Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a présenté un grief alléguant que l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa déficience et qu’il n’a pas pris de mesures d’adaptation à son égard – elle a contesté le fait que l’employeur mette fin à une entente de télétravail de longue date qui avait été établie pour lui permettre de composer avec les problèmes de transport de son enfant – l’entente de télétravail précisait que l’employeur ou elle-même pouvait y mettre fin en tout temps, avec un préavis de deux semaines – 13 ans après le début de l’entente de télétravail, l’employeur a reçu de nouvelles lignes directrices du Conseil du Trésor sur l’administration des ententes de télétravail précisant que le télétravail devait être utilisé uniquement dans le cadre de situations où il y a une obligation de prendre des mesures d’adaptation – par conséquent, l’entente de télétravail de la fonctionnaire s’estimant lésée a été résiliée – en réponse, elle a produit des lettres d’un médecin dans le but d’établir qu’elle était atteinte d’une déficience qui nécessitait une mesure d’adaptation sous forme de télétravail – les lettres ne contenaient pas suffisamment de renseignements médicaux, ne fournissaient pas à l’employeur les renseignements dont il avait besoin pour comprendre pourquoi une mesure d’adaptation était nécessaire, et ne décrivait pas la mesure d’adaptation appropriée – la Commission a conclu que l’employeur avait le droit de mettre fin à l’entente de télétravail et que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas produit une preuve prima facie de discrimination au motif qu’elle souffrait d’une déficience.Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20170606
  • Dossier:  566-02-8510
  • Référence:  2017 CRTEFP 61

Devant un arbitre de grief


ENTRE

TAMMY DORN

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(MINISTÈRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL)

employeur

Répertorié
Dorn c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Michael F. McNamara, arbitre de grief
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Yves Rochon
Pour l'employeur:
Talitha Nabbali, avocate
Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
les 13 et 15 mars 2014.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage – Aperçu

1        Tammy Dorn, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), travaillait comme analyste de l’information sur le marché du travail, au bureau de Brandon, au Manitoba, d’Emploi et Développement social Canada (anciennement Ressources humaines et Développement des compétences Canada). Elle était visée par la convention collective du groupe Économique et services de sciences sociales entre l’Association canadienne des employés professionnels et l’employeur, qui est venue à échéance le 21 juin 2011 (la « convention collective »).

2        La fonctionnaire avait une entente de télétravail de longue date avec l’employeur. Selon cette entente, elle pouvait travailler de la maison les avant-midi et au bureau les après-midi. Elle avait demandé cette mesure d’adaptation en raison de problèmes de transport concernant sa fille.

3        Selon la fonctionnaire, moins d’employés se trouvaient au bureau en raison de plusieurs réorganisations. Elle n’avait plus de responsabilités sur place et l’ensemble du travail pouvait être effectué à partir de la maison. À un certain moment, et sans demander la permission, elle a simplement cessé d’aller travailler au bureau. Elle a reconnu que, essentiellement, elle travaillait de la maison à temps plein depuis 1997.

4        Lorsque des nouvelles lignes directrices ont été émises exigeant que les ententes de télétravail soient fondées uniquement sur des besoins en matière d’adaptation, l’employeur a avisé la fonctionnaire qu’il mettrait fin à son entente de télétravail. Elle a contesté le droit de l’employeur de mettre fin à l’entente. De plus, elle a demandé que l’entente se poursuive sur la base de ses besoins en matière d’adaptation et qu’elle soit modifiée afin de prévoir un horaire de télétravail à temps plein plutôt qu’à temps partiel.

5        La Commission canadienne des droits de la personne a été avisée et elle a refusé de présenter des observations dans la présente affaire.

6        Je conclus que l’employeur avait le droit de mettre fin à l’entente de télétravail de la fonctionnaire sur la présentation d’un préavis de deux semaines. À mon avis, la fonctionnaire n’a pas produit une preuve prima facie selon laquelle elle souffrait d’une déficience qui nécessitait une mesure d’adaptation. De plus, bien que l’employeur ait examiné la demande de mesure d’adaptation de la fonctionnaire, je conclus qu’il n’a pu obtenir suffisamment de renseignements médicaux pour trouver une mesure d’adaptation appropriée, si une telle mesure était nécessaire.

7        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 396 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continue de jouir des pouvoirs prévus par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) dans sa version antérieure à la date d’entrée en vigueur.

II. Résumé de la preuve

8        En novembre 2009, l’entente de télétravail de la fonctionnaire a été consignée par écrit; une date de fin y était précisée, soit février 2016. L’article 2 de l’entente était rédigé en partie comme suit :

[Traduction]

L’entente peut être résiliée par l’une ou l’autre des parties suivant une période de préavis mutuellement convenue de deux semaines. Dans l’éventualité d’une sérieuse infraction à l’entente, la résiliation sera alors immédiate.

9        En octobre 2010, l’employeur a adopté une politique révisée pour toutes les ententes de télétravail, laquelle précisait en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Afin d’assurer une approche uniforme, une nouvelle entente de télétravail dans la région de l’OCT peut être conclue uniquement après approbation de la direction régionale, et ce au moyen d’une présentation acceptée par le Comité de gestion des postes vacants (CGPV) de l’OCT. Toutes les ententes de télétravail qui prendront fin prochainement ou qui sont venues à échéance et dont la date de début et de fin doit être approuvée par les employés et la direction sont assujetties à ce processus d’approbation régional.

10        Le 8 mars 2011, l’employeur a résilié l’entente de télétravail de la fonctionnaire. Le préavis a été donné au moyen d’un appel téléphonique de la part de Pat Johnstone, directrice, Programme du marché du travail, et le délai accordé dépassait les deux semaines prévues. Un courriel de suivi a été envoyé. L’entente devait prendre fin le 31 mars 2011.

11        L’employeur a expliqué que l’entente de télétravail de la fonctionnaire ne respectait pas les lignes directrices actuelles du Conseil du Trésor ou les [traduction] « Lignes directrices de la région de l’Ouest du Canada et des Territoires (OCT) ». Les ententes de télétravail ne devaient dorénavant être envisagées que dans les cas où il y avait une obligation de mettre en place des mesures d’adaptation. La fonctionnaire était très mécontente de la tournure des événements.

12        Le 9 mars 2011, la fonctionnaire a obtenu une note médicale d’une clinique sans rendez-vous. L’employeur a reçu la note le 11 mars 2011. La note médicale mentionnait ce qui suit [traduction] « Pt [sic] souhaite continuer de travailler de la maison parce que le bureau est trop stressant ».

13        Le 11 mars 2011, la fonctionnaire a répondu à Mme Johnstone. Elle a fait valoir que les nouvelles lignes directrices ne s’appliquaient pas à son entente de télétravail parce qu’il ne s’agissait pas d’une nouvelle entente et qu’elle ne venait pas à échéance prochainement; la date d’échéance était en février 2016. Elle voulait connaître les motifs de l’employeur pour mettre fin à l’entente. Elle a également demandé que l’entente soit modifiée afin de prévoir un horaire de télétravail à temps plein, de façon à ce qu’elle ne se présente au bureau qu’une fois par semaine pour ramasser son courrier.

14        Comme la note médicale du 9 mars 2011 ne suffisait pas, Mme Johnstone a écrit à la fonctionnaire le 29 mars 2011, pour lui demander de subir une évaluation de l’aptitude au travail (l’« EAT ») de Santé Canada afin d’identifier ses limites fonctionnelles et trouver une mesure d’adaptation appropriée.

15        Mme Johnstone a expliqué que même si l’entente de télétravail de la fonctionnaire était de longue date et qu’elle avait été renouvelée en 2009, elle ne respectait pas les lignes directrices actuelles, qui limitaient les ententes de télétravail aux situations où des mesures d’adaptation étaient nécessaires. Elle a informé la fonctionnaire que bien que l’entente devait prendre fin en février 2016, une clause y figurait selon laquelle l’une ou l’autre des parties pouvait annuler l’entente sur présentation d’un préavis de deux semaines.

16        La fonctionnaire a souligné qu’elle avait discuté de l’EAT proposée avec Mme Johnstone. Comme le processus de Santé Canada pouvait prendre de six à huit mois, elles ont convenu que la fonctionnaire pouvait présenter la lettre d’évaluation de Santé Canada à son propre médecin.

17        Le 25 avril 2011, la Dre Liesel Moller a écrit une lettre mentionnant que la fonctionnaire avait des problèmes d’hypertension et d’anxiété. Le médecin a souligné que la pression artérielle de la fonctionnaire avait augmenté depuis que son entente de télétravail avait été révoquée. Elle a également dit que le problème d’hypertension serait mieux contrôlé si la fonctionnaire travaillait de la maison. Enfin, elle était d’avis que l’anxiété de la fonctionnaire atteindrait un point tel qu’elle serait incapable de travailler si elle était contrainte de travailler au bureau. L’employeur était d’avis que ces renseignements médicaux n’étaient pas suffisants.

18        Le 6 mai 2011, Mme Johnstone a écrit à la fonctionnaire pour lui demander de soumettre certaines questions concernant ses limitations fonctionnelles à son médecin traitant pour que l’employeur puisse établir une mesure d’adaptation appropriée. Plusieurs mois se sont écoulés avant qu’elle ne reçoive une réponse.

19        Le 28 juin 2011, Mme Johnstone a envoyé des copies des notes précédentes du médecin à Robert Mattioli, qui devait la remplacer à titre de directeur intérimaire pendant qu’elle était en congé. Mme Johnstone a avisé M. Mattioli que la fonctionnaire devait consulter son médecin le 7 juillet. Elle lui a suggéré d’appeler la fonctionnaire le 9 juillet pour lui demander à quel moment l’employeur recevrait les réponses de son médecin aux questions posées dans la lettre. Mme Johnstone a déclaré qu’elle était préoccupée puisque la fonctionnaire semblait [traduction] « étirer le processus ». Elle voulait s’assurer que M. Mattioli fasse un suivi. Il lui a dit qu’il le ferait.

20        Le 13 juillet 2011, en sa qualité de directeur intérimaire à l’absence de Mme Johnstone, M. Mattioli a appelé la fonctionnaire pour lui demander ce qui se passait à propos de la lettre du 6 mai 2011, qui demeurait sans réponse. La fonctionnaire a expliqué qu’elle n’avait pas encore vu son médecin. Il a discuté de la nécessité d’obtenir des renseignements médicaux relativement à ses limitations fonctionnelles. Il lui a demandé de lui fournir ces renseignements après son prochain rendez-vous chez le médecin, qui devait avoir lieu le 19 août 2011. Il lui a également dit qu’elle contrevenait à son entente en travaillant de la maison et qu’elle devait travailler à partir du bureau les après-midi. M. Mattioli a fait le suivi de l’appel téléphonique au moyen d’un courriel qui reprenait la conversation.

21        Le 14 juillet 2011, la fonctionnaire a répondu qu’elle ne travaillerait pas à la maison ou au bureau jusqu’au 21 août, que sa pression artérielle avait monté en flèche après leur conversation téléphonique, qu’elle n’avait pas dormi cette nuit-là et qu’elle était en congé de maladie avec certificat médical jusqu’au 19 août 2011. Par la suite, l’employeur a reçu un certificat médical de la part de la Dre Moller pour la période du 14 juillet au 19 août 2011. Le 19 août 2011, la fonctionnaire a vu la Dre Moller de nouveau et a obtenu un autre certificat médical, pour la période du 19 au 28 août 2011.

22        Le 28 août 2011, la Dre Moller a répondu à la demande de renseignements du 6 mai de l’employeur.

23        Le médecin a répété que la pression artérielle et l’anxiété de la fonctionnaire seraient mieux gérées à la maison. Elle a également mentionné que la fonctionnaire avait dit qu’il n’y avait aucune fenêtre dans son bureau, qu’il y avait peu d’aération et que la dernière fois qu’elle y avait travaillé dans les années 90, elle avait eu des infections récurrentes des voies respiratoires supérieures, une congestion sinusale et des maux de tête.

24        Le 29 août 2011, soit le premier jour du retour au travail de la fonctionnaire après son congé de maladie, M. Mattioli l’a appelée à la maison à 10 h pour lui dire d’être au travail, sur place, à 13 h. Après cet appel téléphonique, il lui a envoyé un courriel, à 10 h 24, qui indiquait ce qui suit : [traduction] « Comme nous en avons discuté au téléphone aujourd’hui, la présente a pour but de confirmer que vous serez au bureau de Brandon, de 13 h à 16 h 30, conformément à votre entente de télétravail actuelle ».

25        Le 9 septembre 2011, la fonctionnaire a fait parvenir un courriel à Mme Johnstone, qui était de retour de congé. Elle lui a expliqué ce qui s’était passé pendant son absence et quelles avaient été les répercussions sur sa santé. Elle a dit qu’elle s’était sentie harcelée par M. Mattioli. Elle lui a demandé si l’employeur voulait qu’elle ait un accident vasculaire cérébral au bureau et l’a renvoyée à une décision de l’ancienne Commission où 18 000 $ avaient été versés à un fonctionnaire parce que l’employeur avait omis de remplir son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Elle lui a transmis un lien vers cette décision et elle a répété qu’elle souhaitait que l’entente de télétravail actuelle soit modifiée de façon à prévoir un horaire de télétravail à temps plein plutôt qu’à temps partiel.

26        Mme Johnstone a appelé la fonctionnaire et lui a dit que les renseignements fournis par la Dre Moller n’étaient pas suffisants et que l’employeur enverrait une autre lettre demandant que le médecin explique pourquoi les problèmes de santé de la fonctionnaire ne pouvaient pas faire l’objet d’une mesure d’adaptation en milieu de travail. Mme Johnstone a aussi dit qu’elle comprenait que la fonctionnaire travaillait à la maison à temps plein, sans permission, ce qui ne devrait pas se produire.

27        À l’audience, la fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait l’impression d’avoir [traduction] « été jetée sous un autobus ». Selon elle, il était de faux de dire que Mme Johnstone ne savait pas qu’elle travaillait de la maison à temps plein. L’employeur a changé les règles relatives au télétravail, lesquelles ne lui ont pas été transmises de façon à ce qu’elle puisse les comprendre. Elle avait l’impression que l’employeur la traitait de menteuse.

28        Le 12 septembre 2011, la fonctionnaire a fait parvenir un courriel à Mme Johnstone mentionnant que l’employeur avait implicitement accepté qu’elle travaille de la maison à temps plein jusqu’à ce que la question soit réglée, puisque Mme Johnstone ne lui avait pas dit explicitement qu’elle ne pouvait pas le faire.

29        La fonctionnaire a ensuite présenté une demande officielle visant à modifier l’entente de télétravail actuelle de façon à ce que son horaire de télétravail soit à temps plein plutôt qu’à temps partiel, et ce, à compter du 1er avril 2011. Mme Johnstone a répondu par courriel comme suit :

[Traduction]

Encore une fois, votre médecin doit expliquer la nature de la déficience et nous aider à trouver une mesure d’adaptation appropriée. Comme je l’ai mentionné lorsque je vous ai parlé ce matin, je lui enverrai une autre lettre plus tard cette semaine. Entre-temps, l’entente de télétravail actuelle demeure en vigueur. Elle n’a jamais été modifiée.

30        La fonctionnaire a obtenu un autre certificat médical, pour la période du 16 au 30 septembre 2011.

31        Le 21 septembre, Mme Johnstone a avisé la fonctionnaire que la réponse du 28 août de son médecin à sa lettre du 6 mai ne suffisait pas pour établir des options convenables relativement à une mesure d’adaptation appropriée en milieu de travail. Mme Johnstone a demandé à la fonctionnaire de transmettre la lettre jointe à la Dre Moller et de lui demander de répondre par écrit aux questions de l’employeur. Cette lettre avait pour but d’obtenir des renseignements plus détaillés sur les limitations fonctionnelles de la fonctionnaire.

32        Mme Johnstone a expliqué à la Dre Moller qu’afin d’offrir une mesure d’adaptation appropriée, l’employeur devait comprendre ce qui, dans le milieu de travail, constituait une source d’anxiété chez la fonctionnaire. Elle s’est interrogée au sujet des références de la Dre Moller quant à la mauvaise qualité de l’air et a indiqué que la qualité de l’air du bureau était vérifiée régulièrement et qu’elle respectait des normes acceptables.

33        Le 17 octobre 2011, la fonctionnaire a avisé Mme Johnstone qu’elle avait transmis le questionnaire médical du 21 septembre à son médecin. Elle a indiqué qu’elle avait fourni plus de renseignements médicaux que ce qui était nécessaire (un diagnostic). Elle a également demandé que tous les renseignements qui allaient au-delà de ce qui était demandé lui soient retournés et que toutes les copies soient détruites. Enfin, elle a mentionné qu’elle présenterait un rapport modifié une fois que les originaux lui seraient retournés.

34        La fonctionnaire a aussi indiqué que le fait d’être obligée de travailler au bureau n’était pas la meilleure situation pour sa santé et qu’elle espérait que Mme Johnstone ferait preuve de leadership, de sensibilité, de compassion et de soutien au moment d’examiner sa demande visant à travailler de la maison à temps plein.

35        Le lendemain, soit le 18 octobre 2011, la fonctionnaire a fait parvenir un courriel à Mme Johnstone pour lui demander de travailler à temps plein de la maison jusqu’à ce qu’une note médicale soit obtenue, d’ici le 24 octobre au plus tard. Elle a indiqué que l’objet de cette demande était de nature préventive, de façon à ne pas aggraver son problème de santé. Le 19 octobre 2011, Mme Johnstone a répondu qu’elle préférait que la fonctionnaire travaille à la maison les avant-midi et au bureau les après-midi, et ce, jusqu’à ce qu’elle reçoive les recommandations du médecin.

36        Le 24 octobre 2011, la Dre Moller a fourni à Mme Johnstone des explications supplémentaires quant aux problèmes médicaux de la fonctionnaire. La Dre Moller a indiqué que la fonctionnaire souffrait d’un trouble de l’adaptation avec anxiété. Elle estimait que la fonctionnaire serait en mesure de travailler à temps plein si elle pouvait le faire de la maison, où elle avait des outils pour l’aider à atténuer son anxiété et son stress. Le médecin a fait remarquer que la fonctionnaire avait été en mesure de travailler des heures normales à la maison, mais qu’elle ne pouvait pas travailler ni fonctionner de façon optimale lorsqu’elle se trouvait au bureau; elle avait tenté de le faire, mais n’y était pas parvenue. Comme la limitation durait depuis plus de six mois, le médecin était d’avis qu’elle semblait permanente.

37        Le médecin a ajouté que bien que la qualité de l’air du bureau respectait une norme acceptable, il n’en demeure pas moins que, selon la fonctionnaire, il n’y a pas d’aération et qu’elle y étouffe, ce qui exacerbe l’anxiété qu’elle vit lorsqu’elle est au bureau. De plus, lorsque la fonctionnaire ressent du stress à la maison, elle a accès à un tapis roulant qu’elle peut utiliser pour marcher dix minutes ou elle peut aller promener son chien pendant cinq à dix minutes, ce qui aide à réduire son anxiété. Ces options ne sont pas disponibles lorsqu’elle est au bureau.

38        Le 14 novembre 2011, la fonctionnaire a présenté un grief en faisant valoir que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa déficience et qu’il n’avait pas pris de mesure d’adaptation à son égard, contrairement à l’article 16 de la convention collective et à la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6).

39        En réponse à l’ordre direct de Mme Johnstone, la fonctionnaire a commencé à travailler de la maison l’avant-midi et du bureau l’après-midi, tel qu’il a été exigé. Son médecin lui a conseillé d’aller au travail et de prendre un congé de maladie et de revenir chez elle si elle avait un mal de tête. Elle a continué de prendre beaucoup congés de maladie, avec ou sans certificat médical. Des certificats médicaux ont été fournis pour la période du 18 au 30 novembre et du 29 novembre au 21 décembre 2011.

40        Le grief de Mme Dorn a été rejeté au premier palier le 28 novembre 2011.

41        En février 2012, l’employeur a accepté de permettre à la fonctionnaire de travailler à la maison à temps plein de façon provisoire jusqu’à ce que la question soit réglée. Elle a recommencé à travailler à la maison de nouveau, à temps plein, le 1er mars 2012.

42        Le 12 mars 2012, le grief a été rejeté au deuxième palier et, en mai 2012, les parties se sont entendues sur un processus de médiation.

43        Toutefois, en juin 2012, la fonctionnaire a été informée qu’elle était une employée touchée par une réduction des effectifs et qu’on lui présenterait un certain nombre d’options comme l’indiquaient les [traduction] « Mesures de réaménagement des effectifs » de l’employeur.

44        En août 2012, la médiation a commencé. Toutefois, en septembre, la fonctionnaire a reçu un avis de mise en disponibilité et a été informée qu’elle avait une période de réflexion de quatre mois. L’employeur ne souhaitait pas continuer à la rencontrer pour une médiation pendant la période de réflexion, qui a pris fin le 10 janvier 2013.

45        Le 16 janvier 2013, en réponse à la demande de l’agent négociateur de reprendre la médiation, l’employeur a indiqué que, étant donné que la fonctionnaire avait décidé de prendre sa retraite de la fonction publique, il n’était plus nécessaire d’aller de l’avant avec la médiation.

46        La fonctionnaire a pris sa retraite le 27 janvier 2013. À ce moment, elle travaillait de la maison à temps plein depuis une année, soit le 1er mars 2012.

47        Le 26 avril 2013, son grief a été rejeté au dernier palier.

III. Motifs

48        En 1997, la fonctionnaire a conclu une entente de télétravail à temps partiel avec l’employeur lui permettant de travailler à la maison l’avant-midi et au bureau l’après-midi. Il ne s’agissait pas d’une mesure d’adaptation pour des raisons médicales; il s’agissait simplement d’une demande pour lui permettre de gérer les problèmes de transport de sa fille.

49        La fonctionnaire a rapidement commencé à travailler à la maison certains après-midi également, lorsque les conditions météorologiques étaient mauvaises ou pour d’autres raisons. À l’audience, elle a fait valoir que, en général, elle ne respectait pas l’entente et qu’elle travaillait de la maison [traduction] « pratiquement » à temps plein depuis 13 ans.

50        Lorsque les nouvelles lignes directrices sont entrées en vigueur en 2010, l’employeur a mis fin à l’entente de télétravail de la fonctionnaire, laquelle ne respectait clairement pas les nouvelles lignes directrices. La fonctionnaire a raison de dire que son entente n’était pas nouvelle ou qu’elle ne viendrait pas bientôt à échéance; toutefois, l’employeur avait tout à fait le droit d’y mettre fin en tout temps sur présentation d’un préavis de deux semaines. Le fait que l’entente de la fonctionnaire ne respectait pas les nouvelles lignes directrices était une bonne raison d’y mettre fin.

51        Je remarque également que l’entente de télétravail de la fonctionnaire précise que [traduction] « [d]ans l’éventualité d’une sérieuse infraction à l’entente, la résiliation sera alors immédiate ».

52        Pendant 13 ans, la fonctionnaire a sérieusement contrevenu à l’entente en travaillant à la maison à temps plein pendant presque toute cette période. Selon moi, l’employeur aurait pu mettre fin au régime en tout temps, sans préavis.

53        Cependant, les mesures prises par l’employeur pour mettre fin à l’entente ne découlaient pas de ce manquement continu. L’employeur voulait simplement s’assurer que l’entente, telle qu’elle a été établie, respecte les nouvelles lignes directrices qui exigeaient que toute entente de télétravail soit fondée sur l’obligation de prendre une mesure d’adaptation.

A. Aucune preuve prima facie

54        La fonctionnaire a répliqué en mentionnant pour la première fois qu’elle avait des problèmes médicaux qui nécessitaient une modification de son entente de télétravail actuelle de façon à prévoir un horaire de télétravail à temps plein plutôt qu’à temps partiel. Toutefois, les renseignements médicaux transmis par le médecin de la fonctionnaire étaient insuffisants et ne fournissaient pas à l’employeur les renseignements dont il avait besoin pour comprendre pourquoi une mesure d’adaptation était nécessaire et quelle serait la mesure d’adaptation appropriée.

55        Le médecin de la fonctionnaire a déclaré que cette dernière avait dit que le lieu de travail était stressant, mais rien n’indiquait pourquoi c’était ainsi. La fonctionnaire avait déjà fait remarquer à l’employeur que le nombre de personnes dans le bureau avait beaucoup diminué. Cela devrait plutôt suggérer l’existence d’un lieu de travail tranquille et moins stressant.

56        Le médecin a indiqué que la fonctionnaire souffrait d’hypertension et d’anxiété, deux problèmes qui pouvaient être mieux gérés à la maison en raison de la disponibilité de facteurs de réduction du stress, comme l’utilisation d’un tapis roulant et une marche avec son chien.

57        Invité à s’expliquer, le médecin a ajouté que la fonctionnaire avait dit qu’elle avait des problèmes respiratoires et des maux de tête sinusaux lorsqu’elle travaillait au bureau dans les années 90, ce qui n’avait jamais été mentionné à l’employeur. Le médecin a déclaré que la fonctionnaire avait dit qu’il n’y avait aucune fenêtre dans son bureau et qu’il manquait d’air. Lorsque l’employeur l’a informée que la qualité de l’air était régulièrement vérifiée et qu’elle respectait des normes acceptables, le médecin a indiqué que cela ne changeait pas la façon dont la fonctionnaire percevait le lieu de travail, soit qu’il y manquait d’air et qu’il était étouffant.

58        Afin d’établir une preuve prima facie de discrimination, il incombe au fonctionnaire de démontrer qu’il ou elle avait une déficience, qu’il ou elle a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi et que sa déficience a constitué un facteur dans la manifestation de cet effet préjudiciable.

59        À mon avis, la fonctionnaire n’a pas produit une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience. La preuve ne m’a pas convaincu que la fonctionnaire avait une déficience qui nécessitait une mesure d’adaptation.

B. Obligation de prendre des mesures d’adaptation

60        Si la fonctionnaire avait présenté une preuve prima facie, l’employeur aurait alors dû démontrer qu’il s’était acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive.

61        L’obligation de prendre des mesures d’adaptation est un effort multipartite qui concerne l’employeur, l’agent négociateur et le fonctionnaire. La pièce 33 est la « Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les personnes handicapées dans la fonction publique fédérale ». À la page 5, la politique établit que les employés qui demandent une mesure d’adaptation doivent « […] collaborer avec le ministère ou ses représentants en vue de trouver la façon la plus appropriée de prendre les mesures d’adaptation répondant aux besoins liés à leur emploi […] ».

62        La fonctionnaire n’a pas agi comme tel. Après avoir travaillé à la maison pratiquement à temps plein pendant 13 ans sans avoir demandé ou obtenu la permission, elle a tenté de modifier son régime de télétravail de façon à ce qu’elle puisse travailler de la maison à temps plein en guise de mesure d’adaptation; elle a fait cette demande uniquement lorsque l’employeur l’a avisée qu’il devait mettre fin à son entente de télétravail. Elle a continué de travailler à la maison à temps plein, sans permission, pendant la majeure partie de la période où l’affaire était examinée.

63        Lorsqu’elle a reçu un ordre direct de l’employeur de se présenter au bureau, elle l’a fait, mais elle a également commencé à prendre une série de congés de maladie, certains avec certificat médical, d’autres pas. Enfin, elle a eu la permission de travailler à la maison à temps plein jusqu’à ce que la question soit réglée. Au bout du compte, selon ma compréhension de la preuve présentée, la fonctionnaire a réussi à faire du télétravail à temps plein, sauf peut-être pendant quelques semaines, jusqu’à sa retraite.

64        Le médecin de la fonctionnaire n’a jamais fourni de renseignement médical important en dehors du fait que la fonctionnaire avait déclaré que son anxiété et son hypertension artérielle étaient mieux gérées de la maison. L’employeur n’a jamais été informé de limitations fonctionnelles précises autres que le fait que la fonctionnaire travaillait mieux à la maison qu’au bureau. Aucune autre mesure d’adaptation en dehors du fait de continuer de travailler à la maison à temps plein n’a été proposée ou envisagée. En effet, les parties ne se sont jamais rendues à cette étape puisqu’elles n’ont pas eu suffisamment de renseignements médicaux pour pouvoir envisager d’autres options relatives aux mesures d’adaptation.

IV. Décision

65        À mon avis, ces faits n’indiquent aucun manquement à l’article 16 de la convention collective ou à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

66        La fonctionnaire n’a produit aucune preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience, ce qui aurait obligé l’employeur à prendre des mesures d’adaptation allant jusqu’à la contrainte excessive. Voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536.

67        Si j’ai tort en ce qui concerne la preuve prima facie, je conclus également que, s’il y avait une obligation de prendre des mesures d’adaptation dans ces circonstances, l’employeur l’a respectée en faisant tout ce qu’il pouvait pour obtenir les renseignements médicaux appropriés.

Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

68        Le grief est rejeté.

Le 6 juin 2017.

Traduction de la CRTESPF

Michael McNamara,

arbitre de grief

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