Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé une plainte de pratique déloyale de travail à l’encontre de la décision de l’employeur de réduire le nombre d’heures de travail des employés à temps plein de deux unités de négociation après la signification des avis de négocier – l’employeur s’est opposé en disant que la plainte n’avait pas été déposée dans les 90 jours suivant la notification de sa décision à l’agent négociateur – à titre subsidiaire, l’employeur a demandé à la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de trancher la plainte, puisque le différend aurait pu être renvoyé à l’arbitrage – la Commission a conclu que la plainte avait été présentée en temps opportun, puisqu’elle avait été déposée dans les 90 jours suivant la mise en œuvre de la décision – la Commission a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de trancher la plainte, parce que le différend ne concernait pas la possibilité pour l’employeur de modifier l’horaire de travail en vertu de la convention collective, mais plutôt la possibilité pour lui de le modifier pendant la période de gel prévue par la loi – la Commission a conclu que l’employeur avait violé l’interdiction prévue par la loi de modifier des conditions d’emploi pendant la période de gel, puisque l’agent négociateur n’avait pas consenti à la modification, ce qui ne se justifiait ni en vertu de l’approche « pratique antérieure » ni en vertu de l’approche des « attentes raisonnables ».Demande rejetée.Plainte maintenue.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170720
  • Dossier:  561-02-740
  • Référence:  2017 CRTESPF 11

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral


Devant:
Catherine Ebbs, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante:
Amanda Montague-Reinholdt, avocate
Pour le défendeur:
Karen Clifford, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 4 octobre 2016.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1        L’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « plaignante ») est l’agent négociateur accrédité pour tous les employés des unités de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration (le « groupe PA ») et le groupe Services de l’exploitation (le « groupe SV »).

2        La convention collective conclue entre le Conseil du Trésor (le « défendeur ») et la plaignante pour l’unité de négociation du groupe PA (la « convention collective du groupe PA ») a expiré le 20 juin 2014. Le défendeur a signifié un avis de négociation pour cette unité de négociation le 24 février 2014. Pareillement, leur convention collective pour le groupe SV (la « convention collective du groupe SV) a expiré le 4 août 2014 et le défendeur a donné un avis de négociation à cette unité de négociation le 4 avril 2014.

3        Les négociations collectives des deux unités de négociation se poursuivaient en date de l’audience.

4        Lorsque les avis de négociation ont été donnés, la plupart des employés nommés pour une durée déterminée dans la région du Pacifique de Service correctionnel du Canada des unités de négociation du groupe PA et du groupe SV travaillaient à plein temps (37,5 heures par semaine pour le premier groupe et 40 heures par semaine pour le deuxième groupe).

5        À partir du 1er novembre 2014, 45 employés nommés pour une durée déterminée dans l’unité de négociation du groupe PA ont vu leurs heures de travail être réduites de 37,5 à 30 heures par semaine. À la même date, 6 employés nommés pour une durée déterminée dans l’unité de négociation du groupe SV ont vu leurs heures de travail être réduites de 40 à 32 heures par semaine.

6        Le 30 janvier 2015, la plaignante a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique aux termes de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2).

7        La plaignante prétend que le défendeur a violé l’article 107 (la « disposition sur le gel ») de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique lorsqu’il a réduit les heures de travail des employés nommés pour une durée déterminée à temps plein dans les unités de négociation du groupe PA et du groupe SV qui travaillent dans la région du Pacifique de SCC après la signification des avis de négociation.

8        Pendant toute la période pertinente, la disposition sur le gel est présentée en ces termes :

107 Une fois l’avis de négocier collectivement donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve du paragraphe 125(1), les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou:

  1. dans le cas où le mode de règlement des différends est l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;
  2. dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

9        Le paragraphe 125(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publiquene s’applique pas à l’affaire devant moi.

10        Le défendeur demande que la plainte soit rejetée au motif qu’elle n’a pas été présentée dans les délais prescrits au paragraphe 190(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. À titre subsidiaire, il demande que la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire pour refuser de trancher la plainte et de renvoyer l’affaire à l’arbitrage (voir le paragraphe 191(2)). Finalement, le défendeur affirme qu’il n’a pas violé la disposition sur le gel.

11        La plaignante affirme que la plainte a été présentée dans les délais prescrits et qu’elle devrait être entendue. La plaignante affirme également que la preuve démontre que le défendeur a violé la disposition sur le gel.

12        Une audience a eu lieu le 4 octobre 2016. Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits.De plus, les deux témoins suivants ont été entendus :

  • Laurel Rice, une des employés à plein temps concernée par la décision de réduire les heures de travail;
  • David Scott Dick, qui était sous-commissaire adjoint, a intégré des services pour la région du pacifique du SCC lorsque la décision de réduire les heures de travail a été prise.

13        Les parties ont également fourni des éléments de preuve documentaire relative à 50 autres employés qui ont été concernés par la décision de réduire les heures de travail.

14        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’il devienne respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

15        Pour faciliter la lecture, le mot « Commission » sera utilisé dans la présente décision pour faire référence à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral. Qui plus est, l’abréviation « LRTESPF » sera utilisée pour renvoyer à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et à la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

II. Questions en litige

16        La Commission doit trancher les questions suivantes :

  1. Est-ce que la plainte a été déposée à l’intérieur des délais prévus par la loi?
  2. Est-ce que la Commission devrait refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher la plainte?
  3. Est-ce que le défendeur a violé la disposition sur le gel?

A. Est-ce que la plainte a été déposée à l’intérieur des délais prévus par la loi?

1. Droit applicable

17        Pendant toute la période pertinente, l’article 190 de la LRTSPF est rédigé en ces termes :

190(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

c) l’employeur, l’agent négociateur ou le fonctionnaire a contrevenu à l’article 107 (obligation de respecter les conditions d’emploi) […]

[…]

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

[…]

18        Les paragraphes 190(3) et (4) de la LRTSPF ne s’appliquent pas à la question devant moi.

2. Faits pertinents

19        Le 10 octobre 2014, M. Dick a envoyé au Comité régional de gestion (CRG) de la région du Pacifique du SCC une note de service intitulée [traduction] « Réduction de la semaine de travail – employés nommés pour une durée déterminée et occasionnels ». La note de service précisait que la semaine de travail de tous les employés nommés pour une durée déterminée et occasionnels de la région du Pacifique serait réduite à un maximum de quatre jours, à partir du 1er novembre 2014 (la présente plainte porte uniquement sur la réduction des heures des employés à plein temps).

20        M. Dick a indiqué dans son témoignage que le CRG et le sous-commissaire régional ont décidé de réduire les heures de travail afin de traiter le déficit budgétaire de la région du Pacifique du SCC. Il a précisé que, au moment où la note de service a été envoyée, la décision était finale.

21        La note de service communiquait la décision aux gestionnaires régionaux et les informait que tous les employés concernés par la décision devaient en être informés le 14 octobre 2014. La note de service comprenait une lettre modèle devant être fournie aux employés.

22        Pendant une réunion tenue le 14 octobre 2014, tous les employés concernés ont été informés de la réduction de leurs heures de travail. On leur a dit qu’elle entrerait en vigueur le 1er novembre 2014, et qu’elle serait en vigueur jusqu’à la fin de l’exercice.On leur a également dit que la direction ne savait quels en seraient les effets pour les années à venir.Les employés concernés ont reçu un avis écrit du changement le 14 octobre 2014, ou peu après, et ils devaient immédiatement informer le défendeur des jours où ils ne travailleraient pas lorsque le changement serait en vigueur.

23        Mme Rice a indiqué dans son témoignage que, lors de cette réunion, les employés n’avaient plus aucun doute que la décision avait été prise et que le changement aurait lieu le 1er novembre 2014. Elle a également reconnu que, dans son grief personnel relatif au changement, elle a indiqué que la date à laquelle la décision visée par le grief avait été prise était le 14 octobre 2014.

24        Toujours le 14 octobre 2014, M. Dick a envoyé une copie de sa note de service à Nancy Burton, qui était vice-présidente régionale du Syndicat des employé-e-s du Solliciteur général, qui est un élément de la plaignante. Dans le courriel d’accompagnement, il l’a informé de la décision de réduire les heures des employés à plein temps de la région du Pacifique de SCC.

25        Le changement est entré en vigueur le 1er novembre 2014.

26        La plainte est en date du 30 janvier 2015, et a été déposée devant la Commission le même jour.

3. Positions des parties

27        Le défendeur s’est opposé au respect des délais de la plainte, en affirmant que le délai doit commencer le 14 octobre 2014, date à laquelle la plaignante et les employés concernés ont été informés de la décision du défendeur.

28        La position de la plaignante est que le délai commençait le 1er novembre 2014, date à laquelle la réduction des heures de travail est entrée en vigueur, et que, par conséquent, la plainte a été présentée en temps opportuns.

4. Analyse

29        La plainte en l’espèce a été déposée conformément à l’alinéa 190(1)c) de la LRTSPF, qui précise que la Commission instruit toute plainte dont elle est saisie selon laquelle le défendeur a omis de respecter la disposition sur le gel.

30        Conformément au paragraphe 190(2) de la LRTSPF, les plaintes prévues au paragraphe 190(1) « […] doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ».

31        Dans Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98, la Cour d’appel fédérale a confirmé que le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) est obligatoire et que la Commission n’a pas compétence pour le prolonger. La Cour a également précisé au paragraphe 40, que « [pour] pouvoir appliquer ces dispositions aux faits de l’espèce, la Commission devait définir “ la plainte ” et décider si M. Boshra avait eu — ou aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ».

32        Déterminer la date à laquelle la plaignante avait eu — ou aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu est une question de faits dans chaque cas.

33        De plus, le contexte est important. Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 46, « AFPC (2013) », la Commission s’est prononcée en ces termes au paragraphe 68 :

[68] J’admets la série de décisions faisant jurisprudence qui démontre que pour déterminer si le délai pour le dépôt d’une plainte a été respecté, il est important de tenir compte des circonstances de chaque cas, et qu’étant donné que la plainte allègue une violation des dispositions relatives au gel des conditions d’emploi prévu par la loi, la nature de la plainte doit guider l’analyse relative au respect du délai.

34        La décision du défendeur de réduire les heures de travail a été communiquée aux employés concernés et à la plaignante le 14 octobre 2014. À ce moment, la décision était définitive et les employés concernés ont été informés qu’elle entrerait en vigueur le 1er novembre 2014.

35        Le défendeur indique que le délai de prescription de 90 jours commence le 14 octobre 2014, date à laquelle la plaignante et les employés concernés ont été mis au courant de la décision du défendeur.

36        Cependant, j’estime que, dans une plainte relative à une disposition de gel prévu par la loi, l’employeur a omis d’observer une modalité d’emploi continue en vigueur conformément à l’article 107 de la LRTSPF après la signification de l’avis de négociation. AFPC (2013), au paragraphe 69, est rédigé en ces termes :

[69] Je trouve convaincant l’argument selon lequel l’événement déclencheur de la plainte a eu lieu à la date à laquelle les conditions d’emploi gelées ont cessé d’être respectées. Il ne peut y avoir contravention à la [LRTSPF] avant que les conditions d’emploi ne soient modifiées.

37        Ce raisonnement est également utilisé dans Syndicat des agents correctionnels – Union of Canadian Correctional Officers – CSN c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 47. Dans ce cas, la Commission s’est prononcée en ces termes au paragraphe 223 : « Je suis d’accord avec l’arbitre de grief dans [AFPC (2013)] qu’il ne peut y avoir aucune contravention de la [LRTSPF] avant que les conditions d’emploi soient changées et que l’événement déclencheur correspond à la date de mise en œuvre de la nouvelle politique. »

38        Dans la présente affaire, la « […] connaissance des mesures ou des circonstances […] » ayant donné lieu à la plainte, conformément au paragraphe 190(2) de la LRTSPF, était l’acte par lequel le défendeur a réduit les heures de travail des employés à plein temps dans la région du pacifique de SCC, qui est entré en vigueur le 1er novembre 2014. Par conséquent, le 1er novembre 2014, est la date à laquelle la plaignante a eu connaissance du changement.

39        La plainte a été déposée le 30 janvier 2015, dans le délai de prescription de 90 jours.

40        La preuve démontre que certains des employés concernés, ou tous les employés concernés, ont présenté des griefs individuels au sujet de la réduction de leurs heures de travail. Dans une section de la formule de grief individuel, le fonctionnaire s’estimant lésé indique la date à laquelle l’incident a eu lieu et a donné lieu au grief.  Plusieurs des employés concernés ont indiqué le 14 octobre 2014, d’autres ont laissé la section vide et d’autres ont mis des dates différentes, y compris le 1er novembre 2014.

41        Le défendeur affirme que, puisque plusieurs employés concernés ont utilisé le 14 octobre 2014, comme date à laquelle l’affaire ayant donné lieu aux griefs individuels a été présentée et puisque la plaignante les représentait, on peut estimer que la plaignante a eu connaissance de la question ce jour-là. Cependant, tel que noté, un certain nombre de dates différentes ont été données dans les griefs individuels, y compris le 1er novembre 2014.Par conséquent, je ne peux tirer aucune conclusion de ces griefs au sujet de la date à laquelle la plaignante a eu connaissance de la mesure qui a donné lieu au grief.

42        Le défendeur affirme également que, dans AFPC (2013), le changement en question faisait toujours l’objet de discussion après que l’avis de changement initial a été donné et que, par conséquent, la plaignante ne pouvait pas être certaine que le changement aurait lieu avant qu’il entre réellement en vigueur. Cependant, ce n’est pas le cas.Dans AFPC (2013), la Commission a remarqué que, entre la date de l’avis initial, le 11 avril 2012, et le 25 juillet 2012, les discussions se poursuivaient.Cependant, le 25 juillet 2012, l’employeur a informé la plaignante que sa décision sur le changement était définitive.Se fondant sur ces faits, la Commission a tout de même estimé que le délai de prescription n’a pas été déclenché avant le 15 août 2012, date à laquelle le changement est entré en vigueur.

B. Est-ce que la Commission devrait refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher la plainte?

1. Positions des parties

43        Le défendeur demande que la Commission exerce sa compétence prévue par le paragraphe 191(2) de la LRTSPF et qu’elle refuse de trancher la plainte.  Le paragraphe est rédigé en ces termes : « (2) La Commission peut refuser de statuer sur la plainte si elle estime que le plaignant pourrait renvoyer l’affaire à l’arbitrage sous le régime de la partie 2 […] »

44        Le défendeur affirme que l’essence de la plainte est l’insatisfaction de la plaignante quant à la manière dont le défendeur a appliqué les conventions collectives des groupes PA et SV. Il affirme qu’un litige relatif à l’interprétation de la convention collective devrait être traité en suivant l’une des procédures de règlement des griefs présentées à la partie 2 de la LRTSPF.

45        Le défendeur indique également que, dans la situation en l’espèce, la plaignante n’a jamais prétendu que la procédure de négociation collective pour les unités de négociation du groupe PA et du groupe SV a été d’une quelconque façon touchée par la réduction temporaire des heures de travail et qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve d’un tel effet. À son avis, il s’agit d’une autre raison pour que la Commission s’en remette à l’arbitrage en l’espèce.

46        Le défendeur indique également que les mesures correctives que la plaignante demande seraient mieux traitées dans le cadre des procédures de grief.

47        Finalement, le défendeur indique que, en fait, de nombreux griefs individuels relatifs à la réduction des heures pour les employés à plein temps de la région du Pacifique du SCC ont déjà été déposés.

48        Selon la plaignante, le principal problème est de savoir si, lorsque les avis de négociation ont été donnés, l’employeur avait le droit d’exercer le pouvoir discrétionnaire qu’il avait avant que ces avis soient présentés. Par conséquent, cette affaire est correctement présentée à la Commission en tant que plainte et devrait être traitée en conséquence.La plaignante affirme que l’employeur a violé la disposition relative au gel, et non qu’il a violé les conventionnions collectives.

49        La plaignante souligne également qu’il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un sentiment antisyndical ou de mauvaise foi pour présenter une plainte relative au manquement de respecter la disposition sur le gel.

2. Analyse

50        Dans Syndicat international des employées et employés professionnels(les) et de bureau c.4384865 Canada inc., 2012 CCRI 667, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a appliqué une disposition du Code canadien du travail (L.R.C.(1985), ch. L-2), qui est identique au paragraphe 191(2) de la LRTSPF.Le CCRI s’est prononcé en ces termes au paragraphe 24 : « Le [CCRI] tend généralement à renvoyer à l’arbitrage les affaires qui nécessitent l’interprétation d’une convention collective et dont le litige ou différend sous-jacent peut être réglé intégralement dans le cadre d’un processus d’arbitrage. »

51        Dans Canadian Union of Public Employees v. Algoma District School Board, [2014] O.L.R.D. No. 3379 (QL), au paragraphe 33, la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) a étudié sa compétence selon une disposition semblable. Elle s’est prononcée en ces termes :

[Traduction]

33 La décision de s’en remettre à l’arbitrage est discrétionnaire et la [CRTO] a favorisé le renvoi dans les situations suivantes : 1) la nature du litige est principalement contractuelle ou factuelle; 2) la question législative est conforme à la résolution du litige contractuel ; 3) la réparation accordée lors de l’arbitrage serait conforme à la réparation demandée pour la conduite alléguée de l’employeur; 4) la résolution de la plainte de pratique déloyale de travail ne supprimerait pas le besoin d’arbitrage; 5) il y a un risque de conclusions incompatibles entre la [CRTO] et l’arbitre […]

52        Comme je l’ai indiqué, je constate que l’essence de la plainte en l’espèce est que le défendeur a modifié une modalité d’emploi après que les avis de négociation ont été signifiés.

53        Les employés concernés ont déposé des griefs individuels sur la décision de réduire leurs heures de travail. La question dans ces griefs est de savoir si, ce faisant, le défendeur interprétait correctement les conventions collectives des groupes PA et SV.

54        Dans cette affaire, trancher la question de l’interprétation de la convention collective ne permettra pas de trancher la plainte. La question en l’espèce est la suivante : même si l’employeur, en vertu des conventions collectives applicables, pouvait changer les heures de travail des employés à plein temps, en avait-il toujours le droit après que les avis de négociation ont été donnés?

55        J’estime que la principale question en l’espèce est l’application de la disposition sur le gel aux faits. Par conséquent, la question est préférablement traitée par une plainte de pratique déloyale de travail.Par conséquent, dans ces circonstances, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de refuser de trancher la plainte et je ne renverrai pas l’affaire à l’arbitrage.

C. Est-ce que le défendeur a violé la disposition sur le gel?

1. Principes de droit applicables

56        Pendant toute la période pertinente, la disposition sur le gel est présentée en ces termes :

107 Une fois l’avis de négocier collectivement donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve du paragraphe 125(1), les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

  1. dans le cas où le mode de règlement des différends est l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;
  2. dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

57        Le paragraphe 125(1) de la LRTSPF ne s’applique pas à l’affaire devant moi.

58        Dans La Reine du chef du Canada, c. L’Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1982] 2 C.F. 80 (C.A.), à 89, le juge Urie a précisé que l’objet d’une disposition sur le gel était « de maintenir, après avis de l’intention de négocier, les rapports employeur-employé, pour ce qui est des conditions d’emploi qui ont cours à la veille de cet avis ». Le juge Le Dain a précisé, à la page 91, qu’une telle disposition vise à maintenir le statu quo. Il a ajouté ce qui suit : « Il faut qu’il y ait un cadre de référence constant et stable servant de point de départ pour la négociation.Il ne faut donc pas donner de cette disposition une interprétation rigide qui lui ferait échec. »

59        La disposition sur le gel s’applique aux modalités d’emploi qui sont contenues dans la convention collective ou qui peuvent y être incluses.

60        La disposition sur le gel est une disposition d’obligation stricte; elle s’applique que l’employeur ait ou non des motifs justifiables de faire un changement. Dans Teamsters Local Union 419 v. Arrow Games Inc., [1991] OLRB Rep. février 157, la CRTO, interprétant une disposition semblable à la disposition sur le gel en l’espèce, a déclaré ce qui suit au paragraphe 19 :

[Traduction]

[…] la question de savoir si ces négociations avaient déjà été contrecarrées par les mesures du défendeur qui ont réduit les heures de travail ne nécessite pas de réponse. [La disposition de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario] est une disposition d’obligation stricte qui prévient et saisit le débat relatif à ce qui peut, ou ne peut pas, contrarier la conduite des négociations. L’absence de sentiment antisyndical ou l’existence d’un motif opérationnel de bonne foi n’est pas pertinente. […]

61        Le but de la disposition sur le gel est de garantir un environnement de travail stable. Cependant, cela ne signifie pas que le milieu de travail sera statique. Premièrement, l’employeur peut apporter des changements avec le consentement de l’agent négociateur. Deuxièmement, l’employeur peut apporter des changements si le changement correspond à une tendance établie de la relation d’emploi. En d’autres mots, le défendeur est régi par l’approche de la « poursuite des activités normales ».

62        La CRTO a décrit l’approche de la « poursuite des activités normales » dans Spar Professional and Allied Technical Employees Association v. Spar Aerospace Products, [1979] 1 Can LRBR, 61 à 68, en ces termes :

[Traduction]

L’approche de la poursuite des activités normales ne signifie pas qu’un employeur ne peut continuer de gérer ses activités. Elle signifie simplement qu’un employeur doit continuer de gérer ses activités conformément aux habitudes établies avant les circonstances ayant mené au gel, fournissant ainsi un point de départ clair pour la négociation et éliminant l’effet de « douche froide » qu’un retrait d’avantages attendus aurait sur la représentation des employés par un syndicat. Le droit de gestion est maintenu, qualifié uniquement par la condition que les opérations soient gérées de façon habituelle.

63        Une autre manière de déterminer si un employeur a violé la disposition sur le gel prévue par la loi est l’approche des « attentes raisonnables », par laquelle la question devient la suivante : qu’est-ce qu’un employé raisonnable estimerait comme des modalités d’emploi ou des prestations dans les circonstances précises de son employeur? Si le changement du défendeur n’est pas conforme aux attentes raisonnables de l’employé, alors il viole la disposition sur le gel prévu par la loi.

64        La CRTO s’est prononcée comme suit dans Teamsters Local Union 419, au paragraphe 17 :

[Traduction]

[…] Le défendeur a, comme il le prétend, le droit de réduire les heures de travail avant le gel (et conserve ce droit sous réserve de ce qui est négocié entre les parties dans leur convention collective, mais la question est de savoir s’il peut exercer ce droit pendant le gel. Il ne l’a pas exercé avant. Il y a, essentiellement, une tendance – une semaine de travail de cinq jours. Dans quelles circonstances un employé raisonnable peut-il s’attendre à ce que cela change?

65        En raison de ces principes, j’estime que les questions auxquelles il faut répondre au moment d’examiner une plainte relative à une disposition sur le gel sont les suivantes :

  • La modalité d’emploi était-elle en vigueur lorsque l’avis de négociation a été donné, ou s’agissait-il d’une modalité qui aurait pu être comprise dans la convention collective à ce moment?
  • Y a-t-il eu un changement à la modalité d’emploi pendant la période visée par le gel?
  • S’il y avait un changement pendant la période visée par le gel, l’agent négociateur a-t-il consenti au changement? Si non, le changement faisait-il partie d’une tendance établie de la poursuite des activités établies ou était-ce conforme aux attentes raisonnables des employés?

2. Faits pertinents

66        Mme Rice travaille pour le SCC depuis 2011. Depuis ce temps, jusqu’à l’audience, elle a reçu un certain nombre de nominations à plein temps à divers postes, où elle travaillait normalement 37,5 heures par semaine.

67        En septembre 2014, Mme Rice a commencé une nomination à plein temps à titre d’agente de gestion de cas. La lettre l’informant de la nomination comprenait la phrase suivante : [traduction] « Votre emploi est assujetti à la Directive sur les conditions d’emploi du Conseil du Trésor et la convention collective connexe. »Elle a accepté l’offre d’emploi en signant la lettre le 25 septembre 2014.

68        Le 14 octobre 2014, elle a été appelée à une réunion avec d’autres employés à plein temps et des employés occasionnels. Le défendeur les a informés que, le 1er novembre 2014, leurs heures seraient réduites à 30, du nombre d’heures à plein temps de 37,5 heures par semaine.On a dit aux employés que la décision a été prise pour contribuer à réduire le déficit financier de SCC.

69        Le jour même, Mme Rice a reçu une lettre pour confirmer la réduction de ses heures de travail, prévues pour le 1er novembre 2014. Les employés concernés devaient signer et renvoyer des copies de la lettre pour confirmer qu’ils l’avaient reçue.On leur a également demandé de présenter immédiatement une feuille de temps présentant la journée lors de laquelle ils ne travailleraient pas.

70        Mme Rice a indiqué lors de son témoignage que la réduction avait eu pour conséquence une perte financière drastique pour elle. Elle a également touché ses congés et ses droits à pension.Le changement a entraîné un stress, puisqu’il était difficile de respecter la charge de travail en suivant un horaire réduit.

71        Mme Rice et les autres employés concernés ont repris un horaire à plein temps de 37,5 heures par semaine le 1er avril 2015.

72        M. Dick a indiqué que, tôt en octobre 2014, le CRG et le sous-commissaire régional ont décidé de réduire les heures de travail de tous les employés à plein temps de la région. Les réductions devaient commencer le 1er novembre 2014 et devaient se poursuivre pour le reste de l’exercice, moment auquel la décision serait examinée.

73        M. Dick a précisé que, si SCC n’avait pas pris cette mesure, il aurait dû mettre à pied des employés pour traiter le déficit financier.

74        Après l’entrée en vigueur de la réduction, les gestionnaires devaient examiner leurs opérations et leurs priorités afin de traiter la charge de travail en tenant compte de la réduction du nombre d’heures des employés à plein temps.

75        M. Dick a expliqué que le commissaire de SCC a mis en place des pouvoirs délégués par l’« Instrument de délégation des pouvoirs en matière de gestion des ressources humaines » (l’« instrument de délégation »). La version applicable était datée du 20 novembre 2013.

76        L’instrument de délégation classait les postes de SCC de 1 à 6, 1 étant celui du commissaire. Il présentait ensuite diverses décisions de ressources humaines et déterminait le niveau auquel le commissaire avait délégué le pouvoir de les prendre.  

77        Conformément à l’instrument de délégation, les gestionnaires et les superviseurs au plus bas niveau de délégation de pouvoirs peuvent autoriser des changements aux heures de travail, y compris des heures de travail mobiles et variables, et les semaines de travail comprimées.

78        M. Dick a indiqué que le 1er avril 2015, ou autour de cette date, tous les employés concernés des unités de négociation du groupe PA et du groupe SV qui étaient toujours à l’emploi de SCC ont vu leurs heures de travail à plein temps restaurées, en conformité avec le budget de SCC pour le nouvel exercice.

3. Position de la plaignante

79        Les employés concernés travaillaient à plein temps au moment où les avis de négociation ont été signifiés. La plaignante affirme que les heures de travail étaient une modalité d’emploi que l’employeur pouvait modifier pendant la période visée par le gel seulement dans deux situations : si l’agent négociateur consentait à la réduction ou si la réduction faisait partie d’une tendance qui existait avant que les avis de négociation aient été donnés.En l’espèce, l’agent négociateur ne consentait pas à la réduction des heures de travail.

80        Les employés concernés ont tous été nommés à des postes à plein temps. La réduction des heures de travail le 1er novembre 2014 était un changement important aux modalités de leur emploi.Le défendeur a reconnu son importance lorsqu’il a demandé à tous les employés de retourner une copie signée de la lettre les informant de la modification.

81        La plaignante soutient que la réduction des heures de travail était une distinction claire des modalités des lettres de nomination des employés et des pratiques uniformes au moment de l’entrée en vigueur de la disposition sur le gel. Par conséquent, elle soutient que la réduction ne peut pas être justifiée par l’approche de la « poursuite des activités normales » ou des « attentes raisonnables » pour le changement des modalités au cours d’une période de gel.

4. Position du défendeur

82        Le défendeur affirme que l’effet de la disposition sur le gel était de maintenir le pouvoir discrétionnaire qu’il possède pour changer les heures de travail en vertu des conventions collectives des PA et des SV, la Directive sur les conditions d’emploi du Conseil du Trésor et la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; LGFP).

83        Le défendeur soutient que l’acceptation de l’argument de la plaignante conduirait à un résultat absurde que les employés auraient plus de droits dans une période de gel qu’ils ne le feraient normalement.

5. Analyse

84        Conformément aux articles 7 et 11.1 de la LGFP, le défendeur avait le pouvoir de modifier les modalités d’emploi, sous réserve des limites précises d’une loi ou de la convention collective.

85        La convention collective du groupe PA est rédigée en ces termes :

[…]

25.02 Aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme garantissant une durée de travail minimale ou maximale. Cela ne permet aucunement à l’Employeur de réduire en permanence les heures de travail d’un employé-e à temps plein.

[…]

25.07 Les employé-e-s sont informés par écrit de leur horaire de travail, ainsi que des changements qui y sont apportés.

[…]

86        La convention collective du groupe SV comporte une disposition semblable. La clause 25.07 était rédigée en ces termes : « L’horaire de travail prévu de l’employé-e ne doit pas être interprété comme garantissant une durée de travail minimale ou maximale. »

87        Au moment de leur embauche, les employés concernés avaient été informés que leur emploi était assujetti à la Directive sur les conditions d’emploi du Conseil du Trésor, dont l’article 8 est rédigé en ces termes : « La journée de travail d’une personne nommée à l’administration publique centrale doit commencer et se terminer chaque jour aux heures fixées par l’administrateur général. » Selon la preuve, le sous-commissaire régional a le pouvoir délégué de prendre la décision de réduire les heures de travail.

88        Par conséquent, il est établi que le défendeur avait le pouvoir de modifier les modalités d’emploi en dehors de la période visée par le gel.

89        Le défendeur affirme qu’il avait le pouvoir discrétionnaire d’apporter des changements aux modalités d’emploi qui étaient gelées lorsque les avis de négociation ont été signifiés, ce qui veut dire qu’il pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire de changer les heures de travail, même pendant la période visée par le gel.

90        Le défendeur a présenté un certain nombre de cas dans lesquels des commissions des relations de travail ont rejeté des plaintes relatives à des dispositions de gel semblables à celle en l’espèce. J’estime que plusieurs de ces cas cités sont différents, puisque leurs situations sont différentes de celle en l’espèce. En voici des exemples :

  • Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 26 : le changement a été initié avant la signification de l’avis de négociation.
  • Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 148-02-186 (19910724), [1991] C.R.T.F.P.C. no 185 (QL) : lorsque l’avis de négociation a été signifié, il était compris que les heures supplémentaires seraient utilisées dans certaines situations seulement si les fonds d’heures supplémentaires étaient disponibles et que changer cette pratique lorsque les fonds n’étaient pas disponibles n’était pas une violation de la disposition de gel applicable à ce moment.
  • Alliance de la Fonction publique du Canada c. Commission de la capitale nationale, dossiers de la CRTFP 148-29-218 et 161-29-761 (19951016), [1995] C.R.T.F.P.C. no 101 (QL) : la sous-traitance était permise puisqu’il y avait une tendance établie d’y recourir.

91        Toutefois, dans d’autres cas cités par le défendeur, les plaintes ont été rejetées parce que les commissions des relations de travail impliquées ont accepté l’argument présenté par le défendeur, soit que la discrétion d’apporter des modifications était en soi la modalité d’emploi visée par le gel (voir, par exemple, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 148-02-75 (19820406), [1982] C.R.T.F.P.C. no 68 (QL) et UCCO-SACC-CSN c. Conseil du Trésor, 2004 CRFTP 38).

92        En réponse, la plaignante cite un certain nombre de cas dans lesquels les commissions des relations de travail ont rejeté l’argument du défendeur, y compris trois cas récents de la Commission.

93        Dans AFPC (2013), la Commission a estimé que le défendeur avait violé la disposition sur le gel lorsqu’il a mis fin à une entente de longue date par laquelle il accordait un congé syndical payé.

94        Dans Association canadienne des employés professionnels c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2016 CRTEFP 68; (ACEP), la Commission a jugé que le défendeur avait contrevenu aux conditions d’emploi en vigueur par la disposition sur le gel en mettant fin à la longue pratique visant à permettre aux traducteurs parlementaires de modifier leur horaire de travail et de travailler le jour, soit entre 8 h et 18 h, pendant la période où le Parlement ne siégeait pas, et ce, tout en préservant le supplément de rémunération.

95        Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 19, la Commission a estimé que la décision de la défenderesse de modifier sa politique relative à l’exercice des enquêtes des normes professionnelles violait la disposition sur le gel.

96        Lorsqu’elle a rejeté l’argument du défendeur dans ces trois cas, la Commission a conclu que la disposition sur le gel ne gèle pas la discrétion de l’employeur d’apporter des modifications aux modalités d’emploi continues en vigueur au moyen de la disposition sur le gel. Cette disposition limite plutôt ce pouvoir discrétionnaire de manière à ce que l’employeur ne puisse apporter des modifications que si l’agent négociateur donne son consentement ou si le changement fait partie d’une tendance établie et que les employés s’attendraient raisonnablement à les recevoir. ACEP mentionne ce qui suit aux paragraphes 136 et 137 :

[136] L’argument de l’employeur selon lequel il avait le droit de modifier les heures de travail en vertu des principes énoncés dans la Loi sur la gestion des finances publiques, et que ce pouvoir se poursuivait durant la période de gel, ne peut être retenu pour justifier sa décision de forcer les traducteurs parlementaires à travailler le soir afin de bénéficier du supplément de rémunération.

[137] Accepter cet argument viderait la protection accordée à [la disposition sur le gel] de son sens et pourrait mener à une interprétation absurde de la [LRTSPF]. Cela voudrait donc dire qu’il ne pourrait jamais y avoir de violation au gel prévu par la [LRTSPF] de par l’existence même des pouvoirs résiduels de l’employeur. Tel qu’il a été établi par la jurisprudence, ce n’était pas l’intention du législateur. Cette protection a pour but d’assurer une négociation ordonnée entre les parties, une négociation d’égal à égal et des relations de travail paisibles pendant la période de gel statutaire. Une telle interprétation permettrait à l’employeur de prendre des actions qui pourraient déséquilibrer cette relation et, par conséquent, violer ce que [la disposition sur le gel] cherche à protéger.

97        À mon avis, cette interprétation de la disposition sur le gel doit être favorisée puisqu’elle sert à assurer une stabilité pendant la période de négociation collective. Ce point de vue est également conforme à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Association canadienne du contrôle du trafic aérien.

98        Dans ce cas, lorsque les avis de négociation ont été donnés, il y avait une pratique d’employés à plein temps qui travaillaient des heures à plein temps. Il n’y avait aucune preuve selon laquelle le défendeur avait effectué des réductions aux heures de travail des employés concernés avant la période visée par le gel.

99        En d’autres mots, même s’il avait le pouvoir de réduire les heures de travail, il avait établi au fil du temps une tendance à ne pas le faire dans le cas des employés concernés. Par conséquent, les employés touchés et la plaignante avaient une attente selon laquelle l’employeur ne réduirait pas les heures de travail après que les avis de négociation ont été donnés.J’estime que cette attente était raisonnable compte tenu des circonstances.

100        Le défendeur affirme que, lorsqu’un droit prévu par la convention collective existe, les concepts de « poursuite de ses activités normales » et d’« attentes raisonnables » ne s’appliquent pas. Il affirme que, en l’espèce, il continuait d’avoir le pouvoir de réduire les heures de travail, même s’il y avait une tendance établie de ne pas le faire.

101        Le défendeur ajoute qu’une analyse du concept de « poursuite de ses activités normales » et d’« attentes raisonnables » est seulement requise lorsqu’un employeur suit une politique ou une pratique qui n’est pas fondée dans une convention collective.

102        Respectueusement, je ne trouve pas qu’il y a une quelconque différence dans la façon dont les commissions du travail tranchent les plaintes relatives au gel en fonction de savoir si la condition d’emploi en cause se trouve dans une convention collective ou peut y être incluse mais n’y était pas lorsque l’avis de négocier a été signifié.

103        Réduire les heures de travail des employés concernés était un changement majeur aux modalités d’emploi continues en vigueur par la disposition sur le gel. Ce changement touchait non seulement leurs heures de travail, mais également leurs salaires et leurs prestations.Le défendeur a démontré qu’il réagissait à un déficit financier grave.Il a également indiqué qu’il n’y avait pas de preuve de sentiment antisyndical.Même si j’accepte que cela soit vrai, ce n’est pas un facteur pertinent dans mon évaluation de savoir s’il a violé la disposition sur le gel.

III. Conclusion

104        Je déclare que l’acte par lequel le défendeur a réduit les heures de travail des employés à plein temps dans la région du pacifique du SCC, pendant la période de gel, était une violation de la disposition sur le gel. Il n’y avait pas de preuve que la plaignante avait consenti au changement.De plus, ce changement n’était pas justifiable en vertu de l’approche de la « poursuite des activités normales » ou des « attentes raisonnables ».

105        Je remarque que les heures de travail à plein temps de tous les employés touchés ont été restaurées vers le 1er avril 2015.

106        Par conséquent, l’ordonnance corrective prévue par l’alinéa 192(1)a) de la LRTSPF est disponible dans les circonstances. Pendant toute la période pertinente, l’alinéa 192(1)a) prévoyait ce qui suit :

192 (1) Si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances et, notamment :

  1. en cas de contravention par l’employeur à l’article 107 ou au paragraphe 125(1), lui enjoindre de payer à un fonctionnaire donné une indemnité équivalant au plus, à son avis, à la rémunération qui aurait été payée par l’employeur au fonctionnaire […]

107        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

108        Je déclare que la plainte a été présentée en temps opportuns.

109        La demande du défendeur pour que la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire de refuser de trancher la plainte est rejetée.

110        Je déclare que la réduction des heures de travail des employés à plein temps dans les unités de négociation pour le groupe PA et le groupe SV dans la région du pacifique du SCC par le défendeur après la signification des avis de négociation était en violation de la disposition sur le gel.

111        La plainte est maintenue.

112        J’ordonne au défendeur de verser à tous les employés concernés des unités de négociation du groupe PA et du groupe SV dans la région du pacifique de SCC une compensation pour tous les salaires et prestations perdus que les employés auraient reçus du 1er novembre 2014 au 31 mars 2015, n’eut été la réduction de leurs heures de travail.

113        Je demeurerai saisie de cette affaire pour une période de 120 jours à partir de la date de la présente décision advenant que les parties éprouvent des difficultés pour sa mise en œuvre.

Le 20 juillet 2017.

Traduction de la CRTESPF

Catherine Ebbs,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.