Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief contre une suspension de 30 jours qu’il a reçue au motif qu’il avait soumis un certificat médical falsifié et une suspension pour une période indéterminée sans traitement qu’il a reçue en attendant l’issue d’une enquête relative à ses affaires, y compris son utilisation des systèmes électroniques de l’employeur – il a également déposé un grief contre son licenciement pour avoir utilisé les ressources électroniques de l’employeur pour exercer des activités commerciales personnelles, pour avoir omis de les déclarer comme potentiel conflit d’intérêts et pour avoir induit son employeur en erreur au sujet de ses activités – la Commission a conclu que la suspension de 30 jours pour avoir délibérément présenté un certificat médical falsifié relevait de la gamme des mesures disciplinaires acceptables dans les circonstances – la défenderesse a soutenu que la suspension pour une période indéterminée était théorique étant donné que la date d’entrée en vigueur du licenciement était le premier jour de la suspension; il en résultait que la suspension ne faisait pas partie des mesures pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique – la Commission a conclu que la suspension pour une durée indéterminée comportait un élément disciplinaire, ce qui lui donnait la compétence de statuer sur cette suspension – la Commission a également conclu que la défenderesse avait un motif valable pour suspendre pour une période indéterminée le fonctionnaire s’estimant lésé, car elle avait des préoccupations légitimes suffisantes liées à ses activités pour le suspendre en attendant l’issue d’un examen plus approfondi – la durée de la suspension, qui était d’environ six mois, était raisonnable dans les circonstances en raison de l’enquête approfondie qui était nécessaire, ainsi que la difficulté de prévoir des réunions avec le fonctionnaire s’estimant lésé pour obtenir sa version des faits – la Commission a conclu que l’employeur avait établi un motif valable pour le licenciement, car le fonctionnaire s’estimant lésé avait violé sa politique sur l’utilisation des ressources électroniques en utilisant régulièrement son système de courriels pour mener des affaires personnelles, avait omis de déclarer ses activités commerciales qui auraient pu constituer un conflit d’intérêts et avait induit son employeur en erreur sur les détails relatifs à ses activités commerciales – la portée et la nature de ses activités commerciales et son omission de les divulguer démontraient un manque d’appréciation de l’intégrité dans la fonction publique et un mépris total de ses responsabilités en tant que fonctionnaire – le fonctionnaire s’estimant lésé n’a démontré aucune compréhension ni reconnaissance qu’il avait commis une erreur.Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170526
  • Dossier:  566-02-7089, 8142 et 10209
  • Référence:  2017 CRTEFP 58

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

TEVIN APENTENG

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)

défenderesse

Répertorié
Apenteng c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Michael F. McNamara, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Pierre Ouellet, Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Pour la défenderesse:
Joshua Alcock, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 17 au 19 novembre 2014.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs renvoyés à l’arbitrage

1        Le fonctionnaire s’estimant lésé, Tevin Apenteng (le « fonctionnaire »), a déposé trois griefs dont je suis saisi. Les griefs contestent une suspension de 30 jours (dossier 566-02-10209), une suspension pour une période indéterminée sans traitement en attendant l’issue d’une enquête (dossier 566-02-7089) et le licenciement ultérieur du fonctionnaire (dossier 566-02-8142).

2        Le 2 octobre 2012, l’Agence des services frontaliers du Canada (la « défenderesse ») a informé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») que, selon elle, la suspension pour une période indéterminée était théorique puisque le licenciement ultérieur du fonctionnaire a été imposé rétroactivement au premier jour de sa suspension, soit le 19 décembre 2011. En outre, dans une lettre en date du 19 février 2013, l’avocat de la défenderesse a soulevé une objection quant à la recevabilité du grief sur la suspension pour une période indéterminée. La défenderesse a soutenu que la suspension en attendant l’issue d’une enquête était de nature administrative et qu’elle ne faisait pas partie des mesures pouvant l’objet d’un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « LRTFP »). L’avocat de la défenderesse a également réitéré son affirmation selon laquelle la suspension pour une période indéterminée était, à première vue, théorique, et que ce grief devrait être rejeté.

3        Le représentant du fonctionnaire n’était pas de cet avis, au contraire. Il a répondu que la suspension pour une période indéterminée pouvait faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage et qu’elle n’était pas théorique. Il a soutenu que la défenderesse avait pris plus de temps que d’habitude pour rendre sa décision définitive quant à l’emploi du fonctionnaire, et ce, même si elle connaissait tous les faits bien avant la date de licenciement.

4        Ces questions préliminaires ont été prises en délibéré et ont été renvoyées à l’audience aux fins d’examen.

5        Les trois griefs ont été regroupés afin d’être entendus et traités simultanément. Le grief concernant la suspension de 30 jours a été déposé au palier approprié de la procédure de règlement des griefs de la défenderesse le 10 mars 2014, bien en dehors du délai prescrit par la convention collective applicable. Le retard est motivé par le fait que le 20 février 2014, le président intérimaire de l’époque de la Commission des relations de travail de la fonction publique (CRTFP) a accordé au fonctionnaire une prorogation du délai pour présenter son grief (voir Apenteng c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2014 CRTFP 19). Par conséquent, je suis saisi à bon droit du renvoi à l’arbitrage de ce grief.

6        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont également entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 396 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continue d’exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003 ch. 22, art. 2) dans sa version antérieure à cette date.

7        En outre, en vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa version modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

II. Résumé des faits

A. La suspension de 30 jours

8        Pendant toute la période pertinente, le fonctionnaire était au service de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») en tant qu’employé du groupe Systèmes d’ordinateur, classifié au groupe et au niveau CS-02, et ce, depuis avril 2002.

9        Le 2 juin 2011, le fonctionnaire a été suspendu sans traitement pendant 30 jours au motif qu’il avait soumis un certificat médical falsifié pour justifier son absence du travail du 18 au 29 avril 2011.

10        La lettre disciplinaire en vertu de laquelle la défenderesse a imposé la suspension énonce les motifs à l’appui de la suspension et indique en partie ce qui suit :

[Traduction]

À la suite de l’audience disciplinaire tenue le 26 mai 2011, la présente a pour objet de vous informer qu’une mesure disciplinaire vous est imposée pour avoir présenté un certificat médical falsifié.

À l’audience, il a été question du certificat médical que vous avez présenté pour justifier votre absence du travail en raison d’obligations familiales du 18 au 29 avril 2011. Il a été confirmé par le bureau du Dr Davis R. Lindsay que, selon leurs dossiers, cette lettre n’a pas été créée par son bureau.

En conséquence de l’audience disciplinaire, j’ai conclu que vos actes constituent une inconduite grave et remettent en question votre jugement. En outre, vos actes constituent une violation grave du Code de conduite de l’ASFC et du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique.

[…]

11        La preuve présentée à l’audience a permis d’établir que le fonctionnaire a pris un congé pour obligations familiales du 18 au 29 avril 2011. Dans son témoignage, il a mentionné qu’il avait reçu un courriel de son directeur, Pierre Pitre, de la division du soutien à la production des systèmes du secteur commercial de l’ASFC. Selon sa compréhension du courriel, il devait présenter un certificat médical à son retour au travail, conformément à une disposition de la convention collective applicable.

12        M. Pitre a déposé en preuve plusieurs échanges de courriels avec le fonctionnaire établissant les attentes de la défenderesse au sujet de son utilisation de congés. De plus, à la lumière de la tendance du fonctionnaire concernant l’utilisation des congés, le courriel mentionnait également qu’il devait présenter un certificat médical pour toute autre absence en raison de maladie.

13        Selon la preuve présentée à l’audience, M. Apenteng informait la défenderesse de ses absences au jour le jour. À un moment donné, il a été informé qu’il était considéré en congé non autorisé sans traitement jusqu’à ce que des explications appropriées soient fournies pour justifier son absence. M. Pitre a indiqué qu’il avait besoin de renseignements supplémentaires quant aux motifs de l’absence du fonctionnaire.

14        À son retour au travail, le 3 mai 2011, le fonctionnaire a présenté un certificat médical pour justifier son absence. La note était insérée dans une enveloppe scellée de l’ASFC et a été remise à l’adjoint de M. Pitre. La note aurait été signée par un Dr David R. Lindsay et indique que l’épouse de M. Apenteng avait été soignée par le Dr Lindsay au centre médical St-Joseph, à Toronto, du 17 au 29 avril 2011, aux fins de traitement médical.

15        Puisque cette situation concernait un congé pour obligations familiales et non un congé de maladie, M. Pitre a été un peu surpris de recevoir un certificat médical concernant Mme Apenteng. Il l’a examiné et a commencé à avoir des doutes. Le 15 avril 2011, M. Apenteng avait pris un congé pour obligations familiales pour amener son enfant à un rendez-vous chez le médecin et n’avait pas mentionné que son épouse recevait des soins médicaux et qu’il aurait besoin de congés supplémentaires pour obligations familiales quelques jours plus tard seulement. M. Pitre a également remarqué que l’en-tête du certificat [traduction] « était étrange », comme s’il avait été photocopié et que le texte y avait été ajouté par dactylographie.

16        M. Pitre a décidé de vérifier l’authenticité du certificat auprès du centre médical St-Joseph. Le 6 mai 2011, l’administrateur médical du centre l’a informé qu’il n’avait pas créé le certificat et que le Dr Lindsay n’avait pas traité ce patient pendant la période qui y était indiquée. Ces renseignements ont été confirmés par écrit le même jour. À l’audience, la défenderesse a présenté un certificat médical authentique signé par le même médecin, qui renvoie à une visite de suivi au centre de santé le 2 mai 2011, la veille de la date de retour au travail du fonctionnaire.

17        Le 20 mai 2011, Pierre Ferland, qui était pendant toute la période pertinente le directeur général de la Direction des solutions de sa division de l’information, des sciences et de la technologie, a convoqué M. Apenteng à une réunion disciplinaire pour lui donner l’occasion de répondre aux constatations.

18        La réunion a eu lieu le 26 mai 2011. M. Apenteng n’a nié aucun des faits qui lui ont été présentés. Il a déclaré être stressé en raison de son travail et d’autres problèmes dans sa vie, que son épouse avait réellement consulté le médecin et que les dates figurant sur le certificat médical étaient erronées. Il a également présenté ses excuses.

19        Selon M. Ferland, le fait que le fonctionnaire ait créé et présenté un certificat médical falsifié pour justifier son absence du travail constitue une infraction et un abus de confiance graves et, par conséquent, le licenciement était sérieusement envisagé. Toutefois, il a également tenu compte du dossier disciplinaire sans tache du fonctionnaire et du fait que, lors de la réunion, ce dernier a exprimé des remords relativement à ses actes. M. Ferland était également préoccupé par les observations formulées par le représentant de l’agent négociateur du fonctionnaire selon lesquelles M. Apenteng éprouvait des difficultés financières. Par conséquent, il a conclu qu’une suspension de 30 jours constituait une sanction sévère qui tenait compte des remords du fonctionnaire et de son engagement à rétablir le lien de confiance avec la défenderesse.

20        À l’audience, M. Apenteng a indiqué que son épouse avait subi une intervention chirurgicale et qu’il s’était occupé de leurs enfants pendant son rétablissement. Elle lui a fourni le certificat médical lorsqu’il l’a informée qu’il était nécessaire pour justifier son absence. Elle lui a remis dans une enveloppe scellée. Il a indiqué qu’il ne l’avait pas examinée; il l’a simplement apportée au travail et l’a remise à l’adjoint de M. Pitre. Mme Apenteng n’a pas témoigné à l’audience.

B. Suspension pour une période indéterminée et licenciement

21        Le fonctionnaire a été suspendu pour une période indéterminée sans traitement le 22 décembre 2011, pour les motifs énoncés dans la lettre de suspension signée par M. Ferland, qui indique en partie ce qui suit :

[Traduction]

La présente fait suite à la réunion de recherche des faits tenue le 19 décembre 2011 avec la direction de l’ASFC. Cette réunion avait pour but d’obtenir vos commentaires et une explication relativement à certaines affaires inappropriées que vous avez menées qui concernaient également votre utilisation des systèmes électroniques de l’ASFC.

La présente lettre vise à vous informer que l’ASFC a décidé de mener une enquête administrative plus approfondie relativement à vos affaires, y compris votre utilisation des systèmes électroniques de l’ASFC pour exercer des activités avec les personnes suivantes, sans toutefois s’y limiter :

I-      MacDoff  - Société logistique du Ghana;

II-     RosePark – Société de télécommunication;

III-    RosePark  - Boisson et alimentation ltée - Ghana;

IV-    Le Groupe Forex ltée;

V-     l’Ambassade du Gabon et vos propositions relatives à votre entreprise de télécommunication.

En outre, étant donné les circonstances liées aux allégations indiquées ci-dessus, la direction a conclu que votre présence continue dans le milieu de travail constitue un risque raisonnablement grave et immédiat aux préoccupations légitimes de l’Agence et, par conséquent, vous êtes suspendu par la présente pendant une période indéterminée sans traitement à compter du 19 décembre 2011, en attendant l’issue de l’enquête.

[…]

[…] S’il est déterminé que les allégations à votre égard ne sont pas fondées, vous serez réintégré dans vos fonctions au lieu de travail et rémunéré en conséquence pour la période de votre suspension.

22        Le fonctionnaire a subséquemment été licencié. Les motifs, qui sont énoncés dans une lettre datée du 23 juillet 2013, signée par M. Ferland, indiquaient ce qui suit :

[Traduction]

J’ai examiné attentivement le rapport d’enquête, y compris vos déclarations. Selon ces renseignements, je suis convaincu que vous avez violé la Politique sur l’utilisation des ressources électroniques de l’Agence tant en ce qui concerne la quantité que la nature des affaires personnelles que vous avez effectuées; vous avez omis de déclarer des affaires personnelles qui pourraient constituer un conflit d’intérêts et une violation du Code de conduite; et vous avez induit en erreur l’Agence au sujet des détails relatifs à vos activités commerciales.

Avant de parvenir à cette décision, j’ai tenu compte des facteurs atténuants et aggravants, y compris vos années de service et votre dossier disciplinaire antérieur et, plus important, le fait que vous n’avez démontré aucun remords relativement à vos agissements.

Par conséquent, j’ai conclu qu’en raison de la nature de votre conduite, le lien de confiance qui est essentiel pour continuer d’être un employé de l’Agence des services frontaliers du Canada est irrémédiablement rompu.

À la lumière de ce qui précède et conformément à l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, vous êtes licencié pour un motif valable en date du 19 décembre 2011.

23        La preuve de la défenderesse à l’encontre du fonctionnaire et à l’appui de la suspension pour une période indéterminée et le licenciement, a été présentée principalement au moyen du témoignage de M. Ferland, mais également celui de M. Pitre.

24        M. Pitre a expliqué qu’au moment des événements liés à la présentation du certificat médical falsifié, il était [traduction] « préoccupé par le rendement et les délais » en ce qui concerne M. Apenteng. Il a alors décidé de lui envoyer une lettre, en date du 24 mai 2011, établissant les attentes de l’employeur relativement à un certain nombre de questions liées à son rendement au travail. En plus d’aborder les heures de travail de M. Apenteng, son utilisation des congés et l’établissement de rapports, la lettre renvoie au Code de conduite de l’ASFC et au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique (le « Code d’éthique »), qui ont été joints à la lettre. Il était attendu que M. Apenteng les examine et s’y conforme. M. Pitre a indiqué avoir rencontré le fonctionnaire pour discuter des attentes et, plus précisément, lui mentionner que s’il avait une entreprise parallèle, elle devait être déclarée à la défenderesse dans une « Déclaration confidentielle ». M. Apenteng a répondu qu’il n’avait aucune question et qu’il ne participait à aucune entreprise et qu’aucune autre discussion n’était nécessaire.

25        M. Pitre a affirmé avoir commencé à soupçonner que M. Apenteng exerçait des activités commerciales extérieures et qu’il utilisait le système de courrier électronique de l’ASFC à cet égard. À sa demande, le personnel de la sécurité de l’ASFC a mené un examen des échanges de courriels récents du compte de M. Apenteng. Un certain nombre d’échanges de courriels qui n’avaient aucun lien avec ses fonctions ont été identifiés, ce qui a soulevé la possibilité qu’il menait des activités commerciales pendant les heures de travail à l’aide du système de courriers électroniques de l’ASFC.

26        Le 19 décembre 2011, M. Pitre a convoqué M. Apenteng à une réunion afin de l’interroger au sujet des activités alléguées et obtenir des précisions. Les questions posées à M. Apenteng et les réponses de ce dernier sont relevées dans une transcription que M. Pitre a déposée en preuve et dont l’exactitude n’a pas été contestée par le fonctionnaire dans son témoignage. Les questions portaient sur les activités de M. Apenteng relativement aux cinq situations décrites dans la lettre de suspension pour une période indéterminée en date du 22 décembre 2011, citées antérieurement dans cette décision. Le fonctionnaire était évasif pendant la première partie de l’entrevue, répondant souvent qu’il ne se souvenait pas et qu’il devait [traduction] « vérifier ses courriels ». Il a toutefois nié avoir exercé des activités commerciales avec les personnes et les entreprises en question.

27        Selon ce qui a été indiqué, la réunion a eu lieu le jour où le fonctionnaire est retourné au travail à la suite de ses vacances annuelles. Toutefois, après l’explication de M. Pitre quant à la portée et l’objectif de la réunion, le fonctionnaire et le représentant de son agent négociateur ont eu environ une heure pour se consulter.

28        M. Pitre et les représentants de la direction qui ont assisté à la réunion ont demandé à M. Apenteng de demeurer dans la salle pendant qu’ils examinaient les renseignements qu’il avait fournis et qu’ils déterminaient les prochaines étapes. Lorsqu’ils sont retournés dans la salle, le fonctionnaire a indiqué qu’il voulait ajouter des précisions. Il a déclaré que, contrairement à ce qu’il avait dit plus tôt, il connaissait MacDoff – Société logistique du Ghana ltée (« MacDoff »). Il a précisé que le propriétaire de MacDoff était son ami, mais qu’il n’avait aucun lien commercial avec l’entreprise; il a nié jouer un rôle au sein de celle-ci. Il avait prêté de l’argent au propriétaire en tant qu’ami.

29        À la question de savoir quel était son rôle dans RosePark – Société de télécommunications (« RosePark Telecom »), il a répondu que son épouse en était la propriétaire. Il a été nommé en tant qu’administrateur parce qu’elle devait avoir au moins deux personnes pour constituer la société. La société vend des télécartes et offre des services de mobilité; il a déclaré qu’il [traduction] « aidait » parfois son épouse.

30        Lorsqu’il a été interrogé au sujet de RosePark – Boisson et alimentation ltée (« Alimentation RosePark »), il a répondu qu’il s’agissait d’une nouvelle entreprise au Ghana qui n’était pas encore en fonction. Il a déclaré qu’il ne croyait pas être tenu de la déclarer. Il a nié avoir fait affaire avec un M. Mbingt, autre que d’établir un lien entre ce dernier et une entreprise de télécommunication au Gabon. Ses interactions avec ce dernier étaient uniquement sociales et il ne croyait pas que M. Mbingt agissait pour le compte de la nation du Gabon.

31        À la fin de la réunion, M. Pitre a informé le fonctionnaire qu’une autre enquête était nécessaire pour déterminer l’ampleur de sa participation à des activités commerciales extérieures. Après avoir consulté M. Ferland, il a informé le fonctionnaire qu’une suspension pour une période indéterminée sans traitement lui était imposée en attendant l’issue de l’enquête.

32        M. Ferland a indiqué que les faits soulevaient, à tout le moins, une apparence de conflit d’intérêts et que les réponses du fonctionnaire soulevaient un manque de confiance, notamment parce que la défenderesse ne connaissait pas encore la portée de ses activités commerciales ni les autres parties impliquées. L’ASFC recueille des renseignements de nature très délicate auprès des importateurs, des courtiers, des transitaires, des transporteurs, des camionneurs, des propriétaires de bateau, entre autres, au sujet des marchandises qui entrent dans le pays. Ces renseignements sont utilisés pour évaluer les indicateurs macroéconomiques.

33        À titre d’employé de l’ASFC, M. Apenteng avait accès à des ressources gouvernementales importantes et son insigne de l’ASFC lui donnait accès à des centaines d’édifices et il bénéficiait d’un certain niveau de confiance. Plus particulièrement, M. Ferland était préoccupé par l’investissement du fonctionnaire dans MacDoff, une entreprise logistique qui faisait affaire avec l’ASFC.

34        M. Ferland a expliqué que le fonctionnaire, en tant que programmeur-analyste principal de la division du soutien à la production des systèmes du secteur commercial, avait accès au Régime de sanctions administratives pécuniaires (le « RSAP »), qui permet d’imposer des sanctions pécuniaires à tous les clients commerciaux, y compris les importateurs et les exportateurs, et dans lequel on consigne les infractions. Il était préoccupé par la question de savoir si M. Apenteng mettait l’ASFC à risque et portait une atteinte grave à la sécurité en exerçant des affaires personnelles avec une société étrangère dont l’activité était l’expédition transfrontalière de marchandises. Dans certains cas, les programmeurs ont accès au RSAP et à la capacité d’annuler des amendes. M. Ferland a reconnu qu’aucun élément de preuve n’indiquait que MacDoff avait profité de la position du fonctionnaire au sein de l’ASFC.

35        L’enquête menée par la Direction de la sécurité et des normes professionnelles de la défenderesse a été amorcée peu après. Le 20 mars 2012, M. Ferland a reçu le rapport d’enquête daté du 12 mars 2012. Le rapport et un nombre important de copies de courriels, datant de 2004 jusqu’en 2011, tirés du compte de M. Apenteng ont été déposés en preuve.

36        En résumé, les enquêteurs ont conclu que M. Apenteng avait mené des affaires personnelles pendant les heures de travail à l’aide des ressources de l’ASFC. Le rapport a permis d’établir qu’il était propriétaire, fondateur et exploitant de RosePark Telecom et que son nom figurait à la liste du Système d’information sur les entreprises de l’Ontario en tant que directeur de cette société, ainsi que son épouse. Cinq cent trente échanges de courriels avec son épouse, des clients et des représentants de RosePark Telecom ont été trouvés dans son compte de courriels, lesquels ont révélé qu’il dirigeait les activités commerciales de cette société. Son épouse l’appuyait parce qu’elle était à Toronto, en Ontario, où étaient situés la plupart de ses clients et où il exploitait un petit comptoir de services.

37        L’examen des courriels figurant dans son compte a révélé qu’il avait plusieurs autres relations d’affaires, y compris avec Cardservice International (un fournisseur de services de traitement de paiement par Internet), Impression Colourfast (pour l’impression de cartes d’appel), Association ghanéenne canadienne de l’Ontario (qui fournissait des cartes d’appel), Mobilicity (un fournisseur de service de téléphone cellulaire) SpoofCard (un fournisseur de cartes d’appel) et plusieurs autres.

38        Les enquêteurs ont également conclu que le fonctionnaire avait investi 5 000 $ dans MacDoff. Son dossier de courriel a clairement démontré qu’il avait exercé des activités liées à MacDoff à partir de son ordinateur du travail, à l’aide du réseau de l’ASFC. Contrairement à ce qu’il a affirmé, M. Apenteng n’a pas simplement prêté de l’argent au propriétaire, mais il l’a investi et il était considéré comme un actionnaire. M. Apenteng avait signé une entente commerciale avec le propriétaire. De plus, les échanges de courriels laissent entendre qu’il s’occupait de l’organisation, des télécommunications, du site Web et de plusieurs problèmes techniques liés à cette entreprise.

39        Selon un des échanges de courriels, le fonctionnaire tentait de louer des locaux au Ghana et, en échange, il demandait au propriétaire de MacDoff de trouver et de visiter les lieux possibles en son nom. Les échanges de courriel ont également révélé qu’en 2011, la relation d’affaires entre M. Apenteng et MacDoff semblait s’être détériorée après qu’il ait été nommé administrateur de la société. Le propriétaire lui a rappelé qu’il n’était qu’un investisseur, ce qui a incité M. Apenteng à demander le retour de son investissement (5 000 $) plus les intérêts.

40        Dans un courriel en date du 11 mars 2008, qui portait le logo de l’ASFC et le titre officiel du fonctionnaire auprès de la défenderesse, le fonctionnaire a demandé le remboursement de son investissement initial auprès de MacDoff avec des intérêts au taux de 35 %, pour un montant total supérieur à 17 000 $. Selon le rapport, environ 180 échanges de courriels ont été effectués au sujet de l’entreprise de MacDoff.

41        En dernier lieu, l’examen a clairement révélé l’existence d’une certaine forme de relations d’affaires entre le fonctionnaire et M. Mbingt, étant donné qu’il est question de discussions sur les modifications aux modalités, de réunions et de prix dans les courriels. Les courriels démontrent également que M. Apenteng a exprimé son intérêt relativement aux cartes d’appel et à d’autres activités commerciales de télécommunications au Gabon. Lorsque les échanges de courriels ont été effectués en 2006, M. Mbingt travaillait à l’ambassade du Gabon à Ottawa, en Ontario, à titre de représentant du gouvernement du Gabon.

42        Le 16 avril 2012, M. Ferland a convoqué M. Apenteng à une réunion afin de lui donner l’occasion d’expliquer les constatations du rapport. Une copie du rapport avait été remise à M. Apenteng. La réunion était prévue le 8 mai 2012, mais elle a été reportée au lendemain.

43        Le 9 mai 2012, le représentant du fonctionnaire a informé les représentants de la défenderesse présents dans la salle de réunion que le fonctionnaire n’y assisterait pas.

44        Le 25 mai 2012, M. Ferland a écrit au fonctionnaire. Il lui a demandé de choisir entre trois options en ce qui concerne la réunion, qui avait été reportée au 4 juin 2012. Il pouvait y participer en personne, par téléconférence ou en fournissant des observations écrites. Le 30 mai 2012, M. Apenteng a répondu qu’il souhaitait procéder par téléconférence, laquelle a eu lieu le 13 juin 2012. Un résumé de la discussion tenue au cours de la téléconférence a été déposé en preuve.

45        M. Apenteng a informé la défenderesse qu’il refusait de répondre aux questions sur le rapport et qu’il acceptait seulement de fournir ses préoccupations à ce sujet. En somme, dans sa réponse, M. Apenteng a souligné qu’il avait toujours bien effectué son travail et qu’il n’avait rien fait d’illégal ou criminel. Il a fait valoir qu’il avait le droit de tirer un revenu et il a demandé comment Alimentation RosePark et la télécommunication tenue avec l’employé de l’ambassade du Gabon pouvaient mettre à risque la sécurité de l’ASFC. Il a déclaré qu’il n’était pas un administrateur de MacDoff. Il a réitéré qu’il n’avait que prêté de l’argent à un ami. Il a également indiqué que [traduction] « toute question ou communication fiscale » avec son épouse et l’Agence du revenu du Canada, auxquelles le rapport fait allusion, était de nature personnelle et ne devait pas faire l’objet de discussion.

46        Il a affirmé que la seule erreur qu’il avait commise avait été d’utiliser la plateforme de l’ASFC aux fins de ses communications et qu’il n’y avait rien d’illégal à agir comme tel; il a toutefois présenté ses excuses à cet égard. Lorsque M. Ferland a mentionné la déclaration antérieure du fonctionnaire concernant environ 20 courriels et le document indiquant qu’il y en avait plusieurs centaines, le fonctionnaire a répondu que MacDoff était au Ghana, que ses activités n’étaient pas liées à ses activités de travail, qu’il n’avait pas accès aux [traduction] « données de production » et qu’il n’avait jamais donné aux entreprises en question des renseignements auxquels il avait accès et qui auraient pu leur conférer un avantage. M Apenteng a demandé à M. Ferland de rédiger une lettre à l’intention de l’ambassade du Gabon et du gouverneur général en vue de clarifier l’enquête et de rétablir sa réputation. Personne n’a communiqué avec ces institutions pendant l’enquête.

47        En ce qui concerne les éléments essentiels, le témoignage du fonctionnaire à l’audience était le reflet des commentaires qu’il a formulés pendant la téléconférence. Il comprenait que les restrictions relatives aux activités extérieures ne s’appliquaient qu’aux situations où il serait en concurrence avec l’ASFC; la vente de cartes d’appels ne constitue pas une telle situation. Il a ajouté qu’il n’avait violé aucune règle et qu’il ne savait pas comment il mettait l’ASFC à risque ou qu’il compromettait la sécurité de ses renseignements.

48        La preuve a également établi qu’au cours de sa carrière à l’ASFC, M. Apenteng avait été informé à maintes reprises (en 2002, en 2004, en 2005, en 2007 et en 2011) de ses obligations en vertu du Code de conduite et du Code d’éthique en ce qui concerne, entre autres, la déclaration d’activités commerciales extérieures et la question d’éviter les conflits d’intérêts.

III. Résumé de l’argumentation

A. La suspension de 30 jours

1. Pour la défenderesse

49        L’avocat de la défenderesse a soutenu que les motifs à l’appui de la suspension de 30 jours avaient clairement été établis par la preuve. La défenderesse a démontré que le fonctionnaire avait présenté un faux certificat médical pour justifier son absence du travail, ce qui constituait un acte frauduleux qui aurait pu entraîner une mesure disciplinaire sévère.

50        L’avocat de la défenderesse a fait valoir que l’explication du fonctionnaire selon laquelle il n’était pas au courant du contenu du certificat médical parce qu’il avait été placé dans une enveloppe scellée par son épouse n’était absolument pas crédible et constituait une tentative manifeste d’attribuer la responsabilité à une autre personne. Aucune raison n’a été fournie quant à la raison pour laquelle son épouse aurait agi comme tel.

51        L’avocat de la défenderesse a indiqué que, à la réunion du 26 mai, il n’avait pas été question de la participation de Mme Apenteng. Puisqu’il s’agit d’un élément fondamental de l’intention coupable du fonctionnaire, un tel moyen de défense doit habituellement être offert le plus tôt possible. L’avocat m’a invité à conclure que les explications du fonctionnaire étaient indéfendables et que ce dernier avait sciemment présenté un certificat médical falsifié pour justifier son absence, ce qui constitue une inconduite grave.

52        L’avocat de la défenderesse a invoqué la jurisprudence suivante : Gorsky et al., Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration, Carswell, 2014, aux pages 9 à 26; Kelly c. Conseil du Trésor (Service correctionnel Canada), 2002 CRTFP 74, aux paragraphes 98 à 100; Beaudry c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-25448 (19950329), [1995] C.R.T.F.P.C. no 33 (QL); Forrester v. Treasury Board (Post Office Department) (1981), 2 L.A.C. (3rd) 182; Canada Post Corp. v. A.P.O.C. (1990), 12 L.A.C. (4th) 210.

53        L’avocat de la défenderesse a invoqué un certain nombre de décisions indiquant qu’une suspension de 30 jours constituait une mesure disciplinaire raisonnable pour une telle inconduite et qu’elle ne devrait pas être modifiée. En fait, la défenderesse avait envisagé le licenciement, qui aurait été justifié dans les circonstances. Les décisions suivantes ont été invoquées : McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel Canada), 2010 CRTFP 26; Kohler Ltd. v. Hytec Employees Assn,[2007] B.C.C.A.A.A. No. 246 (QL); Morrow c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 43; Plank v. Federal Express Canada Ltd., [2006] C.L.A.D. No. 510 (QL); TDS Automotive v. National Automobile, Aerospace, Transportation andGeneral Workers Union of Canada (CAW-Canada), Local 222,[2002] C.L.A.D. No. 384 (QL); Canada Post Corp.; Sauvageau c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14870 (19850129),[1985] C.R.T.F.P.C. No. 55 (QL); Forrester.

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

54        Le représentant du fonctionnaire a fait valoir que, étant donné l’ensemble des circonstances, la suspension de 30 jours était trop sévère.

55        Le représentant du fonctionnaire a indiqué que le fonctionnaire n’a jamais nié le manque d’authenticité du certificat médical qu’il a présenté le 3 mai 2011. Il a mentionné que le fonctionnaire avait fourni à la défenderesse un certificat médical même s’il n’était pas tenu de le faire, mais qu’il comprenait que M. Pitre l’exigeait.

56        Le représentant du fonctionnaire m’a invité à accepter l’explication de M. Apenteng, notamment qu’il n’était pas au courant que le certificat médical que son épouse avait placé dans l’enveloppe et qu’il avait remis à son employeur avait été falsifié. Lorsqu’il a été confronté à ce sujet, il a immédiatement présenté ses excuses. Il ne voulait pas soulever la question du rôle de son épouse dans cette affaire.

57        Le représentant du fonctionnaire a fait valoir en outre que la gravité de la suspension devrait être évaluée en fonction du fait que M. Apenteng ne savait pas qu’il avait présenté un certificat médical falsifié, ce qui réduit la gravité de sa conduite et le niveau de sa responsabilité. Le représentant a également indiqué que le fonctionnaire avait immédiatement présenté ses excuses et reconnu la responsabilité de la présentation d’un certificat falsifié. Enfin, il s’agissait de la première infraction du fonctionnaire et la sanction devrait être réduite à une sanction plus raisonnable afin de tenir compte du principe qu’une mesure disciplinaire devrait être progressive et corrective.

B. Suspension pour une période indéterminée et licenciement

1. Pour la défenderesse

58        L’avocat de la défenderesse a soutenu que le fonctionnaire était d’accord avec l’allégation qu’il avait utilisé les systèmes électroniques de l’ASFC aux fins de ses activités commerciales personnelles liées à MacDoff, à RosePark Telecom et à d’autres entités, ce qui constituait une violation manifeste de la « Politique sur l’utilisation des ressources électroniques » de la défenderesse. M. Apenteng a contrevenu de manière exhaustive à cette politique pendant ses heures de travail, tel qu’en témoigne la quantité importante de courriels dans les recueils de la défenderesse déposés en preuve, ce qui suscite la question de savoir combien d’heures M. Apenteng a consacrées à ses fonctions pendant qu’il était au lieu de travail (voir Telus Communications Inc. v. Telecommunications Workers Union (2005), 143 L.A.C. (4th) 299) et Ontario Power Generation v. Power Workers’ Union,[2004]O.L.A.A. No. 76 (QL)).

59        L’avocat de la défenderesse a mentionné la quantité d’échanges de courriels au cours d’un certain nombre d’années signés au moyen de la signature électronique de M. Apenteng et comportant le logo de l’ASFC. Cette question a un caractère hautement préjudiciable à l’égard de la défenderesse, plus particulièrement puisque l’une des entreprises concernées, MacDoff, indique dans son site Web qu’elle expédie des marchandises au Canada, ce qui en fait une cliente de l’ASFC. Les arbitres de grief ont abordé ces situations très sévèrement; voir Gravelle c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2014 CRTFP 61 et Reid-Moncrieffe c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CRTFP 25).

60        L’avocat de la défenderesse a soutenu en outre que les conflits d’intérêts constituent également une question de perception. L’objectif de la divulgation, conformément au Code de conduite et au Code d’éthique, a pour objet de permettre à la défenderesse d’évaluer si une activité commerciale externe est compatible avec les fonctions et les responsabilités de l’employé. Il ne revient pas à l’employé de faire cette détermination.

61        Il ressort clairement de la preuve que le fonctionnaire n’a rempli aucun rapport. Il a fait preuve d’arrogance tout au long du processus et il n’a pas tenu compte de l’importance que la défenderesse a accordée à la nécessité d’éviter les conflits d’intérêts, réels ou perçus. Il n’a pas été franc ni honnête dans ses explications, et il a été évasif. Il a soutenu que son superviseur était au courant de ses activités, mais lorsque le directeur lui a demandé s’il avait des entreprises parallèles, il a répondu par la négative. Le fonctionnaire a constamment nié avoir des activités commerciales avec MacDoff, toutefois, la preuve indique clairement le contraire.

62        M. Apenteng n’a jamais reconnu ses responsabilités et, à ce jour, il ne voit toujours rien de problématique avec ses activités extérieures, ce qui rend la réintégration dans ses fonctions inappropriée (voir Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43 et Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62.

63        En ce qui concerne la suspension pour une période indéterminée, l’avocat de la défenderesse a soutenu qu’elle était justifiée dans les circonstances et que le délai à l’intérieur duquel la défenderesse a informé le fonctionnaire de ses conclusions n’était pas déraisonnable (voir Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24 et Finlay c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 59). L’avocat a répété que la question était devenue théorique étant donné que la date d’entrée en vigueur du licenciement était le premier jour de la suspension. Cette conclusion est appuyée par Gravelle, Shaver et Brazeau.

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

64        Le représentant du fonctionnaire a soutenu que la suspension pour une période indéterminée imposée au fonctionnaire le 22 décembre 2011 constituait clairement une mesure disciplinaire et que, par conséquent, elle pouvait être examinée par un arbitre de grief.

65        Le représentant a fait valoir qu’au moment de la suspension, la défenderesse avait tous les éléments nécessaires pour prendre sa décision et que, en réalité, elle avait déjà décidé de licencier M. Apenteng. Par conséquent, la suspension pour une période indéterminée en attendant l’enquête était inutile et punitive.

66        Le représentant a mentionné la correspondance interne déposée en preuve dans laquelle les représentants de la défenderesse ont exprimé l’opinion qu’un délai de quatre mois pour mener l’enquête était trop long et qu’un délai raisonnable était de deux mois. La défenderesse connaissait tous les faits bien avant la réunion du 19 décembre 2011, ce qui rend la période d’environ huit mois pour informer le fonctionnaire de sa décision définitive manifestement excessive. Les employés ne devraient pas tomber dans l’oubli, sans rémunération, pendant des périodes aussi prolongées.

67        Le représentant du fonctionnaire a soutenu que la défenderesse n’avait aucune raison valide de suspendre le fonctionnaire sans rémunération pendant l’enquête, puisque la présence de M. Apenteng au travail ne représentait pas un risque pour l’ASFC et qu’il n’avait pas été établi qu’il n’était pas en mesure d’exercer ses fonctions dans un tel contexte (voir Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 26 et Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 70).

68        Le représentant du fonctionnaire a fait valoir en outre que la défenderesse n’a pas établi qu’elle avait subi un préjudice quelconque en raison des activités du fonctionnaire. Il n’a jamais demandé ni reçu un avantage en raison de ses actes et aucune personne avec qui il a traité n’a obtenu un avantage. Les préoccupations de la défenderesse sont fondées uniquement sur une perception de conflit d’intérêts. Le représentant a reconnu l’importance des obligations établies dans le Code de conduite relativement aux conflits d’intérêts, mais le fonctionnaire devait clairement avoir l’intention de tirer profit de ses affaires, en relation avec ses fonctions exercées pour la défenderesse. Le représentant a cité les affaires suivantes à l’appui de l’imposition d’une sanction moindre en l’espèce : Brecht c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2003 CRTFP 36; Welsh c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2001 CRTFP 29; Bellavance c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-28380 et 28381 (19990205), [1999] C.R.T.F.P.C. no 21 (QL); Easton c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 95 et Gannon c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2002 CRTFP 32).

69        Le représentant du fonctionnaire a également soutenu que le fonctionnaire n’avait pas reçu un préavis suffisant de la réunion du 19 décembre 2011, qui a été tenue dès son retour de ses congés annuels (voir Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2002 CRTFP 62; Shneidman c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 133 et Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9). L’absence d’un préavis approprié a fait en sorte que le fonctionnaire soit anxieux et non préparé, ce qui explique ses réponses pendant la première partie de la réunion. Toutefois, après avoir eu le temps d’y réfléchir, il a retiré certaines de ses réponses et a fourni des explications crédibles et uniformes, lesquelles ont été répétées à l’audience de son grief concernant la suspension pour une période indéterminée, à la réunion du 9 juin 2012 et à la présente audience.

70        Le représentant a laissé entendre que la défenderesse n’était pas prête à écouter les explications de M. Apenteng et qu’elle avait déjà pris sa décision. Le fonctionnaire a reconnu sa culpabilité et sa conduite répréhensible au début du processus et non en tant que tentative de dernière minute visant à susciter une sympathie et, par conséquent, cette reconnaissance devrait être considérée comme un facteur atténuant; voir Baptiste c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 127, aux paragraphes 209 à 211, et Oliver c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 43.

71        Le représentant du fonctionnaire m’a exhorté à conclure que le licenciement était excessif dans les circonstances et qu’il devrait être annulé et réduit à une sanction plus raisonnable.

3. Réponse de la défenderesse

72        Selon l’avocat de la défenderesse, l’utilisation par le représentant du fonctionnaire des renvois figurant dans la correspondance interne au sujet du délai d’enquête était hors contexte. Le délai mentionné dans cette correspondance renvoie à la durée de l’enquête et non à la suspension pour une période indéterminée. Des milliers de courriels devaient être examinés, lesquels remontaient jusqu’en 2002.

73        L’avocat de la défenderesse a également souligné qu’une partie du délai nécessaire pour informer le fonctionnaire de sa décision définitive était attribuable au refus de ce dernier de participer aux réunions entre le 9 mai et le 23 juillet 2012, lesquelles avaient pour but de lui donner l’occasion de répondre aux constatations du rapport.

IV. Motifs

A. La suspension de 30 jours

74        Je suis convaincu que la défenderesse a établi les motifs à l’appui de la suspension de 30 jours.

75        La preuve a établi hors de tout doute que M. Apenteng a présenté à la défenderesse un certificat médical falsifié pour justifier son absence du travail pour des obligations familiales entre le 18 et le 29 avril 2011. La seule question consiste à déterminer s’il a présenté la note en sachant qu’elle était falsifiée et avec l’intention de tromper la défenderesse.

76        On a fait valoir que le fonctionnaire n’avait jamais été tenu de présenter un tel certificat. Néanmoins, selon sa compréhension, M. Pitre exigeait qu’il en remette une. En d’autres termes, je suis convaincu que M. Apenteng a agi en présumant que le certificat répondrait au besoin de la défenderesse d’obtenir d’autres explications de la bonne foi de son absence.

77        Le manque de connaissance du fonctionnaire quant à la falsification de la note repose sur son témoignage voulant que son épouse ait placé la note falsifiée dans une enveloppe et qu’elle ait ensuite scellé cette enveloppe, de sorte qu’il ne l’a pas vue avant de la présenter à l’adjoint de M. Pitre.

78        Je conclus que la version des événements du fonctionnaire est complètement dépourvue de crédibilité. Il n’a pas présenté cette explication lorsqu’il a rencontré la défenderesse le 26 mai 2011. De plus, il y a lieu de conclure qu’un argument aussi fondamental relativement à l’intention du fonctionnaire de tromper aurait été soulevé à la première occasion. En outre, le certificat médical a été placé dans une enveloppe de l’ASFC. Les explications du fonctionnaire laisseraient entendre qu’il a une réserve de ces enveloppes et que son épouse en avait utilisé une pour le certificat.

79        Dans l’éventualité où je décidais de croire le fonctionnaire, un certain nombre de questions demeurent sans réponse. Pourquoi son épouse aurait-elle pris l’initiative de falsifier un certificat médical indiquant les dates précises de son absence, à son insu ou sans son consentement et sans lui dire? Pourquoi a-t-elle scellé l’enveloppe avant de la lui donner? Pourquoi n’a-t-il pas soulevé cette explication à la première occasion?

80        L’épouse du fonctionnaire n’a pas témoigné. À mon avis, avant de pouvoir accorder du poids à ce scénario invraisemblable, il faudrait tout d’abord que l’épouse du fonctionnaire y corrobore.

81        Afin de déterminer la crédibilité de l’explication du fonctionnaire, j’ai consulté le critère suivant établi dans Faryna v. Chorny,[1952] 2 D.L.R. 354, à la page 357 du jugement : [traduction] « Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un tel cas, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu des conditions et de l’endroit. »

82        Le scénario présenté par le fonctionnaire défie toute attente raisonnable de comportement humain normal dans les circonstances en l’espèce et manque tout simplement de crédibilité. Je suis plus porté à privilégier le scénario selon lequel il a sciemment placé le certificat falsifié dans une enveloppe de l’ASFC dès son retour au travail le 3 mai 2011, et que lui, ou son épouse agissant en son nom, a utilisé le vrai certificat médical, en date du 2 mai 2011, à titre de « modèle » pour créer le faux document. Cela dit, je conclus que le fonctionnaire était au courant de son contenu et qu’il a délibérément présenté un certificat médical falsifié afin de répondre à ce qu’il croyait être demandé par la défenderesse pour justifier son absence en vue de ne pas faire l’objet d’une sanction pour l’absence non autorisée.

83        J’estime qu’il s’agit d’une inconduite grave qui mérite une mesure disciplinaire importante. La défenderesse a tenu compte du fait que M. Apenteng avait un dossier disciplinaire vierge, qu’il a présenté des excuses et qu’il a fait preuve de remords lorsqu’il a été confronté à l’allégation voulant qu’il ait présenté un certificat médical falsifié. Il n’a pas été aussi franc à l’audience.

84        Puisque j’ai conclu que l’explication qu’il a donnée dans son témoignage était simplement indéfendable dans les circonstances et qu’elle visait à l’aider à se soustraire de la responsabilité de ses actes, je n’ai aucune raison d’intervenir relativement à la suspension de 30 jours. J’estime qu’elle relève de la gamme des mesures disciplinaires acceptables en réponse à l’inconduite du fonctionnaire dans les circonstances.

85        Je conclus que la suspension de 30 jours était bien fondée. Par conséquent, le grief est rejeté.

B. Suspension pour une période indéterminée et licenciement

1. Suspension pendant une période indéterminée

86        Le fonctionnaire a contesté la suspension pour une période indéterminée sans traitement en attendant l’issue d’une enquête qui lui a été imposée par la défenderesse le 22 décembre 2011, au motif qu’elle n’était pas justifiée parce que sa présence au lieu de travail ne présentait pas un risque pour la défenderesse. Il a également soutenu que la durée de la suspension était excessive et déraisonnable.

87        La défenderesse a répondu que la suspension était administrative, qu’elle n’était pas disciplinaire, qu’elle était justifiée dans les circonstances et que, quoi qu’il en soit, la question est théorique parce que le fonctionnaire a été licencié à compter du premier jour de la suspension.

88        En premier lieu, je traiterai de la question de ma compétence pour entendre le grief concernant la suspension sans traitement imposée au fonctionnaire le 22 décembre 2011.

89        L’alinéa 209(1)b) de la LRTFP prévoit qu’un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur « […] une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […] ».

90        Je suis d’avis que la suspension pour une période indéterminée comporte un élément disciplinaire et qu’elle s’inscrit dans la portée de l’al. 209(1)b) de la LRTFP, ce qui me permet d’examiner la suspension dans le cadre de l’arbitrage. La défenderesse enquêtait sur une inconduite présumée de la part du fonctionnaire concernant l’utilisation de son système de courriels pour mener des activités commerciales privées et des violations possibles des dispositions portant sur les conflits d’intérêts du Code de conduite et du Code d’éthique. La défenderesse avait en main une preuve prima facie de la participation du fonctionnaire à ces activités et d’un problème à cet égard.

91        En appliquant les principes établis dans Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, l’enquête avait pour objet d’obtenir plus d’information sur la nature et la portée des activités extérieures que ce qui était révélé par les courriels tirés du compte du fonctionnaire; c’est ce qui a préoccupé la défenderesse. Dans un tel contexte, la suspension en attendant une autre enquête comportait clairement des connotations disciplinaires. Je conclus donc que le grief concernant la suspension pour une période indéterminée est arbitrable.

92        En deuxième lieu, je conclus que la défenderesse avait un motif valable pour suspendre le fonctionnaire sans traitement en attendant l’enquête relative à sa conduite. Je suis convaincu que la défenderesse avait des préoccupations légitimes suffisantes liées à ses activités pour le suspendre en attendant l’issue d’un examen plus approfondi de ses activités commerciales pendant qu’il travaillait pour l’ASFC.

93        La preuve a établi que la défenderesse a déterminé que le fonctionnaire avait été nommé à titre d’administrateur de RosePark Telecom et qu’il ne lui avait pas déclaré ses intérêts commerciaux. Il a également participé aux activités de MacDoff, d’une façon qui a permis d’établir qu’il en était un actionnaire, en dépit de son refus voulant qu’il n’y ait pas participé à ce titre. Son explication selon laquelle l’entreprise appartenait à un ami à qui il avait prêté de l’argent et avec qui il n’avait conclu aucune entente d’affaires était très douteuse et peu crédible à la lumière de certains courriels tirés de son compte.

94        Je suis d’accord avec M. Ferland pour dire que les réponses du fonctionnaire ont soulevé un grave problème de confiance. Son statut d’employé de l’ASFC lui donnait accès à une quantité importante de ressources qui n’étaient disponibles qu’aux employés, y compris le RSAP, et la préoccupation de la direction quant à sa présence continue dans le lieu de travail était, selon moi, bien fondée.

95        Je suis d’avis que la défenderesse était, à juste titre, préoccupée par ces faits, surtout par l’échange au cours duquel M. Apenteng a demandé à récupérer son investissement dans MacDoff dans un courriel qui comportait son bloc-signature avec son titre et le logo de l’ASFC. Il est raisonnable de croire que le courriel aurait pu être perçu comme intimidant et qu’il aurait pu induire le destinataire à croire que l’ASFC prendrait des mesures contre lui relativement aux activités d’expédition de marchandises de MacDoff.

96        La défenderesse a également établi qu’elle avait interrogé M. Apenteng au sujet de toute activité commerciale parallèle aussi récemment que le 26 mai 2011, et qu’il avait clairement répondu qu’il n’en avait pas. Les éléments de preuve recueillis par la défenderesse ont indiqué qu’il avait plusieurs intérêts commerciaux et que certains pourraient être en conflit avec son emploi à l’ASFC, notamment les activités d’expédition de marchandises de MacDoff.

97        Je conclus également que les réponses de M. Apenteng aux questions posées par la défenderesse le 19 décembre 2011 ont suscité, à bon droit, des préoccupations chez la défenderesse au sujet de ses entreprises parallèles. Il était loin d’être franc au cours de la première partie de la réunion. Le fait qu’il avait une réunion immédiatement suivant ses congés annuels n’excuse pas son manque de collaboration et de franchise. Dans ce contexte, la défenderesse était en droit de remettre en question la véracité des explications qu’il a fournies au cours de la deuxième partie de la réunion et de déterminer qu’elle devait effectuer une analyse plus approfondie de son compte de courriels afin d’évaluer pleinement la portée de ses activités commerciales extérieures.

98        En dernier lieu, j’estime que la durée de la suspension (environ six mois) était raisonnable dans les circonstances. L’équipe d’enquête a examiné une quantité importante de courriels échangés pendant presque dix ans et elle a également effectué une recherche périphérique des renseignements généraux liés aux sociétés et aux particuliers dont le nom figure dans ces échanges. Ce délai s’explique en partie par les difficultés à fixer une réunion avec le fonctionnaire pour obtenir sa version des faits, qui lui ont été attribuées. En conséquence, la suspension pour une période indéterminée était justifiée et raisonnable dans les circonstances.

99        Quoi qu’il en soit, si j’ai commis une erreur dans mon évaluation, je souscris à l’argument selon lequel le grief concernant la suspension pour une période indéterminée est théorique, ainsi qu’aux commentaires de l’arbitre de grief dans Gravelle. Le licenciement du fonctionnaire était rétroactif au 22 décembre 2011, soit le premier jour de la suspension pour une période indéterminée. La lettre de suspension indiquait clairement que, dans l’éventualité où les allégations contre le fonctionnaire n’étaient pas fondées, il serait réintégré dans ses fonctions et rémunéré en conséquence pour la période de suspension. Aux paragraphes 101 et 102 de Gravelle, l’arbitre de grief déclare ce qui suit :

[101] Même si l’approche de l’employeur relativement à la suspension du 8 février 2011 est douteuse, la jurisprudence mentionnée précédemment m’amène à conclure que le grief sur la suspension est théorique parce que le licenciement a pris effet rétroactivement au premier jour de la suspension. En agissant comme il l’a fait, l’employeur a fait de la suspension en cours d’enquête et du licenciement une seule et unique mesure disciplinaire. Comme l’a déclaré l’arbitre de grief dans Shaver, j’ai le loisir d’annuler la suspension et le licenciement si je conclus qu’il n’existait pas de motif valable de prendre une mesure disciplinaire à l’encontre du fonctionnaire. J’aurais alors la capacité d’ordonner réparation rétroactivement au 8 février 2011. En ce sens, contrairement à ce qu’a prétendu le fonctionnaire, il n’est pas privé de son droit de faire valoir le grief à l’encontre de la suspension qu’il a déposé le 8 février 2011.

[102] Je n’ai pas trouvé de jurisprudence sur la fonction publique fédérale à l’appui d’un argument selon lequel dans une affaire comme celle en l’espèce, l’employeur ne peut antidater le licenciement. Toutefois, cela ne signifie pas qu’un arbitre de grief n’a pas compétence pour examiner une telle suspension. De fait, les arbitres de grief possèdent ce pouvoir, car la période de suspension fait partie du licenciement.

[Je souligne]

100        D’autres arbitres de grief sont parvenus à la même conclusion relativement à cette question dans les décisions suivantes : Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 28; Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62; Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 3; Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107.

101        Pour les motifs précités, le grief concernant la suspension pour une période indéterminée est rejeté.

2. Licenciement

102        Je dois maintenant déterminer si le fonctionnaire a commis l’inconduite alléguée et, le cas échéant, évaluer le caractère approprié de la sanction.

103        Le premier motif invoqué par la défenderesse était que le fonctionnaire avait violé sa « Politique sur l’utilisation des ressources électroniques », tant en ce qui concerne la quantité que la nature des affaires personnelles qu’il a effectuées.

104        Je conclus que ce motif a été établi par la preuve de la défenderesse. Il n’y a aucun doute que M. Apenteng a utilisé régulièrement et fréquemment son système de courriels pour mener des affaires personnelles qui n’étaient pas liées à l’exercice de ses fonctions. Il n’a pas contesté, et ne pouvait contester, la quantité importante d’éléments de preuve déposés à l’audience qui permettent d’établir ce fait.

105        La défenderesse a déposé en preuve plusieurs versions de sa [traduction] « Politique sur l’utilisation des ressources électroniques ». Toutes les versions comprennent les énoncés suivants :

[Traduction]

9. Utilisation acceptable des ressources électroniques

Les ressources électroniques doivent être utilisées à des fins opérationnelles officielles pour exécuter le mandat et la mission de l’ASFC. Les personnes autorisées doivent utiliser uniquement les applications, les logiciels et le matériel autorisés par l’Agence et installés par le personnel de la TI autorisé de l’ASFC et de l’ARC.

Les ressources électroniques de l’ASFC doivent être utilisées à des fins approuvées, notamment :

a) mener des activités gouvernementales, comme :

la communication et l’échange de renseignements avec des collègues, d’autres ministères et le secteur public dans l’exécution des fonctions et des activités de l’ASFC;

la réalisation d’une recherche aux fins de l’Agence;

la collecte de renseignements pertinents aux fonctions de l’utilisateur;

le développement de l’expertise en utilisant les ressources électroniques de manière efficace et efficiente;

l’entreprise d’activités de perfectionnement professionnel liées à l’emploi.

b) utilisation personnelle limitée (pendant la pause-déjeuner, les périodes de repos ou avant ou après le travail, conformément à ce qui est précisé dans le Code de conduite de l’ASFC), par exemple :

la communication avec les membres de la famille, les amis et d’autres personnes à des fins non officielles;

l’accès aux nouvelles acceptables et à d’autres sources de renseignements qui ne sont ni prohibées ni restreintes par la loi ou une politique;

l’exécution d’opérations bancaires personnelles routinière;

toute activité syndicale ou opérationnelle particulièrement autorisée au préalable par votre gestionnaire.

                  […]

15. Mesures disciplinaires

[…]

L’ASFC prendra des mesures disciplinaires dans les cas d’utilisation illicite, criminelle ou inacceptable de ses ressources électroniques. Les mesures disciplinaires correspondront à la gravité et aux circonstances de l’incident.

[…]

Annexe C

Activité inacceptable qui n’est pas nécessairement illicite, mais qui viole les politiques du Conseil du Trésor et/ou de l’ASFC

(Liste d’exemples non exhaustive)

[…]

f. Utiliser les réseaux électroniques du gouvernement à des fins personnelles, de gain personnel ou d’activité politique

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

106        Le fonctionnaire n’a pas nié être au courant des obligations énoncées dans cette politique. La preuve de la défenderesse démontre qu’il a utilisé les ressources électroniques de l’ASFC pour exercer des activités commerciales privées de manière constante au cours d’une période prolongée, ce qui ne peut être qualifié d’occasionnel. En agissant ainsi, le fonctionnaire a violé les règles établies de la défenderesse et il s’agissait clairement d’une inconduite qui est passible d’une mesure disciplinaire.

107        Le deuxième motif invoqué par la défenderesse pour justifier le licenciement du fonctionnaire concernait l’omission du fonctionnaire de déclarer ses activités commerciales pouvant constituer un conflit d’intérêts. Je suis également d’avis que ce motif a été établi par la preuve. Il a omis de déclarer plusieurs de ses activités commerciales au cours d’un certain nombre d’années pendant son emploi auprès de l’ASFC.

108        Les dispositions du Code d’éthique ont été portées à l’attention du fonctionnaire à maintes reprises entre 2004 et 2011. Aussi récemment que le 26 mai 2011, son directeur lui a rappelé ses obligations en vertu de ce code. Selon le témoignage de M. Pitre, il a précisément demandé au fonctionnaire s’il avait des entreprises parallèles et il a répondu par la négative. Son argument selon lequel il n’en avait aucune a clairement été contredit par la preuve présentée à l’audience.

109        Le Code d’éthique énonce comme suit les obligations des fonctionnaires en ce qui concerne leur participation à des activités personnelles qui pourraient être interprétées comme un conflit avec leurs responsabilités de la fonction publique :

[…]

Objectifs du Code

Le présent Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique met de l’avant les valeurs et l’éthique de la fonction publique pour guider et supporter les fonctionnaires dans toutes leurs activités professionnelles. Le Code servira à conserver et à accroître la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique, tout en renforçant le respect et la reconnaissance du rôle que celle-ci est appelée à jouer au sein de la démocratie canadienne.

[…]

Chapitre 2 : Mesures relatives aux conflits d’intérêts

[…]

Méthodes d’observation

Il suffit habituellement qu’un fonctionnaire présente un rapport confidentiel à l’administrateur général, pour se conformer aux mesures relatives aux conflits d’intérêts. Le rapport doit faire état des biens qu’il possède, les cadeaux, marques d’hospitalité ou autres bénéfices reçus, des emplois ou activités qu’il exerce à l’extérieur, qui pourraient donner lieu à une situation de conflit d’intérêts.

[…]

Activités ou emplois extérieurs

Les fonctionnaires peuvent occuper un emploi ou participer à des activités à l’extérieur de la fonction publique, à la condition que cet emploi ou ces activités ne risquent pas d’entraîner un conflit d’intérêts ou de compromettre la neutralité de la fonction publique de quelque manière que ce soit.

Les fonctionnaires qui encourent un tel risque doivent présenter à l’administrateur général un rapport confidentiel sur l’emploi et les activités extérieures susceptibles de les soumettre à des exigences incompatibles avec leurs fonctions officielles. Il en est de même si leur capacité d’accomplir objectivement leurs fonctions est susceptible de soulever une remise en question. Dans un tel cas, si l’administrateur général détermine qu’il existe un risque réel ou potentiel de conflit d’intérêts, celui-ci peut exiger la réduction, la modification ou l’abandon de ces activités.

[…]

[Je souligne]

110        Je suis d’avis que les activités exercées par le fonctionnaire ont donné lieu à un conflit d’intérêts possible et auraient dû être divulguées. La divulgation a pour objet d’amorcer une discussion avec la défenderesse quant à savoir si les activités en question sont acceptables en ce qui concerne les fonctions et les responsabilités de l’employé envers la défenderesse. Les employés ne peuvent pas décider unilatéralement si leurs activités personnelles entraînent ou non un conflit d’intérêts.

111        La mesure de la participation de M. Apenteng dans RosePark Telecom, tel qu’il a été démontré par la preuve, était telle que l’activité aurait dû être divulguée. Comme l’a mentionné le fonctionnaire, la nature de cette entreprise, à première vue, pourrait ne pas être en conflit avec ses fonctions. Toutefois, le nombre de courriels et le temps consacré à l’exécution d’activités commerciales concernant RosePark soulèvent d’importantes questions quant à un conflit possible entre son niveau d’engagement à son travail et le fait de s’occuper de ses intérêts commerciaux personnels pendant les heures de travail.

112        Enfin, je suis également d’avis que le fonctionnaire aurait dû déclarer ses activités avec le représentant du gouvernement du Gabon, à l’ambassade du Gabon, à Ottawa, au sujet des possibilités dans ce pays pour son entreprise de télécommunications.

113        Dans tous ces événements, la défenderesse avait une préoccupation légitime d’être informée des activités du fonctionnaire afin que, à tout le moins, elle ait la possibilité d’amorcer des discussions quant au caractère approprié de ces activités et la question de savoir si elles pourraient placer M. Apenteng en conflit d’intérêts, réel ou perçu.

114        Enfin, la défenderesse a allégué que le fonctionnaire l’a induite en erreur en ce qui concerne les détails relatifs à ses activités commerciales. Je conclus que ce motif a également été établi par la preuve présentée à l’audience. La preuve démontre qu’il n’a pas été franc en ce qui concerne les questions soulevées par la défenderesse lorsqu’il a été confronté aux faits.

115        Dans la première partie de la réunion du 22 décembre 2011, le fonctionnaire était évasif et ne collaborait pas. Il a nié avoir connu MacDoff et avoir un rôle quelconque à jouer à l’égard de RosePark Telecom. Il a soutenu qu’il s’agissait de la société de son épouse et il a répondu fréquemment aux questions simples et directes de la défenderesse par [traduction] « Je ne me souviens pas ».

116        Au cours de la deuxième partie de la réunion, il a semblé retrouver sa mémoire, mais, à mon avis, il a clairement minimisé la portée et la nature de ses activités commerciales, tel que je l’ai indiqué antérieurement. Par exemple, il a nié constamment toute entente conclue avec MacDoff, en soutenant qu’il avait simplement prêté de l’argent au propriétaire, qui était un ami, et qu’il a ensuite tenté de le récupérer, rien de plus. Il a admis que son nom figure à titre d’un des deux administrateurs de RosePark Telecom, mais il a déclaré qu’il s’agissait de la société de son épouse, qu’elle devait avoir un deuxième nom afin de la constituer en personne morale et que, même s’il a dit qu’il [traduction] « l’aide de temps à autre », il ne joue aucun rôle dans son exploitation. Les échanges de courriels tirés de son compte ont démontré le contraire.

117        En ce qui concerne la réunion du 13 juin 2012, la preuve déposée par la défenderesse a établi que M. Apenteng se contredisait et qu’il faisait preuve d’indifférence à l’égard des préoccupations de la défenderesse en ce qui concerne ses activités commerciales. Il a informé la défenderesse qu’il ne répondrait pas aux questions et qu’il souhaitait simplement faire des commentaires sur les constatations du rapport d’enquête.

118        Il a d’abord présenté ses excuses pour avoir utilisé les systèmes électroniques de l’ASFC dans le cadre de ses activités commerciales. Toutefois, M. Ferland a souligné que bien que le fonctionnaire ait mentionné les quelque 20 courriels visés au cours d’une conversation antérieure, le dossier indique qu’une centaine de courriels étaient visés au cours de nombreuses années. Il a demandé à la défenderesse de communiquer avec l’ambassade du Gabon afin de rétablir sa réputation qui, selon lui, avait été ternie par l’enquête de la défenderesse.

119        De toute évidence, le fonctionnaire n’a pas été franc quant à la portée et à la nature de ses activités commerciales personnelles. Plutôt que de présenter des excuses pour avoir utilisé le système de courriels de la défenderesse pour mener ces activités, il n’a démontré aucune compréhension ni reconnaissance qu’il avait commis une erreur en omettant de divulguer ses activités commerciales personnelles avec les entreprises en question. Le fait de déclarer qu’il n’a commis aucun acte criminel et que ses activités commerciales ne représentaient aucun conflit avec ses fonctions et, par conséquent, ne concernaient pas l’ASFC, ne constituait pas une réponse. Dans l’ensemble, je conclus qu’il a continué d’invoquer ses explications antérieures et il n’a démontré aucun signe crédible de remords.

120        Le représentant du fonctionnaire a soutenu que la défenderesse n’avait jamais établi que le fonctionnaire s’était placé lui-même dans une situation réelle de conflit d’intérêts dans laquelle lui ou une autre personne avec qui il faisait affaire a profité de la situation, ou qu’il a accédé aux renseignements privilégiés ou qu’il les a divulgués au profit de ses entreprises. Je ne suis pas en désaccord avec cet argument, sinon pour indiquer que M. Apenteng a certainement tiré profit d’une utilisation régulière et importante du système de courriels de la défenderesse pendant les heures de travail pour exercer ses activités commerciales personnelles. Toutefois, je ne suis pas d’accord que, en conséquence, la responsabilité du fonctionnaire quant à sa conduite en est amenuisée. S’il avait obtenu un avantage pécuniaire ou autre en raison de ses actes, cette affaire relèverait manifestement de l’inconduite criminelle. Je souligne que, en considérant le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, la neutralité du fonctionnaire a été gravement compromise par ces activités.

121        À la lumière de tout ce qui précède, je suis d’avis que la défenderesse a établi un motif valable de licencier le fonctionnaire. La portée et la nature de ses activités commerciales et son omission de les divulguer conformément au Code d’éthique démontrent un manque d’appréciation de l’importance de maintenir la plus haute perception d’intégrité de la fonction publique et un mépris total de ses responsabilités en tant que fonctionnaire. Ces obligations ont été portées à son attention plusieurs fois au cours de sa carrière auprès de la défenderesse. Il n’avait aucune excuse de ne pas s’y conformer.

122        La défenderesse a tenu compte du dossier disciplinaire du fonctionnaire au moment de déterminer la sanction appropriée dans les circonstances, et je suis autorisé de le faire également. Son dossier est terni puisqu’il s’est vu imposer une suspension de 30 jours pour avoir présenté à la défenderesse un certificat médical falsifié pour justifier une absence de 10 jours du travail quelques mois avant les événements qui ont donné lieu à sa suspension. J’ai décidé que cette mesure disciplinaire était justifiée.

123        Je n’ai aucun motif de croire que le fonctionnaire a tiré des leçons de ces événements et je considère que sa conduite est grave et préjudiciable à la défenderesse. Aucun élément de preuve sur un potentiel quelconque de réhabilitation ne m’a été présenté. L’honnêteté et la confiance sont la pierre angulaire d’une relation employeur-employé, et je ne vois aucun motif en vertu duquel je pourrais être en désaccord avec l’employeur pour dire que, dans les circonstances, le lien de confiance avec M. Apenteng a été irrémédiablement rompu.

124        Par conséquent, le grief de M. Apenteng concernant son licenciement est rejeté.

125        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

126        Le grief concernant la suspension de 30 jours est rejeté.

127        Les griefs concernant la suspension pour une période indéterminée et le licenciement sont rejetés.

Le 26 mai 2017.

Traduction de la CRTEFP

Michael F. McNamara
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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