Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique,concernant une nomination intérimaire à un poste d’agent de liaison dans des missions à l’étranger – à l’audience, le défendeur a soulevé une objection au motif que la Commission n’avait pas compétence – selon l’article 77, un candidat non reçu dans la zone de sélection d’un processus de nomination interne peut déposer une plainte auprès de la Commission en raison d’un abus de pouvoir – cependant, l’article 17 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (REFP) exclut « [...] les nominations intérimaires à tout poste établi dans le cadre d’un système de permutation [...] » qui permet aux employés du défendeur de se déplacer à l’étranger et de revenir au Canada – les éléments de preuve présentés par les deux parties ont confirmé que les postes d’agent de liaison sont temporaires et que le candidat retenu demeure titulaire de son poste d’attache – les postes d’agent de liaison sont de nature permutable – la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence, puisqu’un poste d’agent de liaison dans une mission à l’étranger constitue soit une affectation qui ne peut pas faire l’objet d’une plainte (voir Kachmar c. Sous-ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, 2016 CRTEFP 70), soit une nomination intérimaire visée à l’article 17 du REFP – même si la Commission n’avait pas compétence, elle a jugé qu’il convenait d’émettre quelques commentaires relativement au comportement du défendeur – si le défendeur n’avait pas modifié les règles, qu’il n’y avait pas eu un manque de communication et qu’il n’avait pas transmis des renseignements erronés au plaignant et à la Commission, cette affaire aurait pu être tranchée sur la base d’arguments écrits.La plainte est rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et
Loi sur l’emploi
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170322
  • Dossier:  EMP-2014-9434
  • Référence:  2017 CRTEFP 28

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

TYSON GEORGE

plaignant

et

PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

défendeur

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
George c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada


Plainte d’abus de pouvoir en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le plaignant:
Lui-même
Pour le défendeur:
Zorica Guzina, avocate, Groupe du droit du travail et de l’emploi
Pour la Commission de la fonction publique:
Mélanie Masse, avocate, et Claude Zaor (arguments écrits)
Affaire entendue à Toronto (Ontario),
les 16 et 17 février 2017.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        Tyson George, le plaignant, a participé à un processus de nomination annoncé interne mené par l’Agence des services frontaliers du Canada (le « défendeur » ou l’« agence » pour un poste d’agent de liaison (« AL ») dans des missions à l’étranger. À la suite de ce processus, il a été placé dans un bassin évalué en partie, puisqu’il remplissait toutes les qualités essentielles à l’exception d’une seule, l’exigence linguistique bilingue impératif fixée au niveau BBB.

2        Le plaignant a finalement été éliminé du bassin, car il a manqué la date limite pour l’Évaluation de langue seconde (ELS). À la fin du mois de novembre 2014, le défendeur a affiché, sur le site Web Publiservice, l’Avis de nomination intérimaire (ANI) pour plusieurs AL. Le plaignant a déposé deux plaintes, dont l’une a été retirée au début de l’audience. L’autre plainte visait la nomination intérimaire de Martina Marsh (la « personne nommée »).

3        Après avoir fourni une réponse plutôt confuse à la plainte, le défendeur s’est opposé à celle-ci pour la première fois lors de l’audience, soulevant une objection à la compétence de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »).

4        Pour les motifs qui suivent, j’estime que je n’ai pas la compétence pour trancher cette plainte. Cependant, après avoir entendu la preuve sur deux jours et après avoir étudié les divers documents déposés, je suis d’avis que le plaignant a droit à une décision plus détaillée qu’il n’aurait reçu si le défendeur avait énoncé clairement sa position dès le départ. Plutôt, le défendeur a usé de faux-fuyants considérables à l’égard du plaignant et de la Commission.

5        La Commission de la fonction publique (CFP) a présenté des arguments écrits, mais elle n’a pas comparu à l’audience.

II. Contexte

6        Le plaignant a témoigné à l’audience. Le défendeur a cité deux témoins, Jim Bissett, directeur de la Division des opérations internationales, et Susan McKinnon, maintenant à la retraite, qui était la gestionnaire du développement du réseau des AL au sein de la Direction de la région internationale au moment du processus de nomination. La preuve est résumée ci-dessous.

7        Le plaignant a d’abord travaillé pour le ministère de l’Immigration (alors Citoyenneté et Immigration Canada (CIC)), qui est devenu Immigration, réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Il est devenu un employé du défendeur au moment de sa création en 2003. En 2006, il a été muté à son administration centrale en tant qu’analyste principal, pour devenir ensuite un directeur en renseignement sur le crime organisé.

8        De 2008 à 2012, il était agent d’intégrité des mouvements migratoires au consulat canadien à Miami, en Floride, classifié au groupe et au niveau FS-02 (« FS » désigne le groupe Service extérieur). En 2011, le titre du poste « agent d’intégrité des mouvements migratoires » est changé pour devenir celui d’« agent de liaison ». Dans une mission à l’étranger, ce poste peut être classé au groupe et au niveau FS-02 ou FS-03. Les postes d’agent d’intégrité des mouvements migratoires avaient été pourvus par des employés de CIC avant la création de l’agence. Après 2003, ils étaient principalement pourvus par des employés du défendeur, quoique des employés de CIC ou d’IRCC pouvaient les pourvoir, s’il y avait un nombre insuffisant d’employés de l’agence qualifiés. Les AL sont principalement responsables d’appliquer les règles de la sécurité frontalière, comme la vérification des documents des visiteurs étrangers ou des immigrants au Canada.

9        Les employés qui occupent les postes d’AL le font pour une durée déterminée. Ils conservent en tout temps leur poste d’attache au Canada. Le plaignant a expliqué que ces postes, dans les missions à l’étranger dans le cadre du service extérieur, sont très convoités à l’agence. Traditionnellement, les sélections pour ces postes se faisaient à la recommandation d’un gestionnaire, comme ce fût le cas pour le plaignant en 2008. Une affectation initiale de deux ou trois ans pouvait être prolongée d’un an, ou pouvait être suivie d’une deuxième affectation dans une autre ville « deuxième affectation (cross-posting) », en vertu de laquelle l’AL serait placé dans une autre mission pour un deuxième mandat de deux ou trois ans.

10        En 2011 ou en 2012, Arianne Reza, la nouvelle directrice générale de la nouvelle Direction de la région internationale, a annoncé que les AL n’auraient plus droit à une deuxième affectation.

11        En 2013, le défendeur a affiché une annonce de possibilité d’emploi pour un processus de nomination d’AL FS-02 et FS-03. M. Bissett a expliqué que le défendeur cherchait à créer un processus plus transparent pour le recrutement des AL. Ce processus était ouvert aux employés de l’agence dont les postes d’attache étaient au moins au groupe et au niveau FB-05 (« FB » désigne la classification des Services frontaliers). Le poste d’attache du plaignant est au groupe et au niveau FB-06. M. Bissett a témoigné que le président de l’agence à l’époque, Luc Portelance, avait imposé deux exigences pour les AL : une classification minimale au groupe et au niveau FB-05 (environ le même niveau qu’un FS-02), et un bilinguisme impératif d’un niveau minimum de BBB. C’est la première fois qu’une exigence de bilinguisme était imposée à tous les candidats, sans tenir compte de la langue du pays où ils seraient affectés.

12        L’annonce de possibilité d’emploi faisait état de la création d’un bassin de AL en vue de missions à l’étranger. Le mandat de l’affectation était de trois ans. M. Bissett a expliqué qu’en fait, le plan était d’avoir des affectations de trois ans, suivies d’une deuxième affectation à une autre mission pour trois années de plus (le plan de « 3 ans et 3 ans »).

13        L’affectation d’employés à l’étranger comporte des frais et une logistique considérables, en plus de la formation requise. Il est plus économique pour l’agence d’affecter un employé à une autre mission que de relancer le processus au complet avec une nouvelle sélection. Cela étant dit, on avait clairement indiqué aux gestionnaires qu’il y aurait une limite de six ou sept ans (une prolongation d’un an à la même affectation était également possible) pour les affectations à l’étranger, afin de faire en sorte que les candidats retenus retournent à leur poste d’attache au Canada après un maximum de sept ans. L’annonce de possibilité d’emploi ne mentionnait pas la deuxième affectation. Le plaignant a témoigné que le défendeur ne l’avait jamais informé qu’il envisageait maintenant favorablement les deuxièmes affectations.

14        Le plaignant a appris, en mars 2014, qu’il avait réussi toutes les étapes pour être placé dans un bassin partiellement évalué à partir duquel des AL seraient choisis pour des permutations annuelles. Ces affectations ont généralement lieu à la fin de l’été, mais la sélection a lieu beaucoup plus tôt, afin de permettre la formation au cours du printemps et pour obtenir l’approbation nécessaire d’IRCC et d’Affaires mondiales Canada (anciennement connue sous le nom du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) pour chaque affectation. Ce n’est qu’après l’approbation des deux ministères que le candidat reçoit une lettre d’offre.

15        En mars 2014, le plaignant a été informé que le bassin était valide jusqu’en décembre 2016. Cette date a changé dans un courriel ultérieur, en date du 16 juin 2014, où le défendeur affirmait que le bassin était valide jusqu’en décembre 2015. Mme McKinnon a témoigné en disant que l’intention avait toujours été de maintenir la validité du bassin jusqu’en décembre 2015; une erreur administrative s’était glissée et avait été corrigée en juin 2014.

16        Le plaignant a été placé dans un bassin partiellement évalué parce qu’il n’avait pas encore obtenu la cote BBB dans l’ELS. En mars 2014, on lui a donné l’option d’attendre la prochaine permutation en 2015, afin d’avoir plus de temps pour étudier en vue de l’ELS. Pour la permutation de 2015, une date limite pour les résultats de l’ELS a été fixée au 31 octobre 2014, puisque la sélection devait avoir lieu en novembre 2014, comme l’a affirmé Mme McKinnon lors de l’audience.

17        Le plaignant avait prévu d’étudier pour l’ELS au cours de l’été 2014, puisqu’elle était prévue en septembre. Cependant, il n’a pas pu suivre les cours de français comme prévu, car sa mère a subi un accident et nécessitait des soins, pour lesquels il a pris congé. À sa première tentative en septembre 2014, il a échoué. Il devait attendre un mois pour reprendre l’examen d’ELS, conformément aux règles de la CFP. Il a enfin réussi le 13 novembre 2014.

18        Au départ, M. Bissett pensait que cela serait acceptable, étant donné les circonstances familiales particulières du plaignant. Cependant, la section des ressources humaines était inflexible. Elle a affirmé que cela était injuste vis-à-vis des autres candidats à qui l’on avait dit qu’il y aurait une seule séance d’examen pour toutes les qualités essentielles, y compris la langue, et qui s’étaient retirés du bassin parce qu’ils ne détenaient pas le niveau BBB dans leur langue seconde au 31 octobre.

19        Le plaignant s’est opposé à la nomination de la personne nommée. Elle a été sélectionnée au printemps de 2014 pour la permutation de 2014, avant d’être évaluée pour le niveau BBB dans sa langue seconde. Elle avait détenu ce niveau antérieurement, mais ses résultats linguistiques étaient périmés et une ELS s’imposait. Elle a été réévaluée en juillet 2014 et a été nommée par lettre d’offre formelle à compter du 5 septembre 2014, pour un mandat de trois ans.

20        Le plaignant a également appris qu’un certain nombre de postes AL seraient pourvus par deuxième affectation. Un certain nombre de personnes affectées de cette manière ne possédaient pas le niveau minimum FB-05, les résultats BBB de l’ELS, ou les deux.

III. La plainte et les procédures préliminaires

21        Dans sa plainte, le plaignant a soulevé le fait qu’il semblait que les exigences qui s’appliquaient aux personnes qui avaient répondu au processus annoncé n’avaient pas été appliquées aux personnes à qui l’on avait offert des postes d’AL au moyen d’une deuxième affectation. Ces exigences étaient la classification minimale FB-05 et le bilinguisme au niveau BBB. Selon le plaignant, le fait que les mêmes critères n’étaient pas appliqués aux deuxièmes affectations constituait un abus de pouvoir. Il a également souligné le fait que la personne nommée avait été sélectionnée avant d’avoir des résultats d’ELS valides.

22        La réponse du défendeur était que les postes d’AL avaient été [traduction] « […] historiquement pourvus au moyen de processus de sélection du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) ». La réponse continuait par ce qui suit : [traduction] « En 2014, les agents de liaison qui avaient réussi des processus de sélection antérieurs menés par CIC ont donc reçu l’offre de “deuxième affectation” (affectations intérimaires subséquentes à d’autres emplacements géographiques) […] ». Enfin, le défendeur a soutenu que les deuxièmes affectations étaient exclues de l’application des critères de mérite, et qu’il ne pouvait pas y avoir de recours contre elles en vertu de l’art. 17 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005-334; REFP). Cet article traite des nominations intérimaires dans le cadre de permutations. Je reviendrai au libellé et à l’application de cette disposition plus loin dans la présente décision.

23        Une première conférence préparatoire à l’audience a eu lieu en juin 2016. J’ai demandé à la CFP un avis juridique sur la contradiction apparente de la coexistence d’un processus de nomination annoncé et des nominations à l’abri des recours. Les parties ont été invitées à produire un énoncé conjoint des faits à titre de fondement de cet avis.

24        Les parties ne sont pas arrivées à s’entendre sur un énoncé conjoint des faits. En fait, les énoncés étaient si contradictoires que j’ai déterminé qu’une audience serait nécessaire, laquelle a eu lieu en février 2017.

25        Le défendeur a présenté son énoncé des faits le 24 juin 2016. Le plaignant l’a examiné et a présenté son énoncé des faits le 4 juillet 2016. Je présente, dans les paragraphes suivants, certains énoncés faits par le défendeur, le point de vue du plaignant et la preuve présentée à l’audience.

26        Le défendeur a déclaré ce qui suit concernant le réseau des AL :

[Traduction]

La Région internationale (RI) à l’ASFC [l’agence] a été créée le 1er avril 2011. À l’époque, le réseau des agents de liaison (AL) internationaux était géré par Citoyenneté et Immigration (CIC) et, dans une certaine mesure, par l’ASFC.

CIC a mené le processus de sélection d’AL permutant en 2011. Un protocole d’entente (PE) régissait les rôles et les responsabilités de l’ASFC et de CIC en ce qui concerne le réseau des agents de liaison. Le dernier PE du genre, signé le 29 juin 2012, couvre une période de transition qui permettrait à l’ASFC d’assumer l’entière responsabilité de la dotation des postes à l’avenir.

27        Le plaignant a exprimé le point de vue suivant sur le réseau des AL :

[Traduction]

Avant la création de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en 2003, le réseau des agents d’intégrité des mouvements migratoires [le nom du poste devient « agent de liaison » en 2011] était géré par Citoyenneté et Immigration Canada (aujourd’hui Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada), le ministère fédéral qui était chargé des activités d’application de la loi en matière d’immigration pour le Canada.

Au moment de la création de l’ASFC, un décret en conseil a été adopté pour transférer des responsabilités d’immigration particulières de CIC à l’ASFC […].

Les pouvoirs conférés aux agents de liaison en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de son règlement sont délégués par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et non par le ministre de la Citoyenneté et de l’immigration.

À la suite de sa création, l’ASFC a pris en charge la gestion, l’établissement des priorités et la responsabilité stratégique du réseau des agents de liaison […]

De 2003 à 2013, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’a pas mené de processus de nomination annoncé pour un poste d’agent d’intégrité des mouvements migratoires ou d’agent de liaison (AL). Ces postes ont été pourvus par des candidats sélectionnés et mutés par l’ASFC […] Souvent, lorsque l’ASFC ne pouvait pas doter ces postes au moyen de ses propres employés, des employés du Service extérieur d’IRCC étaient sélectionnés à cette fin, sans concours.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

28        Lors de l’audience, M. Bissett a confirmé la version du plaignant. Depuis sa création, l’agence est responsable du réseau des AL (d’abord pour les agents d’intégrité des mouvements migratoires, puis pour les AL) en ce qui a trait au recrutement aussi bien qu’au placement de ces derniers. Pour les placer en missions à l’étranger, il fallait obtenir l’approbation d’IRCC et d’Affaires mondiales Canada ainsi que du chef de la mission, mais l’agence était clairement responsable du réseau des AL. Le PE auquel renvoyait le défendeur définissait les rôles et les responsabilités en matière d’immigration, mais ne modifiait pas la responsabilité de l’agence relativement au réseau des AL.

29        Le défendeur a affirmé ce qui suit dans son énoncé des faits concernant les deuxièmes affectations : [traduction] « En 2014, les agents de liaison qui avaient réussi des processus antérieurs menés par CIC ont reçu des offres de deuxième affectation (affectations intérimaires subséquentes à d’autres emplacements géographiques) de la part de l’ASFC. »

30        L’avocate du défendeur et M. Bissett ont corrigé cet énoncé à l’audience, affirmant que des deuxièmes affectations avaient été offertes en 2014 aux AL qui avaient réussi des processus antérieurs menés par l’agence.

31        Le défendeur a affirmé ce qui suit dans son énoncé des faits concernant l’avenir des deuxièmes affectations : [traduction] « Le dernier groupe d’employés qui sont actuellement nommés à des postes d’AL à la suite d’une deuxième affectation retourneront à leurs postes d’attache en avril 2017. Il n’y aura plus de deuxième affectation à l’ASFC. »

32        Cet énoncé a été catégoriquement contredit lors de l’audience. M. Bissett a témoigné que deuxièmes affectations et les prolongations étaient le mécanisme privilégié pour pourvoir à des postes à l’étranger, étant donné que les titulaires possédaient déjà la formation et l’expérience requises. Au moment en question, le défendeur favorisait la formule de 3 ans et 3 ans, avec un retour au Canada après ces six années. Le bassin créé par le processus annoncé servait à doter les autres postes vacants. Selon le plaignant et M. Bissett, il semble que, dans le passé, la formule la plus répandue était l’affectation de deux ans, suivie d’une prolongation d’un an et d’une deuxième affectation de 2 ans.

33        Du 4 juillet 2016 au début de l’audience le 16 février 2017, le défendeur n’a apporté aucune correction à son énoncé des faits. Le plaignant a préparé une grande quantité de documents pour remettre les pendules à l’heure. Au début de l’audience, l’avocate du défendeur a reconnu qu’il y avait plusieurs erreurs dans l’énoncé des faits du défendeur.

34        Dans son avis juridique sur l’interaction d’un processus annoncé et de l’art. 17 du REFP, la CFP a soutenu que, malgré le fait que l’agence a tenu un processus annoncé, l’art. 17 s’appliquerait aux postes d’un système de permutation et exclurait ces postes des recours en vertu de l’art. 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, paragr. 12, 13; LEFP).

35        La version anglaise de l’article 17 du REFP se lit comme suit :

17 Despite sections 14 to 16, an acting appointment to a position in a rotational system established by the deputy head, in order to provide for the movement of employees within and outside Canada in the following organizations is excluded from the application of sections 30 and 77 of the Act:

(a) Department of Citizenship and Immigration,

(b) Department of Foreign Affairs and International Trade, and

(c) Canada Border Services Agency.

36        La version française se lit comme suit :

17 Malgré les articles 14 à 16, les nominations intérimaires à tout poste établi dans le cadre d’un système de permutation créé par l’administrateur général afin de pourvoir au déplacement au Canada et à l’étranger des fonctionnaires des administrations ci-après sont soustraites à l’application des articles 30 et 77 de la Loi :

a) le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration;

b) le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international;

c) l’Agence des services frontaliers du Canada.

37        Cet article est un règlement pris par la CFP en vertu de l’alinéa 22(2)c) de la LEFP, qui permet à la CFP de soustraire les nominations intérimaires « […] à l’application de tout ou partie de la présente loi […] ». Dans son avis juridique, la CFP a cité le « Résumé de l’étude d’impact de la réglementation » (REIR) paru au moment de la publication du REFP dans la Gazette du Canada. Les REIR sont inclus afin d’expliquer l’intention stratégique des nouveaux règlements. En ce qui concerne les nominations intérimaires à des postes de permutant, l’énoncé suivant a paru dans le REIR en question :

[…]

Une disposition spéciale s’applique aux nominations intérimaires à des postes de permutant, qui seront soustraites à l’application du mérite, des priorités énoncées dans la Loi et des exigences relatives à la notification de même que du recours devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique [maintenant la Commission]. Un poste de permutant est un poste qui est établi afin de permettre le mouvement des fonctionnaires entre des postes au Canada et à l’étranger dans le cadre d’un système de permutation établi par l’administrateur général du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international Canada et de l’Agence des services frontaliers du Canada.

[…]

38        Quant à l’interaction entre un processus annoncé et l’art. 17 du REFP, la CFP a déclaré que le fait de soustraire les nominations intérimaires pour les postes de permutant n’empêchait pas le recours à un processus annoncé pour trouver du personnel qualifié. Toutefois, tout recours en vertu de l’art. 77 de la LEFP est annulé par l’application de l’art. 17 du REFP.  

39        Dans ses arguments déposés aux fins de l’audience, la CFP a réitéré que, si l’art. 17 du REFP s’applique, la Commission n’aurait pas compétence pour entendre la plainte. La CFP n’a pas pris position quant à savoir si cet article s’appliquait à la présente plainte et a laissé à la Commission le soin d’en décider.

40        Dans son plaidoyer final le 17 février 2017, le défendeur a présenté pour la première fois l’argument que toutes les nominations faites au réseau des AL étaient visées par l’art. 17 du REFP.

41        Le défendeur a soutenu que le recrutement et le placement des AL dans des missions à l’étranger étaient exactement le système de permutation dont il est question à l’art. 17 du REFP et qu’ainsi, il n’y avait aucun recours devant la Commission, malgré le fait que la lettre d’offre de la personne nommée renvoie au droit à un recours, tout comme l’ANI annonçant la nomination intérimaire de Mme Marsh.

42        Le plaignant a soutenu que l’utilisation de deuxièmes affectations, qui permet au défendeur d’éviter d’appliquer les critères de qualités essentielles à ceux qui sont affectés à une autre mission, était en soi un abus de pouvoir, d’autant plus que le défendeur avait totalement manqué de transparence dans son explication du fonctionnement des deuxièmes affectations. Le processus annoncé n’avait aucun sens si l’ensemble du processus ne pouvait pas faire l’objet de recours devant la Commission.

IV. Question : La compétence de la Commission

43        La compétence de la Commission est définie à l’art. 88 de la LEFP. La Commission instruit les plaintes présentées en vertu du par. 65(1) ou des articles 74, 77 et 83, et statue sur elles. L’article 77 prévoit qu’un candidat non retenu dans la zone de sélection d’un processus de nomination interne peut déposer une plainte auprès de la Commission selon laquelle il n’a pas été nommé ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir.

44        Tel qu’il est énoncé plus haut, la CFP a le pouvoir, en vertu de l’art. 22 de la LEFP, de soustraire certaines nominations intérimaires de l’application de tout article de la LEFP, y compris l’article 77. Tel qu’il est noté ci-dessus, l’art. 17 du REFP soustrait spécifiquement « […] une nomination intérimaire à tout poste établi dans le cadre d’un système de permutation […] », permettant aux employés de l’agence de se déplacer entre le Canada et un poste à l’étranger.

45        Pour décider de la question de compétence dont je suis saisie, je dois examiner les faits présentés dans cette affaire pour déterminer si l’art. 17 du REFP s’applique. La preuve devant moi mène-t-elle à la conclusion que le système des AL est « […] un système de permutation établi par l’administrateur général, afin de permettre le mouvement des fonctionnaires entre des postes au Canada et à l’étranger »?

46        Ni la LEFP ni le REFP ne définissent le terme « permutation ». Si un dictionnaire anglais était consulté, le sens pertinent le plus près pour rotational dans ce contexte serait celui de « tour of duty » (Canadian Oxford Dictionary, deuxième édition, 2004). En français, permutation signifie : « échange d’un emploi, d’un poste contre un autre » (Petit Robert, édition 1993).

47        La preuve présentée par le défendeur et le plaignant, de vive voix et documentaire, confirme que les postes d’AL, y compris le poste d’AL de la personne nommée qui fait l’objet de cette plainte, sont une permutation par nature. L’explication donnée par M. Bissett était une affectation temporaire à l’étranger à un poste classé dans la catégorie FS qui ne mène pas à un poste d’attache. Le titulaire d’un poste d’AL retournera à son poste d’attache au Canada après son affectation (ou peut-être sa deuxième affectation). La preuve confirme aussi que l’agence détermine chaque année les missions à l’étranger où il y a des postes d’AL vacants, et elle dote ces postes en conséquence.

48        Je suis d’avis que les postes d’AL font partie d’un système de permutation. Selon les preuves produites, il s’agit de postes temporaires (au sens d’être d’une durée limitée) qui ne représentent pas les postes d’attache des employés de l’agence ainsi embauchés. Dans le cas de l’agence, une autre classification est utilisée (FS et non FB), et la personne est placée temporairement dans un autre poste ayant un autre numéro de poste. Autrement dit, elle se voit attribuée de nouvelles fonctions, sans toutefois être nommée à un autre poste.

49        Le fait que le défendeur a choisi de procéder à un processus annoncé ne change pas la nature du poste. L’avis annonçant le processus de nomination indique que le type de mesure découlant du processus serait [traduction] « affectation intérimaire ». La nature temporaire du poste est mise en évidence par la déclaration suivante : [traduction] « Une affectation ou une nomination intérimaire constitue une option temporaire de renouvellement du personnel. Ainsi, l’autorisation du directeur général de votre poste d’attache sera requise avant qu’une offre puisse être faite. » En d’autres mots, le candidat retenu demeure titulaire de son poste d’attache, et il devrait y retourner une fois son affectation à l’étranger terminée.

50        Conformément à la définition de la « nomination intérimaire » qui se trouve à l’art. 1 du REFP, « […] Le fait pour un fonctionnaire d’exercer temporairement les fonctions d’un autre poste, dans le cas où l’exercice de ces fonctions aurait constitué une promotion, si ce fonctionnaire avait été nommé à ce poste […] », la CFP a adopté l’art. 17 du REFP afin de prévoir les nominations temporaires pour les missions à l’étranger lorsque ces nominations sont d’une classification supérieure au poste d’attache de la personne nommée. Si le poste permutant est du même niveau, il n’y a pas de nomination, et donc aucun recours (voir Kachmar c. Sous-ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, 2016 CRTEFP 70). En d’autres mots, si la mesure de dotation concernant Mme Marsh était au même niveau, le plaignant n’aurait aucun recours devant la Commission en vertu de la LEFP. Toutefois, selon la preuve documentaire du plaignant, la personne nommée occupait un poste d’attache au groupe et au niveau FB-05, et a été affectée en tant que FS-03 à une mission à l’étranger. J’ai des preuves indiquant que le salaire d’un FB-05 est à peu près équivalent à celui d’un FS-02. Puisque l’affectation de Mme Marsh n’était pas au même niveau, je suis d’avis que la dotation de la personne nommée constitue une nomination intérimaire plutôt qu’une affectation.   

51        Étant donné mes conclusions selon lesquelles la nomination de Mme Marsh constitue une nomination intérimaire à un poste de permutant dans le cadre d’un système de permutation d’affectation d’employés à une mission à l’étranger, afin de réaliser le mandat de l’agence à l’extérieur du Canada, je conclus que la nomination de Mme Marsh est soustraite de l’application de l’art. 77 de la LEFP en vertu de l’art. 17 du REFP. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour entendre la présente plainte ou pour la trancher.

V. Autres commentaires

52        Je n’ai pas compétence, mais le comportement du défendeur dans le traitement de cette plainte justifie quelques commentaires.

53        Le plaignant n’a pas reçu de réponse appropriée à ses préoccupations légitimes. On lui avait dit qu’il n’y aurait plus de deuxièmes affectations. M. Bissett a témoigné que les deuxièmes affectations étaient la méthode de sélection privilégiée. La preuve fournie par le défendeur à l’audience confirme la version de M. Bissett. Le défendeur n’a donné aucune explication pour cette flagrante contradiction, qui émane de la haute direction.

54        Le défendeur changeait continuellement ses exigences linguistiques; ainsi, par malchance, le plaignant s’en est trouvé pénalisé et disqualifié. Avant le processus de 2013, le bilinguisme n’était pas impératif. Pour la permutation de 2014, la sélection a été faite avant de recevoir les résultats de l’ELS. Pour la permutation de 2015, celle à laquelle le plaignant pouvait aspirer, une date limite arbitraire a été fixée au 31 octobre. Le plaignant l’a manquée de 13 jours. Aucune date limite n’avait été fixée pour les résultats de l’ELS en 2014, lorsque Mme Marsh a été sélectionnée malgré le fait qu’elle ne possédait pas les qualités requises. Le défendeur a insisté fortement sur le fait qu’elle était qualifiée au moment de la nomination. La date limite a été appliquée de façon rigide dans le cas du plaignant, malgré des circonstances qui auraient pu être prises en compte. De plus, il aurait été qualifié au moment de sa nomination, tout comme Mme Marsh. Enfin, on ne tenait pas compte des exigences linguistiques dans le cas des deuxièmes affectations, et M. Bissett a témoigné qu’en date de 2016, les qualités essentielles n’incluaient plus le bilinguisme impératif pour tous les postes d’AL.

55        Le plaignant travaille pour l’agence depuis sa création. Il est gestionnaire et, selon tous les dires, c’est un excellent employé. Il devrait connaître les politiques de son employeur, et la façon dont les décisions en matière de dotation pour les affectations à des missions à l’étranger sont prises. Il n’a jamais été informé que les deuxièmes affectations étaient encore utilisées à l’agence, malgré la déclaration de Mme Reza. On ne lui a jamais dit que l’agence avait changé de point de vue et avait établi un cycle de 3 ans et 3 ans pour les affectations et deuxièmes affectations. De toute évidence, il n’existait aucune stratégie pour communiquer ces renseignements aux employés, malgré leur intérêt manifeste.

56        La réponse du défendeur à la plainte a été terriblement inadéquate. L’énoncé des faits était criblé d’erreurs. Fait crucial, on n’a jamais dit au plaignant que l’art. 17 du REFP s’appliquait non seulement aux deuxièmes affectations mais aussi aux nominations à même le bassin de personnes qualifiées. Cet argument a été fait lors de l’audience. Il aurait dû être formulé dès le départ. La question aurait pu être décidée sur la base d’arguments écrits si le défendeur avait produit des faits solides et un argument juridique réfléchi. Au contraire, il a invoqué des ententes obscures et inexistantes avec CIC. Les règles changeantes, l’absence de communication et les renseignements erronés fournis au plaignant aussi bien qu’à la Commission se sont unis pour conférer une allure de réalité aux allégations d’abus de pouvoir du plaignant.

57        Il était irresponsable de la part du défendeur de mentionner le droit de recours des candidats, dans l’ANI publiée sur Publiservice et dans la lettre d’offre à la personne nommée, malgré le fait que ce droit n’existait pas en vertu de l’art. 17 du REFP.

58        Somme toute, la réponse incohérente du défendeur à la plainte est époustouflante, et demeure d’ailleurs sans explication. Cependant, au bout du compte, je dois répéter que je n’ai pas compétence pour statuer sur la plainte, parce que le poste d’AL dans une mission à l’étranger est soit une affectation qui ne peut pas faire l’objet d’une plainte (voir Kachmar), soit une nomination intérimaire visée par l’art. 17 du REFP.

59        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

60        La plainte est rejetée faute de compétence.

Le 22 mars 2017.

Traduction de la CRTEFP

Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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