Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté une plainte de pratique déloyale de travail dans laquelle il a allégué que le défendeur avait contrevenu à son devoir de représentation équitable en refusant de renvoyer son grief à la Commission et qu’il avait refusé de l’informer de son droit de renvoyer ce grief à l’arbitrage – le défendeur s’est opposé à la compétence de la Commission au motif que le plaignant avait présenté sa plainte bien en dehors du délai de 90 jours prescrit par la loi – la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre le bien fondé de la plainte au motif que la preuve a établi que la plainte avait été présentée hors délai.Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170721
  • Dossier:  561-34-597
  • Référence:  2017 CRTESPF 12

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

MOHAMMED RIMFA TIBILLA

plaignant

et

Syndicat des employé(e)s de l’impôt - ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeurdéfendeurdéfendeur

Répertorié
Tibilla c. Syndicat des employé(e)s de l’impôt - Alliance de la Fonction publique du Canada


Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral


Devant:
David Olsen, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant:
Lui-même
Pour le défendeur:
Christopher Schulz, Alliance de la Fonction publique du Canada
Affaire entendue à Montréal (Québec),
les 29 et 30 novembre 2016.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

A. Contexte

1        Le 29 novembre 2012, Mohammed Rimfa Tibilla (le « plaignant ») a déposé une plainte auprès de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C., ch. 22, art. 2; la « Loi »), alléguant que le Syndicat des employé(e)s de l’impôt (le « SEI »), un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le « défendeur »), a commis une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la Loi. En particulier, il a allégué que le défendeur avait refusé de renvoyer à la CRTFP un grief qu’il avait déposé, et qu’il avait refusé de l’informer de ses droits de renvoyer ce grief à l’arbitrage. Il a indiqué avoir pris connaissance de l’action, de l’omission ou de la situation ayant donné lieu à la plainte le 23 septembre 2012.

2        Dans la section du formulaire de plainte qui porte sur les mesures prises pour résoudre le litige, le plaignant a mentionné qu’il avait présenté un cas devant la Cour fédérale et une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

3        À titre de mesure corrective, le plaignant a demandé à la CRTFP d’enquêter sur cette question et d’annuler la décision finale du défendeur.

4        Le plaignant a aussi prétendu que les allégations relatives à la violation de l’équité procédurale et à la falsification d’une évaluation, ainsi que les allégations de discrimination et de mauvaise foi avaient été omises délibérément du formulaire de grief.

5        Le 13 décembre 2012, la CRTFP a écrit au plaignant afin d’accuser réception de sa plainte. Elle lui a souligné que le grief auquel il faisait référence dans la plainte semblait être daté de juin 2009 et porter sur son évaluation du rendement.

6        La CRTFP a mentionné que, conformément à l’article 190 de la Loi, une plainte doit être déposée dans les 90 jours civils qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu. Elle a précisé qu’aucune disposition de la Loi ne prévoyait la prolongation de ce délai. Elle a tenté d’obtenir des précisions auprès du plaignant à savoir en quoi la date du 23 septembre 2012 correspondait au moment où il avait eu connaissance de l’omission alléguée de le représenter équitablement.

7        Le 17 décembre 2012, le plaignant a répondu à la lettre de la CRTFP. Il a indiqué en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

2] En juin 2010, j’ai reçu une réponse négative de l’Agence du revenu du Canada, datée du 9 juin 2010, à l’égard de mon grief.

3] Le 29 juin 2010, j’ai demandé au syndicat de renvoyer le grief à la CRTFP ou à la Cour fédérale pour un arbitrage indépendant. À ce jour, le syndicat n’a pas répondu à ma demande et, en outre, ne m’a fourni aucune information sur les options juridiques qui s’offrent à moi.

4] En l’absence de réponse du syndicat, j’ai présenté une demande devant la Cour fédérale afin qu’elle se penche sur le grief. La Cour fédérale a refusé ma demande.

5] Jusqu’à maintenant, le syndicat n’a toujours pas répondu à mes demandes, alors j’ai décidé de porter plainte contre lui afin de l’inciter à réagir – en répondant à mes demandes de renvoi de l’affaire devant la CRTFP.

6] Par conséquent, le 21 août 2012, j’ai porté plainte contre le syndicat, ce qui l’a assurément obligé à répondre.

7] Par la suite, le 23 septembre 2012, j’ai reçu un mémoire exposant les faits et le droit, daté du 20 septembre 2012, de la part du syndicat (défendeur), dans lequel il indiquait ce qui suit au paragraphe 9 de la page 15 de cette décision :

8] « Le grief ne pouvait pas être renvoyé à l’arbitrage, en vertu de l’article 209 de la LRTFP. Par conséquent, la décision de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs était contraignante et finale, conformément aux articles 214 et 236 de la LRTFP […] » […]

9] Ce n’est qu’à partir de ce moment que j’ai su que le syndicat ne renverrait pas l’affaire devant la CRTFP ou qu’il avait refusé de le faire et que j’ai pris connaissance des motifs de ce refus. Ainsi, le mémoire exposant les faits et le droit présenté par le syndicat est effectivement devenu la façon dont j’ai été informé qu’il avait refusé de renvoyer l’affaire devant la CRTFP.

8        Le 6 mars 2013, le défendeur a répondu au plaignant. Il a mentionné la lettre de M. Tibilla datée du 17 décembre 2012.

9        Le défendeur a fait valoir que, à la lumière des observations de M. Tibilla, les mesures alléguées dont il est question dans la plainte sont survenues entre 2007 et 2010. Étant donné que M. Tibilla a déposé sa plainte le 29 novembre 2012, le défendeur s’est opposé à la compétence de la CRTFP d’entendre l’affaire au motif que le délai établi par la Loi pour déposer une plainte n’avait pas été respecté.

10        Le défendeur a aussi fait valoir que le fait que le plaignant ait porté plainte à son égard devant la Cour fédérale le 21 août 2012, en lien avec son devoir de représentation équitable, soit la même question que celle présentée devant la CRTFP, démontrait qu’il avait eu connaissance bien avant le 23 septembre 2012 des faits ayant donné lieu à la plainte. Le défendeur a demandé à la CRTFP de rejeter la plainte sans audience pour absence de compétence.

11        Le 19 mars 2013, la CRTFP a informé les parties qu’elle avait déterminé que la question de sa compétence serait tranchée dans le cadre d’une audience, qui a eu lieu à Montréal (Québec), les 29 et 30 novembre 2016, devant le successeur de la CRTFP, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « CRTEFP »).

12        Au début de l’audience, les parties ont convenu que la CRTEFP entendrait leur preuve sur le bien-fondé de la plainte et sur l’objection préliminaire à la compétence, et que je différerais ma décision sur l’objection préliminaire.

13        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale, changeant le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’il devienne, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

14        Après avoir entendu la preuve déposée par les parties sur la question préliminaire de la compétence ainsi que leurs observations, j’ai conclu que je n’avais pas compétence pour entendre le bien-fondé de la plainte, puisque celle-ci a été déposée après le délai obligatoire de 90 jours établi à l’article 190 de la Loi.

15        J’énoncerai uniquement les éléments de preuve et les arguments touchant la question du respect des délais.

II. Résumé de la preuve sur la question du respect des délais

16        Le plaignant a témoigné en son nom. Lyson Paquette, une agente des relations de travail au service du Syndicat des employé(e)s de l’impôt, a témoigné au nom du défendeur.

A. Pour M. Tibilla

17        M. Tibilla était un employé nommé pour une période déterminée de l’Agence du revenu du Canada d’avril 2006 à juin 2009, à Brossard (Québec), en tant qu’agent de vérification. Avant d’être promu au poste d’agent de vérification, il occupait le poste d’agent de recouvrement. Pour l’ensemble de cette période, il était un employé nommé pour une période déterminée et son mandat a été renouvelé à plus de quatre reprises. Il était membre du Syndicat des employé(e)s de l’impôt.

18        Michel Adam a été le gestionnaire de M. Tibilla du 6 décembre 2006 au 30 juin 2009. François Blais a été son chef d’équipe du 6 décembre 2006 au 10 octobre 2008. Christian Dion a été son chef d’équipe d’octobre 2008 à juin 2009.

19        Dans son témoignage, M. Tibilla a fait valoir que dans le cadre de son évaluation du rendement, en avril 2007, M. Blais avait indiqué qu’il répondait aux exigences liées à son poste et qu’il n’avait pas besoin de supervision ou de plan d’action; pourtant, il a mentionné que M. Tibilla éprouvait de la difficulté à faire son travail. M. Tibilla était en désaccord avec ce commentaire.

20        En juin 2008, M. Tibilla a demandé à avoir un nouveau superviseur. M. Adam a d’abord refusé; toutefois, en octobre 2008, le plaignant a été transféré à l’équipe de M. Dion.

21        Le 29 avril 2009, M. Dion a évalué le rendement de M. Tibilla et a déterminé qu’il était insatisfaisant, en indiquant que ses résultats étaient inférieurs aux attentes.

22        Le même jour, M. Adam et M. Dion ont rencontré M. Tibilla afin de discuter de son évaluation. Pendant cette réunion, M. Adam a informé le plaignant que son contrat pour une période déterminée ne serait pas prolongé. L’emploi de M. Tibilla a pris fin le 30 juin 2009.

23        M. Tibilla a signalé la situation au SEI le 4 mai 2009.

24        Un grief a été déposé le 3 juin 2009 afin de contester l’évaluation du rendement. Le grief a été refusé aux premier, deuxième et troisième paliers de la procédure de règlement des griefs.

25        Le 9 juin 2010, le grief a été refusé au quatrième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs. M. Tibilla a affirmé avoir reçu à son domicile la décision au dernier palier, entre le 16 et le 19 juin 2010.

26        M. Tibilla a communiqué avec Mme Paquette, qui l’a représenté au quatrième palier de la procédure de règlement des griefs. Il l’a informée qu’il n’était pas d’accord avec la décision et qu’elle devrait transférer le grief à la CRTFP. Elle lui a répondu qu’elle communiquerait avec ses collègues et qu’elle lui reviendrait.

27        Comme il n’a pas eu de nouvelles de Mme Paquette, M. Tibilla lui a envoyé une lettre lui demandant de s’adresser au tribunal. Elle ne lui a toujours pas répondu. Il lui a laissé quelques messages, auxquels il n’a reçu aucune réponse.

28        M. Tibilla a décidé de poursuivre le défendeur afin de le pousser à agir. Lorsqu’il a entrepris l’action en justice, le défendeur lui a envoyé un mémoire exposant les faits et le droit et un affidavit indiquant qu’il n’acheminerait pas l’affaire à la CRTFP.

29        M. Tibilla a déclaré n’avoir rien reçu du défendeur. Il a ajouté avoir réellement eu connaissance des circonstances ayant donné lieu à la plainte le 23 septembre 2012.

30        En contre-interrogatoire, M. Tibilla a reconnu qu’il avait présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue au dernier palier devant la Cour fédérale et que cette affaire avait été entendue le 10 février 2011; l’affaire a été refusée le lendemain.

31        M. Tibilla a été renvoyé à la lettre qui suit, daté du 15 juin 2010, envoyée à son attention par Mme Paquette, intitulée : Objet : Grief no. 70058051 – Évaluation de rendement.

Monsieur Tibilla,

Veuillez trouver sous plis une copie de la décision finale de votre grief susmentionné.

Malheureusement, votre grief ne peut être renvoyé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique car la Commission ne peut changer la convention collective, elle ne peut que l’interpréter ou en demander l’application.

Par conséquent, nous fermons votre dossier. Je demeure à votre disposition pour de plus amples renseignements.

[]

32        M. Tibilla a affirmé qu’il ne se souvenait pas d’avoir reçu cette lettre. Il a indiqué avoir reçu la réponse de l’employeur directement de ce dernier.

33        Il a affirmé avoir téléphoné à Mme Paquette après avoir reçu la réponse. On lui a demandé s’il possédait une lettre de l’employeur indiquant la réponse au dernier palier. Il a répondu qu’il avait uniquement reçu la décision, pas la réponse.

34        Il a reconnu avoir envoyé une lettre, datée du 18 juin 2010, au Syndicat des employé(e)s de l’impôt, intitulée : « Objection à la fermeture du dossier 09-01-0146 (grief 70058051) », qui indique en partie ce qui suit :

[…]

La présente fait référence à votre lettre datée du 15 juin 2010 concernant le grief susmentionné, pour lequel une décision négative a été rendue.

Permettez-moi de vous dire que je m’oppose avec véhémence à la fermeture du dossier susmentionné lié à mon évaluation du rendement au travail, et ce, pour les motifs qui suivent :

[…]

À cette fin, puis-je demander que les mesures suivantes soient prises afin de corriger cette conclusion erronée :

A - Une révision de la décision rendue par des représentants du Département des ressources humaines;

B - Renvoyer le cas devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique; ou

C - Renvoyer l’affaire devant la Cour fédérale, si les mesures A ou B échouent.

Je vous prierai de me répondre au plus tard le 30 juin 2010.

[…]

35        M. Tibilla a convenu que, dans cette lettre, il reconnaissait avoir reçu une lettre du défendeur datée du 15 juin 2010. Il a dit qu’il tenterait de la trouver à son domicile.

36        Il a reconnu avoir demandé l’aide de Mme Paquette pour poursuivre l’agent négociateur à la suite du refus de la Cour fédérale en ce qui concerne sa demande de contrôle judiciaire de la décision au quatrième palier de la procédure de règlement des griefs, en février 2011. Il a présenté une déclaration le 21 août 2012; elle a été refusée le 25 octobre 2012, au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable.

37        En contre-interrogatoire, M. Tibilla a fait valoir que la lettre du 15 juin 2010 ne change pas les faits entourant le moment où il a eu connaissance des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

B. Pour le défendeur

38        Mme Paquette est agente des relations de travail du Syndicat des employé(e)s de l’impôt, un poste qu’elle occupe depuis 25 ans. Elle représente des fonctionnaires s’estimant lésés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

39        À la lumière de son expérience, elle a indiqué que les employés nommés pour une période déterminée ne sont pas aussi bien protégés que ceux nommés pour une période indéterminée. Elle a expliqué que toutes les questions liées à la dotation ne sont pas négociables en vertu de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (L.C. 1999, ch. 17). On peut mettre fin en tout temps aux contrats des employés nommés pour une période déterminée, qui sont réputés être en cours de stage pendant la durée de chaque contrat. La signature d’un nouveau contrat est considérée comme le début d’un nouvel emploi.

40        En général, lorsqu’un employé conteste une évaluation du rendement en raison de commentaires qui ne reflètent pas le rendement ou, dans certains cas, qui n’auraient pas dû être inclus, l’agent négociateur dépose un grief. Toutefois, la convention collective pertinente ne contient aucune disposition sur laquelle s’appuyer pour contester le contenu d’une évaluation, hormis le dépôt d’un grief. La LRTFP ne prévoit pas non plus de protection. Les évaluations sont couvertes par les politiques et les lignes directrices de l’employeur. Elles ne sont pas négociées avec les agents négociateurs, pas plus qu’ils ne sont consultés à cet égard.

41        Si l’employeur ne respecte pas ses lignes directrices après avoir évalué le cas, l’agent négociateur peut déposer un grief. Toutefois, il est impossible de contester la décision de l’employeur devant un tiers. Si l’agent négociateur est d’avis que l’employeur a pris une mesure inappropriée, il l’invoquera par l’intermédiaire du processus de grief afin que l’employeur sache qu’il doit respecter ses lignes directrices.

42        Mme Paquette a présenté le grief au dernier palier le 1er avril 2010. Elle a présenté une argumentation écrite et orale selon laquelle l’employeur n’avait pas respecté sa politique et ses lignes directrices au moment de préparer l’évaluation du rendement de M. Tibilla. Elle a soutenu que l’évaluation ne reflétait pas ses évaluations du rendement précédentes. Elle a aussi invoqué les répercussions négatives de l’évaluation sur ses chances d’emploi à temps plein, puisque l’évaluation négative l’empêchait d’être pris en considération dans d’autres bassins de candidats. À ce moment, M. Tibilla était qualifié pour une nomination à un poste à temps plein et il faisait partie d’un bassin de candidats à cette fin.

43        Le 17 mai 2010, l’employeur a demandé une prorogation de délai afin de répondre au grief. Le même jour, Mme Paquette a téléphoné à M. Tibilla afin de l’informer de la demande de l’employeur et d’obtenir son approbation, ce qu’elle a fait.

44        Le 15 juin 2010, elle a écrit une lettre à M. Tibilla et joint la réponse au grief au dernier palier. Elle a expliqué dans sa lettre que le grief était refusé et qu’il ne pouvait plus être renvoyé devant la CRTFP parce que les évaluations du rendement n’étaient pas visées par la convention collective pertinente.

45        Elle a expliqué que la convention collective pertinente ne contenait aucune disposition sur l’évaluation du rendement, à l’exception d’une disposition qui n’abordait que le processus. Le contenu d’une évaluation du rendement n’est pas une affaire que l’on peut renvoyer devant la Commission. Un arbitre de grief n’aurait pas compétence pour modifier la convention collective.

46        Dans sa lettre, elle a informé M. Tibilla que le défendeur fermerait donc son dossier. Elle a indiqué qu’elle était disposée à discuter de cette affaire avec lui.

47        Le 22 juin 2010, elle a reçu une lettre datée du 18 juin 2010 de M. Tibilla, dans laquelle ce dernier s’oppose à la fermeture de son dossier par le défendeur. Elle a indiqué que, selon sa compréhension, il n’était pas satisfait que le défendeur ferme son dossier. M. Tibilla a demandé que des mesures soient prises, notamment le renvoi de l’affaire à la CRTFP ou la Cour fédérale. En guise de conclusion, M. Tibilla a indiqué qu’il espérait une réponse de sa part au plus tard le 30 juin 2010.

48        Le 24 ou le 25 juin 2010, Mme Paquette a laissé un message vocal à l’intention de M. Tibilla, lui demandant de la rappeler pour discuter de la lettre.

49        En l’absence d’un retour d’appel de la part de M. Tibilla, elle lui a laissé un deuxième message téléphonique à cet égard le 8 juillet 2010. Dans le formulaire de grief, elle a indiqué qu’elle avait tenté de le joindre.

50        M. Tibilla ne l’a pas rappelée et elle ne se souvient pas d’avoir eu une conversation téléphonique avec lui par la suite. Elle ne lui a pas envoyé d’autres lettres.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

51        La plainte est irrecevable puisqu’elle a été déposée en dehors du délai de 90 jours prescrit par la Loi. La date clé est celle du 15 juin 2010, soit lorsque Mme Paquette a envoyé la lettre au plaignant l’informant de la fermeture du dossier. Selon le défendeur, c’est à partir de ce moment que le délai de 90 jours a commencé. La plainte a été déposée en novembre 2012, bien en dehors de la période établie pour la déposer.

52        Dans Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 106, au paragraphe 33, l’arbitre de grief Shannon s’est exprimée comme suit :

[33] En somme, les deux plaintes sont hors délai. Aucune demande de prorogation de délai n’a été présentée à cet égard; d’ailleurs, il n’aurait pas été possible d’accorder une telle prorogation en vertu de la Loi. En effet, seulement les délais en matière de grief peuvent être prorogés. Il n’est pas permis que le plaignant puisse déposer des plaintes au-delà des délais prescrits en invoquant le fait que la Cour d’appel fédérale n’avait pas encore statué à leur égard. Cela ne change en rien le fardeau incombant à un plaignant de poursuivre sa plainte dans les délais prescrits. Il est clair que le délai de 90 jours est obligatoire; au-delà de ce délai, une plainte fondée sur l’article 190 doit être rejetée.

53        Après avoir examiné les faits, le plaignant a affirmé ne pas avoir reçu la lettre de Mme Paquette, en date du 15 juin 2010. Il a indiqué qu’il avait reçu la réponse au dernier palier sans lettre d’accompagnement. Il est peu probable que Mme Paquette, étant donné son expérience, ait envoyé la réponse au dernier palier à M. Tibilla sans la lettre, alors qu’elle avait l’intention de fermer le dossier.

54        Dans la lettre datée du 18 juin 2010 qu’il a envoyée à Mme Paquette, le plaignant reconnaît avoir reçu une lettre de sa part le 15 juin 2010. Dans sa réponse, il s’oppose avec véhémence à la fermeture du dossier. Ainsi, à tout le moins, il a reçu une lettre mentionnant que le dossier serait fermé.

55        Le plaignant s’opposait à la fermeture du dossier. Il voulait que son cas soit renvoyé à la CRTFP ou la Cour fédérale. Il a donné au défendeur jusqu’au 30 juin pour répondre. Mme Paquette lui a téléphoné et a laissé un message le 24 ou le 25 juin, et de nouveau le 8 juillet 2010. Il n’y a eu aucune réponse.

56        Le défendeur a fait valoir qu’il n’y avait aucun motif de conclure que la preuve présentée par Mme Paquette n’était pas crédible.

57        Le plaignant a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard de l’employeur, qui a pris fin en février 2011, et il a intenté une autre poursuite contre le défendeur en septembre 2012, en vue d’obtenir une mesure de redressement puisque ce dernier n’aurait pas traité son grief de manière appropriée. Cette autre poursuite a été refusée puisqu’aucun motif d’action valable n’y a été révélé.

B. Pour le plaignant

58        M. Tibilla a reconnu avoir reçu une lettre du défendeur le 15 juin 2010 ou aux environs de cette date. Selon ses souvenirs, la lettre ne renvoyait aucunement à la convention collective pertinente. Il ne s’agissait pas de la même lettre que celle déposée en preuve par le défendeur, datée du 15 juin 2010.

59        L’argument du défendeur selon lequel la plainte déposée par le plaignant devant la Cour fédérale signifiait qu’il savait que le défendeur ne renverrait pas son cas devant la CRTFP ne libère pas le défendeur de sa responsabilité d’informer et d’aider le plaignant. À défaut de renvoyer son affaire devant la CRTFP, le défendeur avait tout de même l’obligation d’en faire une analyse détaillée et d’informer le plaignant qu’il ne renverrait pas l’affaire à l’arbitrage. Si le plaignant n’avait pas été d’accord avec ce raisonnement, il l’aurait contesté.

60        S’il avait voulu renvoyer le cas devant la CRTFP, le défendeur aurait dû montrer au plaignant comment faire, comment respecter le délai et comment contester son analyse. Il ne l’a pas fait.

61        Savoury c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2001 CRTFP 79, porte sur une plainte de manquement au devoir de représentation équitable déposée par un employé de Pêches et Océans Canada à l’égard de la Guilde de la marine marchande du Canada. Il s’agit d’un cas semblable à celui dont je suis saisi, parce que l’agent négociateur dans cette affaire a omis de mener une enquête exhaustive, d’informer le plaignant qu’il pouvait contester sa décision et de l’informer de son droit de renvoyer un grief à l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique ou du délai connexe. L’ancienne Commission a conclu que ces omissions constituaient un manquement au devoir de représentation équitable.

62        Dans la présente affaire, l’agent négociateur a toujours été au courant du processus. Il était obligé de fournir au plaignant des renseignements généraux. Comme le plaignant n’avait pas de nouvelles de l’agent négociateur, il devait agir afin de le forcer à l’écouter.

63        Le plaignant a compris que le défendeur ne donnerait pas suite à son grief lorsqu’il a reçu le mémoire exposant les faits et le droit, le 23 septembre 2012.

64        Le défendeur a soutenu que Mme Paquette avait laissé des messages au plaignant et que ceux-ci sont demeurés sans réponse. Le plaignant n’est pas d’accord. Il n’a pas reçu les messages. Cette affaire était toute sa vie. Le suivi de Mme Paquette était important.

IV. Motifs

65        Le paragraphe 190(2) de la Loi prévoit ce qui suit :

Délai de présentation

190 (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

66        Ce libellé est de nature impérative et la Loi ne prévoit aucune disposition qui donne à la Commission le pouvoir de prolonger le délai de 90 jours.

67        Le plaignant affirme avoir eu connaissance du manquement allégué du défendeur de le représenter de façon équitable le 23 septembre 2012, lorsqu’il a reçu un mémoire exposant les faits et le droit daté du 20 septembre 2012 du défendeur, qui indiquait que le grief ne pouvait pas être renvoyé à l’arbitrage et que la décision de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs était contraignante et finale.

68        Cette information se trouvait dans un affidavit à l’appui d’une requête visant à faire annuler l’action que M. Tibilla avait entreprise à l’égard du défendeur devant la Cour fédérale. Cette action visait à obtenir une mesure de redressement du défendeur qui, selon les allégations, avait mal traité le grief sur l’évaluation du rendement insatisfaisante.

69        Selon le défendeur, bien que le plaignant ait indiqué ne pas avoir reçu la lettre de Mme Paquette en date du 15 juin 2010, il a tout de même reçu la réponse au dernier palier sans lettre d’accompagnement. Le défendeur soutient qu’il est peu probable que Mme Paquette ait envoyé cette réponse au dernier palier sans lettre. Qui plus est, dans la lettre du plaignant en date du 18 juin 2010 à l’intention de Mme Paquette, ce dernier a reconnu avoir reçu une lettre de sa part le 15 juin et il a répondu en s’opposant avec véhémence à la fermeture du dossier.

70        Le plaignant a présenté une demande de contrôle judiciaire qui a pris fin en février 2011. Il a intenté une autre poursuite à l’égard du défendeur sur la même question que celle soulevée dans la présente plainte, en septembre 2012.

71        Après avoir examiné la preuve, il est indéniable que le plaignant a confirmé qu’il savait en date du 18 juin 2010 que le défendeur fermerait son dossier, et ce, peu importe ma position sur la preuve visant à déterminer s’il a reçu la lettre du 15 juin 2010 déposée en preuve ou une autre lettre datée du 15 juin 2010 provenant de l’employeur, qui n’a pas été déposée.

72        Le fait que le plaignant ait entrepris, de son propre chef, de déposer une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale à l’égard de la décision du représentant de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, datée du 9 juin 2010, est également pertinent à la détermination de cette affaire.

73        Le plaignant a ensuite entrepris une action, le 21 août 2012, contre le défendeur afin de recevoir des dommages, au motif que ce dernier avait mal traité son grief, qui porte essentiellement sur la même question qui est soulevée en l’espèce. Cette action a elle aussi été refusée.

74        À la lumière de ces faits, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des circonstances ayant donné lieu à la plainte au moment de porter plainte à l’égard du défendeur. Par conséquent, la plainte a été déposée en dehors du délai obligatoire de 90 jours prescrit au paragr. 190(2) de la Loi. Je n’ai pas compétence pour entendre le bien-fondé de la plainte.

75        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

76        La plainte est rejetée.

Le 21 juillet 2017.

Traduction de la CRTESPF

David Olsen,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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