Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté ses griefs pour harcèlement et discrimination en s’appuyant sur de présumées infractions fondées sur la race de la disposition prévenant la discrimination qui se trouve dans la convention collective – la Commission a jugé que sa preuve en matière de harcèlement était insuffisante pour décider que l’employeur avait adopté un comportement de harcèlement qui violait la disposition prévenant la discrimination – la Commission a conclu que le gestionnaire du fonctionnaire s’estimant lésé avait bel et bien fait preuve de traitement différentiel préjudiciable qui constituait de la discrimination raciale lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a été placé en congé administratif – l’employeur l’a traité de façon agressive, sans donner de justification, lorsqu’il l’a retiré du lieu de travail – la Commission a conclu que la conduite sévère et non justifiée de l’employeur reflétait des stéréotypes raciaux à l’égard des hommes noirs – le fonctionnaire s’estimant lésé a également présenté un grief relativement à son licenciement pour rendement insuffisant – la Commission a jugé que l’évaluation de l’employeur quant à son rendement insuffisant était raisonnable étant donné la preuve – dans les deux ans précédant son licenciement, le fonctionnaire s’estimant lésé a connu de grandes difficultés à exécuter ses programmes selon les normes nationales et ne s’était pas amélioré dans le cadre de la gestion du rendement.Grief portant sur la discrimination accueilli.Griefs portant sur le harcèlement et le licenciement rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170530
  • Dossier:  566-02-9507 à 9509
  • Référence:  2017 CRTEFP 59

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

TRE GRANT

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Grant c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Wassim Garzouzi, avocat
Pour le défendeur:
Pierre-Marc Champagne, avocat
Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 19 au 22 janvier et du 5 au 8 juillet 2016.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        Tre Grant, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a renvoyé trois griefs individuels contre le Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») à l’arbitrage. Ils découlent d’une série d’événements qui ont culminé en la cessation de son emploi pour rendement insuffisant. Il conteste cette cessation d’emploi et il a déposé deux autres griefs dans lesquels il faisait valoir qu’il avait subi du harcèlement et faisait l’objet de discrimination en fonction de sa race, ce qui contrevient à sa convention collective. M. Grant s’identifie comme un homme noir.

2        Pour les motifs que j’ai indiqués ci-dessous, je suis d’avis qu’il était raisonnable pour l’employeur de conclure que le rendement du fonctionnaire était insuffisant. Au cours de la période de près de deux ans où il a travaillé comme agent de programmes correctionnels, le fonctionnaire a eu de la difficulté à exécuter ses programmes selon les normes nationales requises. Ses examens de qualité (EQ), menés par des spécialistes régionaux, indiquaient des lacunes importantes dans son travail. Par conséquent, son grief pour licenciement est rejeté.

3        Bien que le grief pour licenciement fasse la lumière sur deux questions qui indiquent que le gestionnaire supérieur du fonctionnaire, Dave Pisapio, a fait preuve d’un jugement très médiocre en intervenant dans des affaires dans le cadre desquelles la plupart des gestionnaires n’interviendraient pas, je ne suis pas en mesure de conclure que ces incidents malheureux constituent des motifs valides pour faire droit au grief.

4        Toutefois, je conclus qu’un troisième incident très malheureux, causé encore une fois par M. Pisapio, est un motif pour faire droit au grief pour discrimination raciale. Le fonctionnaire a subi un traitement différentiel préjudiciable après avoir été mis en congé administratif peu de temps avant d’être licencié. Le défendeur n’a pu fournir de justification pour le traitement déplorable qu’a subi le fonctionnaire.

II. Contexte

5        Les griefs pour harcèlement et discrimination invoquent une violation de la disposition prévenant la discrimination figurant à l’article 19 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration, qui a expiré le 20 juin 2014 (la « convention collective »). Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »).

6        La troisième question dont je suis saisi concerne le grief pour licenciement renvoyé à l’arbitrage en vertu du sous-al. 209(1)c)(i) de la Loi, qui porte sur les fonctionnaires licenciés pour rendement insuffisant. Le grief pour licenciement est en date du 22 janvier 2013 (et porte le numéro de dossier 566-02-9507), et les deux autres griefs sont en date du 20 décembre 2012 (numéros de dossier 566-02-9509, quant à la discrimination fondée sur la race, et 566-02-9508, quant au harcèlement fondé sur la race).

7        Dans un protocole de règlement conclu avant l’audition des griefs, les parties ont reconnu que le grief pour discrimination raciale ne pouvait porter que sur les événements du 20 décembre 2012. Le grief pour harcèlement est limité aux événements qui se sont produits entre le 15 novembre et le 20 décembre 2012, inclusivement.

8        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »). Les présents griefs se poursuivent en vertu des lois pertinentes du Parlement qui y sont liées.

III. Faits

9        Avant de se joindre à l’employeur, le fonctionnaire a travaillé pendant quatre ans auprès du gouvernement du Canada en tant que préposé aux passeports au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international de l’époque. Selon son témoignage non contredit, il accomplissait bien son travail. Il a indiqué dans son témoignage qu’il a commencé à chercher d’autres possibilités dans la fonction publique à des fins d’avancement professionnel, ce qui l’a amené à sa nomination en octobre 2010 par l’employeur comme agent de programmes correctionnels au groupe et au niveau WP-4, exécutant des programmes de traitement et de réadaptation à l’intention de délinquants criminels.

10        Après avoir terminé sa formation et avoir été jugé prêt à commencer à travailler, le fonctionnaire a été affecté au bureau de Hamilton de l’employeur. Il relevait de Brigitte Penthor, qui travaillait à Toronto. Le fonctionnaire a déclaré qu’à sa première journée à son nouveau poste au lieu de travail de Hamilton, un collègue qui travaille à St. Catharines, en Ontario, et à qui on avait demandé de l’orienter, l’a rencontré. Le fonctionnaire a déclaré que Mme Penthor n’avait jamais visité le bureau de Hamilton et qu’il la voyait environ une fois par mois.

11        Environ huit mois après avoir commencé à travailler à ce bureau et après avoir exprimé son intérêt à être muté, le fonctionnaire a accepté une mutation latérale au bureau sur la rue Keele à Toronto (le « bureau de la rue Keele »). Cette mutation lui a permis d’avoir un meilleur accès à sa superviseure, Mme Penthor, qui travaillait dans le bureau d’à côté. En juillet 2011, Angela Beecher a remplacé Mme Penthor comme sa superviseure. Selon le témoignage non contredit, le fonctionnaire était respectueux et poli dans le lieu de travail.

IV. Griefs et questions

A. Violation de l’article 19 — Griefs pour harcèlement et discrimination

12        Le fonctionnaire déclare que l’employeur a violé la convention collective en raison de la façon dont son directeur général, M. Pisapio, est intervenu dans la gestion de la plainte pour harcèlement déposée par le fonctionnaire, de la façon dont il a parlé au fonctionnaire au sujet du harcèlement et de la façon dont le fonctionnaire a été traité lorsqu’il a fini par être suspendu. En plus de demander qu’il soit fait droit à ces deux griefs, le fonctionnaire me demande de me prononcer sur le bien-fondé de ces griefs afin d’établir la mauvaise foi de la part de l’employeur, ce que le fonctionnaire va ensuite invoquer pour me demander d’annuler la décision de mettre fin à son emploi. Les actions invoquées dans le grief pour discrimination raciale se sont déroulées le 20 décembre 2012 et relèvent donc de la période visée par le grief pour harcèlement (du 15 novembre au 20 décembre 2012).

13        Le fonctionnaire a déposé sa plainte pour harcèlement auprès du coordonnateur de la prévention du harcèlement, Ron Stolz, qui l’a reçue le 22 novembre 2012. Le fonctionnaire y nomme ses superviseurs, Mme Penthor et Mme Beecher; le directeur de district associé, Craig Townsend; M. Pisapio, qui supervisait la superviseure directe du fonctionnaire, comme les responsables du harcèlement présumé.

14        Entre autres choses, le fonctionnaire soutient que sa superviseure, Mme Beecher, l’a traité de menteur à deux occasions distinctes et l’a humilié en lui faisant des commentaires devant plusieurs collègues pendant une réunion du personnel. On lui a dit qu’il tentait de voler l’employeur et il a été invectivé. Il a aussi déclaré qu’il a été assujetti à une gestion de l’assiduité, à de nombreux plans d’action ainsi qu’à des attentes et à des conditions de travail irréalistes. Il a également déclaré que ces problèmes ont beaucoup nui à sa santé. Il s’est senti déprimé et intimidé, et cela lui a causé un traumatisme psychologique.

15        M. Stolz a envoyé au fonctionnaire un accusé de réception écrit de sa plainte le 4 décembre 2012 et il a déclaré que [traduction] « […] la plainte est examinée pour vérifier l’application de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du Conseil du Trésor ».

16        La Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du Conseil du Trésor (la « Politique »), qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2012, a été déposée en preuve. M. Stolz a confirmé dans son témoignage que la Politique était en vigueur pendant les incidents en question. Cette dernière précise ce qui suit sous « Contexte » :

[…] Les valeurs du secteur public reposent sur le respect, l’équité et la courtoisie ainsi que sur l’importance de faire preuve de dignité humaine dans les relations professionnelles […]

[…] Les interactions entre les superviseurs et les subordonnés peuvent être tout particulièrement délicates en raison des divers niveaux d’autorité. Les fonctions de supervision normales telles que l’attribution et l’évaluation du travail ne constituent pas du harcèlement, mais la façon dont ces fonctions sont accomplies peut entraîner une possibilité de harcèlement ou la perception qu’il y a harcèlement.

[…]

[…] La présente politique insiste en outre sur la responsabilité des administrateurs généraux de protéger les employés contre le harcèlement, et ce, au-delà de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui interdit le harcèlement fondé sur les motifs de distinction illicite, en exigeant d’eux qu’ils donnent suite à tout genre de harcèlement […]

[Je souligne]

17        La Politique définit ainsi le « harcèlement » :

[…] comportement inopportun et offensant, d’un individu envers un autre individu en milieu de travail […] et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[…]

18        Le fonctionnaire renvoie à l’outil en matière de gestion des ressources humaines du Conseil du Trésor pour fournir une rétroaction de soutien par rapport à corrective, 2012, comme une politique qui appuie la légitimité de ses préoccupations exprimées dans sa plainte pour harcèlement. Cet outil précise ce qui suit :

[Traduction]

[…]

  • L’une des compétences les plus importantes en gestion et en perfectionnement efficaces des personnes est l’utilisation appropriée de la rétroaction.
  • Il est important de s’éloigner des étiquettes; des mots comme « non professionnel » ou « irresponsable » ne soutiennent pas.

Évitez d’utiliser des mots qui expriment le jugement et de placer la personne qui fournit la rétroaction dans le rôle d’un parent contrôlant.

  • Ne donnez pas de rétroaction à une personne lorsque vous êtes en colère.

[…]

19        Il est également important de noter que le grief pour harcèlement n’est pas fondé sur une violation de la Politique, mais plutôt sur une violation alléguée de l’article 19 de la convention collective. Le fonctionnaire a fait valoir que la Politique fournit un contexte utile sur ce qui aurait dû guider l’employeur dans son traitement de la plainte. L’article 19 est intitulé « Élimination de la discrimination » et il précise ce qui suit :

[…] Il n’y aura aucune discrimination […], harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

20        L’employeur a répondu par écrit à la plainte dans une note de service signée par le sous­commissaire. Il a indiqué qu’après examen, il s’est avéré que la plainte [traduction] « […] ne relevait du domaine du harcèlement en vertu de la politique sur le harcèlement du Conseil du Trésor » et que l’employeur n’enquêterait pas. Cette note de service indiquait ce qui suit au fonctionnaire : [traduction] « Vous soutenez avoir fait l’objet de commentaires dénigrants et humiliants et de nombreux plans d’action qui ont entraîné de l’intimidation. Vous précisez aussi qu’ils imposent des attentes et des conditions de travail et irréalistes. »

21        La plainte met en évidence plusieurs incidents au sujet desquels l’employeur fait valoir que ses gestionnaires ne faisaient que [traduction] « gérer » le fonctionnaire. Toutefois, il est important de reconnaître que la plainte fait précisément mention de la façon dont il a été géré. Il convient de noter qu’elle portait davantage sur la [traduction] « façon » dont on a géré son travail plutôt que sur les [traduction] « éléments » utilisés pour le faire. Le fonctionnaire soutenait que, dans ses efforts pour régler plusieurs problèmes en ce qui concerne son assiduité, ses heures de travail, son congé annuel, ses demandes de prime de poste et son ouverture aux communications, à plusieurs occasions, l’employeur a utilisé des commentaires négatifs et empreints de jugement qui étaient explicites ou insinués quant à son intégrité et à son honnêteté.

22        Pour presque chaque problème qui survenait, le fonctionnaire a fourni une explication qui suggérait qu’il s’agissait d’un malentendu honnête. Il a aussi expliqué et, dans certains cas, fourni une preuve documentaire indiquant que, malgré ses tentatives d’expliquer ce qu’il percevait comme des malentendus, sa superviseure tirait des conclusions hâtives selon lesquelles chaque problème était en fait délibéré de sa part et démontrait qu’il était paresseux, malhonnête et non fiable.

23        L’avocat de l’employeur s’est opposé à ce que j’entende les détails de cette preuve du fonctionnaire au motif qu’elle ne respectait pas les dates prévues dans le protocole de règlement. J’ai autorisé la preuve avec l’avertissement que je ne me fondrais pas sur celle qui ne respecte pas les dates convenues pour ce grief, mais je l’ai plutôt acceptée comme un contexte potentiellement utile pour orienter mon évaluation de ce qui est ressorti de la réception par l’employeur de la plainte pour harcèlement du fonctionnaire.

24        En interrogatoire principal et en contre-interrogatoire, M. Stolz, qui était le coordonnateur régional en matière de prévention du harcèlement de l’employeur depuis 1999, a expliqué le processus de la réception et du traitement d’une plainte pour harcèlement. Il a expliqué qu’il reçoit les plaintes des employés, confirme les détails si cela est nécessaire, examine les options de règlement, puis formule une recommandation écrite à l’intention du sous-commissaire régional pour l’envoi de la décision et de la réponse à chaque plaignant.

25        Il a déclaré qu’il a appelé le fonctionnaire le lendemain suivant le jour où il a reçu sa plainte et qu’ils ont parlé pendant 30 à 60 minutes. Le fonctionnaire l’a contredit et a déclaré qu’ils ont parlé pendant seulement 5 à 10 minutes. M. Stolz a discuté des options pour régler la plainte, a confirmé l’adresse postale du fonctionnaire pour la correspondance sur la question et lui a demandé d’autres renseignements sur certaines des allégations. Il a déclaré que le fonctionnaire lui avait promis de faire un suivi sur certains autres détails de ses allégations.

26        M. Stolz a indiqué qu’ils se sont reparlé le 4 décembre et qu’il avait dit au fonctionnaire qu’il n’avait pas encore reçu les détails. Il a déclaré qu’il avait reçu certains documents plus tard cette journée-là du fonctionnaire qui contenaient des détails relatifs à la plainte. M. Stolz a noté que sa lettre accusant réception de la plainte et en date du 4 décembre 2016 avait été envoyée au moyen du service de courriel de l’organisme.

27        M. Stolz a indiqué dans son témoignage que, peu de temps après avoir reçu la plainte, il a reçu un appel téléphonique non sollicité de M. Pisapio qui a commencé à lui expliquer certains éléments au sujet du fonctionnaire. M. Stolz a déclaré que, étant donné que M. Pisapio était nommé dans la plainte, il en aurait reçu une copie. M. Pisapio l’a informé qu’il y avait des [traduction] « problèmes de rendement et d’assiduité » en ce qui concerne le fonctionnaire et qu’ils étaient [traduction] « traités ». M. Stolz a confirmé en contre-interrogatoire que M. Pisapio l’avait appelé le lendemain du jour où la plainte a été déposée et qu’ils avaient parlé pendant environ 10 minutes. Il a aussi confirmé qu’en dehors du fonctionnaire, il n’a eu aucune autre conversation pour enquêter sur les nombreuses allégations.

28        En contre-interrogatoire, M. Stolz a confirmé que la Politique déposée en preuve était la version en vigueur pendant les incidents en question. On lui a demandé de fournir un exemple de harcèlement. Il a répondu par l’exemple d’un gestionnaire qui demande à un employé de laver sa voiture en échange d’une promotion. Cela me semble curieux de la part de M. Stolz de fournir un exemple hypothétique à l’audience, étant donné qu’il n’est pas évident si un tel incident représentait une forme interdite de discrimination prévue à l’article 19.

29        On a ensuite demandé à M. Stolz s’il pouvait expliquer ce qu’étaient des stéréotypes raciaux et en fournir des exemples. Il a répondu : [traduction] « Cela dépend ». On lui a ensuite demandé de les commenter. Il a répondu que ce n’était pas clair et qu’ils pouvaient survenir dans différentes circonstances.

30        Interrogé sur son examen des allégations, M. Stolz a essentiellement répété qu’il avait déjà raconté sa discussion avec M. Pisapio, notamment que le fonctionnaire avait des problèmes de rendement et d’assiduité et que ses gestionnaires tentaient de le gérer. Il a ajouté qu’il a trouvé certaines incohérences dans les allégations du fonctionnaire. À la question de savoir s’il pouvait fournir des détails à ce sujet, il a dit que le fonctionnaire s’était plaint d’être assujetti à une gestion de l’assiduité, alors que ce n’était pas le cas. Lorsqu’on lui a demandé de préciser ses déclarations, il a déclaré qu’il avait vérifié à quel moment la plainte avait été déposée et que le fonctionnaire n’était pas visé par le programme national de gestion de l’assiduité. À la question de savoir s’il est possible que le fonctionnaire ait été visé par un programme local informel de gestion de l’assiduité, il a répondu que c’était possible.

31        Contre-interrogé au sujet de l’allégation selon laquelle le fonctionnaire avait été traité de menteur, M. Stolz a déclaré qu’il n’était pas au courant puisque cela ne figurait pas dans les documents envoyés et qu’il n’avait pas appelé la gestionnaire du fonctionnaire qui aurait formulé le commentaire. De même, il a été interrogé au sujet de l’allégation d’humiliation devant un groupe de collègues et il a répondu qu’il s’agissait d’un [traduction] « sujet épineux », mais il a déclaré que le fonctionnaire aurait pu discuter de cette question et de ses sentiments avec la superviseure en question après la réunion, mais qu’il a choisi de ne pas le faire. Interrogé au sujet de l’allégation du fonctionnaire selon laquelle il avait été invectivé, M. Stolz a répondu qu’il avait vu plus de 200 allégations de la sorte formulées par différents employés avec les années et qu’il s’agissait habituellement d’une personne qui haussait la voix et de l’autre personne qui avait l’impression que cette dernière l’invectivait. Il a confirmé qu’il n’a pas communiqué avec la gestionnaire qui aurait invectivé le fonctionnaire pour se renseigner au sujet de l’allégation.

32        Le fonctionnaire a fourni un témoignage non contredit selon lequel il a rencontré M. Pisapio au début de décembre 2012, vers l’époque où il a déposé sa plainte pour harcèlement et quelques jours avant d’être suspendu. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que M. Pisapio lui avait dit qu’il n’aimait pas le mot [traduction] « harcèlement » et qu’il aurait préféré que le fonctionnaire n’utilise pas ce mot pour décrire le travail de l’équipe de direction.

33        Le fonctionnaire soutient ne pas avoir reçu la note de service du 10 décembre 2012 rejetant sa plainte et que son contact suivant, qui a été le dernier, avec l’employeur sur la question, est survenu le 20 décembre 2012 à sa réunion avec M. Pisapio, au cours de laquelle le fonctionnaire a été suspendu.

34        J’examine maintenant les événements du 20 décembre 2012, qui sont les seuls événements qui concernent les griefs pour harcèlement et discrimination, et il ressort clairement de la preuve qu’à ce moment, l’employeur avait la tâche difficile de traiter ce qu’il percevait comme un employé qui avait d’importants problèmes de rendement.

35        Selon M. Pisapio, il n’accomplissait pas ses fonctions, il avait cessé de communiquer avec ses gestionnaires et il s’isolait. M. Pisapio a déclaré qu’il avait tenté de téléphoner au fonctionnaire le jour en question, mais malgré le fait que Mme Beecher lui avait dit qu’il était à son bureau, il n’avait pas eu de réponse. M. Pisapio a dit qu’il s’inquiétait pour lui et il a décidé de le mettre en congé administratif.

36        M. Pisapio a expliqué qu’une réunion s’est tenue à cette date au bureau de la rue Keele avec le fonctionnaire et sa représentante de l’agent négociateur, Claudia Espinoza. Il a remis au fonctionnaire un avis écrit lui indiquant qu’il était mis en congé administratif et il lui a dit de retourner à son bureau et de prendre ses effets personnels. M. Pisapio a ajouté qu’il a attendu dans le couloir devant la porte du fonctionnaire pendant 30 à 40 minutes et qu’il a frappé deux fois à la porte pour lui demander de quitter l’immeuble.

37        Pendant son interrogatoire principal, à la question de savoir s’il pouvait décrire exactement comment le fonctionnaire avait quitté l’immeuble, M. Pisapio a simplement dit [traduction] « Je ne me rappelle pas. »

38        Dans son contre-interrogatoire, en réponse à la question portant sur les circonstances du départ du fonctionnaire du bureau, M. Pisapio a déclaré qu’il se rappelait avoir ordonné [traduction] « fermement » au fonctionnaire de cesser d’utiliser son ordinateur et de quitter l’immeuble. Il a aussi confirmé que lui-même et M. Townsend ont raccompagné le fonctionnaire à la porte extérieure de l’immeuble à bureaux et qu’ils ont ordonné au personnel de la sécurité de verrouiller les portes derrière lui.

39        On a demandé à M. Pisapio s’il avait ordonné que la photo du fonctionnaire soit affichée au bureau du gardien du commissionnaire à côté de la porte. Il a nié avoir fait cela. L’employeur a appelé plusieurs témoins qui ont tous indiqué dans leur témoignage ne pas avoir vu une photo du fonctionnaire affichée sur le mur près du bureau de la sécurité.

40        Je ne suis pas convaincu par ces déclarations puisque tout ce que ces témoins ont pu indiquer dans leur témoignage était qu’ils n’avaient pas vu la photo affichée sur le mur. Il est possible qu’ils n’aient simplement pas remarqué la photo ou qu’ils n’étaient pas dans cette partie de l’immeuble lorsque la photo était affichée, comme l’a attesté Sheri-Lunn Fraser, une collègue du fonctionnaire.

41        Interrogé sur la façon dont le fonctionnaire est parti, M. Pisapio a reconnu que ce n’était pas [traduction] « nécessairement une pratique normalisée » d’escorter un employé à la porte et de verrouiller la porte derrière cet employé. Il a aussi reconnu que lorsqu’une autre employée, qui a été identifiée, a été licenciée pour des problèmes de rendement, elle n’a pas été escortée à la porte et que les portes n’ont pas été verrouillées derrière elle. Il a également confirmé que sa photo n’avait pas été diffusée à l’intention du personnel et qu’aucun ordre n’avait été donné d’éviter de communiquer avec elle. Il a aussi confirmé que ce n’était pas une pratique normalisée de mettre un employé en congé administratif en raison de problèmes de rendement.

42        Après l’interrogatoire principal du fonctionnaire sur cette question, l’employeur a choisi de ne pas appeler M. Pisapio pour témoigner plus en détail au sujet des allégations. L’employeur a rappelé Mme Beecher et a appelé Sherri Rouselle, une gestionnaire au bureau de la rue Keele au moment de cet incident. Les deux témoins ont déclaré qu’elles n’ont pas vu la photo du fonctionnaire qui aurait été affichée à la vue de tout le monde au bureau de sécurité du commissionnaire près de la porte du bureau de la rue Keele.

43        Le fonctionnaire a appelé Mme Fraser pour témoigner. Elle travaille comme agente de libération conditionnelle au bureau de la rue Keele. Elle a déclaré qu’elle n’avait jamais eu connaissance d’un incident au cours duquel le fonctionnaire aurait eu un comportement violent ou menaçant. Elle a déclaré que le jour où il a été suspendu, elle a reçu un appel de sa part pour lui demander de l’aider à installer une réponse automatisée de courriel d’absence du bureau. Il a dû mettre fin à son appel de façon abrupte.

44        Peu de temps après, le même après-midi, sa gestionnaire, Mme Rouselle, a convoqué une réunion de tous les employés pour les aviser que le fonctionnaire avait été mis en congé, qu’il n’avait pas le droit de revenir au bureau et que, si une personne le voyait au bureau ou près de ce dernier, elle devait appeler la sécurité immédiatement.

45        Le fonctionnaire soutient qu’il a été isolé et traité différemment après sa suspension et que ce traitement différentiel était fondé, du moins en partie, sur sa race et qu’il s’est traduit par le harcèlement dont il a été victime au cours des semaines précédant la suspension.

46        Pour les besoins de la présente audience, l’article 19 de la convention collective intègre essentiellement les interdictions relatives à la discrimination qui figurent dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6). L’alinéa 226(2)a) de la LRTFP permet à la Commission d’interpréter et d’appliquer la loi aux affaires renvoyées à l’arbitrage. L’article 7 de la LCDP précise que constitue un acte discriminatoire le fait de défavoriser un employé en cours d’emploi si cela est fondé sur un motif de distinction illicite, comme la race (par. 3(1)).Selon l’al. 14(1)c) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d’emploi.

47        Afin d’établir qu’un employeur a fait preuve de discrimination, le fonctionnaire doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination, soit une preuve qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier une conclusion en faveur du fonctionnaire en l’absence de réplique de la part de l’employeur (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, aux pages 558 et 559). Un employeur qui doit répondre à une preuve prima facie de discrimination peut éviter une conclusion défavorable en fournissant une explication raisonnable qui démontre que ses agissements n’étaient pas, en fait, discriminatoires ou en invoquant un moyen de défense prévu par la loi qui justifie son acte discriminatoire (A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35 au paragr. 13).

48        Pour qu’une plainte de harcèlement soit fondée, il faut démontrer que l’acte de harcèlement est lié au motif allégué de discrimination, il doit être importun et suffisamment grave pour créer un environnement hostile pour la victime du harcèlement (voir Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées) et Franke [1993] 3 C.F. 653 à 29-50; Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail de la province de Québec Inc. c. Jean Barbe, 2003 TCDP 24).

49        Un fonctionnaire s’estimant lésé n’est pas tenu de démontrer que l’employeur avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son endroit (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, au par. 40). Parfois, en raison d’une partialité subtile et inconsciente, des stéréotypes raciaux peuvent survenir sans qu’il y ait nécessairement d’intention discriminatoire. En ce qui concerne les hommes noirs en particulier, le fonctionnaire a fait valoir qu’on a conclu que de tels stéréotypes peuvent comprendre une appréhension de violence physique. (Voir Bageya v. Dyadem International, 2010 HRTO 1589 aux p. 129 à 131 qui cite Sinclair v. London (City), 2008 HRTO 48).

50        Je conclus selon la preuve indiquée ci-dessus que le fonctionnaire a produit une preuve prima facie de discrimination raciale en ce qui concerne son traitement au moment où il a été suspendu, pour lequel l’employeur n’a fourni aucune explication raisonnable.

51        Ayant observé plusieurs heures de témoignage à cet égard, je dispose d’une preuve claire et convaincante qui appuie ma conclusion selon laquelle le type de partialité et de stéréotype raciaux, mentionné dans Bageya, à l’égard des hommes noirs qui sont violents est l’explication la plus vraisemblable du traitement que l’employeur a fait subir à l’employé au moment de le suspendre.

52        L’employeur n’a pas justifié son comportement lorsqu’il a suspendu le fonctionnaire. Le fonctionnaire a subi une humiliation importante et a vu sa bonne réputation être entachée devant de nombreux collègues au travail en étant traité comme un criminel lorsqu’il a été suspendu de son travail. Bien que l’audition de la présente affaire se soit conclue environ trois ans et demi après les événements, le fonctionnaire était toujours visiblement bouleversé et ébranlé par ces événements lorsqu’il a témoigné devant moi.

53        Le fonctionnaire a fait valoir que les actes de M. Pisapio, qui est intervenu dans le traitement de la plainte pour harcèlement, équivalaient à de la mauvaise foi qui l’ont privé d’un droit procédural de voir sa plainte faire l’objet d’un examen authentique. L’employeur a répondu en invoquant une jurisprudence qui, selon lui, n’appuie pas l’existence d’un tel droit procédural.

54        L’employeur a invoqué Boudreau c. Canada (Procureur général), 2011 CF 868, en ce qui concerne la proposition selon laquelle je n’ai pas compétence en vertu de la Loi pour entendre un grief qui allègue la violation des politiques sur le harcèlement dans le lieu de travail de l’employeur. Boudreau a conclu que de telles allégations de violation de politiques ne relevaient pas de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) et a également conclu que la tentative par le fonctionnaire dans cette affaire de modifier ses allégations de façon à inclure une violation de la convention collective est contraire au principe largement suivi dans la décision Burchill de la Cour d’appel fédérale (Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.)) qui interdit un tel changement à l’essence même d’un grief lors de son renvoi à l’arbitrage.

55        Même si je suis d’avis que l’intervention de M. Pisapio pour empêcher tout examen significatif de la plainte du fonctionnaire démontre un jugement très médiocre de la part d’un fonctionnaire supérieur, ce n’est tout simplement pas un grief pour lequel je suis prêt à reconnaître qu’il y a eu violation de l’article 19 pour ce qui correspondrait essentiellement à des motifs procéduraux. Le fonctionnaire a présenté une cause raisonnable pour la mauvaise foi qu’il a invoquée; toutefois, je ne dispose pas d’une preuve suffisante pour établir un lien entre le comportement reproché à M. Pisapio et le fait que le fonctionnaire est un homme noir. L’autre lacune importante dans le grief pour harcèlement est le fait que le fonctionnaire ne savait même pas au moment où cela s’est produit que M. Pisapio intervenait dans ce qui aurait par ailleurs été l’examen de sa plainte. Le lien entre l’acte contesté et la race du fonctionnaire ainsi que celui entre la connaissance par le fonctionnaire du geste et le fait qu’il a subi du harcèlement en raison de ces actes sont habituellement nécessaires pour accueillir une plainte pour harcèlement selon la jurisprudence portant sur les droits de la personne mentionnée ci-dessus.

56        L’autre incident qui a été déposé devant moi en preuve est le commentaire malavisé et très malheureux de M. Pisapio qui a dit au fonctionnaire qu’il n’aimait pas que ce dernier utilise le mot [traduction] « harcèlement » lorsqu’il fallait discuter du travail de l’équipe de direction. Bien que cela atteste encore une fois d’un jugement très médiocre de la part d’un fonctionnaire supérieur, je ne dispose d’aucune preuve indiquant que ce commentaire est lié à un motif de distinction illicite en vertu de l’article 19 et je ne suis pas disposé à supposer un tel lien étant donné l’absence d’éléments de preuve.

57        Enfin, bien que ce commentaire puisse raisonnablement être perçu comme intimidant et probablement même menaçant, je ne suis pas d’avis que, pris isolément, il est suffisamment grave pour justifier la conclusion selon laquelle l’article 19 a été violé. La jurisprudence portant sur les droits de la personne susmentionnée donne un élément qualitatif et quantitatif pour mesurer l’étendue et la gravité du comportement de harcèlement et qui est pertinent afin d’établir si l’on perçoit que le comportement reproché appuie une plainte pour harcèlement.

58        Toutefois, je dispose d’une preuve amplement suffisante pour me permettre de conclure à l’existence de discrimination raciale et de violation de l’article 19 selon les événements qui sont survenus le jour où le fonctionnaire a été mis en congé administratif.

59        M. Pisapio a indiqué dans son témoignage qu’il ne se rappelait pas les détails de la façon dont il a traité le fonctionnaire lorsqu’il l’a suspendu. Après s’être fait rappeler certains des détails répréhensibles en contre-interrogatoire, M. Pisapio n’a fourni aucune justification pour ses agissements. Toutefois, il a confirmé que le traitement du fonctionnaire lorsqu’il a été suspendu n’était pas une pratique normalisée.

60        Selon moi, les interventions de M. Pisapio représentent un stéréotype racial à l’égard des hommes noirs, comme l’a indiqué Bageya.

61        La façon dont le fonctionnaire a été suspendu ne peut être expliquée que par le fait qu’une personne était considérée comme une menace physique pour la sécurité du bureau. Ainsi, la preuve fait ressortir des éléments clairs et convaincants indiquant que le fonctionnaire a été traité comme une personne ayant fait l’objet de stéréotypes raciaux, comme cela a été noté dans la jurisprudence susmentionnée.

62        Pour ces motifs, je rejette le grief pour harcèlement et je fais droit au grief pour discrimination.

B. Licenciement

63         Était-il raisonnable que l’administrateur général estime le rendement du fonctionnaire insuffisant? Ou encore, les agissements de l’employeur examinés pendant l’audience démontraient-ils une mauvaise foi à son égard, viciant ainsi ce qui aurait pu par ailleurs être des motifs valides de licenciement?

64        Le fonctionnaire a été licencié pour la mauvaise exécution de ses fonctions d’emploi. Il a contesté son licenciement en vertu de l’al. 209(1)c) de la Loi, qui mentionne des licenciements pour des raisons autres que des motifs disciplinaires. Le fonctionnaire a signifié l’avis requis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) de son licenciement, invoquant une discrimination à cet égard, et les deux autres griefs concernant la LCDP.

65        L’employeur a soulevé les deux renvois faits par l’avocat du fonctionnaire dans son exposé introductif, l’un au sujet de [traduction] « représailles » dans le cadre du grief pour harcèlement et l’autre au sujet d’une [traduction] « mesure disciplinaire déguisée », dans le grief pour licenciement. L’employeur a fait remarquer à juste titre le fait que les deux allégations ne sont pas visées par le grief prévu par l’al. 209(1)c) de la Loi dont je suis saisi. L’employeur a également déclaré qu’il s’opposerait à tout argument dans le cadre du grief pour licenciement et a fait valoir que la décision de la Cour d’appel fédérale dans Burchill les empêche car aucune nouvelle allégation ne peut être déposée à l’arbitrage. Il a également soutenu que je dois envisager le grief pour licenciement isolément et que je ne dois pas examiner les décisions contestées de la direction dans le cadre des événements qui font l’objet des deux autres griefs. L’employeur a fait valoir que le règlement empêchait le fonctionnaire d’invoquer les mêmes événements pour prouver le grief pour licenciement.

66        L’employeur a fait remarquer que l’art. 230 de la Loi m’oblige à déterminer s’il était raisonnable que l’administrateur général estime le rendement du fonctionnaire insuffisant, compte tenu de la preuve à ce moment. Cette disposition est ainsi rédigée :

art. 230 Saisi d’un grief individuel portant sur le licenciement ou la rétrogradation pour rendement insuffisant d’un fonctionnaire de l’administration publique centrale ou d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe 209(3), l’arbitre de grief ou la Commission, selon le cas, doit décider que le licenciement ou la rétrogradation étaient motivés s’il conclut qu’il était raisonnable que l’administrateur général estime le rendement du fonctionnaire insuffisant.

[Je souligne]

67        Le fonctionnaire a répondu que les détails des affaires de harcèlement et de discrimination alléguées devraient orienter mon examen de la décision de l’employeur de le licencier, décision qui était selon lui entachée de mauvaise foi.

68        Le règlement contient une clause de confidentialité. Elle précise au paragraphe 2 que les modalités du règlement doivent demeurer confidentielles et qu’elles ne doivent être divulguées à personne, à l’exception des personnes qui doivent mettre en œuvre l’entente, comme l’exige la loi. Étant donné mon rôle dans l’arbitrage des griefs et le fait que l’employeur invoque le règlement dans son argumentation devant moi, je considère que la loi m’oblige à mettre en œuvre le règlement et m’impose l’obligation corollaire de l’indiquer dans la présente décision.

69        Comme je l’ai indiqué ci-dessus, le règlement limite à des dates précises la chronologie des deux griefs, ce que j’ai déjà abordé. Les clauses 4 et 5 précisent, respectivement, que les parties acceptent le fait que les griefs portant les numéros de dossier 566-02-9508 et 9509 sur les sujets du harcèlement et de la discrimination respectivement seront limités aux dates du 15 novembre 2012 au 20 décembre 2012. La clause 6 du règlement précise ensuite que ces mêmes deux griefs [traduction] « ne doivent pas être examinés ou renvoyés comme griefs continus et que leur portée ne doit pas être prolongée au-delà du 20 décembre 2012 ».

70        L’employeur s’est opposé à ce que le fonctionnaire ait fait référence à une discrimination déguisée dans l’audition du grief pour licenciement. L’employeur a déclaré que le règlement établit des limites strictes qui empêchent l’examen d’allégations de harcèlement et de discrimination fondée sur la race dans le cadre du grief pour licenciement.

71        L’avocat du fonctionnaire s’est opposé à l’interprétation par l’employeur du règlement et a plutôt soutenu que les clauses mentionnées précédemment n’empêchaient pas le fonctionnaire d’invoquer les exemples allégués de mauvaise foi de la part de la direction de l’employeur, qui selon lui étaient pertinents pour mon examen du caractère raisonnable de la décision de mettre fin à l’emploi en vertu de l’art. 230 la Loi.

72        Si je devais accepter l’argument de l’employeur quant à son interprétation du règlement, cela priverait effectivement le fonctionnaire d’un élément de preuve permettant de faire valoir son grief pour licenciement. S’il s’agissait en fait de l’intention mutuelle des parties, ce dont je doute fortement, l’entente aurait dû être rédigée beaucoup plus clairement pour mentionner directement le grief pour licenciement. Je n’en déduis donc pas une telle signification.

73        Je rejette également les objections de l’employeur fondées sur Burchill puisque je crois qu’il existe une preuve suffisante indiquant qu’il était au courant de l’allégation de discrimination raciale du fonctionnaire et du fait qu’elle découle du licenciement, en fonction de la mauvaise foi de l’employeur quant à la façon dont il a traité le fonctionnaire. Cette allégation fait régulièrement partie du grief en vertu de l’al. 209(1)c) de la Loi dont je suis saisi dans le cadre de la présente décision. (Voir Nadeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)), 2014 CRTFP 82, confirmée par 2015 CF 1287.)

74        Plusieurs heures de témoignage à l’audience portaient sur une série d’événements qui, selon l’employeur, indiquaient l’existence de graves problèmes sur le lieu de travail en ce qui concerne le fonctionnaire. Le fonctionnaire a répondu par un témoignage qui avait pour but d’expliquer que chaque mésaventure était un malentendu ou un manque de communication sincère. Le fonctionnaire a fait ressortir méticuleusement toute incohérence ou exagération dans le témoignage de ses superviseures qui ont réagi à l’occasion de façon non respectueuse, selon lui, et ce qui constituait un comportement de harcèlement. Selon lui, ces réactions démontraient une méfiance et, au bout du compte, une mauvaise foi qui ont entaché les opinions et les agissements de la direction à son endroit et, selon ses termes, qui a réduit à néant ses chances de bien accomplir son travail.

75        Les témoignages portaient sur des événements, y compris le congé annuel que le fonctionnaire a pris peu de temps après avoir commencé à travailler et le fait qu’il a été absent trois jours plus longtemps que ce qu’avait prévu son gestionnaire. Le fonctionnaire devait enregistrer et présenter plusieurs bandes vidéo de ses cours sur le programme, mais les bandes ont été égarées ou encore l’enregistrement a cessé pour une raison inexpliquée pendant plusieurs cours. Le fonctionnaire ne faisait pas toujours preuve de ponctualité sur le lieu de travail à des moments qui ont été clairement établis par l’employeur. Ses problèmes d’assiduité ont été exacerbés par le fait que son gestionnaire commençait à travailler tôt le matin, alors que le fonctionnaire commençait régulièrement le travail l’après-midi puisque ses cours se déroulaient en soirée. Les heures normales de travail pour une personne qui avait des cours en soirée étaient de 13 h à 21 h. Le fonctionnaire a déclaré qu’à une occasion, il a commencé à travailler en milieu d’après-midi et qu’il a travaillé jusqu’au milieu de la nuit. Son gestionnaire s’est opposé à des heures aussi tardives, déclarant qu’aucun employé ne devrait se trouver sur le lieu de travail aussi tard en soirée pour des raisons de sécurité.

76        Au début des fonctions du fonctionnaire, il a rédigé un rapport sur les devoirs d’un délinquant. Sa superviseure a trouvé de nombreuses lacunes et lui a demandé de l’écrire de nouveau de façon à ce qu’il respecte les normes nationales clairement établies relatives aux rapports qui lui avaient été communiquées. Le fonctionnaire a soumis une nouvelle version qui était presque parfaite, ce qui a amené sa gestionnaire à se demander si quelqu’un d’autre l’avait réécrite pour lui. Le fonctionnaire a déclaré que la différence marquée dans la qualité des deux versions s’explique parce qu’il avait utilisé le mauvais modèle pour la première version. Le fonctionnaire a fait remarquer que sa superviseure ne lui a pas mentionné ses préoccupations à cet égard immédiatement, qu’il n’en a entendu parler que pendant son évaluation du rendement des mois plus tard.

77        Les commentaires de gestionnaires régionaux d’examen de qualité ont plus tard soulevé plusieurs lacunes dans d’autres rapports écrits par le fonctionnaire. En contre-interrogatoire, à la question de savoir comment il se faisait que son premier rapport et ses derniers rapports ont été rédigés de façon médiocre mais que celui qui a été réécrit (susmentionné) était parfait, le fonctionnaire a expliqué que [traduction] « le climat au travail a changé » et que cela a eu une incidence négative sur sa capacité à bien accomplir ses fonctions.

78        Étant donné le mauvais rendement du fonctionnaire dans l’exécution de ses programmes selon le témoignage de ses gestionnaires, l’employeur a fait plusieurs tentatives pour lui fournir une formation supplémentaire. À plus d’une occasion, il a manqué la formation parce qu’il s’était blessé ou qu’il était malade. Ironiquement, à une occasion, il a suivi une formation supplémentaire à Kingston, mais le cours a été reporté. Le fonctionnaire s’est rendu en voiture à Kingston dans un véhicule de l’employeur et il a plus tard soutenu ne pas avoir reçu les nombreux messages que son gestionnaire lui a laissés avant son départ pour lui dire de ne pas faire le voyage.

79        Enfin, le fonctionnaire a demandé une prime de poste à l’avance, ce qui selon lui était une pratique commune dans son lieu de travail, puis il est tombé malade et a manqué le travail qui lui aurait accordé ce droit. Malheureusement, il n’a pas corrigé sa demande erronée à son retour au travail.

80        Considérées ensemble, ces mésaventures indiquent que le fonctionnaire a eu pendant extrêmement longtemps des malchances et malentendus ou qu’il a eu des problèmes qui ont nui à sa capacité à accomplir ses fonctions et qui ont commencé à provoquer des frictions dans ses rapports avec la direction.

81        Ses superviseures ont témoigné quant aux difficultés fréquentes qu’elles ont eues à communiquer avec le fonctionnaire par téléphone ou par courriel. J’ai entendu un témoignage selon lequel à un certain moment sa superviseure a remarqué qu’il y avait des centaines de courriels non lus dans son ordinateur. Cela est devenu tellement difficile que sa superviseure a créé une règle selon laquelle dans des circonstances normales il devait répondre aux courriels de la direction dans un délai d’un jour ouvrable. Selon le fonctionnaire, les périodes pendant lesquelles ses gestionnaires soutiennent avoir complètement perdu le contact avec lui étaient lorsqu’il était en congé annuel ou en congé de maladie après avoir été blessé dans un accident de voiture.

82        La preuve au sujet de son assiduité indique que les préoccupations de la direction sont survenues tôt, mais que ses évaluations de rendement indiquent également une amélioration un certain moment. Pendant presque toute la période en question, les superviseures du fonctionnaire l’ont assujetti à un plan informel de gestion de l’assiduité dans le cadre duquel il devait leur signaler par courriel son arrivée au travail et son départ à la fin de la journée. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que son assiduité s’était améliorée, mais qu’on ne lui a pas permis de se libérer de ce qu’il percevait comme une gestion acharnée et humiliante de son assiduité.

83        À mon avis, la preuve non contredite que j’ai entendue selon laquelle l’exécution par le fonctionnaire de programmes pour aider les délinquants criminels à réintégrer la collectivité et à éviter de récidiver ne respectait pas les normes nationales établies est beaucoup plus importante. Un exemple troublant était le fait que le programme national de traitement de la toxicomanie qui devait être offert en 12 séances sur 3 mois accusait un retard de plusieurs semaines. Le fonctionnaire a expliqué à sa superviseure que certains délinquants suivaient des séances de remplacement qu’ils avaient manquées auparavant. Le fonctionnaire a déclaré que sa superviseure lui avait dit qu’il [traduction] « poussait les délinquants » trop rapidement et que d’autres éléments de preuve appuyaient son affirmation selon laquelle elle lui a dit de [traduction] « permettre aux délinquants d’apprendre à leur propre rythme ».

84        D’après le témoignage de l’employeur, même en acceptant la prétention du fonctionnaire selon laquelle on lui a dit de laisser les délinquants apprendre à leur propre rythme, il contrevenait quand même aux normes et aux pratiques nationales requises pour gérer les délinquants qui avaient manqué une séance. L’horaire régulier ne devait pas être chamboulé puisqu’un tel délinquant devait reprendre une séance à un autre moment et que ces incidents devaient être documentés. Le fonctionnaire ne tenait pas ce type de document dans le cadre de son programme. Ses gestionnaires ont également découvert qu’une partie de ses séances de programme avait été annulée sans qu’ils en aient été avisés comme il devait le faire et sans leur fournir de justification ou de documents appropriés.

85        À l’hiver 2012, le fonctionnaire devait offrir un programme communautaire de maintien des acquis. La direction a continué d’observer les problèmes liés à son travail et a demandé l’aide du personnel régional de contrôle de la qualité pour intervenir et lui offrir une formation de rattrapage et une aide. Selon les témoignages non contredits que j’ai entendus, plusieurs tentatives ont été faites pour organiser des réunions et des visites de séance de programme afin d’observer son travail. Toutefois, plusieurs de ces réunions ont été manquées parce que le fonctionnaire s’est absenté du travail.

86        Peu de temps par la suite, on a dit au fonctionnaire de concentrer son travail uniquement sur les tâches d’EQ régional qui lui avaient été attribuées. Un élément important de cet effort était la transmission de bandes vidéo contenant les enregistrements de ses séances en classe qui étaient obligatoires selon les normes de programme national aux fins de l’assurance de la qualité et de la formation. J’ai appris à l’audience que peu de temps après avoir reçu la demande de produire ces bandes vidéo, le fonctionnaire a fait parvenir un courriel à sa superviseure pour lui dire qu’il s’absenterait du travail parce qu’il était malade. Après une absence du travail de deux mois, le fonctionnaire est revenu mais il n’a pu localiser les bandes vidéo qu’il disait avoir entreposées dans un classeur de son bureau de Hamilton.

87        Le fonctionnaire est revenu au travail et a alors été considéré comme une priorité élevée par les gestionnaires régionaux de l’EQ. Des réunions se sont tenues et la rétroaction de ses superviseures indiquait que peu était accompli grâce à ces réunions régionales puisque la rétroaction du fonctionnaire sur son travail en classe était [traduction] « compliquée et tournait en rond ».

88        Au printemps 2012, l’employeur a commencé à élaborer des plans de travail détaillés pour le fonctionnaire afin de lui offrir une formation de rattrapage quant à la prestation de son cours et à la rédaction de rapports. Une aide lui a été offerte afin de s’assurer qu’il comprenne les attentes, de veiller à ce qu’il ait les outils nécessaires pour obtenir le succès et de lui offrir toutes les semaines, si ce n’est en tout temps, une supervision quotidienne et une rétroaction pour suivre les progrès et indiquer et régler les difficultés continues. Mme Beecher a décrit l’effort maintenant entrepris par les gestionnaires régionaux de l’EQ comme une [traduction] « quantité anormalement élevée extraordinaire de travail » pour l’aider.

89        La preuve montre également qu’à ce moment-là le fonctionnaire avait demandé d’ajouter un représentant syndical à toutes les réunions afin d’établir et d’examiner les progrès réalisés dans le cadre des plans de travail du fonctionnaire et l’employeur avait fait tous les efforts raisonnables à cet égard. Malheureusement, la preuve montre également que le représentant syndical du fonctionnaire n’était pas disponible pendant une période, parce qu’il ne répondait pas aux courriels ou qu’il prévoyait les réunions mais les annulait. Au bout du compte, un autre représentant syndical s’est occupé du dossier du fonctionnaire et a été utile parce qu’il assistait aux réunions avec l’employeur et répondait aux communications écrites.

90        À l’aide d’un nouveau plan de travail ayant été examiné et accepté par le fonctionnaire et son représentant syndical, le fonctionnaire a commencé à offrir un cours de recyclage sur le programme national de traitement de la toxicomanie. Une rétroaction positive a été notée quant à la prestation par le fonctionnaire des séances, mais des problèmes ont également été documentés par rapport au fait que les normes nationales n’étaient pas suivies puisque les rapports requis qui auraient dû être soumis par le fonctionnaire avant le cours ne l’avaient pas été.

91        En mai 2012, une évaluation de rendement a indiqué une certaine amélioration dans l’assiduité du fonctionnaire et ses communications ses supérieurs, occasion qu’a saisie sa superviseure pour réduire le fardeau des réunions hebdomadaires. Cependant, la superviseure du fonctionnaire a déclaré que son travail a immédiatement souffert de la réduction de la fréquence de la supervision.

92        La preuve indique qu’à l’été 2012, les programmes du fonctionnaire ne se déroulaient pas selon les prévisions pour respecter les normes nationales établies. À l’automne suivant, cela faisait deux ans que le fonctionnaire avait commencé son emploi dans la prestation de programmes auprès des délinquants et sa superviseure, Mme Beecher, a comparé son rendement à celui d’autres employés ayant la même expérience en disant qu’on lui assignait considérablement moins de travail et que ses résultats étaient sous la moyenne.

93        En novembre 2012, le bureau régional de l’EQ a présenté un rapport sur les résultats obtenus par le fonctionnaire dans la prestation d’un cours national de traitement de la toxicomanie et a conclu qu’il n’avait pas les compétences voulues pour continuer à offrir ce programme. Cela a donné lieu à une rencontre le 16 novembre avec Mme Beecher. Cette dernière a indiqué dans son témoignage qu’à la rencontre, elle a dit au fonctionnaire qu’il offrirait le programme communautaire de maintien des acquis et qu’elle souhaitait s’assurer qu’il avait un plan d’action pour veiller à ce que les besoins de soutien et de formation qu’il pouvait avoir pour obtenir le succès soient satisfaits. Elle a indiqué dans son témoignage que le fonctionnaire n’avait jamais fourni de réponse écrite au sujet de ce dont il avait besoin pour accomplir ses fonctions. Elle a déclaré qu’au cours de la discussion qui a suivi, le fonctionnaire lui avait dit qu’il ne pouvait respecter les exigences des réponses en une journée aux courriels de travail. Il a suggéré qu’on lui accorde trois jours pour répondre. Elle a également déclaré qu’il avait admis ne pas pouvoir respecter les normes nationales pour la prestation de programmes, mais il n’avait pu expliquer pourquoi ou ce dont il avait besoin pour y parvenir.

94        Mme Beecher a déclaré qu’elle avait vu l’admission du fonctionnaire selon laquelle il ne pouvait respecter les normes nationales de programme comme un aveu dont il assumait la responsabilité, mais qu’elle se sentait coincée parce qu’elle ne savait pas ce dont il avait besoin pour faire des progrès.

95        Ses gestionnaires ont déclaré qu’à plusieurs occasions, ils ont demandé au fonctionnaire si quelque chose lui causait des problèmes dans son travail et, sans lui demander de divulguer de renseignements personnels, ils lui ont rappelé qu’il avait accès au programme d’aide aux employés si c’était le cas.

96        En réponse aux nombreuses déclarations de l’employeur quant au mauvais rendement du fonctionnaire, son avocat a cherché à obtenir en contre-interrogeant son gestionnaire la preuve qu’ils n’avaient pas abordé les problèmes préoccupants avec lui assez rapidement. Il a suggéré que la direction ne l’appuyait pas et qu’en réalité elle s’est fait une mauvaise opinion de lui dès le départ et qu’elle ne lui a jamais donné la chance de réussir. Plusieurs exemples ont été donnés de la façon dont leurs conclusions quant à son rendement ont été tirées des évaluations de rendement ou des notes de service à la haute direction qui contenaient des généralisations abusives et des commentaires injustes sur son mauvais rendement. Un exemple de cela était les bandes vidéo manquantes du fonctionnaire de son travail en classe avec les délinquants. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il n’avait pas eu un bon bureau à Hamilton et qu’en conséquence il n’avait qu’un classeur partagé où d’autres personnes pouvaient avoir pris par erreur ses bandes vidéo là où il les avait laissées. Le fonctionnaire a également fait ressortir du contre-interrogatoire des superviseures le fait qu’elles avaient formulé des déclarations de jugement qui semblaient contraires aux lignes directrices établies du Conseil du Trésor sur les examens d’évaluation du rendement et le mentorat appropriés.

97        Le fonctionnaire a soulevé à juste titre certains cas où sa supérieure immédiate et les gestionnaires régionaux de l’EQ lui ont donné une rétroaction positive en ce qui concerne ses efforts améliorés à donner ses cours et à rédiger les rapports sur les délinquants.

98        Je conclus que la preuve découlant des dossiers d’EQ du fonctionnaire est plus fiable en ce qui concerne son rendement au travail. Si je devais accepter chaque prétention par le fonctionnaire de lacunes et de partialité alléguée des observations et opinions exprimées par ses superviseures et leurs gestionnaires supérieurs, il me resterait quand même la preuve non contredite et convaincante provenant des documents de l’EQ. La preuve établit clairement que les gestionnaires régionaux d’examen de qualité n’avaient pas à assumer le défi quotidien de [traduction] « gérer » les employés et leurs problèmes. La preuve démontre que les employés de l’EQ investissaient véritablement leur temps et leur énergie pour aider le fonctionnaire à améliorer ses compétences pour réussir. Le fonctionnaire a lui-même indiqué dans son témoignage qu’il avait un bon rapport avec Denise West du bureau régional de l’EQ.

99        Lorsqu’il s’est penché sur les facteurs pour mettre fin à son emploi, M. Pisapio a mis l’accent sur le fait qu’il a eu de [traduction] « nombreuses discussions » avec son équipe de direction au sujet des problèmes du fonctionnaire au travail et en particulier son incapacité à apporter les améliorations nécessaires indiquées dans l’EQ afin de s’assurer que sa prestation du programme respectait les normes nationales. Il a noté que Mme West a recommandé que le fonctionnaire ne soit plus autorisé à offrir son programme national de traitement de la toxicomanie. Ses recommandations suivaient un effort intensif de sa part, qui a été documenté en détail à l’audience, pour aider le fonctionnaire à améliorer ses compétences et pour découvrir et corriger tout problème qu’il pouvait avoir dans la prestation de son programme.

100        M. Pisapio a mentionné un rapport d’EQ très détaillé de sept pages portant sur le rendement du fonctionnaire en ce qui concerne la prestation de son deuxième cours (qui a pris fin le 24 octobre 2012) du programme national de traitement de la toxicomanie. Dans son rapport, Mme West conclut ce qui suit :

[Traduction]

  • Aucune des compétences essentielles requises d’un facilitateur pour la prestation d’un programme correctionnel n’était respectée.
  • Il y a d’importantes préoccupations quant à sa capacité à offrir le programme conformément au manuel du programme ou à la formation. Les exercices ont été éliminés et la pratique des compétences était grandement limitée dans les bandes vidéo visionnées. Les possibilités d’examiner la réflexion problématique n’ont pas été explorées à mesure qu’elles se présentaient.
  • Tre était incapable de maintenir les gains indiqués dans les segments de séance d’une leçon à une autre. Sa réponse limitée à la rétroaction sur les séances a restreint la possibilité de régler les problèmes indiqués.
  • Des parties importantes des documents du programme n’ont pas été observées sur la bande vidéo malgré des demandes fréquentes pour que les séances de remplacement soient enregistrées et soumises pour examen. Même si certaines compétences étaient bien couvertes, son examen d’autres compétences démontrait un manque de compréhension du concept. On ne connaît donc pas son degré de compréhension du contenu du programme.
  • Son analyse initiale des progrès des participants était trop générale et vague et elle ne concordait pas aux bandes vidéo visionnées ou n’était pas appuyée par ces dernières. Elle n’aidait pas les décideurs ou les participants à établir les besoins essentiels.

101        M. Pisapio a continué en expliquant que le fonctionnaire s’était vu offrir plusieurs possibilités de formation, un soutien, une orientation, des évaluations du rendement écrites et des plans d’action pour améliorer son rendement et que des discussions avaient eu lieu avec lui quant à d’autres postes éventuels auprès de l’employeur.

102        Interrogé au sujet de sa décision de suspendre le fonctionnaire, M. Pisapio a déclaré qu’il [traduction] « s’inquiétait » pour le fonctionnaire et qu’il avait tenu compte des questions suivantes :

  • on avait demandé au fonctionnaire d’être réaffecté à des tâches administratives, ce qu’il avait refusé;
  • il ne produisait pas de travail;
  • il n’accomplissait pas de tâches simples;
  • il s’isolait dans son bureau;
  • il ne répondait pas aux appels de M. Pisapio ou à ceux de ses superviseures;
  • il s’assoyait à son bureau mais ne répondait pas à son téléphone.

103        Les parties ont abordé le grief de façons complètement différentes. Le fonctionnaire a témoigné au sujet d’une certaine rétroaction positive qu’il a reçue de ses gestionnaires quant au fait que son travail s’améliorait, mais il s’est principalement concentré à expliquer que ses nombreux problèmes au travail étaient dus au fait qu’il n’obtenait pas un soutien approprié ou une chance de succès.

104        Le fonctionnaire a soulevé le témoignage de sa gestionnaire qu’il rencontrait afin de discuter d’un plan d’action pour qu’il améliore son travail une semaine avant de déposer sa plainte pour harcèlement. Le fonctionnaire a ensuite noté les interventions de M. Pisapio immédiatement après cela dans le but d’interrompre toute enquête sur sa plainte pour harcèlement et pendant quelques semaines pour le suspendre comme preuve de la mauvaise foi de l’employeur à son égard.

105        Le fonctionnaire a invoqué la décision dans Raymond c. Conseil du Trésor, 2010 CRTFP 23, au par. 131, qui conclut qu’au moment d’examiner si un employeur a agi de façon raisonnable dans sa décision de licencier un employé, l’un des facteurs à prendre en considération est celui de savoir si l’administrateur général ou les superviseurs qui ont apprécié le rendement du fonctionnaire se sont livrés à un exercice empreint de mauvaise foi. Si c’est le cas, alors l’employeur n’a pas agi de façon raisonnable. Le fonctionnaire a fait valoir que ses autres allégations, qui sont selon moi confirmées en ce qui concerne la discrimination raciale, démontrent que l’état d’esprit du décideur délégué a été influencé par sa mauvaise foi à l’égard du fonctionnaire.

106        L’employeur m’a renvoyé à la décision de l’arbitre de grief Bertrand dans Reddy c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2012 CRTFP 94 aux paragraphes 89 et 90, qui cite Plamondon c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2011 CRTFP 90. Selon ces cas, une évaluation du rendement d’un employé qui a été faite de mauvaise foi ne saurait être qualifiée de raisonnable dans le cadre d’un examen fait en vertu de l’art. 230 de la Loi. Il a également cité Reddy comme autorité pour la proposition selon laquelle l’art. 230 m’oblige à examiner le caractère raisonnable de la décision de l’employeur de licencier quelqu’un plutôt que de me forger ma propre opinion indépendante.

107        Dans ses conclusions finales, l’avocat du fonctionnaire a déclaré que, si j’utilise l’art. 230 de la Loi pour accepter les agissements de l’employeur, cela donnerait la permission aux autres de faire de la discrimination. Bien qu’il s’agisse d’un argument qui touche au plan émotif, il ne s’appuie pas sur le droit étant donné les faits dont je suis saisi.

108        Le législateur m’oblige à l’art. 230 à examiner la question de savoir s’il était raisonnable que l’employeur estime le rendement du fonctionnaire insuffisant. Je constate que de nombreux fonctionnaires éprouvent des sentiments négatifs dans leur relation avec les superviseurs qui sont aux prises jour après jour avec les difficultés vécues par leur personnel qui sentent la pression de respecter les normes de rendement. Selon moi, l’art. 230 est une reconnaissance par le législateur de ces difficultés et même du ressentiment qui peuvent survenir, mais cette évaluation du rendement doit être examinée séparément et selon son bien-fondé.

109        La mauvaise foi, s’il est prouvé qu’elle a entaché l’évaluation du rendement, peut mener à une conclusion de caractère déraisonnable en vertu de l’art. 230. J’accepte le fait que, pour un fonctionnaire qui a vécu des expériences difficiles avec un gestionnaire, cette distinction peut être difficile, voire impossible, pour lui.

110        La preuve claire et convaincante dont je suis saisi démontre qu’il était raisonnable que l’employeur estime le rendement du fonctionnaire insuffisant compte tenu de l’évaluation détaillée de l’EQ que j’ai mentionnée ci-dessus. Il est important de noter que ce travail relatif à l’EQ a été mené par des personnes à l’égard desquelles aucune allégation de mauvaise foi n’a été faite ou prouvée dans le cadre de mon examen de la preuve.

111        Bien que l’allégation de partialité raciale dans la décision de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire ait été soulevée dans son exposé introductif, il n’a pas donné suite à cette question de façon significative dans ses conclusions finales. Toutefois, je conclus que rien dans la preuve n’indiquait que la race du fonctionnaire a constitué un facteur quelconque dans l’évaluation par l’employeur de son rendement insuffisant.

112        Je conclus donc que le grief pour licenciement n’a pas été prouvé.

113        Dans ses conclusions finales, l’avocat du fonctionnaire a demandé que, si je faisais droit à l’un des griefs, je n’ordonne pas un redressement. Selon cet argument, je n’ordonnerai pas un redressement pour le grief auquel j’ai fait droit.

VI. Ordonnance

115        Le grief pour discrimination est accueilli.

116        Les griefs pour harcèlement et licenciement sont rejetés.

117        J’ordonne aux parties de discuter des détails du redressement.

118        Au plus tard dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, les parties informeront la Commission si elles sont parvenues à une entente sur la question du redressement, comme il est indiqué ci-dessus.

119        Je demeurerai saisi de l’affaire en vue de trancher toute question découlant de la présente ordonnance pour une période de 120 jours à compter de l’émission de la présente décision.

Le 30 mai 2017.

Traduction de la CRTEFP

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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