Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été embauché en tant qu’agent correctionnel, mais il a été renvoyé en cours de stage – il a présenté un grief alléguant qu’il avait fait l’objet de discrimination pendant son stage en raison de sa race, de son origine ethnique et de son âge – il a également allégué que son licenciement était discriminatoire et constituait une mesure disciplinaire déguisée – conformément aux termes du paragraphe 62(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la Commission n’a pas compétence pour entendre le grief de licenciement en cours de stage, à moins que le fonctionnaire s’estimant lésé démontre que le licenciement était de mauvaise foi ou invoquait la Loi de façon factice, ce qui aurait été établi si la discrimination avait été démontrée – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas présenté de preuve prima facie de discrimination établissant qu’il y avait un lien entre les motifs discriminatoires invoqués et le licenciement et les autres traitements préjudiciables allégués – la Commission a conclu que même si le fonctionnaire s’estimant lésé avait établi une preuve prima facie, le défendeur a présenté des éléments de preuve qui démontrent de manière convaincante qu’il a mis fin au stage du fonctionnaire en raison des lacunes importantes de son rendement – les motifs de discrimination invoqués ne faisaient pas partie des facteurs pris en compte dans la décision de mettre fin à son emploi – par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour trancher le grief sur le renvoi en cours de stage. Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date: 20170926

Dossiers: 566-02-11249 et 11250

 

Référence: 2017 CRTESPF 28

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

LLOYD KIRLEW

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Kirlew c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Jacob Axelrod, avocat

Pour le défendeur : Joel Stelpstra, avocat

Affaire entendue à Edmonton (Alberta),

du 27 au 30 juin 2017.

(Arguments écrits reçus

les 6 et 20 juillet 2017.)

(Traduction de la CRTESPF).


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] Lloyd Kirlew, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a été embauché le 20 octobre 2014, comme agent correctionnel (CX) au groupe et au niveau CX-1, à l’Établissement d’Edmonton (EE) du Service correctionnel du Canada (« SCC »). Le fonctionnaire a déposé un grief le 13 janvier 2015, alléguant que l’administrateur général du SCC (le « défendeur ») avait fait preuve de discrimination à son égard. Un mois plus tard, le 12 février 2015, il a été congédié alors qu’il était encore en cours de stage. Le 13 mars 2015, il a déposé un grief contre son licenciement, qui, a‑t‑il prétendu, était discriminatoire et constituait une mesure disciplinaire déguisée. Les deux griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 11 juin 2015. Le fonctionnaire a précisé à l’audience des griefs que les motifs de discrimination étaient sa race (noire), son origine ethnique (jamaïcaine) et son âge (49 ans).

[2] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’il devienne respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »). Pour faciliter la lecture, le mot « Commission » désigne à la fois la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, et le mot « Loi » désigne à la fois la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[3] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que la Commission n’a pas compétence pour entendre le grief de licenciement. Le fonctionnaire était encore en cours de stage dans le cadre de son emploi, et rien n’indique que les problèmes de rendement sur lesquels se fondait son licenciement camouflaient la mauvaise foi ou la discrimination. Le fonctionnaire n’a pas établi, non plus, que le traitement dont il avait fait l’objet dans le cadre de son emploi était discriminatoire.

II. Résumé de la preuve

[4] Le fonctionnaire est d’origine jamaïcaine. Il est venu au Canada à l’âge de 13 ans et a grandi à Toronto, en Ontario. Il œuvre depuis longtemps au sein de l’Afro‑Caribbean Race Relations Association, qui s’efforce de résoudre les problèmes raciaux dans la collectivité, en collaborant avec les écoles, les services de police, les collectivités et les employeurs. Le fonctionnaire possède un diplôme d’études collégiales en génie électronique. À partir de l’année 2011, il a travaillé au pénitencier de Kingston, en Ontario, dans le domaine des technologies de l’information.

[5] En 2014, le fonctionnaire a présenté sa candidature à un poste CX et a été sélectionné aux fins d’une formation. La formation des nouveaux CX comporte diverses composantes. La formation initiale de base se compose de trois modules, dont deux sont offerts en ligne et sont généralement achevés en quatre à six semaines. Le troisième module est une formation de 12 semaines offerte à la Division Dépôt de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), à Regina, dans le cadre de laquelle les stagiaires acquièrent des connaissances et des compétences dans les domaines suivants : le droit et les politiques; la gestion des détenus difficiles; l’autodéfense; le maniement et l’utilisation des armes à feu; le recours à la force. En résumé, les stagiaires reçoivent une formation qui englobe les divers aspects d’un emploi de CX. Une fois qu’ils ont achevé la formation de base avec succès, les stagiaires reçoivent des lettres d’offres de postes CX-1 et sont déployés dans divers établissements.

[6] Après avoir achevé sa formation avec succès, le fonctionnaire s’est vu offrir un poste CX à l’EE. La lettre d’offre faisait mention d’une période de stage de 12 mois. Le fonctionnaire est arrivé à l’EE en compagnie de deux autres diplômés de la formation offerte à Regina.

[7] L’EE est un pénitencier à sécurité maximale. Il comporte une salle de contrôle principale, ainsi que plusieurs postes armés, désignés notamment sous les noms de « contrôle Un », « contrôle Deux » et « contrôle Trois », les autres étant des postes de « sous‑contrôle ». Le poste de contrôle Un gère l’entrée et la sortie des employés et des détenus à l’EE. Le poste de contrôle Deux gère la circulation des employés à l’intérieur des différentes unités et celle des détenus vers les services médicaux. Le poste de contrôle Trois gère la circulation des détenus à destination des programmes et des activités. Les postes de sous-contrôle se trouvent au niveau des rangées. Ils contrôlent la circulation des détenus à destination et en provenance des cellules. Un poste de sous-contrôle est désigné par deux lettres, par exemple, « A/B » ou « G/H », et visionne 48 cellules, partagées en deux rangées dans deux couloirs. La lettre « A » désignerait deux paliers de 12 cellules situées à gauche du poste de sous-contrôle, et la lettre « B » désignerait une disposition de cellules identique dans la direction opposée.

[8] À son déploiement, un nouveau CX-1 reçoit une formation en cours d’emploi (FCE), afin d’apprendre comment fonctionner dans l’établissement où il a été déployé. En moyenne, à l’échelle nationale, la FCE est d’une durée de deux semaines. À l’EE, elle dure généralement trois semaines, parce qu’il s’agit d’un établissement à sécurité maximale qui héberge des détenus difficiles.

[9] À son arrivée à l’EE, le fonctionnaire a été accueilli par Connie Squires, qui était responsable des nouvelles recrues. Le fonctionnaire a déclaré que pendant la visite de l’EE, Mme Squires a passé des commentaires sur sa barbe. Il a expliqué qu’il s’était rasé la veille au soir, comme il en avait l’habitude depuis sa formation à la Division Dépôt de la GRC, parce qu’ils devaient être prêts très tôt le matin. Mme Squires a prié une autre personne sur place de confirmer la politique selon laquelle les hommes devaient se raser le visage. Cette personne a affirmé que la seule personne qui n’avait pas souscrit à cette politique portait aussi un turban et était partie depuis longtemps. M. Kirlew a affirmé que cet incident lui avait laissé un goût amer.

[10] Dans son témoignage, Mme Squires a nié cet incident, parce qu’il aurait été contraire à sa politique de traiter ce genre de question en privé. Elle n’a pas nié qu’elle puisse avoir passé un commentaire sur la barbe, parce que c’était important pour l’utilisation de l’équipement.

[11] Le fonctionnaire a déclaré que les deux autres recrues avaient suivi leur FCE ailleurs. Il a été envoyé à divers postes de contrôle, mais personne ne lui disait quoi faire. On lui disait d’observer. À la fin de la journée, il assistait à une rencontre de débreffage avec Mme Squires. Celle‑ci lui demandait comment il s’en était tiré, et il répondait qu’il recevait une rétroaction favorable. Elle rétorquait que ce n’était pas ce qu’elle avait entendu dire et critiquait tout ce qu’il avait fait. Elle faisait l’éloge des deux autres recrues. Mme Squires a dit à maintes reprises au fonctionnaire qu’il n’était pas [traduction] « allumé ». Elle le mettait aussi à l’épreuve en lui posant des questions, puis émettait un signal sonore après chaque réponse qu’il donnait, comme si elle voulait lui montrer qu’il se trompait assurément.

[12] Mme Squires a déclaré qu’elle occupait un poste CX-1 depuis 23 ans. Depuis les sept dernières années, elle est coordonnatrice des nouvelles recrues. Elle a été chargée de la formation d’environ 150 d’entre elles.

[13] Mme Squires a expliqué qu’on s’attend à ce que les nouvelles recrues possèdent les compétences nécessaires pour s’acquitter de toutes les fonctions à tous les postes après trois semaines de FCE. Il y a plusieurs jalons au cours de la formation, et une séance de débreffage a lieu chaque jour avec les nouvelles recrues, afin de revoir ce qu’elles ont appris et de cerner les domaines où elles doivent s’améliorer.

[14] Le 31 octobre 2014, après deux semaines de formation, Mme Squires a relevé diverses lacunes dans le rendement du fonctionnaire. Les préoccupations étaient énumérées en ces termes :

[Traduction]

Poste de contrôle 1 [contrôle la circulation à l’entrée et à la sortie de l’EE]

• A reçu une copie des ordres de postes – 532, mais ne l’a pas examinée

• Incapable de prendre le relais du poste (tableau de dénombrements/feuille de pointage)

• Incapable de comprendre les fonctions des principaux contrôles

• Incapable de manipuler efficacement l’écran tactile et l’activation de la souris

• Incapable de consigner adéquatement sur la fiche de circulation et dans le registre

• Incapable de manipuler le tableau de dénombrements

• Incapable de comprendre la procédure de dénombrement et de l’effectuer adéquatement

• Incapable d’utiliser la barrière du poste de contrôle Un

• Incapable de manipuler les caméras et d’en comprendre le fonctionnement

• N’a pas identifié les employés qui entraient dans le poste (se retourner pour regarder avant d’autoriser l’entrée)

 

Poste de contrôle 2 [contrôle la circulation des professionnels auprès des détenus dans l’EE]

• A reçu une copie des ordres de postes – 524, mais ne l’a pas examinée

• Incapable d’écouter, de comprendre et de communiquer efficacement au moyen de la radio

• Incapable de comprendre les fonctions des clés

• Incapable de communiquer efficacement lorsqu’il s’agit de relayer la responsabilité du poste

• Incapable de gérer et d’établir des priorités – laissez-passer des médecins, méthadone, appels au personnel infirmier

• Incapable de manipuler efficacement l’écran tactile et l’activation de la souris

• Incapable de surveiller les caméras

• Incapable de coordonner la circulation efficacement (soins de santé, programmes, admissions et libérations)

• Incapable d’effectuer les inscriptions dans le registre efficacement et en temps opportun

Poste de contrôle 3 [gère la circulation des détenus entre les cellules et les lieux des programmes et des activités]

• A reçu une copie des ordres de postes – 525, mais ne l’a pas examinée

• Incapable d’exécuter les procédures radio efficacement

• Incapable de démontrer une connaissance des clés

• Incapable de faire preuve d’initiative à l’ouverture, à la transmission et à la fermeture du poste

• Incapable de manipuler efficacement l’écran tactile et l’activation de la souris

• Incapable de changer les caméras (dispositif VPIZ)

• Incapable de se préparer aux déplacements (cuisine, Corcan, Système de rapports sur les incidents de sécurité (SRIS), W&E, programmes, cérémonie de la suerie)

• Incapable de démontrer avec confiance comment intervenir dans les cas d’urgence

• Incapable de gérer les inscriptions au registre

 

Passerelle des ateliers industriels [surveillance de la circulation des détenus]

• A reçu une copie des ordres de postes – 522, mais ne l’a pas examinée

• Incapable de préparer les déplacements importants (cuisine, Corcan, Système de rapports sur les incidents de sécurité (SRIS), W&E, programmes, école, cérémonie de la suerie)

• Incapable de consigner dans le registre efficacement

• Incapable de communiquer efficacement

Sous-contrôle (22 heures) [surveillance des rangées où sont logés les détenus]

• A reçu une copie des ordres de postes – 527, mais ne l’a pas examinée

• Incapable de présenter un exposé de relève précis

• Incapable de consigner avec précision les heures et les incidents dans le registre du poste de sous‑contrôle

• Incapable de comprendre les notes de service

• Incapable de se préparer en conséquence des déplacements

• Incapable de comprendre les fonctions des portes et de l’écran tactile

• Incapable de reconnaître les clés et leur usage – remise, familiarité avec toutes les clés

• Incapable de répondre et réagir aux appels des cellules

• Incapable de comprendre, d’écouter et de répondre à la radio

• Incapable d’exécuter les démarches lorsqu’un détenu quitte l’unité (OSC, MTA, libération), tableau de dénombrements, écran tactile, registre, transmission de l’information au bureau, transmission de l’information au poste de contrôle 1

• Incapable d’utiliser le système d’interphone efficacement

• Incapable de démontrer la capacité d’intervenir en cas d’urgence

• Incapable de maîtriser l’utilisation des portes et des barrières – fonctionnement, verrouillages, etc.

• Incapable d’accompagner de façon suivie le personnel qui patrouille la rangée– ne connaît pas les zones à risque élevé

• Incapable de gérer les tâches – priorisation et planification

• Incapable de gérer la circulation efficacement

• Dans les aires des unités – bureau, salle polyvalente

• Déplacements prévus à l’extérieur de l’unité – gymnase, programmes

• Déplacements imprévus

• Incapable de gérer le verrouillage des cellules et le dénombrement

• Incapable d’avoir une gestion du temps efficace (verrouillage des cellules, déplacements)

• Incapable de transférer les détenus dans la mini-cour efficacement

• Incapable de réagir rapidement aux incidents

• Incapable de se charger des mini-cours

 

[15] Mme Squires a travaillé avec le fonctionnaire pendant les trois premières semaines. Lorsqu’il a été établi qu’il n’avait pas acquis les compétences nécessaires, les trois semaines ont été prolongées. Mme Squires a travaillé avec lui pendant environ une semaine de plus. Ensuite, comme elle l’a déclaré à l’audience, il est devenu évident qu’elle ne pouvait plus l’aider. Mme Squires a ajouté qu’elle aurait aimé voir le fonctionnaire réussir, parce que tout échec jetait le discrédit sur elle.

[16] Le fonctionnaire a relaté un incident lors duquel Mme Squires était censée l’évaluer. Il était arrivé au poste de contrôle assez tôt. L’agent responsable était pressé de partir, et il a dit au fonctionnaire qu’il n’y aurait pas de problème s’il occupait le poste de contrôle brièvement en attendant l’arrivée des autres. Aux dires du fonctionnaire, lorsque Mme Squires est arrivée, elle était très fâchée qu’il ait pris la relève du poste et elle l’a sermonné devant les employés et les détenus.

[17] Je souligne que cette interaction a fait l’objet d’une enquête approfondie dans le cadre de la plainte de harcèlement que le fonctionnaire a déposée contre Mme Squires. L’enquêteur a conclu ce qui suit : [traduction] « le compte rendu des événements [du fonctionnaire] n’est ni démontré, ni corroboré par des témoins ». Selon le rapport, aucun des employés qui étaient censés avoir été présents ne se souvenait que Mme Squires ait fait des reproches au fonctionnaire, et comme c’était tôt le matin, les détenus étaient encore dans leurs cellules, hors de portée de voix du personnel se trouvant dans le poste de contrôle.

[18] Laura Contini était sous-directrice à l’EE pendant la FCE du fonctionnaire. Elle a déclaré qu’elle avait été mise au courant des difficultés qu’il avait éprouvées pendant sa FCE vers la fin de ses trois premières semaines à l’EE. Il a commencé à travailler le 20 octobre 2014. Le 7 novembre 2014, Mme Contini a été informée de son incapacité de fonctionner en mode multitâche et de ses difficultés à répondre à la radio, à contrôler la circulation des détenus et à prendre la relève d’un poste de contrôle. Le 10 novembre 2014, Mme Contini a reçu un rapport d’évaluation de la gestionnaire correctionnelle Carin Taylor, qui était la gestionnaire directe du fonctionnaire. Mme Taylor a fait mention de diverses lacunes en matière de rendement, qui sont exposées ci‑dessous.

[19] La vérification des armes a demandé beaucoup de temps et a été effectuée avec difficulté. Il semblait confus lorsqu’il s’agissait d’utiliser les écrans tactiles et les portes. On a dû lui rappeler à plusieurs reprises que des membres du personnel attendaient aux portes qu’il contrôlait. Il avait de la difficulté à utiliser la radio. Deux membres du personnel infirmier sont entrés dans l’aire des détenus, mais contrairement au protocole, le fonctionnaire n’a fait aucune annonce à la radio. Il ignorait comment gérer la circulation des détenus aux fins des examens médicaux et de la distribution de méthadone. Il a omis de surveiller un agent qui était sur l’étage avec des détenus. Il n’a pas compris une note de service que l’aumônier avait envoyée concernant des visiteurs à l’EE.

[20] Lorsqu’il a pris la relève du poste de contrôle Un, où le pointage des détenus est la première préoccupation, le fonctionnaire ne savait pas comment traiter la feuille de pointage et le tableau de dénombrements. À un poste de sous‑contrôle, il a été incapable de répondre à un test d’alerte personnelle. Les membres du personnel non armé ont sur eux un dispositif d’alerte personnelle (alerte personnelle portative, ou APP), qu’ils doivent déclencher s’ils se trouvent dans une situation dangereuse avec des détenus. Les agents des postes de contrôle sont tenus de réagir à ces alertes immédiatement. Le fonctionnaire ignorait comment gérer la circulation des détenus. Le rapport de Mme Taylor se concluait par la phrase suivante : [traduction] « Après avoir évalué Lloyd Kirlew, je suis d’avis qu’il ne possède pas les compétences nécessaires pour devenir agent correctionnel. »

[21] Le 13 novembre 2014, Mme Contini a tenu une réunion avec le fonctionnaire et Éric Gagné, un gestionnaire correctionnel. À ce moment‑là, Mme Contini a décidé d’offrir au fonctionnaire une semaine de FCE de plus, auprès d’un agent désigné, afin qu’il puisse s’améliorer dans les domaines suivants :

1. capacité de fonctionner en mode multitâche dans un poste armé;

2. capacité d’écouter son système de communication;

3. procédures radio;

4. rapidité d’exécution;

5. confiance.

 

[22] Dans une autre évaluation, qui a été effectuée le 14 novembre 2014, on souligne la lenteur du fonctionnaire lorsqu’il s’agissait d’accomplir des tâches habituelles. Selon l’auteur du rapport, la lenteur, lorsqu’on a affaire à des détenus aux sous‑postes de contrôle, pourrait donner lieu à des incidents de sécurité graves. L’auteur conclut que cela présente un danger grave.

[23] Les documents du défendeur comprennent plusieurs rapports que divers CX chargés d’évaluer ou d’observer le fonctionnaire ont transmis à Mme Contini. Tous ces rapports soulignent l’incapacité du fonctionnaire à fonctionner en mode multitâche, son inefficacité à gérer la circulation des détenus, sa lenteur, ainsi que sa maladresse dans la vérification des armes au poste.

[24] Une semaine plus tard, M. Gagné a envoyé le courriel suivant à Mme Contini : [traduction] « Je suis désolé de le dire, mais il n’évolue pas comme nous l’avions tous espéré. Il en est au stade où il était il y a une semaine et n’a pas démontré la moindre amélioration. Nous devrons le laisser aller. »

[25] Le fonctionnaire a évoqué à l’audience un incident à l’occasion duquel il était évalué par M. Gagné; à ce moment‑là, le dénombrement ne pouvait pas être approuvé au poste de contrôle Un, parce qu’un agent du poste de sous‑contrôle G/H n’avait pas fourni la feuille de papier nécessaire pour procéder au dénombrement dans cette rangée. Après un certain va‑et‑vient, l’agent est entré dans le poste de contrôle Un, a lancé la feuille de papier indiquant le dénombrement de la rangée à la tête du fonctionnaire et lui a dit qu’il lui faisait perdre son temps. Plus tard, d’autres agents ont dit au fonctionnaire que l’agent l’avait qualifié du [traduction] « nom commençant par n » et avait crié des insultes envers lui tout le long de son retour au poste de contrôle G/H.

[26] Le fonctionnaire a relaté qu’à la radio, les gens se moquaient de son accent jamaïcain et commençaient leurs communications en disant « Hey, mon. »

[27] Le 21 novembre 2014, Dean Lorenson, un CX qui a signé un rapport transmis à Mme Contini, a observé le fonctionnaire à un poste de sous‑contrôle. Après avoir souligné ses difficultés à utiliser la radio et une certaine lenteur lorsqu’il s’agissait de consigner de l’information dans le registre, il note les commentaires favorables suivants dans son évaluation :

[Traduction]

 

L’auteur a constaté que l’agent Kirlew faisait très bien certaines choses, comme la planification préliminaire des déplacements à venir et l’établissement de l’identité des personnes autorisées à se déplacer (très lent dans l’accomplissement de cette tâche, mais le processus d’analyse est en place et ne peut que s’accélérer); le fonctionnement multitâche était meilleur que prévu, puisque l’agent était capable de surveiller les patrouilles dans les rangées, de répondre au téléphone et de communiquer en toute sécurité avec les détenus afin qu’ils attendent la fin de la patrouille, tout cela en même temps. Il s’agit d’une compétence que bon nombre d’agents supérieurs ne sont pas parvenus à maîtriser.

 

[28] Malgré ce rapport favorable, rendu au 24 novembre 2014, après que plusieurs personnes eurent effectué des évaluations, Mme Contini estimait que les lacunes en matière de rendement étaient suffisamment importantes pour poser un risque pour l’EE. Elle a recommandé de renvoyer le fonctionnaire en cours de stage. Par conséquent, une note de service lui a été adressée le 24 novembre 2014. Cette note était ainsi rédigée :

[Traduction]

M. Kirlew, la présente note confirme par écrit ce dont nous avons discuté avec vous le 24 novembre 2014, en après‑midi.

Le 24 novembre, nous vous avons rencontré au bureau du directeur adjoint, Opérations (DAO) pour discuter de vos progrès dans le cadre de la formation en cours d’emploi à l’Établissement d’Edmonton. Les personnes présentes à cette discussion étaient le directeur adjoint par intérim, K. Austin, la gestionnaire correctionnelle C. Taylor, le gestionnaire correctionnel E. Gagne [sic] et vous.

La discussion a porté principalement sur la dernière évaluation du rendement dans vos fonctions d’agent correctionnel 1. Cette discussion concernait également la fin de la FCE régulière et l’évaluation que C. Squires, qui coordonnait votre FCE, a présentée à ce moment‑là. Par suite de cette évaluation, la période de votre FCE a été prolongée, et vous avez été confié à la gestionnaire correctionnelle C. Taylor, qui a effectué une évaluation. D’après l’évaluation de cette FCE prolongée, il a été établi qu’une FCE additionnelle s’avérait nécessaire, et une période supplémentaire, offerte avec la participation de différentes personnes, a été prévue.

À la fin de la participation de ces personnes, vous avez rencontré le DAO par intérim James et il a été décidé que le gestionnaire correctionnel Gagne [sic] effectuerait l’évaluation du rendement.

Cette dernière évaluation ne reflète pas le niveau de rendement nécessaire pour permettre à un agent correctionnel de mener ses activités à l’Établissement d’Edmonton.

 

[29] La note de service indiquait également que le renvoi en cours de stage était envisagé, mais que la décision devait être rendue au niveau régional, et non au niveau local.

[30] L’évaluation dont il était fait mention dans la note de service avait été effectuée par M. Gagné. Dans son rapport, celui‑ci a souligné les lacunes suivantes dans le rendement du fonctionnaire : la vérification des armes n’avait pas été effectuée adéquatement; le dénombrement n’avait pas été effectué conformément à la politique; le fonctionnement multitâche posait des difficultés au fonctionnaire et la lenteur constituait un problème; l’équipement et les clés n’avaient pas fait l’objet d’une vérification. Le fonctionnaire semblait avoir de la difficulté à comprendre la fiche de circulation. Il éprouvait de la difficulté à faire fonctionner les barrières. Il n’avait pas répondu à l’alerte personnelle d’un membre du personnel de soutien dans le secteur des programmes.

[31] Le 25 novembre 2014, après avoir reçu la note de service de Mme Contini, dans laquelle celle‑ci déclarait qu’elle envisageait de le renvoyer en cours de stage, le fonctionnaire a écrit au sous‑commissaire du SCC, Peter Linkletter, afin de se plaindre d’être congédié injustement. Il avait été mis en service aux entrepôts en attendant son licenciement. Il s’est plaint à M. Linkletter de l’injustice de cette situation, en laissant entendre en ces termes qu’il avait été victime de discrimination : [traduction] « Je suis un noir d’origine jamaïcaine, et il me semble que la direction ne veut pas du tout m’aider […] » Ce jour‑là, Mme Contini a changé d’idée au sujet du licenciement du fonctionnaire et a donné des ordres afin que sa FCE se poursuive avec d’autres agents.

[32] D’autres rapports défavorables ont suivi, notamment une note d’un gestionnaire correctionnel, Kevin Austin, concernant Andrew Wood, un délégué syndical qui s’était porté volontaire pour aider à la formation du fonctionnaire pendant deux jours, mais qui avait abandonné cette tâche après le premier jour, en invoquant la lenteur et la confusion du fonctionnaire, son absence de réaction au déclenchement d’une alerte personnelle, ainsi qu’un niveau d’inconfort généralisé lorsqu’il était au poste de contrôle pendant qu’un agent était dans la rangée.

[33] Selon la conclusion du rapport d’un autre CX-1, si un incident grave survenait, le fonctionnaire serait incapable de contrôler la situation.

[34] Une autre évaluation a été menée par un autre CX-1. Il déclare qu’une formation supplémentaire s’avèrerait nécessaire pour le fonctionnaire. Selon l’auteur de ce rapport, le fonctionnaire saisit les concepts, mais il est lent lorsqu’il s’agit d’effectuer les tâches, il est un peu confus, et il éprouve de la difficulté à fonctionner en mode multitâche.

[35] Le 28 novembre 2014, un nouveau plan de formation a été communiqué au fonctionnaire et aux représentants de son agent négociateur. Le plan visait la période du 26 novembre au 15 décembre et prévoyait un horaire de formation défini pour chaque jour. Le plan comportait le programme suivant :

[Traduction]

Le mercredi 26 novembre – Travail aux fonctions du poste de sous-contrôle A&B et au poste de contrôle central

Le jeudi 27 novembre – Travail aux postes de sous-contrôle, travail auprès d’une équipe de sécurité‑incendie à l’intervention en cas d’incendie, pose et retrait de l’appareil respiratoire autonome (ARA), fermeture des sprinkleurs, ordres d’incendie

Le vendredi 28 novembre – Processus lié au tableau de dénombrements du poste de contrôle central, processus de consignation dans le registre

 

[36] La formation, qui portait sur l’ensemble des responsabilités d’un CX-1, s’est poursuivie de cette façon jusqu’au 15 décembre.

[37] La gestionnaire directe du fonctionnaire, Mme Taylor, dans un rapport en date du 30 novembre, fait état d’une évaluation menée le 28 novembre au poste de contrôle Un, au poste de sous‑contrôle A/B et à la passerelle des ateliers industriels.

[38] Le rapport indique qu’au poste de contrôle Un, le fonctionnaire a eu de la difficulté à procéder au dénombrement des détenus et qu’il était lent dans cette tâche. Il a aussi tardé à vérifier ses armes et a éprouvé de la difficulté à s’acquitter de cette vérification tout en ouvrant les portes pour le personnel. Il était incapable de diriger le poste par lui‑même. Si l’autre agent faisait des suggestions, le fonctionnaire répondait : [traduction] « Je trouverai bien. »

[39] Cela a été un thème récurrent pendant la journée, selon le rapport de Mme Taylor. Le fonctionnaire a été incapable de gérer le poste de sous‑contrôle A/B et ne savait pas trop quoi faire au poste de la passerelle. Lors du débreffage, il s’est dit en désaccord avec l’évaluation de Mme Taylor et a répété que si on lui laissait le temps, il trouverait bien. Mme Taylor a rétorqué qu’il ne s’agissait pas de trouver, mais plutôt d’apprendre les différentes procédures.

[40] Un rapport rédigé le 4 décembre 2014 par un autre CX précisait les lacunes préoccupantes suivantes à l’égard du fonctionnaire : les armes à feu n’étaient pas vérifiées, il avait de la difficulté à gérer la circulation, il était incapable de communiquer la circulation des détenus par radio et il était incapable de fonctionner en mode multitâche sans être submergé.

[41] Le 10 décembre, M. Austin a évalué le fonctionnaire au poste de sous‑contrôle. Bien qu’une certaine amélioration ait été soulignée (par exemple, demander l’état de la circulation dans le bloc des cellules à l’agent sortant et procéder à la vérification de sécurité en sept points d’une arme à feu de manière appropriée), le fonctionnaire commettait encore des erreurs dans le contrôle des portes et était lent lorsqu’il s’agissait d’exécuter plusieurs tâches en même temps. Il conclut dans son rapport que le fonctionnaire n’est pas prêt à exercer les fonctions de CX-1.

[42] Mme Contini a déclaré à l’audience que la direction de l’EE souhaitait que le fonctionnaire réussisse, mais que cela n’avait tout simplement pas fonctionné, malgré une formation poussée. À l’arrivée d’un nouveau groupe de recrues à l’EE, le fonctionnaire y a été intégré, afin de poursuivre sa formation.

[43] Le fonctionnaire n’a jamais dit à Mme Contini qu’il était victime de discrimination. Mme Taylor a signalé à cette dernière qu’elle avait posé directement la question au fonctionnaire, parce qu’elle avait entendu dire par d’autres agents qu’il s’était plaint de harcèlement et de discrimination. Cependant, le fonctionnaire l’a nié. Aux dires de Mme Contini, si elle avait été prévenue, elle aurait pris des mesures, puisque l’EE a une politique de tolérance zéro à l’égard de toute forme de discrimination.

[44] Sean Whelan, un CX-2 qui était à l’époque le président local de l’agent négociateur (Union of Canadian Correctional Officers ‑ Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN), a déclaré qu’il avait eu vent de l’insatisfaction à l’égard du rendement du fonctionnaire. Il l’a observé pendant environ une heure au poste de contrôle Deux, après avoir appris que la FCE s’était poursuivie au-delà de trois semaines. Il a constaté que le fonctionnaire ne s’en tirait pas trop mal, mais qu’il avait de la difficulté à exécuter plusieurs tâches en même temps.

[45] M. Whelan a demandé que d’autres agents participent à la FCE du fonctionnaire. La direction et l’agent négociateur ont convenu de demander à Travis Kostiw de prendre le relais de la FCE du fonctionnaire au début de décembre.

[46] M. Kostiw a témoigné à l’audience. Il est un CX-2 chevronné, qui est à l’EE depuis 16 ans. Il a été instructeur de tir pendant 10 ans.

[47] Pendant une période de six mois, juste avant que le fonctionnaire ait commencé à travailler à l’EE, M. Kostiw avait été instructeur en formation correctionnelle à la Division Dépôt de la GRC. Il avait été l’instructeur de tir du fonctionnaire au cours de cette période, et avait conclu que celui‑ci écoutait bien et réussissait.

[48] Lorsque M. Kostiw a été prié par la direction et le syndicat d’aider à la FCE du fonctionnaire, il a accepté la tâche parce qu’il avait connu le fonctionnaire à l’époque de sa formation à Regina et qu’il avait une bonne opinion de lui.

[49] Pendant que M. Kostiw a formait le fonctionnaire, il l’évaluait aussi. Il lui est rapidement devenu évident que le fonctionnaire avait de la difficulté à saisir des concepts de base, à exécuter plusieurs tâches à la fois et à assurer la sécurité. M. Kostiw a mentionné à plusieurs reprises la lenteur du fonctionnaire à réagir, ce qui irritait les détenus à un point tel que le personnel avait demandé qu’il soit retiré de l’une des unités.

[50] Le fonctionnaire avait acquis des compétences dans le maniement des armes à feu lors de sa formation de base, mais il semblait à M. Kostiw qu’il avait régressé. Il avait de la difficulté à effectuer la vérification de sécurité, et à une occasion au moins devant M. Kostiw, il a pointé le fusil en direction d’un couloir, plutôt que vers le sol par mesure de précaution. Le fonctionnaire avait du mal à franchir les étapes de la vérification des armes à feu et des chargeurs.

[51] M. Kostiw a passé 10 jours en tout à former et à évaluer le fonctionnaire. À la fin, il a recommandé que le fonctionnaire ne soit pas affecté à des postes de sécurité. En raison de son incapacité à exécuter plusieurs tâches à la fois, il n’était pas sécuritaire pour lui de se trouver dans un poste armé.

[52] M. Kostiw a présenté un rapport détaillé à la direction. Ce rapport débute par une évaluation menée le 1er décembre 2014. Le premier poste est celui du sous‑contrôle A/B, où M. Kostiw souligne les lacunes et explique comment il a démontré la procédure adéquate au fonctionnaire. M. Kostiw souligne aussi les aspects positifs du rendement du fonctionnaire, c’est‑à‑dire ce qu’il a appris et retenu.

[53] Le deuxième jour, au poste de contrôle Un, M. Kostiw souligne la difficulté du fonctionnaire à fonctionner en mode multitâche. Il souligne aussi sa lenteur, ainsi que les difficultés que lui pose le processus de dénombrement. Sur une note positive, M. Kostiw souligne que le fonctionnaire a établi le tableau de dénombrement de l’établissement et a comparé les chiffres à ceux de la fiche existante sans aide. Le fonctionnaire a aussi réussi à effectuer plusieurs tâches en même temps. Au poste de sous‑contrôle G/H, M. Kostiw note des difficultés liées au fonctionnement multitâche, mais souligne la bonne communication avec le personnel et le breffage de l’agent entrant.

[54] Le troisième jour, au poste de contrôle Un, le fonctionnaire complète le dénombrement par lui‑même, ce qui est bon, mais la tâche lui demande 45 minutes, alors qu’elle devrait être terminée en 5 à 10 minutes. Les armes ont été vérifiées dans un délai raisonnable. Le fonctionnaire a de la difficulté à s’acquitter des travaux d’écritures, ainsi qu’à repérer les clés prévues aux fins des interventions d’urgence.

[55] En ce qui concerne le poste de sous‑contrôle A/B, la liste des lacunes est longue et aucun aspect positif n’est signalé. Le fonctionnaire a passé environ une heure et demie au poste de sous‑contrôle. Le personnel a demandé qu’il soit retiré, parce que sa lenteur engendrait une frustration importante au sein de la population carcérale.

[56] Après trois jours, M. Kostiw a rédigé le résumé qui suit :

[Traduction]

Lloyd a été capable de fonctionner au poste de contrôle Un lorsque c’était tranquille, mais il manque encore de confiance dans l’exécution de ses tâches. Le coordonnateur de la formation du personnel, Travis Kostiw, est d’avis, compte tenu de la lenteur avec laquelle Lloyd KIRLEW a exécuté les tâches ayant fait l’objet d’une observation, que s’il était plus fortement sollicité il serait incapable d’exécuter les tâches requises dans le délai prévu à l’horaire de relève du poste de contrôle Un.

 

Lloyd est parvenu à gérer un minimum de circulation dans le bloc des cellules. À mesure que le poste de sous‑contrôle est devenu plus occupé, Lloyd n’a pas pu maintenir un rythme acceptable au sous‑contrôle, et on a dû le retirer de ce poste à la demande du personnel des unités A et B. En raison de son incapacité à fonctionner en mode multitâche et à établir des priorités, Lloyd n’a pas pu fonctionner à un rythme acceptable. Pour l’instant, le coordonnateur du personnel, Travis KOSTIW, n’a pas confiance en la capacité de Lloyd à fonctionner dans le cadre des exigences liées aux postes de l’Établissement Edmonton. Une formation supplémentaire s’avère nécessaire aux postes donnés, afin que Lloyd KIRLEW puisse possiblement atteindre un niveau de compétence acceptable. En raison de la période importante que Lloyd KIRLEW a passée en FCE, cet agent devrait déjà posséder une gamme de compétences de base […]

 

[57] La formation auprès de M. Kostiw s’est poursuivie jusqu’au 11 décembre 2014. Chaque jour, M. Kostiw rendait compte de la FCE du fonctionnaire, en soulignant à la fois ses réalisations et ses lacunes. Il observe constamment dans son rapport que le fonctionnaire est apparemment incapable de retenir l’information.

[58] Le rapport se termine par la conclusion de M. Kostiw selon laquelle le fonctionnaire ne sera pas capable de fonctionner à un niveau sécuritaire au sein de l’EE. Cette partie du rapport est ainsi rédigée :

[Traduction]

Ceci est mon dernier rapport/résumé sur la FCE de Lloyd Kirlew. J’ai formé et observé Lloyd Kirlew dans la majorité des postes de sécurité de l’Établissement d’Edmonton pendant 2 semaines. Lloyd m’a été confié en tant que membre du personnel ayant été en FEC pendant 6 semaines avant mon intervention. Mes antécédents professionnels comportent une expérience d’instructeur de tir pour le Service correctionnel du Canada et un poste d’instructeur par intérim de 6 mois dans le cadre du Programme de formation correctionnelle. Mon service au SCC s’étend sur près de 14 ans, en qualité d’AC1 et d’AC2 possédant de l’expérience dans l’équipe d’intervention d’urgence, au niveau de la participation syndicale, comme instructeur de tir et à titre de coprésident du Comité de santé et de sécurité au travail.

L’un des postes les plus importants à l’Établissement d’Edmonton est celui de sous‑contrôle. Les compétences nécessaires pour diriger les postes de sous‑contrôle sont cruciales pour travailler comme agent correctionnel à l’Établissement d’Edmonton. Lorsqu’il est placé à un poste de sous‑contrôle, Lloyd ne distingue pas les renseignements importants des renseignements superflus et s’égare aisément. Lloyd ne cerne pas facilement les problèmes, les possibilités ou les mesures à prendre lorsqu’il dirige le poste de sous‑contrôle. Lloyd n’a pas encore dirigé un poste de sous‑contrôle sans avoir besoin d’aide. Lloyd pose constamment des questions dont il devrait connaître les réponses, compte tenu du temps qu’il a passé en formation. Le fait est que Lloyd a démontré qu’il est incapable de diriger un poste de sous‑contrôle même aux périodes les plus tranquilles. L’Établissement d’Edmonton mène ses activités selon une routine établie qui dépend de la mise en service du personnel à l’échelon le plus bas. Lloyd s’est montré incapable de fonctionner selon cette routine, ce qui nuit aux opérations des unités et de l’établissement. Cela a été démontré à maintes reprises, compte tenu des lacunes documentées de Lloyd.

Lloyd a reçu une formation sur plusieurs passerelles, mobiles et autres postes de contrôle fixes et a démontré une rétention insuffisante des renseignements liés à ces postes. La rétention insuffisante de Lloyd, en combinaison avec son incapacité avérée à fonctionner en mode multitâche à tous les postes pourrait entraîner des conséquences graves. Ces conséquences, à ces postes armés où l’intervention doit être immédiate, pourraient exposer les employés et les détenus à des risques inutiles. Ces postes exigent de prendre rapidement des décisions et d’avoir la capacité d’exécuter plusieurs tâches à la fois, afin d’assurer la sécurité des employés et des détenus.

Les commentaires et l’attitude de Lloyd à l’égard du personnel de l’Établissement d’Edmonton constituent une préoccupation importante. Lloyd a déclaré au personnel qu’il [traduction] « était prêt à travailler dès le premier jour de sa FCE ». Ce commentaire semble refléter le manque de compréhension de Lloyd à l’égard du niveau de menace potentielle de l’Établissement d’Edmonton. Lloyd m’a fait remarquer qu’il avait été traité de façon injuste à la fois par la responsable de sa FCE initiale, Connie Squires, par plusieurs cadres intermédiaires de l’Établissement d’Edmonton, des gestionnaires correctionnels, principalement Eric Gagne [sic] et Karen TAYLOR. Lloyd a affirmé que la direction l’avait maintenu en FCE injustement, et que Connie Squires l’avait traité de façon inéquitable et différemment des autres employés en FCE. Lloyd a aussi dit que « le personnel devra s’habituer à lui parce qu’il ne va nulle part ». Ce commentaire révèle que Lloyd n’est pas disposé à s’employer à des objectifs communs ou à travailler dans un environnement motivé par l’esprit d’équipe. Ce défaut de Lloyd d’assumer ses lacunes avérées est évident chaque jour, puisqu’il ne cesse de répéter qu’on ne lui a pas enseigné les compétences ou cherche des excuses en disant que le personnel est fautif parce qu’il fait les choses différemment, ce qui atténue sa responsabilité personnelle.

Ma recommandation après les deux semaines de FCE offerte à Lloyd Kirlew de façon individualisée et intensive, c’est que selon mon opinion éclairée, il n’est pas un bon candidat pour les postes liés à la sécurité à l’Établissement d’Edmonton. Cette opinion se fonde sur les nombreuses lacunes de Lloyd en matière de sécurité, lacunes qui ont été relevées dans les rapports quotidiens, auxquelles s’ajoute son attitude générale envers l’Établissement d’Edmonton et son personnel. L’incapacité de Lloyd à fonctionner à un niveau de compétence acceptable après une période de huit semaines a été quotidiennement démontrée et documentée. Je ne crois pas que Lloyd Kirlew puisse acquérir les aptitudes nécessaires pour fonctionner de façon sécuritaire à l’Établissement d’Edmonton.

 

[59] Dans son témoignage à l’audience, M. Kostiw a réitéré ses préoccupations, plus particulièrement en ce qui avait trait à l’incapacité apparente du fonctionnaire à se concentrer sur les tâches importantes, comme la surveillance des CX qui se trouvent auprès des détenus, son incapacité à apprendre à effectuer le dénombrement adéquatement en dépit d’une formation de longue durée, son incapacité à prioriser les tâches et son apparente régression pour ce qui était de la vérification des armes à feu.

[60] Le 8 janvier 2015, M. Kostiw a été témoin d’un incident à l’occasion duquel le fonctionnaire, qui procédait à la vérification de son arme à feu, a pointé le fusil en direction du couloir menant au poste de contrôle suivant. Pendant le contre‑interrogatoire, il a été établi que l’arme qui aurait été pointée dans la mauvaise direction, bien que chargée, n’était pas chambrée. Autrement dit, même si elle contenait des munitions, elle n’aurait pas pu être tirée sans que d’autres mesures soient prises. Par conséquent, elle n’aurait pas pu être déchargée accidentellement.

[61] Un gestionnaire correctionnel de l’unité d’isolement de l’EE, Chris Saint, a déclaré que Mme Contini l’avait prié d’évaluer le fonctionnaire. L’évaluation a été effectuée le 8 janvier 2015. Dans son évaluation, M. Saint souligne diverses lacunes dans le rendement du fonctionnaire, notamment les suivantes : la vérification des armes prend trop de temps et est effectuée de façon non sécuritaire (même incident que ci‑dessus); l’équipement incomplet (seulement deux masques à gaz au lieu de huit) n’est ni relevé ni corrigé; le dénombrement n’est pas effectué adéquatement, à tel point que M. Kostiw et M. Saint ont dû en prendre le contrôle; le fonctionnaire ouvre les portes sans vérifier qui passe.

[62] Le fonctionnaire n’a livré aucun témoignage au sujet de la formation avec M. Kostiw. Il a parlé de l’interaction du 8 janvier 2015 avec MM. Kostiw et Saint, à l’occasion de laquelle les chiffres ne correspondaient pas au dénombrement. Le fonctionnaire a déclaré que, finalement, MM. Kostiw et Saint avaient procédé au dénombrement ensemble, en le mettant de côté, ce qui avait saboté ses efforts visant à bien faire.

[63] M. Saint a indiqué les commentaires qui suivent dans son évaluation :

[Traduction]

Les lacunes susmentionnées ont été relevées dans le passé, dans des plans d’action, afin que M. Kirlew y voie. Il est évident que les objectifs de travail et les plans d’action remis à M. Kirlew n’ont pas été intériorisés, malgré les consignes, puisque Lloyd Kirlew s’est montré incapable de faire preuve de compétence dans les fonctions d’agent correctionnel I au moment où j’ai effectué mon évaluation.

Je souligne que les sujets de préoccupation les plus graves que j’ai observés concernaient le maniement de l’arme à feu par M. Kirlew au poste et l’ouverture des portes sans vérifier qui demandait le passage dans les secteurs relevant de son contrôle.

À en juger par son dossier de formation, M. Kirlew s’est vu offrir suffisamment de possibilités et de directives pour pallier aux lacunes. Je ne crois pas que M. Kirlew soit capable d’assumer la responsabilité d’un poste à titre d’agent correctionnel I. Il n’a pas fait preuve des compétences nécessaires.

Je souligne que même si M. Kirlew a achevé une formation au maniement des armes à feu au champ de tir auprès d’un instructeur avant sa FCE, son comportement consistant à effectuer une vérification en 7 points de manière non sécuritaire à un poste de contrôle dénote maintenant une régression au niveau des compétences requises en matière de sécurité. S’il est autorisé à travailler de nouveau à un poste, il devra renouveler sa certification auprès d’un instructeur de tir.

 

[64] En fait, la preuve révèle que peu de temps après cette évaluation, le fonctionnaire a été retiré des fonctions de poste et installé dans une salle de briefing, afin de lire des directives jusqu’à son licenciement environ un mois plus tard. Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait trouvé cette situation très gênante, puisque les CX entraient et sortaient de cette salle, où ils avaient accès au courrier électronique, et qu’ils voyaient qu’il n’avait rien d’autre à faire que de lire. Au cours de cette période, M. Saint a rencontré le fonctionnaire et un représentant syndical, qui a évoqué le dépôt éventuel d’un grief. L’idée d’un grief n’a pas perturbé M. Saint, ce qu’il a laissé savoir au fonctionnaire.

[65] Le fonctionnaire a déposé une plainte de harcèlement contre M. Saint dans une lettre du 12 janvier 2015, qui a fait l’objet de révisions en avril et mai 2015, après le renvoi du fonctionnaire en cours de stage. Dans un rapport rédigé le 16 mai 2016, l’enquêteur a conclu que la plainte était sans fondement.

[66] L’un des éléments de la plainte de harcèlement était qu’un autre CX, Frédéric Purtell, avait allégué qu’il avait entendu M. Saint dire : [traduction] « Où est le f[…]ing [mot commençant par n]? », en parlant du fonctionnaire, le jour de l’évaluation effectuée par M. Saint, le 8 janvier 2015. À l’audience, M. Saint a nié catégoriquement avoir fait cette remarque, qui lui répugnait sans réserves à ses dires. Il a également produit un rapport des absences indiquant que M. Purtell était en congé ce jour‑là, et qu’il ne pouvait donc pas avoir été témoin d’un pareil incident.

[67] M. Purtell a témoigné à l’audience. Il est CX-1 à l’EE. Il travaille pour le SCC depuis 2006 et à l’EE depuis 2008. Il était actif dans le syndicat à l’époque où le fonctionnaire était en FCE, mais ne l’est plus.

[68] Le 8 janvier 2015 (selon le rapport des absences produit par M. Saint), M. Purtell était effectivement en congé pour activités syndicales, afin de s’occuper des affaires du syndicat à l’EE. Alors qu’il passait devant le poste de contrôle pour aller faire des photocopies, il a croisé M. Saint et l’a entendu prononcer les mots commençant par f et n. Dans son témoignage, M. Whelan a aussi déclaré que M. Purtell était probablement à l’EE afin de voir aux affaires du syndicat.

[69] M. Purtell s’est vu montrer un courriel, en date du 26 novembre 2014, qu’il avait envoyé à plusieurs membres du syndicat local. Ce courriel est rédigé en ces termes :

[Traduction]

Lloyd Kirlew (prolongation de deux semaines de la FCE)

Beaucoup d’employés viennent me demander pourquoi il est de retour au travail. A‑t‑il tiré la carte de la race? Et ainsi de suite. Toutes choses que j’IGNORE.

Tous les agents qui sont venus me voir ont dit, et je cite : « IL EST DANGEREUX en maudit »

Je leur ai dit que moi ou le syndicat local étions là pour aider les membres, je leur ai dit aussi qu’un plan était mis en branle et que nous allions le suivre.

Nous avons un agent qui s’est porté volontaire pour la tâche, merci Andrew. Andrew sera à ses côtés pendant les 2 prochains jours jusqu’à la réunion.

Certains d’entre nous devrons en venir à une entente à ce sujet. Pour l’instant, je n’ai PAS tous les renseignements. Il s’agit principalement de renseignements délicats, et je ne peux PAS en parler à tout le monde en raison de la protection des renseignements personnels.

Soyez assurés que moi‑même, Sara et d’autres membres clés voyons à cette affaire.

 

[70] M. Purtell a déclaré que son courriel avait été envoyé afin de mettre l’exécutif syndical au courant de la situation. Le but était d’aider le fonctionnaire, et le courriel montre qu’un plan était prévu à cette fin.

[71] Il a été établi que la personne prénommée « Andrew » qui était mentionnée dans le courriel était l’agent Wood. Comme il a été mentionné précédemment, M. Austin a rédigé une note indiquant qu’après une journée, M. Wood ne souhaitait plus se porter volontaire. Il estimait que le fonctionnaire était lent et confus. M. Purtell a déclaré qu’il n’était pas au courant de cela.

[72] M. Purtell a déclaré qu’il éprouvait de la sympathie pour le fonctionnaire. L’EE s’était révélé une courbe d’apprentissage accélérée pour lui aussi, et on l’avait fortement fait prendre conscience de son accent (français). À ses yeux, rien n’indiquait que le fonctionnaire ne faisait pas son travail correctement.

[73] En contre-interrogatoire, M. Purtell a reconnu qu’il avait eu certains désaccords avec M. Saint. Il a aussi reconnu qu’il n’occupait pas un poste armé et ne l’avait pas fait pendant plusieurs périodes. Il n’était pas clair que M. Purtell se soit trouvé à un poste armé à l’époque où le fonctionnaire recevait sa FCE. M. Purtell a déclaré qu’il avait travaillé au poste de sous‑contrôle G/H de temps à autre au cours de cette période, mais qu’il ne se souvenait pas des dates précises.

[74] M. Bernier a été directeur de l’EE du 1er décembre 2014 au 4 octobre 2016. Il a déclaré qu’il avait été mis au courant de la FCE prolongée du fonctionnaire à la mi‑janvier 2015, à la suite de l’incident lors duquel le fonctionnaire avait pointé une arme à feu chargée dans la mauvaise direction. À ce moment‑là, le fonctionnaire avait reçu 11 semaines de FCE, et il ne fonctionnait toujours pas à un niveau satisfaisant.

[75] M. Bernier a discuté du cas avec la Direction des relations de travail du SCC, avec M. Gagné, alors directeur adjoint aux Opérations par intérim, ainsi qu’avec d’autres personnes qui avaient eu affaire au fonctionnaire. La principale préoccupation de M. Bernier était la sécurité des détenus et des employés. Il a décidé de mettre fin au stage du fonctionnaire, mais pas avant d’avoir parlé à M. Whelan, qui a confirmé que d’autres employés ne se sentaient pas en sécurité si le fonctionnaire occupait le poste de contrôle. Aux dires de M. Bernier, M. Whelan ne s’est pas opposé au renvoi en cours de stage.

[76] À l’audience, lorsqu’on lui a demandé son avis sur le renvoi du fonctionnaire, M. Whelan a répondu sans trop s’engager qu’il n’y avait pas de [traduction] « position officielle ». Il a dit que les opinions du personnel étaient partagées; certains disaient qu’avec le temps, le fonctionnaire pourrait devenir compétent, tandis que d’autres disaient qu’il serait plus avantageux pour lui de travailler dans un établissement à sécurité moyenne ou minimale. D’autres encore affirmaient qu’il devait tout simplement [traduction] « passer à autre chose » et oublier une carrière d’agent correctionnel.

[77] M. Bernier a témoigné sur ses principales préoccupations. En plus de la sécurité dans le maniement des armes à feu, le fonctionnaire semblait incapable de fonctionner en mode multitâche, c’est‑à‑dire, de gérer efficacement les différentes tâches d’un poste de contrôle, notamment vérifier les armes à feu et l’équipement, répondre au téléphone, utiliser la radio, surveiller la rangée, réagir aux alertes, ainsi qu’ouvrir et fermer les barrières.

[78] M. Bernier savait qu’à la mi‑janvier, le fonctionnaire avait allégué faire l’objet de discrimination. Il l’a rencontré le 28 janvier, afin de discuter de cette allégation. Le fonctionnaire a prétendu être victime de discrimination en raison de son âge, son origine et son accent jamaïcains, et ses tresses rastas.

[79] M. Bernier a estimé que les allégations de discrimination étaient sans fondement. À son avis, l’EE est très diversifié, puisque son personnel appartient à diverses races et ethnicités.

[80] M. Bernier savait aussi que le fonctionnaire alléguait qu’il avait fait l’objet de harcèlement parce qu’on l’avait installé dans une salle d’ordinateurs et qu’on lui avait dit de lire des directives, au lieu de travailler aux postes de contrôle. M. Bernier a déclaré qu’il arrivait de temps à autre qu’un CX soit retiré des postes armés afin de faire autre chose, comme de lire des directives.

[81] Le 12 février 2015, M. Bernier a signé une lettre de licenciement qui faisait état des motifs suivants :

[Traduction]

• Vous n’avez pas achevé avec succès votre formation en cours d’emploi malgré le fait que vous ayez bénéficié de 10 semaines de formation supplémentaires.

• Vous n’avez pas démontré les compétences nécessaires pour assumer la responsabilité des postes à l’Établissement d’Edmonton. Plusieurs sujets de préoccupation ont été abordés avec vous, notamment votre incapacité à fonctionner en mode multitâche, votre incapacité à réagir de façon appropriée au système de communication, ainsi que vos procédures radio, votre rapidité d’exécution et votre manque de confiance. Vous avez eu de nombreuses possibilités de vous améliorer dans ces domaines, afin de démontrer votre capacité d’appliquer vos connaissances à l’environnement de travail et d’exécuter vos fonctions d’agent correctionnel.

• Vous êtes incapable de manier des armes, dans la mesure où, le 9 janvier 2015, vous avez pointé une arme chargée en direction d’un couloir alors que vous procédiez à sa vérification.

 

[82] Invité à commenter la lettre de licenciement à l’audience, le fonctionnaire a fourni les commentaires suivants :

• Au sujet de son incapacité à manier des armes : le fonctionnaire a déclaré que cet incident ne s’était pas produit; il a procédé à la vérification de l’arme de manière [traduction] « parfaitement correcte », puis l’a rangée.

 

• Au sujet de la non‑démonstration des compétences nécessaires : le fonctionnaire a déclaré que ce n’était pas vrai. Il a ajouté que le défendeur semblait ne pas avoir tenu compte de l’évaluation effectuée par M. Lorenson, qui était favorable.

 

[83] Le fonctionnaire a déposé deux griefs alléguant la discrimination, l’un pendant sa FCE et l’autre une fois qu’il a été congédié. Tous les agents qui étaient arrivés après lui avaient achevé leur FCE et avaient été placés à divers postes. Il était le seul à ne pas avoir obtenu de poste. Il était également le seul à être noir, à porter des tresses rastas et à parler avec un accent.

[84] Selon le fonctionnaire, le syndicat n’avait rien fait pour lui, pas plus que la direction, malgré ses lettres à la haute direction. Il en était arrivé à la conclusion que l’ambiance toxique qui régnait à l’EE empêchait les agents de parler, même s’ils savaient que quelque chose allait de travers. L’EE était très raciste et très discriminatoire.

[85] Pendant le contre-interrogatoire, il a été établi qu’en plus de Mme Squires et de M. Saint, le fonctionnaire avait porté des plaintes de harcèlement contre les personnes suivantes : M. Austin, qui l’avait évalué le 10 décembre 2014; Mme Taylor, sa superviseure immédiate, qui l’avait évalué les 6 et 28 novembre 2014; M. Gagné, qui l’avait évalué les 13 et 25 novembre 2014; M. Kostiw, qui lui avait donné une formation pendant deux semaines en décembre 2014 et l’avait évalué chaque jour. Les plaintes contre Mme Squires et M. Saint ont fait l’objet d’enquêtes, et il a été conclu qu’elles n’étaient pas corroborées. Les autres plaintes ont été rejetées sans qu’il y eût d’enquête officielle.

A. Rapport de TLS Enterprises

[86] Pendant le témoignage de M. Whelan, le fonctionnaire a produit un rapport rédigé par TLS Enterprises (le « rapport de TLS ») à la demande du SCC. Ce rapport concernait une évaluation indépendante qui avait été effectuée par suite des demandes présentées par le syndicat et certains membres, en raison de l’intimidation et du harcèlement permanents et systématiques à l’EE.

[87] Le défendeur s’est opposé à la présentation du rapport, parce qu’il avait été rédigé après la période visée par les griefs. M. Whelan a indiqué que les problèmes exposés dans le rapport remontaient à une date bien antérieure à sa rédaction.

[88] Les auteurs du rapport n’ont pas témoigné. Plusieurs témoins ont été priés de commenter les réponses à la question suivante : [traduction] « Avez‑vous déjà été témoin de harcèlement racial ou sexiste? », qui figure à l’annexe C, [traduction] « Résumé des conclusions des entrevues avec les employés ». Selon le rapport, les réponses se répartissaient en deux groupes d’égale importance : oui, le harcèlement racial ou sexiste avait été observé, mais le harcèlement racial plus souvent; non, ce genre de commentaire relevait du badinage ou de l’humour noir et était acceptable comme moyen de composer.

[89] J’ai admis la production du rapport, mais je ne lui ai accordé aucun poids dans ma décision, puisqu’il n’y a eu ni interrogatoire, ni contre‑interrogatoire de ses auteurs. En outre, compte tenu du petit échantillonnage de CX, je ne vois pas comment je pourrais me fonder sur ses conclusions. Cependant, je tiens compte des divers commentaires que les témoins ont formulés au sujet de l’existence du harcèlement racial à l’EE.

[90] Invités à dire s’ils avaient été témoins de discrimination ou de harcèlement racial, les témoins du défendeur ont eu tendance à nier qu’il y ait eu du harcèlement, de la discrimination et de l’intimidation, puisque ces comportements sont entièrement contraires au code de conduite du SCC. Si un pareil comportement survenait, il serait sanctionné.

[91] Le fonctionnaire a déclaré pour sa part que le harcèlement et la discrimination étaient monnaie courante à l’EE. MM. Whelan et Purtell ont convenu qu’il y avait du harcèlement, de la discrimination et de l’intimidation, mais que ce n’était pas le fait de tout le monde, seulement d’un noyau d’intimidateurs bien connus. M. Whelan a observé qu’il y avait eu du harcèlement à l’EE. Il a ajouté que compte tenu de son poste, il avait reçu de nombreuses plaintes. Certains agents de race noire lui avaient dit qu’il y avait de la discrimination. Cependant, d’après son expérience, il ne pouvait pas affirmer que les agents de race noire avaient plus de difficulté à obtenir une promotion, mais ils semblaient arriver et repartir à un rythme plus accéléré que les agents de race blanche.

[92] À l’audience, j’ai prié le défendeur de présenter des chiffres sur l’équité en matière d’emploi à l’EE. Ces chiffres ont été produits, et ils attestent une certaine diversité raciale au sein du personnel, y compris parmi les CX. Un tableau illustrant la représentation des minorités visibles au sein du groupe CX à l’EE, au 31 mars 2015, a été présenté. La représentation pèse pour 11,1 p. 100, alors que la [traduction] « disponibilité au sein de la population active » des minorités visibles est de 2,5 p. 100, selon le recensement de 2006.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

[93] L’administrateur général est habilité à licencier un employé en cours de stage en vertu de l’article 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). L’article 211 de la Loi interdit de renvoyer à l’arbitrage un grief lié à un licenciement au titre de la LEFP. Par conséquent, un arbitre de grief n’a pas compétence sur ce genre de licenciement, à moins que le fonctionnaire puisse établir qu’il s’agissait en fait d’un subterfuge ou d’un camouflage, et que les préoccupations de l’employeur n’étaient pas liées à l’exécution du travail (voir Jacmain c. Procureur général (Canada), [1978] 2 RCS 15).

[94] Bien que la Loi ait connu plusieurs versions, le raisonnement exposé dans la décision Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.) s’applique encore. Un arbitre de grief a le droit d’examiner si un licenciement en cours de stage a été fait de bonne foi, mais il perd sa compétence dès que la preuve le convainc [traduction] « […] que les représentants de l’employeur ont agi de bonne foi au motif qu’ils estimaient que l’employé ne possédait pas les aptitudes requises pour occuper le poste […] ». Comme il est établi dans la décision Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, il incombe au fonctionnaire de démontrer « […] que le licenciement reposait artificiellement sur la nouvelle LEFP, un subterfuge ou un camouflage […] ».

[95] En l’espèce, le défendeur a documenté abondamment la FCE et les lacunes qui avaient été relevées dans les évaluations. Il était préoccupé par les considérations liées à la sécurité qu’entraînaient ces lacunes, notamment le fait que le fonctionnaire n’avait pas examiné les ordres de poste, qu’il ne communiquait pas efficacement à la radio, qu’il n’effectuait pas correctement la vérification des armes à feu et qu’il n’était pas intervenu à la suite d’une APP. Le défendeur lui a accordé une deuxième chance en prolongeant la FCE après le 24 novembre 2014, alors qu’une première recommandation de licenciement avait été présentée. Plusieurs rapports d’observation ont été présentés par des agents ordinaires, et non par des gestionnaires. Ils ont tous soulevé les mêmes sujets de préoccupation : les difficultés éprouvées par le fonctionnaire relativement à la rapidité d’exécution des tâches, à la gestion de la circulation des détenus, aux vérifications des armes à feu, aux connaissances de base et aux communications radio. Ils ont aussi mentionné la difficulté du fonctionnaire à accepter et à assimiler les critiques constructives.

[96] Le témoignage le plus important est peut‑être celui de M. Kostiw. Le syndicat l’avait choisi pour encadrer le fonctionnaire. Il avait une attitude favorable lorsqu’il a entamé l’encadrement. Il a été chargé de la FCE du fonctionnaire pendant deux semaines. Il était un agent chevronné. Il a conclu dans ses rapports que les lacunes du fonctionnaire en matière de rendement étaient trop nombreuses pour qu’il puisse y pallier.

[97] La bonne foi du défendeur est établie par la preuve. Celui‑ci s’est fondé sur de nombreux rapports, et non sur des incidents isolés. Il était évident que le fonctionnaire ne possédait pas les aptitudes requises pour occuper le poste. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour trancher ce grief.

[98] En ce qui a trait à la question de la discrimination, l’avocat du défendeur a concédé qu’une conclusion de discrimination habiliterait la Commission à réexaminer le licenciement. Cependant, le fonctionnaire devait établir un lien entre la discrimination pour motifs illicites et le licenciement, ce qu’il n’a pas fait.

[99] Il se peut que des choses désagréables soient survenues dans le milieu de travail, mais elles ne constituaient pas une discrimination en tant que facteur du licenciement. Les lacunes qui avaient été relevées étaient réelles, et elles n’étaient pas liées à la discrimination. Aucune preuve prima facie n’a été établie, comme l’exige la jurisprudence (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536 (« O’Malley ») et Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204).

[100] Même si les allégations du fonctionnaire évoquant un comportement importun de la part de certains agents étaient vraies, ces comportements n’ont pas joué un rôle déterminant dans les évaluations dont il a fait l’objet, ni dans la décision de la direction de le congédier. Il a prétendu qu’il avait été traité différemment. D’après la preuve présentée dans les rapports, il semble que cela ait été attribuable au fait qu’il ne fonctionnait pas au niveau attendu. C’est la raison pour laquelle la FCE avait été prolongée.

[101] La version des événements qu’a présentée le fonctionnaire a soulevé certains problèmes de crédibilité. Il avait déposé des plaintes de harcèlement contre tous ses gestionnaires; aucune n’a été fondée. Deux d’entre elles avaient fait l’objet d’investigations menées par des enquêteurs externes. Le fonctionnaire a nié avoir pointé son arme à feu dans la mauvaise direction pendant qu’il l’examinait, le 8 janvier 2015. Cependant, deux agents aguerris (MM. Saint et Kostiw) avaient relaté l’incident. Après avoir donné une formation au fonctionnaire pendant 10 jours à la demande du syndicat, M. Kostiw n’avait aucun motif de saper la crédibilité du fonctionnaire.

[102] Le fonctionnaire a aussi déclaré que MM. Saint et Kostiw avaient saboté le dénombrement afin de le discréditer. Cela n’avait aucun sens. Le dénombrement revêt une importance capitale pour l’EE, et deux agents supérieurs ne le saboteraient pas pour discréditer un stagiaire. De plus, le problème lié au dénombrement avait été mentionné dans plusieurs autres rapports, rédigés par d’autres agents.

[103] Le fonctionnaire n’a pas signalé la discrimination ou le harcèlement à ses gestionnaires avant la fin de janvier 2015, date à laquelle il savait qu’il serait congédié. Dans son témoignage, il n’a présenté aucune preuve matérielle de discrimination, à l’exception de son allégation évoquant un commentaire que M. Saint aurait passé et que M. Purtell aurait entendu. Cette allégation était peu crédible. M. Saint l’a catégoriquement niée.

[104] En conclusion, la preuve de discrimination était essentiellement de nature insinuative, et non matérielle. Rien n’indiquait que la décision de M. Bernier ait été entachée par la discrimination. Plus exactement, cette décision était fondée sur plusieurs rapports, notamment celui de M. Kostiw, un formateur choisi à la fois par la direction et le syndicat, qui se concluait en ces termes : [traduction] « Je ne crois pas que Lloyd Kirlew puisse acquérir les aptitudes nécessaires pour fonctionner de façon sécuritaire à l’Établissement d’Edmonton. »

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[105] La question à trancher en l’espèce n’est pas celle de savoir si la discrimination raciale a entraîné le licenciement en cours de stage. Plus exactement, il s’agit de savoir si la discrimination raciale a été un facteur de licenciement. La preuve a révélé qu’elle l’a été.

[106] Le fonctionnaire a déclaré que sa race et son ethnicité avaient fait l’objet de moqueries. Il avait été humilié en janvier 2015, alors que pendant trois semaines, il avait dû demeurer assis dans la salle de briefing afin de lire les directives du commissaire, à la vue de tous.

[107] Le fonctionnaire avait signalé de la discrimination dès novembre 2014. Toutefois, le SCC n’a rien fait pour y remédier. À aucun moment un gestionnaire n’a vraiment écouté le fonctionnaire afin de comprendre ce qu’il vivait. Cela, en soi, constituait un comportement discriminatoire.

[108] La discrimination raciale est souvent circonstancielle, et non directement observable. Il est bien établi dans la jurisprudence qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait une intention pour qu’il y ait discrimination.

[109] Le fonctionnaire a cité Brown c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2012 TDFP 17, au par. 72, pour appuyer l’idée « […] qu’un plaignant peut produire des éléments de preuve liés aux pratiques générales en matière de personnel ou à la composition générale de l’effectif de l’employeur afin d’établir que le comportement de ce dernier s’inscrit dans une tendance ou dans une pratique uniformisée de discrimination. »

[110] Il y avait des exemples illustrant que le fonctionnaire avait été traité différemment. Il avait été séparé des deux autres stagiaires. Mme Squires était condescendante envers lui. Il se souvenait clairement d’un incident lors duquel elle l’avait vivement réprimandé et émettait un signal sonore chaque fois qu’il répondait. M. Saint avait réagi avec dédain lorsque le fonctionnaire et son représentant syndical avaient dit que le fonctionnaire déposerait un grief.

[111] À l’égard de l’incident signalé par M. Purtell, à l’occasion duquel M. Saint aurait passé le commentaire dont les mots commencent par f et n, la crédibilité penchait en faveur de M. Purtell. M. Saint était manifestement motivé à mentir au sujet de l’incident, alors que M. Purtell n’avait rien à gagner en inventant cette interaction.

[112] Il était évident que l’EE était un environnement de travail toxique, comme l’a révélé le rapport de TLS. M. Whelan a déclaré que le syndicat et ses membres avaient des préoccupations qui remontaient assez loin dans le temps, ce qui englobait certainement la période au cours de laquelle le fonctionnaire suivait sa FCE. Les témoins du défendeur ont nié les problèmes de harcèlement importants qui avaient été confirmés par M. Whelan et le fonctionnaire. Cela en soi est inquiétant. Si les décideurs ne sont pas disposés à reconnaître le harcèlement et la discrimination, au mieux, ils ignorent le problème, ou, au pire, ils en font partie. Cela tendrait à confirmer l’existence de la discrimination.

[113] Il y a eu des comportements ouvertement discriminatoires, comme le commentaire de M. Saint et celui d’un autre CX qui selon des collègues désignait le fonctionnaire en employant le mot commençant par n. Le rapport de TLS a révélé une ambiance discriminatoire de façon générale. Maintenir le fonctionnaire dans la salle de briefing pendant trois semaines démontrait de la discrimination. Aucun autre agent ou stagiaire n’a été traité de cette façon. L’ensemble de la preuve constituait une solide preuve circonstancielle de discrimination fondée sur la race.

IV. Ordonnance de confidentialité

[114] À l’audience, l’avocat du défendeur a demandé que deux documents soient mis sous scellés : le rapport d’enquête concernant la plainte de harcèlement du fonctionnaire contre M. Saint, et le rapport d’enquête concernant la plainte de harcèlement contre Mme Squires. Le défendeur voulait aussi caviarder certains éléments dans les documents dont la Commission était saisie. J’ai demandé des arguments écrits sur la demande et différé ma décision. Le défendeur a déposé ses arguments le 20 juillet 2017. Le 6 juillet 2017, l’agent négociateur avait indiqué qu’il ne s’opposait pas à la demande d’ordonnance de confidentialité du défendeur et ne présenterait pas d’autres arguments relativement à l’affaire.

[115] Dans ses arguments, le défendeur a demandé le caviardage du nom d’un détenu dans l’un des rapports traitant de la FCE du fonctionnaire. Ce nom avait déjà été caviardé dans la version du document qui avait été présentée à la Commission à l’audience. Ce nom n’est aucunement pertinent au contexte de la présente audience. Les préoccupations liées à la protection des renseignements personnels militent en faveur du caviardage de ce nom. Comme il était déjà caviardé lorsque ce document a été présenté à la Commission, aucune ordonnance ne s’avère nécessaire.

[116] À l’audience, j’ai demandé les chiffres sur l’équité en matière d’emploi à l’EE, qui ont été fournis sur consentement. En plus du tableau déjà mentionné, le document comprenait le nombre de diplômés du programme de formation de base embauchés par l’EE en décembre 2014 (le groupe qui a suivi le recrutement du fonctionnaire) qui s’étaient identifiés comme appartenant à l’un des groupes visés par l’équité. Compte tenu des faibles chiffres, le défendeur a demandé que les chiffres soient caviardés afin d’assurer la confidentialité.

[117] Je souscris à la demande du défendeur de caviarder les chiffres sur l’équité en matière d’emploi qui ont été fournis à l’audience. Les employés divulguent leur appartenance à divers groupes cibles désignés dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi (L.C. 1995, ch. 44) après avoir reçu une promesse de confidentialité. Il n’y a aucune raison de violer cette confidentialité. Quoi qu’il en soit, compte tenu du faible nombre total d’employés touchés, le document concernant les diplômés du programme de formation de base embauchés à l’EE en décembre 2014 ne s’est vu accorder aucun poids dans la présente décision.

[118] Le défendeur a demandé que les pièces suivantes soient mises sous scellés :

• Pièce E-1, onglet 33, rapport d’enquête concernant la plainte de harcèlement contre M. Saint;

• Pièce E-1, onglet 34, rapport d’enquête concernant la plainte de harcèlement contre Mme Squires;

• Pièce E-5, énoncé des allégations contre M. Saint;

• Pièce E-6, notes de l’enquêteur sur le harcèlement lors de l’entrevue avec le fonctionnaire concernant ses allégations au sujet de M. Saint;

• Pièce E-7, plainte de harcèlement contre un CX.

 

[119] Le défendeur prétend qu’il s’agit de documents confidentiels faisant partie du processus de traitement des plaintes de harcèlement, lequel doit rester confidentiel. Les personnes concernées n’ont pas comparu devant la Commission et ont droit à la protection de leur vie privée.

[120] Le critère à appliquer pour décider s’il faut restreindre l’accès du public aux pièces est fondé sur la jurisprudence établie dans Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41. Dans N. J. c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 129, au par. 48, ce critère, dans son application à la Commission, a été résumé en ces termes :

48 Tel qu’il a été mentionné précédemment, d’aucuns reconnaissent que le principe de transparence judiciaire s’applique tant aux cours qu’aux tribunaux quasi-judiciaires. Il est également reconnu que, dans certaines circonstances, il pourrait y avoir lieu d’imposer des restrictions à l’accessibilité des procédures judiciaires. À cet égard, la Cour suprême du Canada a élaboré le critère de Dagenais/Mentuck, qui agit à titre de guide lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu d’imposer des restrictions dans l’application du principe de transparence judiciaire. Aussi, le critère de Dagenais/Mentuck a été reformulé comme suit dans Sierra Club du Canada :

[…]

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important […] dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

 

[121] Le défendeur a cité deux décisions, Albano c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 79, qui a été rendue par la Commission, et Martin-Ivie c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 40, qui a été rendue par la commission précédente, soit la Commission des relations de travail dans la fonction publique, afin de montrer que la Commission avait ordonné que les versions non caviardées des rapports soient mises sous scellés lorsqu’elles concernent des employés qui n’étaient pas représentés à l’audience, et dont la sécurité, la réputation ou la vie privée risquent d’être menacées par l’accès du public à ces rapports, lorsque les employés n’ont pas eu la possibilité de présenter leurs points de vue.

[122] Lorsqu’il a demandé la mise sous scellés des cinq pièces énumérées au paragraphe 115, le défendeur a fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

Chacun des documents susmentionnés est un document confidentiel qui fait partie du processus de traitement des plaintes de harcèlement. Conformément à la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du Conseil du Trésor, le processus de traitement des plainte de harcèlement doit demeurer confidentiel, les renseignements ne devant être communiqués qu’en fonction des besoins. Les renseignements contenus dans les pièces susmentionnées exposent en détail les allégations de harcèlement faites contre les témoins et d’autres personnes qui ne sont pas parties à l’arbitrage. Les allégations sont de nature à être hautement préjudiciables aux intérêts des personnes désignées. Les droits des parties à une enquête et à un arbitrage sur les plaintes de harcèlement dans un contexte confidentiel subiraient un préjudice si ces documents demeuraient dans un dossier de la Commission accessible au public, puisque les personnes qui ne sont pas parties à l’arbitrage n’ont pas la possibilité de défendre leurs intérêts ou leur réputation. La Commission a déjà statué que les documents d’enquête de cette nature sont préjudiciables à la vie privée et doivent être mis sous scellés.

 

[123] Dans Albano, l’arbitre de grief a ordonné la mise sous scellés du rapport d’enquête non caviardé concernant un incident lors duquel trois CX avaient pris part aux mauvais traitements infligés à un détenu à la suite d’un incident survenu avec un autre détenu. Ces CX n’ont pas témoigné à l’audience. Manifestement, la réputation et la sécurité des agents et des détenus étaient des considérations importantes pour apprécier le principe de transparence judiciaire. Dans Martin-Ivie, l’arbitre de grief a justifié dans les termes qui suivent la mise sous scellés d’un rapport d’enquête concernant la divulgation non autorisée de renseignements protégés qui touchaient non seulement le fonctionnaire, mais aussi trois autres employés :

4 Étant donné que ces fonctionnaires ne sont pas des parties à la plainte dont je suis saisie, j’ai conclu, après avoir pris connaissance du rapport, que d’en permettre la diffusion au public causerait préjudice aux autres employés qui y sont mentionnés. Les informations contenues dans le rapport, si elles n’étaient pas mises sous scellés, pourraient porter atteinte à la réputation d’individus qui ne sont pas en cause dans la plainte dont je suis saisie et qui n’ont pas consenti à la publication des conclusions de l’enquête sur leurs activités respectives ou n’ont pas eu l’occasion de se défendre devant moi relativement à ces conclusions. De plus, il n’est pas dans l’intérêt de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») ni des parties comparaissant devant celle-ci que soient diffusés publiquement des renseignements personnels au-delà de ceux requis aux fins de la décision en l’instance. Pour ces motifs, et eu égard aux critères « Dagenais/Mentuck », j’ordonne que la pièce 3 soit mise sous scellés. La version caviardée du rapport, déposée à titre de pièce 1, onglet E, ne sera pas mise sous scellés. Cela suffira pour satisfaire aux exigences d’ouverture, de transparence et d’accessibilité de la Commission dans le cadre du dénouement de la plainte dont je suis saisie.

 

[124] Les documents dont le défendeur a demandé la mise sous scellés ne soulèvent pas des préoccupations comparables. La pièce E-1, onglet 33, est le rapport d’enquête sur la plainte de harcèlement du fonctionnaire contre M. Saint. Tous deux ont témoigné à l’audience et ont eu amplement l’occasion de présenter leurs points de vue respectifs. D’autres personnes sont mentionnées dans le rapport, dont certaines ont aussi témoigné à l’audience. Certaines autres n’ont pas témoigné, mais aucun renseignement ne peut nuire à leur réputation. Il n’y a pas non plus de renseignements n’ayant pas fait l’objet d’un examen à l’audience, c’est‑à‑dire, l’évaluation du fonctionnaire et les décisions prises à l’égard de la gestion de la FCE. Je comprends que l’enquête sur la plainte de harcèlement est confidentielle, mais il n’y a rien de confidentiel dans le rapport.

[125] Les mêmes observations s’appliquent à la pièce E-1, onglet 34, soit le rapport d’enquête sur la plainte de harcèlement du fonctionnaire contre Mme Squires, qui a témoigné à l’audience. Il n’y a rien dans ce rapport qui puisse porter atteinte à la réputation de quelqu’un ou soulever des préoccupations pour la sécurité. Encore là, je ne vois pas en quoi la confidentialité constituerait un motif d’aller à l’encontre du principe de transparence judiciaire, puisque rien dans ce rapport n’a pas aussi été examiné à l’audience.

[126] La pièce E-5 est un énoncé des allégations que le fonctionnaire a faites dans sa plainte de harcèlement contre M. Saint. Je ne vois pas pourquoi elle devrait être mise sous scellés. Cette pièce traite de plusieurs incidents qui ont été relatés à l’audience. L’enquête a permis de conclure que ces allégations étaient insuffisantes pour conclure au harcèlement.

[127] La pièce E-6 renferme des notes d’entrevue. Encore là, elle concerne des éléments de preuve dont j’étais saisie et qui mettaient en cause le fonctionnaire et M. Saint. Je ne vois pas quel préjudice découlerait du maintien de l’accès au public de ce document. L’accès à ce document ne nuit à la réputation de personne, et le fonctionnaire et M. Saint ont témoigné longuement devant moi des événements dont il traite.

[128] La pièce E-7 est la plainte que le fonctionnaire a portée contre un CX qui n’a pas témoigné devant moi concernant un incident lié au dénombrement. Je n’ai pas nommé l’agent en question dans ma décision, et je crois que la plainte constitue une attaque à la réputation de l’agent à l’égard de laquelle celui‑ci n’a pas eu la possibilité de réagir. Je crois que le caviardage du nom de l’agent en question est suffisant pour protéger ses intérêts tout en maintenant le principe de transparence judiciaire.

V. Motifs

[129] La Commission n’a pas compétence pour entendre un grief déposé contre un licenciement en cours de stage. Le licenciement du fonctionnaire a été effectué en vertu du paragraphe 62(1) de la LEFP, lequel prévoit que l’administrateur général d’une organisation, y compris le Service correctionnel du Canada, peut aviser un employé en cours de stage de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis. Selon l’alinéa 211a) de la Loi, les griefs individuels concernant un licenciement effectué en vertu de la LEFP ne peuvent être renvoyés à la Commission pour arbitrage.

[130] Cependant, il est établi de longue date (voir Jacmain et Penner) et il a été confirmé par la Commission et les commissions précédentes (voir Tello et Warman c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 103) qu’un arbitre de grief a compétence sur un licenciement en cours de stage si le fonctionnaire s’estimant lésé peut établir que le licenciement était de mauvaise foi ou invoquait la LEFP de façon factice. Pour décider si tel est le cas, l’arbitre de grief peut examiner un licenciement en cours de stage, afin d’établir s’il s’agit d’un subterfuge ou d’un camouflage ou encore s’il a été effectué de mauvaise foi. L’avocat du défendeur a concédé que si l’arbitre de grief concluait qu’il y avait eu discrimination, cela constituerait un cas d’invocation factice de la LEFP, et le licenciement en cours de stage ne serait pas valide. L’avocat du fonctionnaire a fait valoir qu’il suffit de prouver qu’un motif de discrimination illicite est l’un des facteurs du licenciement, et non son unique cause, pour qu’il soit conclu à l’illégalité du licenciement.

[131] Afin que la Commission puisse conclure que la discrimination a été un facteur dans la formation et l’évaluation du fonctionnaire, comme il le prétend, celui-ci doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination, c’est‑à‑dire, présenter une preuve qui porte sur les allégations formulées, et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en sa faveur, en l’absence de réplique de l’employeur (voir O’Malley). Pour décider si une preuve prima facie a été établie, on ne doit pas tenir compte de la réplique du défendeur aux allégations (voir Lincoln au par. 22).

[132] En l’espèce, le fonctionnaire devait démontrer que les motifs de discrimination qu’il avait allégués, à savoir l’âge, la race et l’origine ethnique, avaient été des facteurs du traitement préjudiciable qu’il avait subi (sa FCE prolongée et son licenciement). Le fonctionnaire a allégué plusieurs incidents de discrimination, sur lesquels je vais maintenant me pencher.

[133] J’ai déjà dit que je n’accorde aucun poids au rapport de TLS, puisque les éléments de preuve qu’il renferme n’ont pas été examinés devant moi. Je souligne, cependant, que certains témoins ont évoqué le harcèlement racial qui se produisait à l’EE. En soi, cela ne prouve pas que les difficultés que le fonctionnaire a éprouvées tout au long de sa formation aient été attribuables à la discrimination. Il y a des employés qui appartiennent à des minorités visibles à l’EE, comme le confirme le tableau présenté par le défendeur à ma demande. Les témoins présents devant moi ont tous condamné le racisme. M. Whelan a signalé que certains agents de race noire s’étaient plaints à lui de remarques racistes, mais ce racisme allégué ne les avait pas empêchés d’obtenir et de conserver leur emploi à l’EE. Je n’ai pas de difficulté à reconnaître que le racisme existe encore dans la société canadienne. Cela ne veut pas dire que la discrimination ait joué un rôle dans l’évaluation du fonctionnaire. Il faut plus qu’une simple affirmation.

[134] Le fonctionnaire a cité Brown, une décision qui a été rendue par l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique, voulant qu’une preuve circonstancielle puisse être admise pour conclure qu’il y a probablement eu discrimination. Dans cette décision, le Tribunal a statué dans les termes qui suivent qu’en dernier ressort, la preuve était insuffisante pour démontrer que la discrimination était un facteur qui était entré en jeu dans la décision du défendeur selon laquelle le plaignant ne s’était pas qualifié pour le processus de dotation :

82. Selon le Tribunal, la preuve circonstancielle qu’a présentée le plaignant ne suffit pas à conclure qu’il existe au sein du SCC des obstacles discriminatoires systémiques pour les membres des groupes de minorités visibles. Par ailleurs, même si cette preuve suffisait à démontrer l’existence d’obstacles systémiques au cheminement professionnel de ces employés au SCC, il reste que le plaignant n’a pas établi de lien entre la preuve qu’il a présentée et la preuve relative à la discrimination dont il aurait été victime. En effet, le plaignant n’a déposé aucun élément de preuve permettant d’établir ou de déduire que sa race, sa couleur ou son origine ethnique avait influé sur la conclusion de l’intimé selon laquelle il n’avait pas atteint la note de passage relativement à deux qualifications essentielles. Le plaignant n’a d’ailleurs pas remis en doute la conclusion du comité d’évaluation selon laquelle il ne possédait pas ces deux qualifications essentielles. Aucun des éléments de preuve qu’il a déposés ne se rapporte à des pratiques discriminatoires observées dans le processus de nomination visé par sa plainte.

[Je souligne]

 

[135] Le fonctionnaire a dit que son âge avait été un facteur de discrimination. Il a été établi qu’il était âgé de 49 ans lorsqu’il a entamé sa FEC. Dans son témoignage, il n’a donné aucun exemple de discrimination fondée sur l’âge.

[136] Le fonctionnaire a déclaré avoir été victime de discrimination en raison de son origine jamaïcaine, et le seul exemple qu’il en a donné concernait des personnes qui se seraient moqué de son accent lorsqu’elles lui parlaient à la radio. Je n’ai aucun motif de mettre en doute ces incidents. Le fonctionnaire a un accent. Le récit qu’il a fait de l’imitation semblait sincère.

[137] Le fonctionnaire s’est senti rabaissé dès le premier jour, lorsque Mme Squires a parlé de sa barbe. Elle n’a pas nié avoir passé une telle remarque, mais a fortement nié l’avoir fait en présence d’une autre personne. Il n’y avait aucune autre preuve qu’une personne ait passé un commentaire au sujet d’un autre homme barbu et portant un turban qui avait quitté l’EE depuis. La réaction du fonctionnaire au commentaire sur la barbe a été d’expliquer qu’il s’était rasé la veille au soir, parce qu’il en avait pris l’habitude à la Division Dépôt de la GRC. M. Whelan a déclaré que Mme Squires pouvait être assez stricte, ce qui était l’une des raisons pour lesquelles il pensait que d’autres agents devaient participer à la formation, comme c’était le cas.

[138] M. Purtell a déclaré qu’il avait entendu M. Saint passer le commentaire dont les mots commencent par f et n. M. Saint a catégoriquement nié cela. La dénégation était peut‑être un peu trop appuyée et s’accompagnait d’un rapport des absences de M. Purtell, rapport qui était en fait sans intérêt, puisqu’il révélait que M. Purtell était en congé pour activités syndicales. Comme M. Whelan en a témoigné, le congé pour activités syndicales était accordé pour s’occuper des affaires du syndicat. M. Purtell, qui traitait les dossiers de grief, aurait fort bien pu se trouver à l’EE ce jour‑là, afin de traiter les dossiers qui s’y trouvaient. J’estime possible que le commentaire ait été fait et ait été entendu.

[139] Il y a eu aussi un incident mettant en cause un autre agent qui n’avait pas collaboré à la présentation des chiffres du dénombrement et qu’on avait entendu prononcer le mot commençant par n.

[140] En dernier lieu, le fonctionnaire s’est plaint d’avoir été placé dans une situation humiliante pendant les trois dernières semaines de son emploi, alors qu’il se trouvait dans la salle d’ordinateurs, où les autres agents entraient afin de vérifier leurs courriels puis ressortaient, et que son unique tâche était de lire les Directives du commissaire.

[141] Même si ces incidents (le commentaire dont les mots commencent par f et n, les moqueries au sujet de son accent, le commentaire sur la barbe, un agent ayant occasionné des difficultés pour le dénombrement et utilisé le mot commençant par n, la lecture des directives pendant trois semaines) sont vrais, je ne crois pas qu’ils constituent une preuve que la discrimination a été un facteur dans la formation et l’évaluation du fonctionnaire. Ces faits ne satisfont pas au critère établi dans les décisions O’Malley ou Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, à l’égard de la discrimination prima facie. Pour établir la discrimination prima facie, le fonctionnaire devait démontrer 1) qu’il possède une caractéristique constituant un motif de discrimination illicite en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne; 2) qu’il avait subi un traitement préjudiciable; 3) qu’il existait un lien entre les deux. C’est ce troisième critère qui n’est pas satisfait, car j’estime que même si ces faits allégués sont dignes de foi, ils ne permettent pas d’établir un lien entre le traitement préjudiciable, qu’il s’agisse de la durée de la FCE ou du renvoi en cours de stage, et l’âge, la race ou l’origine ethnique du fonctionnaire.

[142] En outre, même si j’avais conclu que les allégations du fonctionnaire étaient suffisantes pour établir une preuve prima facie de discrimination, le défendeur a produit une preuve qui démontre de manière convaincante qu’il a mis fin au stage du fonctionnaire en raison des lacunes importantes au niveau de son rendement et que les motifs de discrimination qu’il a invoqués n’étaient pas des facteurs dans la décision de mettre fin à son emploi.

[143] Le défendeur a établi qu’il avait des préoccupations importantes au sujet du rendement du fonctionnaire. Je souligne que ce dernier n’a pas contesté diverses déclarations figurant dans les rapports, selon lesquelles il n’avait pas lu les directives des postes, avait de la difficulté à fonctionner en mode multitâche, n’avait pas réagi à des alertes personnelles, avait de la difficulté à effectuer les dénombrements et croyait pouvoir découvrir les choses au lieu d’écouter attentivement les instructions. À aucun moment pendant sa FCE ou devant moi à l’audience il n’a reconnu la moindre lacune à l’égard de son rendement. De nombreuses lacunes ont été signalées par diverses personnes. En particulier, je trouve le témoignage de M. Kostiw franc et convaincant. Il avait une attitude positive lorsqu’il a commencé à travailler avec le fonctionnaire et a investi beaucoup de temps et d’efforts dans sa FCE, mais en dernier ressort, il a conclu que le fonctionnaire n’était pas fait pour cet emploi. Il y a beaucoup d’éléments de preuve pour étayer cette conclusion.

[144] Un grand nombre de personnes, hormis Mme Squires, M. Saint et l’agent mêlé à l’incident lié au dénombrement, ont participé à la FCE et à l’évaluation du fonctionnaire. Elles en sont toutes arrivées à la même conclusion, à savoir que le fonctionnaire ne pouvait pas s’acquitter des fonctions de CX-1 de façon sécuritaire.

[145] Je souligne que des efforts ont été déployés afin d’aider le fonctionnaire, surtout de la part de M. Kostiw. L’EE, en tant qu’établissement, n’avait aucun intérêt à le voir échouer, comme en ont témoigné M. Bernier et Mmes Contini et Squires. L’EE possède un effectif diversifié, et le fonctionnaire s’est vu offrir un poste permanent à la suite de sa formation de base.

[146] Mme Contini était prête à le congédier le 24 novembre 2014, et on a décidé de lui accorder une autre chance et une plus ample formation. Cette décision en soi contredit l’idée que des facteurs discriminatoires entraient en jeu. La volonté de la direction de poursuivre la formation, de même que les efforts qu’ont déployés plusieurs personnes démontrent une intention de soutenir l’emploi du fonctionnaire à l’EE, et non de l’entraver.

[147] Il y a eu un rapport plutôt favorable, celui de l’agent Lorenson, sur lequel le fonctionnaire a insisté dans son témoignage et son argumentation. Je ne doute pas que le fonctionnaire ait assimilé certaines tâches pendant sa FCE. M. Kostiw a aussi souligné certains aspects positifs dans ses rapports. Cependant, les rapports défavorables l’emportaient largement sur ces commentaires favorables. La sécurité du personnel et des détenus demeurait une préoccupation pour le défendeur, ce qui était justifié par le nombre des préoccupations exprimées par divers agents.

[148] Le fonctionnaire a prétendu que la prolongation de sa FCE était en soi un signe de discrimination. J’estime entièrement improbable qu’un nombre de personnes aussi important ait conspiré en vue de le faire échouer. Une fois que la lettre d’offre a été émise et que la FCE a débuté, le défendeur et ses collègues lui ont offert une possibilité équitable de réussir. Encore là, il peut y avoir eu des commentaires inappropriés, mais ils seraient insuffisants pour conclure que des motifs discriminatoires ont joué un rôle dans la décision de la direction, après 11 semaines de formation au lieu de trois, de mettre fin au stage du fonctionnaire.

[149] En ce qui concerne l’affectation du fonctionnaire à la salle d’ordinateurs vers la fin de son emploi, je n’ai pas de difficulté à imaginer qu’il s’agissait d’une situation gênante, et M. Bernier lui‑même, bien qu’il ait affirmé que ce n’était pas la seule fois que cela avait été fait, a concédé que l’affaire aurait pu être mieux gérée. Cependant, je suis convaincue que les motifs discriminatoires invoqués ne sont pas entrés en jeu à cet égard. À ce stade, les superviseurs du fonctionnaire ne savaient pas quoi faire d’un employé qui ne pouvait pas occuper un poste armé. Il ne fait pas de doute qu’il aurait été préférable de l’affecter aux entrepôts, comme cela s’était produit en novembre, mais rien n’indiquait que la race ou l’origine ethnique du fonctionnaire avaient un lien avec ce traitement.

[150] Dans le même ordre d’idées, les taquineries alléguées au sujet de l’accent du fonctionnaire n’étaient pas liées à ses évaluations. Les lacunes relevées à l’égard de son utilisation de la radio visaient le ton de sa voix, son utilisation inappropriée des codes et le manque de clarté de ses communications. Ces remarques n’avaient rien à voir avec son accent, mais portaient plutôt sur sa gestion de la radio.

[151] Le fonctionnaire a contesté la déclaration figurant dans la lettre de licenciement, selon laquelle il aurait pointé une arme chargée en direction d’un couloir. Je prête foi à la déclaration de M. Kostiw indiquant que cela s’est produit, puisque j’ai conclu que son témoignage avait été objectif et juste. Je comprends l’argument du fonctionnaire, à savoir que si une arme est « chargée », cela ne signifie pas pour autant qu’elle va se décharger, puisque les munitions doivent être chambrées. Cependant, comme l’a déclaré M. Kostiw, le but de la vérification des armes est de constater leur état, et en tout temps, la sécurité est primordiale. Une arme est toujours pointée dans une direction sécuritaire pendant une vérification, précisément parce qu’elle fait l’objet d’une vérification et que son état de préparation est inconnu.

[152] Je conclus que le fonctionnaire n’a pas établi que des motifs de discrimination illicites ont constitué des facteurs déterminants pendant sa FCE ou à l’égard de son licenciement. Par conséquent, il ne s’est pas acquitté du fardeau consistant à démontrer que le renvoi en cours de stage avait été effectué de mauvaise foi ou constituait une invocation factice de la LEFP. Je conclus que le défendeur avait des motifs liés à l’emploi valables de licencier le fonctionnaire pendant son cours de stage. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour trancher le grief lié au renvoi en cours de stage.

[153] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[154] Le grief 566-02-11249, portant sur la discrimination, est rejeté.

[155] Le grief 566-02-11250, portant sur le licenciement pendant le cours de stage du fonctionnaire, est rejeté pour faute de compétence.

[156] Les caviardages suivants ont été effectués dans le dossier de la Commission :

• Dans le tableau illustrant l’équité en matière d’emploi : le nombre de diplômés du programme de formation de base embauchés par l’EE ayant divulgué leur appartenance.

 

• À la pièce E-7 : le nom d’un CX-2.

 

Le 26 septembre 2017.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.