Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La présente décision porte sur l’objection de l’employeur à la compétence de l’arbitre de grief à entendre un grief contestant l’autorité de l’employeur à ordonner à un membre du groupe Professeurs d’université (UT) au Collège militaire royal à produire ses notes de cours pour répondre à une demande d’accès à l’information – la Commission a conclu qu’il s’agissait essentiellement d’une question liée à l’emploi et qu’elle relevait de sa compétence – l’autorité législative de la Commission découle des dispositions traitant du droit de présenter un grief, aux sous‑alinéas 208(1)a)(i) ou (ii) ou à l’alinéa 208(1)b) et à l’alinéa 209a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique(L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP), qui autorisent à renvoyer un grief à l’arbitrage s’il porte sur l’interprétation d’une convention collective – en l’espèce, le fonctionnaire s’estimant lésé avait le droit de présenter un grief parce que l’employeur avait exigé qu’il produise ses notes de cours en le menaçant de prendre des mesures disciplinaires – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait accès à aucun autre processus de recours administratif tel que le processus de règlement des plaintes en vertu de la LAI, parce que ses notes de cours ne relevaient pas du contrôle d’une institution gouvernementale, ce qui est une exigence pour l’application de la LAI – la Commission a conclu que selon l’article 8 de la convention collective des UT, qui traite des pratiques passées, les notes de cours du fonctionnaire s’estimant lésé étaient sous son contrôle et en sa possession, puisque l’employeur n’avait pas eu pour pratique d’exercer un contrôle sur ce genre de documents dans le passé – la Commission a aussi conclu qu’il pouvait y avoir des motifs défendables de prétendre que la possession et l’utilisation de notes de cours puissent relever du champ d’application de l’article 5 de la convention collective des UT, qui traite de la liberté universitaire des professeurs d’université. Objection à la compétence rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans la
fonction publique et
Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170113
  • Dossier:  566-02-9648
  • Référence:  2017 CRTEFP 6

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique


ENTRE

STEVEN LUKITS

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Lukits c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage


Devant:
John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Bernard A. Hanson, avocat
Pour l'employeur:
Sean F. Kelly, avocat
Affaire entendue à Kingston (Ontario),
le 10 septembre 2015.
(Traduction de la CRTEFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Le Dr Steven Lukits, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), travaille au Collège militaire royal du Canada (le « Collège »), situé à Kingston, en Ontario, à titre de professeur agrégé d’anglais à temps plein. Il fait partie de l’unité de négociation Enseignement universitaire, qui est représentée par l’Association des professeurs des collèges militaires du Canada (l’« APCMC ») et liée par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’APCMC, qui a été signée le 11 mars 2011 et qui est venue à échéance le 30 juin 2014 (la « convention collective »).

2                  Le 22 mars 2013, une demande d’accès à l’information (la « demande d’AI ») a été reçue par le coordonnateur de l’accès à l’information (le « coordonnateur de l’AI ») à l’Académie canadienne de la Défense (l’« Académie ») relativement au cours ENE 453 ([traduction] Littérature de guerre II), enseigné au Collège par le fonctionnaire. La demande d’AI visait la production du matériel didactique, des diapositives des cours magistraux, des documents de cours, ainsi que des trousses du cours et des notes manuscrites du fonctionnaire préparées pour le cours (les « notes de cours »).

3                  Le 5 avril 2013, au nom du fonctionnaire, l’APCMC a écrit au directeur du Collège, Joel Sokolsky, pour l’informer que les documents contenus dans la demande d’AI ne constituait pas un [traduction] « […] document relevant de [l’]institution », tel qu’il est mentionné au par. 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information (L.R.C. (1985), ch. A-1); la « LAI »).L’APCMC a déclaré que, comme le veulent la coutume et le droit, de tels documents relèvent de la garde et du contrôle du fonctionnaire. Elle a demandé au Collège de cesser ses efforts en vue d’obliger la production des documents mentionnés dans la demande d’AI, à défaut de quoi l’APCMC prendrait des mesures afin de protéger les droits de ses membres.

4                  Une note d’information datée du 2 octobre 2013, préparée pour le commandant de l’Académie par les services de soutien, indiquait que le fonctionnaire avait accepté de fournir les documents mentionnés dans la demande d’AI, à l’exception des notes de cours.

5                  Le 5 novembre 2013, le fonctionnaire a reçu une lettre datée du 29 octobre 2013 du chef du personnel militaire stipulant qu’il devait se conformer à l’ensemble des exigences de la demande d’AI, ce qui comprenait la production des notes de cours.

6                  Le 28 novembre 2013, le fonctionnaire a présenté un grief concernant la directive de produire ses notes de cours et a demandé ce qui suit :

  1. une déclaration selon laquelle le Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) a contrevenu aux dispositions de la convention collective et de la LAI;
  2. une ordonnance exigeant que l’employeur cesse et se désiste de tels manquements à l’avenir;
  3. toute autre mesure de réparation que l’APCMC peut demander et que l’arbitre de grief estime appropriée dans les circonstances.

7                  Le 14 janvier 2014, le fonctionnaire s’est conformé à l’ordonnance et a produit ses notes de cours, sous la menace d’une mesure disciplinaire.

8        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires contenues dans les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») avant le 1er novembre 2014, se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi, dans sa version modifiée par les articles 366 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

9                  L’affaire devait être entendue les 10 et 11 septembre 2015, à Kingston, en Ontario. Le 27 août 2015, l’avocat de l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre la question et a demandé que les parties utilisent les jours d’audience prévus pour trancher les objections de l’employeur. L’avocat du fonctionnaire a donné son accord. L’affaire m’a été renvoyée et j’ai accueilli la demande. La présente décision porte uniquement sur l’objection de l’employeur.

II. Résumé de la preuve

10        Aucun témoin n’a été cité à comparaître.

11        Le fonctionnaire a présenté un recueil de pièces comprenant neuf onglets; cependant, un onglet pouvait contenir plus d’un document. Le recueil de pièces a été déposé avec le consentement des parties. Les faits pertinents ont également été présentés dans les arguments écrits de son avocat.

12        Le 22 mars 2013, le coordonnateur de l’AI pour le chef du personnel militaire a transmis la demande d’AI à l’Académie. Le courriel indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

SUJET/OBJET : Des copies du matériel didactique, des diapositives des cours magistraux, des documents de cours, des trousses de cours et des notes manuscrites préparées pour, ou par, le Dr Steven J. Lukits, professeur agrégé, département d’anglais, pour le cours numéro ENE 453 (Littérature de guerre II), enseigné au Collège militaire royal, à Kingston, entre septembre 2012 et le 18 mars 2013.

1. La demande électronique d’AI ci-jointe vous est transférée aux fins de traitement. Veuillez fournir votre présentation au coordonnateur de l’AI du CPM au plus tard à la date indiquée ci-dessus. Les BPR doivent informer le coordonnateur de l’AI du CPM dès la réception de l’attribution d’une tâche, si les conditions suivantes s’appliquent :

a. L’attribution de tâches devrait être réacheminée à une autre direction;

b. des renseignements complémentaires peuvent être disponibles auprès d’une autre direction;

c. on prévoit que le temps requis pour la « recherche » sera supérieur à cinq (5) heures;

d. des consultations supplémentaires sont nécessaires.

2. Si votre direction n’a aucun document à fournir, un compte rendu néant est requis (un courriel sera accepté).

3. Tous les documents pertinents doivent être envoyés. Si vous considérez que certains détails d’un document ne devraient pas être divulgués, veuillez suivre la procédure décrite dans la liste de vérification aux fins d’orientation du BPR de la Loi sur l’accès à l’information (LAI).

4. Il incombe à votre direction de soulever toutes les exceptions pertinentes et tous les articles connexes de la LAI. Vous devez utiliser un MARQUEUR JAUNE pour indiquer les exemptions; vous devez également inscrire les articles connexes de la LAI dans la marge de droite de la page examinée. Seules les exemptions relevées dans les articles de la LAI seront prises en considération. La décision définitive en ce qui concerne la divulgation relève du DAIPRP.

5. Le MDN doit répondre aux demandes d’AI dans les délais prescrits ou en être tenu responsable. Dans certains cas, lorsqu’une raison valide peut être justifiée, le coordonnateur de l’AI du CPM tentera d’obtenir une prorogation du délai auprès du DAIPRP au nom des BPR. Nous vous sommes reconnaissants de votre collaboration. Merci.

FIN DU TEXTE FRANÇAIS – ENGLISH VERSION PRECEDES

[…]

13        Le 5 avril 2013, au nom du fonctionnaire, l’APCMC a écrit à M. Sokolsky à propos de la demande d’AI, indiquant ce qui suit :

[Traduction]

Nous vous écrivons au sujet de la demande d’accès à l’information (AI) A-2012-01998 visant la production de copies du matériel didactique, des diapositives des cours magistraux, des documents de cours, des trousses de cours et des notes manuscrites préparées pour, ou par, le Dr Steven J. Lukits, professeur agrégé, département d’anglais, pour le cours numéro ENE 453 ([traduction] Littérature de guerre), enseigné au Collège militaire royal, à Kingston, entre septembre 2012 et le 18 mars 2013.

Selon l’Association des professeurs des collèges militaires du Canada, ces documents ne constituent pas [traduction] « un document relevant d’une institution » au sens du paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information. Comme le veulent la coutume et le droit, ces documents sont relèvent plutôt du professeur Lukits, et non du Collège militaire royal et, par conséquent, ils ne sont pas assujettis à la demande.

À cet égard, nous vous renvoyons à :

University of British Columbia v. University of British Columbia Faculty Association, devant J.E. Dorsey (arbitre), 125 L.A.C. (4th) 1, [2004] B.C.C.A.A.A. No. 39, confirmé, BCLRB No. B56/2006, 2006 CanLII 6155 (BCLRB)

The Association of Professors of the University of Ottawa v. University of Ottawa, devant : P. Chodos (arbitre : décision, décision complémentaire no 1, décision complémentaire no 2

Ordonnance PO-3009-F; University of Ottawa (Re), 2011 CanLII 74312 (ON IPC)

Ordonnance PO-3084; University of Ottawa (Re), 2012 CanLII 74312 (ON IPC)

Dans ces circonstances, nous demandons respectueusement que le Collège cesse ses efforts en vue d’obliger la production des documents de cours du professeur Lukits. Sous réserve du retrait de la demande, l’Association des professeurs des collèges militaires du Canada intentera les actions en justice nécessaires pour veiller au respect des droits de nos membres et du Collège en tant qu’institution d’enseignement.

[…]

[Je souligne]

14        Une note d’information à l’intention du chef du personnel militaire, datée du 9 avril 2013, et préparée par le bureau du directeur, précise que le directeur appuie la position du fonctionnaire à l’égard des notes de cours. La note indique ce qui suit :

[Traduction]

NOTE D’INFORMATION À L’INTENTION DU CPM

DEMANDE D’ACCÈS À L’INFORMATION a-2012-01998

Références : A. Demande d’accès à l’information (ATI) A-2012-01998

B. Lettre de l’Association des professeurs des collèges militaires du Canada datée du 5 avril 2013

OBJET

1. Le but de la présente note d’information consiste à demander l’appui du CPM en ce qui concerne la communication des notes de cours personnelles du Dr Lukits comme il est demandé dans la référence A.

CONTEXTE

2. Le Dr S.J. Lukits, un professeur à temps plein au Collège, a reçu une demande d’AI (référence A), portant sur des copies de son matériel didactique, de ses diapositives de cours magistraux, de ses documents de cours, de ses trousses de cours et de ses notes manuscrites préparées pour son cours, ENE 453, [traduction] « Littérature de guerre », enseigné au Collège entre septembre 2012 et le 18 mars 2013.

3. Le Dr Lukits a accepté de fournir son plan de cours ainsi que des copies du matériel remis ou présenté en classe. Il a cependant refusé de fournir ses notes de cours.

DISCUSSION

4. Il semble qu’il s’agit de la première fois que le Collège reçoit une telle demande d’AI concernant les documents de cours. Même si le Dr Lukits est un employé à temps plein, il considère ses notes de cours comme ses notes personnelles et la pratique habituelle du Collège est que les notes de cours sont traitées comme des biens personnels de l’individu et ne relèvent pas du Collège. Le Dr Lukits a soulevé une préoccupation selon laquelle la divulgation de ce matériel porterait atteinte à sa liberté universitaire telle qu’elle est prévue dans la convention collective.

5. Le directeur du Collège a demandé l’opinion de notre représentant du JAG local, le major John Peck. Comme il est indiqué dans la pièce jointe, le major Peck a souligné qu’à titre d’employé du Collège, une institution gouvernementale, le Dr Lukits est obligé de fournir ses notes, mais ce dernier peut présenter une demande pour qu’une partie du matériel soit exemptée; une décision qui, toutefois, ne serait pas rendue par lui.

6. Le Dr Lukits a également demandé l’aide de l’Association des professeurs des collèges militaires canadiens (l’« APCMC »). Comme il est indiqué par l’APCMC à la référence B, elle a informé le directeur, en citant plusieurs affaires antérieures, que le Dr Lukits n’est pas obligé de fournir de documents de cours au motif que ces documents ne constituent pas [traduction] « un document relevant d’une institution » aux termes du paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information. Le représentant de l’APCMC a indiqué qu’elle était prête à intenter des actions en justice supplémentaires pour bloquer la divulgation de ces notes de cours dans l’éventualité où le MDN continuerait d’en faire la demande.

7. Le directeur est d’accord avec la décision du Dr Lukits de refuser de remettre ses notes de cours. Outre les questions juridiques, il est préoccupé par les origines et l’imprécision de cette demande et croit que le fait d’y accéder établirait un précédent troublant qui porterait atteinte aux efforts individuels du professeur et remettrait en question la liberté universitaire au CRMC. Il convient de souligner qu’en vertu des lois provinciales en matière d’accès à l’information, les universités sont exemptées de fournir les documents de cours pour cette même raison.

RECOMMANDATION

8. Il est fortement recommandé que le CPM appuie la demande voulant que les notes de cours du Dr Lukits soient exemptées de la demande d’AI et que l’on demande au DAIPRP d’exempter ce matériel.

[…]

[Je souligne]

15        Le 22 avril 2013, le bureau du commandant de l’Académie a écrit au chef du personnel militaire relativement à cette affaire et a annexé la note d’information (datée du 9 avril 2013) du directeur du Collège, ainsi que la demande d’AI et la lettre de l’APCMC datée du 5 avril 2013. La lettre indiquait en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

2. Le Dr Lukits a accepté de fournir un aperçu du cours et les autres documents qui faisaient partie de la trousse et qui ont été envoyés au coordonnateur de l’AI du CPM le 4 avril 2013. Cependant, il a refusé de fournir ses notes de cours personnels en vertu du principe de la « liberté universitaire » (références A et B). Conformément à la Loi sur l’accès à l’information fédérale, il n’existe aucune disposition pour exempter (dissocier) les notes personnelles d’un professeur d’université. Une telle disposition existe en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (LAIPVP) provinciale de l’Ontario.

3. L’AJAG à Kingston a été consulté et son avis était que le Dr Lukits travaille pour le MDN et que, à ce titre, il doit fournir les documents demandés. En tant que seule université détenue par le gouvernement fédéral au Canada, la LAI peut avoir omis de reconnaître de telles demandes inhabituelles à l’égard de professeurs d’université travaillant pour le gouvernement fédéral qui doivent fournir leurs documents de cours personnels.

4. J’appuie pleinement la position adoptée par le Dr Lukits à la lumière de la protection offerte aux professeurs d’université ne relevant pas du fédéral par les lois provinciales sur l’AI. J’aimerais voir la loi modifiée pour tenir compte de la situation unique des professeurs d’université pour qu’ils n’aient pas à fournir des documents de cours personnels qui sont uniques et propres à chaque professeur.

[…]

16        D’après la lettre datée du 29 octobre 2013, que le fonctionnaire a reçu le 5 novembre 2013, le commandant de l’Académie a ordonné que le fonctionnaire soit tenu de se conformer aux exigences complètes de la demande d’AI.

17        Le 28 novembre 2013, le fonctionnaire a présenté un grief contre l’ordre du commandant de l’Académie, qui stipulait en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

DÉTAILS DU GRIEF

3. Une demande d’accès à l’information (A-2012-01998) a été transmise par le chef du personnel militaire, coordonnateur de l’AI pour l’Académie canadienne de la défense (ci-après l’« Académie »), aux environs du 22 mars 2013, demandant les documents suivants relativement à un cours enseigné par le Dr Lukits, ENE 453 (Littérature de guerre II) entre septembre 2012 et le 18 mars 2013. La demande de documents comprenait ce qui suit :

  1. Matériel de cours
  2. Diapositives des cours magistraux
  3. Documents de cours
  4. Trousses de cours
  5. Notes manuscrites préparées par, ou pour, le Dr Lukits

4. Dans une lettre datée du 5 avril 2013, l’APCMC a indiqué au directeur d’alors du Collège, M. Sokolsky, qu’elle était d’avis que les documents demandés ne constituaient pas [traduction] « un document relevant d’une institution » aux termes du paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information, (L.R.C. (1985), ch. A-1) et, par conséquent, qu’ils n’étaient pas assujettis aux dispositions en matière de droit d’accès de la Loi.

5. Malgré cela, parce que tous les documents, exception faite de ses notes de cours, ont déjà été à la disposition des étudiants dans le cours, le Dr Lukits a fourni l’ensemble des documents demandés, à l’exception de ses notes de cours.

[…]

8. Dans une note d’information préparée à l’intention du commandant de l’Académie datée du 2 octobre 2013, il a été souligné que le CPM avait ordonné au CEMD de [traduction] « boucler la boucle concernant cette demande d’AI en ordonnant au Dr Lukits de fournir ses notes personnelles […] immédiatement ».

9. Dans une lettre datée du 29 octobre 2013, le commandant de l’Académie a informé le directeur et le commandant du Collège en partie de ce qui suit, « [c]ette question était manifestement de nature délicate pour le Dr Lukits et, en conséquence, elle a été examinée attentivement. Veuillez informer le Dr Lukits qu’il doit se conformer intégralement aux exigences de cette demande d’AI. »

10. Le Dr Lukits en a été informé aux environs du 5 novembre 2013.

11. L’article 5 de la convention collective reconnaît que les professeurs d’université ont droit à la liberté universitaire, y compris la liberté d’enseigner, la liberté de faire de la recherche, la liberté de publier et la liberté d’expression. Il convient de souligner que, même si la clause 5.06 reconnaît la mission spéciale du Collège, elle prévoit expressément qu’une telle mission spéciale ne réduira pas la liberté universitaire des professeurs d’université. La clause 5.06 de la convention collective prévoit ce qui suit à cet égard :

La mission spéciale du Collège ne diminue pas la liberté universitaire de l’UT. Néanmoins, la mission spéciale du Collège peut l’exposer à des torts résultant de malentendus suscités par un débat public ou une publication sur un sujet qui concerne directement cette mission. Ce risque impose au UT qui participe à un tel débat ou à une telle publication la responsabilité d’être plus clair qu’il n’aurait à l’être s’il traitait de questions non liées étroitement à la mission.

12.  La jurisprudence arbitrale et judiciaire a reconnu que, contrairement à la plupart des autres milieux de travail, les documents créés et reçus par le personnel universitaire dans le cadre de leur emploi, selon la coutume et la pratique, relèvent du personnel universitaire et non pas de leur employeur. La justification sous-jacente pour cette coutume et pratique est la protection de la liberté universitaire.

[…]

13. En se fondant sur ce qui suit, d’après la coutume et la pratique, pendant toutes les périodes pertinentes, les notes de cours du Dr Lukits relevaient de lui.

14. Le paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information, (L.R.C. (1985), ch. A-1), prévoit ce qui suit :

4(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande :

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

15. En vertu du paragraphe 4(1), le droit d’accès aux « documents » est expressément limité à un [traduction] « document relevant d’une institution » [je souligne]. Pour les raisons énoncées aux paragraphes 11 à 13 ci-dessus, les notes du Dr Lukits ne [traduction] « relevaient » pas de l’employeur.

16. Cela étant, l’employeur n’a pas le pouvoir de l’obliger à produire ses notes de cours et une telle ordonnance contrevient à l’article 5 et aux clauses 6.01 et 8.01 de la convention collective.

[…]

[Je souligne]

18        Le 28 novembre 2013, le président de l’APCMC a écrit à l’Académie et a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

L’APCMC est d’avis que le Dr Lukits s’est conformé à la loi lorsqu’il a initialement fourni les documents de cours requis le 26 mars 2013. Le Dr Lukits a officiellement présenté un grief relativement à cette question et l’APCMC le représentera pour tous les enjeux liés à cette demande.

19        Le 21 janvier 2014, le président de l’APCMC a écrit au directeur du Collège et a affirmé ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Les notes manuscrites préparées par le Dr Steven J. Lukits ont fait l’objet d’une demande d’accès à l’information (AI) et l’APCMC et le Dr Lukits sont d’avis que ces notes ne relèvent pas de l’institution.

Ces documents ne constituent pas [traduction] « un document relevant d’une institution » aux termes du paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information. Comme le veulent la coutume et le droit, ces documents relèvent plutôt de la garde et du contrôle du professeur Lukits, et non du Collège militaire royal, et, par conséquent, ils ne sont pas assujettis à la demande.

Un grief a été présenté le 28 novembre 2013 dans lequel il est allégué que, par conséquent, l’employeur n’a pas le pouvoir de l’obliger à produire ses notes de cours et qu’une telle ordonnance contrevient à l’article 5 et aux clauses 6.01 et 8.01 de la convention collective.

Le mardi 14 janvier 2014, l’université a indiqué verbalement que les documents demandés devaient être soumis avant le mercredi 22 janvier 2014, faute de quoi le Dr Lukits fera l’objet de mesures administratives (disciplinaires).

Pour éviter des sanctions, le Dr Lukits fournit ses [traduction] « notes manuscrites préparées pour, ou par, le Dr Steven J. Lukits, professeur agrégé, département d’anglais, pour le cours numéro ENE 453 (Littérature de guerre II) enseigné au Collège militaire royal, à Kingston, entre septembre 2012 et le 18 mars 2013 », sous réserve de l’ensemble de ses droits et de ceux de l’Association. Sans limiter la portée de ce qui précède, la présente vise à vous informer que la présentation de ces notes par le Dr Lukits est expressément sans préjudice au grief daté du 28 novembre 2013.

[…]

20        L’article 2 de la convention collective est intitulé « Interprétation et définitions » et, d’après la clause 2.01k), le terme « employé » désigne « l’employé tel qu’il est défini dans la Loi […] et qui fait partie de l’unité de négociation ».

21        D’après, la clause 2.01s) de la convention collective, « UT » désigne « l’employé tel que défini à l’alinéa » 2.01k).

22        Pendant la période pertinente, la Loi définissait le terme « fonctionnaire » comme suit :

fonctionnaire Sauf à la partie 2, personne employée dans la fonction publique, à l’exclusion de toute personne :

a) nommée par le gouverneur en conseil, en vertu d’une loi fédérale, à un poste prévu par cette loi;

b) recrutée sur place à l’étranger;

c) qui ne n’est pas ordinairement astreinte à travailler plus du tiers du temps normalement exigé des personnes exécutant des tâches semblables;

d) qui est membre ou gendarme auxiliaire de la Gendarmerie royale du Canada, ou y est employée sensiblement aux mêmes conditions que ses membres; [cependant, voir Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 SCC 1]

e) employée par le Service canadien du renseignement de sécurité et n’exerçant pas des fonctions de commis ou de secrétaire;

f) employée à titre occasionnel;

g) employée pour une durée déterminée de moins de trois mois ou ayant travaillé à ce titre pendant moins de trois mois;

h) employée par la Commission;

i) occupant un poste de direction ou de confiance;

j)  employée dans le cadre d’un programme désigné par l’employeur comme un programme d’embauche des étudiants.

23        L’article 4 de la convention collective est intitulé « Priorité de la loi sur la convention collective ». La clause 4.01 est ainsi rédigée :

4.01 Advenant qu’une loi quelconque du Parlement, s’appliquant aux UT de la fonction publique qui sont assujettis à la présente convention, rende nulle et non avenue une disposition quelconque de la présente convention, les autres dispositions de la convention demeurent en vigueur pendant la durée de la convention.

24        L’article 5 de la convention collective est intitulé « Liberté universitaire et responsabilités » et prévoit ce qui suit :

Définition générale

5.01 Les UT ont droit à la liberté universitaire. La liberté universitaire ne confère pas l’immunité juridique ni ne diminue la responsabilité des UT de s’acquitter de leurs obligations pédagogiques. Elle consiste en la liberté, individuelle ou collective, de poursuivre, de développer et de transmettre des connaissances par la recherche, l’étude, la discussion, la documentation, la production, la création, l’enseignement, les conférences et l’écriture, sans obligation de respecter une doctrine prescrite ou officielle, et à l’abri de la censure institutionnelle. Elle inclut :

La liberté d’enseigner et les responsabilités qui s’y rattachent

5.02 Les UT qui enseignent ont le droit d’exprimer librement leurs vues sur la matière enseignée, et ils peuvent utiliser des documents et des analyses qui en ont été faites, et s’y référer, sans devoir prendre en considération ou respecter une doctrine prescrite.

Dans ces circonstances, l’UT doit traiter la matière selon la description qu’en donne l’annuaire, se tenir à jour dans sa discipline, traiter les étudiants équitablement et honnêtement, et enseigner de manière efficace, ce qui implique l’utilisation d’arguments justes, raisonnés et fondés sur les faits et la volonté de faire place à l’expression de points de vue différents.

La liberté de faire de la recherche et les responsabilités qui s’y rattachent

5.03 Les UT sont libres de poursuivre des travaux de recherche dans leur spécialité sans devoir prendre en considération ou respecter une doctrine prescrite, ce qu’on ne devrait pas interpréter comme un empêchement ou une interdiction de développer de nouveaux champs de compétence.

L’UT doit respecter les lignes de conduite établies à l’égard du travail avec des sujets animaux ou humains, traiter équitablement ses collègues et étudiants, fonder sa recherche sur une honnête quête de connaissances et faire reposer ses conclusions sur un examen critique des preuves disponibles et sur une analyse raisonnée de l’interprétation qui en est faite.

La liberté de publier et les responsabilités qui s’y rattachent

5.04 Les UT ont le droit de publier les résultats de leur recherche sans intervention ni censure de la part de l’institution, de ses agents ou de qui que ce soit. Cela ne devrait pas exclure fait que l’UT puisse accepter certaines restrictions à l’égard de ses publications afin de respecter les conditions qu’un parrain de ses travaux a pu rattacher au soutien qu’il lui accorde.

Les chercheurs ont la responsabilité de rapporter honnêtement et de façon précise les résultats de leurs recherches, et de reconnaître de manière appropriée les contributions des autres aux travaux dont ils font état.

La liberté d’expression et les responsabilités qui s’y rattachent

5.05 Les UT ont le droit de s’exprimer librement.

L’UT qui fait un commentaire dans son champ de compétence est lié par la même obligation à l’honnêteté et à l’exactitude que celle dont est assorti le droit de publier les résultats de ses recherches.

Dans l’exercice de ce droit, l’UT ne doit laisser planer aucun doute quant à savoir s’il s’exprime en sa capacité professionnelle ou à titre de simple citoyen, pas plus qu’il ne doit prétendre parler au nom du collège à moins qu’il ait été autorisé à le faire.

La liberté universitaire et la mission spéciale du CMC

5.06 La mission spéciale du collège ne diminue pas la liberté universitaire de l’UT. Néanmoins, la mission spéciale du collège peut l’exposer à des torts résultant de malentendus suscités par un débat public ou une publication sur un sujet qui concerne directement cette mission. Ce risque impose au UT qui participe à un tel débat ou à une telle publication la responsabilité d’être plus clair qu’il n’aurait à l’être s’il traitait de questions non liées étroitement à la mission.

Le collège sera mieux placé pour corriger tout malentendu public et pour assurer la liberté universitaire de l’UT si le collège et l’UT sont en mesure de prévoir l’effet qu’auront les propos de ce dernier. À cette fin, les UT sont encouragés à informer à l’avance le recteur de la possibilité de tout débat public ou de toute publication qui, à leurs yeux, ont un lien étroit avec la mission spéciale du collège.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

25        L’article 6 de la convention collective s’intitule « Droits de la direction ». La clause 6.01 prévoit ce qui suit :

6.01 L’Association reconnaît que l’Employeur retient toutes les fonctions, les droits, les pouvoirs et l’autorité que ce dernier n’a pas, d’une façon précise, diminués, délégués ou modifiés par la présente convention.

26        L’article 8 de la convention collective s’intitule « Pratiques passées ». La clause 8.01 prévoit ce qui suit :

8.01 Lorsque la présente convention ne mentionne pas de conditions d’emploi, les conditions antérieures à la date d’entrée en vigueur de la présente convention continuent de s’appliquer pourvu :

a) qu’elles n’aillent pas à l’encontre de la convention;

b) qu’elles soient raisonnables, certaines et connues;

c) qu’elles puissent être incluses dans la présente convention conformément à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique;

d) qu’elles soient remplies de façon juste et équitable.

27        La clause 8.02 est ainsi rédigée :

8.02 Le fardeau d’établir une pratique passée au sens du paragraphe 8.01 incombe à la partie qui en allègue l’existence.

28        Le 27 mai 2014, le fonctionnaire a reçu une réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, qui était rédigée comme suit :

[Traduction]

[…]

La présente constitue la réponse au dernier palier relativement à votre grief dans lequel vous alléguez que l’acte d’obliger la production de vos notes de cours en réponse à une demande d’accès à l’information a contrevenu à l’article 5 et aux clauses 6.01 et 8.01 de votre convention collective. J’ai examiné attentivement les circonstances de votre grief, y compris les arguments présentés en votre nom par Helen Luu, votre représentante de l’APCMC.

Je constate que vous êtes un professeur au Collège militaire royal du Canada (Collège), soit la seule université réglementée par le fédéral au Canada et, par conséquent, assujettie à la Loi sur l’accès à l’information (LAI). Conformément à cette loi, j’ai déterminé que votre matériel d’enseignement relève effectivement du Collège et la LAI ne prévoit aucune exemption relativement au matériel d’enseignement. En outre, votre convention collective stipule, à l’article 5, que la « liberté universitaire ne confère pas l’immunité juridique ». En conséquence, l’ordre de vous conformer à la demande d’AI ne contrevenait pas à l’article 5 ou aux clauses 6.01 et 8.01 de votre convention collective.

[…]

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

29        L’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief d’examiner le présent grief pour les motifs suivants :

  1. L’essence même du grief porte sur une question d’interprétation de la LAI, et non sur l’administration ou l’application de la convention collective.
  2. L’article 30 de la LAI est un autre recours administratif de réparation au sens du paragraphe 208(2) de la Loi.
  3. La divulgation des documents en vertu de la LAI n’est pas une question comprise dans la convention collective, expressément ou par l’application de l’alinéa 226(2)a) de la Loi.

30        Un arbitre de grief n’a pas compétence inhérente. Il doit respecter les limites du pouvoir réglementaire en vertu de la Loi, et il ne peut outrepasser les domaines où le législateur ne lui a pas conféré un pouvoir exprès. Le paragraphe 208(2) de la Loi prévoit qu’il est interdit de déposer un grief lorsqu’un autre recours administratif de réparation est prévu en vertu d’une autre loi fédérale (autre que la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) (la « LCDP »). À l’appui de sa position, l’employeur m’a renvoyé à Wray c. Conseil du trésor (ministère des Transports), 2012 CRTFP 64, et à Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50.

31        L’employeur a fait valoir qu’au moment d’évaluer les questions liées à la compétence, il incombe au fonctionnaire d’établir que le grief satisfait aux seuils prescrits par la Loi. À cet égard, on m’a renvoyé à Mutart c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 90.

32        D’après l’employeur, même si le libellé peut faire référence à des articles de la convention collective, il doit être établi que l’essence même du grief ou son caractère véritable est lié à une question prévue par la convention collective. Un fonctionnaire ne peut avoir recours à des dispositions anodines de la convention collective pour étoffer la compétence. Pour évaluer l’essence même d’un grief, un arbitre de grief devrait se pencher sur son libellé, tout en tenant compte des facteurs contextuels. Le fait qu’une disposition de la convention collective soit mentionnée dans le corps du grief n’est pas déterminatif.

33        Le caractère véritable du grief consiste à déterminer si les notes de cours du fonctionnaire sont un [traduction] « […] document qui relève d’une institution fédérale » aux termes du par. 4(1) de la LAI. À cet égard, l’employeur a déclaré que le grief renvoie à une lettre où un individu exprime son opinion voulant que la LAI devrait être modifiée pour être interprétée d’une manière semblable à la loi équivalente de l’Ontario, à une ordonnance du Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée, au par. 4(1), insiste sur les allégations que les notes de cours ne [traduction] « […] relèvent pas de l’employeur aux termes du paragraphe 4(1) de la LAI » et demande une déclaration que l’employeur a contrevenu aux dispositions de la LAI.

34        L’employeur a fait valoir que le grief a été initié par une demande d’AI, par opposition à une action indépendante de sa part.

35        Étant donné que le caractère essentiel du litige vise l’accès à l’information et non le droit du travail, il exige d’un arbitre de grief qu’il interprète et applique la LAI. La question relative au litige portant sur la convention collective n’est adressée que si les notes de cours sont réputées être [traduction] « […] un document relevant d’une institution fédérale » au sens de la LAI. L’interprétation réglementaire constitue la première question, et le respect contractuel découle de la détermination uniquement à titre de question secondaire. Puisque le caractère véritable du litige est l’interprétation de la LAI et non de la convention collective, un arbitre de grief n’a pas compétence.

36        Le paragraphe 208(2) de la Loi interdit la présentation d’un grief individuel lorsqu’un autre recours administratif de réparation est prévu en vertu d’une autre loi fédérale (sauf la LCDP). Si un autre recours administratif est disponible, celui-ci doit être utilisé. L’employeur m’a renvoyé à Brown c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1205, Miller c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 164, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2012 CRTFP 84, et Canada (Procureur général) c. Boutilier,[2000] 3 C.F. 27 (C.A.).

37        L’employeur a fait valoir que l’al. 30(1)f) de la LAI prévoit un processus administratif aux fins de recours auquel le fonctionnaire avait accès. En vertu de cette disposition, le commissaire à l’information est en mesure d’enquêter sur une plainte et de présenter des constatations et des recommandations, ce qui, selon l’employeur, constitue une réparation significative semblable à la demande de déclaration du fonctionnaire. Cela étant, un grief n’aurait pu être présenté. À cet égard, l’employeur m’a renvoyé à un document tiré du site Web du Commissariat à l’information du Canada intitulé « Mon journal ne regarde que moi ».

38        L’employeur a fait valoir que le processus d’arbitrage prévu au par. 209(1) de la Loi est un processus inadéquat, car il n’offre pas à la personne inconnue à l’origine de la demande de divulgation l’occasion de présenter des arguments devant un arbitre de grief à propos de la nécessité de sa demande.

39        La divulgation des documents en vertu de la LAI n’est pas une question comprise dans la convention collective, expressément ou par l’application de l’alinéa 226(1)g) de la Loi.

40        Aucune violation de la LAI ne relève de la compétence d’un arbitre de grief. À cet égard, l’employeur m’a renvoyé à Hajjage c. Agence du revenu du Canada, 2011 CRTFP 5, et à Scharf c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 121.

41        Un arbitre de grief n’a pas compétence en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi pour examiner un grief individuel qui soulève une question indépendante liée à une « […] loi fédérale relative à l’emploi […] » en vertu de l’alinéa 226(1)g).Le pouvoir d’interpréter une loi fédérale relative à l’emploi en vertu de l’alinéa 226(1)g) entre en jeu uniquement lorsqu’un grief a été renvoyé à l’arbitrage de manière appropriée. À cet égard, l’employeur m’a renvoyé aux paragraphes 39 à 44 de Chamberlain, 2015 CF 50, qui sont rédigés comme suit :

39 Le régime adopté par le législateur pour le règlement des griefs des fonctionnaires est très particulier et diffère des régimes généralement appliqués dans le secteur privé. Le législateur a décidé d’accorder un « droit de grief » relativement à plusieurs questions qui se rapportent aux conditions d’emploi à tous les fonctionnaires, y compris ceux qui ne sont pas représentés par un agent négociateur ni parties à une convention collective. […]

[…]

40 Cependant, le législateur a aussi choisi de ne rendre que certains types de grief susceptibles de renvoi à l’arbitrage par les employés. Voici comment l’article 209 de la LRTFP circonscrit et limite les cas de renvoi à l’arbitrage :

[…]

41 L’article 209 ne vise pas les griefs individuels présentés par des fonctionnaires non parties à une convention collective, qui contiennent des allégations autonomes de violation à la LCDP. Or, à mon sens, l’article 209 est la seule disposition de la LRTFP qui attribue compétence à l’arbitre de grief. L’article 226 ne crée pas une autre catégorie de griefs susceptible d’être renvoyée à l’arbitrage. Le paragraphe 226(1) – dont le contenu correspond à l’actuel paragraphe 226(2) de la LRTFP et aux articles 20 à 23 de la LCRTEFP – énonce les pouvoirs de l’arbitre de grief relativement à toute affaire dont il est saisi. Les pouvoirs énumérés au paragraphe 226(1), dont celui d’interpréter et d’appliquer la LCDP, entrent donc en jeu une fois que le grief a été valablement renvoyé à l’arbitrage. Autrement dit, une fois valablement saisi d’un grief renvoyé à l’arbitrage, l’arbitre peut interpréter et appliquer la LCDP si les questions soulevées dans ce grief font intervenir des dispositions de cette loi. Il s’ensuit à mon avis que l’arbitre ne s’est pas trompé en déclarant qu’il n’avait pas compétence à l’égard des allégations de Mme Chamberlain concernant les droits de la personne au motif qu’il n’avait pas, au départ, compétence sur son grief.

42  En outre, ajouterai-je, je souscris aux raisons quinvoque larbitre de grief pour écarter la jurisprudence citée dans la décision Chamberlain CF. Qui plus est, les extraits suivants de la décision de M. Filliter me paraissent proposer un excellent résumé de l’interprétation correcte des articles 209 et 226 de la LRTFP.

87 En d’autres termes, la condition préalable pour qu’un arbitre de grief puisse prendre en considération un recours en vertu du paragraphe 226(1) de la LRTFP est que l’affaire soit renvoyée à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de la LRTFP.

88 En l’espèce, la fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, qui, en l’espèce, était la seule disposition applicable de ce paragraphe. Dans ma décision initiale, j’ai décidé que la fonctionnaire n’avait pas produit de preuve prima facie selon laquelle des mesures disciplinaires lui avaient été imposées par l’employeur. Cette conclusion a été jugée raisonnable par la Cour fédérale dans Chamberlain CF.

89 Au paragraphe 76 de Chamberlain CF, la Cour fédérale fait référence à Parry Sound. Il s’agit d’une affaire relevant du secteur privé dans laquelle la Cour suprême du Canada a conclu qu’un arbitre de grief avait eu raison de se déclarer compétent pour statuer sur un grief alléguant le congédiement d’une employée à l’essai sur le fondement de présumées violations des droits de la personne. Le régime du secteur privé n’était pas du tout le même que le régime d’arbitrage des griefs prévu par la LRTFP. Le régime d’arbitrage des griefs définit et limite clairement les affaires qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage.

[…]

93 Selon moi, le paragraphe 226(1) de la LRTFP doit être interprété selon le contexte, en prenant en considération les faits particuliers de chaque cas. Une interprétation du paragraphe 226(1) de la LRTFP selon laquelle serait conféré aux arbitres de grief le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les dispositions de la LCDP même s’il n’y a pas de grief pouvant être renvoyé à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de la LRTFP aurait pour effet d’empêcher les fonctionnaires fédéraux de présenter un recours en vertu de la LCDP (à l’exception des litiges en matière d’équité salariale).

94 Une telle interprétation aurait plus directement pour effet de déduire de ce paragraphe un motif recevable de renvoi à l’arbitrage qui n’est pas prévu par le paragraphe 209(1) de la LRTFP.

95 Je suis d’avis que si le législateur avait voulu légiférer dans le sens de ces deux résultats, il l’aurait manifesté par un libellé clair.

43 La seule voie de recours qui s’offrait à Mme Chamberlain pour faire valoir ses allégations autonomes de violation à la LCDP était une plainte devant la CCDP.

44 Le genre de situation dans laquelle s’est trouvée Mme Chamberlain a depuis lors été réexaminé par le législateur. En effet, la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, LC 2013, ch. 40 [le projet de loi C-4], qui a reçu la sanction royale le 12 décembre 2013, a modifié le paragraphe 209(1) de la LRTFP par l’adjonction d’un sous-alinéa [c.1c)(i)] qui permettra le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur un acte discriminatoire prévu à la LCDP. Par conséquent, les griefs individuels soulevant des questions de droit de la personne pourront être renvoyés à l’arbitrage, et la CCDP n’aura plus compétence sur les plaintes de discrimination liées à l’emploi. Malheureusement pour Mme Chamberlain, ces modifications ne peuvent influer sur sa situation, puisque les nouvelles dispositions ne sont pas encore en vigueur et ne peuvent servir à étendre la compétence de l’arbitre de grief aux allégations relatives aux droits de la personne.

42        L’employeur a fait valoir que le caractère véritable du litige qui découle du grief ne relève pas de la convention collective, mais de la LAI. Aucune disposition de la convention collective n’intègre la LAI ou n’interdit la divulgation de documents en vertu de la LAI.

43        Bien que l’article 5 de la convention collective porte sur la liberté universitaire, il n’est pas question de la divulgation des notes de cours. Si les parties avaient eu l’intention d’intégrer les obligations imposées par la LAI dans la convention collective ou de limiter dans une certaine mesure la divulgation des notes de cours, elles l’auraient fait; elles ne l’ont pas fait.

44        La LAI n’est pas une « loi fédérale » relative à l’emploi au sens de l’alinéa 226(1)g) de la Loi. Un arbitre de grief ne peut l’interpréter dans le contexte du présent grief. L’expression « relative à l’emploi » renvoie aux lois dont l’objet principal est essentiellement de réglementer la relation d’emploi (par opposition à des parties isolées de lois qui ne sont pas relatives à l’emploi). La LAI vise à réglementer l’accès à l’information dans les documents qui relèvent d’une institution gouvernementale. Elle ne vise pas à réglementer une relation d’emploi quelconque. À l’appui de sa position, l’employeur m’a renvoyé à Ontario Nurses’ Association v. Chatham-Kent (Municipality), [2006] O.L.A.A. No. 734 (QL), et à Universal Workers Union, Labourers’ International Union of North America, Local 183 v. King-Con Construction Ont. Ltd., [2004] O.L.R.D. No. 773 (QL « King-Con »). L’employeur m’a également renvoyé à Charette c. Agence Parcs Canada, 2015 CRTEFP 43, et à Boivin c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CRTFP 98.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

45        Le fonctionnaire a fait valoir que les deux principaux enjeux juridiques suivants doivent être déterminés :

  1. Est-ce que la question de savoir si les notes de cours du fonctionnaire relèvent, ou relevaient, de l’employeur est liée à « […] l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale […] », selon l’al. 209(1)a) de la Loi?
  2. Même si la question du contrôle des notes de cours du fonctionnaire est visée par l’al. 209(1)a) de la Loi, est-ce qu’il était interdit au fonctionnaire de présenter un grief à l’égard de cette question parce que l’art. 30 de la LAI prévoyait un recours administratif de réparation?

46        L’argument du fonctionnaire a été exposé dans des présentations distinctes qui étaient parfois liées entre elles.

1. Le pouvoir de l’employeur de présenter des documents en réponse à des demandes en vertu de la LAI est limité aux documents qui relèvent de lui

47        Dans la LAI, il ressort clairement que la divulgation de renseignements se limite aux documents qui relèvent de l’administration fédérale. Le paragraphe 2(1) définit l’objet de cette Loi comme suit :

2(1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

48        Le paragraphe 4(1) de la LAI, qui prévoit le droit de demander et de se voir accorder l’accès, limite expressément ce droit aux « […] documents relevant d’une institution fédérale ». Le paragraphe 4(2.1) précise que les obligations imposées aux responsables des institutions fédérales se limitent aux demandes d’« […] accès aux documents relevant d’une institution fédérale […] ». L’alinéa 5(1)b) impose une obligation générale au gouvernement de publier des descriptions des catégories de documents, limitées aux documents « […] qui en relèvent […] ».

49        Avant que des obligations substantielles visées par la LAI soient soulevées, il faut établir que le document en question relève de l’institution fédérale en question.

2. Les droits et obligations fondamentaux des lois relatives à l’emploi figurent implicitement dans chaque convention collective

50        Le fonctionnaire a fait valoir que Parry Sound (District) Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42(« Parry Sound ») a rendu les déterminations suivantes :

[Traduction]

  1. les tribunaux n’exécuteront pas des contrats illégaux ou contraires à l’ordre public;
  2. même si une convention collective peut accorder à l’employeur le droit général de gérer l’entreprise comme il le juge indiqué, mais ce droit est restreint par les droits conférés à l’employé par la loi;
  3. l’absence d’une disposition expresse qui interdit la violation d’un droit légal donné ne permet pas de conclure que la violation de ce droit ne constitue pas une violation de la convention collective;
  4. les droits et obligations fondamentaux prévus par les lois relatives à l’emploi sont implicites et sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre de grief a compétence, quelles que soient les intentions réciproques des parties.
  5. Parce que les droits et obligations fondamentaux prévus par les lois relatives à l’emploi sont implicites et sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre de grief a compétence, il s’ensuit qu’une violation alléguée de ces droits et obligations substantiels constitue une violation alléguée de la convention collective.

51        L’alinéa 48(12)j) de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario, 1995, S.O. 1995, chap. 1 (la « LRTO »), prévoit ce qui suit :

(12) L’arbitre ou le président d’un conseil d’arbitrage, selon le cas, a le pouvoir :

j) d’interpréter et d’appliquer les lois ayant trait aux droits de la personne ainsi que les autres lois ayant trait à l’emploi, malgré toute incompatibilité entre ces lois et les conditions de la convention collective […]

52        Le paragraphe 226(2) de la Loi précise ce qui suit :

(2) L’arbitre de grief et la Commission peuvent, pour instruire toute affaire dont ils sont saisis :

a) interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de cette loi sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes, ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi, même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective; […]

53        L’alinéa 48(12)j) de la LRTO correspondait à la partie pertinente de la loi de l’Ontario que la Cour suprême a interprétée dans Parry Sound. À ce titre, les principes dans Parry Sound que la Cour suprême a interprétés et appliqués à l’égard de l’al. 48(12)j) de la LRTO s’appliquerait au par. 226(2) de la Loi. À cet égard, le fonctionnaire m’a également renvoyé à Association des juristes de justice c. Procureur général du Canada, 2013 CF 806, à Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, à Chamberlain c. Procureur général du Canada, 2012 CF 1027, et à Dodd c. Agence du revenu du Canada, 2015 CRTEFP 8.

54        La présente affaire porte sur une convention collective, et les principes établis dans Parry Sound s’appliquent. Par conséquent, si la LAI est une loi fédérale relative à l’emploi, conformément à Parry Sound, alors ce qui suit s’applique :

  1. Les droits et obligations fondamentaux liés à l’emploi en vertu de la LAI sont implicites et incorporés dans la convention collective.
  2. Une violation alléguée de ces droits et obligations fondamentaux constitue une violation alléguée de la convention collective.
  3. Aux termes de l’al. 209(1)a) de la Loi, le grief est lié à l’interprétation ou à l’application, à l’égard de l’employé, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale et a été renvoyé à l’arbitrage à bon droit.

3. La LAI porte sur des questions relatives à l’emploi

55        La Commission des relations de travail de l’Ontario et les arbitres de griefs ont soutenu que l’on doit accorder à l’expression « loi relative à l’emploi » un sens suffisamment général pour atteindre l’objectif social important de promouvoir des relations de travail harmonieuses au moyen du règlement rapide, peu coûteux et définitif des litiges en milieu de travail par un tribunal disposant d’une expertise en matière de relations de travail. À cet égard, le fonctionnaire m’a renvoyé à Ontario Agency for Health Protection and Promotion c.o.b. Public Health Ontario v. Ontario Public Service Employees Union, Local 545,[2013] O.L.A.A. No. 438 (QL; « Nagra ») et à King-Con.

56        Pour qu’une loi s’inscrive dans la portée de l’expression « loi relative à l’emploi », il n’est pas nécessaire qu’elle porte exclusivement sur l’emploi ou des conditions d’emploi ou, selon le libellé de l’alinéa 226(2)a) de la Loi, qu’elle soit « relative à l’emploi ». Une loi relative à l’emploi établit un lien significatif entre ses dispositions et l’objet prévu dans la convention collective. Pour établir un tel lien, il suffit que l’employeur exerce son droit de mener ses activités d’une façon qui entre en conflit avec une loi relative à l’emploi et que les actions de l’employeur aient une incidence négative sur un employé visé par une convention collective. À cet égard, le fonctionnaire m’a renvoyé à Nagra, Canadian Union of Public Employees, Local 133 v. Niagara Falls (City),[2005] O.L.A.A. No. 228 (QL; « Iaonnoni »), et à Kawartha Pine Ridge District School Board v. Elementary Teachers Federation of Ontario, non déclarée, publiée le 28 février 2008.

57        Les arbitres de griefs en Ontario et en Alberta ont conclu que les lois provinciales régissant la protection des renseignements personnels et l’accès à l’information constituent des lois relatives à l’emploi. Le fonctionnaire m’a renvoyé à Nagra, Iaonnoni, Kawartha Pine Ridge District School Board, Ontario Public Service Employees’ Union c. The Crown in Right of Ontario, 2015 CanLII 19325, et Government of the Province of Alberta v. The Alberta Union of Provincial Employees, 2012 CanLII 47215.

58        L’application des principes établis dans la jurisprudence mentionnée ci-dessus divulgue qu’il ne fait aucun doute que la détermination de l’employeur selon laquelle les notes du fonctionnaire étaient sous son contrôle, conformément au par. 2(1) et 4(1) de la LAI, ont eu une incidence négative sur lui. Sous la menace d’une mesure disciplinaire, le fonctionnaire a été contraint de fournir ses notes de cours qui, selon lui, étaient ses notes personnelles et qui, selon la pratique habituelle du Collège, étaient considérées comme la propriété personnelle des individus et comme ne relevant pas du Collège.

4. Le même résultat s’applique aux termes de la clause 4.01 de la convention collective

59        La clause 4.01 de la convention collective prévoit ce qui suit :

4.01 Advenant qu’une loi quelconque du Parlement, s’appliquant aux UT de la fonction publique qui sont assujettis à la présente convention, rende nulle et non avenue une disposition quelconque de la présente convention, les autres dispositions de la convention demeurent en vigueur pendant la durée de la convention.

60        La clause 6.01 de la convention collective porte sur les droits de gestion. Dans celle-ci, les parties ont réservé à la direction les fonctions, les droits, les pouvoirs et l’autorité qui ne sont pas expressément diminués, délégués ou modifiés par la convention collective.

61        Lorsque les clauses 4.01 et 6.01 de la convention collective sont lues ensemble, il est manifeste que l’intention des parties était expressément de reconnaître par contrat la règle fondamentale selon laquelle les tribunaux ne forceront pas l’exécution de contrats illégaux ou contraires à l’ordre public. Dans Parry Sound, la Cour suprême a fait valoir que la règle, en pratique, signifie que les droits et obligations fondamentaux des lois sur l’emploi sont implicites dans chaque convention collective à l’égard de laquelle un arbitre de différend ou un arbitre de grief a compétence. À ce titre, la clause 4.01 de la convention collective accomplit expressément ce qui, de toute façon, était implicite.

5. La détermination du contrôle au sens de la LAI

62        Il est manifeste d’après l’esprit de la LAI que la divulgation de renseignements gouvernementaux doit se limiter aux renseignements qui relèvent du contrôle d’institutions fédérales et que, avant que des obligations substantielles en vertu de la LAI surviennent, il faut conclure que le document en question relève de l’institution fédérale en question.

63        L’expression [traduction] « relever du contrôle » n’est pas définie dans la LAI; cependant, Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, a adopté la définition suivante :

[…]

La Cour d’appel fédérale a accepté ce critère en précisant que, dans le contexte des présentes affaires dans lesquelles l’institution n’a pas le document en sa possession matérielle, le document relèvera quand même de l’institution fédérale si l’on répond par l’affirmative aux deux questions suivantes : (1) Le contenu du document se rapporte-t-il à une affaire ministérielle? (2) L’institution fédérale pourrait-elle raisonnablement s’attendre à obtenir une copie du document sur demande? […]

[…]

64        Pour évaluer si on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une institution fédérale obtienne des copies de documents sur demande, les dispositions contractuelles applicables doivent être prises en considération. Dans The Association of Professors of the University of Ottawa v. The University of Ottawa, non publiée, datée du 29 septembre 2008, l’article de la convention collective portant sur la liberté universitaire, qui est pertinente à la question de savoir si les notes du fonctionnaire relevaient de l’employeur, a été tranchée comme suit au paragraphe 230 :

[Traduction]

Cela soulève toutefois la question de savoir quels documents, le cas échéant, qui peuvent être en possession du personnel universitaire, sont assujettis à la Loi. Cette question demeure, si ce n’est pour aucune autre raison que les membres du personnel universitaire sont effectivement des employés de l’Université. Néanmoins, à la lumière de la convention collective et des coutumes et des pratiques de longue date des institutions universitaires, y compris à l’Université d’Ottawa, on peut difficilement faire valoir que les professeurs d’université sont des employés habituels assujettis à l’examen minutieux de la direction. En règle générale, la preuve démontre que, dans le contexte des différentes structures de gouvernance de l’Université, qui sont décrites de manière détaillée ci-dessus, le personnel universitaire jouit d’un niveau d’indépendance considérable dans l’exercice de ses fonctions universitaires, c’est-à-dire l’enseignement, la recherche et les activités communautaires. Effectivement, il est difficile de concevoir la façon dont ils pourraient s’acquitter de ces fonctions sans une telle latitude et indépendance.

65        La clause 8.01 de la convention collective est pertinente pour la question de déterminer si les notes du fonctionnaire relèvent du contrôle de l’employeur. Sous réserve de certaines conditions, cette clause protège par contrat les conditions de travail qui existent immédiatement avant la date d’entrée en vigueur de la convention collective qui, autrement, ne sont pas expressément traitées dans la convention collective.

66        La note d’information, préparée par le bureau du directeur et datée du 9 avril 2013, est une concession de l’employeur qui reconnait que, même si le fonctionnaire est un employé à temps plein, les notes de cours de ce dernier représentent ses notes personnelles et que, selon la pratique habituelle du Collège, les notes de cours sont considérées comme le bien personnel de l’individu et ne relèvent pas du Collège.

6. Le critère du caractère véritable

67        L’employeur a laissé entendre que le caractère véritable de la question soulevée dans le grief porte sur la demande de documents en vertu de la LAI, non sur une affaire en vertu de la convention collective.

68        Au moment de déterminer si une question est visée par une exclusion précisée dans la Loi, habituellement l’art. 113, il faut s’appuyer sur le critère du caractère véritable. Cette question n’est pas pertinente en l’espèce. La simple question juridique dans la présente affaire consiste à établir si le fait que le fonctionnaire soit tenu de produire ses notes de cours concerne « […] l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale […] », conformément à l’al. 209(1)a). Le critère du caractère véritable n’est pas pertinent à cette question.

69        Subsidiairement, le caractère véritable de cette question est clairement lié à une question visée par la convention collective et non la LAI.

70        Même si le processus a été initié à la suite d’une demande en vertu de la LAI, le résultat de la demande consistait en une ordonnance émise à l’employé par l’employeur, afin qu’il se conforme à la demande concernant ses notes de cours ou qu’il fasse l’objet d’une mesure disciplinaire. Le fonctionnaire s’y est conformé, mais sans porter atteinte à son droit de présenter un grief alléguant que l’exercice par l’employeur de ses droits de gestion était illégal. Essentiellement, cette affaire concerne la question de savoir si l’employeur avait le droit d’ordonner au fonctionnaire de produire ses notes de cours. Si un grief sur la question de savoir si une ordonnance émise par un employeur  à un employé est licite ne relève pas, essentiellement, de la convention collective, il serait difficile de concevoir ce qui satisferait à cette exigence.

7. Un autre recours administratif est-il prévu?

71        Le paragraphe 208(2) de la Loi interdit la présentation d’un grief individuel à l’égard duquel un recours administratif de réparation est prévu en vertu d’une loi fédérale autre que la LCDP. Aucune question n’a été soulevée quant à la présentation du grief en vertu de cette disposition avant septembre 2015.

72        Johal c. Agence du revenu du Canada, 2009 CAF 276, prévoit que le pronom français « lui » indique clairement qu’un recours administratif précis interdit à un employé de présenter un grief en vertu du par. 208(1) de la Loi uniquement si ce recours est offert à l’employé présentant le grief. En vertu de la LAI, pour deux motifs, aucun recours administratif de réparation ne s’offrait au fonctionnaire.

73        D’abord, le droit de présenter une plainte au commissaire à l’information se limite aux situations où une demande a été rejetée. Canada (Commissaire à l’information) a fait valoir que l’avis d’un droit de déposer une plainte en vertu de l’art. 10 de la LAI n’est soulevé que dans les situations où la demande d’information est rejetée et ne doit être communiqué qu’au demandeur.

74        Ensuite, le pouvoir du commissaire à l’information dans des circonstances où il conclut qu’une plainte est bien fondée est limité à l’envoi d’un rapport au responsable de l’institution fédérale qui contient les constatations de l’enquête et toutes les recommandations que le commissaire estime appropriées.

75        Le responsable de l’institution fédérale n’a pas à se conformer aux renseignements contenus dans le rapport du commissaire. En pareil cas, un contrôle judiciaire est approprié en vertu de l’art. 41 de la LAI; cependant, à première vue, l’art. 41 se limite à une personne qui s’est vue refuser une demande d’accès à l’information.

C. Réponse de l’employeur

76        L’employeur a soutenu que la présente affaire porte sur la LAI et la façon dont il a répondu à la demande. Selon lui, les notes étaient requises et il a ordonné au fonctionnaire de les produire.

77        Les parties ne peuvent se soustraire à la loi. Les documents en litige dans la présente affaire sont sous le contrôle de l’institution fédérale.

78        L’argument fondé sur la liberté universitaire est très générique. En Ontario, la législation et l’argument sont fondés sur l’hypothèse d’un manquement à la liberté universitaire. L’affaire University of Ottawa n’est pas utile.

79        Le libellé du grief, qui a recours à l’expression [traduction] « violation de la LAI » doit être pris en considération.

80        La LAI n’est pas une loi relative à l’emploi.

81        Le fonctionnaire aurait dû présenter une plainte auprès du commissaire à l’information.

82        Aucune disposition de la convention collective n’établit un lien entre les notes de cours et la liberté universitaire.

83        Le fonctionnaire a laissé entendre que, parce que des arbitres provinciaux ont incorporé des lois en matière de protection des renseignements personnels dans des conventions collectives, la Commission devrait faire de même. Les lois provinciales portent sur les questions liées à la protection des renseignements personnels, ce qui fait en sorte qu’elles portent sur l’emploi.

84        Association des juristes de justice ne va pas plus loin que Parry Sound. Les parties dans cette affaire ont négocié une disposition qui incorporait la Charte canadienne des droits et libertés et la Constitution du Canada. Dans la présente affaire, aucune disposition de la convention collective n’incorpore la LAI.

IV. Motifs

85        L’article 2 de la LAI précise que son objectif est d’élargir la portée des lois du Canada afin de fournir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

86        Dans la LAI, l’expression « institution fédérale » s’entend de tout ministère ou département d’État relevant du gouvernement du Canada, out tout organisme, figurant à l’annexe I, ou toute société d’État mère ou filiale à cent pour cent d’une telle société au sens de l’art. 83 de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11). Selon le même article, le terme « document » s’entend des éléments d’information, quel qu’en soit le support.

87        L’article 4 de la LAI prévoit que, sous réserve de la LAI, mais nonobstant toute autre loi fédérale, toute personne qui est un citoyen canadien ou un résident permanent au sens du par. 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. (2001), ch. 27) a droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peut se les faire communiquer sur demande.

88        En termes simples, la LAI prévoit que les Canadiens et les résidents permanents ont un droit d’accès à l’information du gouvernement.

89        Aux environs du 22 mars 2013, une demande d’AI a été transmise au chef du personnel militaire, le coordonnateur en chef, à l’Académie, relativement à certains documents liés à un cours enseigné par le fonctionnaire. La demande de documents comprenait ce qui suit :

  • matériel de cours;
  • diapositives des cours magistraux;
  • documents de cours;
  • trousses de cours;
  • notes manuscrites préparées pour, ou par, le fonctionnaire.

90        Le 5 avril 2013, l’APCMC a informé le directeur du Collège que, à son avis, les documents demandés dans la demande d’AI n’étaient pas des documents relevant de l’institution aux termes du par. 4(1) de la LAI. Malgré sa position, le fonctionnaire a fourni tous les documents demandés à l’exception de ses notes de cours, car tous les autres documents avaient été mis à la disposition des étudiants qui ont suivi le cours.

91        Le fonctionnaire a fourni ses notes de cours sous toute réserve et a présenté le présent grief le 28 novembre 2013. Le grief est passablement long; par moment, il présente à la fois les faits et la jurisprudence. Cependant, l’essence du grief se trouve au paragraphe 13, où le fonctionnaire indique que ses notes de cours relèvent de lui et non de l’employeur et que, à ce titre, elles ne sont pas assujetties aux dispositions de la LAI.

92        La position de l’employeur est que la Commission n’a pas compétence en vertu de la Loi, car cette affaire relève de la LAI; cependant, je n’ai été saisi de presque aucun document factuel me permettant de rendre cette détermination.

93        Le problème avec la position de l’employeur est qu’elle est fondée sur l’hypothèse selon laquelle les notes du fonctionnaire relèvent de lui, ce que le fonctionnaire conteste.

94        La question clé dans le présent grief consiste à déterminer si les documents en question relevaient d’une institution fédérale ou du fonctionnaire. S’ils ne relevaient pas de l’employeur (l’employeur étant une institution fédérale), alors la LAI ne s’applique pas, car elle ne s’applique pas aux renseignements qui ne relèvent pas du gouvernement. C’est l’essence même de la question dont je suis saisi.

95        Bien que la demande d’AI soit à l’origine de l’ordonnance de l’employeur au fonctionnaire de produire les documents demandés, le fonctionnaire a remis en question le pouvoir de l’employeur de lui ordonner de les produire. Il s’agit essentiellement d’une question relative à l’emploi; il s’agit d’un problème en milieu de travail entre l’employeur et un employé qui serait habituellement assujetti à l’art. 208 de la Loi puisque le fonctionnaire s’est estimé lésé par l’interprétation ou l’application, à son égard, d’une directive formulée ou délivrée par l’employeur relevant des sous-al. 208(1)a)(i) ou (ii) ou de l’al. (1)b), car l’employeur a exigé qu’il produise les documents mentionnés dans la demande d’AI. À tout le moins, il s’agit d’une directive qui porte sur les conditions de son emploi ou d’une situation ou d’une question qui a une incidence sur ses conditions d’emploi. Une fois de plus, à tout le moins, la preuve dont je suis saisi par rapport à la question préliminaire relative à ma compétence laisse entendre que le grief relève des limites prévues à l’art. 208.

96        Les paragraphes 208(2) à (6) de la Loi prévoient certaines limites en ce qui concerne la présentation d’un grief par un employé en vertu de la Loi. Le paragraphe 208(3) interdit la présentation de griefs portant sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalents. Le paragraphe 208(4) interdit la présentation de griefs portant sur une disposition d’une convention collective ou une décision arbitrale, à moins que l’employé ait l’approbation de son agent négociateur et qu’il soit représenté par celui-ci. Le paragraphe 208(5) interdit à un employé de présenter un grief si l’employeur dispose d’un processus de règlement des plaintes qui comprend une disposition indiquant expressément que, si les employés se prévalent de ce processus, ils n’auront pas le droit de présenter un grief en vertu de la Loi. Le paragraphe 208(6) interdit à un employé de présenter un grief lié à toute mesure prise en vertu de toute instruction, de toute directive ou de tout règlement donné ou formulé par le gouvernement du Canada ou en son nom dans l’intérêt de la sûreté ou de la sécurité du Canada ou de tout autre État allié ou associé au Canada.

97        Aucune des limites prévues aux par. 208(3), (4), (5) ou (6) de la Loi ne s’applique à l’égard du présent grief, pas plus qu’elles n’interdisent la présentation d’un grief en vertu du par. 208(1). Cela ne laisse que la limite établie au par. 208(2) de la Loi, qui correspond à une interdiction relative à la présentation d’un grief lorsqu’un recours administratif de réparation est prévu par une loi fédérale autre que la LCDP.

98        L’employeur a fait valoir que la limitation prévue au par. 208(2) de la Loi s’applique en raison de l’existence d’un recours administratif de réparation prévu par la LAI dont aurait pu se prévaloir le fonctionnaire. Je suis en désaccord.

99         L’employeur a fait valoir que l’al. 30(1)f) de la LAI est un « recours administratif de réparation » en vertu d’une autre loi fédérale tel qu’il est établi au par. 208(2) de la Loi et, à ce titre, est visé par l’interdiction relative à la présentation d’un grief.

100        L’alinéa 30(1)f) de la LAI figure dans la partie intitulée « Plaintes » et il est libellé comme suit :

30 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à l’information reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes :

[…]

f) portant sur toute autre question relative à la demande ou à l’obtention de documents en vertu de la présente loi.

101        Dans Canada (Commissaire à l’information), aux par. 17 à 20, la Cour suprême a examiné le processus d’accès à l’information et le processus de plainte connexe établi dans la LAI et a affirmé ce qui suit :

[17] Le droit « à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale » est prévu au par. 4(1). […]

[18] La première démarche à accomplir pour obtenir la communication d’un document d’une institution fédérale consiste pour le simple citoyen à en faire la demande par écrit (art. 6). Le responsable de l’institution fédérale à qui est faite la demande est tenu d’aviser par écrit la personne qui a fait la demande de ce qu’il sera donné ou non communication totale ou partielle du document dans un délai raisonnable (art. 7 à 9). En cas de refus de communication, le responsable de l’institution fédérale doit aviser l’auteur de la demande que le document n’existe pas ou préciser la disposition sur laquelle il se fonde pour en refuser la communication (par. 10(1) à (3)). De plus, l’institution fédérale doit informer l’auteur de la demande de son droit « de déposer une plainte auprès du Commissaire à l’information » (par. 10(1)).

[19] Si l’auteur de la demande choisit d’exercer son droit de porter plainte, le Commissaire est habilité à ouvrir une enquête s’il « a des motifs raisonnables de croire qu’une enquête devrait être menée sur une question relative à la demande ou à l’obtention de documents en vertu de la présente loi (par. 30(3)) […] Dans le cas où il conclut au bien-fondé de la plainte, le Commissaire adresse au responsable de l’institution fédérale de qui relève le document un rapport dans lequel elle présente les conclusions de son enquête ainsi que les recommandations qu’elle juge indiquées; elle peut également demander au responsable de lui donner avis soit des mesures prises pour la mise en œuvre de ses recommandations, soit des motifs invoqués pour ne pas y donner suite par. 31(1)).

[20] Si l’institution fédérale choisit de ne pas donner suite aux recommandations du Commissaire, la personne qui s’est vu refuser la communication du document demander peut exercer un recours en révision de ce refus en vertu de l’art. 41 de la Loi sur l’accès à l’information. […]

102        La difficulté en ce qui concerne la position de l’employeur est que le par. 30(1) de la LAI présuppose que les documents en question sont des documents au sens de la LAI. Pour que le par. 30(1) s’applique, les documents doivent « […] [relever] d’une institution fédérale » aux termes du par. 4(1); si ce n’est pas le cas, le par. 30(1) ne s’applique pas. La position du fonctionnaire était que ses notes de cours ne constituaient pas un document « […] relevant d’une institution fédérale ». Si les notes de cours ne sont pas un document au sens de la LAI, alors le recours administratif de réparation, tel qu’il est établi au par. 208(2) de la Loi, n’existe pas et, par conséquent, ne constitue pas une limite relativement à la présentation d’un grief.

103        L’ensemble de l’objet et de la structure de la LAI consiste à faciliter l’accès à l’information que détient le gouvernement. Les processus de plainte et d’enquête sont clairement établis en vue d’assurer l’accès à des documents que, pour une raison ou une autre, l’institution fédérale refuse de produire.

104        Dans Johal, la Cour d’appel fédérale a établi le sens du par. 208(2) de la Loi. Les paragraphes 33 à 35 indiquent ce qui suit :

ii) Interprétation du paragraphe 208(2) de la LRTFP

[33] La version anglaise de cette disposition législative est ambiguë et peut signifier l’une de deux choses : soit que le recours de réparation dont traite le paragraphe 208(2) doit être ouvert au fonctionnaire qui a présenté un grief au titre du paragraphe 208(1), soit que ce recours doit porter sur la substance du grief, indépendamment de ce que le fonctionnaire présentant le grief en vertu du paragraphe 208(1) y ait ou non accès.

[34] La version française de la disposition, cependant, résout cette ambiguïté :

Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale […]

Le pronom « lui » établit clairement qu’un recours administratif particulier n’empêche un fonctionnaire de présenter un grief fondé sur le paragraphe 208(1) que si ce recours est ouvert au fonctionnaire qui présente le grief. Or, les appelants ne disposent d’aucun recours prévu au programme de dotation pour contester la nomination de Mme Mao, parce que la Directive S prévoit, eu égard aux faits de l’espèce, que seuls les employés bénéficiant du statut privilégié disposent d’un recours concernant la nomination d’une personne qui jouit du statut privilégié.

[35] Par conséquent, le libellé du paragraphe 208(2) n’empêche pas les appelants de présenter leur grief sous le régime du paragraphe 208(1). Comme l’a exposé le juge Strayer dans l’arrêt Byers (au paragraphe 39), pour qu’un recours prévu dans une autre loi empêche une personne de présenter un grief fondé sur le paragraphe 208(1), « la procédure en question doi[t] certainement permettre à la même partie plaignante d’obtenir une véritable réparation » (non souligné dans l’original).

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

105        Par conséquent, je conclus qu’aucun autre recours administratif, au sens de la Loi, n’était disponible au fonctionnaire.

106        L’employeur a également fait valoir que si j’ai recours au critère du « caractère véritable », le caractère véritable du grief consiste à déterminer si les notes de cours du fonctionnaire sont un « […] document relevant d’une institution fédérale » en vertu du par. 4(1) de la LAI, ce qui est essentiellement une question d’interprétation réglementaire en vertu de la LAI. Je ne suis pas d’accord. Aucune disposition de la LAI ne précise ce qui constitue un « […] document relevant d’une institution fédérale. » Il s’agit de la principale question en litige.

107        La question suivante consiste à déterminer à quel endroit le grief peut être acheminé si l’employeur le rejette pendant la procédure de règlement de griefs? Pour y répondre, il faut consulter l’art. 209 de la Loi, qui établit des limites relativement à la compétence sur ces griefs pouvant être renvoyés à l’arbitrage en vertu de la Loi.

108        Le fonctionnaire a présenté son grief en vertu de l’al. 209(1)a) de la Loi, qui porte sur le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel qui a été présenté jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement de griefs, inclusivement, et qui n’a pas été traité à la satisfaction de l’employé, si le grief est lié à l’interprétation ou à l’application, à l’égard de l’employé, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. La seule condition relative à cette disposition de la Loi en ce qui concerne le renvoi de griefs à l’arbitrage est que l’agent négociateur accepte de représenter l’employé dans les procédures d’arbitrage. Dans la présente affaire, cette question n’est pas en cause, car l’agent négociateur du fonctionnaire était présent et le représentait.

109        Le fonctionnaire a fait valoir que la directive de son employeur de produire ses notes de cours avait contrevenu à la convention collective, plus particulièrement l’article 8, « Pratiques passées », et l’article 5, « Liberté universitaire et responsabilités ».

A. Article 8 de la convention collective

110        L’article 8 de la convention collective est présenté antérieurement dans la présente décision et prévoit simplement que lorsque la convention collective n’aborde pas la question des conditions de travail, à l’intérieur de certaines limites, alors les conditions de travail seront celles qui existaient immédiatement avant la date de la convention collective et elles continueront de s’appliquer.

111        En outre, comme il a été établi plus tôt, aucun témoin n’a été convoqué. La preuve qui m’a été présentée était limitée à un recueil de documents admis avec le consentement des parties, qui contenait une note d’information datée du 9 avril 2013, provenant du directeur du Collège à l’intention du chef du personnel militaire, qui affirme, entre autres choses, ce qui suit :

[Traduction]

4.       Il semble qu’il s’agit de la première fois que le Collège reçoit une telle demande d’AI concernant les documents de cours. Même si le Dr Lukits est un employé à temps plein, il considère ses notes de cours comme ses notes personnelles et la pratique habituelle du Collège est que les notes de cours sont traitées comme des biens personnels de la personne et qu’elles ne relèvent pas du Collège.

[…]

[Je souligne]

112        Selon cette note d’information, le directeur du Collège semblait comprendre que, selon la pratique habituelle du Collège, les notes de cours étaient considérées comme le bien personnel de la personne concernée et qu’elles ne relevaient pas du Collège.

113        La preuve du fonctionnaire à propos de son refus de produire ses notes de cours, ainsi que la correspondance écrite en son nom par l’APCMC à l’égard de la [traduction] « prestation de ses notes de cours », établit clairement que les notes de cours ne relèvent pas du Collège.

114        Si, selon la pratique habituelle du Collège, telle qu’elle est présentée par M. Sokolsky, les notes de cours sont traitées comme le bien personnel de la personne concernée et comme ne relevant pas du Collège, et s’il n’y a aucune disposition dans la convention collective à propos de la propriété des notes de cours, il semble alors qu’il s’agit d’une condition de travail qui existait avant la signature de la convention collective. Le fait que l’employeur ait adopté la position que les notes de cours ne relevaient pas du fonctionnaire serait une question en litige aux termes de l’article 8 de la convention collective entre le fonctionnaire et son agent négociateur d’une part, et l’employeur d’autre part.

115        D’après la preuve dont je suis saisi, je suis convaincu que j’ai compétence en vertu des articles 208 et 209 de la Loi à l’égard d’une violation alléguée de l’article 8 de la convention collective et, à ce titre, l’objection de l’employeur relativement à la compétence doit être rejetée.

B. Article 5 de la convention collective

116        L’article 5 de la convention collective (qui est présenté intégralement plus tôt dans la présente décision) s’étend sur deux pages, contient six sous-paragraphes et traite de façon assez détaillée du domaine de la liberté universitaire et des responsabilités connexes.

117        L’employeur a soutenu que bien que l’article 5 de la convention collective porte sur la liberté universitaire, il n’aborde pas la question de la divulgation des notes de cours. Cela ne suffit pas en soi dans le cadre d’une objection à la compétence pour me convaincre que les notes de cours ne sont pas visées par l’article 5.

118        Le fonctionnaire m’a renvoyé à The University of Ottawa, qui traitait du concept de liberté universitaire dans la mesure où elle est liée aux coutumes et pratiques de longue date des institutions universitaires. Dans cette veine, il a signalé les commentaires de l’arbitre de griefs à propos du caractère de la relation d’emploi des professeurs d’université.

119        Compte tenu de la preuve très limitée dont je suis saisi, je ne suis pas convaincu que je n’ai pas compétence en vertu de l’article 5 de la convention collective, car on peut très certainement faire valoir d’après la preuve et la jurisprudence présentées que la propriété des notes de cours et leur utilisation sont des questions qui relèvent de la portée de l’article 5.

C. L’article intitulé « Mon journal ne regarde que moi »

120        L’employeur a présenté dans le dernier onglet de son recueil de jurisprudence un extrait intitulé « Mon journal ne regarde que moi ». Il semble provenir du Commissariat à l’information du Canada.

121        Le document semble être le résumé d’une situation de fait concernant un employé qui a pris certaines notes sur son ordinateur à domicile à propos de certaines réflexions concernant une réunion qui s’était déroulée au travail. D’après ce résumé, une demande d’AI avait été faite une fois qu’on avait appris l’existence de ces notes. L’employé a refusé de produire ces notes conformément à la demande. Le coordonnateur de l’AI concerné a demandé conseil au commissaire à l’information qui, de son propre chef, a entrepris une plainte ainsi qu’une enquête. Le résumé comprend une section intitulée « Problème juridique », qui établit ce qui suit :

Cette affaire soulève deux questions. Premièrement : le Commissaire peut-il forcer quelqu’un à livrer des documents que cette personne considère comme sa propriété personnelle et non pas comme un document du gouvernement?

Deuxièmement : quels sont les documents que l’on peut considérer comme « relevant d’une institution fédérale »? Seuls ces derniers en effet sont sujets au droit d’accès, en vertu de l’article 4 de la Loi.

En ce qui concerne la première question, deux dispositions de la LAI nous intéressent. L’alinéa 36(1)a) donne au Commissaire le pouvoir.

« d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les pièces qu’il juge indispensables pour instruire et examiner à fond les plaintes dont il est saisi, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives ». […]

Le paragraphe 36(2) porte aussi sur les pouvoirs du Commissaire. Il se lit comme suit :

« Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le Commissaire à l’information a, pour les enquêtes qu’il mène en vertu de la présente loi, accès à tous les documents qui relèvent d’une institution fédérale et auxquels la présente loi s’applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé ». […]

Le Commissaire a jugé que l’alinéa 36(1)a) avait pour effet d’élargir les pouvoirs qui lui sont impartis en vertu du paragraphe 36(2) et de l’habiliter à obliger l’employé à produire ses documents informatisés conservés à la maison. Le Commissaire estimait qu’il lui faillait voir les documents en question pour pouvoir déterminer si oui ou non il existait entre ceux-ci et le milieu de travail un rapport assez étroit pour les faire entrer dans le champ d’application de la Loi sur l’accès à l’information. L’employé, avec le soutien de son syndicat, a résisté en invoquant le paragraphe 36(2). Selon lui, si le document ne « relevait » pas de la CISR, même le Commissaire n’avait pas le droit de le voir.

À la fin, l’employé a obtempéré et a produit les documents. Il n’a pas été nécessaire de lancer une assignation.

En ce qui concerne le deuxième problème, le Commissaire a jugé que les documents appartenaient personnellement à l’employé et qu’ils ne relevaient pas de la CISR aux fins de la Loi sur l’accès à l’information. Pour en arriver à cette conclusion, le Commissaire s’est dit que l’emplacement d’un document (à savoir les locaux de l’institution ou un autre lieu) ne constituait pas le seul facteur pour déterminer si ce document relève de l’institution ou non. Il fallait aussi voir le contenu du document et connaître les circonstances dans lesquelles il avait été créé ou compilé et les raisons pour lesquelles il se trouvait dans les locaux du gouvernement ou ailleurs.

[…]

Ce qu’il faut retenir

Pour déterminer si des documents sont sujets à une communication en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, leur emplacement ne leur confère pas une protection, comme par magie. Les fonctionnaires de l’État ne peuvent pas soustraire un document à la divulgation simplement en le conservant chez eux ou en le confiant à un tiers qui n’est pas visé par la Loi sur l’accès à l’information.

En outre, pour savoir de qui « relève » un document, le Commissaire doit le voir. C’est à cette fin que la Loi sur l’accès à l’information lui donne le pouvoir d’examiner tous les documents qu’il juge nécessaire de connaître, sans égard au fait qu’ils s’avéreront ou non relevé d’une institution fédérale.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

122        Ce document n’est pas utile. Sa source et son auteur sont inconnus, et il ne s’agit très certainement pas de la loi ou de la jurisprudence. Il énonce ce qui est évident, c’est-à-dire que l’emplacement des documents peut ne pas être le facteur déterminant pour déterminer si un document relève du gouvernement. Comme il énonce dans la section « Ce qu’il faut retenir », « [l]es fonctionnaires de l’État ne peuvent pas soustraire un document à la divulgation simplement en le conservant chez eux ou en le confiant à un tiers […] ». Le contraire est aussi vrai; le fait qu’un employé ait quelque chose en sa possession pendant qu’il se trouve au travail ne fait pas de ce quelque chose un « […] document relevant d’une institution fédérale » et, par conséquent, assujetti à la LAI.

D. La LAI est une relative à l’emploi

123        Étant donné que j’ai tranché que l’objection de l’employeur quant à la compétence de la Commission est rejetée pour les motifs présentés plus tôt dans la présente décision, je n’ai pas à me pencher sur les arguments quant à savoir si la LAI est une loi relative à l’emploi.

124        L’employeur a également fait valoir que le grief avait été initié par la demande d’AI par opposition à une action indépendante de sa part. Je ne parviens pas à voir en quoi cela a une incidence sur la compétence de l’arbitre de griefs d’entendre le grief. Ce qui a précipité la mesure de l’employeur qui a mené à la présentation du grief est sans conséquence sur ma compétence en vertu de la Loi, si le grief relève par ailleurs de la compétence établie par la Loi.

125        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

126        L’objection relative à la compétence est rejetée.

Le 13 janvier 2017.

Traduction de la CRTEFP

John G. Jaworski,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

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