30 heures) pour insubordination pour avoir refusé de respecter un ordre direct et pour avoir contrevenu au Manuel d’exécution des douanes – l’arrestation par la fonctionnaire s’estimant lésée d’un voyageur qui conduisait avec un permis suspendu, ou alors qu’il était sous le coup d’une interdiction de conduire, après qu’elle ait reçu des directives verbales et écrites de sa direction de ne pas procéder à l’arrestation constitue l’acte qui a donné lieu à la mesure disciplinaire – la Commission a conclu qu’une sanction disciplinaire était justifiée et n’a trouvé aucune raison de modifier la suspension, parce que les quatre caractéristiques essentielles suivantes relatives à l’insubordination avaient été établies : l’employeur a émis une directive claire, la directive a été communiquée clairement à la fonctionnaire s’estimant lésée, la personne ayant donné la directive avait l’autorité requise pour le faire et la fonctionnaire s’estimant lésée ne s’est pas conformée à la directive – la Commission a abordé les questions de crédibilité en ce qui concerne la fonctionnaire s’estimant lésée et a conclu qu’une partie de son comportement, avant et pendant l’audience, constituait un abus de procédure – la Commission a ordonné la mise sous scellés de certains documents et le retrait du dossier des données d’identification de la personne arrêtée, ces données n’étant pas pertinentes au grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170424
  • Dossier:  566-02-6395
  • Référence:  2017 CRTEFP 42

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

SHANNON DAVIDSON

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
Davidson c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Abudi Awaysheh et Dan Fisher, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour le défendeur:
Kétia Calix, avocate
Affaire entendue à Lethbridge (Alberta),
les 28 et 29 octobre 2015 et du 12 au 14 octobre 2016,
et à Ottawa (Ontario), le 21 février 2017.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Shannon Davidson, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), travaille à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC ou l’« employeur ») en tant qu’agente des services frontaliers (ASF) dans le groupe Techniciens divers, au groupe et au niveau FB-03. Au moment des faits, son poste était situé au point d’entrée (PE) de Coutts de l’ASFC, en Alberta.

2        Le 2 septembre 2009, la fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire sous la forme d’une suspension sans solde de trois quarts (l’équivalent de 30 heures) pour insubordination pour avoir refusé de respecter un ordre direct et pour avoir commis une violation du Manuel d’exécution des douanes (le « Manuel »), Partie 6, « Fouilles et mesures d’exécution de la Loi - Personnes », Chapitre 7, « Infractions au Code criminel – Politique et procédures ». La section 37 de ce chapitre se lit comme suit [traduction] : « Les agents désignés appliqueront la Loi conformément à la jurisprudence en cours et selon les directives de l’avocat de la Couronne local. » L’acte qui a donné lieu à une mesure disciplinaire a été l’arrestation par la fonctionnaire d’un voyageur (« M. A ») qui conduisait avec un permis suspendu ou alors qu’il était sous le coup d’une interdiction de conduire, après qu’elle a reçu des directives verbales et écrites de sa direction lui demandant de ne pas procéder à l’arrestation.

3        Le 2 septembre 2009, la fonctionnaire a déposé un grief contre la sanction disciplinaire et a demandé, comme mesure corrective, ce qui suit :

  • que toutes les mesures disciplinaires dont elle a fait l’objet soient retirées;
  • que toutes les copies de la lettre faisant état des mesures disciplinaires et de tous les documents connexes soient retirées de ses dossiers personnels et de tout dossier de l’ASFC et qu’elles soient détruites en sa présence;
  • que tout salaire, toute prime et tout avantage perdu lui soient rétablis;
  • que l’on prenne toute mesure corrective jugée appropriée compte tenu des circonstances.

4        L’employeur a rejeté le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, et la fonctionnaire l’a renvoyée à l’arbitrage devant l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

5        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la CRTFP et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

II. Résumé de la preuve

6        En septembre 2009, William Axten occupait le poste de chef des opérations pour le district du Sud de l’Alberta de l’ASFC. Le PE de Coutts relevait de sa chaîne de commandement, et la fonctionnaire relevait de lui indirectement de cette façon. Au moment de l’audience, M. Axten occupait le poste de directeur adjoint, Exécution de la loi et renseignement, région des Prairies de l’ASFC.

7        Le 2 septembre 2009, la fonctionnaire a reçu une lettre de mesure disciplinaire de M. Axten, qui se lisait comme suit :

[Traduction]

Cette lettre fait suite à votre rencontre du 22 juin 2009 avec la direction locale quant à l’enquête d’établissement des faits relative à l’allégation selon laquelle le 7 mai 2009, vous travailliez au point d’entrée de Coutts, en Alberta, et vous ne vous êtes pas conformée aux politiques, aux procédures et aux directives de l’ASFC et avez fait preuve d’insubordination en refusant d’exécuter une consigne donnée par votre superviseur concernant l’arrestation d’un voyageur.

Le processus d’enquête a permis de conclure que le 7 mai 2009, vous avez arrêté un voyageur après avoir reçu des directives verbales et écrites de la direction vous demandant de ne pas arrêter cet individu pour une conduite sous le coup d’une suspension du permis ou d’une interdiction puisque cela « n’est pas soutenu ni autorisé par la direction de l’ASFC au point d’entrée de Coutts, en Alberta – conformément à l’avis donné par l’avocat de la Couronne le 7 mai 2009 ». L’enquête a déterminé que cette directive écrite vous avait été remise en main propre par la direction environ 45 minutes avant que vous ne procédiez à l’arrestation. Après avoir reçu cette directive, vous avez néanmoins arrêté le voyageur. L’arrestation d’une personne est une question très grave; elle invoque les droits de la personne en vertu de la Charte, ce qui expose l’ASFC à de possibles poursuites civiles et à des procédures contentieuses coûteuses.

En conséquence de cette enquête d’établissement des faits, j’ai déterminé que votre conduite le 7 mai 2009 était contraire aux normes de conduite attendues et précisées dans le Code de conduite de l’ASFC – valeurs démocratiques et professionnelles. En me fondant sur l’enquête, j’estime que vos actes constituent une insubordination puisque vous avez refusé de vous conformer à un ordre direct donné par un gestionnaire. Deuxièmement, vous avez enfreint le Manuel d’exécution des douanes, Partie 6, chapitre 7 – Infractions du Code criminel, qui précise : [traduction] « Les agents désignés appliqueront la Loi conformément à la jurisprudence en cours et selon les directives de l’avocat de la Couronne local. »

Pour déterminer une mesure disciplinaire appropriée, j’ai pris en compte tous les facteurs atténuants ou aggravants, notamment (sans toutefois s’y limiter) la gravité de l’incident, vos années de service au gouvernement fédéral, l’absence de remords de votre part et l’absence d’un dossier disciplinaire.

Conformément aux pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, j’ai décidé d’émettre une injonction de suspension de trois (3) quarts équivalant à 30 heures. La suspension sera observée les 10, 11 et 12 septembre.

En tant qu’agente des services frontaliers, vous êtes formée pour faire appliquer les lois et les règlements. À l’avenir, nous vous demandons de vous assurer de vous conformer à toutes les lois et politiques et procédures ministérielles pertinentes. Le défaut de vous conformer peut donner lieu à des mesures disciplinaires supplémentaires, lesquelles peuvent aller jusqu’au licenciement. On s’attend à ce qu’à l’avenir vous vous conformiez à tous les ordres directs légalement donnés par votre gestionnaire.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

8        Les sections pertinentes du Manuel au Chapitre 1 de la Partie 6, intitulé [traduction] « Politique et procédures relatives à l’arrestation et à la détention », sont énoncées comme suit :

[Traduction]

ÉNONCÉ DE POLITIQUE

  1. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a pour politique d’arrêter et de détenir des personnes soupçonnées lorsque l’arrestation et la détention sont légitimes et sont menées conformément aux présentes lignes directrices.

    […]
  1. Le paragraphe 495(1) – autorise les agents à arrêter une personne qu’ils trouvent en train de commettre un acte criminel ou dont ils savent qu’elle a commis un tel acte.
  2. Le paragraphe 495(2) – prévoit des restrictions quant à la capacité des agents à arrêter une personne qu’ils trouvent en train de commettre un acte criminel ou dont ils savent qu’elle a commis un tel acte.

    […]
  1. Article 9 – Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.

    […]
  1. 16.Cette politique s’applique à tous les agents des douanes dans l’exécution de leurs fonctions en vertu de la Loi sur les douanes, de la Loi sur l’accise ou du Code criminel.

    […]
  1. Sauf en cas d’urgence, les agents informeront leur surintendant de toute arrestation ou détention dans les plus brefs délais.
  2. 20.Les surintendants examineront les décisions prises concernant la détention ou l’arrestation d’une personne et mettront fin à la détention ou à l’arrestation lorsqu’il est évident qu’aucune accusation ne sera portée ou que la présence de la personne aux douanes n’est plus requise.

    […]

9        Le Chapitre 7 de la Partie 6, intitulé [traduction]« Politique et procédures relatives aux infractions du Code criminel », stipule notamment ce qui suit :

[Traduction]

ÉNONCÉ DE POLITIQUE

  1. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a pour politique de sanctionner les agents désignés pour faire appliquer le Code criminel et d’autres lois fédérales conformément à la Loi sur les douanes et à d’autres lois pertinentes du Parlement.

    […]
  1. Paragraphe 163.5(1) – Dans le cadre de l’exercice normal de ses attributions à un bureau de douane ou s’il agit en conformité avec l’article 99.1, l’agent des douanes désigné a les pouvoirs et obligations que les articles 495 à 497 du Code criminel confèrent à un agent de la paix à l’égard d’une infraction criminelle à toute autre loi fédérale; les paragraphes 495(3) et 497(3) de cette loi lui sont alors applicables comme s’il était un agent de la paix.

    […]
  1. Paragraphe 495(1) – Un agent désigné peut arrêter sans mandat :
    1. une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel;
    2. une personne qu’il trouve en train de commettre une infraction criminelle;
    3. une personne contre laquelle, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, un mandat d’arrestation ou un mandat de dépôt, rédigé selon une formule relative aux mandats et reproduite à la partie XXVIII, est exécutoire dans les limites de la juridiction territoriale dans laquelle est trouvée cette personne.
  2. Paragraphe 495(2) – Un agent désigné ne peut arrêter une personne sans mandat :
    1. soit pour un acte criminel mentionné à l’article 553; Remarque : voir l’Annexe A pour obtenir la liste des actes criminels visés par l’article 553.
    2. soit pour une infraction pour laquelle la personne peut être poursuivie sur acte d’accusation ou punie sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire […]

      […]
  1. Les agents désignés feront appliquer la loi conformément à la jurisprudence en cours et selon les directives de l’avocat de la Couronne local.
  2. Les agents désignés adopteront des procédures spécifiques pour l’application du Code criminel et d’autres lois fédérales afin d’assurer la conformité avec les pratiques d’application de la loi des services de police locaux, comme cela est établi dans les ententes et protocoles d’entente (PE) conclus avec les services de police compétents.

    […]

Gestionnaires régionaux et surintendants

  1. Les gestionnaires régionaux et les surintendants ont les responsabilités suivantes :
    1. assurer le respect des présentes politiques et procédures.

      […]
    1. surveiller, cerner et corriger les lacunes dans les activités d’application de la loi liées aux infractions du Code criminel;

      […]
    1. se conformer aux conditions établies dans les ententes ou les protocoles d’entente (PE) négociés avec les services de police compétents concernant des questions reliées à l’application du Code criminel;

      […]
    1. prendre des mesures correctives appropriées pour tout manquement à la présente politique.

      […]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

10        Le service de police compétent dans la région du PE de Coutts est le détachement de Milk River de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Une copie d’un document intitulé [traduction] « Protocole conclu entre Douanes Canada – point d’entrée de Coutts, district du Sud de l’Alberta et le détachement de Milk River de la GRC concernant les personnes arrêtées par Douanes Canada et ultérieurement remises au détachement de Milk River de la GRC » (le « protocole ») a été déposée en preuve. Il a été signé en 2001 lorsque les fonctions de l’exécution des douanes étaient exercées par l’Agence des douanes et du revenu du Canada. Le préambule se lit comme suit :

[Traduction]

Le 12 mai 1998, la Loi sur les douanes a été modifiée accordant aux agents des douanes de nouveaux pouvoirs pour arrêter des personnes soupçonnées de commettre ou d’avoir commis une infraction au Code criminel et maintenir une personne en détention jusqu’à l’arrivée du service de police approprié. La législation confère aux agents des douanes désignés l’autorité d’agir dans une capacité de première réponse, comblant ainsi l’écart entre le moment où l’agent des douanes observe une infraction à la frontière et le moment où les services de police locaux interviennent. La formation des agents désignés portera sur quatre domaines, notamment la conduite avec facultés affaiblies, l’enlèvement d’enfants, la possession de biens volés et les mandats d’arrêt.

[…]

Le détachement de la GRC de Milk River reconnaît l’existence de la Politique de Douanes Canada sur l’application du Code criminel par les agents des douanes et procédures d’exploitation normalisées connexes.Le détachement de Milk River de la GRC reconnaît également que ce document est toujours en cours d’élaboration. Jusqu’à l’achèvement de cette politique, Douanes Canada accepte d’adopter la politique et les procédures mentionnées à titre de référence dans le Protocole.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

11        Les paragraphes 1, 3, 4 et 16 du protocole énoncent ce qui suit :

[Traduction]

  1. Seuls les agents « désignés », qui ont suivi avec succès le cours de formation approprié et qui ont obtenu un certificat de désignation seront autorisés à exercer les pouvoirs accordés en vertu des nouvelles dispositions.

    […]
  1. La principale responsabilité des agents des douanes désignés continuera d’être l’administration et l’application de la Loi sur les douanes et ses règlements d’application, et des autres lois du ministère ou de l’organisme gouvernemental dont ils ont la responsabilité.
  2. Les pouvoirs élargis ne seront utilisés que pour « répondre » aux infractions criminelles observées dans le cadre de l’exercice des fonctions normales à un point d’entrée désigné. Cela signifie que le rôle de l’agent désigné sera limité à la détermination de l’infraction, à la détention ou à l’arrestation de la personne, à la formulation d’un avertissement approuvé et des droits à l’assistance d’un avocat, à la fouille et à la saisie de biens, et à la remise de la personne au détachement de Milk River de la GRC. Les agents désignés n’effectueront aucune autre enquête criminelle ni activité judiciaire autre que la fourniture d’un témoignage s’ils sont appelés à le faire, en ce qui concerne les nouveaux pouvoirs élargis.

    […]
  1. Les pouvoirs élargis ne seront pas exercés pour les infractions « provinciales » (ce qui inclut les violations au code de la route provincial ou son équivalent).

    […]

12        La fonctionnaire a joint l’organisation qui a précédé l’ASFC en 1994. En mai 2009, elle occupait le poste d’ASF au PE de Coutts et a été affectée aux opérations de la circulation, qui pouvaient inclure des tâches telles qu’interroger les voyageurs lors de leur première entrée dans le pays à la ligne d’inspection primaire (LIP), les interroger et les inspecter, ainsi que leurs véhicules et leurs biens à ce que l’on appelle la ligne d’inspection secondaire (« secondaire »), ou traiter avec eux au comptoir.

13        Au moment de l’audience, Douglas Bakke était surintendant à l’ASFC. Au moment des faits visés par ce grief, il occupait soit le poste de surintendant soit celui de surintendant par intérim au PE de Coutts. Il a commencé à occuper ce poste le 1er avril 2009. Il travaille à l’ASFC ou au sein des organisations qui l’ont précédée depuis juin 1996. Il a décrit ses fonctions et responsabilités à titre de surintendant comme incluant celle de gérer les opérations quotidiennes du PE de Coutts, ce qui inclut, sans toutefois s’y limiter, planifier l’horaire des employés, superviser les employés, traiter les plaintes et les griefs et répondre à diverses questions liées aux ressources humaines. Il est actuellement responsable d’un effectif comprenant 50 à 60 employés. Au moment des faits, il était responsable de 55 à 65 employés. La fonctionnaire aurait à certains moments relevé de lui. En mai 2009, M. Bakke relevait de Lorelei VandenBerg.

14        À un moment ou un autre avant mai 2009, la GRC a inculpé M. A en vertu de l’alinéa 253(1)b) du Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46), qui porte sur la conduite d’un véhicule motorisé en ayant un taux d’alcoolémie dépassant 80 mg d’alcool par 100 ml de sang.

15        La preuve a révélé qu’en vertu de la Traffic Safety Act(R.S.A., 2000, c. T-6), lorsqu’une accusation est portée en vertu de l’alinéa 253(1)b) du Code criminel, le permis de conduire provincial de la personne accusée (le « permis ») est automatiquement suspendu. La preuve manquait de clarté quant aux éléments précis de la loi qui était en vigueur au moment des faits; elle précisait simplement le fait que dans un tel cas, le permis serait suspendu.

16        M. Bakke a témoigné en disant que, le 5 mai 2009, il a tenu une séance de breffage de quart à 7 h 30, à laquelle était présente la fonctionnaire. La séance de breffage incluait un point sur M. A. L’information disponible lors de la séance de breffage laissait entendre que M. A avait un permis suspendu. Si l’ASFC voyait cette personne en train de conduire, le détachement de Milk River de la GRC souhaiterait en être informé. M. Bakke a indiqué que, durant la séance de breffage, la fonctionnaire a mentionné que, selon elle, l’ASFC pouvait arrêter M. A si ce dernier était pris au volant d’un véhicule à la frontière.

17        La fonctionnaire a également témoigné au sujet de cette séance de breffage, indiquant que M. A avait été accusé de conduite avec facultés affaiblies au PE de Coutts.

18        Un courriel du 4 mai 2009, envoyé à 8 h 49, a été déposé en preuve et était joint à une copie de la feuille de breffage de M. Bakke. Les parties pertinentes précisent ce qui suit :

[Traduction]

Objet :        [M. A] (au volant)

[…]

Comme nous en avons discuté, Clay a rencontré cette personne et son permis a été suspendu en raison d’une accusation de conduite avec facultés affaiblies. Son permis temporaire a expiré le 28 avril et est marqué comme « suspendu » dans le CIPC.

Il conduisait [identification du véhicule omise] lorsque nous l’avons vu en train de conduire avec des facultés affaiblies.

Il possède une [identification du véhicule omise] enregistrée à son nom, mais l’enregistrement semble être arrivé à expiration.

Lorsque Clay l’a vu, il conduisait une vieille voiture de couleur rouge ou bourgogne

[…]

Il est sous le coup d’une suspension de 6 mois alors que des accusations portées contre lui sont en instance. Il s’agit d’une suspension automatique. La caporale DEVOE l’a émise et souhaiterait certainement que nous l’attrapions en train de conduire.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

19        Darryl Anderson occupe le poste de surintendant à l’ASFC au PE de Del Bonita, en Alberta, et en mai 2009, il était le surintendant du PE de Coutts. Il occupe le poste de surintendant depuis juillet 2006.

20        M. Bakke a témoigné en disant que, après la séance de breffage de quart, il a parlé avec M. Anderson, qui lui a indiqué que, en ce qui concernait M. A, il estimait que l’infraction de conduite potentielle liée à la suspension du permis de conduire relevait de la compétence provinciale. Par conséquent, l’ASFC n’avait pas l’autorité de l’arrêter. M. Bakke a indiqué que, après cette discussion, il a appelé le détachement de Milk River de la GRC et a laissé un message pour demander des renseignements supplémentaires au sujet de M. A, notamment la question de savoir si la suspension de son permis découlait d’une condamnation ou s’il s’agissait d’une suspension administrative, en vertu de la législation provinciale. M. Bakke a indiqué que, après avoir laissé ce message, il a parlé à deux autres surintendants, Rylan Schaffer et Esther Smith.

21        Au cours du printemps et de l’été de 2009, et depuis 2006, Mme Smith occupe le poste de surintendante à l’ASFC, au PE de Coutts. Depuis 2007, il en allait de même pour M. Schaffer. Ils ont tous les deux pris leur retraite depuis lors.

22        M. Bakke a indiqué que M. Schaffer lui avait dit qu’il estimait qu’une arrestation dépendait de l’infraction d’origine dont M. A était accusé. M. Bakke a indiqué qu’avec Mme Smith, il a consulté l’article 259 du Code criminel pour déterminer la nature de l’infraction et que leur questionnement les a amenés à déterminer que, si la suspension du permis résultait d’une condamnation, alors le conducteur serait déchu de son droit de conduire conformément au Code criminel. Le paragraphe 259(4) du Code criminel énonce ce qui suit :

Conduite durant l’interdiction

(4) À moins d’être inscrit à un programme d’utilisation d’antidémarreurs avec éthylomètre institué sous le régime juridique de la province où il réside et d’en respecter les conditions, quiconque conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire au Canada pendant qu’il lui est interdit de le faire est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

23        M. Bakke a indiqué qu’au 5 mai 2009, il ne savait pas avec certitude la raison pour laquelle le permis de M. A avait été suspendu.

24        M. Bakke a indiqué que, après les discussions qu’il a eues avec M. Anderson, M. Schaffer et Mme Smith et après avoir examiné le Code criminel, il a envoyé un courriel à Bryan Lang, qui à l’époque était le gestionnaire de la Direction de la formation et de l’apprentissage pour l’ASFC, à Winnipeg, au Manitoba, pour avoir son avis sur la question. Toutefois, M. Lang ne lui a répondu qu’après plusieurs jours.

25        Le 6 mai 2009, M. Bakke a de nouveau donné une séance de breffage de quart en matinée. Il a dit au personnel que, compte tenu des renseignements dont ils disposaient concernant M. A, il était probable que s’il était pris à la frontière en train de conduire, cela constituerait potentiellement une violation de la loi provinciale en ce qui a trait à la suspension du permis. Pour cette raison, l’ASFC ne pourrait pas procéder à une arrestation. M. Bakke a indiqué que, lors de la séance de breffage, la fonctionnaire a réitéré son opinion selon laquelle l’ASFC pouvait arrêter M. A. M. Bakke a déclaré se souvenir que la fonctionnaire a dit qu’elle était [traduction] « certaine de cela à 100 % ».

26        M. Bakke a indiqué qu’après la séance matinale de breffage du 6 mai 2009, il a discuté avec la fonctionnaire de la compétence de l’ASFC quant à l’arrestation de M. A. Il a indiqué qu’elle a réaffirmé son avis selon lequel l’Agence pouvait l’arrêter pour une conduite sous le coup d’une suspension et lui a proposé d’appeler son mari qui est membre du service de police régional de Lethbridge (LRPS), à Lethbridge, en Alberta, pour le lui expliquer. Il a indiqué qu’elle a en effet appelé son mari, le sergent Wade Davidson et qu’elle lui a tendu le téléphone.

27        Le sergent Davidson a témoigné. Ce dernier travaille au LRPS depuis 2005. De 2008 à 2014, il était agent à l’unité d’intervention en matière de circulation, au sein de laquelle ses fonctions incluaient le contrôle routier. En 2014, il est devenu sergent dans l’unité des opérations de patrouille, et de 2015 au jour de son témoignage, il occupait le poste de sergent dans l’unité d’intervention en matière de circulation, dans laquelle ses fonctions et responsabilités incluaient superviser l’ensemble des activités de contrôle routier du LRPS. Avant de joindre cette organisation, il a travaillé à l’ASFC (ou l’organisme l’ayant précédé) pendant neuf ans.

28        M. Bakke a indiqué que le sergent Davidson lui avait dit la façon dont le LRPS procédait en ce qui concerne le traitement des conducteurs dont le permis est suspendu. Il se souvient que le conseil que le sergent Davidson lui a donné était d’arrêter M. A.

29        Le sergent Davidson a produit des notes dactylographiées, qu’il a affirmé avoir écrites peu de temps après le 6 mai 2009, de sa conversation avec M. Bakke. Les notes déclarent, en partie, ce qui suit :

[Traduction]

          […]

Bakke avait deux questions principales :

1) Y avait-il une différence entre la suspension et le retrait?

2) La personne pouvait-elle être arrêtée en raison d’une infraction criminelle commise en vertu du paragraphe 259(4) du Code criminel (conduite durant l’interdiction).

J’ai indiqué à Bakke que les termes retrait et suspension étaient souvent utilisés de façon interchangeable et que le statut « suspendu » d’un permis indiquant a sur une requête pouvait s’appliquer à plusieurs scénarios; y compris des interdictions imposées par le tribunal, des ordonnances de commissions provinciales de réglementation des conducteurs, des suspensions liées aux points d’inaptitude et des suspensions administratives. J’ai aussi indiqué à Bakke que le type de suspension devait être déterminé en examinant l’information sur le permis de conduire au moyen d’une base de données provinciale (MOVES), avant de déterminer si la personne devrait être accusée d’une infraction à la Traffic Safety Act provinciale ou d’une infraction criminelle. Puisque l’ASFC n’a pas d’accès direct au MOVES, il lui serait difficile de déterminer la nature de la suspension et cette tâche reviendrait au service de police compétent (GRC).

Pour répondre à la seconde question de Bakke, je lui ai dit que cette personne pouvait être arrêtée pour une conduite durant une interdiction, quel que soit le type de suspension, et lui ai aussi dit de confirmer cela avec la GRC. J’ai cité le paragraphe 259(4) [texte du paragraphe omis] pour Bakke et lui ai dit que le Code criminel autorisait l’arrestation de l’individu. J’ai également expliqué à Bakke que les niveaux de preuve requis sont différents selon que l’on souhaite condamner une personne, poursuivre une personne, accuser une personne ou arrêter une personne. Étant donné que l’ASFC tient un rôle unique de « premier intervenant », j’ai indiqué à Bakke que les souhaits de la GRC, qui déterminerait l’accusation appropriée, devaient être respectés. Je lui ai aussi dit que l’individu devrait être mis au courant du niveau de menace le plus élevé auquel il pourrait faire face et être arrêté, informé de ses droits en vertu de la Charte et mis en garde comme il se doit.

J’ai indiqué à Bakke que, en tant qu’agent de police, j’étais en mesure d’accéder au MOVES, de déterminer l’accusation appropriée et d’émettre des documents de mainlevée, souvent sans nécessiter l’arrestation d’un individu en vertu du Code criminel ou de la Traffic Safety Act. Étant donné que l’ASFC n’était pas dans cette même position, j’ai recommandé que la personne soit arrêtée et mise en détention pour une libération ultérieure par la GRC, et j’ai réitéré le fait qu’il serait utile qu’il demande des clarifications à la GRC pour connaître ses préférences sur la façon d’agir.

          […]

30        Le sergent Davidson a indiqué que les suspensions de permis obligatoires ont commencé en Alberta vers 2006, mais que la structure avait changé en 2012. Lorsqu’on lui a demandé si l’ASFC pouvait faire appliquer les suspensions de permis provinciales, il a répondu qu’elle ne pouvait pas le faire et que, à sa connaissance, il n’avait jamais fait appliquer les peines relatives aux infractions provinciales. Il a ajouté que, à sa connaissance, seules les infractions en vertu du Code criminel pouvaient être sanctionnées.

A. Le 7 mai 2009

31        Le 7 mai 2009, aussi bien la fonctionnaire que M. Bakke travaillaient un quart au PE de Coutts. M. Bakke a indiqué qu’il avait reçu un appel d’une ligne d’inspection primaire (LIP) lui indiquant que M. A cherchait à entrer au Canada et que l’ASF demandait des précisions sur la façon d’agir. M. Bakke a indiqué qu’il a donné comme consigne à l’ASF d’envoyer M. A à l’inspection secondaire, ce que l’agent a fait.

32        M. Bakke a indiqué que, après cela, il a parlé à Mme Smith, et ils ont ensuite parlé à un autre surintendant, Steve Singer, qui n’a pas témoigné. Selon M. Bakke, M. Singer leur a dit que, selon lui, si M. A violait une loi, celle-ci était provinciale, et par conséquent, l’ASFC ne pouvait pas l’arrêter. M. Bakke a indiqué que M. Singer avait suggéré qu’ils appellent le bureau de l’avocat de la Couronne local.

33        M. Bakke a témoigné en disant que, en présence de Mme Smith, il a appelé l’avocat de la Couronne local à Lethbridge et a communiqué à cette personne les faits tels qu’il les connaissait, sans identifier spécifiquement M. A. Selon M. Bakke, l’avocat de la Couronne lui a dit qu’il semblait que M. A enfreignait une loi provinciale et que, par conséquent, il ne pouvait pas être arrêté par l’ASFC. M. Bakke a indiqué que l’avocat de la Couronne lui avait mentionné que l’ASFC pouvait fournir des preuves au service de police local à titre de témoin de la conduite de M. A alors que le permis de ce dernier était suspendu.

34        Mme Smith a témoigné en disant qu’elle avait pris part à cette conversation. Elle a indiqué que, quand elle et M. Bakke ont parlé à l’avocat de la Couronne, ils n’ont pas identifié M. A ni les faits. Ils voulaient simplement clarifier la question de savoir si l’ASFC pouvait arrêter une personne pour une conduite avec un permis provincial suspendu. L’avocat de la Couronne leur a indiqué que, si le permis avait été suspendu à l’échelle provinciale, la GRC était en mesure de l’arrêter et l’ASFC pouvait jouer le rôle de témoin de la conduite.

35        L’ASF Colin Van Dyk était à l’inspection secondaire et s’est occupé de M. A lorsqu’il est arrivé là. Selon la preuve, M. Van Dyk a indiqué avoir senti de l’alcool et avoir trouvé de l’alcool et du tabac non déclarés. En ce qui concerne l’odeur d’alcool, M. Van Dyk a demandé une aide au moyen de l’appareil de détection d’alcool (ADA). Il n’a pas témoigné.

36        M. Bakke a indiqué qu’il a déterminé que la fonctionnaire était l’agente la plus expérimentée en ce qui a trait à l’utilisation de l’ADA et qu’il lui a donc donné comme consigne de fournir à M. Van Dyk une formation de rappel à ce sujet. M. Bakke a précisé que la fonctionnaire lui a ensuite dit que, même si l’ADA de M. A indiquait un résultat en dessous du seuil, elle l’arrêterait en raison de la suspension de son permis. Il a indiqué lui avoir dit qu’il avait reçu l’avis de l’avocat de la Couronne local selon lequel l’ASFC ne pouvait pas arrêter M. A et qu’il avait pleinement confiance dans la qualité de ces conseils. Il a indiqué que la fonctionnaire lui a répondu que, s’il lui donnait l’ordre de ne pas procéder à une arrestation, elle aimerait obtenir cet ordre par écrit. M. Bakke a indiqué lui avoir dit qu’il le ferait. Il a indiqué que, à ce moment-là, il s’est rendu à son bureau, a dactylographié des instructions écrites à son intention (l’« instruction écrite du 7 mai »), qu’il est retourné à l’inspection secondaire (où elle s’était rendue pour aider M. Van Dyk) et qu’il lui a donné ses instructions.  

37        L’instruction écrite du 7 mai se lit comme suit :

[Traduction]

Le 7 mai 2009

1000

Objet : Arrestation d’un conducteur sous le coup d’une suspension [M. A] [Date de naissance]

Veuillez noter que l’arrestation du sujet susmentionné (pour une conduite sous le coup d’une suspension du permis ou d’une interdiction) n’est pas soutenue ni autorisée par la direction de l’ASFC au point d’entrée de Coutts, en Alberta – conformément à l’avis donné par l’avocat de la Couronne en ce 7 mai 2009.

Les détails de cette décision peuvent être discutés à un moment qui vous conviendra.

[…]

38        M. Bakke a indiqué que, après avoir remis l’instruction écrite du 7 mai à la fonctionnaire, il est retourné à son bureau, et que peu de temps après, il a vu M. A être dirigé vers le bloc cellulaire, menottes aux poignets.

39        La fonctionnaire a témoigné en disant que, le 7 mai 2009, M. Bakke l’a interrompue alors qu’elle était par ailleurs en train de travailler (plus précisément, en train d’effectuer une saisie) et qu’il lui a donné comme consigne de donner à M. Van Dyk une formation de rappel sur l’utilisation de l’ADA. Selon son témoignage, d’autres ASF étaient disponibles pour fournir une aide concernant l’ADA. Elle a témoigné avoir dit à M. Bakke à ce moment-là qu’elle était certaine à 100 % d’avoir l’autorité d’arrêter M. A et que, si M. Bakke lui demandait d’aller aider M. Van Dyk, elle arrêterait M. A. La fonctionnaire a indiqué que, à ce moment-là, ils ont eu une discussion, et que M. Bakke lui a dit qu’il avait parlé à l’avocat de la Couronne, et qu’il a dit ensuite [traduction] : « Il pense que nous ne pouvons pas le faire. » Elle a indiqué avoir réitéré sa position à M. Bakke, à savoir qu’elle était certaine à 100 % que l’ASFC pouvait arrêter M. A.

40        La fonctionnaire a indiqué que, après cette discussion, elle est allée à la zone secondaire où elle a donné une formation de rappel à M. Van Dyk concernant l’utilisation de l’ADA. Il a ensuite soumis le conducteur au test de l’ADA. M. A n’a pas échoué au test, mais était dans la fourchette d’« avertissement », ce qui signifie que son taux d’alcoolémie se situait entre 50 et 99 mg d’alcool dans 100 ml de sang.

41        La fonctionnaire a précisé qu’après avoir soumis M. A au test de l’ADA, elle est retournée à la zone des bureaux avec M. Van Dyk, où ils ont interrogé le Centre d’information de la police canadienne (CIPC ») concernant M. A. Elle a indiqué que la recherche a révélé que le permis de M. A avait été suspendu, mais que les raisons de cette suspension n’étaient pas indiquées. Elle a précisé que, pour obtenir des renseignements précis sur la raison exacte d’une suspension, un accès à une base de données provinciale, connue sous le nom de « Motor Vehicle Enforcement System » (« MOVES »), était nécessaire, lequel n’est pas disponible pour l’ASFC.

42        La fonctionnaire a témoigné en disant qu’après avoir interrogé le CIPC, M. Van Dyk a appelé le détachement de Milk River de la GRC et a laissé un message demandant qu’on les rappelle. Le gendarme Beaupre a rappelé plus tard et a parlé à la fonctionnaire. La fonctionnaire a témoigné en disant que, à ce moment-là, M. Bakke lui a remis l’instruction écrite du 7 mai.

43        La discussion de la fonctionnaire avec le gendarme Beaupre ne lui a pas permis d’obtenir plus de renseignements sur la suspension du permis de M. A. Selon elle, le gendarme Beaupre a suggéré qu’elle appelle la caporale (maintenant sergente) Judith Devoe. La fonctionnaire a indiqué l’avoir fait et avoir dit à la sergente Devoe que M. A se trouvait dans la fourchette d’avertissement de l’ADA et que son permis apparaissait comme étant suspendu dans le CIPC. Elle a indiqué avoir dit ce qui suit à la sergente Devoe [traduction] : « Si vous voulez venir ici, nous pouvons l’arrêter en vertu du paragraphe 259(4) », bien que la fonctionnaire ait indiqué ne pas se souvenir si elle a dit cela comme une affirmation ou une question.

44        La fonctionnaire a également indiqué ce qui suit quant aux propos entretenus avec la sergente Devoe [traduction] : « Je lui ai dit qu’il avait été accusé d’une conduite avec facultés affaiblies au point d’entrée, et elle m’a dit, “absolument”. » La fonctionnaire a indiqué qu’elle a ensuite arrêté M. A.

45        M. Bakke a témoigné en disant qu’avant l’arrêt de M. A, la fonctionnaire ne l’avait pas avisé du fait qu’elle avait parlé à un agent de la GRC.

46        Le 7 mai 2009, la fonctionnaire a rédigé un rapport narratif. Ce rapport a été déposé en preuve. En voici les parties pertinentes :

[Traduction]

Le 7 mai 2009, alors que je travaillais aux opérations de la circulation, le surintendant du secteur commercial D. BAKKE m’a demandé d’aider l’ASF C. VAN DYK à utiliser un ADA sur un sujet retenu dans l’entrepôt commercial parce qu’il voulait quelqu’un ayant de l’expérience de l’utilisation de l’ADA. J’ai demandé s’il s’agissait de la personne que nous attendions, [M. A] qui conduisait avec un permis de conduire suspendu en raison d’une accusation antérieure de conduite avec facultés affaiblies au point d’entrée de Coutts. BAKKE a confirmé qu’il s’agissait bien de [M. A], puis il m’a donné l’ADA pour que je l’apporte à l’inspection secondaire du secteur commercial et qu’on l’utilise. [M. A] était un résident de [omis] qui travaillait pour [omis].

Quand je suis arrivée à l’inspection secondaire, VAN DYK attendait l’ADA, je lui ai rappelé brièvement comment utiliser l’ADA puis il s’est rendu à la salle d’attente pour confronter [M. A].

  • 9 h 50 VAN DYK a communiqué sa demande en ce qui concerne l’ADA à [M. A] qui a déclaré avoir bien saisi la demande.
  • 9 h 51 [M. A] a soufflé dans l’ADA, qui a ensuite indiqué un « A » pour avertissement.

Nous avons dit à [M. A] de s’asseoir. VAN DYK avait trouvé de l’alcool et du tabac non déclarés que [M. A] avait cachés sous le véhicule dans le parc de stationnement.

VAN DYK a téléphoné au bureau de la GRC à Milk River et a laissé un message avec le sténo demandant que la personne en service le rappelle au point d’entrée.

Le gendarme P. BEAUPRE a rappelé et a déclaré qu’il serait en mesure de prendre en charge le conducteur sous le coup d’une suspension et l’avertissement de l’ADA, mais qu’il ne serait pas là avant une heure et demie. BEAUPRE a indiqué qu’il pensait que c’était le paragraphe 259(4) du Code criminel qui autorisait l’arrestation d’un conducteur sous le coup d’une suspension, mais, parce qu’il avait tout juste quitté le poste de police, il voulait vérifier cela auprès de la caporale J. DEVOE. BEAUPRE m’a rappelée et a indiqué qu’il pouvait peut-être venir plus tôt que prévu, mais qu’il n’avait pas eu de réponse de DEVOE. Plutôt que BEAUPRE rappelle DEVOE, puis me rappelle, j’ai pensé que cela serait plus rapide si j’appelais moi-même DEVOE directement.

J’ai appelé DEVOE et lui ai expliqué que [M. A] conduisait le véhicule avec un permis suspendu, découlant d’une accusation antérieure de conduite avec facultés affaiblies, et que [M. A] venait de souffler dans un ADA et que le résultat était un « A » dans la fourchette d’avertissement. DEVOE m’a ordonné d’utiliser le paragraphe 259(4) du Code criminel pour arrêter [M. A] pour une conduite durant une interdiction et m’a dit que le gendarme BEAUPRE arriverait au point d’entrée.

  • 10 h 28 : J’ai arrêté [M. A] en vertu du paragraphe 259(4) du Code criminel pour une conduite durant une interdiction. La mise en garde a été faite et je lui ai indiqué ses droits.
  • 10 h 30 : L’ASF VAN DYK a fouillé [M. A].
  • 10 h 34 : J’ai escorté [M. A] jusqu’aux cellules. L’arrestation, les droits et la mise en garde ont été lus dans leur intégralité. [M. A] a indiqué avoir compris ce qui lui avait été dit. [M. A] a refusé la présence d’un avocat.

VAN DYK a débloqué la cellule Sud et j’y ai placé [M. A].[M. A] n’a indiqué aucune préoccupation d’ordre médical et ne prenait aucun médicament à ce moment-là.

  • 11 h 35 : L’agent de la GRC BEAUPRE est arrivé.
  • 11 h 45 : Le gendarme BEAUPRE m’a demandé de libérer [M. A] puisqu’il était prêt à lui émettre ses documents.
  • 11 h 45 : Moi-même et RIO D. DEGENSTEIN sommes allés libérer [M. A] et l’avons emmené jusqu’à la salle d’attente.

Le gendarme BEAUPRE a ensuite délivré à [M. A] ses documents et VAN DYK a achevé son K19 pour l’alcool et le tabac non déclarés.

[…]

47        M. Bakke a témoigné en disant que, après l’arrestation de M. A, il s’est rendu au bloc cellulaire où M. A était détenu et qu’il a eu une discussion avec la fonctionnaire. Il a déclaré qu’elle lui avait dit qu’elle pensait risquer de subir une mesure disciplinaire, mais qu’elle s’y opposerait. Il a dit se rappeler qu’elle lui avait dit ce qui suit [traduction] : « Vous faites ce que vous devez faire. » En ce qui concerne cette discussion, la fonctionnaire a déclaré que M. Bakke n’était pas content de la situation et qu’il lui avait dit que ce n’était pas terminé. Elle a déclaré lui avoir répondu ce qui suit [traduction] : « J’ai fait ce que j’ai fait; vous faites ce que vous devez faire. »

48        Le 7 mai 2009, à 16 h 28, M. Bakke a envoyé un courriel à sa superviseure, Mme VandenBerg, en mettant en copie M. Axten, au sujet de l’arrestation de M. A. Le courriel indiquait en partie ce qui suit :

          [Traduction]

Objet :                  [M. A]

[…]

J’ai besoin de faire rapport d’un incident qui est survenu ce 7 mai, durant la matinée.

[…] Comme vous le savez peut-être, il a été accusé de conduite avec facultés affaiblies il y a quelques semaines. Son permis de conduire a également été suspendu dans l’attente de sa première comparution devant le tribunal. Il a été vu par nos ASF en train de conduire une [identification du véhicule omise] et ils savent que son permis est suspendu.

La question qui s’est alors posée était : « pouvons-nous l’arrêter? ». Il y a eu une certaine confusion parmi les ASF et les surintendants en ce qui concerne cette question – qui a atteint un point culminant aujourd’hui.

[M. A] est arrivé au P6 au volant d’une [identification du véhicule omise] à 8 h 45. Tyler B. m’a appelé et m’a demandé ce que nous devions faire avec lui. Je lui ai dit de l’envoyer pour un contrôle de la cabine et que je lui fournirais une réponse un peu plus tard. J’ai communiqué avec le centre de répartition de la GRC et j’ai demandé qu’un représentant du détachement de MR me rappelle. J’essayais depuis hier d’obtenir une réponse concernant la question de l’arrestation – le détachement de MR de la GRC ne me rappelait pas […] Peu importe, Esther et moi-même avons fini par appeler [nom omis] (avocat de la Couronne) à Lethbridge. Il a indiqué que ce cas semblait concerner une violation d’une loi provinciale et a donc recommandé de ne PAS arrêter l’individu.

Colin a appelé depuis l’entrepôt et a indiqué que [M. A] faisait l’objet d’une saisie K19 (alcool et cigarettes) et que nous avions besoin d’un ADA puisqu’il semblait être en état d’ébriété. Colin a indiqué qu’il était qualifié pour utiliser l’ADA, mais qu’il ne l’avait pas utilisé et qu’il souhaitait donc l’aide d’un ASF expérimenté pour le faire. Il se trouvait que c’était Shannon qui avait le plus d’expérience en ce qui concerne l’ADA – je l’ai donc envoyée.

Le fait était également que Shannon était d’avis que nous étions en mesure d’arrêter [M. A] pour son infraction de conduite. En fait, nous avons eu une vive discussion dans mon bureau hier sur ce sujet – mais cela est une autre histoire.

Elle m’a dit que, si je l’envoyais faire passer l’ADA à M. A et qu’il n’échouait pas au test (c’est-à-dire – si on ne pouvait pas l’arrêter pour l’infraction relative au taux d’alcoolémie) – qu’elle l’arrêterait pour l’infraction liée à la conduite sous le coup d’une suspension. Je lui ai conseillé, conformément à la recommandation de l’avocat de la Couronne, de ne pas l’arrêter. Elle a affirmé à nouveau qu’elle le ferait – et qu’elle voulait une ordonnance par écrit lui indiquant de ne pas procéder à l’arrestation. Je me suis donné la peine de lui donner cela, et j’en ai gardé une copie.

La GRC a finalement rappelé, Shannon a répondu à l’appel – et Shannon dit que Judy Devoe lui a conseillé de procéder à l’arrestation de [M. A] conformément à l’article 259 du CC (conduite pendant une suspension). Shannon arrête le sujet et le place dans une cellule. Phillipe arrive, assume la garde du sujet et saisit la [identification du véhicule omise]. Une dépanneuse arrive plus tard et emporte la [identification du véhicule omise].

Il s’agit de la version courte de l’histoire – pour vous tenir au courant. Esther et Darryl étaient tous deux ici lorsque tout cela est survenu. Colin VD a aidé Shannon à procéder à l’arrestation – mais je ne l’implique dans aucun acte commis par Shannon.

J’ai parlé à Shannon depuis lors, et elle s’attend à faire l’objet de mesures disciplinaires.

[…]

49        A également été déposée en preuve une déclaration écrite non datée que Mme Smith a déterminée comme ayant été rédigée par la fonctionnaire. La fonctionnaire déclare l’avoir rédigée le ou vers le 7 mai 2009. Elle se lit comme suit :

[Traduction]

Je m’oppose à l’utilisation de la totalité ou d’une partie de la présente déclaration et en invoque le privilège, dans le cadre de toute poursuite, pénale ou civile, y compris dans le cadre d’une procédure disciplinaire, ou de toute enquête ou investigation. Sous réserve de ce qui est mentionné plus haut et conformément à votre ordonnance et uniquement sous la contrainte de cette dernière, je soumets ce qui suit :

Conformément au dossier de breffage, un avis de surveillance avait été émis pour [M. A] le 4 mai 2009 indiquant que [M. A] était un conducteur sous le coup d’une suspension qui conduisait en passant par notre point d’entrée. [M. A] travaillait pour [nom omis] et vivait à [lieu omis]. L’avis de surveillance indiquait que la caporale J. DEVOE portait un intérêt à l’égard de [M. A].

J’ai eu plusieurs conversations avec le surintendant par intérim D. BAKKE concernant notre pouvoir d’arrêter [M. A].

Le 7 mai 2009, alors que je travaillais aux opérations de la circulation au point d’entrée de Coutts et que j’étais en train d’effectuer une saisie, le surintendant par intérim D. BAKKE m’a demandé d’aider l’ASF C. VAN DYK à soumettre [M. A] à un ADA dans l’entrepôt commercial. Le surintendant par intérim D. BAKKE a déclaré qu’il n’avait personne d’autre pour aider VAN DYK puisqu’il n’y avait pas d’autre ASF ayant de l’expérience de l’utilisation de l’ADA. Il y avait de nombreux autres ASF au point d’entrée formés à l’utilisation de l’ADA, dont le surintendant par intérim D. BAKKE, mais le surintendant par intérim D. BAKKE voulait mon aide, alors je me suis conformée à ses ordres.

Il y avait toujours un désaccord quant à la question de savoir si nous avions ou non le pouvoir d’arrêter [M. A] pour une conduite pendant une suspension. J’ai demandé au surintendant par intérim D. BAKKE d’indiquer par écrit sa décision quant à cette question.

Le surintendant par intérim D. BAKKE a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Veuillez noter que l’arrestation du sujet susmentionné (pour une conduite sous le coup d’une suspension du permis ou d’une interdiction) n’est pas soutenue ni autorisée par la direction de l’ASFC au point d’entrée de Coutts, en Alberta – conformément à l’avis donné par l’avocat de la Couronne en ce 7 mai 2009.

Les détails de cette décision peuvent être discutés à un moment qui vous conviendra.

Une fois que j’ai confirmé que le sujet était [M. A] et que l’ASF C. VAN DYK a soumis [M. A] au test de l’ADA, nous avons appelé le détachement local de la GRC. La caporale J. DEVOE m’a donné comme consigne d’arrêter [M. A] en invoquant le paragraphe 259 (4) du Code criminel.

En toute bonne foi, et parce qu’une infraction était en train d’être commise, j’ai arrêté [M. A] pour une conduite durant une interdiction en vertu du paragraphe 259(4) du Code criminel. Il était dans l’intérêt de la sécurité publique d’empêcher [M. A] de poursuivre cette infraction.

[…]

Dans la version anglaise du manuel, Partie 6, Chapitre 1, Paragraphe 20 – Le surintendant par intérim BAKKE est responsable de mettre fin à l’arrestation de la personne s’il a la conviction que des accusations ne seront pas portées.

Le gendarme P. BEAUPRE du détachement de la GRC de Milk River était présent et a délivré les documents appropriés à [M. A]. Mes rapports avec [M. A] ont pris fin à ce moment-là.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

50        On a demandé à la fonctionnaire durant l’interrogatoire principal si, avant que le gendarme Beaupre arrive au point d’entrée de Coutts et libère M. A, elle était au courant du fait que le permis de M. A avait été suspendu en vertu de la Traffic Safety Act (R.S.A., 2000, ch. T-6), une question à laquelle elle a répondu en déclarant ce qui suit [traduction] : « Nous n’en avions pas la moindre idée; nous n’avons pas accès à ce système, donc nous ne pouvons pas vérifier cela. »

51        Plus tard au cours de l’interrogatoire principal, lorsqu’on a posé à la fonctionnaire une question similaire au sujet de ses connaissances précises quant à la suspension du permis de M. A, elle a répondu ce qui suit [traduction] : « Personne ne savait la raison pour laquelle son permis était suspendu. Je pense qu’il y avait toujours une certaine confusion au sein de la direction à ce sujet. »

52        L’avocat de la fonctionnaire lui a ensuite demandé si elle souhaitait ajouter d’autres choses quant à la journée de l’arrestation, une question à laquelle elle a répondu en déclarant ce qui suit [traduction] : « J’ai arrêté le voyageur compte tenu de mes connaissances fondées sur ce que Judy [la sergente Devoe] m’avait dit. Je n’ai pas fait l’arrestation pour la GRC. Vous devez vous faire une opinion si une infraction est commise. »

53        Au moment de son témoignage, la sergente Devoe était chef de détachement, à Killam, en Alberta. En 2009, elle détenait ce poste à Milk River. Elle a témoigné en indiquant se souvenir d’avoir reçu un appel de la fonctionnaire, qui se trouvait au PE de Coutts, au cours duquel la fonctionnaire lui a demandé si elle avait l’autorité d’arrêter M. A en vertu de l’article 259 du Code criminel pour une conduite durant une interdiction. La sergente Devoe a déclaré qu’elle a reçu cet appel à son domicile alors qu’elle était en congé.

54        La sergente Devoe a indiqué qu’elle avait demandé à la fonctionnaire la raison pour laquelle M. A était sous le coup d’une interdiction de conduire et que la fonctionnaire lui avait dit que cela était en raison d’une conduite avec facultés affaiblies. La sergente Devoe a déclaré avoir dit à la fonctionnaire qu’elle avait l’autorité de l’arrêter puisqu’il s’agissait d’une infraction au Code criminel.

55        La sergente Devoe a déclaré que, après cet appel, elle s’est rendue au détachement pour aider le gendarme Beaupre, parce qu’il était nouveau et qu’il avait besoin de précisions sur les documents requis. La sergente Devoe a indiqué que, lorsqu’ils ont commencé à remplir tous les papiers, elle a remarqué qu’il n’y avait pas de date de condamnation, elle a donc appelé le Centre des communications de la GRC. L’information qui lui a été fournie indiquait que le permis de M. A avait été suspendu en vertu de la loi provinciale. Par conséquent, la GRC ne pouvait pas déposer des accusations contre lui en vertu du paragraphe 259(4) du Code criminel, mais seulement pour une infraction provinciale, ce qu’a fait la GRC.

56        La sergente Devoe a indiqué que, si M. A avait été reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies et que son permis avait été suspendu en raison de cette condamnation, conduire avec un permis suspendu pour cette raison aurait constitué une infraction au Code criminel. Mais, s’il n’avait pas encore été reconnu coupable et qu’il était dans l’attente de son procès, alors cela ne constituait qu’une infraction provinciale. La sergente Devoe a déclaré avoir donné comme consigne au gendarme Beaupre de se rendre au PE de Coutts pour donner une contravention pour conduite durant une interdiction provinciale. Le gendarme Beaupre s’y est donc rendu, a donné la contravention pour conduite durant une interdiction provinciale et a libéré M. A.

57        On a demandé à la sergente Devoe précisément si elle avait demandé à la fonctionnaire d’arrêter M. A au nom de la GRC. Elle a répondu qu’elle ne l’avait pas fait.

58        La sergente Devoe a déclaré n’avoir pris aucune note de la conversation qu’elle a eue avec la fonctionnaire.

59        Durant le contre-interrogatoire, on a demandé à la sergente Devoe si la fonctionnaire avait indiqué de quelque manière que ce soit que le permis de M. A était suspendu à l’échelle provinciale ou fédérale. Elle a répondu que la fonctionnaire ne l’avait pas fait. On lui a également demandé ce qu’elle avait dit à la fonctionnaire lorsqu’elle lui a demandé si elle pouvait arrêter M. A. La sergente Devoe a répondu qu’elle avait dit à la fonctionnaire qu’elle pouvait le faire s’il y avait une infraction au Code criminel.

60        Durant le contre-interrogatoire, la sergente Devoe a également déclaré qu’après avoir réalisé que le permis de M. A avait été suspendu en vertu de la loi provinciale, elle n’avait pas appelé le PE de Coutts.

61        Mme Smith et M. Schaffer ont été chargés d’effectuer l’enquête d’établissement des faits concernant l’arrestation de M. A effectuée par la fonctionnaire le 7 mai 2009. Peu de temps après avoir été chargé d’effectuer cette tâche, M. Schaffer a été retiré et remplacé par M. Anderson. Selon M. Schaffer, on ne lui a jamais indiqué la raison pour laquelle il avait été retiré de cette tâche.

62        Mme Smith a témoigné en déclarant que, au début de l’enquête d’établissement des faits, deux ASF lui ont dit avoir vu M. Schaffer et la fonctionnaire ensemble, dans son bureau, assis à sa table de bureau, et qu’ils discutaient de la façon dont ils pouvaient démontrer que l’ASFC avait l’autorité d’arrêter M. A. Mme Smith est entrée dans le bureau dans lequel se trouvait la table de bureau de M. Schaffer (et les tables de bureau de deux autres surintendants) et qu’elle a vu une copie du Code criminel ouvert aux articles portant sur les infractions de conduite et la conduite durant une interdiction. Mme Smith a témoigné en déclarant qu’elle était préoccupée par la possibilité d’une collusion entre M. Schaffer et la fonctionnaire. Elle a demandé à son supérieur d’être retirée de l’enquête. Durant le contre-interrogatoire, on l’a interrogée de manière approfondie sur l’identité des deux ASF. Toutefois, elle ne se souvenait pas de qui il s’agissait, ni de leur apparence.

63        M. Axten a déclaré qu’il a, avec Mme VandenBerg, pris la décision de retirer M. Schaffer de l’enquête en raison d’une préoccupation soulevée par Mme Smith au sujet de problèmes de transparence et d’impartialité le concernant.

64        Après que M. Schaffer a été retiré de l’enquête, Mme Smith a continué cette tâche en collaboration avec M. Anderson. Elle a indiqué dans son témoignage avoir recueilli des documents, mené des entrevues et rédigé des notes et des sommaires des entrevues. Elle n’a pas rédigé de rapport. Elle a déclaré avoir remis le matériel qu’elle a recueilli. Elle n’a joué aucun rôle lorsqu’il a été question de déterminer si une mesure disciplinaire devait être imposée à la fonctionnaire ou de déterminer la portée de cette mesure disciplinaire.

65        Mme Smith a interrogé la sergente Devoe, le gendarme Beaupre et la fonctionnaire concernant leurs discussions du 7 mai 2009. Mme Smith a parlé à la sergente Devoe à deux reprises : la première fois, le 16 mai 2009, en présence de M. Bakke et de M. Schaffer. Les notes écrites de Mme Smith et de M. Bakke ont été présentées en preuve. Mme Smith a aussi dactylographié ses notes après ses conversations téléphoniques avec la sergente Devoe. Les notes écrites de Mme Smith et de M. Bakke sont similaires, mais ne sont pas identiques.

66        La sergente Devoe a indiqué se souvenir d’une discussion qu’elle a eue avec Mme Smith après les faits et que, bien qu’elle ne puisse pas s’en rappeler de façon détaillée, elle se souvient bien que Mme Smith lui a demandé si elle avait ordonné à la fonctionnaire d’arrêter M. A au nom de la GRC, question à laquelle la sergente Devoe a répondu qu’elle ne l’avait pas fait. La sergente Devoe a déclaré se souvenir également d’avoir dit à Mme Smith qu’elle avait dit à la fonctionnaire qu’elle avait l’autorité d’arrêter M. A s’il commettait une infraction au Code criminel. La sergente Devoe a déclaré avoir dit à Mme Smith qu’au moment où elle a eu la conversation avec la fonctionnaire, elle ne savait pas si le permis de M. A avait été suspendu en vertu d’une loi provinciale. La sergente Devoe a déclaré avoir dit à Mme Smith qu’elle se souvenait que la question de la fonctionnaire était assez précise.

67        La sergente Devoe n’a pris aucune note de ses conversations téléphoniques avec Mme Smith.

68        Mme Smith a déclaré dans son témoignage que la sergente Devoe avait dit qu’elle connaissait M. A, que la fonctionnaire lui avait dit qu’il se trouvait au PE de Coutts, et que la fonctionnaire avait posé des questions au sujet d’un permis suspendu en vertu de l’article 259 du Code criminel. Mme Smith a indiqué que la sergente Devoe lui avait dit qu’elle était à la maison lorsqu’elle a reçu l’appel et que la sergente Devoe s’était ensuite rendue au détachement de Milk River de la GRC et avait appris que la suspension du permis n’était que de nature provinciale; elle a alors demandé au gendarme Beaupre de libérer M. A.

69        M. Schaffer n’a offert aucun témoignage au sujet de son entrevue avec la sergente Devoe; et n’a produit aucune note.

70        Les notes écrites de Mme Smith portant sur sa discussion téléphonique avec la sergente Devoe et rédigées le 16 mai 2009 se lisent comme suit :

[Traduction]

  • Judy a présumé que des accusations avaient été portées contre l’individu.
  • Elle a dit à Shannon de le faire.
  • Puis elle a appelé les télécommunications qui lui ont donné des renseignements indiquant que c’était au niveau provincial.
  • Elle a dit à Phil (le gendarme Beaupre) on ne peut pas l’arrêter – il faut le libérer

          Shannon

Nous avons toutes les deux présumé qu’il s’agissait d’une infraction au Code criminel

          Était en train de rédiger une mise en liberté sur promesse de comparaître.

Ai vu qu’il n’avait pas été condamné – accusations de conduite avec facultés affaiblies.

Je ne me rappelle pas des mots exacts de Shannon.

Je ne me rappelle pas

Elle a demandé si elle pouvait l’arrêter en vertu du paragraphe 259(4) du CCC pour les permis suspendus.

Ai répondu « oui »

Seulement après j’ai vu que le dossier était en cours.

Il m’a semblé qu’à un moment elle a dit que le permis était suspendu en raison d’une conduite avec facultés affaiblies – supposition? Condamné.

Shannon n’a jamais dit qu’il s’agissait d’une suspension en raison d’une accusation provinciale. N’a jamais mentionné la possibilité.

Je ne me souviens pas de la conversation exacte.

Juste qu’il était là, que l’ADA avait donné comme résultat un avertissement, que son permis était suspendu en raison d’une conduite avec facultés affaiblies.

J’en ai fait une présomption.

Je ne peux pas affirmer avec certitude que le terme provincial a été mentionné, parce que, si cela avait été le cas, j’aurais eu le déclic et j’aurai traité cette question comme étant de nature provinciale.

Je devrais peut-être consigner plus de renseignements sur les échanges entre les agents. Je le ferai dorénavant.

[…]

71        Mme Smith a déclaré avoir parlé à la sergente Devoe à une autre reprise, après avoir interrogé la fonctionnaire.

72        Mme Smith a témoigné et ses notes indiquent qu’elle a interrogé la fonctionnaire, en présence de M. Anderson et d’un représentant de l’agent négociateur, le 22 juin 2009. Les notes de Mme Smith de cette entrevue, que la fonctionnaire a examinées et paraphées, ont été déposées en preuve. En voici les parties pertinentes :

          [Les mots en caractères gras sont les questions, et les réponses de la fonctionnaire ne sont pas en caractères gras.]    

                   [Traduction]

                   […]

2) Le 7 mai[M. A] était au point d’entrée en tant que voyageur; il était également le conducteur du véhicule. Avant de faire affaire avec [M. A], vous avez été avisée par le surintendant intérimaire Bakke qu’il avait reçu l’avis du bureau de l’avocat de la Couronne selon lequel il ne soutenait pas une arrestation. À ce moment-là, avez-vous informé verbalement le surintendant intérimaire Bakke que vous procéderiez à l’arrestation de [M. A] quelles que soient les directives du bureau de l’avocat de la Couronne et de la direction locale?

Je ne me rappelle plus. Nous en avons parlé avant cela. Il m’a demandé de m’impliquer, je me suis impliquée. Je l’ai arrêté une fois que Judy (caporale de la GRC) en a fait la demande. Je me suis formé une opinion à la suite de ma conversation avec Judy.

a. Vous souvenez-vous d’avoir demandé au surintendant intérimaire Bakke d’oublier que la conversation entre vous deux a eu lieu et de simplement vous laisser tranquille?

Non. Je me souviens qu’il a dit que nous étions amis, qu’il aurait beaucoup de mal à m’imposer une mesure disciplinaire. Je lui ai dit qu’il avait l’uniforme et que, s’il devait imposer une mesure disciplinaire, il devait faire ce qu’il avait à faire et que j’avais fait ce que je devais faire. La conversation a eu lieu après que le gars a été placé dans une cellule. Nous avons discuté pendant deux jours, deux jours et demi. J’ai toujours pensé qu’on pouvait l’arrêter. Je pense que personne ne contesterait cela. J’ai demandé au surintendant Bakke d’exprimer par écrit ses opinions au sujet de ce qui avait été dit, de ce qui n’avait pas été dit. L’essentiel est que, si je me forme l’opinion qu’une personne peut être arrêtée, je l’arrête et je ne l’arrête pas si je n’ai pas cette opinion. Le surintendant Bakke est venu me trouver quand j’étais directement impliquée dans une saisie parce que j’étais la seule personne qui savait ce qu’ils faisaient. Il n’avait pas d’autre personne dans l’entrepôt commercial et aux opérations de la circulation qui savait ce qu’ils faisaient.

3) J’ai demandé une directive écrite et la directive écrite se lit comme suit [traduction] : « Veuillez noter que l’arrestation du sujet susmentionné (pour une conduite sous le coup d’une suspension du permis ou d’une interdiction) n’est pas soutenue ni autorisée par la direction de l’ASFC au point d’entrée de Coutts, en Alberta – conformément à l’avis donné par l’avocat de la Couronne en ce 7 mai 2009 ». Alors que l’on vous a donné une directive écrite, pourquoi avez-vous procédé à l’arrestation de [M. A]?

Vous aviez  [sic] le soutien de la Couronne. Mais j’avais le soutien du service de police local.

La direction a dit que la Couronne ne soutiendrait pas l’arrestation. J’avais le soutien et j’avais reçu une demande du détachement local de la GRC.

Mais pas de l’avocat de la Couronne. Nous n’appelons pas l’avocat de la Couronne.

Nous l’avons fait cette fois-ci. La façon dont je le voyais, c’est qu’il y avait une infraction au CCC, j’avais le pouvoir d’arrêter, le choix – le laisser partir au volant avec des facultés affaiblies, en état d’ébriété, avec un permis suspendu, et la sécurité publique.

Il était dans la fourchette d’avertissement? Il devrait être libéré. 0,10, ses facultés pouvaient être affaiblies. Je n’ai pas dit qu’il avait été arrêté pour un avertissement, il était en état d’ébriété. Il n’a pas été arrêté pour cela. Il a été arrêté parce qu’il était un conducteur sous le coup d’une interdiction. La sécurité publique, c’est dans l’intérêt supérieur de le laisser partir? […] Absolument pas, selon moi.

Quelle est la différence lorsque la GRC dit d’arrêter et que l’avocat de la Couronne dit de ne pas le faire? […] Vous avez dit que vous formez votre propre opinion (à l’ASF Davidson), comment cela a-t-il pu être possible? Cela semble contradictoire? L’avocat de la Couronne est-il un agent de la paix?

Non, mais c’est un officier de justice. Nous sommes les premiers intervenants pour la GRC, nous faisons ce que nous faisons, ils font ce qu’ils font. S’ils disent qu’ils ne viendront pas et qu’ils ne porteront aucune accusation, nous n’arrêtons pas. Des justifications – nous avons l’autorité d’arrêter, mais nous ne le faisons pas lorsqu’ils ne peuvent pas venir. Nous sommes les premiers intervenants, nous parlons à la GRC, si c’est cela qu’ils souhaitent, nous le faisons et je me suis formé une opinion. Je dois former une opinion et la GRC assiste, c’est elle qui en fin de compte portera des accusations.

Vous étiez d’avis qu’on pouvait l’arrêter? Je jouais un rôle de premier intervenant, j’ai formé une opinion et j’étais d’avis qu’on pouvait l’arrêter.

La caporale DeVOE a demandé l’arrestation? Absolument.

          […]

73        Le représentant de l’agent négociateur n’a pas témoigné.

74        Mme Smith a indiqué dans son témoignage et dans ses notes que, lorsqu’elle a demandé à la fonctionnaire si la sergente Devoe avait demandé l’arrestation, la fonctionnaire a répondu [traduction] : « Absolument. »

75        Les notes de Mme Smith indiquent que l’instruction écrite du 7 mai a été donnée à la fonctionnaire. Lorsqu’on a souligné ce qui était dit au sujet de l’avocat de la Couronne, la fonctionnaire a dit qu’elle « avait le soutien du service de police local ». Lorsqu’on a réitéré que la Couronne ne soutenait pas l’arrestation, la fonctionnaire a réitéré le fait qu’elle avait [traduction] « le soutien et la demande de la GRC locale ». Elle a déclaré ce qui suit [traduction] : « La façon dont je le voyais, c’est qu’il y avait une infraction au CCC [Code criminel]; j’avais le pouvoir d’arrêter. »

76        Mme Smith a déclaré dans son témoignage qu’elle avait parlé au gendarme Beaupre le 16 mai 2009. Elle a indiqué qu’il lui avait dit que la fonctionnaire lui avait posé quelques questions au sujet de l’arrestation de M. A. Le gendarme Beaupre a indiqué qu’il ne connaissait pas les réponses, alors il l’a dirigée vers la sergente Devoe. Durant le contre-interrogatoire, aucune question n’a été posée à Mme Smith au sujet de ses notes de sa discussion avec le gendarme Beaupre, qui indiquent en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Dit qu’il a entendu Shannon expliquer.

          Judy l’a reconnu comme son cas.

Pensait qu’il avait déjà comparu devant les tribunaux.

A dit que Shannon pouvait l’arrêter.

Avant de se rendre au point d’entrée, Judy est venue au bureau, a interrogé le CIPC, a découvert qu’il n’avait pas comparu devant les tribunaux et que la suspension était provinciale.

C’est pour cela qu’il a libéré [M. A] à son arrivée au PE.

[…]

77        Le gendarme Beaupre n’a pas témoigné.

78        Mme Smith a déclaré avoir parlé à la sergente Devoe après avoir interrogé la fonctionnaire parce que la fonctionnaire a indiqué que la GRC avait demandé que l’ASFC arrête M. A. Mme Smith a déclaré avoir demandé à la sergente Devoe si elle avait demandé à la fonctionnaire d’arrêter M. A, une question à laquelle la sergente Devoe a répondu qu’elle comprenait que la fonctionnaire allait faire l’arrestation après avoir demandé si elle pouvait ou non le faire.

79        M. Bakke a rédigé un sommaire des événements qui ont conduit à l’arrestation de M. A., en date du 29 mai 2009, lequel indique en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le 5 mai 2009

[…]

- 7 h 30 – la séance de breffage a été donnée au quart de jour […] Note dactylographiée de l’ASF Carruthers, insérée dans le breffage du 4 mai. Indiquant que l’ASF Rucker avait vu [M. A] en train de conduire. Le courriel indiquait qu’il était sous le coup d’une suspension de 6 mois pour des accusations portées contre lui (suspension automatique). La GRC est intéressée si nous l’attrapons en train de conduire.

- C’était aussi la première journée de travail de l’ASF Shannon Davidson après une période de congé.

- On a discuté de la question de savoir si l’individu pouvait être arrêté par l’ASFC. J’ai indiqué au personnel que je n’en étais pas certain, mais que j’obtiendrais une réponse.

– L’ASF Davidson a indiqué que l’individu pouvait être arrêté par nous. Elle a dit [traduction] : « Je suis certaine à 100 %. »

[…]

Le 6 mai 2009

7 h 30 – J’ai donné la séance de breffage au quart de jour. J’ai indiqué que [M. A] ne pouvait PAS être arrêté puisque la suspension était de nature provinciale et que nous n’avons pas l’autorité d’arrêter pour des infractions provinciales.

– Shannon a répété que l’individu POUVAIT être arrêté par l’ASFC. Une discussion a eu lieu avec elle durant la séance de breffage. Je lui ai demandé de me montrer une loi qui nous permettait de le faire, puisqu’il faut s’appuyer sur quelque chose. Elle a dit qu’elle le ferait.

– Shannon est venue me trouver dans mon bureau après la séance de breffage, elle était très déçue que je « ne la croie pas ». Je lui ai dit que le sujet de ma séance de breffage se fondait sur des conseils donnés par le surintendant Anderson le jour précédent. Elle a sorti le Code criminel et m’a montré les paragraphes 259(4) et (5), Conduite durant l’interdiction. Elle a pris le téléphone et a appelé son mari, un membre du service de police régional de Lethbridge (LRPS). Elle a dit qu’il me l’expliquerait. Il a indiqué que le LRPS procédait à des arrestations avant de déterminer si la suspension était provinciale ou non. J’ai accepté d’emblée cette conversation – j’avais encore des doutes sur la question; puisque je n’avais pas reçu d’avis du surintendant Anderson. J’ai dit à Shannon que je devais me fier à autre chose que ses mots […] Concernant l’article 259, j’ai dit que je ne savais pas si la suspension du permis de [M. A] répondait à la définition d’une « interdiction » – qui rendrait son arrestation possible par l’ASFC. Elle a répondu [traduction] : « Cela n’a pas d’importance. »

(J’ai plus tard appris que pour tomber dans le champ d’application de l’article 259, l’individu doit avoir été condamné de l’infraction; ce qui n’était pas le cas pour [M. A].)

[…]

– 8 h 50 – second appel téléphonique fait au détachement de Milk River de la GRC concernant le statut de la suspension de [M. A]. Un message a été laissé dans lequel j’ai demandé des précisions sur la distinction entre une suspension et une interdiction (CC) […] Je n’ai pas eu de réponse.

[…]

Le 7 mai 2009

– Vers 8 h 45 – J’ai reçu un appel du P6 de l’ASF Tyler Borg qui m’a indiqué que [M. A] se trouvait à la guérite.

[…]

– 8 h 50 – J’ai appelé le centre de répartition de la GRC pour demander que le détachement de la GRC me rappelle. Aucune réponse.

[…]

– Vers 9 h – Esther et moi-même avons appelé Steve Singer à son domicile pour lui demander son avis sur la question. Il a dit qu’on ne pouvait probablement PAS arrêter [M. A] puisqu’il s’agissait d’une question provinciale. Il a suggéré que nous appelions le bureau de l’avocat de la Couronne pour obtenir des conseils.

– Vers 9 h 30 – J’ai appelé le bureau de l’avocat de la Couronne et j’ai parlé avec [nom omis]. Son avis était de ne PAS arrêter l’individu et d’aviser la GRC. Il a dit que l’ASFC fournirait des preuves de la conduite dans le cadre de toute poursuite engagée contre l’individu. Il a dit que l’individu était coupable d’une infraction de conduite provinciale et que nous n’avions pas l’autorité requise pour l’arrêter. La suspension est provinciale dans l’attente de sa comparution devant le tribunal.

[…]

– J’ai demandé à Shannon si elle pouvait aider Colin à utiliser l’ADA et apporter l’appareil à l’inspection secondaire. Elle a accepté de le faire, mais a ajouté [traduction] : « si l’appareil indique une réussite – je l’arrêterai pour la suspension ». Je lui ai dit que j’avais reçu l’avis de l’avocat de la Couronne qui ne soutenait pas l’arrestation. Elle a réitéré sa position selon laquelle l’individu pouvait être arrêté, et qu’elle le ferait […]

[…]

80        M. Anderson a témoigné devant moi indiquant que la fonctionnaire lui avait dit et à Mme Smith qu’elle était d’avis que l’arrestation entrait dans le cadre de ses obligations légales, qu’il s’agissait d’une arrestation pour des motifs de nature criminelle, et qu’on lui avait [traduction] « demandé d’arrêter par la GRC ».

81        M. Anderson a déclaré avoir parlé avec M. Bakke le jour de l’arrestation lorsque M. Bakke lui a demandé son avis sur la question de savoir si l’ASFC avait l’autorité d’arrêter M. A. M. Anderson a déclaré avoir dit à M. Bakke qu’il ne pensait pas que l’ASFC avait l’autorité de le faire parce que, à sa connaissance, le permis de M. A avait été suspendu en vertu d’une loi provinciale, et que l’ASFC n’avait pas l’autorité requise dans ces circonstances.

82        M. Anderson a indiqué dans son témoignage qu’il avait vérifié auprès du palais de justice local l’accusation contre M. A, laquelle avait été portée en vertu de la Traffic Safety Act pour une conduite avec un permis qui avait été suspendu administrativement en vertu de la loi provinciale.

83        M. Anderson a indiqué que la GRC ne pouvait pas donner des ordres aux agents de l’ASFC et que, bien que l’ASFC respecte l’opinion et les conseils de la GRC, leurs organisations sont distinctes.

84        Au moment de l’arrestation de M. A, Matthew Rilkoff était un ASF travaillant au PE de Coutts. Il a travaillé à l’ASFC de 2007 à 2010. Il était présent lors de la séance de breffage de quart lorsque les renseignements au sujet de M. A et de sa suspension de permis ont été discutés. Il a déclaré que, si M. A était arrivé à la frontière lorsqu’il travaillait à la ligne d’inspection primaire, il aurait dirigé M. A vers l’inspection secondaire.

85        Lorsqu’on a demandé à M. Rilkoff ce qu’il aurait fait s’il avait été à l’inspection secondaire et qu’il avait été en contact avec M. A, il a répondu qu’il aurait déterminé les raisons pour lesquelles M. A avait été dirigé là et qu’il aurait interrogé le CIPC. M. Rilkoff a confirmé que, même si cette demande de renseignements avait révélé que le permis de M. A avait été suspendu, la raison de cette suspension n’aurait pas été indiquée. M. Rilkoff a déclaré que, pour déterminer la raison pour laquelle le permis avait été suspendu, il aurait fallu appeler la GRC. Il a également indiqué dans son témoignage qu’il comprenait qu’en vertu de la Loi sur les douanes (L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.)), un ASF a l’autorité d’arrêter une personne, pour faire appliquer le Code criminel. Il a déclaré estimer également qu’un ASF détient l’autorité d’arrêter des personnes pour des infractions qu’elles ont commises en vertu de la loi provinciale.

86        M. Rilkoff travaillait durant la matinée du 7 mai 2009, lorsque les événements entourant l’arrestation de M. A sont survenus. Il a déclaré que, selon lui, plusieurs autres ASF auraient pu aider M. Van Dyk en ce qui concerne l’utilisation de l’ADA et que M. Bakke n’était pas obligé d’envoyer la fonctionnaire qui, comme il le savait, avait une opinion bien arrêtée en ce qui a trait à l’arrestation de M. A.

87        La preuve n’a pas révélé l’imposition de mesures disciplinaires à quiconque, autre que la fonctionnaire, pour les agissements découlant de l’arrestation de M A, le 7 mai 2009.

B. Preuve de faits similaires

88        La fonctionnaire a témoigné au sujet d’une situation qui est survenue avant l’arrestation de M. A et qui l’impliquait ainsi que Mme Smith. La fonctionnaire a présenté en preuve un courriel datant du jour précédant l’arrestation de M. A (le 6 mai 2009, à 13 h 43), qu’elle avait envoyé à Mme Smith. Le courriel énonce en partie ce qui suit :

                   [Traduction]

                   […]

Conformément à notre conversation téléphonique de l’autre jour au sujet de l’indication « avertissement » de l’ADA que j’avais obtenue. Vous m’avez dit d’émettre la suspension de 24 heures imposée à l’individu et j’ai simplement refusé en disant que je n’étais pas autorisée à faire cela, que c’était la GRC qui devait l’émettre. N’hésitez pas à transmettre ce courriel à [nom omis] puisque vous avez déclaré que c’est elle qui vous avait dit que nous émettions des suspensions de 24 heures.

J’espère simplement que vous comprenez maintenant pourquoi j’ai refusé de le faire; je me suis dit que cela vous fera gagner du temps et vous évitera d’avoir à le vérifier vous-même.

[…]

89        La fonctionnaire a déclaré qu’après avoir envoyé ce courriel, elle n’a reçu aucune réponse ni directive sur la question dont le courriel faisait état.

90        Ce courriel a été présenté à Mme Smith durant le contre-interrogatoire et on lui a posé la question suivante [traduction] : « N’avez-vous jamais conseillé d’émettre une suspension de 24 heures? » Elle a répondu ne pas se souvenir de l’avoir fait, mais a confirmé que cela a dû se produire, faisant référence au courriel.

91        La fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que, à un certain moment en 2010, elle a de nouveau observé M. A entrant dans le pays par le PE de Coutts, et qu’une nouvelle fois, son permis avait été suspendu. Elle a indiqué que, à ce moment-là, elle l’avait aussi arrêté, et qu’elle n’avait pas fait l’objet de mesure disciplinaire; au contraire, elle a reçu une mention élogieuse. Un courriel de son superviseur a été déposé en preuve dans lequel on l’a félicité pour l’arrestation de M. A à ce moment ultérieur (en 2010).

C. Question liée à la production documentaire et preuves de M. Schaffer

92        Cette audience devait au départ avoir lieu les 28 et 29 octobre 2015. Le 23 octobre 2015, la Commission a reçu une demande de la fonctionnaire pour la production de certains documents, ce qui incluait des notes, des lettres, des rapports et des courriels écrits par les témoins de l’employeur en ce qui a trait à l’arrestation de M. A. Le 23 octobre 2013, j’ai ordonné la divulgation des documents.

93        La preuve dans cette affaire a été entendue en grande partie durant deux blocs de jours, à peu près à un an d’intervalle (les 28 et 29 octobre 2015 et du 12 au 14 octobre 2016). Durant le second bloc de jours, le représentant de la fonctionnaire a informé la fonctionnaire qu’elle avait reçu de la documentation au moyen d’une demande d’accès à l’information et protection des renseignements personnels (AIPRP) qui avait été présentée longtemps avant le début de l’audience. Les documents n’avaient été reçus que, selon les termes du représentant de l’agent négociateur, [traduction] « assez récemment ». En outre, certains des documents auraient pu faire l’objet de mon ordonnance du 23 octobre 2015.

94        Cela a donné lieu à certaines questions difficiles en matière de preuve puisque l’employeur avait déjà terminé la présentation de sa preuve et que la fonctionnaire était sur le point de soumettre des documents potentiels à ses témoins restants. Dans le cours normal de la procédure, ces documents ou questions qui en découlent auraient déjà été soumis aux témoins antérieurs.

95        Étant donné ces circonstances, j’ai déterminé que les documents et les questions connexes faisant l’objet de l’ordonnance de production et qui avaient été obtenus dans le cadre de la demande d’AIPRP pouvaient être soumis aux derniers témoins de la fonctionnaire à condition que l’employeur puisse rappeler ses témoins, s’il décidait de le faire, pour répondre aux questions qui auraient été soulevées uniquement en raison du fait que la fonctionnaire n’avait pas en sa possession ces documents lorsque ces témoins ont témoigné. En ce qui concerne tous les autres documents obtenus dans le cadre de la demande d’AIPRP et non visés par l’ordonnance de production du 23 octobre 2015, j’ai décidé que j’attendrais de voir si ces documents avaient des conséquences.

96        M. Schaffer a été le premier témoin de la reprise d’audience le 12 octobre 2016, soit après que la question liée aux documents de l’AIPRP m’a été communiquée.

97        La preuve de M. Schaffer portait en grande partie sur son retrait de l’enquête d’établissement des faits et sur l’allégation selon laquelle il avait, avec Mme Smith, interrogé M. Bakke. Aussi bien Mme Smith que M. Bakke ont contesté le fait que M. Schaffer et Mme Smith avaient interrogé M. Bakke. Aucune note n’a été produite indiquant qu’une entrevue avait eu lieu. Toutefois, une chaîne de courriels, visée par mon ordonnance du 23 octobre 2015, a été produite; laquelle incluait les courriels suivants :

  • un courriel de Mme Smith à M. Schaffer et M. Bakke avec en copie M. Axten et Mme VandenBerg, en date du 26 mai 2009, à 20 h 22;
  • un courriel de M. Bakke à Mme Smith avec en copie M. Schaffer, M. Axten et Mme VandenBerg, en date du 30 mai 2009, à 11 h 56.

98        Dans son courriel du 26 mai 2009, Mme Smith a écrit en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La semaine dernière, nous avons discuté de la situation concernant Shannon et certains détails importants ont été mentionnés durant la conversation. Chacun d’entre vous pourrait-il rédiger un compte rendu détaillé de vos discussions, rapports et conseils eus avec elle concernant la question du permis suspendu. Assurez-vous d’inclure le fait qu’elle a dit que cela n’avait pas d’importance que la suspension soit fédérale ou provinciale, que l’on pouvait l’arrêter dans les deux cas, qu’elle a appelé son mari et vous a demandé de parler avec lui, sur quoi portait la conversation […] A-t-il mentionné quoi que ce soit qui indiquait qu’il connaissait les détails particuliers de cette situation. Tout ce dont vous pouvez vous rappeler et mettez-le par écrit concernant la situation, cela pourrait être utile.

[…]

99        Après la clôture de la preuve de la fonctionnaire, l’employeur a choisi d’appeler à nouveau trois de ses témoins pour répondre spécifiquement à la preuve présentée par M. Schaffer.

100        M. Bakke a été appelé à répondre et on lui a posé une question. Le représentant de la fonctionnaire a demandé une suspension d’audience pour examiner et prendre en considération les documents découlant de la demande d’AIPRP et a avisé l’audience qu’il envisageait d’en soumettre certains à M. Bakke. Cela a suscité un nouveau débat sur les documents découlant de la demande d’AIPRP qui n’étaient pas visés par mon ordonnance de production du 23 octobre 2015. À ce moment-là, le représentant de la fonctionnaire a indiqué que, bien que la demande d’AIPRP ait été présentée en 2012, la fonctionnaire a en réalité reçu les documents demandés avant le premier jour de l’audience (le 28 octobre 2015). Elle les avait donc en sa possession lorsque tous les témoins précédents ont présenté leurs éléments de preuve. Cela contredisait totalement ce que l’on m’avait dit le jour précédent.

101        La fonctionnaire a alors indiqué qu’elle avait en sa possession les documents avant les journées de l’audience d’octobre 2015, mais qu’elle ne les avait communiqués au représentant de son agent négociateur que juste avant les journées d’audience d’octobre 2016. Cela incluait les documents pour lesquels, le jour précédent la fonctionnaire avait allégué qu’ils avaient fait l’objet de mon ordonnance du 23 octobre 2015, et que l’employeur n’aurait prétendument pas produits.

102        Étant donné ces faits, j’ai décidé de ne permettre la soumission d’aucun autre document ni d’aucune autre question découlant des documents obtenus au moyen de la demande d’AIPRP aux témoins de l’employeur qui avaient déjà témoigné, puisque la fonctionnaire les avait en sa possession avant le début de l’audience. Ils auraient dû être soumis aux témoins lorsque ces derniers ont initialement témoigné.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

103        L’employeur a fait valoir que, selon la prépondérance des probabilités, il a prouvé que la fonctionnaire avait fait acte d’insubordination le 7 mai 2009, lorsqu’elle a arrêté M. A, malgré les instructions verbales et écrites de la direction de l’ASFC. De l’avis de l’employeur, la mesure disciplinaire imposée était proportionnée et adéquate en toutes circonstances.

104        La preuve a démontré que M. Bakke avait consulté plusieurs personnes concernant la capacité d’arrêter M. A, notamment l’avocat de la Couronne local. Le 6 mai 2009, M. Bakke a informé le personnel du fait que M. A ne pouvait pas être arrêté. La fonctionnaire n’était pas du même avis, et une discussion subséquente a eu lieu, ainsi qu’un appel téléphonique à son mari, qui travaillait pour le LRPS.

105        Le 7 mai 2009, M. A est arrivé au PE de Coutts et a été dirigé vers l’inspection secondaire, où M. Bakke a demandé à la fonctionnaire de se rendre pour aider M. Van Dyk à utiliser un ADA. Elle a indiqué à M. Bakke que, même si M. A réussissait le test de l’ADA, elle l’arrêterait. M. Bakke a déclaré lui avoir dit qu’il avait obtenu l’avis de l’avocat de la Couronne local, qu’il était prêt à suivre. M. Bakke a indiqué que la fonctionnaire lui avait dit que, s’il lui donnait l’ordre de ne pas arrêter M. A, elle voulait alors que cet ordre soit mis par écrit. Il a répondu à sa demande et a produit l’instruction écrite du 7 mai, qui indique clairement que la direction de l’ASFC ne soutenait pas ni n’autorisait l’arrestation de M. A pour une conduite avec un permis suspendu.

106        On a demandé à la fonctionnaire d’offrir à M. Van Dyk un rappel sur l’utilisation de l’ADA, ce qu’elle a fait. On ne lui a pas demandé de faire autre chose. Elle aurait pu quitter l’inspection secondaire à ce moment-là, mais ne l’a pas fait. Plutôt que de faire cela, elle est restée là, a appelé le détachement de Milk River de la GRC et a finalement parlé à la sergente Devoe.

107        La fonctionnaire a demandé à la sergente Devoe si elle avait l’autorité d’arrêter M. A en vertu de l’article 259 du Code criminel.La sergente Devoe a indiqué dans son témoignage qu’elle avait demandé à la fonctionnaire la raison pour laquelle M. A était sous le coup d’une interdiction de conduire et que la fonctionnaire lui avait dit que cela était en raison d’une conduite avec facultés affaiblies.

108        M. Bakke a témoigné en disant qu’il avait essayé de joindre la GRC, mais qu’il n’était jamais parvenu à parler à quelqu’un. La fonctionnaire est parvenue à joindre la sergente Devoe, mais n’a pas essayé d’obtenir auprès d’elle des renseignements pertinents.

109        La fonctionnaire n’a pas dit à la sergente Devoe que la direction de l’ASFC n’avait pas autorisé l’arrestation de M. A; elle ne lui avait pas dit non plus que M. Bakke avait communiqué avec l’avocat de la Couronne, qui avait donné son avis sur la question. La sergente Devoe était chez elle et en congé, mais, parce que le gendarme Beaupre était nouveau et avait peu d’expérience, elle est allée au détachement de Milk River de la GRC, et après avoir examiné de plus près la situation, elle a déterminé que M. A n’avait été condamné pour aucune des accusations portées contre lui.

110        Lorsqu’elle a parlé à la sergente Devoe, la fonctionnaire a eu l’occasion de clarifier la question et d’obtenir des renseignements exacts sur la suspension du permis de M. A, mais, elle n’a pas saisi cette occasion. Elle aurait dû indiquer à M. Bakke qu’elle avait parlé à la sergente Devoe; elle ne l’a pas fait.

111        Les rapports écrits de la fonctionnaire indiquent que la GRC lui avait donné l’ordre d’arrêter M. A, ce qui contredit directement les preuves données par la sergente Devoe. La sergente Devoe a déclaré qu’elle n’avait pas ordonné ni demandé à la fonctionnaire ou à l’ASFC d’arrêter M. A en son nom ou au nom de la GRC.

112        Selon la preuve, M. A a été en détention pendant un peu plus d’une heure. La fonctionnaire s’est demandé si, en tant que surintendant, M Bakke pouvait autoriser la libération de M. A.

113        M. Axten a déclaré dans son témoignage qu’après l’arrestation, la fonctionnaire a parlé à M. Bakke et, à ce moment-là, elle lui a dit qu’elle avait parlé à la GRC. À ce stade-là, M. Bakke ne savait pas de quoi elle avait discuté avec la GRC.

114        Bien que le manuel fasse mention du fait qu’un surintendant a l’autorité d’ordonner qu’une personne soit libérée, il stipule que cela peut être fait lorsqu’il est évident que des accusations ne seront pas portées ou que la présence de la personne n’est plus requise au PE. Toutefois, cela n’est pas pertinent puisque la fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour son insubordination et pour avoir arrêté M. A.

115        M. Bakke a témoigné en disant que la fonctionnaire lui avait dit après avoir effectué l’arrestation qu’elle s’attendait à recevoir une mesure disciplinaire pour ses agissements, ce qui confirme le fait qu’elle savait qu’elle avait désobéi à un ordre direct.

116        M. Axten a indiqué dans son témoignage que, lorsqu’il a décidé d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire, il a pris en compte plusieurs facteurs atténuants, dont le fait qu’à l’origine, elle n’a démontré aucun remords, mais que toutefois, après une pause brève, elle en a démontré un peu. Il a également pris en compte ses années de service et le fait qu’elle n’ait aucun dossier disciplinaire. Il a déclaré dans son témoignage qu’il avait jugé la fonctionnaire comme étant insubordonnée puisqu’elle ne s’était pas conformée à un ordre. Arrêter une personne a des conséquences; M. A aurait pu intenter une poursuite contre l’ASFC. En l’arrêtant, la fonctionnaire l’a privé de ses droits.

117        La fonctionnaire a ignoré l’avis de l’avocat de la Couronne local, que M. Bakke lui avait remis.

118        L’employeur m’a renvoyé aux affaires suivantes : Cavanagh c. Agence du revenu du Canada, 2015 CRTEFP 7; Mullins c. Administrateur général (ministère de l’Environnement), 2013 CRTFP 21; Focker c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 7, Byfield c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 119; Noel c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2002 CRTFP 26; Trilea-Scarborough Shopping Centre Holdings Ltd. c. S.E.I.U., Loc. 204 (1990), 14 L.A.C. (4e) 396; Volvo Canada Ltd. c. T.U.A., local 720 (1990), 12 L.A.C. (4e) 129.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

119        Dans le cadre de la présentation des arguments de la fonctionnaire, un désaccord est survenu entre la fonctionnaire et le représentant de son agent négociateur, qui a donné lieu à des divergences irréconciliables. Étant donné les circonstances particulières, le jour d’audience final a été reporté avant qu’elle ait achevé son argumentation finale pour leur permettre de résoudre leurs différends.

120        L’audience a repris pour terminer l’argumentation de la fonctionnaire le 21 février 2017, date à laquelle elle avait un autre représentant de l’agent négociateur, lequel a conclu la plaidoirie finale. La présente décision tient compte des arguments soulevés par les deux représentants.

121        La fonctionnaire a fait valoir que la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si elle a agi ou non d’une manière qui justifierait l’imposition d’une mesure disciplinaire. Le fardeau de la preuve incombait à l’employeur et ce dernier ne s’en est pas acquitté.

122        M. Bakke n’a jamais donné d’ordre. La fonctionnaire a arrêté M. A après que la GRC lui a demandé de le faire. Elle n’a pas fait preuve d’insubordination et n’a pas enfreint la Loi sur les douanes.

123        L’employeur n’a pas agi de façon honnête et transparente lorsqu’il a mené son enquête.

124        L’employeur a soutenu que M. Bakke avait appelé l’avocat de la Couronne, qui, selon la déclaration de l’employeur, a conseillé de ne pas arrêter M. A. Ce sont des ouï-dire; l’avocat de la Couronne n’a pas témoigné. En revanche, la fonctionnaire a appelé la GRC, qui lui a donné pour consigne de procéder à l’arrestation.

125        À aucun moment M. Bakke n’a empêché la fonctionnaire d’agir comme elle l’a fait ni n’a libéré M. A, une fois l’arrestation faite. M. Bakke a déclaré qu’il avait laissé la situation suivre son cours.

126        M. Anderson a indiqué qu’il ne savait pas initialement si le permis de M. A avait été suspendu en raison d’une infraction fédérale ou provinciale.

127        La sergente Devoe a déclaré avoir reçu un appel téléphonique de la fonctionnaire, qui lui a demandé si elle pouvait arrêter M. A. Après cet appel, la sergente Devoe a communiqué avec le centre de répartition de la GRC à Milk River et a déterminé que M. A n’avait pas été condamné. Par conséquent, la suspension était de nature provinciale, et pour cette raison, aucune accusation ne pouvait être portée contre M. A et ce dernier devait être libéré. La sergente Devoe n’a jamais rappelé le PE de Coutts.

128        M. Axten a indiqué dans son témoignage qu’aucune autre personne n’avait fait l’objet de mesure disciplinaire. Les ASF doivent respecter la Charte. Il a ensuite indiqué qu’il considérait la fonctionnaire comme une bonne agente; toutefois, une mesure disciplinaire lui a été imposée.

129        M. Bakke avait connaissance de l’opinion de la fonctionnaire quant au permis suspendu de M. A. Il l’a placée dans la position difficile de devoir faire affaire avec M. A; il aurait pu demander à une autre personne d’aider M. Van Dyk, mais ne l’a pas fait.

130        La fonctionnaire a agi de bonne foi.

131        Mme Smith a menti au sujet de l’entrevue avec M. Bakke.

132        Mme Smith a déclaré que deux ASF lui avaient dit qu’ils pensaient que M. Schaffer et la fonctionnaire étaient en train de discuter de l’enquête. Cependant, Mme Smith n’était pas en mesure d’identifier ces deux ASF, ce qui a mis la machine en route pour monter un coup contre la fonctionnaire.

133        La fonctionnaire a indiqué avoir appelé la GRC pour confirmer que les accusations étaient de nature fédérale, conformément au Code criminel, et a ensuite déterminé que M. A pouvait être arrêté après cet appel. Elle avait la conviction que M. A s’apprêtait à commettre une infraction au Code criminel, comme l’a confirmé la GRC. Elle a agi avec toute la diligence requise.

134        La fonctionnaire a essayé de montrer à M. Bakke que l’autorité existait. Elle a exprimé clairement ses intentions; personne n’avait aucun doute sur le fait que la fonctionnaire était convaincue qu’elle avait l’autorité d’arrêter M. A pour une conduite avec un permis suspendu.

135        En 2010, lorsque la fonctionnaire a arrêté une personne pour une conduite avec un permis suspendu, elle a obtenu des félicitations. Personne ne lui a dit à ce moment-là qu’elle avait effectué une arrestation illégale.

136        L’instruction écrite du 7 mai est courte et ne constitue pas un ordre. Elle aurait pu être plus précise.

137        L’un des représentants de la fonctionnaire a soutenu durant sa plaidoirie finale qu’un coup avait été monté contre la fonctionnaire. Si M. Bakke avait tant la certitude que M. A ne devait pas être arrêté pour une conduite avec un permis suspendu, il n’aurait pas dû envoyer la fonctionnaire aider à l’inspection secondaire. Son nouveau représentant a soutenu durant sa plaidoirie finale que M. Bakke avait envoyé la fonctionnaire aider M. Van Dyk à utiliser l’ADA parce qu’il avait confiance en elle et en ses capacités.

138        Une certaine confusion régnait; les ASF et les surintendants étaient confus. La situation aurait pu être mieux gérée.

139        La fonctionnaire m’a renvoyé à la Partie 6, Chapitre 1 du manuel, qui confère à chacun un droit à la protection contre une détention ou un emprisonnement arbitraire et qui précise également que les surintendants ont la responsabilité d’examiner l’arrestation d’une personne et l’autorité de la libérer. Une fois que M. A avait été arrêté, M. Bakke aurait pu le libérer; il ne l’a pas fait, ce qui signifie qu’il a approuvé les agissements de la fonctionnaire. Il aurait dû exercer son pouvoir de ne pas poursuivre, ce qui met en cause sa crédibilité. Il s’en est remis à la GRC et au fait que des accusations seraient portées en vertu du Code criminel.

140        Une certaine dose de flexibilité et d’indépendance en matière de décisions est importante pour faire d’une personne un bon ASF. La fonctionnaire a agi de bonne foi, ayant la conviction qu’une infraction au Code criminel était commise. Elle pensait que l’arrestation de M. A était à 100 % légale.

141        La matinée de l’arrestation, M. A avait reçu la note de l’Avertissement au test de l’ADA.

142        La preuve de M. Bakke est contestable. Ses notes ont été prises après les faits et semblent rédigées de façon à l’isoler et à le protéger contre toute responsabilité. S’il était à ce point convaincu, pourquoi a-t-il demandé à la fonctionnaire d’aller aider M. Van Dyk? Pourquoi n’a-t-il pas mis fin à l’arrestation après qu’elle a eu lieu? Il ne l’a pas fait parce qu’il avait toujours des doutes. M. Bakke aurait dû et aurait pu ordonner la libération de M. A; il ne l’a pas fait, ce qui met directement en cause la crédibilité de M. Bakke.

143        La situation devrait être considérée comme une expérience d’apprentissage. La fonctionnaire ne devrait pas en payer le prix.

144        Une enquête appropriée d’établissement des faits n’a même pas eu lieu. Mme Smith et M. Anderson étaient impliqués dans l’incident en question. L’intention était que la fonctionnaire en fasse les frais; personne d’autre n’a fait l’objet de mesure disciplinaire. Trop de personnes impliquées dans l’incident ont pris part à l’enquête d’établissement des faits.

145        La fonctionnaire a fait preuve de cohérence dans sa preuve et ses rapports, lesquels étaient cohérents avec la preuve présentée par les autres témoins.

146        La fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’elle avait depuis lors effectué des arrestations de cette nature lorsqu’elle avait la conviction que des actions illégales avaient lieu.

147        La fonctionnaire m’a renvoyé aux affaires United Steelworkers of America, Local 3257 v. Steel Equipment Co.(1964), 14 L.A.C. 356; Turner c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2006 CRTFP 58; Flewwelling c. Canada,[1985] F.C.J. No. 1129 (QL)(C.A.); Courchesne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-02-12299 (19820719), [1982] C.P.S.S.R.B. No. 119 (QL); Horne c. Agence Parcs Canada, 2014 CRTFP 30; Esquimalt (canton) c. SCFP, Local 333 (2009), 96 C.L.A.S. 506.

148        La fonctionnaire a demandé que le grief soit admis et qu’elle se voie rembourser toutes les pertes monétaires.

149        Si, subsidiairement, j’en arrive à la conclusion qu’une mesure disciplinaire était justifiée, que celle-ci soit réduite. La fonctionnaire compte de nombreuses années de service durant lesquelles elle a eu une bonne conduite et n’a fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire. Il s’agissait d’un incident isolé et d’un égarement passager et d’un cas où elle a agi de bonne foi.

C. La réponse de l’employeur

150        La fonctionnaire a fait référence aux notes du 16 mai de Mme Smith, lesquelles mentionnent l’entrevue téléphonique menée avec la sergente Devoe. La fonctionnaire fait référence à la première page de ces notes. L’employeur a soutenu que les notes devaient être lues dans leur intégralité et a spécifiquement précisé la référence à la page deux, où il est écrit que la sergente Devoe a déclaré ce qui suit [traduction] : « Elle (Shannon) n’a jamais dit qu’il s’agissait d’une suspension en raison d’une accusation provinciale. N’en a jamais mentionné la possibilité […] Je ne peux pas affirmer avec certitude que le terme provincial a été mentionné, parce que, si cela avait été le cas, j’aurais eu le déclic et j’aurai traité cette question comme étant de nature provinciale. »

151        Mme Smith a également dactylographié ses notes d’entrevue. Elle a eu une seconde conversation avec la sergente Devoe le 3 juin 2009. Les notes font référence à la première ainsi qu’à la deuxième conversation avec la sergente Devoe. Les notes de M. Bakke ont aussi été déposées en preuve.

152        La fonctionnaire a fait référence aux notes du 16 mai de Mme Smith, à la mention du gendarme Beaupre et à l’indication dans les notes selon laquelle [traduction] « Shannon peut arrêter ». L’employeur a demandé que j’examine la preuve de Mme Smith à ce sujet.

153        La fonctionnaire a soutenu que c’était sa décision d’arrêter M. A, ce qui a contredit l’autre preuve soumise, notamment :

  1. lee rapport de la fonctionnaire, en date du 7 mai 2009, dans lequel elle a écrit ce qui suit [traduction] : « DEVOE m’a ordonné d’utiliser le paragraphe 259(4) du Code criminel pour arrêter [M. A] pour une conduite durant une interdiction et m’a dit que le gendarme BEAUPRE arriverait au point d’entrée. »;
  2. son rapport, non daté, dans lequel elle a écrit ce qui suit [traduction] : « La caporale J. DEVOE m’a donné comme consigne d’arrêter

154        La fonctionnaire a soutenu que la preuve de M. Bakke était douteuse parce que la référence dans son rapport du 29 mai au 9 mai 2009, à 7 h 30 indiquait ce qui suit [traduction] : « J’ai donné la séance de breffage au quart de jour. J’ai indiqué que [M. A] ne pouvait PAS être arrêté puisque la suspension était de nature provinciale et que nous n’avons pas l’autorité d’arrêter pour des infractions provinciales », et que, quelques heures plus tard, il a envoyé un courriel à M. Lang, à Winnipeg, demandant s’il était possible d’arrêter M. A en vertu de l’article 495 du Code criminel. L’employeur a demandé que je lise l’intégralité de la saisie dans le rapport du 29 mai de M. Bakke pour le 9 mai 2009, parce que, juste après la réunion, il a eu une autre discussion avec la fonctionnaire. Cela a donné lieu à l’appel téléphonique avec le mari de la fonctionnaire au cours duquel la question de l’arrestation a été débattue davantage. C’est cela qui a ensuite donné lieu à l’envoi d’un courriel à M. Lang.

155        L’employeur a soutenu que, tout au long du témoignage de la fonctionnaire, elle n’a accepté la responsabilité d’aucun de ses actes; elle a rejeté la faute sur son employeur et sur la GRC. M. Bakke aurait dû libérer M. A après avoir été mis au courant de l’arrestation; la sergente Devoe (ou le gendarme Beaupre) aurait dû appeler le PE de Coutts dès qu’elle s’est rendu compte que l’infraction avait été commise en vertu de la loi provinciale et non en vertu du Code criminel. L’ASF Van Dyk aurait dû l’empêcher d’arrêter M. A. Cela est contradictoire à la position prise par la fonctionnaire lors de l’audience disciplinaire, où elle n’a initialement montré aucun remord et se montrait frustrée, mais après une courte pause, elle a déclaré qu’elle aurait dû laisser M. Bakke parler à la sergente Devoe le 7 mai 2009. Cela a été important pour M. Axten au moment de déterminer la sanction disciplinaire et cela a déterminé, en fin de compte, la quantité de discipline imposée.

156        En ce qui concerne l’implication de M. Van Dyk, M. Axten n’a jamais été interrogé sur la raison pour laquelle aucune mesure disciplinaire ne lui avait été imposée. La fonctionnaire ne pouvait pas se fonder sur ce point parce qu’elle n’a jamais posé la question. Et la preuve indique clairement que ce n’est pas M. Van Dyk qui a arrêté M. A.

157        La fonctionnaire a fait référence au protocole. Au paragraphe 4, il porte sur les pouvoirs élargis de l’ASFC concernant les infractions au Code criminel. L’employeur a soutenu que ce paragraphe devait être lu en combinaison avec le paragraphe 16, qui énonce clairement que ces pouvoirs élargis ne s’appliquent pas pour les infractions provinciales (y compris pour les violations aux codes de la route provinciaux).

158        La fonctionnaire a contesté la preuve présentée par Mme Smith et sa bonne foi. On a demandé à Mme Smith de mener une enquête d’établissement des faits. Elle n’a fait aucune recommandation et n’a pas participé au processus de décision lié à la sanction disciplinaire. La fonctionnaire a contesté ce qu’elle a considéré comme un incident antérieur impliquant Mme Smith, lequel représente une question distincte qui n’est pas du tout pertinente dans la présente affaire, au cours duquel Mme Smith avait déclaré que la fonctionnaire n’avait pas fait preuve d’insubordination.

159        La fonctionnaire a soulevé une question quant à la crédibilité de Mme Smith qui a apparemment été indiquée dans sa preuve. Ce document n’a jamais été déposé en preuve.

160        La fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait enfreint la règle tirée de Browne c. Dunn (1893) 6 R. 67, H.L. Lorsqu’il a procédé au contre-interrogatoire de M. Schaffer, l’employeur a informé ce dernier que les témoignages contradictoires anticipés de Mme Smith, de M. Bakke et de M. Axten donneraient lieu à une réponse, et M. Schaffer a eu l’occasion de répondre.

161        En ce qui a trait aux facteurs atténuants soumis par la fonctionnaire, M. Axten en a pris en considération certains au moment de déterminer la sanction disciplinaire à lui imposer.

162        La fonctionnaire a soutenu que le grief devrait être admis et que la mesure disciplinaire devrait être mise de côté. À titre subsidiaire, cette mesure disciplinaire devrait être au moins réduite à une réprimande écrite, et la situation devrait être traitée comme une expérience d’apprentissage.

163        L’employeur a affirmé que la fonctionnaire avait beaucoup d’expérience, qu’elle avait eu de nombreuses discussions concernant la question de l’arrestation avec son supérieur avant de procéder à l’arrestation, et qu’on lui avait clairement demandé de ne pas arrêter M. A, mais elle l’avait quand même fait.

164        L’employeur m’a renvoyé à Stewart c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 106 au paragraphe 62, dans lequel l’arbitre de grief a précisé ce qui suit : « En tant qu’ASF chargé d’assurer la sécurité des frontières canadiennes et en tant qu’agent de la paix, on attend du fonctionnaire qu’il respecte les ordres, qu’il agisse dans les intérêts supérieurs des Canadiens et Canadiennes et qu’il agisse en tout temps en faisant preuve d’intégrité et d’honnêteté. »

IV. Motifs

A. Mise sous scellés de documents

165        Les parties ont présenté à titre de preuve des copies de documents portant sur l’arrestation et la mise en accusation d’un citoyen canadien pour plusieurs infractions provinciales et au Code criminel. La personne en question n’était pas une partie dans la présente procédure. L’arrestation et les accusations portées contre cette personne constituent une partie du dossier en raison des actes accomplis par l’employeur et par la fonctionnaire lorsqu’ils ont abordé la question de sa relation de travail.

166        Dans Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 120, aux paragraphes 9 à 11, la CRTFP a déclaré ce qui suit :

9 La mise sous scellés de documents ou de dossiers déposés en vue d’une audience judiciaire ou quasi judiciaire va à l’encontre du principe fondamental consacré dans notre système de justice selon lequel les audiences sont publiques et accessibles. La Cour suprême du Canada a statué que l’accès du public aux pièces et aux autres documents déposés dans le cadre d’une procédure judiciaire était un droit protégé par la Constitution en vertu des dispositions sur la « liberté d’expression » de la Charte canadienne des droits et libertés; voir Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480; Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 (CanLII).

10 Cependant, la liberté d’expression et le principe de transparence et d’accessibilité publique des audiences judiciaires et quasi judiciaires doivent parfois être soupesés en fonction d’autres droits importants, dont le droit à une audience équitable. Bien que les cours de justice et les tribunaux administratifs aient le pouvoir discrétionnaire d’accorder des demandes d’ordonnance de confidentialité, de non-publication et de mise sous scellés de pièces, ce pouvoir discrétionnaire est limité par l’exigence de soupeser ces droits et intérêts concurrents. Dans Dagenais et Mentuck, la Cour suprême du Canada a énuméré les facteurs à prendre en considération pour déterminer s’il convient d’accepter une demande de restriction de l’accès aux procédures judiciaires ou aux documents déposés dans le cadre de ces procédures. Ces décisions ont mené à ce que nous connaissons aujourd’hui comme étant le critère Dagenais/Mentuck.

11 Le critère Dagenais/Mentuck a été établi dans le cadre de demandes d’ordonnance de non-publication dans des instances criminelles. Dans Sierra Club of Canada, la Cour suprême du Canada a précisé le critère en réponse à une demande d’ordonnance de confidentialité dans le cadre d’une procédure civile. Le critère adapté est le suivant :

  1. elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter le risque.
  2. ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

167        La question de cette audience était de déterminer si les actions de la fonctionnaire avaient constitué une inconduite lorsqu’elle a arrêté M. A. L’information contenue dans les documents concernant M. A n’est pertinente dans le cadre de l’audience que pour démontrer si son comportement avait été approprié dans l’exécution de ses fonctions en tant qu’ASF ou si certaines de ses actions avaient constitué une inconduite. L’identité de M. A, ainsi que les renseignements précis concernant sa ou ses différentes arrestations, accusations, condamnations et peines ne devraient pas être du domaine public. Il existe un risque grave d’atteinte à la vie privée de M. A, qui n’était pas une partie de la présente procédure. Ces circonstances personnelles ne sont pas pertinentes à l’affaire que je suis tenu d’examiner. En effet, M. A aurait pu faire appel avec succès des accusations, condamnations et peines lui étant imposées. De plus, il aurait très bien pu demander ou obtenir un pardon ou une suspension de son casier. Par conséquent, j’ordonne la mise sous scellés des documents soumis et inscrits comme pièce E-1, onglets 18 et 19.

168        Un grand nombre des autres documents déposés comme pièces mentionnent M. A en utilisant son nom, précisent son adresse et fournissent d’autres données d’identification telles que le nom de son employeur, son lieu de travail et des descriptions et autres renseignements au sujet de ses véhicules motorisés. Il serait contraire à l’intérêt de la justice ou au droit du public à un accès libre et gratuit au système de justice que tous ces documents soient mis sous scellés. Étant donné que le nom de M. A et d’autres données d’identification apparaissent, souvent tangentiellement, dans la plupart des autres documents, j’ordonne que son nom, son adresse, le nom de son employeur et son lieu de travail, ou d’autres données d’identification évidentes, lorsqu’ils apparaissent dans les documents déposés en preuve non mis sous scellés, soient retirés du dossier.

169        Conformément à A.B. c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2016 CRTEFP 23, la Commission, au paragraphe 105, a ordonné la mise sous scellés temporaire des dossiers pendant une période de deux semaines pour permettre aux parties d’assurer l’anonymat dans les documents. J’approuve ce raisonnement comme étant la mesure la moins intrusive pour établir un équilibre entre la protection du droit du public à des procédures ouvertes et accessibles et, dans un même temps, la protection de la vie privée des personnes qui ne sont pas directement impliquées dans la procédure. Par conséquent, j’ordonne que toutes les pièces soient mises sous scellés pendant une période d’un mois civil à compter de la date de la présente décision pour permettre à l’ASFC de fournir à la Commission des copies expurgées de ces pièces qui contiennent les renseignements suivants au sujet de M. A :

  • son nom, son adresse et son numéro de téléphone;
  • le nom, l’adresse et le numéro de téléphone de son employeur;
  • l’identification de tous ses véhicules motorisés ou de ceux de son employeur, y compris les numéros de plaques d’immatriculation et d’identification du véhicule.

170        Il semble également, d’après un examen du dossier de la Commission, que les parties ont identifié M. A par son nom dans leur correspondance avec la Commission. Par conséquent, j’ordonne que soit supprimé dans les dossiers de la Commission toute référence à M. A, et ce qui suit :

  • son adresse et son numéro de téléphone;
  • le nom, l’adresse et le numéro de téléphone de son employeur;
  • l’identification de tous ses véhicules motorisés ou de ceux de son employeur, y compris les numéros de plaques d’immatriculation et d’identification du véhicule.

B. Bien-fondé du grief

171        Les audiences d’arbitrage qui portent sur les mesures disciplinaires en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sont des audiences de novo, etla charge de la preuve incombe au défendeur. Toute question concernant l’enquête d’établissement des faits ayant donné lieu à la mesure disciplinaire imposée à la fonctionnaire a été corrigée par l’audience de novo devant moi.

172        Pour statuer sur des questions liées à la discipline, on prend habituellement en compte les trois questions suivantes (voir Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162,[1977] 1 C.L.R.B.R. 1 (QL)) : y a-t-il eu inconduite de la part de la fonctionnaire? Dans l’affirmative, les mesures disciplinaires imposées par l’employeur étaient-elles une sanction appropriée compte tenu des circonstances? Dans la négative, quelle autre sanction serait juste et équitable compte tenu des circonstances?

173        La mesure disciplinaire a été imposée parce que la fonctionnaire a arrêté M. A, le 7 mai 2009, après avoir reçu de sa direction la consigne de ne pas l’arrêter.

174        La fonctionnaire a soutenu que ce que M. Bakke lui a dit et lui a ensuite communiqué par écrit n’était pas un ordre; par conséquent, en l’absence d’un ordre, on ne peut pas conclure qu’elle y a désobéi. Pour cette raison, elle n’aurait pas dû faire l’objet d’une mesure disciplinaire pour insubordination. Elle a en outre soutenu qu’il ne s’agissait pas d’une instruction de l’avocat de la Couronne local comme cela est énoncé au Chapitre 7 de la Partie 6 du Manuel.

175        J’ai entendu de nombreux témoignages concernant le fait que, durant les deux journées qui ont précédé l’arrestation, M. Bakke avait des incertitudes quant à l’autorité de l’ASFC d’arrêter M. A en raison de la suspension de son permis ou d’une interdiction d’en détenir un si ce dernier était vu au volant de son véhicule à la frontière alors qu’il cherchait à entrer au Canada. La preuve a démontré que M. Bakke ne savait pas si M. A pouvait être arrêté en raison de son permis suspendu, puisque l’ASFC n’avait aucune preuve permettant de déterminer les raisons pour lesquelles son permis avait été suspendu; la suspension pouvant découler d’une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies ou pouvant être une suspension automatique en vertu de la loi provinciale sans condamnation.

176        Un permis peut être suspendu à la fois en vertu du Code criminel, auquel cas une conduite avec un permis suspendu constituerait une violation de ce Code, ou en vertu d’une loi provinciale (dans ce cas-ci la Traffic Safety Act de l’Alberta). Si la suspension s’effectue en vertu du Code criminel, elle relève de la compétence de l’ASFC. Par conséquent, un ASF aurait le pouvoir d’arrêter la personne. Toutefois, si la suspension a lieu en vertu de la Traffic Safety Act, alors elle ne relève pas de la compétence de l’ASFC. Par conséquent, un ASF n’aurait pas le pouvoir d’arrêter la personne. M. Bakke et la direction et les ASF du PE de Coutts faisaient face à cette incertitude les 5, 6 et 7 mai 2009.

177        Bien qu’il y ait de la preuve de l’incertitude de M. Bakke quant à la question de savoir si l’ASFC pouvait arrêter M. A, la fonctionnaire ne l’a pas communiquée. Sa preuve, en plus de celle de M. Bakke et de plusieurs autres témoins, et les documents dont elle est l’auteure, ont démontré qu’elle était d’avis que M. A pouvait certainement être arrêté s’il passait la frontière au volant d’un véhicule. Selon son témoignage, elle était certaine à 100 % de cela, et en effet, elle a indiqué que non seulement le matin du 7 mai 2009, son opinion n’avait pas changé, mais également qu’elle a dit à M. Bakke lors de la séance de breffage en matinée que cela n’avait pas d’importance que l’ASFC ne connaisse pas la raison de la suspension du permis de M. A; que cela constituait toujours une infraction du Code criminel.

178        Le matin du 7 mai 2009, M. A est arrivé au PE de Coutts au volant d’un véhicule motorisé. À ce stade-là, M. Bakke était toujours quelque peu incertain que M. A puisse être arrêté pour une conduite avec un permis suspendu. M. Bakke n’avait pas de réponse précise à la question de savoir si le permis de M. A avait été suspendu en vertu du Code criminel ou en vertu de la Traffic Safety Act provinciale malgré le fait qu’il avait pris plusieurs mesures pour effectuer cette détermination. Même s’il avait appelé le détachement de Milk River de la GRC, ce dernier ne l’avait pas rappelé ni n’avait répondu à sa question. De même, la fonctionnaire n’avait pas changé d’opinion au sujet de l’arrestation de M. A.

179        Dans ces circonstances, M. A est arrivé au PE de Coutts et a été dirigé ensuite vers l’inspection secondaire, où M. Van Dyk s’est occupé de lui. Il a déterminé qu’il était possible que M. A ait bu de l’alcool. M. Van Dyk avait besoin d’aide pour utiliser l’ADA, et M. Bakke a demandé à la fonctionnaire d’aller l’aider.

180        Bien que la fonctionnaire ait suivi sa consigne, se soit rendue à l’inspection secondaire et ait fourni l’aide dont M. Van Dyk avait besoin, dans son témoignage, elle a déclaré ce qui suit :

  • elle a dit à M. Bakke que, s’il l’envoyait à l’inspection secondaire, elle arrêterait M. A, même si le résultat du test de l’ADA n’indiquait pas un « échec »;
  • d’autres ASF étaient disponibles et compétents pour fournir une aide concernant l’ADA et auraient pu être envoyés.

181        M. Bakke a présenté en preuve qu’il avait dit à la fonctionnaire qu’il avait reçu l’avis de l’avocat de la Couronne local selon lequel M. A ne pouvait pas être arrêté parce qu’il était probable que son permis ait été suspendu en vertu de la loi provinciale. M. Bakke lui a dit qu’il était convaincu par l’avis qu’il avait reçu de l’avocat de la Couronne local. Il a indiqué que la fonctionnaire lui avait dit que, s’il lui donnait l’ordre de ne pas arrêter M. A, elle voulait alors que cet ordre soit mis par écrit. Il a déclaré que la discussion a pris fin lorsqu’elle est allée aider M. Van Dyk à utiliser l’ADA. M. Bakke est allé dans son bureau pour rédiger ce que l’on appelle désormais l’instruction écrite du 7 mai.

182        M. A s’est soumis au test de l’ADA. Selon la fonctionnaire, l’ADA a indiqué un Avertissement, ce qui signifie que le taux d’alcoolémie par 100 ml de sang était situé quelque part entre 50 et 99 mg; un résultat précis n’a pas été fourni. Quatre-vingts milligrammes (80 mg) d’alcool dans 100 ml de sang représentent la limite maximale légale autorisée en vertu du Code criminel.

183        Selon le Manuel, lorsque l’on obtient une indication d’Avertissement, l’ASF doit encourager le conducteur à ne pas poursuivre sa route au volant d’un véhicule; toutefois, si le conducteur choisit de le faire, l’ASFC n’a pas le pouvoir nécessaire pour l’en empêcher.

184        La fonctionnaire a déclaré dans son témoignage qu’après la réalisation du test de l’ADA, elle s’est rendue, accompagnée de M. Van Dyk, au bureau et a interrogé le CIPC au sujet de M. A. Selon son témoignage, elle a dit à M. Van Dyk qu’ils ne pouvaient pas arrêter M. A pour l’indication de l’Avertissement de l’ADA, puisqu’il ne s’agissait pas d’une infraction au Code criminel. Ainsi, la question concernait le permis suspendu.

185        La fonctionnaire a déclaré dans son témoignage que les résultats du CIPC montraient uniquement que le permis de M. A avait été suspendu, mais qu’ils ne précisaient pas la raison pour laquelle il l’avait été, ni s’il s’agissait d’une suspension en vertu du Code criminel ou d’une suspension de nature provinciale. Elle a déclaré que cette information n’était disponible que dans le MOVES. Toutefois, rien de cela n’était nouveau. Il s’agissait de la question précise en litige le 5 mai 2009, lorsque M. Bakke et la fonctionnaire ont eu leur première discussion au sujet de la question de savoir si la suspension du permis de M. A pouvait relever de la compétence de l’ASFC, ce qui permettrait ainsi à l’Agence de l’arrêter.

186        De plus, à ce moment-là, la fonctionnaire a déclaré ce qui suit :

  • M. Van Dyk a appelé le détachement de Milk River de la GRC et a laissé un message, faisant en sorte que le gendarme Beaupre a rappelé et que la fonctionnaire a parlé avec ce dernier;
  • M. Bakke est revenu et lui a donné l’instruction écrite du 7 mai;
  • M. Bakke ne lui a rien donné qui provenait de l’avocat de la Couronne local;
  • « Nous » ne savions pas s’il s’agissait d’une infraction provinciale ou fédérale.

187        La fonctionnaire a ensuite déclaré qu’elle a appelé la sergente Devoe, qui a témoigné. Son témoignage ne venait pas corroborer celui de la fonctionnaire.

188        Selon la fonctionnaire, elle a dit à la sergente Devoe ce qui suit :

  • M. A se trouvait au PE de Coutts;
  • il avait été soumis à un test de l’ADA et avait obtenu une indication d’Avertissement;
  • le CIPC indiquait que son permis était suspendu;
  • si la sergente Devoe souhaitait venir au PE, elle pourrait avec la fonctionnaire arrêter M. A en vertu du paragraphe 259(4) du Code criminel;
  • M. A avait été accusé de conduite avec facultés affaiblies au PE.

189        Selon le témoignage de la fonctionnaire, la sergente Devoe a dit que la fonctionnaire pouvait absolument arrêter M. A. Par contre, la sergente Devoe a déclaré ce qui suit :

  • elle était chez elle lorsque la fonctionnaire a appelé;
  • la fonctionnaire lui a demandé si elle pouvait arrêter M. A en vertu de l’article 259 du Code criminel pour une conduite durant une interdiction;
  • elle a indiqué avoir demandé à la fonctionnaire la raison pour laquelle M. A était sous le coup d’une interdiction de conduire et que la fonctionnaire lui a répondu [traduction] : « pour une conduite avec facultés affaiblies », après quoi la sergente Devoe a dit à la fonctionnaire qu’elle avait l’autorité d’arrêter M. A puisqu’il s’agissait d’une infraction au Code criminel.

190       Après cet appel, la fonctionnaire a procédé à l’arrestation de M. A, l’a mis en détention pendant un peu plus d’une heure et l’a placé dans une cellule du PE de Coutts jusqu’à l’arrivée du gendarme Beaupre. M. A a ensuite été libéré.

191        La preuve a démontré que M. A n’a été arrêté que parce qu’il conduisait avec un permis suspendu et qu’il n’y avait pas d’autre raison.

192        La lettre de discipline signée par M. Axten énonçait notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le processus d’enquête a permis de conclure que le 7 mai 2009, vous avez arrêté un voyageur après avoir reçu des directives verbales et écrites de la direction vous demandant de ne pas arrêter cet individu pour une conduite sous le coup d’une suspension du permis ou d’une interdiction puisque cela « n’est pas soutenu ni autorisé par la direction de l’ASFC au point d’entrée de Coutts, en Alberta – conformément à l’avis donné par l’avocat de la Couronne le 7 mai 2009 ». L’enquête a déterminé que cette directive écrite vous avait été remise en main propre par la direction environ 45 minutes avant que vous ne procédiez à l’arrestation. Après avoir reçu cette directive, vous avez néanmoins arrêté le voyageur. L’arrestation d’une personne est une question très grave; elle invoque les droits de la personne en vertu de la Charte, ce qui expose l’ASFC à de possibles poursuites civiles et à des procédures contentieuses coûteuses.

[…]

193        Le paragraphe 234 de Cavanagh énonce que la caractéristique essentielle de l’insubordination « […] est l’idée de s’opposer à l’autorité ». Le paragraphe 238 indique qu’une constatation d’insubordination exige la preuve de quatre éléments : qu’une directive ait été donnée par l’employeur; que cette directive ait été communiquée clairement à l’employé; que la personne ayant donné la directive ait l’autorité requise pour le faire; que le fonctionnaire ne se soit pas conformé au moins une fois.

194        Le paragraphe 240 de Cavanagh énonce le recours d’un employé s’il n’est pas d’accord avec une directive, soit obéir à la directive et se plaindre ensuite. Même si cela constitue la règle, cela ne signifie pas qu’il n’existe aucune exception. Toutefois, des exceptions à la règle « obéir d’abord, se plaindre ensuite » ne doivent être faites que dans des circonstances extraordinaires. Byfield, au paragr. 23, fait référence à des exceptions à cette règle, comme le fait de recevoir une instruction illégale ou la perception que la santé et la sécurité d’une personne est en danger.

195        Le Canadian Oxford Dictionary prévoit la définition suivante du terme « autoriser » : « Donner (à quelqu’un) la permission, le droit de faire quelque chose […] ». Le texte dans l’instruction écrite du 7 mai était [traduction] « n’est pas soutenue ni autorisée ». Si le terme « autoriser » signifie donner la permission ou l’approbation, l’ajout des adjectifs « ne pas » et « ni » à l’expression [traduction] « n’est pas soutenue ni autorisée » indique clairement que la situation contraire existait.

196        Je n’ai aucun doute que, le 7 mai 2009, la fonctionnaire comprenait qu’on lui avait demandé de ne pas arrêter M. A. La fonctionnaire et M. Bakke ont tous les deux fait référence, dans leur témoignage, au fait qu’elle avait demandé d’obtenir l’instruction par écrit. Pour quel autre motif cette demande aurait-elle été présentée? Il est clair qu’il existait un conflit continu entre elle et M. Bakke au sujet de l’autorisation d’arrêter M. A en ce qui a trait à la suspension du permis. Leur discussion le 7 mai concernait l’autorité d’arrêter M. A et elle a été tenue au moment exact où elle a indiqué à M. Bakke qu’elle arrêterait M. A parce qu’il conduisait avec un permis suspendu, peu importe le résultat de l’ADA. Cette situation des affaires existait lorsque M. Bakke a laissé la fonctionnaire, s’est rendu à son bureau et a rédigé l’instruction écrite du 7 mai.

197        En fait, lorsque la fonctionnaire a rédigé sa déclaration écrite non datée portant sur l’arrestation, dont, selon son témoignage, la date était le 7 mai 2009 ou vers cette date, elle a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Je m’oppose à l’utilisation de la totalité ou d’une partie de la présente déclaration et en invoque le privilège, dans le cadre de toute poursuite, pénale ou civile, y compris dans le cadre d’une procédure disciplinaire, ou de toute enquête ou investigation. Sous réserve de ce qui est mentionné plus haut et conformément à votre ordonnance et uniquement sous la contrainte de cette dernière, je soumets ce qui suit :

[…]

[Je souligne]

198        La preuve a démontré que M. Bakke n’avait pas signalé la question de l’arrestation de M. A à son superviseur immédiat avant qu’il n’envoie un courriel à Mme VandenBerg à 16 h 28 le 7 mai 2009. Dans l’avant-dernier paragraphe, M. Bakke a indiqué ce qui suit : [traduction] « J’ai parlé à Shannon depuis lors, et elle s’attend à faire l’objet d’une mesure disciplinaire. »

199        La preuve de M. Bakke et de la fonctionnaire a révélé qu’ils ont eu une discussion après l’arrestation de M. A, pendant qu’il était détenu dans une cellule. M. Bakke a déclaré que pendant cette discussion, la fonctionnaire lui a dit qu’elle croyait qu’il se pourrait qu’elle fasse l’objet d’une mesure disciplinaire et qu’elle a indiqué [traduction] « vous faites ce que vous devez faire », tandis que selon le témoignage de la fonctionnaire, M. Bakke n’était pas content et elle lui a dit ce qui suit : [traduction] « J’ai fait ce que j’ai fait; vous faites ce que vous devez faire. »

200        La fonctionnaire a rédigé un rapport officiel sur l’arrestation de M. A le 7 mai 2009 et elle n’a pas été interrogée dans le cadre du processus de recherche des faits avant le 22 juin 2009. Le courriel que M. Bakke a envoyé à Mme VandenBerg indique qu’il avait discuté avec la fonctionnaire après l’arrestation et avant d’envoyer le courriel qui indique qu’elle s’attendait à faire l’objet d’une mesure disciplinaire. Je soupçonne que, dans le même ordre d’idées que dans sa déclaration écrite non datée, elle avait fait référence à une « ordonnance ». Elle a indiqué qu’elle a fait cette déclaration le 7 mai 2009 ou vers cette date et que M. Bakke avait discuté avec elle après l’incident. La seule « ordonnance » aurait été celle de ne pas arrêter M. A.

201        Le paragr. 12 de Trilea-Scarborough prévoit que, s’il n’y avait pas un ordre direct, si un employé est conscient des attentes à son égard et qu’il choisit de ne pas suivre cette voie, il fait preuve d’insubordination.

202        Je n’ai aucun doute qu’à compter du moment où M. A avait été dirigé vers l’inspection secondaire le matin du 7 mai 2009, pendant qu’il attendait le test de l’ADA, et peu après, mais avant son arrestation, lorsque la fonctionnaire et M. Bakke ont eu leur discussion et ensuite lorsque l’instruction écrite du 7 mai a été donnée à la fonctionnaire, elle était clairement consciente que M. Bakke lui demandait de ne pas arrêter M. A. Par conséquent, le premier élément et le deuxième élément du critère d’insubordination établi dans Cavanagh sont remplis.

203        M. Bakke était le superviseur de la fonctionnaire et il était bien placé pour lui donner une instruction, ce qu’il a fait. Cela remplit le troisième élément du critère d’insubordination.

204        Selon le dernier élément du critère d’insubordination, l’employé n’a pas obéi à un ordre. La fonctionnaire a arrêté M. A, malgré l’instruction claire selon laquelle l’arrestation n’était pas autorisée; par conséquent, le quatrième élément du critère d’insubordination est rempli.

205        La fonctionnaire a soutenu qu’elle ne pouvait pas avoir contrevenu au manuel puisque l’avocat de la Couronne n’avait pas témoigné et, par conséquent, la seule preuve est une preuve par ouï-dire.

206        La preuve a montré que M. Bakke avait demandé et avait obtenu des conseils de l’avocat de la Couronne local. Le fait que l’avocat de la Couronne n’a pas témoigné ne signifie pas qu’il ne pouvait pas avoir donné une orientation ou des conseils. Toutefois, M. Bakke a demandé des conseils ou une orientation relativement à cette question auprès de cette personne. Il ressort de la preuve dont je suis saisi qu’il semblerait qu’une fois qu’il a obtenu ces conseils ou cette orientation, M. Bakke a pris une décision qui a été traduite en une instruction selon laquelle la fonctionnaire ne devait pas arrêter M. A.

207        Selon le texte dans le manuel, les agents désignés feront appliquer la loi conformément à la jurisprudence en cours et selon les directives de l’avocat de la Couronne local. Cette directive, même si elle a été communiquée dans le cadre de la directive de M. Bakke, prévoyait que M. A ne pouvait pas être arrêté. Rien dans la preuve n’indique que ces conseils n’ont pas été demandés ni obtenus ou qu’ils étaient erronés.

208        Étant donné le nombre important de témoignages que j’ai entendus au sujet de la confusion liée à la suspension du permis et de la question de savoir si la suspension avait été exécutée aux termes de la Traffic Safety Act de l’Alberta ou du Code criminel, je soupçonne que, même si l’argument n’a pas été invoqué explicitement, s’il s’agissait d’une arrestation valable en vertu du Code criminel, elle annulerait l’omission de la fonctionnaire d’obéir à l’instruction de M. Bakke. Une arrestation licite en vertu du Code criminel qui relève de la compétence d’un ASF et de l’ASFC suggère, à tout le moins, que l’instruction de ne pas procéder à l’arrestation pourrait être illégale ou inappropriée dans les circonstances ou qu’il s’agit d’un élément à prendre en considération pour trancher la question relative à la sanction imposée.

209        L’article 2 du Code criminel, intitulé « Définitions » prévoit la définition suivante pour le terme « contrevenant » :

Contrevenant Personne dont la culpabilité à l’égard d’une infraction a été déterminée par le tribunal, soit par acceptation de son plaidoyer de culpabilité soit en la déclarant coupable.[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

210        Le paragraphe 259(4) du Code criminel est ainsi rédigé :

Conduite durant l’interdiction

(4) À moins d’être inscrit à un programme d’utilisation d’antidémarreurs avec éthylomètre institué sous le régime juridique de la province où il réside et d’en respecter les conditions, quiconque conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire au Canada pendant qu’il lui est interdit de le faire est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

211        La version anglaise du paragraphe 259(4) du Code criminel utilise le terme « offender » dans sa première phrase comme suit : « Every offender who operates a motor vehicle […] while disqualified from doing so […] ». Afin que ce paragraphe s’applique, M. A devait être un contrevenant. Selon le Code criminel, par définition, un contrevenant est une personne dont la culpabilité à l’égard d’une infraction a été déterminée par le tribunal (soit en la déclarant coupable soit par acceptation de son plaidoyer de culpabilité).

212        Il ressort de la preuve qu’en date du 7 mai 2009, M. A n’avait pas été condamné d’une infraction qui a entraîné la suspension de son permis ou l’interdiction d’en détenir un. Il avait été suspendu en vertu de la Traffic Safety Act provinciale et non du Code criminel. Par conséquent, il n’était pas un contrevenant au sens du Code criminel et il n’était donc pas assujetti au paragraphe 259(4) du Code criminel.

213        L’autorité d’un ASF d’arrêter une personne est établie dans le manuel. Un ASF est autorisé à arrêter des personnes en vertu de la Loi sur les douanes et de la Loi sur l’accise (L.R.C. (1985), ch. E-14) et, dans certaines circonstances, en vertu du Code criminel. Il ou elle n’a pas l’autorité d’arrêter une personne en vertu d’une loi provinciale, ce qui est ressorti clairement de la preuve.

214        Je suis convaincu que la fonctionnaire n’avait jamais eu l’autorité d’arrêter M. A pour une conduite avec un permis suspendu en vertu d’une loi provinciale. L’ordre de ne pas l’arrêter n’était manifestement pas illégal. En outre, étant donné que la fonctionnaire ne pouvait pas arrêter M. A en vertu du Code criminel parce qu’aucune infraction n’était commise en vertu de cette Loi, et étant donné qu’elle n’avait pas l’autorité de l’arrêter en vertu de la Traffic Safety Act provinciale, elle ne pouvait pas soutenir que, même si elle avait fait preuve de subordination, qu’elle avait par ailleurs accompli un acte légal et qu’elle exerçait ses fonctions de manière appropriée.

215        La fonctionnaire a également fait allusion à une question de sécurité concernant M. A, soit le fait qu’il avait conduit après avoir consommé de l’alcool.

216        Dans son rapport d’arrestation, la fonctionnaire n’a pas indiqué que M. A était en état d’ébriété tel qu’elle l’a déclaré ultérieurement pendant son entrevue avec Mme Smith. Elle n’a pas mentionné qu’il était dans un tel état dans sa déclaration écrite non datée ni dans son témoignage devant moi. L’entrevue de la sergente Devoe n’a indiqué aucunement que la fonctionnaire avait informé la GRC que M. A était dans un tel état. Ce point n’a jamais été soulevé auprès de la sergente Devoe dans le cadre de son contre-interrogatoire. En fait, la fonctionnaire n’a suggéré que M. A était en état d’ébriété que pendant son entrevue tenue le 22 juin 2009.

217        Dans les observations finales de la fonctionnaire, ses deux représentants ont fait allusion à quel point il était important de retirer M. A de la route, mais absolument aucun élément de preuve n’établit que M. A n’avait pas la compétence pour conduire un véhicule à moteur, que sa conduite constituait un danger et qu’il représentait un danger à la sécurité. En fait, s’il avait été dans un tel état, je m’attendrais à ce que ce fait ait été mentionné à M. Bakke, au gendarme Beaupre et à la sergente Devoe le 7 mai 2009; ce qui n’a pas été fait.

218        Je crois que la fonctionnaire a adopté cette position pendant son entrevue simplement pour justifier son arrestation de M. A en ce qui a trait à la suspension de son permis, et ce, après le fait et après qu’elle avait désobéi à l’instruction que lui avait donnée M. Bakke, une fois qu’elle savait qu’elle pourrait faire l’objet d’une mesure disciplinaire éventuelle.

C. Crédibilité

219        En ce qui concerne le témoignage de la fonctionnaire et des témoins cités pour le compte de l’ASFC, surtout celui de M. Bakke, de la sergente Devoe et de Mme Smith, qui ont été contestés, j’accepte le témoignage de ces témoins particuliers pour le compte de l’ASF pour les motifs qui suivent.

220        Les questions liées à la crédibilité sont tranchées au moyen du critère énoncé dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, dans laquelle la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Si les conclusions qu’un juge de première instance tirait à l’égard de la crédibilité d’un témoin dépendaient uniquement de son opinion quant à la personne qui a selon lui fait preuve de la plus grande sincérité à la barre des témoins, nous nous trouverions face à une conclusion purement arbitraire, et l’administration de la justice dépendrait alors des talents d’acteur des témoins. Après réflexion, il devient presque évident que l’apparence de sincérité n’est qu’un des éléments qui entrent en ligne de compte quand il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un témoin. Les occasions que le témoin avait d’en apprendre davantage, sa capacité d’observation, son jugement et sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu, contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qu’on appelle la crédibilité […] Par son attitude, un témoin peut donner au juge de première instance une impression très défavorable quant à la sincérité dont il fait preuve, mais il se peut par ailleurs que les circonstances permettent de conclure sans l’ombre d’un doute qu’il dit bien la vérité. Je ne songe pas ici aux cas assez peu fréquents où l’on surprend le témoin en train de dire un mensonge maladroit.

On ne peut pas évaluer la crédibilité des témoins intéressés, surtout en cas de témoignages contradictoires, en se fondant uniquement sur la question de savoir si le comportement personnel du témoin inspire la conviction que celui-ci dit la vérité. Il faut soumettre la version des faits que ce témoin propose à un examen raisonnable de la compatibilité de cette version avec les probabilités afférentes à la situation existante. Bref, en pareil cas, le véritable critère à appliquer pour établir la véracité du récit d’un témoin est la conformité de ce récit à la prépondérance des probabilités qu’une personne pragmatique et bien informée l’estime d’emblée comme étant raisonnable dans la situation en cause. […]

[…]

221        La fonctionnaire a déclaré ce qui suit dans les déclarations écrites invoquées :

1.   Dans son rapport officiel en date du 7 mai 2009 : [traduction] « DEVOE m’a ordonné d’utiliser le paragraphe 259(4) du Code criminel pour arrêter [M. A] pour une conduite durant une interdiction et que le gendarme BEAUPRE arriverait au point d’entrée.

2. Dans sa déclaration écrite non datée (qu’elle a indiqué avoir rédigé le 7 mai 2009 ou vers cette date) : [traduction] « La caporale J. DEVOE m’a donné comme consigne d’arrêter [M. A] en invoquant le paragraphe 259(4) du Code criminel. »

3. Dans les notes d’entrevue de Mme Smith en date du 22 juin 2009 (dont la fonctionnaire a paraphé, confirmant ses énoncés), dans lesquelles Mme Smith a demandé à la fonctionnaire si la sergente Devoe avait demandé l’arrestation et la fonctionnaire a répondu [traduction] : « Absolument ».

[Je souligne]

222        Même si la fonctionnaire a indiqué par écrit à trois différents endroits dans les éléments de preuve que la sergente Devoe lui avait ordonné ou demandé d’arrêter M. A, dans son témoignage devant moi, elle a déclaré catégoriquement le contraire. Elle a indiqué que personne ne lui avait donné l’ordre d’arrêter M. A, mais qu’elle l’avait fait en fonction de son opinion et qu’elle ne l’avait pas arrêté pour le compte ou à la demande ou directive de la GRC.

223        La fonctionnaire a affirmé que M. Bakke ne savait pas pourquoi le permis de M. A avait été suspendu. Elle a déclaré ce qui suit au sujet du breffage de quart : [traduction] « Il n’y avait aucune directive claire quant à procéder à l’arrestation ou non. J’ai fait part de mon opinion. Personne ne connaissait le motif de la suspension. J’ai dit qu’il n’importait pas. »

224        Il ressort de la preuve qu’au moment des faits, soit du 5 au 7 mai 2009, la fonctionnaire a affirmé catégoriquement qu’elle avait l’autorité d’arrêter M. A. Dans son témoignage devant moi, elle a répété que c’était ce qu’elle croyait. Il est curieux que, étant donné sa position catégorique, après que le test de l’ADA avait été administré à l’égard de M. A et qu’après avoir interrogé le CIPC qui a confirmé que son permis avait été suspendu (malgré le fait qu’il n’a pas précisé la loi en vertu de laquelle il avait été suspendu), elle avait discuté avec le gendarme Beaupre et ensuite avec la sergente Devoe. Pourquoi une personne qui croit à 100 % qu’elle a l’autorité d’arrêter une personne, sans égard de la question de savoir si le permis a été suspendu en vertu du Code criminel ou d’une loi provinciale, discuterait-elle avec non seulement un agent de la GRC, mais deux?

225        Je conclus que l’appel fait par la fonctionnaire à la sergente Devoe est à la fois révélateur et troublant. Si la fonctionnaire croyait, tel qu’elle l’a déclaré, à [traduction] « 100 % » qu’elle avait l’autorité d’arrêter M. A en vertu du Code criminel, il n’y avait aucune raison pour communiquer avec la GRC. Toutefois, si elle ne croyait pas à 100 % qu’elle pouvait arrêter M. A, il était logique qu’elle communique avec la GRC et qu’elle discute par la suite avec la sergente Devoe lorsque le gendarme Beaupre ne pouvait pas lui donner des renseignements précis. La seule raison de communiquer avec la GRC à ce stade aurait été de clarifier si la suspension du permis avait été effectuée en vertu d’une loi provinciale (la Traffic Safety Act) ou d’une déclaration de culpabilité (et, par conséquent, entraînant une infraction prévue au Code criminel). Il est troublant parce qu’il s’agit de la seule question qui devait être posée et tranchée et la fonctionnaire en était bien consciente parce qu’elle avait eu plusieurs discussions portant sur cette même question avec M. Bakke entre le 5 et le 7 mai 2009.

226        En fin de compte, il ressort du témoignage de la sergente Devoe et de la fonctionnaire que ce point n’a jamais été soulevé auprès de la sergente Devoe. Une fois que la question de savoir comment le permis a été suspendu a été tranchée, la fonctionnaire aurait eu sa réponse quant à sa compétence de procéder à l’arrestation. Elle n’avait qu’à le demander; ce qu’elle n’a pas fait.

227        La fonctionnaire n’a en outre jamais communiqué sur quoi reposait sa conviction quant au fait qu’elle était certaine à 100 % d’avoir l’autorité d’arrêter M. A; et ce, ni au moment des faits (du 5 au 7 mai 2009) ni lorsqu’elle a témoigné. Je n’ai reçu aucune preuve de la raison pour laquelle elle était d’avis que M. A pouvait être arrêté en raison de sa suspension de permis. En effet, elle a indiqué qu’au moment où M. A est arrivé au PE de Coutts le 7 mai 2009, personne ne savait si son permis avait été suspendu en vertu de la législation provinciale ou en raison d’une condamnation. Puisqu’il s’agit de la distinction qui permet de déterminer si un ASF peut faire une arrestation, c’est sur cette information qu’il fallait se concentrer et que la fonctionnaire aurait dû se concentrer.

228        Lorsqu’elle a appelé la sergente Devoe, la fonctionnaire avait connaissance de ce qui suit :

  • M. Bakke lui avait donné l’instruction écrite du 7 mai;
  • l’instruction écrite du 7 mai indiquait spécifiquement que [traduction] « […] l’arrestation de [M. A] […] n’est pas soutenue ni autorisée par la direction de l’ASFC […] conformément à l’avis donné par l’avocat de la Couronne en ce jour du 7 mai 2009 »;
  • l’ASFC et la fonctionnaire précisément ne savaient pas si M. A avait été condamné pour une conduite avec facultés affaiblies ni n’étaient au courant de toute autre infraction qui aurait justifié la suspension de son permis;
  • l’ASFC et la fonctionnaire précisément ne savaient pas si la suspension du permis de M. A avait été exécutée en vertu de la Traffic Safety Act de l’Alberta.

229        Tous ces renseignements étaient non seulement tout à fait pertinents, mais aussi essentiels à la discussion que la fonctionnaire a eue avec la sergente Devoe. En effet, en omettant de lui communiquer ces renseignements, la fonctionnaire l’a induite en erreur quant à l’état actuel des choses en ce qui a trait à M. A. Si on avait dit à la sergente Devoe que la fonctionnaire et l’ASFC ne connaissaient pas le statut de la suspension du permis et que l’avocat de la Couronne local était d’avis qu’il s’agissait d’une suspension provinciale, la sergente Devoe aurait eu connaissance d’un ensemble de faits exacts sur lequel elle aurait pu se fonder pour fournir de l’information. L’interprétation de la fonctionnaire de ce qu’elle a dit à la sergente Devoe donne l’impression qu’une infraction au Code criminel était en train d’être commise alors que ce n’était certainement pas le cas, et la fonctionnaire en savait certainement bien plus que ce qu’elle a divulgué.

230        La fonctionnaire et M. Bakke ont eu plusieurs discussions durant la période du 5 au 7 mai 2009, sur la question de savoir si la suspension du permis de M. A résultait d’une condamnation en vertu du Code criminel ou s’il s’agissait d’une suspension du permis provinciale. Ces discussions ont abouti à leur discussion au cours de laquelle M. Bakke lui a dit que l’ASFC n’avait pas l’autorité d’arrêter M. A puisque, de l’avis général, la suspension du permis avait été exécutée au niveau provincial. La fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que M. Bakke lui avait dit qu’il avait parlé avec l’avocat de la Couronne, lequel lui avait dit qu’il pensait que l’ASFC ne pouvait pas arrêter M. A pour une conduite avec un permis suspendu. La fonctionnaire a indiqué avoir dit à M. Bakke qu’elle était certaine à 100 % que l’ASFC pouvait arrêter M. A. Dans son témoignage, elle n’a nullement mentionné avoir dit à M. Bakke que s’il lui ordonnait de ne pas arrêter M. A, il devrait lui remettre cet ordre par écrit; pourtant, dans sa déclaration écrite non datée, elle a indiqué ce qui suit [traduction] : « J’ai demandé au surintendant par intérim D. BAKKE d’indiquer par écrit sa décision quant à cette question. »

231        La preuve de la fonctionnaire quant à ces points clés n’était pas, tel que défini dans Faryna, en conformité à la prépondérance des probabilités qu’une personne pragmatique et bien informée l’estime d’emblée comme étant raisonnable dans la situation en cause. Son témoignage changeait lorsqu’il était commode de le faire pour soutenir ses agissements en ce qui a trait à l’arrestation de M. A., c’est-à-dire, lorsqu’elle savait que M. Bakke ne soutenait ni n’autorisait l’arrestation.

232        J’ai aussi trouvé très troublante la question liée à la divulgation de la demande d’AIPRP et de la documentation résultante. Au cours de l’audience, on a laissé entendre que la fonctionnaire n’était pas en possession de documents qui lui ont été divulgués par le processus d’AIPRP avant le début de l’audience. Certains des documents produits à son intention au moyen du processus d’AIPRP auraient été assujettis à l’ordonnance de production que j’ai émise avant le début de l’audience. À l’audience, j’ai été amené à croire qu’elle n’était pas en possession de ces documents lorsque l’audience a débuté et que l’ASFC aurait dû produire certains de ces documents avant l’audience, en conformité avec mon ordonnance de production, ce qui en réalité n’était pas vrai.

233        La fonctionnaire était en possession des documents demandés au moyen de l’AIPRP avant le début de l’audience en octobre 2015, un fait dont elle était au courant lorsque son représentant a présenté des demandes à leur égard au début de la poursuite de l’audience le 12 octobre 2016. La fonctionnaire a permis à l’audience de poursuivre son cours sous le couvert de cette désinformation tout au long du témoignage de M. Schaffer, qu’elle a appelé à titre de témoin, tout au long de son témoignage, et tout au long du témoignage en interrogatoire principal de M. Bakke que l’ASFC avait appelé pour fournir une contre-preuve. Ce n’est que durant la matinée du 14 octobre 2016, que lorsque la question a été soulevée à nouveau, après que l’avocat de l’ASFC a signalé que cette information laissait entendre qu’elle avait été en possession des documents de l’AIPRP avant le début de l’audience en octobre 2015, et qu’elle a été confrontée à une contradiction apparente, que la fonctionnaire a admis le fait qu’elle avait été en possession des documents pendant tout ce temps, avant même le début de l’audience en octobre 2015.

234        Son acte d’induire sciemment en erreur les parties et moi-même était non seulement un abus de procédure, mais était aussi significatif parce qu’il était similaire à plusieurs déclarations et actions contradictoires de la fonctionnaire en ce qui a trait à l’arrestation de M. A et à l’enquête qui a suivi, qui, selon moi, remettent directement en question la crédibilité de son témoignage.

D. Preuve de faits similaires

235        La fonctionnaire a mentionné dans son témoignage et présenté en preuve une situation ultérieure impliquant M. A au volant de sa voiture en 2010 alors qu’il était sous le coup d’une suspension. Elle a déclaré qu’à cette occasion, elle l’a arrêté et n’a pas fait l’objet de mesure disciplinaire, mais qu’au lieu de cela, elle a reçu une mention élogieuse. Ce fait n’est ni utile ni pertinent. L’ensemble des faits liés à cette situation (en 2010) ne m’ont pas été présentés et aucune indication n’a été donnée pour déterminer si la fonctionnaire avait reçu l’ordre d’arrêter M. A, et s’il s’agissait par conséquent d’un cas d’insubordination.

E. Conclusion

236        Je conclus donc que les actes commis par la fonctionnaire, le 7 mai 2009, en arrêtant M. A, constituaient de l’insubordination. Pour cette raison, une sanction disciplinaire était justifiée.

237        En ce qui concerne la quantité de la mesure disciplinaire imposée, M. Axten a indiqué que, lorsqu’il a tenu l’audience disciplinaire, la fonctionnaire n’avait démontré au départ aucun remords, mais que toutefois, après une pause brève, il semblait qu’en fait elle acceptait une part de responsabilité et qu’elle commençait à manifester des remords. Il a également déclaré avoir pris en considération ses années de service et le fait qu’elle n’avait pas de dossier disciplinaire, et c’est la raison pour laquelle la sanction disciplinaire a été établie à 30 heures. Rien ne m’a été fourni pour me convaincre de modifier cette sanction.

238        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

239        Le grief est rejeté.

Le 24 avril 2017.

Traduction de la CRTEFP

John G. Jaworski,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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