Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un agent correctionnel, conteste une sanction pécuniaire correspondant à une journée de salaire pour avoir eu recours à la force excessive à l’endroit d’un détenu – la Commission a estimé que la mesure disciplinaire était justifiée puisque le fonctionnaire s’estimant lésé s’est comporté de manière provocatrice et antagoniste, qui a donné lieu au recours à la force excessive lors d’une fouille des cellules qui n’était pas habituelle – le fonctionnaire s’estimant lésé a mené cette fouille sans autorisation, sans motif raisonnable et sans avoir pris les mesures appropriées pour l’effectuer de façon sécuritaire – les agents correctionnels doivent tenter de calmer et de désamorcer toute situation auprès des détenus, et non d’envenimer ou de provoquer une situation, comme l’a fait le fonctionnaire s’estimant lésé – la Commission a conclu que la sanction pécuniaire n’était pas excessive.Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170523
  • Dossier:  566-02-10040
  • Référence:  2017 CRTEFP 56

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

DAVID J. SEAMARK

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Seamark c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Michael F. McNamara, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Michel Bouchard
Pour le défendeur:
Caroline Engmann, avocate
Affaire entendue à Kingston (Ontario),
du 4 au 6 octobre 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        David J. Seamark, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un agent correctionnel (dont le poste est classifié CX-02) à l’Établissement de Millhaven à Bath, en Ontario (l’« établissement »). Il travaille au Service correctionnel du Canada (SCC) depuis 2001.

2        Le 21 janvier 2014, un incident est survenu avec un détenu à la suite duquel le fonctionnaire a reçu une sanction pécuniaire correspondant à une journée de salaire pour avoir eu recours à une force excessive, ce qui va à l’encontre des « Règles de conduite professionnelles » du SCC et du « Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique ».

3        Le 15 mai 2014, le fonctionnaire a contesté cette mesure disciplinaire et, le 11 septembre 2014, le grief a été renvoyé à l’arbitrage à l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP).

4        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la CRTFP et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. La Commission continue le travail de la CRTFP; en conséquence, cette décision a été rendue par une formation de la Commission.

5        Après avoir examiné toutes les circonstances, je conclus que le fonctionnaire a effectivement eu recours à une force excessive, que la mesure disciplinaire était justifiée et que la sanction pécuniaire d’une journée de salaire n’était pas excessive.

Contexte

6        J’ai entendu le témoignage des personnes suivantes :

  • Kirk Driscoll, un gestionnaire correctionnel (GC), Opérations, à l’établissement;
  • Larry Ringler, actuellement directeur à l’Établissement de Warkworth à Campbellford, en Ontario; il était sous-directeur à l’établissement au moment de l’incident;
  • Jack Coimbra, directeur adjoint à l’Établissement de Joyceville à Kingston, en Ontario; il était directeur adjoint, Opérations, à l’établissement au moment de l’incident;
  • Robert Lounsberry, agent correctionnel, dont le poste est classifié CX-01, à l’établissement et le partenaire de quart du fonctionnaire au moment de l’incident;
  • le fonctionnaire.

7        J’ai visionné la preuve vidéo d’une caméra stationnaire dans la rangée 2B dans l’établissement, qui a enregistré l’essentiel de l’incident en question.

8        L’incident est survenu lorsque le fonctionnaire et M. Lounsberry procédaient à un dénombrement debout dans la rangée 2B dans une unité résidentielle à l’établissement. Pendant qu’ils effectuaient le dénombrement, ils ont remarqué que le détenu n’obéissait pas aux ordres, car il ne se tenait pas debout.

9        Après avoir achevé le dénombrement, les agents ont quitté l’aire des cellules et se sont réunis brièvement dans la cuisinette de la rangée. Ensuite, le fonctionnaire est retourné à la cellule du détenu tandis que M. Lounsberry s’est approché du poste de contrôle sécurisé pour informer les membres du personnel qu’on allait ouvrir la porte de la cellule.

10        Le fonctionnaire et M. Lounsberry ont indiqué ultérieurement dans leurs rapports qu’ils avaient décidé de fouiller le détenu et sa cellule en raison de sa désobéissance pendant le dénombrement debout.

11        Sur l’ordre des agents, le détenu est sorti de sa cellule dans le passage et a remis son répertoire téléphonique à M. Lounsberry. Il a ensuite obtempéré et a pris une position contre le mur de la rangée afin de se soumettre à une fouille par palpation. Lorsque celle-ci s’est terminée, il s’est retourné et s’est tenu debout pendant qu’il regardait les agents.

12        Le fonctionnaire a ensuite lancé le répertoire téléphonique du détenu dans la cellule ouverte et le détenu est immédiatement rentré dans sa cellule pour le récupérer. Les deux agents l’ont observé à travers la porte ouverte; cependant, du fait qu’il était rentré dans la cellule, les agents ont décidé de procéder à une autre palpation.

13        On a ordonné au détenu de sortir de la cellule une deuxième fois. Le fonctionnaire l’a alors assujetti à un contrôle physique en plaçant sa main au milieu du dos du détenu et l’a orienté vers le mur.

14        Le détenu a pris position contre le mur. Pendant que M. Lounsberry le fouillait une deuxième fois, le fonctionnaire a contourné M. Lounsberry par-derrière et a saisi la main du détenu contre le mur de la rangée dans une tentative en vue d’obtenir de nouveau son répertoire téléphonique. Le détenu ne l’a pas lâché et il a tourné sa tête et son torse vers la gauche, où le fonctionnaire saisissait sa main.

15        Le fonctionnaire a alors eu recours à une manœuvre non autorisée assimilable à une prise de tête et a asséné un coup de genou à l’abdomen du détenu, il a procédé à un mouvement de torsion du corps du détenu et l’a amené au sol sur ses genoux. Le fonctionnaire est allé au sol avec le détenu en posant son genou sur son dos.

16        Lorsque le détenu est tombé face au sol de la rangée, on a ramené ses mains derrière le dos et on lui a passé des menottes. Il a été escorté en dehors de la rangée,  menotté, par huit agents, et il a été assujetti à une fouille à nu. Le détenu a été interviewé par un GC, puis placé en isolement.

Analyse de l’incident

17        La décision des agents de quitter la cellule du détenu et d’y retourner pour l’ouvrir en vue de procéder à une fouille allait à l’encontre des politiques et des procédures de l’établissement. Il ne s’agissait pas d’une fouille ordinaire des cellules; elle a été menée sans autorisation et il n’y avait aucune indication de motifs raisonnables. Elle a été entreprise en fonction du comportement du détenu plutôt qu’en fonction d’un soupçon relatif à des articles d’objets non autorisés ou de contrebande.

18        Étant donné que le détenu était déjà enfermé dans sa cellule et qu’il n’était pas signalé comme étant en état de détresse, des mesures appropriées auraient dû être prises. Cela aurait compris la présence du personnel, l’intervention verbale, les tentatives de négociation et, en dernier ressort, un plan d’action. Le plan d’action aurait inclus une consultation préalable avec l’unité des soins de santé, l’activation d’une caméra vidéo ainsi qu’une séance d’information à l’intention du personnel portant sur leurs rôles, le tout coordonné par l’entremise d’un GC. Les agents n’ont pris aucune de ces mesures.

19        En outre, le fonctionnaire est entré dans la cellule avant que le détenu n’en sorte. La caméra montre M. Lounsberry qui se tient debout avec ses mains des deux côtés de la portée pendant que le fonctionnaire entre dans la cellule. Habituellement, un agent n’entre pas dans une cellule où se trouve un détenu pour procéder à la fouille d’une cellule; à la place, l’agent ordonne d’abord au détenu de sortir dans le passage et le palpe afin de réduire au minimum le risque d’accès à une arme. Aucun des deux agents n’a signalé que le fonctionnaire était entré dans la cellule pendant que le détenu s’y trouvait ou n’a tenté d’expliquer pourquoi cela s’était produit.

20        Le fonctionnaire a signalé par la suite que le détenu avait fait preuve d’un comportement intimidant et menaçant avant l’ouverture de la cellule et qu’il y entre. S’il y a eu intimidation, le point de vue du SCC était qu’à plus forte raison il n’aurait pas dû entrer dans la cellule. Il aurait dû se retirer et laisser le détenu isolé et contrôlé dans sa cellule, ce qui aurait permis la coordination adéquate de plans d’action par l’entremise du GC.

21        J’ai également entendu une preuve selon laquelle, auparavant, le 29 octobre 2013, le fonctionnaire avait ouvert la cellule du détenu aux fins d’une fouille ordinaire et il a signalé que le détenu s’était emparé de deux ustensiles pour écrire d’une manière agressive, ce qui avait fait que le fonctionnaire avait aspergé le détenu d’OC (oléorésine capsicum ou vaporisateur de poivre) et sécurisé la porte de nouveau.

22        Cet incident récent avec ce détenu fait qu’il est encore plus difficile de comprendre pourquoi le fonctionnaire a choisi d’entrer dans la cellule avant que le détenu en sorte et pourquoi il n’a pas déterminé que cette situation présentait le potentiel élevé de comportement négatif. L’incident antérieur aurait dû faire en sorte que le fonctionnaire suive toutes les procédures désignées pour assurer la sécurité du personnel et des détenus pendant les fouilles de cellules. Au lieu de cela, il a fait fi de toutes les procédures et a fait le contraire.

23        À l’achèvement de la fouille de la cellule, le fonctionnaire s’est adonné à un comportement irrespectueux et injustifié en lançant le répertoire téléphonique du détenu dans la cellule. Le fonctionnaire aurait pu tenir le répertoire téléphonique, le saisir ou le rendre après l’achèvement de la fouille, mais il a plutôt choisi de le lancer de manière irrespectueuse.

24        La réponse immédiate et compréhensible du détenu, en voyant qu’on avait lancé son répertoire téléphonique dans la cellule, a été d’entrer dans la cellule et de le récupérer. Les agents ont ensuite utilisé ce prétexte pour procéder à une nouvelle palpation, malgré le fait que le détenu est demeuré dans leur ligne de vision pendant qu’il rentrait dans sa cellule.

25        Malgré le fait qu’il a obtempéré pendant la deuxième fouille, le détenu a été assujetti à un contrôle physique léger, mais inutile lorsque le fonctionnaire a exercé une pression de la main au milieu de son dos pour l’orienter vers le mur.

26        Pendant que M. Lounsberry effectuait la deuxième palpation, le fonctionnaire l’a contourné par-derrière pour se rendre de l’autre côté et saisir le répertoire téléphonique de la main du détenu. Comme le fonctionnaire avait déjà le répertoire téléphonique avant de le relancer dans la cellule, la raison pour laquelle il a senti le besoin de fouiller de nouveau n’est pas claire. Il avait regardé le détenu dès le moment où il avait lancé le répertoire jusqu’au moment où le détenu était sorti de la cellule pour une deuxième fois. Son action semble avoir été inutile et antagoniste.

27        La tentative du fonctionnaire de saisir le répertoire téléphonique de la main du détenu a été suivie de ce que les agents ont décrit dans leurs rapports comme étant une situation où le détenu s’est [traduction] « éloigné du mur » et a été [traduction] « physiquement récalcitrant d’une manière menaçante ». Aucun des deux rapports ne décrit clairement les actions alléguées. Dans la vidéo, les mouvements du détenu ne semblent pas menaçants.

28        Le point de vue du SCC était que les actes du fonctionnaire consistant à lancer le répertoire téléphonique et à tenter de le prendre pour une deuxième fois étaient antagonistes et ont été les principaux contributeurs au fait que le détenu a fait le mouvement de s’éloigner du mur pendant la deuxième palpation. Je suis d’accord. Il est compréhensible que, à tout le moins, le détenu se tourne vers la gauche pour voir ce qui se passe derrière lui. Il est également probable qu’il ne voulait pas abandonner son répertoire une deuxième fois, puisque le fonctionnaire l’avait déjà eu, l’a fouillé et l’a lancé dans la cellule.

29        Je suis d’accord avec l’évaluation du SCC selon laquelle cet incident n’a pas découlé du fait que le détenu n’ait pas respecté la routine du dénombrement debout. La réponse du fonctionnaire à cette désobéissance signalée semble plutôt avoir été conçue afin d’envenimer et de provoquer une situation. Cela va entièrement à l’encontre de ce qu’on s’attend à ce que le fonctionnaire fasse, c’est-à-dire de tenter de calmer et de désamorcer toute situation auprès d’un détenu.

30        Les actions du fonctionnaire qui étaient provocantes et antagonistes envers le détenu comprennent ce qui suit :

  • mener (contrairement au règlement) une fouille de cellule non autorisée, non ordinaire alors qu’il était manifestement temps de suivre les procédures appropriées, qui sont de demander l’autorisation et d’établir un plan d’action. Il n’y avait aucune indication de la présence de contrebande ou d’une urgence quelconque de fouiller la cellule autre que l’indication signalée que le détenu avait refusé de se lever pour le dénombrement. L’ouverture de la cellule dans ces circonstances laisse entendre un recours à la force planifié;
  • entrer inutilement dans la cellule plutôt que de demander au détenu d’en sortir en premier, notamment compte tenu d’un incident antérieur avec ce détenu dans des circonstances similaires;
  • lancer le bien personnel du détenu dans la cellule d’une manière irrespectueuse et non professionnelle;
  • utiliser le fait que le détenu est rentré dans sa cellule pour récupérer son répertoire téléphonique comme une raison de procéder à une deuxième palpation, malgré le fait que le détenu était demeuré dans la ligne de vision en tout temps;
  • appliquer un contrôle physique inutile afin d’orienter le détenu vers le mur pour la deuxième palpation, lorsque le détenu obtempérait;
  • s’approcher du détenu par-derrière pendant que l’autre agent le palpait et tenter inutilement de saisir le répertoire téléphonique de sa main;
  • utiliser le mouvement de la tête et du corps du détenu pour justifier l’application d’une prise de tête non autorisée (voir le « bulletin de sécurité 99-04 »), un genou dans l’abdomen ainsi qu’un mouvement de torsion pour l’amener au sol.

31        Je suis d’avis que cet incident regrettable n’a pas été géré professionnellement. Effectivement, la preuve n’a révélé aucune fin légitime pour expliquer les actions du fonctionnaire au-delà de provoquer le détenu et de tenter de justifier ce qui semble avoir été un recours planifié à une force excessive.

32        Manifestement, une mesure disciplinaire était justifiée et je ne suis pas d’avis que la sanction financière d’une journée de salaire était excessive dans les circonstances.

Ordonnance de confidentialité

33        La politique de la Commission sur la transparence et la protection de la vie privée est disponible sur son site Web. Les audiences de la Commission sont tenues en public conformément au principe de la transparence judiciaire, un aspect fondamental et constitutionnellement protégé de notre système juridique. De par son mandat et la nature des affaires qu’elle entend, la Commission pratique une politique d’ouverture qui favorise la transparence, la responsabilisation et l’équité dans la conduite de ses audiences.

34        Dans certains cas, toutefois, la mention de renseignements personnels au cours d’une audience ou dans une décision écrite peut avoir des répercussions négatives sur la vie d’une personne. Lorsque les renseignements ne sont pas essentiels à la transparence de la décision, la Commission peut adapter sa décision afin de protéger la vie privée d’une personne. Le critère Dagenais/Mentuck est le critère pertinent à examiner en ce qui concerne la protection des renseignements ou des pièces – voir Dagenais c. Société Radio-Canada, 1994 CanLii 39 (CSC).

35        Le critère Dagenais/Mentuck test est essentiellement un exercice de pondération entre les droits des justiciables à un procès équitable, les effets sur la liberté d’expression, y compris l’intérêt public dans la publicité des débats judiciaires et la vie privée d’une personne.

36        Dans les circonstances de la présente affaire, la séquence DVD documentant l’interaction du fonctionnaire et d’autres agents correctionnels avec le détenu n’est pas pertinente à la compréhension de cette décision d’une manière transparente. La séquence DVD sera mise sous scellé afin de protéger l’identité, la dignité et la vie privée du détenu.

37        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

38        Le grief est rejeté.

39        La séquence DVD sera mise sous scellé.

Le 23 mai 2017.

Traduction de la CRTEFP

Michael F. McNamara,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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