Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés, qui sont des agents correctionnels, ont déposé un grief contre la sanction pécuniaire de 160 $ qui a été imposée à chacun d’eux au titre de l’insubordination dont ils auraient fait preuve lorsqu’ils n’ont pas suivi les directives apparentes d’une gestionnaire correctionnelle – ils ont été affectés à un véhicule sécurisé afin de surveiller un détenu à un hôpital et ils auraient été informés de revenir le lendemain dans le même véhicule – pendant qu’ils étaient à l’hôpital, les fonctionnaires s’estimant lésés ont appris que le détenu aurait son congé de l’hôpital le lendemain et ils sont donc revenus après leur quart dans un véhicule ordinaire et ils ont laissé le véhicule sécurisé aux agents correctionnels remplaçants afin qu’ils puissent ramener le détenu de manière sécuritaire et sécurisée – la gestionnaire correctionnelle a estimé que la décision de changer de véhicule constituait une insubordination parce qu’elle violait un ordre direct apparent – la Commission a conclu que l’employeur n’avait pas établi que la conduite des fonctionnaires s’estimant lésés constituait une insubordination et qu’elle justifiait une mesure disciplinaire – l’insubordination exige plus qu’une simple omission de suivre un ordre – l’employeur n’a pas été en mesure d’établir qu’il avait communiqué clairement un ordre aux fonctionnaires s’estimant lésés et qu’ils avaient refusé de le reconnaître ou de s’y conformer – la Commission a conclu que l’explication des fonctionnaires s’estimant lésés quant à la raison pour laquelle le véhicule sécurisé avait été laissé ne comportait aucun élément de malveillance et qu’elle permettait d’établir qu’ils avaient pris une décision raisonnable en ce qui concerne les véhicules – la gestionnaire correctionnelle n’aurait pas dû avoir supervisé le processus disciplinaire parce que son jugement était embrouillé par la partialité – le fait de permettre à une personne ayant un point de vue partial de superviser un processus disciplinaire contrevient à la justice naturelle – à l’audience, les fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé en preuve de nouveaux renseignements pour justifier leurs actes – la Commission les a acceptés parce que l’employeur ne leur avait pas demandé de participer au processus administratif de recherche des faits, ce qui lui aurait permis de recueillir ces renseignements au préalable – l’employeur ne pouvait pas invoquer sa violation des règles de justice naturelle pour empêcher aux fonctionnaires s’estimant lésés de présenter des renseignements qui pourraient permettre d’expliquer leurs actes – la Commission a également confirmé que l’employeur était tenu d’appliquer une mesure disciplinaire conformément aux principes de mesures disciplinaires progressives et que la mesure disciplinaire a pour objet de corriger et non de punir.Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170509
  • Dossier:  566-02-8490 et 8674
  • Référence:  2017 CRTEFP 50

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

MEGAN COMEAU ET DARIN PETTIS

fonctionnaires s'estimant lésés

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Comeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Margaret T. A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaires s'estimant lésés:
Fiona Campbell, avocate
Pour le défendeur:
Zorica Guzina, avocate
Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick),
le 12 février et du 13 au 15 décembre 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1        Megan Comeau et Darin Pettis, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), ont déposé un grief contre la mesure disciplinaire qui leur a été imposée par l’employeur, le Service correctionnel du Canada. Ils allèguent que la sanction pécuniaire d’un jour qui leur a été imposée n’était pas fondée et allait à l’encontre du code de discipline de l’employeur et ses lignes directrices en matière de discipline.

2        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. La Commission a entendu ces griefs en vertu des dispositions législatives de mise en œuvre connexes.

II. Résumé de la preuve

3        Les faits de l’espèce sont simples. Les fonctionnaires sont des agents correctionnels (CX) à l’établissement de Springhill, à Springhill, en Nouvelle-Écosse (l’« établissement »). Le 3 octobre 2012, ils ont été envoyés pour remplacer d’autres CX qui avaient été affectés à la garde d’un détenu de l’établissement pendant qu’il recevrait un traitement médical en interne à un hôpital à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Les fonctionnaires ont reçu un véhicule sécurisé pour se déplacer de Springhill à Halifax, et ils prévoyaient revenir dans le même véhicule le lendemain matin, à la fin de leur quart de travail. Les agents qu’ils ont remplacés avaient également un véhicule fourni par l’employeur; il s’agissait d’un véhicule à passagers ordinaire.

4        Au cours du quart de nuit, le personnel médical de l’hôpital à Halifax a informé les fonctionnaires que le détenu devait recevoir son congé le 4 octobre 2012. Selon cette information, les fonctionnaires ont échangé leur véhicule avec leurs collègues et sont retournés à l’établissement dans le véhicule à passagers, ce qui voulait dire qu’ils laissaient le véhicule sécurisé à leurs collègues pour ramener le détenu à l’établissement.

5        L’employeur a jugé cet acte d’insubordination, alors que les fonctionnaires le considéraient comme une initiative. Selon les témoins de l’employeur, leur décision avait enfreint un ordre direct qui leur avait été donné par Karen Coveyduck, une gestionnaire correctionnelle (GC) à l’établissement, de revenir avec le véhicule sécurisé. Par conséquent, ils ont reçu des sanctions pécuniaires d’un jour comme mesure disciplinaire pour insubordination.

6        James Wallace a témoigné pour le compte de l’employeur. Il est un GC de service à l’établissement. En octobre 2012, il agissait comme GC responsable de l’horaire et du déploiement des CX. Il travaillait un quart normal de 9 h à 16 h, du lundi au vendredi. Vers la fin de son quart le 3 octobre 2012, il a parlé à la GC Coveyduck concernant la dépêche de remplacement de CX à l’hôpital à Halifax pour garder le détenu qui était un patient en interne. Ils ont parlé du véhicule que les fonctionnaires devaient conduire de Springhill à Halifax. La feuille d’expédition du véhicule, qui identifiait ce véhicule, indiquait qu’ils devaient revenir dans un véhicule différent. Elle indiquait qu’ils quitteraient l’établissement dans un véhicule sécurisé (appelé « P6 », et reviendraient dans un véhicule non sécurisé (appelé « P49 »).

7        M. Wallace a témoigné que Mme Coveyduck s’inquiétait que le P6 soit laissé à Halifax, car cela voudrait dire que l’établissement serait à court de véhicules sécurisés. Si le P6 n’était pas retourné, il n’y aurait qu’un autre véhicule sécurisé qui pouvait être conduit sans classe spéciale de permis de conduire. M. Wallace et Mme Coveyduck ont convenu que le P6 devrait être retourné au cas où il serait requis; c’était la chose la plus sûre à faire.

8        Le détenu était classifié comme sécurité minimale. M. Wallace le considérait comme à faible risque. M. Wallace ne pouvait pas se rappeler si le détenu avait été envoyé à l’hôpital en matériel de contrainte. Selon M. Wallace, les véhicules sécurisés servent habituellement à transporter les détenus en escorte médicale. Au moment de sa conversation avec Mme Coveyduck, M. Wallace ne savait pas que le détenu recevrait son congé le lendemain.

9        M. Wallace a témoigné qu’il avait parlé aux fonctionnaires du changement de plans pour les véhicules. Il leur a dit de ramener le P6, contrairement à ce qui était indiqué sur la feuille d’expédition du véhicule. Il se rappelait d’avoir parlé à Mme Comeau dans le stationnement alors qu’il partait à la fin de son quart de travail. Il prétendait qu’il avait eu l’impression que la directive concernant le véhicule était claire et qu’elle avait compris ce qu’il lui avait dit de faire. Il ne se rappelait pas si elle avait posé des questions concernant le changement. Il a assumé que Mme Coveyduck donnerait les mêmes directives à Mme Comeau lorsqu’elle donnerait la note d’information sur l’escorte. Selon le témoignage de Mme Coveyduck, elle n’a pas parlé à Mme Comeau et n’a pas fourni de note d’information sur l’escorte aux fonctionnaires avant leur départ pour Halifax.

10        Mme Coveyduck a témoigné que les fonctionnaires ne sont pas revenus avec le P6 comme on leur avait ordonné de le faire. Une urgence médicale est survenue à l’établissement qui exigeait un véhicule sécurisé, lequel n’était pas disponible, car les fonctionnaires avaient fait défaut d’obéir à l’ordre de ramener le P6.

11        Le terme « urgence » est utilisé vaguement à l’établissement pour décrire toute situation allant d’une visite de médecin planifiée à une situation de 911. Il veut simplement dire que l’absence temporaire avec escorte n’était pas prévue par préavis de 72 heures. Toute escorte médicale imprévue aurait dû être notée dans le registre du GC de service (pièce 3, onglet 9).

12        Mme Coveyduck est la GC de service à l’établissement depuis plus de 10 ans. En octobre 2012, elle travaillait le quart de jour, de 6 h à 18 h 30. L’après-midi du 3 octobre, elle a eu une discussion avec le GC Wallace concernant le retour du P6 le lendemain. Les fonctionnaires devaient l’utiliser pour se rendre à Halifax pour un quart d’escorte de nuit. À son avis, le véhicule était requis le lendemain en raison d’un mouvement de détenu planifié. S’il n’était pas retourné et qu’une urgence médicale survenait le lendemain, l’établissement serait à court de véhicules sécurisés qui pouvaient être conduits par n’importe quel agent détenant un permis de conduire de base.

13        Mme Coveyduck a témoigné qu’elle a eu deux conversations avec M. Pettis, une au téléphone, et une dans son bureau, pendant lesquelles ils ont discuté du fait que le véhicule devait être ramené à l’établissement le lendemain. Elle se rappelait clairement avoir dit à M. Pettis que si lui et Mme Comeau prenaient un véhicule sécurisé pour se rendre à Halifax ce soir-là, ce véhicule devait être ramené à l’établissement le lendemain matin. Elle a expliqué pourquoi le véhicule sécurisé était requis sur place. Puisque le détenu à l’hôpital était classifié comme sécurité minimale (quoique l’évaluation de la menace et des risques (pièce 6) autorisant son transfert à l’hôpital l’ait classé comme sécurité moyenne), un véhicule sécurisé n’était pas nécessaire; l’établissement avait un plus grand besoin opérationnel d’avoir un P6 sur place. Étant donné l’évaluation de la menace et des risques du détenu, il aurait pu être transporté dans n’importe quel véhicule, de sorte que les fonctionnaires n’avaient aucune raison de revenir en P49.

14        Mme Coveyduck a témoigné qu’elle [traduction] « avait eu l’impression » que M. Pettis avait compris et qu’il ramènerait le P6 à l’établissement le lendemain. Rien ne lui laissait croire que les fonctionnaires ne ramèneraient pas le P6 le lendemain matin. Deux escortes étaient prévues le 4 octobre, pour lesquelles Mme Coveyduck avait besoin de véhicules sécurisés que n’importe qui pouvait conduire. L’établissement comptait trois véhicules du genre, dont un avait été prêté à l’établissement de l’Atlantique, un était requis pour une escorte et un était utilisé par les fonctionnaires. Deux autres véhicules sécurisés pourraient servir pour les escortes, mais ils exigent un permis de classe 4.

15        Vers 9 h le 4 octobre 2012, Mme Coveyduck a reçu un appel du service de soins de santé de l’établissement. Elle a témoigné qu’on l’informait qu’un transfert médical d’urgence était prévu pour ce jour-là. Puisqu’un préavis de moins de 72 heures avait été donné, elle devenait automatiquement une escorte sécurisée, qui exigeait des CX armés et un véhicule sécurisé.

16        Mme Coveyduck a ensuite assigné du personnel pour mener l’escorte et leur a dit d’utiliser le P6. Lorsque les agents sont allés chercher le P6, ils se sont rendu compte qu’il ne se trouvait pas à l’établissement. Mme Coveyduck a dit aux CX de regarder encore, car selon sa discussion avec M. Pettis la veille, il devait y être. Selon elle, un autre CX a téléphoné aux agents à Halifax et a appris qu’ils avaient le P6.

17        Puisque le P6 n’était pas disponible et qu’un autre véhicule sécurisé, le P5, était utilisé pour une autre escorte, Mme Coveyduck devait trouver un chauffeur qui avait le permis nécessaire pour conduire les autres véhicules sécurisés. Elle a téléphoné au bureau du parc de véhicules et a trouvé un chauffeur qui a alors conduit les deux CX et le détenu en escorte médicale.

18        S’il n’y avait pas eu d’autre chauffeur disponible, Mme Coveyduck a témoigné qu’elle aurait dû appeler une ambulance pour conduire le détenu à son rendez-vous. Du moment où elle a été avisée de l’escorte médicale jusqu’au départ du détenu de l’établissement, environ 40 minutes s’étaient écoulées. L’escorte médicale n’était pas une véritable urgence, puisqu’elle ne visait qu’un rendez-vous médical. Elle a été cotée comme une urgence seulement parce qu’elle a été prévue sans préavis de 72 heures. Même si l’escorte médicale a eu lieu, elle n’a pas eu lieu comme Mme Coveyduck l’aurait préféré.

19        En s’éloignant du plan d’escorte, les fonctionnaires ont compromis la sécurité de l’établissement, des détenus et du personnel. Par conséquent, Mme Coveyduck a décidé qu’une mesure disciplinaire s’imposait.

20        Une audience disciplinaire a eu lieu pour M. Pettis le 6 novembre 2012. Il était présent, accompagné de son représentant syndical, Jeff Wilkins. Aussi présente était la GC Beth Leclair. Le but était de discuter des événements et de demander à M. Pettis d’expliquer son raisonnement pour ne pas avoir suivi les directives qu’elle lui avait données. Selon Mme Coveyduck, M. Wilkins s’opposait à l’audience, parce qu’en ses mots, elle se faisait [traduction] « juge, jury et bourreau ».

21        Lorsque M. Wilkins a terminé, Mme Coveyduck a témoigné qu’elle avait demandé à M. Pettis s’il voulait dire quelque chose. Il lui a simplement dit qu’il avait suivi les directives de la feuille d’expédition parce qu’elles étaient plus logiques pour lui, malgré les directives que lui avait données Mme Coveyduck. Il n’a donné aucune raison pour laquelle il ne lui a pas dit que le véhicule avait été laissé à Halifax.

22        D’après ce témoignage, Mme Coveyduck a déterminé que M. Pettis était coupable d’inconduite. Il n’avait pas suivi un ordre d’un GC. Il avait compromis la sécurité des détenus, du personnel, de l’établissement et du public parce que Mme Coveyduck avait été laissée sans les ressources nécessaires pour composer avec une crise. Pour déterminer la sanction appropriée, elle a considéré les antécédents de M. Pettis comme facteur atténuant. Il n’avait aucun dossier disciplinaire antérieur. Les facteurs aggravants étaient la vulnérabilité de l’établissement qu’il avait causée; le droit absolu de l’employeur de s’attendre qu’un CX respectera le rang de GC; le fait qu’il n’a exprimé aucun remords, n’a accepté aucune responsabilité et a tenté de dissimuler le fait qu’il avait ignoré un ordre.

23        Selon le témoignage de Mme Coveyduck, tout cela représentait une violation de la section 6h) de la « DC-060 », qui est le code de discipline et de règles de conduite professionnelle de l’employeur concernant l’exécution responsable des fonctions du fonctionnaire. Étant donné la gravité de l’infraction et ses conséquences possibles et son mépris flagrant de son poste, Mme Coveyduck a déterminé qu’en vertu de l’entente globale entre le syndicat et l’employeur (pièce 1, onglet 6), une sanction pécuniaire d’une journée était appropriée. Elle a témoigné qu’elle avait considéré une réprimande verbale ou écrite, mais qu’elle avait éliminé les deux options parce qu’à son avis, elles n’étaient pas suffisamment sévères étant donné la nature de l’infraction et l’insubordination flagrante de M. Pettis.

24        Le même jour, Mme Coveyduck, Mme Leclair et M. Wilkins ont rencontré Mme Comeau. M. Wilkins a réitéré ses préoccupations quant au rôle de Mme Coveyduck dans le processus disciplinaire. Mme Comeau n’a rien dit, suivant les instructions de M. Wilkins. Puisque Mme Comeau n’avait présenté aucun facteur atténuant, et étant donné qu’elle n’avait exprimé aucun remords et n’avait pas accepté de responsabilité, en raison de la vulnérabilité de l’établissement et son manque de respect pour le rang de Mme Coveyduck, cette dernière a conclu que la même pénalité imposée à M. Pettis était appropriée, même si elle a laissé à M. Wallace la tâche de remettre la mesure disciplinaire à Mme Comeau.

25        Selon le témoignage de Mme Coveyduck, Mme Comeau et M. Pettis avaient tous les deux reçu un ordre direct, et en vertu du rang de Mme Coveyduck, il était attendu qu’ils suivent ses ordres. Selon Mme Coveyduck, si les CX étaient autorisés à ne pas respecter les ordres qui leur étaient donnés par un GC, ce serait le chaos, comme ce serait le cas si les CX avaient le droit de faire ce qu’ils jugent approprié.

26        M. Pettis travaillait à l’établissement au groupe et au niveau CX-01 depuis 2,5 ans au moment de cet incident. Il relevait directement du GC Alistair MacLean. Avant cet incident, il n’avait aucun antécédent disciplinaire. Depuis le début de son emploi à l’établissement, il avait été affecté à mener des absences temporaires avec escorte de détenus. Il connaît bien les politiques et les exigences de ce type d’affectation.

27        Le 3 octobre 2012, il a reçu un appel lui demandant de se rendre au travail plus tôt afin d’avoir le temps de conduire jusqu’à Halifax pour remplacer d’autres agents en service de surveillance à l’hôpital. Il ne se rappelle pas qui lui a téléphoné. M. Pettis a témoigné qu’il avait accepté, et qu’il s’était présenté à l’établissement vers 15 h 30. Il a parlé avec la GC Coveyduck, qui a demandé que le P6 soit ramené le lendemain matin pour que d’autres agents puissent s’en servir le lendemain. Elle ne lui a pas dit pourquoi, seulement que le véhicule était requis le lendemain. Elle ne lui a pas remis de note d’information sur l’escorte.

28        Lorsque M. Pettis a retiré les clés du véhicule à l’entrée principale, il a consulté le registre des véhicules pour voir lequel lui avait été assigné. Le registre indiquait qu’il devait prendre le P6 jusqu’à Halifax puis revenir avec le P49. Un CX ne peut pas choisir le véhicule qu’il utilisera pour une escorte; celui-ci lui est assigné et consigné dans le registre des véhicules.

29        Dans les premières heures du quart de nuit à l’hôpital de Halifax, après les visites du médecin, les fonctionnaires ont été informés que le détenu recevrait son congé dans la matinée, selon le témoignage de M. Pettis. Munis de ces renseignements, Mme Comeau et lui ont décidé de laisser le P6 derrière pour permettre aux autres agents de ramener le détenu à l’établissement. La pratique à l’établissement était d’utiliser les véhicules sécurisés pour transporter les détenus, surtout ceux qui sont classés à sécurité moyenne comme le détenu en question, selon le permis d’absence temporaire avec escorte (pièce 5). En laissant le P6 à leurs collègues, les fonctionnaires avaient l’intention d’éviter que l’établissement ait à envoyer un autre véhicule et d’autres agents pour aller chercher le P49, le détenu et ses agents d’escorte.

30        Les fonctionnaires n’ont pas téléphoné à l’établissement pour faire autoriser ce changement, car M. Pettis croyait que les politiques lui donnaient l’autorisation de faire ce changement. Il a témoigné que les escortes des détenus sont régies par la politique, mais que les agents d’escorte ont une certaine discrétion, comme l’itinéraire à suivre et le moment de retirer le matériel de contrainte pour les examens médicaux. Il croyait que c’était la bonne chose à faire dans les circonstances et qu’ainsi il sauverait à l’établissement du temps et de l’argent ainsi que le besoin d’envoyer un autre véhicule à Halifax, ce qui aurait occupé deux véhicules et un bon nombre d’employés supplémentaires. Il a dit qu’en rétrospective, il aurait dû demander la permission au GC de service.

31        M. Pettis ne se rappelle pas s’être rendu au bureau du GC de service pour remettre le téléphone cellulaire, quoiqu’il a témoigné qu’il aurait été logique de le faire. Il a également dit ne pas se rappeler avoir parlé à Mme Coveyduck. Il n’avait aucune raison particulière de ne pas lui parler du changement de véhicules; il était fatigué après son quart de nuit et le voyage. La fois d’après qu’il avait entendu parler de la question était le 31 octobre, lorsqu’il avait reçu l’avis d’audience disciplinaire. Personne ne lui avait parlé des événements entre-temps.

32        À l’audience disciplinaire, M. Wilkins a exprimé ses préoccupations relativement à ce que Mme Coveyduck avait entrepris. Il avait demandé à M. Pettis de se présenter, mais de ne pas y participer parce que le syndicat n’était pas d’accord avec la façon dont l’audience disciplinaire était effectuée. À cette audience, M. Pettis a dit à Mme Coveyduck qu’il avait fait ce qui était pratique, à son avis. Elle a mis fin à l’audience à ce moment-là, et M. Pettis n’a eu d’autres occasions de répondre aux préoccupations. En fin de compte, il a été informé que Mme Coveyduck lui imposait une sanction pécuniaire de 160 $; la sévérité l’a étonné. La décision que lui et Mme Comeau avaient prise semblait le choix évident, et tout effet secondaire avait été involontaire.

33        Comme M. Pettis, Mme Comeau a témoigné qu’elle n’avait aucun antécédent disciplinaire avant le 3 octobre 2012. Ce jour-là, M. Wallace lui avait demandé de rentrer plus tôt au travail pour faire des heures supplémentaires pour une absence temporaire avec escorte à Halifax. M. Wallace lui a indiqué qu’il y avait un problème avec les fourgonnettes utilisées par l’établissement, sans toutefois lui donner de directives particulières.

34        Lorsque Mme Comeau est arrivée à l’établissement, elle a rencontré M. Wallace, qui lui a dit de prendre une enveloppe dans le bureau de service contenant un nouveau mandat concernant le détenu. Selon son témoignage, il n’a fait aucune mention du type de véhicule à retourner ou sur ce qu’il fallait faire si le détenu recevait son congé de l’hôpital. Elle a ramassé l’enveloppe comme il lui avait demandé de le faire. Mme Coveyduck était au téléphone à ce moment-là; Mme Comeau ne lui a donc pas parlé. Aucune note d’information sur l’escorte n’a été fournie, bien que la politique l’exige.

35        Mme Comeau a confirmé la description de M. Pettis sur les événements de ce quart de nuit. Elle ne se rappelle pas qui leur a dit ou exactement à quel moment on leur a dit que le détenu recevrait son congé le 4 octobre, mais elle se rappelle qu’on le leur a dit. Elle a également confirmé le témoignage de M. Pettis au sujet de la pratique à l’établissement pour l’utilisation d’un véhicule sécurisé pour transporter un détenu.

36        C’est dans ce contexte qu’a été prise la décision de laisser le P6 aux agents qui avaient la garde et le contrôle du détenu et qui étaient responsables de le ramener à l’établissement. Mme Comeau s’est fiée au jugement de M. Pettis. Le détenu était en escorte sécurisé; par conséquent, un véhicule sécurisé était requis, conformément à la pratique de l’établissement.

37        En aucun temps Mme Comeau ou M. Pettis n’ont-ils eu l’intention d’être insubordonnés, selon son témoignage. Elle était d’accord avec M. Pettis que le fait de laisser le véhicule aux autres CX pour transporter le détenu était la chose la plus sécuritaire à faire pour les agents, le détenu et le public.

38        À son retour à l’établissement, Mme Comeau a rencontré M. Wallace qui lui a dit que [traduction] « Karen [Coveyduck] était très en colère contre toi » parce qu’elle et M. Pettis n’avaient pas ramené le P6. Ce n’est que le 31 octobre que Mme Comeau a entendu parler de la situation. Avant que l’avis d’audience disciplinaire soit envoyé, personne n’avait demandé à Mme Comeau pourquoi le P6 avait été laissé à Halifax. Lors de l’audience disciplinaire, M. Wilkins a de nouveau noté le conflit d’intérêts avec le fait que Mme Coveyduck se fasse juge, jury et bourreau. Mme Comeau a refusé de faire des commentaires après que M. Wilkins lui a indiqué clairement que le syndicat ne considérait pas les circonstances de la réunion comme équitables.

39        Mme Comeau a témoigné que le 1er novembre 2012, en compagnie de son représentant syndical, elle avait rencontré Judy Amos, la directrice adjointe, Opérations, pour lui donner une explication, mais que rien n’en était ressorti.

40        Après l’audience disciplinaire, Mme Comeau a tenté à trois reprises d’expliquer la situation au directeur au moyen de la procédure de règlement des griefs. Tout comme M. Pettis, la sévérité de la mesure disciplinaire l’avait étonnée. Elle s’était attendue à une réprimande verbale ou écrite, tout au plus.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

41        Les questions à répondre sont à savoir si la mesure disciplinaire était justifiée, et si la sanction était appropriée dans les circonstances. Le défaut des fonctionnaires à obéir aux ordres a violé le paragraphe 6h) du code de conduite de l’employeur et le paragraphe 6(1) de ses règles de conduite professionnelle. Le 3 octobre 2012, les fonctionnaires ont tous les deux reçu l’ordre de ramener le P6 à leur retour de Halifax le lendemain.

42        À l’audience, Mme Comeau a contesté le fait qu’on lui ait donné un ordre. Le témoignage de M. Wallace était conforme au témoignage de M. Pettis et de Mme Coveyduck quant au fait qu’un ordre avait été donné. Cette preuve n’a pas été contredite. Le simple fait que Mme Comeau ne se rappelle pas qu’on lui ait donné un ordre ne veut pas dire que ce n’est pas le cas. Le fait qu’elle a contesté qu’un ordre lui a été donné lance un doute quant à sa crédibilité. Si aucun ordre n’a été donné, pourquoi regrette-t-elle ses actions? Lorsqu’il y a incohérence dans le témoignage d’un employé, le témoignage de l’employeur doit être privilégié (voir Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354). Il faut examiner toute la preuve dans son ensemble, et il faut accepter ce qui est le plus logique dans toutes les circonstances (voir International Brotherhood of Boilermakers, Local 128 c. Procor Limited, 2015 CanLII 4906, au par. 7).

43        Dans le cas de M. Pettis, Mme Coveyduck avait donné un ordre clair. Malgré cela, il s’est fié à la feuille d’expédition quotidienne, ce qu’un employé ne peut pas décider de faire. Il était clair que l’employeur se préoccupait que l’établissement ait sur place un véhicule sécurisé qu’un CX sans permis spécialisé pouvait conduire, ce qui était raisonnable, étant donné que l’autre véhicule du genre était utilisé. Mme Coveyduck savait que des transferts devaient être effectués le 4 octobre 2012; c’est pourquoi elle a parlé à M. Pettis de ramener le P6. L’ordre donné était raisonnable et relevait du champ de compétence du GC de service pendant son quart de travail.

44        Il ne revenait pas aux fonctionnaires de changer ces ordres. Le 4 octobre, M. Pettis a eu l’occasion d’aviser Mme Coveyduck que le P6 n’avait pas été retourné, mais il ne l’a pas fait. Mme Comeau non plus. S’ils l’avaient fait, Mme Coveyduck aurait pu agir en conséquence. Elle aurait su plus tôt et aurait pu se préparer en cas d’urgence. L’absence d’avis a mené à un retard à amener un détenu à un rendez-vous médical; la situation de santé du détenu n’était pas pertinente.

45        Les éléments essentiels d’un ordre sont qu’il soit donné, qu’il soit clairement communiqué à l’employé et que la personne qui l’a donné avait le pouvoir nécessaire. Certaines exceptions permettent à un employé de refuser un ordre direct; c’est-à-dire qu’il a le droit de refuser un ordre si ce dernier mettait sa santé ou sa sécurité en danger, ou l’obligerait à commettre un acte illégal (voir Nowoselsky c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14229 (19840724), [1984] C.R.T.F.P.C. 125 au par. 9 (QL)).

46        Les exceptions énumérées dans Nowoselsky ne s’appliquent pas dans le présent cas. Il n’y a aucune preuve de préoccupations en matière de santé et de sécurité. Si les fonctionnaires avaient des préoccupations relativement à l’ordre qu’on leur avait donné, ils auraient dû téléphoner à Mme Coveyduck pour obtenir des précisions. Il y a une preuve qu’une pratique était en place pour l’utilisation de véhicules sécurisés pour le transport des détenus, mais rien de plus. L’évaluation de la menace et des risques du détenu n’indiquait pas qu’un véhicule sécurisé était requis pour le transporter. Les fonctionnaires ont admis ne pas avoir le pouvoir de changer les véhicules et que l’on s’attendait à ce qu’ils suivent les ordres.

47        Les fonctionnaires ont fourni de nouveaux renseignements au moment de l’audience sur le changement dans les circonstances du détenu. L’employeur n’était pas au courant de cette explication au moment où la mesure disciplinaire a été imposée. S’il l’avait su, le résultat du processus disciplinaire aurait peut-être été différent. Le fait qu’il n’ait pas été soulevé à la première occasion ou en tout temps pendant la procédure de règlement des griefs suppose la circonspection et affecte la crédibilité des fonctionnaires. Les fonctionnaires ne pourraient pas bénéficier de l’explication tardive à l’audience.

48        Le syndicat a soulevé un problème avec l’équité procédurale de l’audience disciplinaire. Conformément à Hickling c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 67, les arguments d’équité procédurale n’annulent pas la responsabilité d’un fonctionnaire à fournir les faits sur lesquels l’employeur peut prendre sa décision. L’employeur n’était pas au courant des renseignements que les fonctionnaires ont fournis à l’audience sauf qu’ils s’étaient fiés à la feuille d’expédition. Le caractère raisonnable d’une sanction disciplinaire s’appuie sur ce qui se trouvait devant le décisionnaire au moment de la décision; dans ce cas, rien ne lui a été présenté.

49        Les fonctionnaires n’ont jamais témoigné qu’ils auraient dû respecter son ordre; ils ont seulement dit qu’ils auraient dû téléphoner pour confirmer leur décision de revenir sans le P6. En aucun temps avant l’audience les fonctionnaires n’ont-ils exprimé des remords; il était trop tard de le faire à l’audience (voir Murdoch c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2015 CRTEFP 21, et Knihniski c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 72).

50        Mme Coveyduck était autorisée à donner son ordre en vertu des paragraphes 2 et 6k) du code de conduite de l’employeur. Rien ne l’empêchait d’imposer une mesure disciplinaire pour le défaut des fonctionnaires de respecter l’ordre. Si elle ne l’avait pas fait, elle aurait manqué à son devoir en vertu du code de conduite.

51        Il est tout à fait logique que, dans une organisation qui exerce ses activités 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, n’importe quel GC d’un quart puisse s’occuper des problèmes d’inconduite des employés à mesure qu’ils surviennent. L’employeur détermine qui impose la mesure disciplinaire et à qui elle est imposée. Rien dans la preuve n’indiquait que Mme Coveyduck n’avait pas le pouvoir d’imposer une mesure disciplinaire aux fonctionnaires. La sanction imposée n’était pas extrême, compte tenu des renseignements dont elle disposait à ce moment-là. L’arbitrage n’est pas le moment d’argumenter qu’une sanction est déraisonnable en fonction de nouveaux renseignements (voir Murdoch). Les fonctionnaires ne devraient pas bénéficier d’une explication tardive qui aurait aidé l’employeur à prendre sa décision.

52        Les CX doivent être des modèles de bon comportement pour les détenus (voir Dionne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 69, et Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10). Une norme de conduite élevée est attendue des CX (voir McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, et Richer). Les fonctionnaires sont un mauvais exemple pour les autres CX. Leur insubordination a nui aux opérations de l’établissement, et le 4 octobre, leurs actes ont eu un effet préjudiciable sur leurs collègues. Les établissements pénitentiaires ont des raisons de sécurité et de politique solides pour maintenir la discipline.

53        Si l’ordre était légitime et non déraisonnable, les fonctionnaires auraient dû premièrement y obéir, puis le porter en grief. L’insubordination justifie une sanction sévère. Une sanction pécuniaire d’un jour n’était pas déraisonnable étant donné le retard de 40 minutes pour transporter un détenu à son rendez-vous médical le 4 octobre. Il n’est pas nécessaire d’appliquer une discipline progressive; l’employeur n’est pas tenu de suivre ce processus. Il a examiné les facteurs atténuants et aggravants pour parvenir à sa décision. Les évaluations du rendement des fonctionnaires n’ont pas été prises en considération comme facteur atténuant (voir Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 76).

54        La sanction imposée était appropriée dans les circonstances et ne devrait pas être changée. L’arbitre de grief ne devrait pas tenir compte de la preuve ajoutée à l’audience puisque celle-ci n’était pas disponible à l’employeur lorsqu’il a pris sa décision (voir Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119; Ranu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 89; Mercer c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2016 CRTEFP 11).

B. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

55        L’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve lui incombant relativement à prouver que la mesure disciplinaire était raisonnable et imposée de façon équitable. Le code de conduite de l’employeur ne crée pas le pouvoir d’imposer une mesure disciplinaire, et l’employeur n’avait pas investi Mme Coveyduck de ce pouvoir dans les circonstances. La mesure disciplinaire qu’elle a imposée était entachée d’une infraction à l’équité procédurale. Elle n’était pas le GC aux fins disciplinaires pour ni l’un, ni l’autre des fonctionnaires. Mme Comeau relevait de M. Wallace, et M. Pettis relevait de M. MacLean.

56        Subsidiairement, selon les faits, une certaine mesure disciplinaire était justifiée à l’égard de M. Pettis, mais une sanction pécuniaire d’un jour était excessive et déraisonnable à la lumière des circonstances atténuantes. Une mesure disciplinaire devrait être progressive et corrective; cette sanction n’était ni la première, ni la deuxième. Selon la prépondérance des probabilités, Mme Comeau n’a jamais reçu un ordre clair auquel elle aurait désobéi par la suite. Par conséquent, dans son cas, aucune sanction disciplinaire n’était justifiée. Même si on lui avait donné un ordre direct, la sanction imposée était excessive et déraisonnable étant donné les circonstances et les facteurs atténuants.

57        Il a été établi qu’une audience devant un arbitre de grief est une audience de novo. Toutes les parties ont le droit d’appeler tout témoignage qu’elles jugent approprié, et l’arbitre de grief a le droit d’en tenir compte dans ses délibérations. Autrement, l’arbitrage ne servirait à rien, et un fonctionnaire s’estimant lésé passerait directement au contrôle judiciaire. La question à savoir si les fonctionnaires ont participé au processus disciplinaire est un facteur dont l’arbitre de grief peut tenir compte dans sa détermination. L’employeur a reconnu que s’il avait su que les circonstances avaient changé à Halifax, la sanction n’aurait pas été aussi sévère.

58        Ce que l’on sait, c’est que le 3 octobre 2012, les fonctionnaires ont été affectés à un quart d’escorte. Il n’est pas contesté que M. Pettis avait de l’expérience avec ce genre de tâche. Les deux fonctionnaires avaient d’excellents antécédents professionnels, et ni l’un ni l’autre n’avait de dossier disciplinaire à l’époque. Lorsqu’ils ont quitté l’établissement, l’employeur n’avait aucune idée quand le détenu à l’hôpital obtiendrait son congé. En fait, on s’attendait que son séjour soit prolongé; c’est pourquoi on avait remis aux fonctionnaires un nouveau mandat à apporter (pièce 5). Ni l’un ni l’autre n’a reçu de note d’information sur l’escorte, ce qui était requis avant leur départ de l’établissement. Si Mme Coveyduck avait réalisé cette obligation, cette situation aurait pu être prévenue.

59        Cette situation découle d’un manque de communication, les renseignements échangés en passant ou dans de courtes conversations seulement. Le registre du véhicule était clair. On y indiquait que les fonctionnaires devaient se rendre à Halifax en P6 et en revenir en P49. M. Pettis a admis que Mme Coveyduck lui avait dit de retourner en P6, contrairement à ce qu’indiquait le registre du véhicule, sans toutefois préciser clairement pourquoi le P6 devait être retourné.

60        M. Wallace a dit à Mme Comeau qu’il y avait un problème de véhicule pour son voyage à Halifax, mais il ne l’a jamais précisé. Lorsqu’ils se sont rencontrés en passant à l’extérieur de l’établissement, elle se rappelle que M. Wallace lui a dit simplement de prendre l’enveloppe dans le bureau. Il n’a rien dit concernant la confusion liée aux véhicules. Lorsque Mme Comeau est allée chercher l’enveloppe, Mme Coveyduck n’a rien dit.

61        Le 4 octobre, le personnel hospitalier a informé les fonctionnaires que le détenu obtiendrait son congé ce jour-là. M. Pettis a considéré qu’il s’agissait d’un changement aux circonstances et a pensé qu’il pouvait faire preuve de discrétion et laisser le véhicule sécurisé à Halifax pour ses collègues, qui devaient ramener le détenu à l’établissement plus tard le même jour, ce qui était raisonnable étant donné l’expérience de M. Pettis avec les escortes et la pratique de l’établissement d’utiliser des véhicules sécurisés pour transporter des détenus à sécurité moyenne, que du matériel de contrainte soit utilisé ou non. Les fonctionnaires pensaient qu’ils protégeaient la sécurité de toutes les personnes concernées, et que ce serait plus pratique pour l’établissement en plus de lui permettre d’économiser de l’argent. Les deux fonctionnaires se rendent maintenant compte qu’ils auraient dû communiquer avec le GC en service avant de laisser le P6 à Halifax.

62        Les événements du 4 octobre 2012 sont vagues. Ce que l’on sait, c’est qu’un détenu avait un rendez-vous médical qui n’était pas une urgence et pour lequel l’établissement n’avait pas reçu un préavis de 72 heures. Il y a eu un retard d’environ 40 minutes à quitter l’établissement pendant que l’on trouvait un véhicule sécurisé et un conducteur. Le détenu s’est rendu à son rendez-vous et en est revenu sans conséquences médicales. Le registre du GC indiquait que le quart de travail avait été tranquille.

63        Aucun des fonctionnaires n’a mentionné le changement de véhicule à leur retour; ils estimaient avoir pris la bonne décision dans les circonstances. Ni l’un ni l’autre n’était conscient d’un problème relativement à leur décision avant bien plus tard. M. Pettis l’a appris lorsqu’il a reçu l’avis d’audience disciplinaire. Mme Comeau l’a appris lorsque M. Wallace lui a dit à quel point Mme Coveyduck était en colère à son égard. Le processus disciplinaire était malheureux. Personne n’a mené d’enquête sur les événements avant la convocation de l’audience disciplinaire. Personne n’a parlé aux fonctionnaires avant qu’ils se trouvent devant une audience disciplinaire devant une GC qui était en grande colère.

64        Le représentant des fonctionnaires les a informés que l’audience disciplinaire n’était pas un moyen approprié d’aborder la situation. Ni l’un ni l’autre n’a participé entièrement après que le syndicat a exprimé son mécontentement relativement au processus disciplinaire. Ces préoccupations en matière d’équité procédurale n’ont jamais été abordées. Mme Comeau a tenté d’expliquer ses actions avant et après l’audience disciplinaire, mais l’employeur ne souhaitait pas l’entendre. La décision de Mme Coveyduck était fondée sur un manque d’information.

65        Le témoignage de Mme Coveyduck était vague et parfois incohérent, alors que celui des fonctionnaires était très clair, direct et cohérent. La preuve de M. Wallace était très clairsemée. L’employeur avait le fardeau d’établir que la discipline était justifiée et qu’elle avait été imposée de façon valide. La discipline affectée par une violation de la justice naturelle est inappropriée (voir Kinsey c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTFP 30, au par. 108).

66        Subsidiairement, s’il n’y avait pas de violation à la justice naturelle, l’employeur portait le fardeau d’établir qu’une conduite avait eu lieu qui donnait lieu à la mesure disciplinaire, et que cette dernière était raisonnable et que la sanction était appropriée.

67        Pour réussir dans cette affaire, il fallait établir les éléments de l’insubordination, c’est-à-dire, qu’un employé avait l’intention de défier la direction, ou avait un état d’esprit répréhensible (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au par. 7:3612). La motivation des fonctionnaires n’est pas pertinente, tout comme l’incidence sur l’employeur (voir Brown et Beatty au par. 7:4424).

68        La jurisprudence établit que diverses sanctions ont été jugées appropriées dans les cas où l’insubordination avait été établie. Chaque affaire doit être évaluée selon ses propres faits (voir Desjarlais c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 88; Rioux c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers), 2011 CRTFP 32; Platt c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-17210).

69        L’employeur doit tenir compte des facteurs atténuants avant d’imposer une mesure disciplinaire. Les fonctionnaires avaient des antécédents disciplinaires et professionnels sans taches. Il n’y avait pas de malice ou de mauvaises intentions; en fait, ils croyaient agir dans les intérêts de l’établissement et la sécurité de toutes les personnes concernées. La gravité de l’infraction et les conséquences pour l’employeur étaient limitées à un léger inconvénient. La dissuasion n‘est pas un point à considérer, puisqu’il est peu probable que cette situation survienne de nouveau. Il n’y a pas eu de démonstration d’insubordination publique. Même si une mesure disciplinaire était justifiée, ces facteurs atténuants justifient une sanction mineure.

IV. Motifs

70        Il s’agit pour moi de savoir si la conduite des fonctionnaires justifiait une mesure disciplinaire et, dans l’affirmative, si la mesure disciplinaire imposée était appropriée. L’employeur devait s’acquitter du fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, pour démontrer que les éléments de l’insubordination avaient eu lieu et qu’il avait tenu compte des facteurs atténuants. Et selon une évaluation de tout ce qui précède, qu’il a imposé une sanction qui était justifiée et raisonnable. Pour qu’il y ait insubordination, il doit y avoir plus qu’un simple manque de respect d’un ordre. Il faut que l’ordre soit communiqué clairement à l’employé qui refuse de le reconnaître ou qui refuse carrément de s’y conformer (Brown & Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au par. 7:3612).

71        L’explication donnée à l’audience quant à la raison pour laquelle le P6 avait été laissé à Halifax n’a pas été contredite par l’employeur. Elle démontrait une compréhension claire des politiques de l’employeur et de la menace pour le public, les employés et un détenu lors du transport de ce dernier d’un endroit à un autre. L’explication, que j’accepte entièrement, était sans malice. C’est ce qui explique pourquoi les fonctionnaires ont été si vivement étonnés du résultat de ne pas avoir ramené le P6 à l’établissement le 4 octobre 2012.

72        La réaction de Mme Coveyduck à l’acte d’insubordination allégué était disproportionnée au préjudice causé. Elle a clairement pris les gestions des fonctionnaires comme un affront personnel et un défi de son autorité, ce qui n’était pas leur intention. Elle n’était aucunement en mesure d’évaluer de manière objective si une mesure disciplinaire s’imposait et, le cas échéant, le montant qui était approprié. Elle était clairement biaisée par ce qu’elle avait perçu comme une attaque contre son autorité. Si quelqu’un qui n’était pas aussi personnellement concerné avait tenu l’audience disciplinaire, toute partialité aurait été évitée, et toute mesure disciplinaire imposée, le cas échéant, aurait été tempérée d’un deuxième coup d’œil attentif.

73        À mon avis, Mme Coveyduck souhaitait davantage rétablir son autorité en tant que GC que de véritablement évaluer le tort causé, le préjudice pour l’établissement issu de ce tort, et les intérêts de l’employeur à maintenir un milieu de travail sûr, efficient et efficace sur le plan des coûts. Chaque fonctionnaire relevait d’un GC pour les questions de rendement et de discipline. Ces derniers étaient en mesure de mener une évaluation non biaisée du tort et du préjudice causés, évitant ainsi toute partialité, perçue ou réelle.

74        À la lumière des exigences de la justice naturelle d’éviter la partialité dans le processus disciplinaire, il était inapproprié pour l’employeur de permettre à Mme Coveyduck de discipliner les fonctionnaires. L’employeur avait identifié les GC qui étaient responsables des questions de rendement et de discipline relativement aux CX qui leur étaient assignés. Dans le passé, l’employeur avait eu recours à ces GC pour enquêter sur les questions de discipline et les traiter (voir Knihniski). Rien ne m’a été présenté pour expliquer pourquoi cette situation aurait dû être traitée différemment. Par conséquent, les préoccupations des fonctionnaires relativement à une violation de la justice naturelle étaient justifiées. La partialité dans l’enquête et l’évaluation d’infractions disciplinaires constitue une violation à la justice naturelle.

75        Même si j’ai tort, je ne trouve aucune conduite qui aurait pu mériter une sanction aussi grave. L’employeur n’a pas établi qu’il y avait eu insubordination. Il n’y a pas de preuve claire, convaincante ou logique que l’un ou l’autre des fonctionnaires avait reçu un ordre direct et sans équivoque que le P6 devait être retourné à l’établissement le 4 octobre 2016. De plus, il n’y a aucune preuve claire, convaincante ou logique que les fonctionnaires ont décidé de laisser le P6 à Halifax par malice ou avec une intention malicieuse.

76        Si la direction de l’établissement avait demandé aux fonctionnaires pourquoi ils avaient laissé le P6 à Halifax pour revenir en P49, plutôt que de poursuivre immédiatement une mesure disciplinaire, toute cette situation aurait pu être évitée. J’accepte le témoignage des fonctionnaires voulant qu’ils aient fait leur choix parce qu’ils croyaient qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’établissement et de leurs collègues, ainsi que de la sécurité du public.

77        Leur intention ne portait pas de malice et ne visait pas à défier Mme Coveyduck. Dans ces circonstances, la pénalité imposée était clairement excessive, punitive et erronée. À mon avis, un avertissement verbal aurait suffi à régler le préjudice subi. L’acte des fonctionnaires était raisonnable, selon moi, étant donné le changement aux circonstances et les renseignements conflictuels dans l’évaluation de la menace et des risques et le registre du véhicule et la pratique de l’établissement pour l’utilisation de véhicules sécurisés pour transporter des détenus.

78        L’employeur n’a subi aucun préjudice pour ses opérations ou sa réputation parce que le P6 n’a pas été retourné. La réaction exagérée de la GC parce que les choses ne se sont pas déroulées comme elle l’aurait préféré ou comme prévu ne suffisait pas à justifier la sanction.

79        L’avocate de l’employeur a soutenu que les nouveaux renseignements qui m’ont été donnés à l’audience ne devraient pas être pris en considération, car ils ne faisaient pas partie des renseignements dont l’employeur était au courant au moment où la mesure disciplinaire a été imposée. Elle cite Hickling comme affaire faisant autorité. Contrairement à ce que l’avocate a soutenu, Hickling ne repose pas sur le principe que les arguments d’équité procédurale n’annulent pas la responsabilité d’un fonctionnaire s’estimant lésé à fournir les faits sur lesquels l’employeur peut prendre des décisions. Il traite plutôt des droits à la représentation lors d’une réunion administrative et si le refus de ces droits, qui n’étaient pas précisés dans la convention collective dans cette affaire, portait atteinte à l’équité procédurale qui libérait donc le fonctionnaire s’estimant lésé de l’obligation de participer à une telle réunion.

80        L’affaire dont je suis saisie est complètement différente. L’employeur n’a pas demandé aux fonctionnaires de participer à une réunion de recherche des faits administrative. Une telle réunion aurait sans doute évité tout ce qui a suivi. L’employeur a plutôt permis à Mme Coveyduck de passer directement à la réunion disciplinaire, où non seulement elle se faisait juge, jury et bourreau, mais aussi la plaignante et le témoin principal. L’employeur ne pouvait pas se fier, à l’audience, à sa violation des règles de la justice naturelle pour empêcher les fonctionnaires de présenter des renseignements qui expliqueraient ou atténueraient leurs actes.

81        Contrairement à ce que l’avocate de l’employeur a soutenu, l’employeur a l’obligation d’administrer les mesures disciplinaires conformément aux principes de la discipline progressive. Bien que cela ne veuille pas dire qu’une première infraction grave ne justifie pas une sanction sévère, cela veut cependant dire que la mesure disciplinaire imposée doit correspondre à la réhabilitation et non à la rétribution. Même si la mesure disciplinaire imposée dans cette affaire n’avait pas porté atteinte à la justice naturelle, je l’aurai annulée de par sa nature punitive.

82        Les griefs sont accueillis. Les sanctions financières imposées sont annulées. Les fonctionnaires recevront 160 $ chacun, ce qui représentait une sanction pécuniaire d’un jour en 2012, en plus d’un intérêt simple au taux de 5 % par année, conformément aux règles de procédure civile de la Nouvelle-Écosseà compter de la date de l’avis de la sanction jusqu’à la date de la présente décision. Dans le cas de Mme Comeau, les intérêts commencent à courir le 11 décembre 2012. Dans le cas de M. Pettis, les intérêts commencent à courir le 11 janvier 2013. Tout dossier relatif à cette mesure disciplinaire sera rayé des dossiers du personnel des fonctionnaires immédiatement si cela n’a pas déjà été fait au fil du temps.

83        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

84        Le grief figurant au dossier 566-02-8490 est accueilli.

85        Le grief figurant au dossier 566-02-8674 est accueilli.

86        Je demeurerai saisie des affaires découlant de la présente ordonnance pour une période de 90 jours à compter de la date de la présente décision.

Le 9 mai 2017.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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