Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

The grievor is a correctional officer – during his overnight shift, an inmate committed suicide in his cell – the death went undetected and was discovered by another correctional officer only on the next shift in the morning – the grievor was responsible for verifying the condition of every inmate occupying each cell during his shift – video recordings clearly showed that he failed to conduct any of his rounds properly and that he never stopped to look through the inmate’s cell door window – the Board found that the grievor violated several employer directives – he conducted his rounds in a way that provided an inmate an opportunity to commit suicide – the employer was justified in its concern about the grievor repeating this behaviour – afterwards, the grievor did not demonstrate a true understanding of the potential consequences of his actions – correctional officers are held to high standards – when it comes to the safety of inmates and the institution, there is no margin of error – when trust in the employee has been destroyed and cannot be restored, the employment relationship must end – the employer’s decision that termination was appropriate in the circumstances was not unreasonable or wrong – although the grievance was referred late to adjudication, the grievor established a clear, cogent, and compelling reason for the delay – he communicated with his union representatives and was assured not to worry – the union local was in disarray at the time due to the recent death of its president – it was waiting for the employer to file its final-level response to the grievance before referring it to adjudication, but the employer deliberately decided not to respond – it was unreasonable for the employer to rely on its disrespect of the collective agreement to argue that a lack of timeliness occurred – the delay was minimal and caused no prejudice to the employer’s case – therefore, the Board granted an extension of time and took jurisdiction over the matter.Application for an extension of time granted. Grievance dismissed.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170509
  • Dossier:  566-02-10065 et 568-02-324
  • Référence:  2017 CRTEFP 51

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

JEAN-CLAUDE YAYÉ

fonctionnaire s'estimant lésé et demandeur

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Yayé c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage et affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique


Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé et demandeur:
André Lortie, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, et Jacob Axelrod, avocat
Pour le défendeur:
Geneviève Ruel, avocate
Affaire entendue à Calgary (Alberta),
du 12 au 15 juillet et de 6 au 8 décembre 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Claude Yayé, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») et demandeur, a contesté son licenciement en tant qu’agent correctionnel (CX) par l’employeur, le Service correctionnel du Canada (SCC).

2        L’employeur a déposé une objection à la compétence de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), faisant valoir que le renvoi à l’arbitrage du grief n’avait pas été fait dans le délai prévu par l’art. 90 du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79, le « Règlement »). En fait, un renvoi à l’arbitrage peut se faire au plus tard 40 jours après le jour où le fonctionnaire a reçu la décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs ou, si aucune décision n’est rendue au dernier palier, comme en l’espèce, au plus tard 40 jours après la période fixée pour répondre au dernier palier.

3        Après que l’employeur a déposé son objection, et au nom du fonctionnaire, Andrea Tait, de l’agent négociateur du fonctionnaire, a présenté une demande de prorogation de délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage en vertu de l’art. 61 du Règlement. J’ai pris ma décision sur la demande en délibéré, puisqu’elle nécessitait une grande partie de la même preuve que la décision sur le grief. L’audition des deux affaires s’est déroulée simultanément.

4        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. La Commission a entendu le grief et la demande en vertu des dispositions législatives de mise en œuvre connexes.

II. Résumé de la preuve

A. Pour la demande de prorogation de délai

5        Mme Tait est une conseillère auprès de l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN; le « syndicat ») pour la région des Prairies. Elle fournit un soutien juridique et administratif aux sections locales du syndicat de la région des Prairies, y compris la section locale de l’Établissement de Drumheller (l’« Établissement »), situé à Drumheller, en Alberta. Le bureau du syndicat offre une formation et une interprétation de la convention collective ainsi que des conseils sur la constitution du syndicat et elle informe les représentants élus au niveau local. Au cours des trois dernières années, le bureau du syndicat régional a offert son soutien aux personnes qui ont aidé Mme Tait à représenter les membres devant la Commission à l’arbitrage et devant d’autres tribunaux administratifs.

6        Mme Tait est devenue la responsable des enquêtes disciplinaires concernant les membres du syndicat à l’été 2014. Auparavant, l’un de ses collègues, dont l’emploi a pris fin en janvier 2014, en était responsable. Entre janvier 2014 et janvier 2015, Mme Tait a travaillé seule. Le syndicat comptait environ 5 000 griefs non réglés au niveau de l’arbitrage à ce moment.

7        Mme Tait a pris part au grief uniquement après qu’il a été transmis au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Le représentant local envoie le dossier complet au bureau régional, accompagné d’une copie signée de la Formule 20 ou 21 pour renvoyer une affaire à l’arbitrage. Chaque section locale est responsable du grief aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs. Idéalement, chaque section locale a un agent des griefs; sinon, le président de la section locale assume cette fonction. Le bureau régional remet à la section locale les documents essentiels, après quoi il revient au représentant local de rencontrer le fonctionnaire et de donner suite à la plus grande partie de ces documents. L’agent des griefs est responsable de la progression du grief aux différents paliers de la procédure de règlement des griefs et du suivi des dates de cette progression.

8        En l’espèce, le grief a été déposé au troisième palier de la procédure de règlement des griefs le 9 mai 2014 (voir la formule de transmission, pièce 2, onglet 2). Il n’a été renvoyé à l’arbitrage que le 19 septembre 2014. Le syndicat a renvoyé l’affaire à l’arbitrage en sachant qu’il était tardif parce qu’il portait sur un licenciement. Le dossier a fait l’objet de discussions dans le cadre de réunions patronales-syndicales régionales et de réunions bilatérales entre les vice-présidents de la section locale du syndicat et la direction de l’Établissement.

9        Mme Tait a fait parvenir un courriel au président de la section locale de l’Établissement le 11 septembre 2014 pour obtenir des renseignements sur l’état du grief. Elle savait qu’une enquête disciplinaire avait été lancée au sujet des allégations contre le fonctionnaire puisqu’elle avait obtenu le rapport disciplinaire. Elle a fini par recevoir le dossier le 17 septembre 2014 et l’a renvoyé à l’arbitrage deux jours plus tard (voir l’avis de renvoi, pièce 2, onglet 3).

10        En 2013, en 2014 et en 2015, la section locale de l’Établissement avait des problèmes précis. Son président était parti et avait été remplacé par un président intérimaire, qui est tombé malade, ce qui l’avait empêché de gérer des affaires du syndicat. Cette personne a succombé à la maladie. Il a été remplacé par un autre membre, qui n’a pas participé aux activités de la section locale, malgré le fait qu’il en était le président. Son remplaçant n’avait aucune expérience syndicale et a démissionné peu de temps après son élection, en raison de problèmes personnels. Enfin, Jacob Suelzle a été élu en février 2015.

11        M. Suelzle est un CX-02 à l’Établissement. Il a indiqué que la confusion la plus totale régnait à la section locale depuis le décès de son président. Personne à l’Établissement ne savait comment gérer les griefs. Selon M. Suelzle, à l’été 2014, les membres du syndicat qui avaient besoin d’un représentant ou de conseils n’avaient personne sur place à consulter.

12        Malgré le fait qu’il était un délégué syndical au moment des événements et de la présentation de ce grief, M. Suelzle n’avait rien à voir avec ce dernier. Il était au courant de l’incident s’était produit, mais c’était tout ce qu’il connaissait du dossier. Ce n’est qu’en 2016 que des représentants du bureau national du syndicat l’ont informé que le renvoi du grief à l’arbitrage était tardif. C’était la première fois que lui-même ou le fonctionnaire en entendait parler. Tous les deux supposaient que l’affaire avait progressé selon les délais requis, mais il est devenu évident que les représentants syndicaux attendaient une réponse au dernier palier avant de la renvoyer à l’arbitrage.

B. Pour le grief

13        Le fonctionnaire a travaillé pendant le quart de nuit entre 23 h le 14 février 2014 et 7 h le 15 février 2014 à l’Établissement. Pendant son quart, il devait s’assurer que les détenus de chaque cellule de l’unité 8, rangée F, sont bien en vie. Pendant le quart, alors qu’il devait assurer la sécurité de chaque détenu de cette rangée, un détenu s’est suicidé dans sa cellule. Le décès du détenu n’a été détecté que le matin du 15 février par les CX qui ont pris la relève du fonctionnaire après son quart de nuit.

14        Alors qu’il effectuait ses rondes, le fonctionnaire devait examiner chaque cellule pour vérifier l’état du détenu qui l’occupait et s’assurer qu’il ne participait à aucune activité illégale ou interdite. Les rondes du fonctionnaire étaient enregistrées par des caméras situées à chaque extrémité de la rangée. Sur la bande vidéo, on voit qu’il marche rapidement d’un bout à l’autre de la rangée sans prendre le temps de regarder dans chaque cellule. Les cellules sont munies de veilleuses exploitées depuis l’extérieur pour aider les CX à voir les occupants. Le fonctionnaire n’utilise aucune des veilleuses pour regarder à l’intérieur des cellules de la rangée. Il transporte une lampe de poche et dirige son faisceau vers les murs de la rangée, mais il ne l’utilise pas pour examiner l’intérieur des cellules. Sur la vidéo, il ne regarde pas par la fenêtre des portes des cellules et il ne se penche pas pour regarder.

15        Le 6 décembre 2016, je suis allée visiter l’unité 8, rangée F, à la demande de l’avocate de l’employeur. J’étais accompagnée par le fonctionnaire, le représentant des relations de travail de l’employeur, un gestionnaire correctionnel affecté à la tenue de la visite et les avocats du fonctionnaire et de l’employeur. Il a été expliqué à toutes les personnes présentes que ce qui serait vu durant la visite serait considéré comme une preuve.

16        La rangée F a environ 50 pieds de longueur. Elle est bordée des deux côtés par des cellules d’environ 12 pieds de longueur et de 8 pieds de largeur. Il y a 19 cellules au total. Une fenêtre située à environ 5 pieds du sol permet aux CX de regarder dans une cellule pendant leurs rondes. Chaque cellule contient un bureau, une chaise, une tringle à cintres, un lit et une toilette. Il y a un espace d’environ deux pieds entre l’extrémité du bureau et l’extrémité du lit. Il n’y a que la toilette qui ne peut être facilement vue depuis la fenêtre. La veilleuse est située directement au-dessus de la tringle à cintres. C’était la configuration de la cellule dans laquelle le détenu s’est suicidé.

17        Chester Eatmon était l’un des deux CX qui ont pris la relève du fonctionnaire le matin du 15 février 2014. Il a commencé son quart à 6 h 30 et a effectué son premier dénombrement des détenus à 6 h 45. Pendant son dénombrement, M. Eatmon a été prévenu par son partenaire qu’un détenu était dans un état de détresse médicale et qu’il était inconscient. M. Eatmon a prévenu le poste de commandement de l’unité et a indiqué qu’une aide médicale était requise. Il est retourné à la cellule en question, qu’il a examinée par l’ouverture et dans laquelle il est entré avec son partenaire.

18        Les CX ont découvert le détenu qui avait un lien autour du cou et des chevilles et qui était suspendu à la tringle à cintres dans la cellule. Il était possible de voir le détenu pendu par la fenêtre de la porte de la cellule; il était dans une position de style hamac, son corps étant complètement suspendu à environ six pouces du sol. Il faisait face au sol de la cellule. Les CX ont coupé les liens, déplacé le détenu sur le lit et tenté d’effectuer une réanimation cardio-pulmonaire (RCP) et d’utiliser un défibrillateur. Le corps du détenu était raide et difficile à déplacer. M. Eatmon a trouvé difficile d’ouvrir les voies respiratoires du détenu parce qu’il était rigide.

19        Le Dr Gregory Van Wyk avait une pratique privée en Alberta depuis plus de 20 ans et était le seul praticien en soins primaires de l’Établissement depuis 21 ans au moment de l’audience. Il a traité de nombreux détenus inconscients au cours des années et a prononcé deux fois le décès de détenus. Il connaît la science du décès et les effets du passage du temps sur un cadavre, qui sont bien connus par les médecins, selon son témoignage.

20        Le Dr Van Wyk a indiqué dans son témoignage comment le moment du décès est établi lorsqu’un corps est découvert. Dans un délai de 20 à 30 minutes après le décès, le sang commence à s’accumuler; cela est connu comme la lividité, qui est un signe certain de décès puisque le sang s’accumule lorsque le cœur cesse de fonctionner. Le sang suit la gravité et, selon la position du corps, la peau de la partie où le sang s’est accumulé devient bleue. Cela peut prendre de 6 à 8 heures et peut être utilisé pour établir le moment du décès. Comme la température du corps descend, la rigidité musculaire s’installe, ce qui est connu comme la rigidité cadavérique. Cela commence par les muscles plus petits et, avec le temps, la rigidité générale s’installe dans le corps. Il faut de 8 à 10 heures pour qu’une rigidité complète s’installe dans toutes les articulations, et la température d’un environnement peut accélérer ou ralentir ce processus. La décomposition fait disparaître la rigidité cadavérique environ 30 heures après le décès.

21        Si les jambes et les bras du défunt sont raides, selon des variables, le corps est décédé depuis au moins trois heures, selon le médecin. Étant donné la description du corps du détenu, le médecin a déclaré qu’il aurait conclu que, puisque les bras et les jambes du détenu étaient rigides, mais que les CX ont pu rompre la rigidité, il était décédé depuis environ trois heures. Le fait que le détenu a été trouvé à 7 h dans une position de style hamac et que les CX ont rompu la rigidité pour placer le détenu sur le dos afin d’effectuer la RCP est une indication claire que le détenu était mort trois heures avant d’être découvert.

22        Le corps du détenu a été transporté à l’ambulance sur une civière. Il a été très difficile de placer le détenu sur la civière. Les CX n’ont pu manipuler le corps raide du détenu pour qu’il soit étendu. La RCP s’est poursuivie pendant le transport du corps. M. Eatmon a déclaré tout cela dans son rapport d’observation ou déclaration d’un agent (RODA) qui a été déposé immédiatement après l’incident (pièce 2, onglet 5).

23        Bradley Dow est un gestionnaire correctionnel à l’Établissement. Dans le cadre de son travail, il examine les rondes et les dénombrements effectués par les CX. Il a décrit ce que l’on attend d’un CX qui effectue correctement les rondes. Pour inspecter correctement l’intérieur des cellules, un CX doit examiner l’intérieur de la cellule par la fenêtre de la porte de la cellule afin de s’assurer que le détenu est bien en vie et de voir ce qui se passe à l’intérieur. Dans le cadre de l’examen de ces rondes, M. Dow examine le moment d’une ronde donnée, la question de savoir si elle est faite trop lentement ou trop rapidement et si elle est faite selon l’horaire requis. La réalisation appropriée de la ronde d’une rangée complète prend au moins 60 secondes. Ce processus est différent le jour et la nuit; pendant les quarts de jour, il y a une lumière naturelle et les détenus sont réveillés. Pendant les quarts de nuit, les rangées sont sombres. Il n’y a pas de lumière naturelle et il faut plus de temps pour effectuer une ronde.

24        Pendant les quarts de nuit, si la veilleuse n’est pas utilisée, un CX doit diriger le faisceau d’une lampe de poche sur le mur du fond ou le plafond de la cellule. Les murs blancs de la cellule reflètent la lumière et illuminent suffisamment la cellule pour voir le lit. On s’attend à ce que le CX surveille et vérifie si le détenu est vivant dans le lit. Il est possible de voir les couvertures monter et descendre. Si le détenu n’est pas dans son lit, on s’attend à ce que le CX vérifie si le détenu est aux toilettes dans le coin droit le plus près de la porte de la cellule. Le bureau, le lit, la chaise et la tringle à cintres peuvent tous être vus en même temps. L’évaluation appropriée du statut d’un détenu prend de cinq à sept secondes par cellule.

25        Une partie des fonctions de gestionnaire correctionnel de M. Dow consiste à examiner les rondes et les dénombrements. Un examen des rondes est effectué tous les mois au moyen du visionnement d’un enregistrement vidéo ou par la surveillance des rondes effectuées en direct à partir du centre de contrôle. Au moment de faire l’examen, M. Dow surveille le déplacement d’un CX d’un bout à l’autre de la rangée et l’enregistrement de l’heure de la ronde (appelé le « punch ») à la fin de la rangée. La date, l’heure, la rangée, le CX et la mesure prise, au besoin, sont tous consignés dans un rapport.

26        Les CX apprennent à faire des rondes au début de leur carrière. Ils bénéficient d’un mentorat, dans le cadre duquel un agent ayant plus d’ancienneté apprend à l’agent comment effectuer la ronde. Cela est fait lorsque l’agent commence à un établissement, pendant les 40 heures initiales de la formation en cours d’emploi. Selon M. Dow, la réalisation appropriée des rondes ne nécessite pas beaucoup de formation. Tout mentorat est consigné dans une base de données en ligne à la disposition des agents correctionnels. M. Dow a encadré le fonctionnaire à l’unité d’isolement. Il a dit qu’il ne se rappelait pas avoir eu de préoccupations quant à la qualité des rondes faites par le fonctionnaire à l’époque.

27        Darcy Emann était le directeur de l’établissement au moment où le suicide s’est produit. Il a expliqué à l’audience que la responsabilité et les fonctions d’un CX à l’unité 8 sont décrites dans l’ordre de poste de l’unité (pièce 2, onglet 16), qui précise qu’entre 23 h et 6 h 30, des rondes doivent être faites toutes les 60 minutes. Au moment d’en faire une, un CX doit aller à chaque cellule et s’assurer que le détenu est bien en vie, qu’il n’est pas en détresse et ne participe pas à des activités illégales.

28        Comme les rondes effectuées entre 23 h et 6 h 30 ne sont pas des dénombrements « debout », dans le cadre desquels les détenus peuvent être debout dans leur cellule lorsque le dénombrement est effectué, il est plus important que le CX qui effectue la ronde vérifie que le détenu dans chaque cellule est vivant et qu’il respire. Cela oblige le CX à prendre le temps de regarder par la fenêtre dans la porte de chaque cellule et d’utiliser la veilleuse de la cellule ou la lampe de poche qu’il transporte afin d’examiner l’intérieur de la cellule. L’interrupteur de la veilleuse est situé à l’extérieur de la porte de la cellule.

29        Le 15 février 2014, M. Emann a indiqué dans son témoignage qu’il a reçu un appel chez lui vers 7 h. Il a appris qu’il y avait eu une tentative de suicide à l’Établissement. Il a parlé au gestionnaire correctionnel en service qui lui a dit que l’ambulance était en route. M. Emann est parti immédiatement pour l’Établissement et est arrivé vers 7 h 30. Il a été informé de la réaction de l’Établissement à l’incident et il a signalé les événements à ses supérieurs.

30        Le lendemain, M. Emann a lu les RODA produits par les CX concernés qui ont été rédigés le matin où le détenu décédé a été découvert. Selon M. Emann, il s’inquiétait au sujet des renseignements figurant dans le rapport. En particulier, il se préoccupait de savoir combien de temps le détenu était resté pendu dans sa cellule sans réaction de la part des CX. L’employeur avait porté une attention particulière à l’exigence des rondes et à leur réalisation appropriée par les CX, en particulier depuis le décès en 2007 d’Ashley Smith alors qu’elle était en détention. La priorité des CX est d’assurer la sécurité des détenus sous la garde de l’employeur.

31        Entre 23 h et 7 h, il n’y a aucun déplacement des détenus à l’Établissement. Ainsi, selon M. Emann, la principale fonction d’un CX durant ces heures consiste à effectuer des rondes horaires, ce qui est fondamental à l’accomplissement de ses fonctions. Le fonctionnaire a été affecté à la supervision de l’unité lorsque le décès est survenu, selon l’appel nominal de cette soirée-là (pièce 2, onglet 4). Il était seul à l’unité entre 23 h et environ 6 h 30 lorsque d’autres agents ont pris sa relève. Il n’a signalé aucune préoccupation ni aucun événement majeur durant son quart.

32        Les CX qui ont découvert le corps du détenu ont déclaré qu’ils n’avaient obtenu aucune information du fonctionnaire quant à des préoccupations lorsqu’ils ont pris sa relève vers 6 h 30. Ils ont découvert le détenu vers 7 h. Les CX ont déclaré que le corps était raide, ce qui préoccupait grandement M. Emann selon son témoignage, puisque la dernière ronde signalée avait été enregistrée vers 6 h 02. Étant donné que le corps avait été découvert dans l’heure qui a suivi la dernière fois où le détenu a été vu, il a indiqué dans son témoignage qu’il n’aurait pas dû être raide.

33        M. Emann a examiné la qualité des rondes du fonctionnaire en visionnant l’enregistrement vidéo après le directeur adjoint, Opérations, et le sous-directeur. Le registre des rondes indiquait que tous les dénombrements avaient été faits, mais M. Emann avait d’importantes préoccupations quant à la qualité des rondes selon son visionnement des enregistrements vidéo. Il a par la suite effectué une visite du site et a découvert que, lorsque le faisceau de la lampe de poche est dirigé par une fenêtre sur la rangée en question, il y a un reflet important. Pour voir par la fenêtre en utilisant une lampe de poche, M. Emann a découvert qu’il faut que la lampe soit appuyée contre elle.

34        Muni de ces renseignements, M. Emann a de nouveau visionné les enregistrements vidéo du fonctionnaire effectuant ses rondes la nuit en question. M. Emann a conclu que le fonctionnaire avait fait preuve d’une grave négligence dans la réalisation de ses rondes. M. Emann a conclu que le fonctionnaire ne pouvait pas savoir si un détenu était en détresse ou même si un détenu s’était échappé. Chaque ronde qu’il a effectuée a été terminée en 30 secondes après son arrivée dans la rangée. Il n’a pas regardé par les fenêtres des cellules. Selon M. Emann, à la dernière ronde, qui a été effectuée à 6 h 01 le 15 février 2014, le fonctionnaire n’a même pas regardé dans la cellule 7 où le détenu a été retrouvé. La dernière fois où le détenu a été vu vivant était pendant le dénombrement debout le 14 février 2014 à 22 h 30. Lorsque le détenu a été découvert, ses bras et ses jambes étaient raides, ce qui était une indication qu’il était décédé depuis au moins trois heures avant d’être découvert.

35        Après avoir examiné à répétition les enregistrements vidéo des rondes du fonctionnaire pendant le quart de nuit du 14 au 15 février 2014, et après en avoir discuté avec son équipe de direction, qui les a également regardés, M. Emann a déclaré qu’il a conclu que le fonctionnaire ne pouvait s’être assuré de la sécurité de chaque détenu de chaque cellule. Les rondes appropriées nécessitent du temps, et celles du fonctionnaire duraient de 30 à 50 secondes. Il a parcouru le couloir, a enregistré la ronde, et il a remonté la rangée. Il a concentré son attention devant lui à chaque fois et non sur les détenus des cellules.

36        Dans son RODA, le fonctionnaire a déclaré qu’à chaque ronde, il a regardé dans la cellule 7 de la rangée F et qu’à chaque fois il a vu que le détenu y était bien en vie. Dans les 50 minutes suivant le moment où le fonctionnaire aurait vu le détenu bien en vie dans la cellule 7, le corps de ce dernier a été découvert. Le décès du détenu a été prononcé à 7 h 30. M. Emann a conclu que le fonctionnaire n’avait pas assumé son obligation de s’assurer que le détenu était bien en vie dans la cellule. Selon M. Emann, le fonctionnaire ne s’est pas efforcé d’aider le détenu et n’a apporté aucune attention à ce qui se déroulait dans la cellule. De toute évidence, le détenu n’était pas dans son lit, ce que le fonctionnaire aurait dû remarquer. Les employés expérimentés qui ont vu le corps ont soulevé des questions auprès de M. Emann quant à sa condition lorsqu’il a été découvert, ce qui a contredit la déclaration du fonctionnaire selon laquelle le détenu avait été vu bien en vie à 6 h 05 le 15 février 2014.

37        M. Emann a déclaré que, depuis le début, il croyait que quelque chose clochait concernant le scénario décrit par le fonctionnaire. Il a indiqué dans son témoignage qu’une personne raisonnable n’aurait pas conclu que le fonctionnaire s’était assuré que le détenu de chaque cellule était bien en vie comme il dit l’avoir fait. Selon ces déclarations, M. Emann a conclu qu’un processus disciplinaire devrait être entamé. Le 18 février 2014, il a demandé au directeur adjoint, Opérations, et au sous-directeur que le fonctionnaire soit affecté à un poste sans contact avec les détenus jusqu’à nouvel ordre (pièce 2, onglet 9).

38        Le fonctionnaire a reçu un avis lui indiquant qu’une audience disciplinaire se tiendrait le 11 mars 2014 (pièce 2, onglet 10). À l’audience, accompagné de son représentant syndical, il a visionné les enregistrements vidéo de ses rondes. La qualité de ses rondes a été examinée. M. Emann a déclaré qu’il s’attendait à ce que le fonctionnaire se dise très préoccupé par l’incident et son incidence sur toutes les personnes concernées. Selon M. Emann, tout ce que le fonctionnaire a fait est dire qu’il y avait place à amélioration pendant ses rondes et qu’il ne comprenait pas comment il avait pu ne pas voir un détenu qui s’est pendu dans sa cellule. M. Emann a déclaré avoir donné au fonctionnaire la possibilité de lui fournir des renseignements pertinents qui auraient pu atténuer son manquement de cette nuit-là, mais qu’il ne l’avait pas fait.

39        M. Emann a déclaré qu’il n’avait pas le sentiment que le fonctionnaire comprenait l’importance d’effectuer correctement les rondes, même si l’employeur mettait continuellement en évidence l’importance des rondes et des dénombrements pour tous les CX. Le fonctionnaire ne comprenait pas l’importance de protéger les personnes confiées à ses soins. Pendant l’audience disciplinaire, il n’a eu aucune émotion selon M. Emann et il ne comprenait pas l’incidence importante des événements. Le fonctionnaire a dit à M. Emann que cela n’arriverait plus et qu’il pouvait voir qu’il n’avait pas passé suffisamment de temps à regarder dans les cellules.

40        M. Emann a tenu compte de tous les renseignements qu’il avait obtenus à l’audience disciplinaire, il a examiné les enregistrements vidéo encore une fois, lu les RODA et consulté le sous­commissaire adjoint des opérations en établissement pour sa région. Selon ces déclarations, M. Emann a conclu qu’il ne pouvait plus faire confiance au fonctionnaire pour effectuer correctement les rondes pendant les quarts de nuit lorsqu’il était seul. Il a conclu que le fonctionnaire avait fait preuve de négligence dans l’accomplissement de ses fonctions et qu’il [traduction] « n’avait pas tenu compte » de l’importance et des conséquences de ses actes.

41        Selon M. Emann, la question était que le fonctionnaire avait omis de vérifier que chaque détenu était en sécurité dans sa cellule. Ce n’était pas uniquement le fait qu’un détenu était décédé cette nuit-là, mais que le fonctionnaire avait omis d’intervenir alors que le détenu était en détresse, comme il avait l’obligation de le faire. Le fonctionnaire aurait dû remarquer que le détenu n’était pas dans son lit. Le fonctionnaire était payé pour empêcher ce qui est arrivé. Il a commis une erreur de jugement importante et un détenu en est décédé.

42        M. Emann a examiné la façon et la question de savoir si son lien de confiance avec le fonctionnaire pouvait être rétabli. Il a conclu que la conduite du fonctionnaire l’avait irrémédiablement rompu. Selon M. Emann, la sanction appropriée était le licenciement du fonctionnaire. Lorsqu’il a pris cette décision, M. Emann a déclaré qu’il avait tenu compte du fait que le fonctionnaire travaillait depuis cinq ans pour l’employeur, qu’il n’avait aucun dossier disciplinaire antérieur, qu’il avait eu de bonnes évaluations du rendement, qu’il n’était pas un employé problématique et qu’il accomplissait bien son travail. Il s’agissait là de circonstances atténuantes qui étaient annulées par le degré de négligence dont avait fait preuve le fonctionnaire et l’incidence sur la confiance du public à l’égard de l’employeur.

43        Selon M. Emann, le fonctionnaire a suivi des formations poussées pendant sa carrière sur la réalisation appropriée des rondes et des dénombrements. Les deux portaient sur les séances d’information entre les quarts, les réunions de l’unité et les courriels et les communiqués de l’administration centrale de l’employeur et, malgré cela, le fonctionnaire n’a pas rempli son obligation d’effectuer ses rondes correctement. M. Emann a indiqué dans son témoignage qu’il avait de sérieux doutes à l’égard du fait que le fonctionnaire soit en mesure d’accomplir ses fonctions au mieux de ses capacités et selon la norme attendue.

44        M. Emann a rencontré le fonctionnaire le 14 avril 2014 et lui a appris qu’il avait mis fin à son emploi en raison de sa négligence grave dans l’accomplissement de ses fonctions. Cela a été confirmé dans la lettre de licenciement qu’il a envoyée (pièce 2, onglet 13). Peu importe la nature du décès et la question de savoir si le détenu aurait pu être ranimé, chaque ronde que le fonctionnaire avait effectuée cette nuit-là était préoccupante pour M. Emann.

45        Le fonctionnaire a été congédié pour avoir violé les Directives du commissaire (DC) n° 566-4 Dénombrements et patrouilles de sécurité et no 060 : Code de discipline du SCC. Les paragraphes particuliers violés dans la deuxième directive étaient 6f) omettre de prendre les mesures voulues ou négliger ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons; 6g) omettre de respecter ou d’appliquer une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions; 6j) volontairement ou par négligence, faire ou signer une fausse déclaration ayant trait à l’exercice de ses fonctions; 6m) exercer ses fonctions de façon négligente et par ce fait, soit directement ou indirectement, mettre en danger un autre employé ou une autre personne quelconque ou causer des blessures ou la mort; 6p) négliger de prendre les mesures appropriées lorsqu’un délinquant risque de mettre en danger la vie d’autrui ou de causer des dommages (voir la lettre de congédiement, pièce 2, onglet 13).

46        Jason Hope était le sous­commissaire adjoint au moment du décès du détenu. Il a signé la lettre de licenciement révisée plutôt que M. Emann parce que ce dernier n’avait pas la délégation en matière de ressources humaines en vertu de l’article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11) pour signer l’original au moment du licenciement du fonctionnaire. Cette délégation est nécessaire pour effectuer un changement dans le statut d’emploi. Pour cette raison, une deuxième lettre de licenciement a été envoyée au fonctionnaire, signée cette fois par M. Hope (pièce 2, onglet 14). Il a participé au processus mené par M. Emann et était bien au courant des circonstances et des renseignements dont le directeur avait tenu compte.

47        Avant de signer la lettre, M. Hope a demandé à son directeur des opérations d’examiner toutes les rondes que le fonctionnaire avait faites. M. Hope a examiné la bande vidéo des rondes la nuit du décès, ce qui l’a amené à être [traduction] « consterné et désappointé » par ce qu’il a vu, selon son témoignage. Il a déclaré qu’il ne pouvait comprendre comment le fonctionnaire, ayant cinq ans d’expérience, était parvenu au point où il n’a pas tenu compte du principe le plus fondamental de son rôle d’agent correctionnel.

48        M. Hope était d’accord avec M. Emann pour dire que la rupture du lien de confiance avait rendu impossible la poursuite de la relation d’emploi. Les CX sont dans les établissements 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. L’employeur espère qu’ils s’acquitteront de leurs fonctions de manière efficace et efficiente. Les CX qui travaillent pendant le quart de nuit ont davantage la responsabilité de faire preuve de vigilance puisqu’ils travaillent seuls.

49        Le fonctionnaire n’a pas satisfait à cette attente. Il a été négligent dans l’exercice de ses fonctions et il n’a pas respecté la direction du SCC dans la DC n° 566-4 Dénombrements et patrouilles de sécurité. Il était évident d’après l’enregistrement vidéo que M. Hope avait visionné que le fonctionnaire ne s’était pas assuré que le détenu de chaque cellule était bien en vie malgré ce qu’il a écrit dans son RODA, ce qui était complètement faux. L’équipe qui a pris sa relève a découvert le détenu décédé et a déclaré qu’il était raide lorsqu’il a été trouvé, ce que les infirmières ont confirmé. Si le détenu avait été vu vivant à 6 h 02, comme le fonctionnaire l’a prétendu, le corps n’aurait pas été dans cet état lorsque l’équipe de relève qui est arrivée à 6 h 30 l'a découvert.

50        Le fonctionnaire a laissé à ses collègues un gâchis qu’ils ont dû réparer, et M. Hope ne pouvait plus lui faire confiance pour respecter les politiques ou l’énoncé de mission de l’employeur.

51        M. Hope ne savait pas comment la relation employeur-employé pouvait être rétablie puisque le fonctionnaire avait échoué aussi lamentablement en tant que CX. Le fait qu’il comptait cinq ans d’expérience aggravait la situation, car il aurait dû être mieux avisé. Peu importe ses évaluations du rendement, cette grave omission à respecter les attentes de rendement et son résultat justifiaient le licenciement.

52        M. Suelzle a témoigné de son expérience quant à la découverte d’un détenu qui s’était suicidé. En tant que premier intervenant, il a regardé dans la cellule par la fenêtre. Comme il n’était pas en mesure de localiser le détenu, il a demandé que la porte de la cellule soit ouverte. Avec trois autres CX, il est entré dans la cellule. S’il avait été seul, comme c’était le cas du fonctionnaire, il n’aurait pu entrer dans la cellule avant que l’aide soit arrivée. L’entrée dans une cellule dans de telles circonstances nécessite la présence d’au moins deux CX. Pendant le quart de nuit, cela provoque des délais dans les temps de réponse, puisque les CX qui font la patrouille seuls doivent attendre l’arrivée d’autres CX avant d’entrer dans une cellule.

53        Le fonctionnaire a nié le fait que la direction avait déjà évalué la qualité de ses rondes pendant la période qu’il a passée à l’Établissement. Il a supposé que la qualité respectait la norme requise et a déclaré que ce n’est que lorsqu’il a vu l’enregistrement vidéo de ses rondes la nuit en question qu’il a réalisé qu’il devait améliorer la façon dont il les réalisait.

54        Le fonctionnaire a témoigné de sa compréhension de la façon dont ses rondes devaient être effectuées. Il devait parcourir la rangée après avoir enregistré le début de la ronde. Il devait parcourir chaque rangée et regarder dans chaque cellule qui était occupée afin de s’assurer que le détenu qui s’y trouvait était bien en vie et qu’aucune activité illégale ne se déroulait. Si un détenu avait besoin d’une aide médicale pendant un quart de nuit, il devait appeler et attendre des renforts avant d’entrer dans une cellule. Selon l’endroit où se trouvaient ces renforts, l’intervention pouvait prendre de 10 à 15 minutes. La réalisation des rondes et des dénombrements faisait partie de son programme de formation de base (PFB) et de la formation en cours d’emploi qu’il a suivie lorsqu’il a commencé son emploi à l’Établissement.

55        Selon le témoignage du fonctionnaire, normalement, avant le début d’un quart de nuit, il bénéficiait d’une séance d’information de l’équipe de jour qui terminait son quart, ce qui nécessitait l’identification de tout détenu auquel il devait porter une attention particulière. La nuit en question, il n’a pas obtenu une séance d’information; il n’a pas été informé des risques que le détenu en question puisse tenter de se blesser. Lui-même et un autre CX ont effectué le dénombrement de 22 h 30, ce qui était le dernier dénombrement de la journée du 14 février 2014. Le fonctionnaire et un autre CX ont vu le détenu vivant à ce dénombrement. Par la suite, le fonctionnaire a été seul pour le reste du quart.

56        Lorsqu’il travaillait seul, le fonctionnaire utilisait une minuterie pour se souvenir de faire une ronde, après quoi il la consignait dans le registre. Sa dernière ronde de ce quart de nuit a commencé à la rangée A vers 6 h. Sa ronde à la rangée F a commencé vers 6 h 02. Vers 6 h 40, on a pris sa relève et il s’est rendu au bureau du gestionnaire correctionnel pour remettre son gaz poivré et indiquer la fin de son quart à 7 h. Il s’est rendu à la maison en voiture, a dormi pendant environ cinq heures puis est retourné à l’Établissement pour commencer son quart de nuit suivant.

57        Lorsqu’il est revenu la nuit du 15 février 2014, il s’est rendu au bureau du gestionnaire correctionnel pour se présenter. Le gestionnaire correctionnel en service lui a dit qu’un détenu avait été trouvé mort dans l’unité 8, rangée F, par l’équipe qui avait pris sa relève du quart de nuit plus tôt cette journée-là. Selon le fonctionnaire, le gestionnaire correctionnel lui a dit que le lecteur dyster utilisé pour enregistrer le début et la fin d’une ronde avait été vérifié et que ses rondes avaient toutes été faites à temps.

58        Selon le témoignage du fonctionnaire, le gestionnaire correctionnel lui a dit de ne pas s’inquiéter et de rédiger un bref RODA des événements de la nuit précédente, ce qu’il a fait (pièce 2, onglet 7). Il a écrit ce qui s’était véritablement passé selon lui; il n’avait aucune raison d’être malhonnête. Il savait que la cellule F7 était occupée cette nuit-là et il s’est rappelé avoir regardé à l’intérieur. Toutefois, comme il l’a indiqué dans son témoignage, puisqu’il y avait 19 cellules par rangée et 6 rangées à vérifier, il était impossible de se rappeler s’il avait vérifié le détenu de la cellule F7.

59        La période qui avait précédé le quart de nuit du 14 février 2014 avait été difficile sur le plan personnel pour le fonctionnaire, selon son témoignage. Son épouse avait besoin d’une chirurgie et devait s’absenter du travail pendant quatre semaines. Aucun membre de la famille ne pouvait les aider à s’occuper des enfants. Le fait de ne pas savoir exactement à quel moment la chirurgie se produirait faisait en sorte qu’il était difficile pour le fonctionnaire de prendre des dispositions. Il s’inquiétait de sa situation familiale, mais il n’en avait pas parlé à son employeur. Il en a parlé pour la première fois à l’audience.

60        Selon le fonctionnaire, on ne lui a jamais dit qu’après le suicide du détenu il n’occuperait pas de poste dans des unités résidentielles. En fait, il a été muté aux unités de travail les 15, 16, 17, 18 et 27 mars et 1er, 2 et 3 avril (voir l’horaire à la pièce 19, onglet 3). Il n’a eu aucun problème de rendement à aucun de ces quarts. Ses évaluations du rendement étaient bonnes dans l’ensemble, et celle pour la période prenant fin le 31 mars 2014 était très bonne (pièce 15).

61        À l’audience disciplinaire, le fonctionnaire a soutenu qu’il avait reconnu ne pas avoir consacré suffisamment de temps aux rondes la nuit en question. Il a dit à l’employeur qu’il était très désappointé de la qualité de ses rondes parce qu’il se soumettait à une norme élevée. Il a dit qu’il ne savait pas comment il n’avait pas vu le détenu de la cellule F7, mais il a admis que c’était possible qu’il l’ait fait. Le fonctionnaire a déclaré qu’il éprouvait de la sympathie et de la compassion parce que le détenu est décédé et que ses collègues avaient dû s’en occuper, mais il ne se sentait pas responsable du décès du détenu. Si les rondes avaient été effectuées correctement, personne ne peut affirmer que cela aurait empêché le décès du détenu. Il a dit au directeur que, s’il obtenait une deuxième chance, cela ne se reproduirait plus.

62        On a montré au fonctionnaire l’enregistrement vidéo de ses rondes la nuit du 14 février 2014. Il a dit qu’il s’est vu lui-même regarder correctement dans certaines cellules et regarder brièvement dans d’autres. Il a admis qu’il était possible qu’il ait omis certaines cellules cette nuit-là, mais il a déclaré qu’il était inexact de dire qu’il n’avait pas regardé dans la majorité d’entre elles. Selon lui, il était possible qu’il n’ait pas regardé dans la cellule F7, mais selon son témoignage, il n’est pas exact de dire qu’il n’a pas regardé dans les cellules. Il a contesté la conclusion de son employeur selon laquelle il n’a pas regardé dans la cellule F7. Selon lui, l’enregistrement vidéo de ses rondes était de piètre qualité et n’était pas clair, il était donc impossible de voir s’il a omis une cellule.

63        Le jour où son emploi a pris fin, le directeur a dit au fonctionnaire que, s’il ne souscrivait pas à la décision de l’employeur, il devait la contester. Le fonctionnaire a consulté deux représentants syndicaux, Randy Bunse et Paul Leclair, et leur a dit qu’il souhaitait présenter un grief. Ils l’ont fait le 20 avril 2014 et lui ont dit qu’ils s’occuperaient de tout à partir de ce moment.

64        Selon son témoignage, le fonctionnaire communiquait régulièrement avec M. Bunse qui lui a dit être patient et que tout se déroulait lentement. Lorsqu’il a demandé à M. Bunse pourquoi les choses prenaient autant de temps, ce dernier lui a dit que c’était ainsi. Le fonctionnaire n’a jamais vérifié sa convention collective, la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor, le Service correctionnel du Canada (CSC) et l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des Agents Correctionnels du Canada – Confédération des Syndicats Nationaux – CSN (UCCO-SACC-CSN) (la « convention collective ») afin de connaître les étapes de la procédure de règlement des griefs. C’était M. Bunse qui n’avait pas respecté les délais. Il a dit au fonctionnaire que le syndicat s’en occupait, c’est ce qu’il croyait selon son témoignage.

65        Le fonctionnaire a admis qu’avant son licenciement, il était au courant de ses obligations en vertu du « Code de conduite » et des « Règles de conduite professionnelle » du SCC. Il a signé une déclaration à cet effet 11 jours avant d’être assermenté en tant que CX.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la demande de prorogation de délai

1. Pour l’employeur

66        Le fonctionnaire n’a fourni aucune raison claire, logique ou convaincante pour expliquer le retard à renvoyer le grief à l’arbitrage, la demande de prorogation de délai ne devrait donc pas être accordée. En vertu du par. 90(1) du Règlement, la Commission n’a pas compétence, sauf si le fonctionnaire a renvoyé l’affaire à l’arbitrage dans les 40 jours après avoir reçu la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs ou, si la personne dont la décision constitue le dernier palier n’a pas répondu, dans les 40 jours après la date où elle devait être donnée. L’employeur n’a jamais envoyé une telle réponse, même si la convention collective précise qu’elle devait être donnée dans les 30 jours de la réception du grief au dernier palier. Il n’a jamais eu l’intention de rendre une décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, même si cela n’a pas été communiqué au fonctionnaire ou au syndicat.

67        L’affaire Chow c. Conseil du Trésor (Agence de la santé publique du Canada)), 2015 CRTEFP 81, précise clairement que, si aucune réponse n’est reçue à un palier de la procédure de règlement des griefs, il est considéré comme rejeté. Cela étant dit, les fonctionnaires ont un recours au par. 90(2) du Règlement. Une réponse à un grief n’est pas un critère à prendre en considération au moment de calculer les délais. En l’espèce, la réponse au dernier palier devait être donnée le 9 mai 2014. Cela signifie que le fonctionnaire avait jusqu’au 12 juillet 2014 pour renvoyer l’affaire à l’arbitrage. Il ne l’a fait que 50 jours plus tard, le 19 septembre 2014.

68        Le non-respect des délais prescrits du renvoi à l’arbitrage n’est pas contesté. En vertu de l’al. 61b), un fonctionnaire peut demander la prorogation de délai pour renvoyer une affaire à l’arbitrage. Ces demandes sont accordées avec parcimonie afin de ne pas déstabiliser le régime de relations de travail de la fonction publique (voir Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut du réfugié)), 2011 CRTFP 68). Les délais prévus au Règlement sont prescriptifs et ils ne devraient être prorogés qu’en cas d’exception (voir Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2015 CRTEFP 39 au par. 57).

69        Le critère pour accorder la prorogation de délai figure au paragraphe 14 de Cloutier c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 31 (qui invoquait Mark c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 34; Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services Gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1). Il faut tenir compte de la question de savoir si le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, de la durée du retard; de la diligence raisonnable du demandeur, de l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée; des chances de succès du grief.

70        Un fonctionnaire doit renvoyer son grief à l’arbitrage dans le délai prescrit. Si cela n’est pas fait, il revient au fonctionnaire de convaincre l’arbitre de grief de la raison pour laquelle le redressement devrait être accordé (voir Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, au par. 46).

71        En l’espèce, il n’y a aucune raison claire, logique ou convaincante pour expliquer le retard. Rien n’empêchait le syndicat ou le fonctionnaire de renvoyer le grief à l’arbitrage. L’attente de la réponse au grief au dernier palier de l’employeur n’était pas nécessaire. La véritable raison pour laquelle l’affaire n’a pas été renvoyée à l’arbitrage en temps utile était l’omission causée par la désorganisation de la section locale du syndicat.

72        La Commission a établi dans une série de décisions que chacun des critères de Schenkman n’avait pas une importance égale. Chaque critère doit subir une évaluation prudente et rigoureuse par rapport au contexte factuel de chaque affaire. Un motif sérieux doit être fourni pour expliquer le retard, la désorganisation d’un syndicat n’en est pas un.

73        Le Règlement a été élaboré dans l’intention de mettre fin à une affaire (voir Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33; Brassard c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 102; Lagacé; Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110).

74        Les erreurs du syndicat sont celles du fonctionnaire et les deux ne sont pas considérés comme des entités distinctes (voir Copp, au par. 29). Le fonctionnaire n’a pas fait preuve de diligence, il s’en est remis au syndicat pour renvoyer son grief à l’arbitrage. Le syndicat est très compétent et il s’agit d’une organisation active qui connaît les règles et les délais pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage. Le syndicat savait qu’il n’avait pas à attendre la réponse au dernier palier pour renvoyer une affaire à l’arbitrage si cette réponse n’était pas reçue en temps opportun. Il est évident que l’employeur n’a jamais eu l’intention de répondre au dernier palier, pourquoi le syndicat a-t-il alors attendu une réponse?

75        L’employeur ne devrait pas assumer les conséquences de l’omission du syndicat de représenter efficacement le fonctionnaire. Le fonctionnaire est également à blâmer pour ne pas avoir donné suite à son grief de manière diligente (voir Grouchy, au par. 51; Lawrence c. Agence du revenu du Canada, 2007 CRTFP 65 au par. 44).

76        Comme le retard n’est pas justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, les autres critères de Schenkman ne devraient pas être pris en compte et la prorogation de délai ne devrait pas être accordée.

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

77        L’employeur ne devrait pas invoquer son omission de répondre au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et de respecter les modalités de la convention collective dans son objection à la compétence de la Commission. À la clause 20.14 de la convention collective, l’employeur a accepté de répondre au dernier palier selon un délai réduit, plus court que celui qui est prévu par le Règlement. Cette clause précise que l’employeur doit normalement répondre au grief au dernier palier dans les 30 jours de la présentation du grief à ce palier. Cela signifie que l’obligation de répondre à ce palier est obligatoire, dans le cours normal des choses. L’employeur n’a discerné aucune circonstance exceptionnelle qui rendrait cette clause inapplicable.

78        On ne peut dire que l’intention du par. 90(2) du Règlement est de permettre à un employeur qui ne respecte pas ses obligations en vertu de la convention collective d’assujettir un fonctionnaire à une norme élevée de respect de ses obligations. Le fonctionnaire a reconnu que son grief a été renvoyé à l’arbitrage environ 50 jours après l’expiration du délai. L’alinéa 61b) du Règlement prévoit un redressement dans ces circonstances, lorsque la poursuite du grief est permise par souci d’équité (voir Schenkman).

79        Le retard du fonctionnaire n’était pas anormalement long. Il était de 50 jours, ce qui peut se comparer aux retards dans la jurisprudence, qui dépassent 7 mois. Le retard était causé en partie par la désorganisation du syndicat. Des raisons claires, logiques et convaincantes justifient la prorogation de délai par souci d’équité. Le fonctionnaire a fait preuve de diligence raisonnable et a présenté son grief rapidement. La direction de la section locale de son syndical l’a avisé qu’elle s’en occupait et il s’en est remis à elle pour donner suite à son grief en temps utile. Le syndicat attendait que l’employeur fournisse sa réponse au dernier palier. Il a fait le suivi avec son représentant de nombreuses fois, qui lui a dit chaque fois de ne pas s’inquiéter parce que les griefs prennent du temps. Il était raisonnable de sa part de faire confiance à ses représentants pour donner suite au grief.

80        Afin d’établir les chances de succès s’il est permis qu’il soit donné suite au grief, la question à se poser est celle de savoir s’il y a une cause défendable, ce qui est très certainement le cas en l’espèce. Il y aurait une grave injustice pour le fonctionnaire s’il ne lui était pas permis de contester son licenciement et demander son rétablissement puisqu’il s’agit du seul forum où il peut le faire selon la loi. Il n’y a aucune preuve ni aucun argument quant au préjudice que subirait l’employeur si le grief pouvait se poursuivre.

81        Dans Trenholm c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65, l’arbitre de grief a accordé une prorogation de délai et conclu que la période de 5,5 mois n’était pas un délai anormal même s’il n’y a pas de preuve de l’existence de raisons claires, logiques et convaincantes le justifiant ou d’une diligence raisonnable de la part du fonctionnaire. Malgré cela, l’arbitre de grief, a accordé la prorogation de délai parce qu’aucun autre redressement ne permettait d’aborder la perte du statut d’emploi autre que par la procédure de règlement des  griefs.

82        L’arbitrage de grief est la seule méthode opportune au moyen de laquelle un agent négociateur a la possibilité de convaincre un arbitre de grief de réintégrer le fonctionnaire. Si aucun préjudice tangible n’est subi par l’employeur en raison du retard, mais que le fonctionnaire perd son droit de présenter une cause défendable en vue de son rétablissement, l’équité exige que le fonctionnaire se voie accorder cette possibilité (voir Prior c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 96 aux paragraphes 59, 60, 141 et 144; Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144, au par. 62).

B. Pour le grief

1. Pour l’employeur

83        Si la prorogation de délai est accordée, le grief devrait être rejeté. L’employeur avait raison d’imposer une mesure disciplinaire et la sanction était appropriée, en particulier compte tenu du mandat de l’employeur d’exercer un contrôle sécuritaire sur les détenus sous sa garde (voir l’énoncé de la mission du SCC, pièce 4). L’employeur a établi les valeurs et les responsabilités du SCC et de ses employés, y compris les CX. Ils doivent accomplir leurs fonctions de la meilleure façon possible.

84        Les principales responsabilités d’un CX sont établies dans des ordres de poste (pièce 2, onglet 16) et comprennent l’obligation de s’assurer que les détenus sont en sécurité. Cela est directement lié au mandat de l’employeur. On s’attend à ce que les CX s’acquittent pleinement et correctement de leurs obligations en tout temps. Ils sont tenus de se conformer à des normes de conduite très élevées, étant donné leur rôle en matière de sécurité publique (voir Stead c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)), 2012 CRTFP 87, au par. 67; McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, au par. 80; British Columbia v. British Columbia Government Employees’ Union, [1993] B.C.C.A.A.A. No. 44, au par. 27 (QL)).

85        En tant que CX-01, le fonctionnaire s’est vu attribuer le quart de nuit. Après 22 h 30, il devait faire ses rondes seul. Sa principale obligation consistait à effectuer un nombre minimal de rondes prévues dans l’ordre de poste. S’il avait eu des doutes quant à ses obligations, il pouvait facilement avoir accès à l’ordre de poste à l’unité pour référence. Son travail consistait à assurer la sécurité et le bien-être des détenus sous sa garde cette nuit-là. À chaque ronde, il devait s’assurer que le détenu qui se trouvait dans chaque cellule était bien en vie.

86        Tout le monde dans l’établissement se fiait au fonctionnaire et aux autres CX pour s’acquitter correctement de leurs obligations. Les rondes jouent un rôle important dans la sécurité des détenus, du personnel et de tout l’Établissement. Les CX suivent une formation durant leur PFB quant à la réalisation appropriée des rondes, ce qui est appuyé par la formation en cours d’emploi qu’ils suivent au début de leur carrière. Le fonctionnaire a suivi avec succès toute cette formation et il effectuait des rondes depuis au moins cinq ans au moment de l’incident. Les rondes sont faites de façon répétée à chaque quart. Il s’agit d’une fonction de base d’un CX qui ne peut être facilement oubliée.

87        La nuit en question, le fonctionnaire a été affecté à la supervision de l’unité 8. Il n’a pas effectué ses rondes correctement comme il devait le faire. Il n’a pas regardé dans chaque cellule afin de s’assurer que le détenu qui s’y trouvait était bien en vie. Il n’a pas agi sous l’impulsion du moment. Le fonctionnaire a été négligent pour les neuf rondes qu’il a effectuées cette nuit-là. Il lui a fallu moins d’une minute pour faire chaque ronde; il parcourait la rangée de 50 pieds qui contenait 19 cellules à cette époque. Il est impossible qu’il ait pris le temps de regarder dans chaque cellule et de vérifier l’état du détenu en aussi peu de temps. Le fonctionnaire mesure 6 pieds et 4 pouces et, étant donné sa taille, il aurait dû se pencher pour regarder par la fenêtre de la porte de chaque cellule. Il est évident dans la vidéo qu’à aucun moment il ne se penche pour regarder par la fenêtre. En fait, il ne s’arrête à aucune des portes des cellules.

88        En omettant d’accomplir ses fonctions correctement, le fonctionnaire a empêché une réaction et une intervention hâtives qui auraient pu empêcher le décès du détenu. Le fonctionnaire était obligé d’intervenir en temps utile, ce qui l’obligeait à être vigilant. Le décès du détenu n’a été découvert que trois heures au moins après son décès. Si le fonctionnaire avait pris le temps de regarder dans la cellule comme il devait le faire, il aurait remarqué que le détenu était dans un état de détresse médicale.

89        Les cellules de l’Établissement sont très petites et, si le fonctionnaire avait accompli ses fonctions comme il devait le faire, il aurait remarqué le détenu suspendu au-dessus du sol face contre terre, à la tringle à cintres. Les autres ont plutôt dû gérer la situation traumatisante. Le fonctionnaire savait ce qui était attendu de lui et il a omis de le faire. M. Emann a exprimé d’importantes préoccupations au sujet de ce qu’il a vu dans l’enregistrement vidéo des rondes du fonctionnaire. Il a conclu que le fonctionnaire avait fait preuve de négligence en s’acquittant de sa fonction principale en tant que CX.

90        Dans le RODA que le fonctionnaire a rédigé à son retour à l’Établissement la nuit du 15 février 2014, il a soutenu avoir effectué 10 rondes (en fait il en a fait 9) et avoir vu un corps bien en vie dans la cellule F7 chaque fois. L’enregistrement vidéo ne corrobore pas ce fait; le fonctionnaire n’a jamais regardé dans la cellule F7 cette nuit-là. Le Code de discipline de l’employeur précise clairement qu’une fausse déclaration faite volontairement ou par négligence est une infraction. Le fonctionnaire savait qu’il n’avait pas vu un corps bien en vie dans la cellule F7 ni en fait dans aucune autre cellule à chaque ronde cette nuit-là.

91        Le fonctionnaire a eu la possibilité de regarder l’enregistrement vidéo de ses rondes. Son seul commentaire était qu’elles [traduction] « auraient pu être mieux faites ». Il n’a pas reconnu sa diligence à l’époque ou à l’audience. Dans son témoignage, il n’a pas assumé la responsabilité de ses actions. Il ne comprenait pas la gravité de sa négligence, l’importance des rondes et son rôle en tant que seul CX de l’unité pendant le quart de nuit.

92        Ce n’est qu’à l’audience qu’il a indiqué avoir eu des problèmes familiaux en février 2014. Il n’a jamais dit à son employeur ou à ses collègues qu’il avait des problèmes ou que ces derniers pouvaient avoir une incidence sur ses actes cette nuit-là. Comme sa défense n’a pas été soulevée pendant la procédure de règlement des griefs, le fonctionnaire ne pouvait la soulever à l’audience (voir Burchill v. Canada (Attorney General), [1981] 1 F.C. 109 (C.A.)).

93        Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’a pas été informé ou prévenu cette nuit-là du détenu de la cellule F7. Quelle différence cela aurait-il fait? Il aurait regardé dans la cellule pour s’assurer qu’il y avait un corps bien en vie, ce qui correspondait exactement à ce qui était attendu de lui. La négligence grave d’un CX ne peut être tolérée. Cela contrevient au cœur même du mandat du SCC et du poste de CX.

94        Le fonctionnaire est coupable d’avoir violé les alinéas 6f), g), m) et p) du Code de discipline de l’employeur. Il savait et il comprenait qu’il était lié par ce Code; il a signé une déclaration à cet effet. Ces violations ont rompu son lien de confiance avec l’employeur. Ce dernier ne peut faire confiance à un CX qui ne prend pas un soin approprié des détenus qui sont sous son contrôle. La confiance est fondamentale à la relation de travail, en particulier lorsque la sécurité des autres est en danger (voir McKenzie, au par. 80).

95        L’employeur a tenu compte des circonstances atténuantes et aggravantes avant de conclure que le licenciement du fonctionnaire était approprié. Il avait un dossier disciplinaire vierge et de bonnes évaluations du rendement. L’évaluation du rendement du 31 mars 2014, rendue après l’incident, a été une bonne évaluation malgré l’incident parce que le gestionnaire correctionnel qui l’a faite n’a pas participé au processus disciplinaire. Comme le processus disciplinaire était confidentiel, le gestionnaire correctionnel qui a fait l’évaluation n’était pas au courant des questions concernant le rendement du fonctionnaire la nuit du 14 au 15 février 2014.

96        Les circonstances et l’étendue de la négligence grave du fonctionnaire dans l’accomplissement de ses fonctions étaient des circonstances aggravantes. Cela équivalait à une négligence grave et non à une simple négligence. En raison de cette négligence grave, aucune intervention qui aurait permis de sauver une vie n’a été possible. Un décès en détention en a été la conséquence. Cette négligence n’était pas isolée ou accidentelle. Le fonctionnaire n’a pas effectué de ronde correctement cette nuit-là. Il ne comprenait pas la gravité de sa négligence.

97        Les années de service du fonctionnaire constituaient également une circonstance aggravante. Il connaissait les attentes de l’employeur au sujet des rondes et l’importance de les effectuer correctement. S’ajoutaient à cela le faux RODA qu’il a présenté, la prétention selon laquelle il avait effectué toutes les rondes et qu’à chaque ronde il avait vu un corps bien en vie dans la cellule F7. Il s’agissait d’une tentative délibérée de dissimuler sa négligence. Il n’est pas possible de dire qu’il ne savait pas qu’il n’avait pas effectué ses rondes correctement cette nuit-là.

98        Évaluées par rapport aux circonstances aggravantes, les circonstances atténuantes ne prévalent pas sur la gravité de la violation et de la perte de confiance de l’employeur à l’égard du fonctionnaire. Les cas de licenciement sont fondés sur les faits. Le caractère raisonnable de la sanction imposée doit être évalué par rapport aux faits. Dans Management and Training Corp. of Canada (c.o.b. Central North Correctional Centre) v. Ontario Public Service Employees Union (2006), 148 L.A.C. (4e) 126, une négligence grave par des agents dans l’accomplissement de leurs fonctions a justifié leur licenciement. Comme dans Stead, la négligence du fonctionnaire a créé une situation de risque accru de blessures pour les détenus. En outre, comme dans Stead, le faut RODA du fonctionnaire a accentué la gravité de son inconduite.

99        Un arbitre de grief devrait modifier une sanction disciplinaire uniquement lorsqu’elle est erronée ou déraisonnable (voir Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119; Ranu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 89). En l’espèce, le licenciement du fonctionnaire n’était pas déraisonnable ou erroné. Il tenait compte de la gravité du manquement, qui peut avoir empêché de sauver la vie d’un détenu.

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

100        La seule question à établir est la sanction appropriée. Le fonctionnaire est coupable d’avoir eu une nuit un comportement insouciant, non de négligence. Comment cela a-t-il pu irrémédiablement rompre son lien de confiance avec l’employeur? Il ne s’agissait pas d’un acte intentionnel pour nuire à l’employeur. Il n’a pas été malhonnête ou trompeur; il n’y a eu qu’une nuit de travail non attentif alors que le fonctionnaire subissait un important stress familial. Il ne conteste pas le fait de ne pas avoir partagé sa situation familiale avec personne avant l’audience, mais cela ne signifie pas qu’il ne s’agissait pas d’un facteur.

101        Le fonctionnaire n’a jamais nié son comportement inadéquat lorsqu’il a vu l’enregistrement vidéo de ses rondes. Il n’a jamais reproché à d’autres son omission d’effectuer les rondes correctement. Il a assumé l’entière responsabilité lorsqu’il a appris ses manquements. Comment une nuit de travail insouciant, que le fonctionnaire a reconnu et promis de corriger s’il avait une deuxième chance, peut-elle justifier un congédiement? Comment cette nuit a-t-elle pu détruire irrémédiablement la relation d’emploi et cinq ans d’excellent travail?

102        La preuve ne montre pas que le décès du détenu découlait de l’inaction du fonctionnaire. La question principale est celle de savoir si le fait d’avoir fait des rondes inadéquates justifiait le congédiement. L’accent doit être mis sur l’état d’esprit coupable et non la tragédie. L’état d’esprit coupable correspondait à une insouciance et non à une négligence. L’inaction et l’insouciance sont beaucoup moins fautives que la négligence. Le fonctionnaire n’a nié à aucune étape du processus que sa conduite cette nuit-là était inadéquate. À son avis, la relation d’emploi est toujours viable.

103        Les évaluations du rendement du fonctionnaire n’indiquent pas qu’il y avait un problème continu quant à la qualité de ses rondes. Rien dans la preuve n’indique qu’il devait être présent lorsque la pendaison est survenue, de sorte que l’employeur n’a prouvé aucun des éléments requis pour une violation de la norme professionnelle 6p), qui est de négliger de prendre des mesures lorsqu’un délinquant risque de mettre en danger la vie d’autrui ou de causer des dommages. Si l’intention de l’employeur était d’invoquer l’omission du fonctionnaire de découvrir le détenu, il devait alors présenter une preuve à cet égard.

104        Le Dr Van Wyk n’a pas rendu un témoignage d’expert quant au moment du décès du détenu. Pour qu’une rigidité cadavérique complète s’installe, le détenu doit être mort depuis 8 ou 10 heures et la RCP n’aurait pas été possible. Selon le témoignage du CX qui a découvert le détenu, la RCP a été effectuée après que le détenu a été placé d’une position assise à une position étendue. Un seul RODA mentionne la rigidité. Par conséquent, il est probable que le fonctionnaire n’aurait jamais vu le détenu. L’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver que le détenu s’est suicidé avant la dernière ronde du fonctionnaire.

105        Dans des circonstances normales, il se serait agi d’une occasion d’apprentissage. Les choses se sont détériorées uniquement en raison d’un décès en détention et de la sensibilité de l’employeur par rapport à ce type d’événement en raison des événements récents. Le fonctionnaire a admis avoir fait preuve de complaisance à l’égard de la routine de l’Établissement et de simples fonctions. La preuve indique clairement qu’il n’a pas été trompeur ou malhonnête dans son RODA. Lorsqu’il a vu l’enregistrement vidéo, il a reconnu qu’il avait très mal fait ses rondes. Il a été contrarié par ce qu’il a vu et ses actes et ses mots étaient conformes à ceux d’une personne qui a fait un travail médiocre. La situation médicale de son épouse était un facteur contributif à sa complaisance et devrait être considérée comme une circonstance atténuante. Lorsque l’inconduite d’un fonctionnaire s’estimant lésé est déclenchée ou influencée d’une certaine façon par des problèmes familiaux, les arbitres de différends et les arbitres de griefs ont modifié la mesure disciplinaire imposée (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au par. 7:4424).

106        L’employeur n’a pas établi la rupture irrémédiable de la confiance. Le fonctionnaire n’a fait aucune tentative délibérée pour nuire à l’employeur. La complaisance n’établit pas une telle rupture. Ces évaluations du rendement suggèrent que la relation est viable. La description de la relation de confiance par l’employeur doit être prise avec un grain de sel. Il avait l’intention de licencier le fonctionnaire avant même de le rencontrer, ce qui ressort clairement de l’avis d’audience disciplinaire (pièce 2, onglet 10) et du procès-verbal de cette réunion (pièce 19, onglet 2).

107        L’état d’esprit coupable du fonctionnaire dans Matthews c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 38, était pire que celui du fonctionnaire en l’espèce. Contrairement à M. Matthews, M. Yayé n’a pas eu l’intention de nuire délibérément à l’employeur. La preuve doit être évaluée dans sa totalité afin d’établir si la relation d’emploi a été rompue.

108        D’autres affaires concernant des conduites pires de CX n’ont pas justifié de licenciement. Dans Buchanan c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 91, un surveillant correctionnel s’est vu imposer une suspension de 20 jours pour avoir accompli ses fonctions de façon négligente à l’unité d’isolement. Dans Bridgen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 92, les employés correctionnels n’ont pas respecté les politiques de l’employeur sur les urgences médicales. Selon l’ordre d’une gestionnaire correctionnelle, les CX en service ont réagi tardivement lorsqu’une détenue s’est suicidée. Les directives de la gestionnaire correctionnelle ont contribué à la confusion parmi les CX sur la façon d’aborder les urgences médicales concernant une détenue. Mme Bridgen s’est vu imposer une suspension de 20 jours, qui a été réduite à 10 jours, parce qu’elle n’était pas la seule gestionnaire à donner des directives aux CX qui ont violé la politique. Il convient de remarquer que, dans cette affaire, Mme Bridgen n’a jamais reconnu avoir accompli un acte répréhensible. Dans Maas c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123, des CX se sont vu imposer des suspensions de deux jours, qui ont été réduites à un jour, pour avoir omis de pratiquer la RCP sur un détenu décédé, ce qui contrevenait à plusieurs politiques de l’employeur.

109        La présente affaire concerne la question de savoir si un CX ayant 5,5 années de bon rendement pouvait être licencié pour une nuit de travail insouciant. Il a reconnu ses torts et assumé la responsabilité du caractère inadéquat de ses rondes. Il s’est engagé à régler les problèmes relatifs à ses rondes si on lui donnait une deuxième chance. La jurisprudence et les faits n’établissent pas que ses rondes inadéquates représentaient une rupture irrémédiable de la confiance qui justifiait son licenciement.

IV. Motifs

A. Pour la prorogation de délai

110        Il existe une pléthore de décisions de jurisprudence sur la question de savoir si un arbitre de grief doit exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger les délais pour renvoyer un grief à l’arbitrage en vertu de l’art. 61 du Règlement. L’article 90 précise que le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard 40 jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Si une telle décision n’est pas rendue, le renvoi doit alors être fait dans les 40 jours suivant l’expiration de la période pour une réponse au dernier palier.

111        À la clause 20.14 de la convention collective, l’employeur s’est engagé à répondre aux griefs déposés au dernier palier dans un délai de 30 jours suivant la réception du grief à ce palier. Cet employeur a refusé de respecter cette obligation et a tenté à l’audience d’invoquer cette violation en faisant valoir que la Commission n’avait pas compétence parce que le fonctionnaire n’avait pas renvoyé son grief à l’arbitrage dans les délais prescrits par le Règlement. En fait, l’avocate de l’employeur a déclaré dans son argumentation que l’employeur n’avait eu à aucun moment l’intention de répondre au grief au dernier palier. S’il n’a pas eu l’intention de respecter ses obligations de répondre, quelle est alors la pertinence de cette clause?

112        Cette clause a un but, qui est de donner à l’employé la possibilité que l’employeur revoie sa décision avant qu’une affaire soit renvoyée à un décideur tiers pour examen. Le syndicat m’a expliqué qu’il attendait ce nouvel examen avant de renvoyer l’affaire à l’arbitrage.

113        Il m’a aussi été expliqué que la confusion régnait à la section locale du syndicat à l’établissement depuis un certain temps et que les personnes qui sont restées après le décès du président ainsi que les élections et les démissions qui ont suivi ont dû réparer les pots cassés. Ces personnes n’avaient aucune expérience en matière de procédure de règlement des griefs puisque peu ont été présentés à l’Établissement.

114        À mon avis, il était raisonnable que le syndicat se fonde sur l’employeur pour respecter ses obligations prévues par la convention collective. Selon moi, il n’était pas raisonnable que l’employeur invoque son non-respect de la convention collective et le respect par le syndicat de cette dernière pour créer un obstacle au renvoi à l’arbitrage. Le fait de permettre un tel prétexte ne serait pas dans l’intérêt de la justice, en particulier puisque le fonctionnaire n’aurait aucun redressement ailleurs qui lui donnerait la possibilité de réintégrer son poste.

115        Le fonctionnaire a établi que le retard à renvoyer l’affaire à l’arbitrage est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes. Il a communiqué avec ses représentants syndicaux qui lui ont assuré que les choses prenaient du temps et qu’il ne devait pas s’inquiéter. Le retard était minime et n’a causé aucun préjudice à la cause de l’employeur. C’est le fonctionnaire qui subit le plus grand préjudice, puisqu’il a une cause défendable en vue de son rétablissement. Cela ne signifie pas qu’il aura nécessairement gain de cause, mais plutôt que sa cause mérite d’être examinée.

116        Comme l’arbitre de grief dans Trenholm, j’accorde plus d’importance au préjudice subi par le fonctionnaire qu’aux autres facteurs de Schenkman, étant donné qu’il s’agit d’une affaire de licenciement. Il n’y a aucun redressement de rechange contre le syndicat pour omission de représentation qui offre au fonctionnaire la possibilité de réintégrer son poste. L’arbitrage est la seule possibilité dont dispose le syndicat, en particulier puisque l’employeur a refusé de rendre une décision au dernier palier, de convaincre une personne que la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire n’était pas appropriée. C’est non seulement dans l’intérêt supérieur du fonctionnaire que cette affaire soit entendue sur le fond, mais c’est également le cas pour l’employeur qui doit démontrer que ses actes étaient appropriés et justes dans les circonstances.

117        Pour ces raisons, j’accorde la prorogation de délai et je déclare avoir compétence à l’égard de cette affaire pour qu’elle puisse être entendue sur le fond.

B. Pour le grief

118        J’ai pris en considération tous les facteurs et arguments présentés par les parties au soutien de leur position sur la question de la mesure disciplinaire imposée. L’employeur a invoqué Cooper au soutien de son argument selon lequel l’arbitre de grief ne devrait pas modifier une sanction disciplinaire imposée, sauf si elle est déraisonnable ou erronée (Cooper,au par. 13). Dans d’autres décisions, on indique que la sanction devrait être annulée uniquement si elle est excessive (Iammarrone c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 20 et Rahim c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 121). Dans d’autres encore, l’arbitre de grief a conclu que la décision ne devrait pas être annulée si elle était justifiée (McNulty c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 105).

119        Essentiellement, à mon avis, toutes ces affaires appuient le même principe selon lequel une sanction disciplinaire imposée par l’employeur contre un employé doit être justifiée dans les circonstances, elle doit tenir compte de l’ensemble des circonstances aggravantes et atténuantes et elle doit être raisonnable. Une sanction raisonnable n’est pas excessive. Selon la preuve dont je suis saisie, je conclus que la cessation d’emploi du fonctionnaire n’était pas excessive et qu’elle était raisonnable dans les circonstances.

120        Le fonctionnaire a admis qu’il s’est peu soucié de ses fonctions en tant que CX pendant le quart de nuit du 14 au 15 février 2014. Il a admis que ses rondes n’étaient pas au niveau de celui attendu d’un CX. Son avocat a fait remarquer que l’admission était la reconnaissance par le fonctionnaire qu’il s’était mal conduit et a déclaré qu’il méritait une mesure disciplinaire bien moindre que celle que l’employeur a imposée. L’avocat du fonctionnaire a également fait valoir que le stress lié à la situation familiale du fonctionnaire l’avait amené à être inattentif à ses fonctions et que cette inattention cette nuit-là n’était pas suffisamment grave pour constituer de la négligence.

121        Je n’accepte pas ces arguments. Ce que j’ai vu dans l’enregistrement vidéo des rondes montrait clairement que le fonctionnaire n’avait aucun intérêt à effectuer correctement ses rondes cette nuit-là. Il ne s’est arrêté à aucune des portes de cellule suffisamment longtemps pour regarder à l’intérieur afin de savoir si l’occupant était en sécurité ou s’il exerçait des activités qui constituaient une menace pour sa sécurité ou celle de l’Établissement. Je conclus que le fonctionnaire savait ce qui était attendu de lui lorsqu’il effectuait ses rondes cette nuit-là et qu’il ne s’est pas efforcé de satisfaire à ces attentes.

122        Ce profond manque de respect à l’égard de l’importance d’effectuer des rondes correctement dans un établissement correctionnel était une négligence grave et justifiait une sanction sévère. La question de savoir si le détenu aurait survécu à sa tentative de suicide ne sera jamais connue en raison de la négligence du fonctionnaire qui a empêché toute intervention. J’accepte le témoignage du Dr Van Wyk selon lequel le moment du décès du détenu, selon l’état du corps au moment où il a été trouvé, remonte probablement à trois heures avant la fin du quart du fonctionnaire, ce qui signifie que, pendant au moins deux rondes qu’il a effectuées, au sujet desquelles il a attesté que tous les détenus dont il était responsable étaient bien en vie, il y avait un détenu décédé dans l’une des cellules qui n’avait pas été découvert.

123        Dans son témoignage, le fonctionnaire a déclaré que, lorsqu’il a visionné les enregistrements vidéo de ses rondes cette nuit-là, il s’est vu lui-même regarder intensément dans certaines cellules et brièvement dans d’autres. Il a admis qu’il était possible qu’il ait omis certaines cellules cette nuit-là, mais qu’il était inexact de dire qu’il n’avait pas regardé dans la majorité d’entre elles. Il est possible qu’il n’ait pas regardé dans la cellule F7 selon le fonctionnaire, mais selon son témoignage, il n’est pas exact de dire qu’il n’a pas regardé dans les autres cellules. Il a contesté la conclusion de son employeur selon laquelle il n’a pas regardé dans la cellule F7. De toute évidence, le fonctionnaire met en doute la question de savoir s’il a regardé dans cette cellule.

124        Selon le fonctionnaire, l’enregistrement vidéo de ses rondes était de piètre qualité et n’était pas clair, il était donc impossible de voir s’il a omis une cellule. Je ne suis pas d’accord. L’enregistrement avait un aspect granuleux, mais il montrait clairement le fonctionnaire se rendre au bout de la rangée et revenir sans s’arrêter une fois pour regarder par la fenêtre de la porte d’une cellule. Comme le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il mesure 6 pieds et 4 pouces et que la fenêtre de la porte de la cellule se trouve environ 5 pieds au-dessus du sol, pour regarder par la fenêtre et voir l’intérieur de la cellule, il aurait eu à se pencher. À aucun moment de l’enregistrement on ne le voit faire cela. Le fait de parcourir la rangée en brandissant le faisceau de sa lampe de poche d’un côté à l’autre ne revient qu’à illuminer le plancher devant lui. Le fonctionnaire n’a pas seulement omis d’effectuer ses rondes correctement, je suis d’avis que cette nuit-là, il ne les a pas faites du tout. Tout RODA qui aurait prétendu le contraire était sciemment faux.

125        Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’à l’audience disciplinaire il a reconnu ne pas avoir consacré suffisamment de temps aux rondes la nuit en question. Il a déclaré avoir dit à l’employeur qu’il était très désappointé de la qualité de ses rondes parce qu’il se soumettait à une norme élevée. Le fonctionnaire ne savait pas comment il n’avait pas vu le détenu pendu dans sa cellule, mais il a admis que c’est possible qu’il l’ait fait. Le fonctionnaire a déclaré qu’il éprouvait de la sympathie et de la compassion parce que le détenu est décédé, mais il ne se sentait pas responsable de son décès. Personne ne peut affirmer que, si les rondes avaient été effectuées correctement, cela aurait empêché le décès du détenu. Il a dit au directeur que, s’il obtenait une deuxième chance, cela ne se reproduirait plus.

126        Le fonctionnaire me l’a répété comme expression de son remords. Le remords est un regret ou un sentiment de culpabilité profond pour une faute commise. Cela oblige la personne à comprendre la nature de la faute et son incidence sur les autres. Ce que le fonctionnaire a exprimé ne comportait aucun élément de prise de conscience ou d’introspection. Cela ressemble plutôt à une déclaration pour la forme qu’on sait nécessaire en vue d’une réintégration. De même, sa description de la situation médicale de son épouse consistait principalement en une description de l’incidence qu’elle aurait eue sur sa capacité à se présenter au travail plutôt qu’en une préoccupation pour sa santé.

127        Selon mon évaluation, le fonctionnaire n’a pas démontré avoir véritablement compris les conséquences éventuelles de ses actes et aurait certainement le même comportement à l’avenir, ce qui place l’établissement, les détenus et ses collègues en danger.

128        L’employeur a établi, selon la prépondérance des probabilités, que le fonctionnaire a contrevenu à la DC n° 566-4 : Dénombrements et patrouilles de sécurité et à la DC no 060 : Code de discipline. En particulier, il a violé les parties suivantes de la deuxième directive, soit les alinéas 6f) omettre de prendre les mesures voulues ou négliger ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons; 6g) omettre de respecter ou d’appliquer une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions; 6j) volontairement ou par négligence, faire ou signer une fausse déclaration ayant trait à l’exercice de ses fonctions; 6m) exercer ses fonctions de façon négligente et par ce fait, soit directement ou indirectement, mettre en danger un autre employé ou une autre personne quelconque ou causer des blessures ou la mort; 6p) négliger de prendre les mesures appropriées lorsqu’un délinquant risque de mettre en danger la vie d’autrui ou de causer des dommages.

129        Malgré les formations sur les méthodes appropriées de mener des rondes dans le PFB initial offert aux CX, ce qui était renforcé par une formation en cours d’emploi et l’examen des rondes, le fonctionnaire a choisi d’effectuer ses rondes d’une façon à donner à un détenu la possibilité de se suicider. L’employeur a raison de s’inquiéter du fait que le fonctionnaire pourrait adopter de nouveau ce comportement s’il demeurait un employé du SCC.

130        Les CX, en particulier ceux qui travaillent seuls dans une unité la nuit, doivent se soumettre à une norme élevée (voir McKenzie et Stead). En ce qui concerne la sécurité des détenus et l’Établissement, il n’y a aucune marge d’erreur. Les CX sont formés afin d’assumer leurs fonctions et d’assurer la sécurité des personnes sous leur garde, ce que le fonctionnaire n’a pas démontré dans la réalisation de ses rondes cette nuit-là.

131        L’avocat du fonctionnaire a soutenu que 5,5 années de service ne peuvent être détruites par un manque de jugement momentané. Contrairement à la situation dans Matthews, aucune personne représentant l’employeur n’était d’avis que cette relation d’emploi pouvait être sauvegardée. D’autres risques doivent être pris en considération au moment d’établir le caractère approprié de la réintégration d’un CX à un établissement après une enquête disciplinaire. La responsabilité et le manque de confiance sont également des facteurs. Lorsque la confiance a été détruite et ne peut être rétablie, peu importe l’existence de circonstances atténuantes, la relation d’emploi doit prendre fin (voir Wedell, au par. 28). Par conséquent, je ne crois pas que la décision de l’employeur de conclure que le licenciement était approprié dans les circonstances était déraisonnable ou erronée.

132        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

133        La demande de prorogation de délai est accueillie.

134        Le grief est rejeté.

Le 9 mai 2017.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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