Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La décision porte sur une série d’affaires dans lesquelles la plaignante, une employée assujettie à la formule Rand, a comparu et agi en son nom sur la question de la communication des coordonnées résidentielles des employés, de l’employeur à l’agent négociateur – la plaignante a allégué qu’en communiquant cette information avec l’agent négociateur, l’employeur participait à la représentation des employés de l’agent négociateur et à l’administration de cette représentation – la plaignante a allégué qu’il s’agissait d’une violation de l’alinéa 186(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique – la Commission a conclu que la plaignante n’avait pas qualité pour agir, parce que seuls une organisation d’employés ou son représentant autorisé peut présenter une plainte fondée sur une violation de l’alinéa 186(1)a) – la Commission a aussi conclu que cette plainte constituait un abus de procédure, puisque la plaignante avait tenté d’empêcher la divulgation de ses coordonnées résidentielles à l’agent négociateur, ce qui a été tranché de nombreuses fois en ce qui la concerne – ces décisions antérieures ont confirmé que la Commission avait ordonné à l’employeur de communiquer les coordonnées résidentielles de l’employée à l’agent négociateur – l’omission de le faire fait obstacle à la capacité de l’agent négociateur à communiquer avec ses membres, ce qui constitue une pratique déloyale de travail – la Commission a conclu que cette plainte était vexatoire, parce que la plaignante tentait de remettre en litige une question qui avait été tranchée complètement et définitivement – à l’avenir, elle devra demander à la Commission la permission de déposer des plaintes sur la communication de ses coordonnées résidentielles à un agent négociateur. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170501
  • Dossier:  561-34-761
  • Référence:  2017 CRTEFP 46

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

ELIZABETH BERNARD

plaignante

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

agent négociateur

Répertorié
Bernard c. Agence du revenu du Canada


Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.


Devant:
John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour la plaignante:
XXX_Names_of_G_representatives_XXX
Pour la défenderesse:
Caroline Engmann, avocate
Pour l’agent négociateur:
Patrizia Campanella, avocate
Décision rendue sur la base d’arguments écrits,
déposés le 24 août et les 9 et 26 octobre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1        Le 9 juillet 2015, Elizabeth Bernard (la « plaignante ») a déposé une plainte contre l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). La plainte indiquait ce qui suit :

[Traduction]

Le 20 avril 2015, l’ARC a informé les membres de l’unité de négociation de l’IPFPC qu’elle fournirait leurs coordonnées résidentielles à l’IPFPC. Ce faisant, l’ARC (1) participe à l’administration de l’IPFPC et (2) participe à la représentation des employés de l’IPFPC. Il s’agit d’une violation de l’alinéa 186(1)a) de la LRTFP.

2        L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC ») est l’agent négociateur qui représente les employés du groupe Vérification, finances et sciences (VFS) à l’ARC.

3        À titre de mesure corrective, la plaignante demande à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») d’émettre une ordonnance à l’ARC lui enjoignant de cesser de fournir les coordonnées résidentielles des employés à l’IPFPC et de cesser de participer à l’administration de l’IPFPC et à sa représentation des employés, conformément à l’article 192 de la Loi.

4        L’ARC a déposé sa réponse à la plainte le 24 août 2015. Elle s’est opposée à la compétence de la Commission d’entendre la présente affaire au motif que la plaignante n’a pas qualité pour présenter une plainte. Elle a également fait valoir que la plainte porte sur un avis émis par l’employeur, conformément à une ordonnance de la Commission. En conséquence, elle a fait valoir que cette mesure ne peut pas constituer une participation ou une ingérence dans l’administration de l’agent négociateur et sa représentation des employés.

5        En vertu de l’article 4 du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79), l’IPFPC a été désigné comme une « […] personne pouvant être intéressée » et, à ce titre, une consigne a été émise selon laquelle il pouvait déposer une réponse à la plainte au plus tard le 25 août 2015. L’IPFPC a demandé une prorogation du délai pour déposer sa réponse; le délai a été accordé. Il a présenté sa réponse le 9 octobre 2015. L’IPFPC s’est opposé à la compétence de la Commission pour entendre l’affaire, au motif que la plainte a été déposée sans sa permission et son consentement et, en outre, qu’elle était sans fondement. Il a également fait valoir que la plainte devait être rejetée sommairement en fonction des doctrines de la préclusion et de l’abus de procédure.

6         Le 26 octobre 2015, la plaignante a répliqué à la réponse de l’ARC et à celle de l’IPFPC, limitant ses commentaires à la réfutation des arguments relatifs à la compétence soulevés par l’ARC et l’IPFPC.

7        Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plaignante n’a pas qualité pour présenter cette plainte. De plus, même si elle avait qualité pour agir, cette question a déjà été tranchée et le dépôt de la présente plainte constitue un abus de procédure. Par conséquent, la plainte est rejetée.

II. Contexte

8        Comme l’IPFPC l’a indiqué dans sa réponse, et je souscris, la plaignante est et a été une employée de l’ARC durant toutes les périodes pertinentes et elle fait partie de l’unité de négociation VFS, qui est représentée par l’IPFPC. Elle n’est cependant pas membre de l’IPFPC, mais plutôt une employée assujettie à la formule Rand au sein de l’unité de négociation.

9        Selon le formulaire de plainte, le 20 avril 2015, l’ARC a informé les membres de l’unité de négociation de l’IPFPC qu’elle fournirait leurs coordonnées résidentielles à l’IPFPC. Dans sa réponse, l’ARC a indiqué que la plainte semblait découler d’un message émis le 20 avril 2015 par l’employeur à l’intention des employés membres de l’unité de négociation représentée par l’IPFPC, les informant que les coordonnées résidentielles de l’ensemble des employés de l’unité de négociation seraient communiquées à l’IPFPC, conformément à une ordonnance de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. L’ARC a annexé une copie de l’avis à ses observations, comme suit :

[Traduction]

Message à l’intention des employés membres des unités de négociation représentées par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC)

Le 20 avril 2015

Conformément à l’exigence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) d’informer les employés, le présent message s’adresse aux employés dans l’unité de négociation représentée par l’IPFPC.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), les agents négociateurs qui tiennent des votes de grève doivent permettre à tous les membres de l’unité de négociation d’y participer plutôt qu’aux membres en règle du syndicat seulement comme c’était le cas auparavant.

Pour que l’IPFPC puisse se conformer à l’obligation que la LRTFP lui impose en donnant un préavis suffisant de la tenue des votes de grèves à tous les employés et s’acquitter de ses autres responsabilités aux termes de la LRTFP, l’employeur doit lui communiquer les coordonnées à domicile de tous les employés de l’unité de négociation.

La communication de ces renseignements est régie par une ordonnance de la CRTFP. Les renseignements communiqués à l’IPFPC seront utilisés pour les fins légitimes du syndicat et leur sécurité sera rigoureusement assurée. L’ordonnance de la CRTFP stipule les mesures de sécurité et de protection de la confidentialité applicables aux renseignements qui vous concernent.

Par conséquent, il est dans l’intérêt de chaque employé de veiller à ce que les données détenues par l’agent négociateur soient à jour. Nous vous encourageons donc à communiquer vos coordonnées actuelles à l’IPFPC et à l’informer désormais de tout changement.

Vous pouvez communiquer vos coordonnées au syndicat en les envoyant au site Web de l’IPFPC ou en communiquant avec lui au 1-800-267-0446.

Merci de votre attention et de votre collaboration. Si vous avez besoin d’explications ou d’information sur ce message, n’hésitez pas à communiquer avec l’IPFPC, au numéro ci-dessus.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[…]

10        La genèse de l’avis découle d’une demande présentée devant le prédécesseur de la Commission, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), dans le dossier 525-34-29, qui portait sur une plainte que l’IPFPC avait déposée contre l’ARC et le Conseil du Trésor (le « CT ») alléguant qu’ils s’étaient adonnés à une pratique déloyale de travail en vertu de l’art. 185 de la Loi en omettant de négocier de bonne foi (en vertu de l’art. 106 de la Loi).

11        Dans sa décision à l’égard de ce dossier (2008 CRTFP 13), la CRTFP a soutenu qu’il n’y avait eu aucune omission de négocier de bonne foi. Cependant, elle a conclu que l’ARC et le CT s’étaient immiscés dans la représentation des employés par l’IPFPC, compte tenu des obligations prévues aux articles 183 et 184 de la Loi, en omettant de fournir à l’IPFPC les coordonnées des employés qui étaient requises. En conséquence, la CRTFP a conclu qu’une telle ingérence constituait une pratique déloyale de travail au sens de l’alinéa 186(1)a) de la Loi.

12        En raison de la décision rendue dans 2008 CRTFP 13, la CRTFP a tenu une audience pour trancher les autres questions. À l’audience, l’IPFPC, le CT et l’ARC sont parvenus à une entente. Au moyen de lettres adressées à la CRTFP datées du 14 juillet 2008, ils ont demandé que les conditions de cette entente soient intégrées dans une ordonnance de la CRTFP. La CRTFP a ensuite délivré deux ordonnances. Seule l’ordonnance découlant d’Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 58, a une incidence quelconque sur la plaignante.

13        Conformément aux parties pertinentes de l’ordonnance figurant dans 2008 CRTFP 58, l’ARC devait fournir les adresses postales résidentielles et les numéros de téléphone résidentiels des employés de l’unité de négociation du groupe VFS de l’IPFPC. Voici les parties pertinentes de l’ordonnance :

[…]

[5] L’employeur :

1. communique à tous les trimestres à l’agent négociateur les adresses postales et les numéros de téléphone à domicile de ses employés membres de l’unité de négociation du groupe VFS qu’il détient dans ses systèmes d’information sur les ressources humaines. L’employeur s’efforce de fournir ces renseignements à l’agent négociateur dans les trois mois suivant la date de l’ordonnance de la CRTFP avalisant le présent protocole d’accord;

2. sur réception du consentement écrit exprès de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) autorisant l’emploi de la procédure et du système conçus à son intention (Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 44) à seule fin de communiquer à l’agent négociateur les coordonnées à domicile des employés, l’employeur accepte de fournir les données décrites au paragraphe 1;

3. communique les données dans le format de fichier bidimensionnel séparé par des virgules décrit à l’annexe A (la longueur des champs est à confirmer);

4. avant la communication initiale des renseignements décrits au paragraphe 1 ci-dessus, l’employeur et l’agent négociateur informent conjointement les employés de la communication. Le message leur explique pourquoi les renseignements sont communiqués. L’ordonnance de la Commission est annexée à ce message conjoint. Toute question concernant la communication des renseignements doit être adressée à l’agent négociateur. Le message conjoint est reproduit à l’annexe B de la présente entente.

[6] L’agent négociateur:

1. retire la plainte 561-34-177;

2 convient que la présente entente constitue le règlement total et définitif de toutes ses demandes actuelles et futures contre Sa Majesté du chef du Canada, ses employés, mandataires et fonctionnaires qui découlent de la présente demande et, sous réserve des dispositions de la LRTFP, accepte de n’intenter aucune procédure de quelque nature que ce soit à leur égard;

3. veille à ce que les renseignements communiqués servent exclusivement à des fins légitimes de l’agent négociateur, conformément à la LRTFP;

4. s’assure que les renseignements communiqués sont protégés et conservés en toute sécurité;

5. respecte les droits à la vie privée des employés membres de l’unité de négociation;

6. reconnaît que l’employeur est lié par la Loi sur la protection des renseignements personnels en ce qui concerne la protection des renseignements personnels tels qu’ils sont définis par cette loi. L’agent négociateur gère les renseignements personnels communiqués aux termes du présent protocole d’accord en conformité avec les principes et pratiques équitables de gestion des renseignements personnels prévus dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et dans son Règlement. Plus particulièrement, il veille à assurer le caractère privé et confidentiel de tout renseignement personnel qui lui est communiqué par l’employeur aux termes du présent protocole d’accord;

7. par souci de clarté, l’agent négociateur doit notamment :

1. communiquer les renseignements personnels exclusivement à ses représentants chargés de s’acquitter des obligations légitimes que lui impose la LRTFP;

2. s’abstenir d’utiliser, de copier ou de compiler les renseignements personnels à des fins autres que celles qui sont prévues dans le présent accord;

3. respecter les principes de la Politique du gouvernement sur la sécuritéhttp://www.tbs-sct.gc.ca/pubs_pol/gospubs/TBM_12A/gsp-psg_f.html régissant la sécurité et l’aliénation des renseignements personnels visés;

4. veiller à ce que tous ses représentants ayant accès aux renseignements communiqués se conforment à toutes les dispositions du présent accord;

8. reconnaît la nature délicate des renseignements communiqués en ce qui concerne la sécurité personnelle des employés, particulièrement dans les cas où la mauvaise gestion ou la communication par inadvertance de ces renseignements peut causer de graves problèmes de sécurité et, par conséquent, veille à mettre en place des mesures efficaces de contrôle de la gestion et de surveillance permanente de ces renseignements en tenant compte des risques éventuels pour les employés et les membres de leur famille;

9. reconnaît que les renseignements provenant des bases de données de l’employeur en place au moment de leur communication ont été fournis par les employés et que l’employeur ne peut en être tenu responsable en cas de contestation du résultat d’un vote de grève. L’agent négociateur est responsable de la mise à jour de sa propre base de données.

[7] Le présent accord est conclu sous toutes réserves et sans créer de précédent.

[8] Il est entendu et expressément convenu que ni l’application des conditions de l’entente, ni son acceptation par l’une ou l’autre des parties ne constituent une reconnaissance de responsabilité de l’une ou l’autre d’entre elles et qu’une telle responsabilité est expressément niée à cet égard ou à celui de toute autre question. 

Annexe « B »

Message à l’intention des employés membres des unités de négociation représentées par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC)

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, les agents négociateurs qui tiennent des votes de grève doivent permettre à tous les membres de l’unité de négociation d’y participer plutôt qu’aux membres en règle du syndicat seulement, comme c’était le cas auparavant.

Pour que l’IPFPC puisse se conformer à l’obligation que la LRTFP lui impose en donnant un préavis suffisant de la tenue des votes de grève à tous les employés et s’acquitter de ses autres responsabilités aux termes de la LRTFP, l’employeur doit lui communiquer les coordonnées à domicile de tous les employés membres de l’unité de négociation.

La communication de ces renseignements est régie par une ordonnance ci-jointe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Les renseignements communiqués à l’IPFPC seront utilisés pour les fins légitimes du syndicat et leur sécurité sera rigoureusement assurée. L’ordonnance de la CRTFP stipule les mesures de sécurité et de protection de la confidentialité applicables aux renseignements qui vous concernent.

Par conséquent, il est dans l’intérêt de chaque employé de veiller à ce que les données détenues par l’agent négociateur soient à jour. Nous vous encourageons donc à communiquer vos coordonnées actuelles à l’IPFPC et à l’informer désormais de tout changement.

Vous pouvez communiquer vos coordonnées au syndicat en les envoyant au site Web de l’IPFPC http://www3.pipsc.ca/portal/page/portal/website/memberservices/membership ou en communiquant avec lui au 1-800-267-0446.

Merci de votre attention et de votre collaboration. Si vous avez besoin d’explications ou d’information sur ce message, n’hésitez pas à communiquer avec l’IPFPC, au numéro ci-dessus.

[…]

14        La plaignante a présenté une demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance figurant dans la décision 2008 CRTFP 58. Elle a fait valoir que le fait d’exiger de l’ARC qu’elle fournisse son adresse et son numéro de téléphone à domicile à l’IPFPC contrevenait à ses droits en matière de protection des renseignements personnels, ainsi qu’à son droit constitutionnel relatif à la liberté d’association. La Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a conclu que la Commission avait commis une erreur en omettant de tenir compte des questions relatives à la protection des renseignements personnels soulevées par sa décision. Elle a annulé l’ordonnance de la CRTFP dans 2008 CRTFP 58 et a renvoyé la question aux fins d’une nouvelle détermination.

15        En raison du contrôle judiciaire, la plainte dans le dossier 525-34-29 a été entendue de nouveau les 1er, 2, 16 et 17 novembre 2010; la plaignante, qui se représentait elle-même, était une intervenante. Le CT, l’Agence canadienne d’inspection des aliments, le Conseil national de recherche, l’Agence Parcs Canada, l’Association canadienne des employés professionnels et l’Alliance de la Fonction publique du Canada étaient également des intervenants.

16        Le 21 mars 2011, la CRTFP a rendu une autre décision à l’égard du dossier de la CRTFP 525-34-29 (2011 CRTFP 34). Elle a ordonné que l’ordonnance de consentement figurant dans la décision 2008 CRTFP 58 (aux paragraphes 180 et 81) soit modifiée, comme suit :

[…]

[180] […] La portion de l’ordonnance qui énonce les obligations de l’employeur est modifiée par l’ajout des deux paragraphes suivants :

5. Les coordonnées domiciliaires transmises par l’employeur doivent être protégées par un mot de passe ou chiffrées pour en assurer la transmission en toute sécurité;

6. Après sa nomination initiale à un poste faisant partie de l’unité de négociation représentée par l’IPFPC, l’employé doit être avisé par l’employeur que ses coordonnées domiciliaires seront communiquées à l’agent négociateur.

[181] La portion de l’ordonnance qui énonce les obligations de l’agent négociateur est modifiée par l’ajout du paragraphe suivant :         

10. Il est dûment disposé des coordonnées domiciliaires fournies par l’employeur dès qu’elles sont remplacées par des coordonnées domiciliaires à jour.

[…]

17        La plaignante a présenté une demande contrôle judiciaire relativement à la décision figurant dans 2011 CRTFP 34. La CAF a rejeté la demande (Bernard c. Procureur général du Canada, 2012 CAF 92).

18        La plaignante a interjeté appel de la décision figurant dans 2012 CAF 92 devant la Cour suprême du Canada (CSC). L’appel a été rejeté l’appel le 7 février 2014 (Bernard c. Procureur général du Canada, 2014 CSC 13), en affirmant ce qui suit :

[…]

[21] Il est important de bien comprendre le contexte des relations du travail dans lequel s’inscrivent les plaintes en matière de vie privée déposées par Mme Bernard. Le principe du monopole syndical conféré par un vote majoritaire — une assise fondamentale de notre droit du travail — constitue un élément clé de ce contexte. Le syndicat a le droit exclusif de négocier au nom de tous les employés […] Le syndicat est l’agent exclusif de ces employés en ce qui concerne les droits que leur confère la convention collective. Un employé est certes libre de ne pas adhérer au syndicat et de devenir ainsi un employé assujetti à la formule Rand; il ne dispose toutefois d’aucun droit de retrait en ce qui concerne la relation de négociation exclusive ainsi que les obligations de représentation du syndicat.

[22] La nature des obligations de représentation du syndicat constitue un élément important du contexte dans lequel la Commission a rendu sa décision. Le syndicat doit représenter tous les employés de l’unité de négociation avec équité et bonne foi. La LRTFP lui impose un certain nombre d’obligations précises à l’égard de ceux-ci, notamment celle de leur donner la possibilité de participer aux votes de grève et d’être informés des résultats de ceux-ci (art. 184). Selon la Commission, des obligations semblables s’appliquent à la tenue de votes sur les dernières offres de l’employeur suivant l’art. 183 de la Loi.

[23] C’est dans ce contexte qu’il faut examiner le caractère raisonnable des conclusions de la Commission selon lesquelles la communication des coordonnées résidentielles est requise sous le régime de la LRTFP et autorisée par l’al. 8(2)a) de la LPRP […]

[24] La Commission a conclu que le refus de l’employeur de communiquer les coordonnées résidentielles des employés constituait une pratique déloyale de travail parce qu’il intervenait ainsi dans la représentation des fonctionnaires par le syndicat. Cette conclusion repose sur deux fondements. Selon le premier, pour pouvoir s’acquitter de ses obligations de représentation, le syndicat doit disposer de moyens efficaces de communiquer avec les employés. C’est ce qui a été expliqué dans la décision Millcroft, dans laquelle la Commission des relations de travail de l’Ontario a examiné en profondeur les obligations du syndicat et conclu que, pour s’acquitter de celles-ci, le syndicat doit [traduction] « pouvoir communiquer sans difficulté avec les employés » et « obtenir [leurs coordonnées] sans devoir surmonter les obstacles qu’évoque lemployeur » : par. 33.

[25] La Commission a expliqué pourquoi les coordonnées des employés au travail sont insuffisantes pour permettre au syndicat de satisfaire à ses obligations envers les employés de l’unité de négociation : il n’est pas convenable que l’agent négociateur utilise les installations de l’employeur pour mener ses activités; les informations que les agents négociateurs souhaitent communiquer au travail doivent être examinées par l’employeur avant d’être diffusées; les communications électroniques effectuées au travail ne donnent lieu à aucune attente en matière de respect de la vie privée; et le syndicat doit pouvoir communiquer avec les employés rapidement et efficacement, surtout lorsque ceux-ci sont dispersés.

[26] Le deuxième fondement — plus théorique — sur lequel repose l’obligation de l’employeur de communiquer les coordonnées résidentielles des employés est le suivant : le syndicat et l’employeur doivent être sur un pied d’égalité en ce qui concerne les renseignements pertinents quant à la relation de négociation collective. En outre, compte tenu de la relation tripartite qui lie l’employé, l’employeur et le syndicat, la communication de renseignements personnels au syndicat n’est pas assimilable à la divulgation de renseignements personnels au public. Dans la mesure où l’employeur détient des renseignements importants pour le syndicat dans l’exercice de ses fonctions de représentation des employés, il doit les lui communiquer […]

[27] Les conclusions de la Commission sont clairement justifiées. Le besoin du syndicat de pouvoir communiquer avec les employés de l’unité de négociation ne peut être tributaire de l’utilisation des installations de l’employeur. Comme l’a souligné la Commission, l’employeur peut contrôler les moyens de communication au travail, mettre en application des politiques restreignant toutes les communications échangées au travail, y compris celles avec le syndicat, et surveiller celles-ci. De plus, le syndicat peut avoir des obligations de représentation envers des employés avec lesquels il ne peut communiquer au travail, notamment des employés en congé ou absents en raison d’un conflit de travail.

[28] Le deuxième fondement — selon lequel l’employeur et le syndicat doivent disposer des mêmes renseignements — étaye davantage la conclusion de la Commission. En effet, la nature tripartite de la relation d’emploi exige que les renseignements nécessaires à l’accomplissement des obligations syndicales de représentation que détient l’employeur soient communiqués au syndicat afin que ceux-ci soient sur un pied d’égalité quant aux renseignements relatifs à la relation de négociation collective.

[29] De plus, un employé ne peut renoncer à son droit d’être représenté de façon équitable — et exclusive — par le syndicat. Compte tenu de ses obligations légales envers tous les employés — qu’ils soient ou non des employés assujettis à la formule Rand — et du fait qu’il peut avoir à communiquer rapidement avec eux, le syndicat ne devrait pas être privé des renseignements dont dispose l’employeur et qui sont susceptibles de l’aider à s’acquitter de ces obligations.

[…]

[32] La Commission a conclu que le syndicat avait besoin des coordonnées résidentielles des employés pour représenter les intérêts de ces derniers et qu’il s’agissait d’un usage compatible avec les fins auxquelles le gouvernement employeur recueillait ces renseignements, à savoir informer les employés des conditions de leur emploi. L’employeur recueillait ces informations pour la bonne administration de la relation d’emploi. Comme l’a souligné la Commission, « [l]es employés fournissent à leurs employeurs leurs coordonnées domiciliaires pour être informés des conditions de leur emploi. Cet objectif est conforme à l’usage que [le syndicat] entend faire des coordonnées dans la présente affaire » : par. 168 (italiques ajoutés).

[33] À notre avis, la Commission a rendu une décision raisonnable en concluant que l’usage qu’entendait faire le syndicat des renseignements recueillis était compatible avec les fins visées, soit informer les employés des conditions de leur emploi, et que le syndicat avait besoin des coordonnées résidentielles demandées pour s’acquitter de ses obligations de représentation « rapidement et efficacement » : par. 167.

[…]

[40] Dans la présente affaire, la Commission a raisonnablement conclu que la communication au syndicat des coordonnées résidentielles de Mme Bernard est un accessoire nécessaire aux obligations syndicales de représentation envers elle, à titre de membre de l’unité de négociation. En conséquence, compte tenu de la jurisprudence de la Cour, l’argument soulevé par Mme Bernard relativement à la liberté d’association n’a aucune assise juridique.

[…]

19        Le 7 mars 2014, la plaignante a présenté une requête à la CSC en vue d’une nouvelle audience de son appel dans 2014 CSC 13. Le 16 avril 2014, la CSC a rejeté la requête, avec dépens.

20        Le 24 avril 2014, la plaignante a présenté une demande de réexamen, conformément à l’article 43 de la Loi, aux fins d’un réexamen de la décision dans 2008 CRTFP 13 par la CRTFP. Il s’agit de la décision originale qui a ultimement mené à l’ordonnance de consentement dans 2008 CRTFP 58, à l’égard de laquelle la plaignante avait présenté une demande de contrôle judiciaire, qui avait été accueillie et, par la suite, à l’égard de laquelle des procédures ont eu lieu devant la CRTFP, la CAF et, en dernier ressort, la CSC, qui portaient sur la communication des coordonnées résidentielles par l’employeur (l’ARC) à l’agent négociateur (l’IPFPC).

21        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace l’ancienne CRTFP et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires adoptées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une procédure entamée aux termes de la Loi avant le 1er novembre 2014 doit se poursuivre conformément à la Loi, dans sa version modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

22        La Commission a rejeté la demande de réexamen de la plaignante (2015 CRTFP 59). Elle a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision, que la CAF a refusé dans Bernard v. Canada (National Revenue), 2017 CAF 40, en affirmant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[10] À la suite de Bernard CSC [2014 CSC 13], le 24 avril 2014, la demanderesse a demandé que la Commission réexamine IPFPC 1 [2008 CRTFP 13]. Dans la décision faisant l’objet d’un examen, la Commission a rejeté la demande de réexamen de la demanderesse au motif que : la demanderesse n’avait pas qualité pour agir; la demande de la demanderesse était hors délai; la preuve ou l’argument sur lequel la demanderesse comptait s’appuyer n’aurait pas eu un effet important et déterminant sur le résultat d’IPFPC 1; et la demande était une tentative de remettre en litige Bernard CSC.

[…]

[17] De plus, à mon avis, la Commission a raisonnablement conclu que la demanderesse tente de remettre en litige Bernard CSC. Même si IPFPC 1 ne faisait pas expressément l’objet d’un examen dans Bernard CSC, la CSC a clairement déterminé que la communication des coordonnées domiciliaires était requise aux termes de l’alinéa 186(1)a) de la LRTFP et qu’elle était autorisée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Après un total de quatre procédures, devant la Commission, la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et la CSC, auxquelles la demanderesse a participé, la CSC a définitivement répondu à la préoccupation de longue date de la demanderesse en ce qui a trait à la communication de ses coordonnées domiciliaires au syndicat […] Cependant, cette même préoccupation demeure au centre de la demande de réexamen […]

[…]

23         L’avis donnant lieu à la présente plainte est pratiquement le même que celui visé par l’ordonnance originale dans 2008 CRTFP 58, qui a été assujettie à la décision de la CAF ayant mené à la modification de cette ordonnance. La CRTFP a émis cette ordonnance modifiée dans 2011 CRTFP 34. Elle a été confirmée par la CAF dans 2012 CAF 92, et par la CSC dans 2014 CSC 13. La plaignante a comparu et a agi en son propre nom à l’ensemble de ces audiences et est bien au fait des antécédents et des décisions rendues.

24        L’IPFPC n’a pas autorisé la plaignante à déposer une plainte en vertu du paragraphe 186(1) de la Loi.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’ARC

25        La jurisprudence a fermement établi que seuls une organisation syndicale, un agent négociateur ou un représentant dûment autorisé a qualité pour présenter une plainte à l’égard des interdictions établies à l’alinéa 186(1)a) de la Loi. L’ARC m’a renvoyé à Bialy c. Heavens, 2011 CRTFP 101, Laplante c. Conseil du Trésor (Industrie Canada et le Centre de recherches sur les communications), 2007 CRTFP 95, Merriman c. MacNeil, 2011 CRTFP 87, et Verwold c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 66.

26        Rien dans la plainte ne laisse entendre que l’agent négociateur a autorisé la plaignante à présenter cette plainte.

27        L’avis informant les employés de l’unité de négociation représentés par l’IPFPC que leurs coordonnées résidentiellesseraient communiquées à l’IPFPC, conformément à une ordonnance de la CRTFP, constitue le fondement de la plainte.

28        Le quatrième paragraphe de l’avis prévoit que la communication de l’adresse domiciliaire à l’IPFPC « […] est régie par une ordonnance […] de la Commission des relations de travail dans la fonction publique». Il renvoie à la décision et à l’ordonnance de la CRTFP dans 2011 CRTFP 34, pour laquelle la CAF a rejeté une demande de contrôle judiciaire (2012 CAF 92), et la CSC a rejeté un appel (2014 CSC 13). La CSC a confirmé la conclusion de la CRTFP, soit qu’il était raisonnable de demander à l’employeur de fournir les coordonnées résidentiellesdes membres de l’unité de négociation à un agent négociateur

B. Pour l’IPFPC

(i) Compétence

29        Le libellé du paragraphe 186(1) de la Loi est en place afin d’offrir une protection et un recours aux organisations syndicales. La question de savoir si un individu a le droit de présenter une plainte d’ingérence dans les affaires d’un syndicat a déjà été tranchée par des décisions de la présente Commission et de ses prédécesseurs, lesquelles ont confirmé que les individus ne peuvent présenter de plaintes aux termes du paragraphe 186(1) de la Loi. À cet égard, l’IPFPC m’a renvoyé à Bialy, Laplante, Merriman et Verwold.

30        Dans le cadre d’un litige, l’IPFPC a obtenu le droit d’accéder aux coordonnées des employés. L’ARC ne nuit pas à l’IPFPC en communiquant les coordonnées en question. De plus, l’IPFPC a adopté la position que l’ARC avait l’obligation de communiquer les coordonnées des employés afin de lui permettre de s’acquitter de son obligation de représentation équitable dans le contexte des votes de négociation et de ratification.

31        Selon l’IPFPC, la Commission n’a pas compétence pour trancher la plainte, puisque celle-ci a été présentée sans la permission et le consentement de l’IPFPC.

(ii) Préclusion et abus de procédure

32        La plaignante sous-tend que la plainte est fondée sur une nouvelle preuve qui comprend l’avis daté du 20 avril 2015. L’IPFPC soutient que la plainte constitue une autre tentative inappropriée de remettre en litige une affaire que la CSC a déjà tranchée. La CSC a réglé la question et a confirmé que la communication des coordonnées résidentielles par l’employeur à l’agent négociateur correspond à une utilisation conforme à l’objectif pour lequel l’employeur a recueilli ces renseignements. La CSC a déclaré ce qui suit dans 2014 CSC 13 :

[…]

Pour pouvoir s’acquitter de ses obligations de représentation, le syndicat doit disposer de moyens efficaces de communiquer avec les employés […]

Le syndicat avait besoin des coordonnées résidentielles des employés pour représenter les intérêts de ces derniers, et il s’agissait d’un usage compatible avec les fins auxquelles le gouvernement employeur recueillait ces renseignements, à savoir informer les employés des conditions de leur emploi. L’employeur recueillait ces informations pour la bonne administration de la relation d’emploi. Cet objectif est conforme à l’usage que le syndicat entend faire des coordonnées.

[…]

33        L’avis renvoie au litige tranché dans 2008 CRTFP 58, dans 2011 CRTFP 34, dans 2012 CAF 92 et dans 2014 CSC 13 et stipule ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Pour que l’IPFPC puisse se conformer à l’obligation que la LRTFP lui impose en donnant un préavis suffisant de la tenue des votes de grèves à tous les employés et s’acquitter de ses autres responsabilités aux termes de la LRTFP, l’employeur doit lui communiquer les coordonnées à domicile de tous les employés de l’unité de négociation.

La communication de ces renseignements est régie par une ordonnance de la CRTFP. Les renseignements communiqués à l’IPFPC seront utilisés pour les fins légitimes du syndicat et leur sécurité sera rigoureusement assurée. L’ordonnance de la CRTFP stipule les mesures de sécurité et de protection de la confidentialité applicables aux renseignements qui vous concernent.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

34        L’IPFPC fait valoir que la doctrine de la préclusion devrait être appliquée pour empêcher la plaignante de remettre en litige les conclusions de la CRTFP, comme l’a confirmé la CSC. À cet égard, l’IPFPC s’appuie sur les conditions préalables établies par la CSC dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, au paragraphe 25, comme suit :

25 […]

(1) que la même question ait été décidée;

(2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et

(3)  que les parties dans la décision judiciaire invoquée […] soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée […]

35        Les parties à la présente plainte sont les mêmes que celles dans l’historique du litige. La décision dans laquelle la préclusion est soulevée était définitive, car elle a été réglée par la CSC. De plus, même si la plaignante présente sa plainte en vertu du paragraphe 186(1) de la Loi, la mesure corrective demandée consiste à empêcher l’ARC de communiquer les coordonnées résidentiellesà l’IPFPC.

36        L’IPFPC soutient que la doctrine de la préclusion empêche la plaignante de présenter la présente plainte, puisque la question a déjà été tranchée de manière définitive.

37        Aux paragraphes 18 et 19 de Danyluk, la CSC présente comme suit les finalités importantes de la doctrine de la préclusion en common law :

18 Le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances. Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire. Autrement dit, un plaideur n’a droit qu’à une seule tentative […] Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évités.

19 Le caractère définitif des instances est donc une considération impérieuse et, en règle générale, une décision judiciaire devrait trancher les questions litigieuses de manière définitive, tant qu’elle n’est pas infirmée en appel […] la préclusion est une doctrine d’intérêt public qui tend à favoriser les intérêts de la justice […]

38        La doctrine de la préclusion devrait s’appliquer afin d’empêcher la plaignante de présenter la présente plainte dans le but d’avoir droit « à une [autre] tentative », avec le résultat que les défendeurs seront « tracassé[s] [plus d’une] fois à l’égard d’une même cause d’action ».

39        La doctrine de la préclusion a été appliquée dans le domaine des relations de travail dans la fonction publique dans Sherman c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 125, une affaire où la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP »), le prédécesseur de la Commission actuelle, est arrivée à la conclusion qu’elle était liée par une décision définitive rendue par un tiers indépendant entre les mêmes parties.

40        Le fait de permettre à la plaignante d’aller de l’avant avec sa plainte équivaudrait à un abus de procédure. En effet, la plaignante pourrait alors se soustraire aux décisions définitives et exécutoires de la CRTFP, lesquelles ont été rendues après une procédure d’arbitrage officielle qui a débouché sur un long litige qui a abouti à la CSC.

41        Dans Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, au paragraphe 37, la CSC a adopté la description suivante de la doctrine de l’abus de procédure :

[…]

La doctrine de l’abus de procédure engage le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une manière qui serait manifestement injuste envers une partie au litige, ou qui aurait autrement pour effet de discréditer l’administration de la justice. C’est une doctrine souple qui ne s’encombre pas d’exigences particulières telles que la notion d’irrecevabilité […]

Un cas d’application de l’abus de procédure est lorsque le tribunal est convaincu que le litige a essentiellement pour but de rouvrir une question qu’il a déjà tranchée […]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

42        L’IPFPC fait valoir que, conformément à la justification établie par la CSC dans Toronto (Ville), la plaignante ne devrait pas avoir l’autorisation de donner suite à cette plainte. Elle abuse de la procédure de la Commission et tente de remettre en litige la question de la communication des coordonnées résidentiellesdes employés, de l’employeur à l’agent négociateur, sur laquelle le prédécesseur de la Commission s’est déjà penché.

(iii) Plaideuse vexatoire

43        L’IPFPC demande à la Commission d’empêcher la plaignante de présenter d’autres plaintes dans une tentative d’empêcher l’employeur de communiquer les coordonnées résidentiellesdes employés à l’agent négociateur, sans d’abord demander l’autorisation à la Commission.

44        L’IPFPC fait valoir qu’aucun obstacle dans la législation n’empêche la Commission d’exercer ses pouvoirs de réparation généraux en ce sens et que la Commission possède une compétence inhérente de contrôler ses propres processus. L’IPFPC m’a renvoyé à Nedelkopoulos v. CAW-Canada, Local 222,[2006] OLRB Rep. janv./févr. 89, demande de contrôle judiciaire rejetée dans [2008] OLRB Rep. mars/avr. 314.

45        L’IPFPC soutient qu’une ordonnance serait justifiée dans les circonstances puisque la plaignante a déjà débattu de cette question devant les tribunaux et même jusque devant la CSC. En outre, depuis ce temps, elle a non seulement présenté une requête à la CSC lui demandant de réexaminer sa décision, mais elle a également entrepris trois procédures sur cette même question (deux devant la Commission et ses prédécesseurs et une devant la CAF). La plaignante oblige l’ARC et l’IFPC à engager des coûts et des dépenses inutiles, et elle a exigé de manière répétée que la Commission et ses prédécesseurs consacrent inutilement leurs ressources à la même affaire.

C. Pour la plaignante

46        La plaignante soutient que, dans ses décisions antérieures, la Commission et la CRTFP ont mal interprété l’intention du législateur en ce qui concerne la qualité des employés lorsqu’ils formulent des plaintes aux termes du paragraphe 186(1) de la Loi. Elle soutient que, subsidiairement, si elle se trompe, alors ces décisions antérieures peuvent se distinguer dans la mesure où elles se rapportent à l’ingérence de l’employeur, alors que sa plainte porte sur la participation de l’employeur dans l’administration de l’agent négociateur ou dans sa représentation des employés.

47        La plaignante soutient que l’ordonnance de la CRTFP voulant que l’ARC communique les coordonnées résidentielles des employésà l’IPFPC n’a aucun effet, étant donné que la législation est claire que la Commission et ses prédécesseurs n’avaient et n’ont pas compétence d’ordonner à l’ARC de participer à l’administration de l’agent négociateur ou à sa représentation des employés de l’ARC.

48        La plaignante me renvoie à Rizzo & Rizzo Shoes Ltd.,[1998] 1 R.C.S. 27, dans laquelle la CSC a reconnu qu’il n’existe aucune règle d’interprétation réglementaire :

[…]

[TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[…]

49        La plaignante soutient que la Commission et ses prédécesseurs ont appliqué cette approche à l’égard de l’interprétation réglementaire dans un grand nombre de leurs décisions, dont Conseil du Trésor c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 60.

50        Le libellé de l’alinéa 186(1)a) reprend celui du paragraphe 94(1) du Code canadien du travail (L.R.C., 1985, ch. L-2; le « CCT ») et, par conséquent, le législateur a intentionnellement fondé les dispositions relatives aux pratiques déloyales de travail de la Loi sur celles du CCT.

51        Ni l’alinéa 186(1)a) de la Loi ni le paragraphe 94(1) du CCT ne contiennent un libellé qui empêcherait les employés individuels de formuler des plaintes. Lorsque la Loi limite les droits des employés individuels, elle le fait expressément. Par exemple, le paragraphe 209(2) précise que « [p]our que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage ».

52        L’alinéa 190(1)g) de la Loi ne contient aucune restriction quant aux personnes qui peuvent formuler des plaintes. Il indique ce qui suit :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

53        Dans A&M Transport Ltd. v. Black,[1983] F.C.J. no 930 (QL), la CAF a déclaré ce qui suit au moment d’examiner une disposition similaire au paragraphe 190(1) :

[Traduction]

[…]

En vertu du par. 187(1) du Code canadien du travail, les seules exigences sont qu’une plainte du genre dont il est question ici soit formulée par une personne, par écrit et qu’elle soit présentée à la Commission dans le délai de quatre-vingt-dix jours prescrit par le paragraphe 187(2). Ces exigences ont été satisfaites. En vertu du paragraphe 188(1), la Commission, dès réception d’une telle plainte, est autorisée à aider les parties à régler la plainte et, à défaut de quoi, elle est tenue d’entendre et de trancher la plainte.

[…]

54        La plaignante m’a également renvoyé à 113239 Canada Ltd. (c.o.b. Hill’s Limousine Service) (1996), 103 di 1, dans laquelle un employeur s’est plaint que le syndicat n’avait pas déposé la plainte en question au nom des employés ou que le syndicat ne comparaissait pas en qualité de partie intéressée — l’un des plaignants a comparu et a représenté les employés. Selon la décision, même si ce type de plainte est habituellement présenté par un syndicat, le CCT n’empêche pas un employé ou des employés de présenter des plaintes; le droit n’est pas limité aux syndicats.

55        La plaignante fait valoir que les dispositions relatives aux pratiques déloyales de travail figurant dans la Loi sont fondées sur celles contenues dans le CCT et que le Conseil canadien des relations industrielles et son prédécesseur, le Conseil canadien des relations du travail (le « CCRT »), n’ont jamais privé un employé individuel de sa qualité de présenter une plainte aux termes du paragraphe 94(1) du CCT. Dans Wackenhut of Canada Limited (1994), 94 di 173, le CCRI a déclaré ce qui suit : [traduction] « Généralement, les plaintes de cette nature sont présentées par des syndicats. Il arrive rarement qu’un individu présente une plainte sans l’appui de son syndicat ». Le CCRT a cependant instruit la plainte.

56        La plaignante m’a également renvoyé à Khan, 2006 CCRI 357, à Canadian National Railway Company (1990), 83 di 29, et à Ottawa-Carleton Regional Transit Commission (1993), 91 di 84.

57        Selon la plaignante, il n’y aucune raison pour laquelle les employés régis par la réglementation fédérale assujettis à la partie I du CCT auraient le droit d’être entendu, alors que les employés de la fonction publique régis par la Loi n’y ont pas droit.

58        La plaignante soutient que les employés dans l’unité de négociation VFS tentent de changer d’agent négociateur depuis plus de 15 ans. Elle renvoie à l’article 5 de la Loi, qui garantit que les employés peuvent se joindre à l’organisation syndicale de leur choix et de participer à toute activité licite de celle-ci. Elle soutient également que l’IPFPC a délibérément ignoré cette disposition et qu’il a tenté de museler les employés dissidents en punissant ceux qu’il a été en mesure d’identifier, ayant recours dans certains cas à une interdiction d’affiliation à vie. La plaignante allègue qu’en participant à l’administration de l’IPFPC, l’ARC contrevient à son obligation de neutralité à laquelle elle est tenue.

59        La plaignante déclare que les commissions des relations de travail et les tribunaux ont reconnu le droit des employés d’être entendus dans des affaires où leurs intérêts vont à l’encontre de ceux d’un agent négociateur.

60        La plaignante fait aussi valoir que, puisque la LRTFP confère à chaque employé un droit à un milieu de travail exempt de la participation ou de l’ingérence de l’employeur dans la formation ou l’administration d’une organisation syndicale ou de la représentation des employés par cette organisation syndicale, la Commission, liée par la Déclaration canadienne des droits (S.C. 1960, ch. 44), n’a pas compétence pour interpréter la LRTFP d’une manière qui abroge, restreint ou enfreint le droit des employés individuels d’être entendus.

61        En ce qui concerne la préclusion, la plaignante soutient que les conditions requises pour rendre une conclusion de préclusion ne sont pas présentes.

62        La plaignante déclare également que la CSC n’était pas saisie de l’interprétation réglementaire de l’alinéa 186(1)a) de la Loi lorsqu’elle s’est penchée sur la question de la communication des coordonnées résidentielles.

63        La plaignante soutient que l’IFPC a eu recours à des injures ainsi qu’à une gymnastique juridique dans une tentative de la museler. Elle déclare qu’elle a le droit d’être entendue et de recevoir une décision.

64        La plaignante me renvoie à R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, Télévision Saint-François Inc. (1981), 43 di 175, Ganeca Transport Inc. (1990), 79 di 199, Canadian Imperial Bank of Commerce (1979), 34 di 651, General Aviation Services Limited (1979), 34 di 791, La Sarre Air Services Ltd. (1982), 49 di 52, Canada Post Corporation (1994), 96 di 48, Island Tug & Barge Limited (1997), 104 di 1, Canadian Airport Workers Union c. Sécurité préembarquement Garda inc., 2012 CCRI 620, et Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1.

IV. Motifs

65        Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.

A. Qualité

66        En première instance, la Commission n’a pas compétence pour les motifs qui suivent.

67        La plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi, qui est libellé comme suit :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

68        L’article 185 précise que « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) ou (2), les articles 187 et 188, et le paragraphe 189(1) de la Loi.

69        Dans sa plainte, la plaignante déclare spécifiquement que l’employeur contrevient à l’alinéa 186(1)a) de la Loi, qui est libellé comme suit :

186 (1) Il est interdit à l’employeur et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, qu’il agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci; […]

70        Comme il est établi dans la jurisprudence citée par les défendeurs, la Commission et ses prédécesseurs, la CRTFP et l’ancienne CRTFP, ont constamment soutenu que seuls une organisation syndicale ou un représentant dûment nommé peut fonder une plainte sur une violation alléguée de l’alinéa 186(1)a) de la Loi.

71        Comme il est établi dans Bialy (et comme l’a fait la présente Commission dans Verwold), la CRTFP a déclaré ce qui suit aux paragraphes 16 et 19 :

16 À mon avis, seuls une organisation syndicale ou un représentant dûment nommé peut déposer une plainte pour violation des interdictions exposées à l’alinéa 186(1)a) de la nouvelle Loi.

[…]

19 Le but de l’interdiction énoncée à l’alinéa 186(1)a) de la nouvelle Loi est de protéger une « organisation syndicale » contre toute interférence par l’employeur. Cette interprétation est appuyée par l’alinéa 186(1)b) qui tout comme l’alinéa 186(1)a) fait référence à une « organisation syndicale » contrairement à une « personne » au paragraphe 186(2).

72        Le paragraphe 186(2) de la Loi précise ce qui suit :

186 (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants;

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

(ii) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à toute procédure prévue par la présente partie ou la partie 2, ou pourrait le faire,

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2,

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie ou la partie 2;

b) d’imposer — ou de proposer d’imposer —, à l’occasion d’une nomination ou relativement aux conditions d’emploi, une condition visant à empêcher le fonctionnaire ou la personne cherchant un emploi d’adhérer à une organisation syndicale ou d’exercer tout droit que lui accorde la présente partie ou la partie 2;

c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de congédiement ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger une personne soit à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à une organisation syndicale ou d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical, soit à s’abstenir :

(i) de participer, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie ou la partie 2,

(ii) de révéler des renseignements qu’elle peut être requise de communiquer dans le cadre d’une procédure prévue par la présente partie ou la partie 2,

(iii) de présenter une demande ou de déposer une plainte sous le régime de la présente partie ou de déposer un grief sous le régime de la partie 2.

73        J’accepte et je suis d’accord avec le raisonnement présenté dans Bialy et dans Verwold. À ce titre, je conclu que l’alinéa 186(1)a) de la Loi vise à protéger l’agent négociateur et qu’une plainte présentée en vertu de cette disposition de la Loi peut uniquement être déposée par l’agent négociateur ou son représentant dûment autorisé.

74        La plaignante a fait valoir que la Commission avait mal interprété l’intention du législateur, laissant entendre que toute personne peut présenter une plainte relativement à une violation potentielle en vertu de l’alinéa 186(1)a) de la Loi. Je n’accepte pas cet argument. Une interprétation littérale de l’article, comme le suggère la plaignante, signifierait que toute personne pourrait présenter une plainte, même si elle n’est aucunement impliquée auprès de l’employeur, du milieu de travail, de l’unité de négociation ou de l’agent négociateur. Cela pourrait entraîner, et même entraînerait, une absurdité, en plus d’être une utilisation inappropriée des ressources, et n’est pas conforme à l’interprétation de la Loi dans son ensemble. En limitant l’utilisation de l’alinéa 186(1)a) de la Loi aux agents négociateurs ou à leurs représentants autorisés, la Commission interprète l’article d’une manière qui est conforme au préambule de la Loi.

75        Dans son argumentation, la plaignante semble laisser entendre qu’il existe une distinction entre ingérence et participation. Dans Bialy, au paragraphe 26, la Commission n’a pas limité ses commentaires à l’ingérence :

[…]

Je ne suis pas convaincue que l’article 190 et les paragraphes 186(1) et (2) de la nouvelle Loi mènent à des conclusions différentes lorsque vient le temps de décider qui est en qualité d’exercer une action en vertu de l’alinéa 186(1)a). Comme dans le cas de l’ancien régime, je suis d’avis que les droits prévus par la loi en vertu de l’alinéa 186(1)a) ont été promulgués par le législateur pour protéger les organisations syndicales et non les employés contre toute ingérence de l’employeur.

76        La plaignante m’a renvoyé et s’est appuyée sur A&M Transport Ltd. Cette décision est fondée sur un régime législatif différent et les faits et le contexte sont complètement différents. Les plaignants dans cette affaire étaient des employés qui ont été licenciés. Ils ont allégué que leur licenciement découlait d’une pratique déloyale de travail. Ils avaient le soutien de leur agent négociateur. Leur plainte avait été présentée par l’agent négociateur en plus d’avoir été signée par un représentant de celui-ci. La question soulevée par l’employeur consistait à déterminer si la plainte était valide parce qu’elle avait été signée par le représentant de l’agent négociateur plutôt que par les plaignants, conformément au règlement régissant le processus de plainte. La CAF, dans ce contexte, ne se prononçait pas sur le fait que toute personne avait le droit de présenter une plainte; elle déclarait que le représentant de l’agent négociateur pouvait signer et présenter la plainte, et qu’un défaut technique dans l’exigence du règlement pouvait être réparé et ne dépouillerait pas le décideur de sa compétence.

77        La plaignante a fait valoir que tous les employés avaient le droit de se faire entendre. À cet égard, elle a également fait référence à la Déclaration des droits. Dans le contexte des relations de travail dans la fonction publique fédérale, un employé dans une unité de négociation peut être et sera entendu par l’intermédiaire de la représentation de son agent négociateur. Comme il a été mentionné dans la présente décision, la CSC, en traitant cette même plainte dans 2014 CSC 13, a déclaré ce qui suit : « [l]e syndicat doit représenter tous les employés de l’unité de négociation avec équité et bonne foi. La LRTFP lui impose un certain nombre d’obligations précises à l’égard de ceux-ci. »

78        Le législateur, dans le préambule de la Loi, a reconnu le droit exclusif d’un agent négociateur de représenter tous les employés dans l’unité de négociation pour laquelle il est accrédité. Le droit de représenter les employés tel qu’il est établi dans la Loi continue d’être applicable, peu importe la façon dont un employé donné perçoit la négociation collective. Le législateur a déterminé que, dans ce contexte, le droit d’être entendu est exercé par le représentant prévu par la loi, c’est-à-dire l’agent négociateur de l’employé.

B. Préclusion et abus de procédure

79        Si ma conclusion selon laquelle la plaignante n’a pas qualité pour déposer la présente plainte est erronée, il est manifeste que la plainte n’est rien de plus qu’une autre tentative de sa part d’empêcher la communication de ses coordonnées résidentiellesà l’IPFPC. Cependant, et qui plus est, l’ARC ne fait rien de plus que se conformer à une ordonnance de la CRTFP portant sur la communication des coordonnées résidentiellesdes employés, qui figurait à l’origine dans 2008 CRTFP 58 et modifiée ultérieurement dans 2011 CRTFP 34, qui a été confirmée par la CAF dans 2012 CAF 92, et enfin par la CSC dans 2014 CSC 13.

80        Je conclus que la présente plainte satisfait au critère de la préclusion tel qu’il est décrit par la CSC dans Danyluk.

81        L’ARC et L’IPFPC ont fait valoir que la vraie question que la plaignante tente de traiter concerne la communication de son adresse résidentielle et de son numéro de téléphone résidentiel à l’agent négociateur, une mesure contre laquelle elle lutte depuis 1992, selon la jurisprudence. Je suis d’accord. C’est exactement ce que déclare la plaignante dans sa plainte. Elle allègue que l’ARC participe à l’administration de l’IPFPC ainsi qu’à la représentation des employés en informant les membres de l’unité de négociation qu’elle communiquerait à l’IPFPC les coordonnées résidentielles des employés. En guise de réparation, elle demande une ordonnance de la Commission mettant fin à la communication de ces renseignements à l’IPFPC par l’ARC.

82        Comme il a été mentionné, l’émission de l’avis du 20 avril 2015 a été ordonnée par la CRTFP et découlait d’une plainte de pratique déloyale de travail déposée en 2007 par l’IPFPC contre l’ARC. Dans la décision à l’égard de la plainte originale (2008 CRTFP 13), la CRTFP a conclu que l’ARC avait contrevenu à l’alinéa 186(1)a) de la Loi et qu’elle s’était ingéréedans les affaires de l’IPFPC en omettant de lui communiquer les coordonnées résidentiellesde ses employés (membres de l’unité de négociation).

83        La CRTFP a ordonné aux parties (l’ARC et l’IPFPC) de tenter de conclure une entente volontaire, ce qu’elles ont fait. L’ordonnance a été incorporée dans 2008 CRTFP 58.

84        Après que la CRTFP ait délivré l’ordonnance dans 2008 CRTFP 58, la plaignante s’est mêlée à l’échauffourée avec l’IPFPC et l’ARC et a demandé un contrôle judiciaire de cette ordonnance. La CAF (2010 CAF 40) a partiellement accueilli sa demande de contrôle judiciaire, entraînant une nouvelle audience relative à l’ordonnance. La conclusion relative à une pratique déloyale dans 2008 CRTFP 13 n’a pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire et n’a pas été rejetée.

85        Conformément à 2010 CAF 40, la CRTFP a tenu une nouvelle audience au cours de laquelle on a accordé à la plaignante les pleins droits de participation en qualité d’intervenante. Une décision a été rendue confirmant l’ordonnance découlant de 2008 CRTFP 58. Par suite de cette décision, des modifications ont aussi été apportées. L’avis annexé à l’ordonnance originale a été laissé intact et a été intégré à l’ordonnance, ce qui n’a toutefois pas mis fin à l’affaire. La plaignante a renvoyé cette décision aux fins d’un contrôle judiciaire, que la CAF a rejeté (2012 CAF 92). Elle a interjeté appel de cette décision devant la CSC (2014 CSC 13). La CSC a rejeté l’appel, déclarant ce qui suit :

[…]

[22] La nature des obligations de représentation du syndicat constitue un élément important du contexte dans lequel la Commission a rendu sa décision. Le syndicat doit représenter tous les employés de l’unité de négociation avec équité et bonne foi. La LRTFP lui impose un certain nombre d’obligations précises à l’égard de ceux-ci, notamment celle de leur donner la possibilité de participer aux votes de grève et d’être informés des résultats de ceux-ci (art. 184). Selon la Commission, des obligations semblables s’appliquent à la tenue de votes sur les dernières offres de l’employeur suivant l’art. 183 de la Loi.

[23] C’est dans ce contexte qu’il faut examiner le caractère raisonnable des conclusions de la Commission selon lesquelles la communication des coordonnées résidentielles est requise sous le régime de la LRTFP et autorisée par l’al. 8(2)a) de la LPRP[…]

[24] La Commission a conclu que le refus de l’employeur de communiquer les coordonnées résidentielles des employés constituait une pratique déloyale de travail parce qu’il intervenait ainsi dans la représentation des fonctionnaires par le syndicat. Cette conclusion repose sur deux fondements. Selon le premier, pour pouvoir s’acquitter de ses obligations de représentation, le syndicat doit disposer de moyens efficaces de communiquer avec les employés. C’est ce qui a été expliqué dans la décision Millcroft, dans laquelle la Commission des relations de travail de l’Ontario a examiné en profondeur les obligations du syndicat et conclu que, pour s’acquitter de celles-ci, le syndicat doit [traduction] « pouvoir communiquer sans difficulté avec les employés » et « obtenir [leurs coordonnées] sans devoir surmonter les obstacles qu’évoque lemployeur » : par. 33.

[25] La Commission a expliqué pourquoi les coordonnées des employés au travail sont insuffisantes pour permettre au syndicat de satisfaire à ses obligations envers les employés de l’unité de négociation : il n’est pas convenable que l’agent négociateur utilise les installations de l’employeur pour mener ses activités; les informations que les agents négociateurs souhaitent communiquer au travail doivent être examinées par l’employeur avant d’être diffusées; les communications électroniques effectuées au travail ne donnent lieu à aucune attente en matière de respect de la vie privée; et le syndicat doit pouvoir communiquer avec les employés rapidement et efficacement, surtout lorsque ceux-ci sont dispersés.

[…]

[32] La Commission a conclu que le syndicat avait besoin des coordonnées résidentielles des employés pour représenter les intérêts de ces derniers et qu’il s’agissait d’un usage compatible avec les fins auxquelles le gouvernement employeur recueillait ces renseignements, à savoir informer les employés des conditions de leur emploi. L’employeur recueillait ces informations pour la bonne administration de la relation d’emploi. Comme l’a souligné la Commission, « [l]es employés fournissent à leurs employeurs leurs coordonnées domiciliaires pour être informés des conditions de leur emploi. Cet objectif est conforme à l’usage que [le syndicat] entend faire des coordonnées dans la présente affaire » : par. 168 (italiques ajoutés).

[…]

86        Manifestement insatisfaite de la décision de la CSC, qui confirmait la décision de la CRTFP d’ordonner à l’ARC de communiquer les coordonnées résidentiellesà l’IPFPC, la plaignante a présenté une demande de réexamen à la CRTFP le 24 avril 2014, en vertu de l’article 43 de la Loi. La demande visait le réexamen de la décision dans 2008 CRTFP 13, soit la décision originale qui a mené à l’ordonnance dans 2008 CRTFP 58, à l’égard de laquelle elle a demandé un contrôle judiciaire et obtenu une nouvelle audience en premier lieu. La Commission a rejeté la demande de réexamen dans une décision datée du 29 juin 2015 (2015 CRTEFP 59). La plaignante a qualifié la demande de réexamen de la plaignante comme suit :

[…]

9 Au cœur de la demande de réexamen de la demanderesse est une tentative énergique visant à empêcher la divulgation de ses renseignements personnels au syndicat. Même si son combat à cet égard a commencé en 1992, lorsqu’elle a déposé une plainte au Commissariat à la protection de la vie privée, l’escarmouche récente a commencé en 2008 et a ultimement visé trois décisions de la CRTFP, deux décisions de la Cour d’appel fédérale, une décision de la Cour suprême du Canada et une demande de réexamen de la décision de la Cour suprême du Canada. Cette demande de réexamen d’IPFPC 1 [2008 CRTFP 13] ne peut être considérée séparément de l’historique considérable des litiges entre les parties.

[…]

77 Il me semble que cette demande est une tentative mal déguisée de rouvrir une question déjà tranchée par la plus haute instance au pays. Même si la demanderesse affirme qu’elle n’a pas eu l’occasion de présenter des preuves liées au contexte législatif des dispositions examinées dans IPFPC 1 [2008 CRTFP 13] puisqu’elle ne prenait pas part à ces procédures, en fait, l’interprétation des dispositions législatives pertinentes était un thème récurrent de tous les litiges postérieurs, dans lesquels elle était une participante active. La Cour suprême du Canada a tranché la question de manière complète et définitive (dans 2014 CSC 13) lorsqu’elle a maintenu que les conclusions rendues dans IPFPC 3 [2011 CRTFP 34] étaient « clairement justifiées » et « […] que le refus de l’employeur de communiquer les coordonnées résidentielles des employés constituait une pratique déloyale de travail parce qu’il intervenait ainsi dans la représentation des fonctionnaires par le syndicat. »

[…]

87        La plaignante a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la Commission lors de sa demande de réexamen (2015 CRTEFP 59) à la CAF, qui a rejeté le contrôle judiciaire (2017 CAF 40), déclarant, au paragraphe 17, ce qui suit :

[Traduction]

[17] De plus, à mon avis, la Commission a raisonnablement conclu que la demanderesse tente de rouvrir Bernard CSC. Même si IPFPC 1 ne faisait pas expressément l’objet d’un examen dans Bernard CSC, la CSC a clairement déterminé que la communication des coordonnées domiciliaires était requise aux termes de l’alinéa 186(1)a) de la LRTFP et qu’elle était autorisée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Après un total de quatre procédures, devant la Commission, la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et la CSC, auxquelles la demanderesse a participé, la CSC a définitivement répondu à la préoccupation de longue date de la demanderesse en ce qui a trait à la communication de ses coordonnées domiciliaires au syndicat […] Cependant, cette même préoccupation demeure au centre de la demande de réexamen […] En plus d’attendre jusqu’après la publication de Bernard CSC [2014 CSC 13] pour présenter sa demande, la « nouvelle » preuve proposée par la demanderesse est liée à la communication de ses coordonnées domiciliaires.

88        La plaignante s’adresse maintenant à la Commission et allègue que l’ARC contrevient à la Loi et participe à l’administration et à la représentation par l’IPFPC de ses employés en faisant ce que l’IPFPC avait originalement demandé à l’ARC de faire en 2007, qui est également ce que la CRTFP avait ordonné à l’ARC de faire. La CAF et la CSC ont confirmé cette ordonnance. L’ARC était tenue de s’y conformer. Il ressort clairement que la présente plainte n’est qu’une autre tentative déguisée de remettre en litige la même question que la Commission et la CRTFP ont déjà tranché en plusieurs occasions. Effectivement, dès la première occasion, au moment de demander le contrôle judiciaire de 2008 CRTFP 58, dans laquelle la CRTFP a émis l’ordonnance en incluant le libellé qui devait y figurer, la CAF a renvoyé la question afin que la plaignante puisse être entendue sur la question, ce qui a été le cas. La question a depuis été tranchée par la CAF, la CSC et la présente Commission, et une fois de plus par la CAF, avec la pleine participation de la plaignante.

89        Comme l’a indiqué la CSC dans Toronto (Ville), la doctrine de l’abus de procédure engage le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une manière qui serait manifestement injuste envers une partie au litige, ou qui aurait autrement pour effet de discréditer l’administration de la justice. Il est manifeste que la plainte satisfait à cette qualification.

90        En vertu de l’article 36 de la Loi, la Commission a le pouvoir d’appliquer la Loi et peut exercer des pouvoirs qui sont accessoires à l’atteinte des objets de la Loi, y compris formuler des ordonnances exigeant le respect de la Loi et des règlements pris en vertu de celle-ci, ou rendre des décisions à l’égard d’une question dont elle est saisie. À cet égard, je conclus que la présente plainte constitue un abus de procédure.

C. Affaire vexatoire

91        Compte tenu de tous les faits qui ont été présentés et des conclusions qui ont été tirées en l’espèce, il m’apparait clairement que la plaignante n’est pas prête à laisser tomber cette affaire, malgré les décisions rendues jusqu’à présent, y compris par la CSC. Manifestement, elle tente de remettre en litige une même question qui a été tranchée depuis longtemps de manière exhaustive et définitive, et ses actions exposent l’ARC, l’IPFPC et la Commission à des frais et à des dépenses inutiles auxquels ils ne devraient pas être assujettis. Par conséquent, je conclus que la plainte dans ces procédures est vexatoire. En conséquence, la plaignante ne sera pas autorisée à engager d’autres procédures devant la présente Commission concernant la question de la communication des coordonnées résidentiellesaux agents négociateurs sans d’abord en demander la permission à la Commission.

92        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

93        La plainte est rejetée.

94        Il est interdit à la plaignante d’engager d’autres procédures devant la présente Commission sur la question de la communication des coordonnées résidentiellesà un agent négociateur sans d’abord en demander la permission à la Commission.

Le 1er mai 2017.

Traduction de la CRTEFP

John G. Jaworski,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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