Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a occupé le poste d’agent correctionnel pendant un an et demi – la police locale de sa ville d’origine l’a trouvé dans un bar qui était associé à des membres d’un gang de criminels notoire – le fonctionnaire s’estimant lésé a montré à la police son insigne d’employé et s’est identifié en tant qu’agent correctionnel – les policiers ont dit aux membres du gang de quitter le bar et ont dit au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il pouvait rester – toutefois, il est parti avec les membres du gang en taxi – selon le témoignage des collègues du fonctionnaire s’estimant lésé, ce dernier se vantait d’être ami avec des membres d’un gang de criminels de sa ville d’origine et disait qu’ils pouvaient lui fournir des drogues – lors d’une rencontre avec ses collègues, il a été aperçu avec de la poudre blanche dans une narine après être sorti d’une salle de bains – les explications qu’il a fournies n’étaient pas crédibles – il a soutenu qu’il n’avait rien fait de mal – il n’a pas fait preuve de beaucoup de considération pour la gravité de ses gestes et leur incidence sur l’employeur – la réputation de l’employeur et sa capacité à assurer la sécurité du personnel et des détenus ont été compromises par l’association continue du fonctionnaire s’estimant lésé avec des membres d’un gang de criminels – le lien de confiance avec l’employeur a été irrémédiablement rompu – la mesure disciplinaire imposée n’était pas excessive – le licenciement a été maintenu. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20171220
  • Dossier:  566-02-10917
  • Référence:  2017 CRTESPF 47

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

TEJINDER BRAICH

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Braich c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Jacob Axelrod et Patrick Nugent, avocats
Pour l'employeur:
Jenna-Dawn Shervill, avocate
Affaire entendue à Calgary (Alberta),
du 11 au 14 octobre 2016 et du 21 au 23 mars 2017.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Résumé

1        Au moment de son licenciement, le fonctionnaire s’estimant lésé, Tejinder Braich, (le « fonctionnaire »), travaillait comme agent correctionnel (« CX »; classifié CX-01) pour le Service correctionnel du Canada (l’« employeur » ou « SCC ») à l’Établissement de Bowden(l’« établissement »), situé au nord de Calgary (Alberta), depuis près d’un an et demi. L’employeur a appris que le service de police de sa ville natale d’Abbottsford, en Colombie-Britannique, l’avait trouvé en compagnie de membres affiliés à des gangs de criminels, dans un bar fréquenté par ces derniers.

2        Lorsque la police l’a abordé dans le bar et l’a prié de s’identifier, le fonctionnaire a montré son insigne du SCC. Lorsque la police a dit aux membres d’un gang assis avec le fonctionnaire qu’ils devaient quitter les lieux, le fonctionnaire a quitté avec eux, dans le même taxi, et ce, même si la police lui avait dit qu’il pouvait rester.

3        Environ quatre mois plus tard, à la suite d’un tournoi de golf récréatif à l’intention du personnel de l’établissement, le fonctionnaire a assisté à une réception mondaine de fin de soirée à l’appartement d’un collègue. À cette soirée, on a remarqué que le fonctionnaire avait un dépôt de poudre blanche dans une narine et l’employeur a conclu qu’il s’agissait de cocaïne.

4        L’employeur a jugé ce comportement inacceptable. À la suite d’une enquête, il a conclu que son lien de confiance avec le fonctionnaire avait été irrémédiablement rompu et, par conséquent, il a licencié le fonctionnaire.

5        Le 12 janvier 2015, le fonctionnaire a renvoyé deux griefs à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2). Le premier découlait de sa suspension et a été retiré à l’audience. Le présent grief découle de son licenciement puisque le fonctionnaire nie avoir consommé des stupéfiants illicites.

6        Le fonctionnaire a expliqué qu’il avait laissé paraître son insigne par inadvertance lorsque la police l’a prié de montrer une pièce d’identité. Il a ajouté qu’il n’avait eu qu’une très courte conversation avec deux amis d’enfance, qui lui avaient fait signe à son entrée dans le bar d’Abbotsford.

7        Dans l’analyse de ce grief, je dois déterminer si, dans les faits, le fonctionnaire a utilisé son insigne à mauvais escient, s’il était associé à des membres d’un gang de criminels connu et, en dernier lieu, s’il a consommé un stupéfiant illicite (cocaïne) lors d’une réception mondaine avec ses collègues. Ensuite, en appliquant ces conclusions de fait au droit applicable, je dois déterminer si le fonctionnaire méritait de faire l’objet de mesures disciplinaires sous une forme quelconque et, dans l’affirmative, si le licenciement était approprié vu l’ensemble des circonstances pertinentes.

8        Après avoir écouté attentivement tous les témoignages et avoir examiné l’ensemble de la preuve documentaire et de la jurisprudence que les parties m’ont présentée à l’audience, j’estime que le comportement du fonctionnaire justifiait la prise de mesures disciplinaires à son endroit, et que la décision de l’employeur de le licencier était raisonnable. Je rejette le grief.

9        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique par, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral(la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

II. Contexte

10        L’employeur a cité David Pelham à témoigner au sujet de sa décision de licencier le fonctionnaire. M. Pelham était directeur de l’établissement depuis six ans et il a plus de 35 années de service auprès du SCC. Il a déclaré qu’avant cette affaire, il n’avait eu ni interaction ni problème avec le fonctionnaire, à l’exception d’un bref mot de bienvenue adressé aux nouveaux employés qui commencent à travailler à l’établissement.

11        Au sujet de l’importance du rôle des CX à l’établissement, M. Pelham a déclaré que ce rôle était crucial, parce que les CX sont les intervenants de première ligne en ce qui concerne la sûreté et la sécurité de tout le personnel et des détenus. Il a déclaré qu’il [traduction] « s’appuyait fortement sur les CX ».

12        M. Pelham a déclaré qu’il avait été en congé de juin à septembre 2014. À son retour au travail, le fonctionnaire faisait déjà l’objet d’une suspension. M. Pelham a alors examiné les conclusions de l’enquête administrative sur les incidents signalés, que j’examinerai en détail ci-après dans la présente décision. Après avoir évalué les conclusions, il a décidé de licencier le fonctionnaire. Il a déclaré qu’il avait accepté les conclusions, qui mentionnaient plus précisément ce qui suit :

  • la consommation de cocaïne en dehors des heures de service;
  • la fréquentation continue de membres d’organisations criminelles;
  • l’utilisation de l’insigne du SCC à des fins non officielles.

13        M. Pelham a expliqué que ces trois conclusions constituaient une violation du « Code de discipline » du SCC, et que, plus précisément :

  • elles étaient susceptibles de nuire au SCC et démontraient un manque de respect pour la loi (alinéa 8c) du code);
  • elles étaient une violation de la confiance de l’employeur (alinéa 6g));
  • elles démontraient le défaut de se conformer à une directive législative et aux valeurs de la fonction publique (articles 3.1 et 3.4 du Code de valeurs et d’éthique du secteur public, qui prévoient que les actes doivent résister au plus rigoureux des examens du public et que les normes les plus élevées doivent être maintenues en matière de confiance de l’employeur et du public).

14        En résumé, M. Pelham a déclaré que le fonctionnaire était au courant de ce code et de l’exigence de s’y conformer. Selon lui, chacun de ces incidents a été établi selon la prépondérance des probabilités, ce qui l’a amené à croire qu’il était nécessaire de licencier le fonctionnaire, parce qu’il avait rompu le lien de confiance exigé de tous les CX.

III. Enjeux

A. Y avait-il des motifs valables de prendre des mesures disciplinaires à l’égard du fonctionnaire?

15        Pour décider s’il y avait un motif de licenciement juste et raisonnable, la Commission cite souvent Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL) (« Scott »). Selon Scott, pour qu’un licenciement soit considéré comme étant juste, l’employeur doit d’abord se demander si l’employé lui a fourni un motif juste et raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire quelconque. En deuxième lieu, l’employeur doit établir si la décision de licencier l’employé était une réaction excessive au vu des circonstances. En troisième lieu, si l’arbitre de grief estime que le licenciement était une mesure excessive, il ou elle doit décider quelles mesures justes et équitables doivent y être substituées (voir Scott, au paragraphe 13).

16        En ce qui concerne les deux premiers volets, Scott évalue la gravité de l’infraction, détermine si elle était préméditée ou spontanée, si l’employé avait de bons états de service de longue date, si une mesure disciplinaire progressiveavait été mise à l’essai et, en dernier lieu, si le licenciement était conforme aux politiques établies de l’employeur ou si l’employé a été traité différemment en raison d’une sanction très sévère (voir le paragraphe 14).

1. Le fonctionnaire a-t-il utilisé son insigne du SCC à mauvais escient?

17        L’employeur allègue que le fonctionnaire a utilisé son insigne du SCC à mauvais escient lorsque le gendarme Jamie Ramsden de la police d’Abbottsford l’a prié de s’identifier au Lou’s Bar and Grill (« Lou’s Bar »), et qu’il a montré son insigne du SCC. Plus précisément, la lettre de licenciement du fonctionnaire souligne qu’il a contrevenu au Code de discipline du SCC à trois reprises distinctes, notamment en utilisant un bien de l’État (son insigne du SCC) à des fins non officielles lorsqu’il l’a montré à un agent de police le soir du 12 février 2014.

18        En interrogatoire principal, lorsqu’il a décrit cet incident, le fonctionnaire a déclaré que l’agent de police [traduction] « avait pu voir son insigne » parce que, selon sa description des faits, il a ouvert son portefeuille pour trouver sa pièce d’identité. Il a expliqué qu’il avait un portefeuille du SCC, dont la pochette intérieure est transparente, afin qu’on puisse voir l’insigne du SCC au moment d’ouvrir le portefeuille. Le fonctionnaire a déclaré qu’il savait que son insigne était visible lorsqu’il a ouvert son portefeuille afin de récupérer sa pièce d’identité, tel qu’il a été demandé par la police. Le fonctionnaire a aussi déclaré qu’il avait dit à l’agent qu’il était CX parce qu’il savait que le gendarme Ramsden avait vu son insigne du SCC au moment d’ouvrir son portefeuille pour récupérer sa pièce d’identité.

19        Le fonctionnaire a expliqué qu’il portait son insigne sur lui en tout temps à cause du risque de vol. Il a déclaré qu’au cours de ses premières semaines de travail comme CX, son portefeuille contenant son insigne du SCC avait été volé dans sa voiture. Le fonctionnaire a ajouté que le vol et la perte de son insigne avaient été signalés à la police et au SCC. Il a dit que, par la suite, il portait toujours son insigne sur lui afin d’éviter un autre vol.

20        Le fonctionnaire a cité le représentant de son agent négociateur, Kelly Lorencz, à titre de témoin pour aborder le sujet des portefeuilles munis d’un espace servant à ranger et à montrer l’insigne, que les CX utilisent souvent. M. Lorencz a été présent à l’audience de tous les témoignages relatifs à la preuve de l’employeur. L’avocate de l’employeur s’est opposée au témoignage de M. Lorencz, au motif que sa preuve était entachée puisqu’il avait déjà entendu d’autres témoignages sur cette même question. J’ai autorisé M. Lorencz à témoigner, mais j’ai réservé ma décision quant au poids à lui accorder, le cas échéant.

21        M. Lorencz a déclaré utiliser personnellement le même portefeuille que le fonctionnaire et que, à son avis, la plupart des CX l’utilisent aussi. Ce portefeuille est muni d’un espace transparent réservé qui permet de ranger et de montrer l’insigne du CX. Pendant qu’il se trouvait à la barre des témoins, M. Lorencz a sorti son portefeuille de sa poche et a montré comment, lorsqu’il est ouvert, l’insigne placé dans la pochette intérieure est visible selon la façon dont on tient le portefeuille et l’angle de vision de l’observateur.

22        Après avoir pris en considération les déclarations de M. Lorencz, je ne leur accorde aucun poids au motif que celui-ci n’était pas personnellement au courant du portefeuille que le fonctionnaire avait utilisé le soir en question. J’estime par ailleurs que l’opinion de M. Lorencz concernant le type de portefeuille que les CX utilisent le plus souvent est purement anecdotique et, par conséquent, qu’elle n’est pas nécessairement fiable.

23        L’employeur a cité le gendarme Ramsden, qui possède six ans d’ancienneté au service de police d’Abbotsford, à témoigner au sujet de sa rencontre fortuite avec le fonctionnaire, à Abbotsford, le 12 février 2014. Le gendarme Ramsden a expliqué que la municipalité d’Abbotsford est aux prises avec des problèmes liés aux gangs de criminels. Il a ajouté que pour renforcer la sécurité publique, la police visite régulièrement les bars et les restaurants afin d’identifier les clients. La police exige que les membres de gangs connus quittent les établissements, afin d’éviter qu’un crime violent ne soit commis.

24        Le gendarme Ramsden a en outre expliqué qu’un bon nombre d’établissements participent volontairement au programme de [traduction] « surveillance des bars », dans le cadre duquel la police patrouille régulièrement les établissements participants. Il a ajouté que les agents de police s’estiment autorisés, en vertu d’un règlement municipal, à entrer dans un bar ou un restaurant qui ne participe pas volontairement au programme de surveillance des bars, à l’inspecter et à y expulser les membres de gangs connus.

25        Le gendarme Ramsden a déclaré que lors d’une patrouille régulière, le soir en question, il a visité le Lou’s Bar parce qu’il s’agissait d’un établissement fréquenté par des membres de gangs. Il a ajouté que ce bar avait refusé de se joindre au programme de surveillance des bars.

26        Le gendarme Ramsden a déclaré qu’en entrant, il a reconnu deux hommes, Peter (Preet) Mahil et Russell Mayhew, qu’il savait être des criminels reconnus appartenant à des gangs qui se livrent au trafic de stupéfiants. Il a ajouté qu’il avait personnellement arrêté M. Mayhew deux ans plus tôt, et que celui-ci avait une longue liste de condamnations pour trafic de stupéfiants ou autres infractions, y compris des infractions impliquant des armes et de la violence.

27        Le gendarme Ramsden a déclaré que M. Mayhew était jugé tellement dangereux que des mandats de perquisition avaient été émis pour sa résidence. Il a ajouté que l’équipe d’intervention d’urgence de la police avait été affectée à cette tâche parce que, selon leur estimation, M. Mayhew représentait un risque de violence envers la police.

28        Un exposé confidentiel du SCC sur les renseignements de sécurité, qui a été produit en preuve à l’audience, a mis en relief la notoriété des amis du fonctionnaire et dans quelle mesure ses gestionnaires en avaient été préoccupés. L’exposé mentionne que les trois membres d’un gang qui étaient assis aux côtés du fonctionnaire au Lou’s Bar ont des liens avec l’un des gangs de la région de Vancouver et de la vallée du bas Fraser qui étaient mêlés à l’époque à une guerre de gangs extrêmement violente, qui a donné lieu à plusieurs meurtres très publics ressemblants à des exécutions, dont certains ont été commis dans des bars, des restaurants et des cafés. L’exposé souligne aussi que l’un des gangs de criminels mêlés à ce conflit violent avait noué des liens avec des détenus en établissement fédéral.

29        Le gendarme Ramsden a affirmé qu’il voyait M. Mahil dans un bar toutes les semaines et qu’il lui demandait alors de quitter les lieux; il a expliqué que, par conséquent, en raison de leur familiarité, sa discussion avec M. Mahil s’était déroulée sur un ton plutôt amical. Le gendarme Ramsden a affirmé qu’il avait d’abord prié M. Mahil de présenter une pièce d’identité, puis M. Mayhew, et enfin un troisième homme, identifié sous le nom de Granger, qui était inscrit dans la base de données d’information de la police comme étant lié à un membre d’un gang.

30        En dernier lieu, le gendarme Ramsden s’est adressé au quatrième homme qui, à ses dires, était assis à la même table que les trois autres. Ce quatrième homme a été identifié comme étant le fonctionnaire. Le gendarme Ramsden a déclaré que lorsqu’il a demandé au fonctionnaire de montrer une pièce d’identité, celui-ci s’est levé de son siège à la table qu’il partageait avec les autres hommes, a mis la main dans sa poche et a sorti son portefeuille, après quoi, selon le gendarme, il lui a alors [traduction] « montré délibérément son insigne et dit qu’il était agent correctionnel ». Pendant son contre-interrogatoire, le gendarme Ramsden a confirmé que le fonctionnaire devait savoir qu’il avait vu son insigne parce que, selon ces mots, [traduction] « il lui avait montré ».

31        En contre-interrogatoire, le gendarme Ramsden a été prié d’expliquer la divergence entre son témoignage et les notes qu’il a prises le soir de l’incident, qui ont été produites à titre de pièces. La divergence concernait la question de savoir si sa visite du bar faisait partie du programme facultatif de surveillance des bars, ou si elle avait été effectuée en vertu d’un règlement administratif municipal. Selon ses notes, les criminels assis avec le fonctionnaire ont été expulsés du bar dans le cadre du programme de surveillance des bars, alors qu’il a affirmé dans son témoignage que, en réalité, les expulsions ont été effectuées en vertu d’un règlement administratif municipal.

32        À la suite des questions sur la divergence attestée dans ses notes, la question suivante a été posée au gendarme Ramsden : [traduction] « Alors, des erreurs se produisent? ». Il a répondu : « Oui ».

33        En fonction du témoignage du gendarme Ramsden, qui n’avait aucun doute que le fonctionnaire lui avait délibérément montré son insigne du SCC, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était raisonnable pour l’employeur de conclure que le fonctionnaire avait utilisé son insigne à des fins non officielles au bar, le soir en question.

34        La divergence concernant la patrouille du bar effectuée dans le cadre du programme de surveillance des bars ou en vertu du règlement administratif municipal, comme il est indiqué dans les notes du gendarme, n’a aucune valeur probante, puisque cette question ne soulève aucun doute sur la capacité de l’agent à faire des observations claires, ni au sujet de son souvenir de la façon dont le fonctionnaire avait exhibé son insigne.

2. Le fonctionnaire a-t-il maintenu ses liens avec des organisations criminelles pendant son emploi auprès du SCC?

35        La deuxième allégation invoquée par l’employeur relativement à la décision de licencier le fonctionnaire concernait le fait que ce dernier avait : [traduction] « […] maintenu ses liens avec des organisations criminelles pendant qu’il était à l’emploi du SCC […] ».

36        Plus précisément, l’employeur s’est appuyé sur les incidents entourant celui du 12 février 2014, à l’occasion duquel le fonctionnaire a été vu en compagnie de criminels associés à des gangs connus, ainsi que sur des observations que le fonctionnaire a faites à des collègues.

37        Le fonctionnaire a déclaré être né et avoir été élevé à Abbotsford et qu’il y avait fréquenté l’école. Il a ajouté qu’après l’obtention de son diplôme, il a exploité une entreprise de sécurité et d’enquêtes. Il a déclaré qu’il avait de la famille et de nombreux amis à Abbotsford. Selon ses mots, [traduction] « tout le monde se connaissait ». Il a ajouté que le soir du 12 février 2014, son frère et lui sont arrivés au Lou’s Bar pour manger et prendre un verre avec un groupe d’amis que son frère pensait y trouver.

38        Le fonctionnaire a décrit comment son frère et lui sont arrivés au bar et entrés par une porte de côté donnant sur le patio. Il a dit qu’il a alors entendu quelqu’un crier son nom. Il a regardé autour et a reconnu la personne qui l’appelait : il s’agissait de Russell Mayhew. Le fonctionnaire a dit qu’il a serré la main de M. Mayhew en lui disant qu’il le croyait en détention, ce à quoi M. Mayhew a rétorqué qu’il venait d’être libéré de Surrey, avant procès. Le fonctionnaire a ajouté avoir alors dit à M. Mayhew qu’il était CX. Tout de suite après, la police est arrivée à la table et la conversation a pris fin.

39        Le fonctionnaire a déclaré qu’il connaissait M. Mayhew parce qu’ils étaient allés à l’école ensemble et qu’ils avaient tous deux obtenu leur diplôme en 2001. De plus, le père de M. Mayhew possédait une entreprise du secteur des déchets, qui avait fait des affaires avec celle du père du fonctionnaire, à l’époque où celui-ci et M. Mayhew achevaient leurs études secondaires. Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait aucun lien avec M. Mayhew au moment de leur conversation au Lou’s Bar, en février 2014.

40        Le fonctionnaire a déclaré qu’après avoir échangé des salutations avec M. Mayhew, son frère a quitté le groupe et est allé aux toilettes. Le fonctionnaire a ajouté qu’il s’était alors entretenu pendant deux ou trois minutes avec M. Mahil, qui accompagnait M. Mayhew.

41        Le fonctionnaire a déclaré en contre-interrogatoire qu’il ne s’était pas assis pendant sa conversation avec les hommes en question, ce qui contredit directement la déclaration enregistrée qu’il a présentée au comité d’enquête, dans laquelle il a confirmé à trois reprises qu’il s’était effectivement assis à la table pour parler avec ses amis (pièce E-8, enregistrement audio, à 13 minutes et 22 secondes, à 14 minutes et, enfin, à 14 minutes et 10 secondes).

42        Le fonctionnaire a aussi présenté une version un peu différente des faits. Il a affirmé que M. Mayhew lui avait dit qu’il venait d’être remis en liberté et qu’il lui avait demandé s’il pouvait l’aider à rompre avec la criminalité. Le fonctionnaire a ajouté que, au moment où ils convenaientde se rencontrer pour bavarder un peu plus tard, la police est arrivée et a interrompu la conversation.

43        Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait eu une brève discussion avec l’agent de police, qu’il s’était identifié en tant que CX et qu’il avait expliqué à la police qu’il venait de voir par hasard des amis de longue date au bar. Le fonctionnaire a aussi expliqué que M. Mayhew lui avait demandé de l’aide pour mener une vie honnête et rompre avec la criminalité.

44        Le fonctionnaire a ensuite déclaré que la police avait dit à toutes les personnes du groupe qu’elles devaient quitter le bar et qu’elle les avait ensuite escortées à l’extérieur. Cette déclaration a entraîné une objection de l’avocate de l’employeur sur le fondement de la règle de preuve reconnue dans Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.), selon laquelle l’avocat doit communiquer une preuve, puis contre-interroger un témoin au sujet d’un témoignage qu’il s’attend à voir contredit ultérieurement par un témoin qu’il compte citer à l’audience.

45        Dans la présente instance, le gendarme Ramsden avait déjà déclaré très clairement à l’audience qu’il avait pris le fonctionnaire à part et que, entre autres choses, il lui avait dit que les membres d’un gang en compagnie desquels il était assis seraient expulsés du bar, mais qu’il n’était pas obligé de quitter les lieux.

46        Dans sa réplique à l’objection, l’avocat du fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait pas escompté entendre le fonctionnaire alléguer que la police l’avait prié de quitter les lieux, et qu’il n’aurait donc pas pu poser la question au gendarme Ramsden en contre-interrogatoire.

47        Compte tenu de l’importance de l’allégation du fonctionnaire selon laquelle la police lui a dit qu’il devait quitter les lieux sans délai, et comme cela contredit directement le témoignage du gendarme Ramsden, j’accorde très peu de poids au témoignage du fonctionnaire concernant la façon dont il a quitté le bar. Il aurait dû en informer son avocat, lequel aurait dû confronter le gendarme Ramsden à ce témoignage, afin que l’audience bénéficie de la mise à l’épreuve du témoignage contradictoire pendant le contre-interrogatoire du gendarme Ramsden.

48        Le fonctionnaire a ensuite déclaré qu’il avait quitté le bar sans son frère lorsque la police a escorté les membres du groupe et formé une ligne derrière eux afin de bloquer l’entrée. Il a ajouté qu’il avait ensuite hélé un taxi, qu’il s’était assis sur le siège avant et qu’il avait demandé au chauffeur de le conduire chez lui.

49        Le fonctionnaire a déclaré qu’il s’était ensuite aperçu que les autres gars avec qui il s’était trouvé au bar avaient bondi sur le siège arrière du taxi, afin de se joindre à lui. Il a déclaré qu’il ne savait pas exactement qui s’était assis à l’arrière, mais que les [traduction] « autres gars » étaient sortis devant un autre établissement, environ un kilomètre ou un kilomètre et demi plus loin, après quoi il a poursuivi son chemin seul dans le taxi jusque chez ses parents.

50        Lors de l’interrogatoire principal, à la question de savoir pourquoi il avait laissé les autres gars entrer dans son taxi, le fonctionnaire a répondu qu’ils avaient tous été escortés à l’extérieur du bar ensemble et qu’il n’avait aucun problème à partager un taxi avec eux.

51        En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a été confronté à la déclaration consignée qu’il avait faite au comité d’enquête de l’employeur, dans laquelle il a affirmé qu’il avait quitté le bar en compagnie de son frère, qu’ils avaient partagé un taxi, que ses amis étaient partis en même temps dans un deuxième taxi, et qu’ils avaient fait route séparément après avoir quitté le bar (pièce E-8, enregistrement audio à 16 minutes à partir du début). Lorsqu’il a été prié de confirmer qu’il avait fait cette déclaration au comité d’enquête, le fonctionnaire a répondu qu’il ne s’en souvenait pas. Lorsque l’avocate de l’employeur a présenté l’enregistrement audio à l’audience afin de faire écouter ce point, on a pu entendre le fonctionnaire dire au comité d’enquête que lui et son frère étaient partis dans un taxi, que les autres hommes étaient partis dans un autre taxi et que certains d’entre eux l’avaient peut-être accompagné.

52        On a aussi demandé au fonctionnaire, en contre-interrogatoire, s’il était d’accord qu’il n’avait pas induit le comité d’enquête en erreur, ce à quoi il a répondu par l’affirmative.

53        Comme il a été mentionné, le gendarme Ramsden a livré un témoignage sur son interaction avec le fonctionnaire au bar et a offert une version différente des faits sur des questions clés. Il a déclaré qu’il avait abordé le fonctionnaire à sa table et l’avait vu assis, et non debout, comme ce dernier l’a déclaré.

54        Lors du contre-interrogatoire sur ce point, le fonctionnaire a d’abord réitéré l’affirmation qu’il avait faite pendant son interrogatoire principal, à savoir qu’il ne s’était pas assis à la table lorsqu’il s’était entretenu avec ses amis. Cependant, à la suite des questions incessantes qui ont été posées sur ce point en contre-interrogatoire, le fonctionnaire a déclaré qu’il s’était peut-être assis après avoir été interrogé par la police.

55        En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a été renvoyé à la déclaration qu’il avait faite au comité d’enquête. À la question de savoir s’il s’était trouvé en compagnie de trois gars et de son frère, il a répondu qu’il n’était pas avec eux ce soir-là, et qu’ils étaient assis à une autre table. Lorsque les enquêteurs l’ont interrogé de nouveau au sujet des trois hommes, le fonctionnaire a répondu qu’il ne savait pas et qu’ils étaient à une autre table.

56        Le gendarme Ramsden a aussi déclaré qu’après avoir identifié tous les autres hommes présents à la table, après avoir vu la pièce d’identité du fonctionnaire et son insigne du SCC, il a demandé au fonctionnaire de se tenir à l’écart du groupe afin qu’ils pussent s’entretenir discrètement.

57        Le gendarme a déclaré qu’il avait dit au fonctionnaire qu’il était très déçu de trouver un agent du SCC assis en compagnie de membres d’un gang de criminels. Il a affirmé lui avoir dit ce qui suit: [traduction] « Je ne peux pas croire que tu es ici en compagnie de membres d’un gang » et « Il n’est pas convenable pour toi d’être ici ». Le gendarme Ramsden a ensuite affirmé qu’il avait vérifié les antécédents du fonctionnaire à l’aide de son répartiteur. Lorsqu’il a constaté que le fonctionnaire n’avait pas de casier judiciaire et ne semblait pas constituer une menace pour la sécurité publique, il l’a informé qu’il n’était pas obligé de quitter le bar, mais que les criminels assis en sa compagnie seraient priés de quitter les lieux.

58        Le gendarme a aussi déclaré que le fonctionnaire lui avait expliqué qu’il était ami avec M. Mayhew, et qu’il s’entretenait avec M. Mahil afin de [traduction] « le cerner ». Le fonctionnaire a aussi reconnu qu’il savait que M. Mahil avait des antécédents entachés. Le gendarme a ajouté que le fonctionnaire avait reconnu pendant leur brève conversation qu’il n’était pas approprié de se trouver en compagnie de ces hommes.

59        Le gendarme a déclaré qu’après avoir expulsé les trois autres hommes du bar, il les a vus partir avec le fonctionnaire et partager son taxi. Le gendarme a ajouté qu’il avait été préoccupé de voir un CX quitter un bar dans un taxi en compagnie de membres d’un gang connu et qu’il avait pris le soir même des notes à ce propos, qu’il avait communiquées à son superviseur.

60        Le gendarme Ramsden a déclaré en contre-interrogatoire que le fonctionnaire avait qualifié ce groupe d’hommes d’amis de longue date. Il a aussi réitéré son témoignage selon lequel il avait évoqué en présence du fonctionnaire que M. Mahil venait d’être remis en liberté.

61        Lorsqu’il a été confronté, en contre-interrogatoire, à la question de savoir si M. Granger était un ami du fonctionnaire, le gendarme Ramsden a affirmé fermement que ses notes indiquaient, et qu’il se souvenait, que le fonctionnaire avait déclaré être l’ami des trois hommes. Le gendarme a confirmé cet échange lorsqu’il a été questionné au sujet du départ du bar du fonctionnaire en compagnie des trois hommes dans un taxi. Le gendarme a répondu en répétant que, selon ses notes et son souvenir précis, le fonctionnaire avait quitté le bar en taxi avec les trois hommes.

62        Aucun autre renseignement ayant une valeur probante n’est ressorti du contre-interrogatoire du gendarme.

63        Lorsque le fonctionnaire a été interrogé, pendant son interrogatoire principal, à savoir pourquoi il avait quitté le bar sans son frère alors qu’il avait déclaré qu’il devait dîner et prendre un verre avec lui, le fonctionnaire a répondu que son frère l’avait vu s’entretenir avec l’agent de police dans le bar et qu’ils [traduction] « s’étaient fait un signe de la tête », après quoi son frère avait quitté les lieux. Le fonctionnaire a ajouté que son frère était rentré à la maison une quinzaine de minutes après lui.

64        Le fonctionnaire a déclaré qu’il ignorait que MM. Mayhew ou Mahil étaient des criminels reconnus, affiliés à un gang, lorsqu’il s’est entretenu avec eux au bar le soir en question. Cependant, le fonctionnaire avait déjà déclaré ce qui suit au CE : [traduction] « Ils savent qui je suis et je sais qui ils sont. Il est de notoriété publique à la télévision, dans les journaux et sur Internet qu’ils ont des démêlés avec le système » (voir pièce E-8, enregistrement audio à 22 minutes et 20 secondes du début). Le fonctionnaire a aussi déclaré qu’il connaissait les antécédents d’incarcération de M. Mahil et a affirmé qu’il avait entendu dire qu’il était un [traduction] « mauvais sujet ».

65        Le fonctionnaire a aussi confirmé en contre-interrogatoire qu’il avait déclaré dans son entrevue enregistrée avec le comité d’enquête qu’en réponse aux questions sur ses connaissances de MM. Mayhew et Mahil, il a répondu : « Je sais ce qu’on dit dans les nouvelles, je les lis régulièrement ».

66        À l’audience, des copies de médias imprimés ont été produites en preuve; entre autres, on y disait de M. Mayhew qu’il [traduction] « appartenait à un gang » et qu’il avait été arrêté pour la troisième fois en cinq mois (selon la version publiée par le Abbotsford News, le 13 décembre 2012). Un compte rendu indiquait qu’il [traduction] « appartenait à un gang » et mentionnait sa peine d’emprisonnement de 10 mois pour deux chefs de possession en vue d’en faire le trafic. Un autre compte rendu mentionne aussi qu’une petite quantité de cocaïne avait été saisie au moment de son arrestation en décembre (selon la version publiée par le Abbotsford News, le 18 avril 2013).

67        Le fonctionnaire a reconnu avoir été au courant des crimes et des gangs de criminels mentionnés dans ces nouvelles. Cependant, malgré le fait qu’il avait déclaré lire quotidiennement les nouvelles à la maison, il a maintenu qu’il ignorait que MM. Mayhew ou Mahil participaient activement à des gangs de criminels lorsqu’ils s’étaient rencontrés au bar à Abbotsford.

68        À l’appui de son argument selon lequel sa rencontre fortuite avec ses amis d’école, qui s’étaient joints depuis à un gang de criminels, était tout à fait innocente, le fonctionnaire a déclaré pendant son interrogatoire principal qu’au moment de commencer à travailler à l’établissement, il a divulgué que des membres de sa famille et certaines de ses connaissances étaient des criminels.

69        Le fonctionnaire a été prié de formuler des commentaires sur le rapport du comité d’enquête soulignant qu’il avait déjà divulgué que son père et son oncle étaient des criminels condamnés.

70        Le seul renseignement écrit qui a été produit en preuve à l’audience est une lettre de l’employeur au fonctionnaire, en date du 22 novembre 2012, qui portait la signature de l’agent de recrutement régional du SCC. La lettre confirmait que le fonctionnaire avait communiqué des renseignements à cet agent au cours d’une conversation. La lettre est rédigée comme suit :

[Traduction]

[…]

Une discussion a eu lieu le 2012-11-22, avec le candidat du processus de dotation en personnel, Tejinder Braich, et l’agent de recrutement […] CX3 afin d’examiner les Règles de conduite professionnelleénoncées dans la Déclaration du Service correctionnel du Canada.

Tejinder Braich a lu […] la déclaration et signé la formule après en avoir lu et compris la teneur.

Pendant la conversation, M. Braich s’est montré très coopératif et franc au sujet des antécédents criminels de son père […] et de son oncle […]. Ni l’un ni l’autre n’est incarcéré en ce moment, mais ils ont déjà purgé une peine sous responsabilité fédérale à […] Ils ont tous deux purgé leur peine jusqu’à l’expiration de leur mandat.

Le candidat a déclaré que la situation de son père et de son oncle n’aurait aucune incidence sur son rendement en tant qu’agent correctionnel au Service correctionnel du Canada, et qu’il ne craignait pas pour sa sécurité personnelle dans l’un ou l’autre des établissements fédéraux, advenant qu’il réussisse la formation et se voie offrir un emploi à temps plein.

Le candidat a indiqué que s’il réussissait à obtenir un emploi au SCC, il serait très franc, transparent, et informerait la direction de sa situation.

[…]

71        L’avocat du fonctionnaire lui a posé une question suggestive concernant cette conversation qui a donné lieu à la note de service sur la divulgation de renseignements que je viens de mentionner. Le fonctionnaire a été interrogé à savoir si [traduction] « d’autres relations avaient fait l’objet d’une divulgation de renseignements », ce à quoi il a répondu [traduction] « oui ».

72        Le fonctionnaire a aussi déclaré que le premier jour de son emploi à l’établissement, il a rencontré l’agent des enquêtes spéciales (AES), M. Holsworth. Il a ajouté qu’il avait remis à l’AES Holsworth une lettre dans laquelle il indiquait qu’il avait des amis de l’école secondaire qui avaient des démêlés avec le système de justice pénale. Le fonctionnaire a déclaré que l’AES lui avait dit que cela ne posait pas problème.

73        Le fonctionnaire a aussi déclaré qu’il était allé à deux autres reprises au bureau de l’AES, à l’établissement, afin de fournir d’autres renseignements volontairement. Il a affirmé qu’il avait révélé avoir vu un détenu qui était lié à son père, et que le détenu en question l’avait reconnu. Le fonctionnaire a aussi dit qu’il avait révélé avoir vu un autre détenu qui l’avait reconnu par son nom, parce qu’il connaissait son cousin, qui, selon son témoignage, était CX dans la région du Pacifique du SCC.

74        Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait demandé à l’AES [traduction] « s’il lui fallait des documents » concernant les renseignements fournis, en précisant que l’AES s’était montré [traduction] « nonchalant » à l’égard de toute cette affaire de divulgation de renseignements. Le fonctionnaire a ajouté qu’un collègue, qu’il a nommé, avait été témoin de cette divulgation volontaire de renseignements.

75        En réponse à une autre question posée pendant son interrogatoire principal sur ce même sujet, le fonctionnaire a déclaré qu’il avait fourni volontairement d’autres renseignements à l’AES au sujet de ses anciennes fréquentations, car il avait été un ami d’école et un coéquipier sportif des frères Bacon.

76        À l’audience, on a appris que les frères Bacon étaient devenus les chefs d’un gang de criminels notoirement violent dans la région métropolitaine de Vancouver et la vallée du bas Fraser. Le fonctionnaire a ajouté qu’il n’avait aucun lien avec les frères Bacon au cours de la période où il travaillait comme CX ou au moment de l’audience.

77        L’audience a été ajournée à la fin de l’interrogatoire principal du fonctionnaire et a repris après un intervalle d’environ six mois. Elle a redémarré avec le contre-interrogatoire du fonctionnaire, au cours duquel la question de sa divulgation volontaire de renseignements a été approfondie.

78        Le fonctionnaire a confirmé les questions mentionnées précédemment dans la lettre de divulgation du 22 novembre 2012, puis a confirmé qu’il avait voulu être aussi franc que possible envers son employeur à cet égard.

79        Le fonctionnaire a aussi confirmé qu’il s’était entretenu avec l’AES Holsworth afin de fournir des renseignements au sujet de ses amis d’école, les frères Bacon, et que la municipalité d’Abbottsford éprouvait un sérieux problème de gangs. Il a ensuite été interrogé à savoir s’il avait aussi révélé à l’AES qu’il connaissait M. Mayhew, ce dont il a convenu. Par la suite, il a été interrogé à savoir s’il avait fourni des renseignements sur d’autres personnes à l’AES, ce à quoi il a répondu oui. À la question de savoir s’il avait révélé à l’AES qu’il connaissait M. Mahil, il a répondu que non, mais a ajouté qu’il avait dit à l’AES qu’il pouvait y avoir une ancienne photo de lui en compagnie de M. Mahil dans Facebook.

80        En contre-interrogatoire, on a demandé au fonctionnaire de confirmer s’il avait déclaré antérieurement à l’audience qu’il avait fourni à l’AES des renseignements sur M. Mayhew ou M. Mahil. Le fonctionnaire a alors déclaré qu’il avait fourni des renseignements sur MM. Mayhew et Mahil à l’AES Holsworth, et qu’il avait peut-être simplement oublié de le mentionner pendant son interrogatoire principal quelques mois plus tôt.

81        Lorsque l’avocate de l’employeur a avisé le fonctionnaire qu’elle citerait un témoin et qu’elle s’attendait à ce que ce dernier dise que le fonctionnaire n’avait pas révélé au SCC qu’il connaissait les frères Bacon, le fonctionnaire a rétorqué qu’il n’avait aucun commentaire à ce sujet.

82        En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a aussi été renvoyé au fait qu’il n’avait pas dit au comité d’enquête qu’il connaissait les frères Bacon, ni prétendu avoir révélé à l’AES qu’il les connaissait. Il a confirmé qu’il n’avait probablement pas communiqué cette information au comité d’enquête.

83        Après avoir entendu l’interrogatoire principal du fonctionnaire concernant ses nombreuses communications à l’AES, l’employeur a cité l’AES Holsworth, afin d’obtenir un témoignage contraire à cet égard. M. Holsworth avait 22 ans de service au SCC, dont huit en qualité d’AES à l’établissement. Il a déclaré que l’AES recueille des renseignements au sujet de l’établissement et de toute menace pour la sûreté et la sécurité, enquête sur les incidents et tient des dossiers sur chacun des détenus.

84        Lorsque M. Holsworth a été questionné au sujet de son interaction avec le fonctionnaire, il a déclaré qu’il l’avait rencontré au début de son emploi, comme il le fait pour chacun des nouveaux employés. Il a expliqué au fonctionnaire son rôle d’AES et les attentes de la direction à l’égard de tous les nouveaux employés de l’établissement pour ce qui est de leur rôle consistant à assurer la sûreté et la sécurité. M. Holsworth a déclaré qu’après les discussions d’introduction, le fonctionnaire était resté plus longtemps et lui avait communiqué une lettre révélant que son père et son oncle avaient été incarcérés dans un établissement fédéral.

85        M. Holsworth a été interrogé sur la question de savoir si le fonctionnaire avait fourni des renseignements sur les frères Bacon. Il a répondu qu’il n’en avait aucun souvenir. À la question de savoir s’il se souviendrait probablement d’une conversation mettant en cause un CX qui aurait révélé avoir eu des contacts avec les frères Bacon, il a répondu qu’il se rappellerait très certainement de pareils renseignements, puisqu’il s’agissait d’une organisation criminelle notoire. M. Holsworth a ajouté que si le fonctionnaire lui avait divulgué verbalement de pareils renseignements concernant des liens avec des criminels, il l’aurait prié de présenter une déclaration écrite confirmant ces renseignements, afin de le protéger ultérieurement, au cas où des préoccupations étaient soulevées.

86        Enfin, en réponse à la question de savoir ce qu’il avait dans son dossier concernant le fonctionnaire, M. Holsworth a déclaré qu’il n’avait au dossier que la lettre initiale divulguant des renseignements au sujet du père et de l’oncle du fonctionnaire. En contre-interrogatoire, M. Holsworth a déclaré que toute relation pouvant s’avérer problématique qui pourrait faire l’objet de divulgation est toujours étayée par écrit. M. Holsworth a de nouveau nié les allégations selon lesquelles le fonctionnaire lui avait fourni verbalement des renseignements sur ses relations avec des criminels connus, puis il a réitéré sa déclaration indiquant qu’il se souviendrait de quelque chose d’aussi important que les divulgations d’un CX au sujet de ses relations avec des criminels notoires comme les frères Bacon.

87        L’avocat du fonctionnaire a aussi questionné M. Holsworth au sujet d’une ligne apparaissant à la page 10 du rapport d’enquête, en date du 15 septembre 2014, où il est indiqué que le fonctionnaire avait déclaré qu’il avait divulgué au service de l’AES ses liens avec le crime organisé. Il est également indiqué dans le rapport que le comité d’enquête avait confirmé auprès du service de l’AES que le fonctionnaire n’avait pas présenté une divulgation officielle auprès de ce bureau, mais qu’il l’avait fait verbalement. Cependant, les noms de ses fréquentations ou les précisions à leur sujet n’ont pas été consignés. M. Holsworth a été interrogé à savoir si le rapport pouvait être erroné, étant donné ses déclarations antérieures voulant que tous les renseignements fournis soient consignés. Il a répondu en déclarant que tous les AES demandent toujours des renseignements écrits, et non verbaux.

88        En terminant sur ce point, l’avocat du fonctionnaire a laissé entendre à M. Holsworth que le fonctionnaire avait divulgué verbalement à un autre AES des renseignements qui n’avaient pas été consignés. M. Holsworth a répliqué que cela n’était pas possible, puisque la pratique normale pour tous les AES consistait à mettre par écrit toute divulgation provenant d’un membre du personnel.

89        En résumé, pour ce qui est de la question de la divulgation, je suis convaincu par les mots utilisés dans le rapport d’enquête, qui laissent entendre que le fonctionnaire a effectivement divulgué verbalement à un AES des renseignements indéterminés. J’admets qu’ils n’ont pas été présentés à M. Holsworth, mais il est possible qu’un autre AES ait reçu des renseignements quelconques. Bien que la preuve dont je dispose ne corrobore pas le témoignage du fonctionnaire concernant ce qu’il a divulgué exactement, j’estime que cette question n’a guère de valeur concluante dans l’analyse finale.

90        Si le fonctionnaire a réellement divulgué verbalement des renseignements sur ses relations avec ses amis d’école, MM. Mahil et Mayhew, comme il le prétend, cela démontrerait qu’il était bien au courant qu’ils étaient des criminels et qu’il aurait dû savoir qu’il valait mieux ne pas s’asseoir avec eux ou visiter un débit de boissons fréquenté par un gang de criminels connu. Il aurait dû savoir aussi qu’il valait mieux ne pas partager un taxi avec eux après avoir décidé de quitter le bar en leur compagnie.

91        Ce qui est beaucoup plus important à mes yeux pour trancher la présente affaire, c’est ce qui s’est passé pendant la soirée en question au bar d’Abbotsford. Après la présentation de la preuve concernant la rencontre du fonctionnaire et de ses amis en ces lieux, les parties ont présenté leur version respective de la façon dont je devrais percevoir cette preuve.

92        Le fonctionnaire a fait valoir que la rencontre au bar était attribuable au hasard et sans conséquence, puisqu’il s’agissait de simples camarades d’école et d’amis d’enfance et que, avant cette soirée, il ne les avait pas vus depuis cinq ans; il a ajouté que rien de fâcheux ne s’était produit. De plus, le fonctionnaire a fait valoir plutôt hardiment que, en réalité, il s’acquittait de ses fonctions d’agent de la paix et de CX en acceptant d’aider M. Mayhew qui, selon son témoignage, l’avait prié de l’aider à rompre avec sa vie de criminel avouée.

93        Cependant, l’employeur a fait valoir que la description de la soirée par le fonctionnaire était incohérente et laissait penser que celui-ci était bien au courant que les connaissances auxquelles il s’était joint en s’asseyant à leur table étaient des criminels bien connus avec des liens étroits avec le crime organisé. L’employeur a aussi souligné le témoignage contredisant la déclaration du fonctionnaire selon laquelle il avait quitté le bar en compagnie des criminels, dans un taxi partagé, et ce, bien que la police lui ait dit qu’il n’était pas obligé de quitter le bar.

94        À un niveau presque théorique, l’argument du fonctionnaire qu’il était sorti dîner en compagnie de son frère et qu’il avait croisé par hasard des amis d’école au bar et les avait salués est un exposé de faits à la fois plausible et disculpatoire.

95        Cependant, si j’examine en détail la version de la soirée présentée par le fonctionnaire, son exposé de faits devient rapidement improbable. Si j’apprécie les détails de la preuve dont je suis saisie, y compris les versions plutôt floues du témoignage du fonctionnaire, et que je l’oppose au témoignage du gendarme Ramsden, que je juge hautement crédible, la version du fonctionnaire s’effondre.

96        Dans Faryna v. Chorny, [1951] B.C.J. No. 152 (QL), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a fourni une orientation permettant d’établir des faits contestés et d’apprécier la crédibilité des témoins. La Cour a statué que la crédibilité d’un témoin intéressé devait être évaluée en examinant, de manière raisonnable, la cohérence de sa version des faits à la lumière des probabilités se rapportant aux conditions qui existent à l’heure actuelle. Pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu des conditions et de l’endroit.

97        À la première occasion qui lui a été offerte d’expliquer son comportement, le fonctionnaire a dit au comité d’enquête de son employeur qu’il ne se souvenait pas en détail de la soirée en question au Lou’s Bar. Ultérieurement, il a dit au comité d’enquête que son frère et lui avaient quitté le bar ensemble et qu’ils avaient partagé un taxi.

98        Environ deux ans plus tard, et après avoir écouté le témoignage connexe du gendarme Ramsden, le fonctionnaire a déclaré devant moi, pendant son interrogatoire principal, qu’il avait quitté le bar dans un taxi en compagnie des trois criminels.

99        Je souligne aussi le témoignage du fonctionnaire selon lequel son frère et lui avaient décidé d’aller au Lou’s Bar ce soir-là afin de prendre un verre et manger et, éventuellement, de rencontrer des amis qui auraient pu s’y trouver, selon son frère.

100        Le fonctionnaire a ensuite déclaré que pendant qu’il s’entretenait avec ses amis et que son frère était parti aux toilettes, la police est arrivée. Il a ajouté que pendant sa discussion avec la police, son frère s’est approché et s’est arrêté, pour ensuite échanger un regard avec lui et hocher la tête, supposément pour lui signaler quelque chose implicitement, puis quitter le bar seul.

101        Selon son propre témoignage, le fonctionnaire a quitté le bar après quelques minutes seulement, a partagé un taxi avec les trois criminels, qui sont ensuite descendus à un autre bar, puis est arrivé chez ses parents peu de temps après. Le fonctionnaire a aussi déclaré que son frère était arrivé à la maison quinze minutes plus tard.

102        Ceci étant, en moins d’une heure, le fonctionnaire et son frère sont sortis prendre un verre et manger, n’ont fait ni l’un ni l’autre, puis sont tous deux rentrés à la maison, sans raison évidente selon la version du fonctionnaire.

103        Bien qu’aucun des avocats n’ait questionné les témoins au sujet du reste de la soirée des frères, je trouve très étrange que le fonctionnaire ait maintenu qu’il n’avait rien fait de mal pendant sa brève rencontre fortuite avec ses anciens amis. Pourtant, son frère et lui ont tous deux agi de façon à démentir l’innocence de la rencontre au bar.

104        J’estime que le départ précipité du fonctionnaire et de son frère ainsi que leur retour chez leurs parents sont plutôt suspects et ressemblent plus à ce que peut faire un tandem qui n’a pas la conscience tranquille.

105        Je souligne aussi le choix d’établissement plutôt curieux que les frères ont fait pour aller prendre un verre et dîner en ville. Je ne m’attendrais pas à ce qu’un bar qui est le lieu de prédilection d’un gang de criminels notoire soit le premier choix d’un agent de paix du SCC pour dîner avec son frère.

106        Il y a aussi le fait que le fonctionnaire a vu au bar certains de ses amis d’école, qui sont des criminels endurcis affiliés à des gangs de criminels, et qu’il a ensuite décidé de quitter les lieux en leur compagnie dans un taxi partagé. Somme toute, il s’agissait d’une très curieuse coïncidence, s’il faut en croire la version des faits du fonctionnaire.

107        J’accorde la préférence au témoignage du gendarme Ramsden en ce qui concerne les déclarations contradictoires que j’ai entendues de sa part et de la part du fonctionnaire au sujet de la question de savoir si le fonctionnaire a été expulsé du bar. Il est insensé que la police ait pu expulser le fonctionnaire. L’unique objectif que poursuit la police en visitant des établissements connus pour être fréquentés par des membres de gangs de criminels est de veiller à la sécurité du public.

108        Le gendarme Ramsden a déclaré qu’il avait demandé à son répartiteur de vérifier le nom du fonctionnaire dans leur base de données. Comme le répartiteur n’a découvert ni problèmes antérieurs ni casier judiciaire, il n’a eu aucune raison d’expulser le fonctionnaire du bar. Cette preuve est logique, et j’accepte le témoignage du gendarme à ce sujet. Je considère comme avéré que le fonctionnaire a librement décidé de quitter le bar en compagnie des trois membres de gangs.

109        Je souligne aussi, à ce stade, le témoignage du gendarme selon lequel il a expliqué très clairement au fonctionnaire qu’il était assis avec des membres d’un gang de criminels, ce qui était très problématique aux yeux du gendarme, étant donné que le fonctionnaire était un agent de la paix.

110        Aucun agent de la paix raisonnable, conscient de ses obligations et fonctions professionnelles, qui rencontre par hasard des amis d’école qui, à sa connaissance, sont des criminels, ne choisirait de quitter un bar et de partager un taxi avec eux immédiatement après qu’un agent de police lui eut souligné l’inconvenance de la situation. Le gendarme a clairement dit au fonctionnaire qu’il était assis en compagnie de membres d’un gang de criminels.

111        J’aientendu un grand nombre de témoignages et reçu des pièces sur la question de savoir dans quelle mesure le fonctionnaire était au courant des activités criminelles de ces amis, notamment s’il savait, lors de la rencontre au bar, que ces hommes participaient activement à des gangs de criminels. Le fonctionnaire a nié à plusieurs reprises, de façon générale, avoir été au courant de leur affiliation à des gangs. L’employeur l’a contre-interrogé à ce sujet, et il a reconnu qu’il était au courant qu’ils étaient des criminels et qu’il avait suivi étroitement leurs démêlés avec la justice dans les médias. On a rappelé au fonctionnaire qu’en réponse à une question sur sa connaissance des frères Bacon et de M. Mayhew, il avait dit au comité d’enquête qu’il lisait régulièrement les nouvelles et en connaissait le contenu.

112        La preuve présentée par Janet Craigen et Neeley Lawrence, des collègues du fonctionnaire à l’établissement, est également pertinente pour déterminer ce que savait le fonctionnaire au sujet des criminels avec lesquels il était assis au bar. Mme Craigen a livré un témoignage concernant sa conversation avec le fonctionnaire lors d’une fête organisée par Mme Lawrence, qui sera examiné de manière plus approfondie ultérieurement dans la présente décision. Mme Craigen a déclaré qu’au cours de leur visite ce soir-là, le fonctionnaire avait parlé de [traduction] « ses amis et ses potes » et lui avait dit qu’ils étaient de [traduction] « mauvais sujets ». Elle a ajouté en contre-interrogatoire qu’au moment de faire ces déclarations au sujet de ses amis d’Abbotsford, le fonctionnaire s’était exprimé au présent. Elle a aussi déclaré qu’en d’autres occasions, au travail, elle l’avait entendu évoquer qu’il avait des amis qui appartenaient à des gangs de criminels.

113        Mme Lawrence a mentionné une conversation qu’elle avait eue avec le fonctionnaire ce soir-là. Elle a déclaré qu’il lui avait dit qu’il était [traduction] « dépendant » et « connaissait des narcotrafiquants ». Mme Lawrence a déclaré ce qui suit : [traduction] « il aurait pu obtenir tout ce que j’aurais voulu ».

114        L’avocat du fonctionnaire a laissé entendre que ce dernier était en état d’ébriété très avancé lors de la fête et a soutenu que ces déclarations n’étaient rien de plus que les [traduction] « propos confus d’un homme ivre ». Il a aussi souligné que Mme Lawrence avait initialement fait des déclarations trompeuses à son employeur, lorsqu’elle a signalé la consommation alléguée de cocaïne du fonctionnaire à son appartement ce même soir. Mme Lawrence a tenté de dissimuler la façon dont elle avait pris connaissance de la consommation alléguée de cocaïne, parce qu’elle souhaitait protéger l’identité de son amie et collègue, Mme Craigen. Elle craignait qu’il n’y eût des représailles contre Mme Craigen au travail pour avoir fourni à la direction des renseignements concernant une collègue.

115        L’avocat du fonctionnaire a aussi établi que Mme Lawrence avait fourni d’autres renseignements trompeurs à l’employeur. En plus d’avoir allégué qu’elle avait été témoin des incidents dont Mme Craigen lui avait fait part, Mme Lawrence a aussi induit l’employeur en erreur en disant que sa colocataire avait vu le fonctionnaire ingérer de la cocaïne le soir en question.

116        L’avocat du fonctionnaire a soutenu qu’en raison de ces déclarations trompeuses antérieures, je ne devrais accorder aucun poids au témoignage de Mme Lawrence.

117        Compte tenu de l’observation du fonctionnaire sur la crédibilité du témoin à l’égard de cette question, je suis convaincu de ne devoir accepter que le témoignage de Mme Craigen au sujet de ce que le fonctionnaire lui a dit lors de la fête. Comme nous le verrons plus en détail ultérieurement, Mme Craigen a livré un témoignage tout à fait crédible et au-dessus de tout soupçon sur l’ensemble des faits en question.

118        Je rejette l’argument du fonctionnaire selon lequel ses énoncés concernant ses amis n’étaient que les propos confus d’un homme ivre. Je souligne que Mme Craigen a déclaré que lors de la réception mondaine, après avoir entendu le fonctionnaire se vanter que les amis qu’il avait dans son patelin étaient de [traduction] « mauvais sujets », elle avait décidé qu’elle ne voulait pas en entendre davantage à ce sujet de la part du fonctionnaire, étant donné qu’elle l’avait aussi entendu évoquer au travail que ses amis appartenaient à des gangs. Bien que je ne dispose d’aucun témoignage à ce sujet, je suis sûr que le fonctionnaire n’était pas en état d’ébriété au travail lorsqu’il a parlé de ses amis qui appartenaient à des gangs.

119        J’estime aussi qu’il n’est pas seulement attribuable au hasard que quelques mois après l’incident survenu au bar d’Abbotsford, et après avoir été vu avec de la poudre blanche dans une narine, le fonctionnaire ait évoqué le fait qu’il avait [traduction] « des amis et des potes » qui étaient de [traduction] « mauvais sujets ». Je me pencherai de manière plus approfondie sur la question de la poudre blanche plus loin dans la présente décision.

120        J’estime que la discussion sur ce que le fonctionnaire savait exactement au sujet des activités criminelles de ses amis et sur le moment où il en a pris connaissance, n’est guère concluante. Le fonctionnaire a admis dans son témoignage qu’il savait que MM. Mahil et Mayhew étaient des criminels actifs et des récidivistes. Comme je l’ai déjà souligné, le fonctionnaire manque de crédibilité lorsqu’il maintient qu’il ignorait tout de l’affiliation de ses amis à des gangs. Il ressort clairement de la preuve que MM. Mahil et Mayhew étaient tous deux des membres affiliés actifs de gangs de criminels et que le fonctionnaire en avait été avisé par le gendarme Ramsden, mais qu’il avait quand même décidé de quitter le bar en taxi avec eux.

121        L’exposé de faits disculpatoire du fonctionnaire mettait aussi en cause l’un des criminels avec lesquels il s’était entretenu au bar, qui lui avait demandé de l’aide après avoir appris qu’il était CX. Le fonctionnaire a déclaré que son ami lui avait demandé de l’aide afin de rompre avec la criminalité. Il a ajouté qu’il avait accepté de l’aider et qu’il lui avait promis de communiquer avec lui au moment où la police est arrivée et qu’elle est intervenue dans la conversation.

122        Compte tenu des faiblesses concernant la crédibilité du fonctionnaire, sa version concernant l’aide offerte à son ami aurait été sensiblement plus crédible s’il avait aussi produit la preuve d’un suivi à la suite de la conversation, d’abord en divulguant par écrit ses intentions d’aider un membre d’un gang à l’AES de l’établissement et, ensuite, en démontrant qu’il avait effectivement cherché à aiguiller son ami criminel vers des professionnels dûment formés, comme ceux de la John Howard Society, qui aident les gens en pareille situation.

123        Un CX a des fonctions à l’égard desquelles il prête serment, de même qu’un code de conduite, qui l’empêchent de décider de prendre un verre ou de dîner dans un établissement qui est le lieu de rencontre connu d’un gang de criminels. Un CX ne doit pas non plus décider de s’asseoir à une table avec des criminels dans un pareil bar. De plus, un CX ne doit certainement pas décider de quitter un bar en compagnie de pareils criminels et de partager un taxi avec eux après s’être fait dire qu’ils appartiennent à des gangs de criminels et que le fait d’être un employé du SCC et un agent de la paix et de se trouver en leur compagnie est très problématique.

124        Il est répréhensible pour un CX de poser l’un de ces gestes mal avisés. Somme toute, je conclus que le fonctionnaire fréquentait activement des membres de gangs de criminels.

125        Compte tenu de ces conclusions de fait et de la crédibilité du témoin, je conclus qu’il était raisonnable pour l’employeur de décider que le fonctionnaire poursuivait ses associations avec des organisations criminelles alors qu’il était à son emploi.

3. Le fonctionnaire a-t-il consommé un stupéfiant illicite (cocaïne) en dehors de ses heures de service alors qu’il était au service du SCC?

126        La troisième mésaventure du fonctionnaire que l’employeur a invoquée dans sa décision de le licencier est sa consommation de cocaïne en dehors de ses heures de service.

127        Plus précisément, l’employeur s’est appuyé sur les faits entourant la soirée du 5 juin 2014. Le fonctionnaire a déclaré qu’il s’agissait d’une journée bien remplie, qui avait commencé le matin et s’était terminée par une soirée où il avait consommé [traduction] « de nombreuses » boissons alcoolisées à l’occasion d’une activité de golf à l’intention du personnel de l’établissement, après quoi il était allé dans un restaurant, dans un bar, puis dans un club d’effeuilleuses. Enfin, il s’est rendu à l’appartement de Mme Lawrence, où des collègues s’étaient réunis.

128        Le fonctionnaire a déclaré qu’il était très intoxiqué, [traduction] « beaucoup plus qu’à l’habitude », lorsqu’il est arrivé à l’appartement de Mme Lawrence. Celle-ci et sa colocataire étaient présentes, ainsi que quatre autres membres du personnel CX. Au dire de tous, la rencontre a été tranquille et sans histoire, les collègues s’étant réunis, en petits groupes, à la cuisine, dans le salon et sur le petit balcon.

129        Pendant son interrogatoire principal, le fonctionnaire a déclaré qu’il s’était entretenu avec Mmes Lawrence et Craigen. Il a été questionné au sujet de sa relation avec sa collègue et hôte de la réception en soirée, Mme Lawrence. Il a commencé par expliquer que certains collègues lui avaient dit que Mme Lawrence ne l’aimait pas et qu’elle pensait qu’il était arrogant.

130        L’avocate de l’employeur s’est immédiatement opposée à ce témoignage avant que le fonctionnaire pût en dire davantage, encore une fois sur le fondement de la règle de la preuve énoncée dans Browne v. Dunn, parce que cette question n’avait pas été posée à Mme Lawrence en contre-interrogatoire, afin de lui permettre de répliquer à cette allégation selon laquelle elle nourrissait une animosité personnelle envers le fonctionnaire. Cette question aurait dû être posée à Mme Lawrence en contre-interrogatoire, afin qu’elle ait l’occasion d’y répliquer. Comme je n’ai pas eu l’avantage d’entendre son témoignage sur cette question, je rejette le témoignage du fonctionnaire alléguant que Mme Lawrence ne l’aimait pas.

131        Le fonctionnaire a déclaré avoir parlé avec Mme Lawrence et, plus tard, Mme Craigen, alors qu’ils étaient dans la cuisine. Il a affirmé qu’il leur avait dit qu’il voulait être muté à Abbotsford, mais qu’il devait attendre deux ans avant de présenter une demande. Il a déclaré qu’il avait informé Mme Craigen de sa crainte que des membres de gangs de criminels, y compris les frères Bacon, soient incarcérés à  l’établissement. Il a déclaré qu’il avait demandé conseil à Mme Craigen pour savoir comment il devait s’adresser à ces détenus s’ils arrivaient à l’établissement. Le fonctionnaire a nié avoir parlé de stupéfiants illicites à Mme Craigen et avoir dit à Mme Lawrence qu’il pouvait lui acheter de la drogue et qu’il fréquentait activement des membres du crime organisé.

132        Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait passé que quarante-cinq minutes à la fête, que Mme Craigen était partie peu de temps après la fin de leur conversation, et qu’il était rentré chez lui cinq minutes après le départ de celle-ci.

133        Je souligne, à ce stade, que les souvenirs du fonctionnaire à l’égard de la soirée se sont grandement clarifiés au cours de la période de plus de deux ans qui s’est écoulée entre le moment où il a été questionné par le comité d’enquête et son témoignage devant moi. Le rapport de l’enquête disciplinaire (aux pages 8 et 9) indique que le fonctionnaire avait dit qu’après la journée de golf et le dîner, il était allé à un club d’effeuilleuses, et qu’à partir de ce moment-là tout était devenu flou.

134        Lorsque les enquêteurs du comité d’enquête l’ont expressément questionné sur sa visite d’un autre bar plus tard le même soir, puis sur sa présence à la réception mondaine chez Mme Lawrence, le fonctionnaire a répondu qu’il n’avait qu’un souvenir fragmentaire de sa présence à la réception. Lorsqu’il a été questionné au sujet de ses discussions avec Mmes Lawrence et Craigen le soir en question, le fonctionnaire a dit aux enquêteurs qu’il ne se souvenait pas du tout de quoi il était question.

135        Comme je l’ai souligné, Mme Craigen a présenté une version différente de son interaction avec le fonctionnaire à l’appartement ce soir-là. Elle a déclaré que celui-ci avait parlé de [traduction] « ses amis et ses potes » d’Abbotsford, et qu’il avait dit qu’ils étaient de [traduction] « mauvais sujets ». Mme Craigen a ajouté en contre-interrogatoire qu’au moment où le fonctionnaire avait formulé ses commentaires, il s’était exprimé au présent.

136        Mme Craigen a déclaré que la conversation du fonctionnaire ne s’était pas limitée aux palabres, parce qu’il était ivre. Elle a ajouté que même si elle prenait plaisir à converser avec le fonctionnaire en d’autres occasions, elle n’avait pas voulu en entendre davantage à ce sujet, parce qu’au travail elle l’avait entendu évoquer que ses amis appartenaient à des gangs. Lorsqu’elle a été questionnée, Mme Craigen a déclaré qu’elle avait interprété ce que lui avait dit le fonctionnaire au sens où ses amis d’Abbotsford appartenaient à des gangs de criminels.

137        Mme Craigen a déclaré qu’elle s’était entretenue avec le fonctionnaire pendant une trentaine de minutes, après quoi elle l’a vu aller à la salle de bain, qui se trouvait près de la cuisine. Elle a dit qu’il y était resté environ cinq minutes, après quoi elle l’a vu retourner à la cuisine. À une distance de deux pieds, elle a pu voir un dépôt de poudre blanche à l’ouverture de l’une de ses narines. Mme Craigen a déclaré qu’elle avait présumé qu’il s’agissait de cocaïne. Lorsqu’elle a été questionnée au sujet de ses observations, en contre-interrogatoire, elle a de nouveau réitéré sans hésitation qu’elle ne se trouvait qu’à deux pieds du fonctionnaire et qu’elle avait clairement vu un amas de poudre blanche au bord d’une narine.

138        Mme Craigen a affirmé qu’elle [traduction] « en avait eu assez » du fonctionnaire, qu’elle était sortie de la cuisine, avait utilisé la même salle de bain, puis était rentrée à la maison. Elle a déclaré qu’en entrant dans la salle de bain, elle avait vu une [traduction] « poudre blanche » sur le comptoir du lavabo. Mme Craigen a ajouté que depuis son point d’observation dans la cuisine, elle l’aurait vu si une autre personne était allée à la salle de bain après le fonctionnaire, ce qui ne fut pas le cas, selon ses dires. Elle a ensuite expliqué qu’elle s’était efforcée de nettoyer les traces de poudre sur le comptoir.

139        Mme Craigen a déclaré que le lendemain ou le surlendemain de la fête en question, elle a vu le fonctionnaire au travail. Il avait l’air gêné. Il lui a dit qu’il était désolé et il lui a expliqué que c’était la première fois que cela lui arrivait. Mme Craigen a interprété cela au sens d’une excuse pour avoir consommé de la cocaïne à une rencontre entre collègues de travail.

140        Mme Craigen a déclaré qu’elle pensait que le fonctionnaire pouvait avoir remarqué qu’elle avait quitté la fête presque immédiatement après l’avoir vu avec de la poudre blanche dans sa narine. Elle a ajouté que, à son avis, la déclaration du fonctionnaire selon laquelle c’était la première fois (qu’il consommait de la cocaïne, comme elle avait supposé qu’il l’avait laissé entendre) n’était pas crédible à ses yeux, parce que, selon elle, personne ne fait cela pour la première fois à l’occasion d’une réception mondaine en compagnie de quelques collègues.

141        Le fonctionnaire a livré un témoignage sur ce même échange et a expliqué qu’en réalité, il avait exprimé ses regrets à Mme Craigen pour avoir été aussi ivre la veille lors de l’activité de golf offerte à l’intention du personnel et plus tard en soirée. Il a affirmé avoir dit à Mme Craigen qu’il [traduction] « en assumait la responsabilité».

142        Il y a eu une pause après le témoignage du fonctionnaire indiquant qu’il avait dit à Mme Craigen qu’il en assumait la responsabilité, après quoi, lorsqu’il est ressorti clairement qu’aucun autre témoignage ne serait cité sur ce point, j’ai prié le fonctionnaire de m’aider à comprendre ce qu’il voulait dire par « en assumer la responsabilité ». Il a expliqué qu’il avait voulu dire qu’il s’excusait pour avoir été ivre au parcours de golf, au club d’effeuilleuses et au club Billy Bob’s, et enfin pour avoir été ivre lorsqu’il s’est présenté à la réception mondaine du personnel à l’appartement de Mme Lawrence.

143        La déclaration du fonctionnaire pendant son interrogatoire principal, dans laquelle il a confirmé qu’il consommait de l’alcool, et que, dans le passé, il l’avait fait à l’excès, est également pertinente à l’égard de cet échange. En réalité, il a déclaré que le soir en question il était [traduction] « en état d’ébriété très avancé, beaucoup plus qu’à l’habitude », lorsqu’il est arrivé à la réception.

144        Le fonctionnaire a aussi expliqué que d’autres personnes lui avaient dit comment il se comportait lorsqu’il était ivre. J’interprète cela comme la reconnaissance qu’il ne faisait pas allusion au fait d’avoir été intoxiqué pour la première fois lorsqu’il s’était adressé à Mme Craigen le lendemain ou le surlendemain de l’incident lié à la présence de poudre blanche dans sa narine.

145        L’avocat du fonctionnaire a cherché à établir qu’une autre personne présente à la fête, Andrew Keith, aurait pu être à l’origine de la poudre blanche dans la salle de bain. En réponse à une question suggestive à cet égard pendant son contre-interrogatoire, Mme Craigen a dit qu’il était possible que M. Keith ait consommé des stupéfiants dans la salle de bain et qu’il ait laissé sur le comptoir du lavabo et le plancher une poudre blanche dont elle avait constaté la présence. Lorsqu’on lui a demandé s’il était possible que M. Keith ait consommé la poudre blanche et en ait laissé des traces dans la salle de bain, et que le fonctionnaire en ait eu sur lui accidentellement après avoir utilisé la salle de bain, Mme Craigen a répondu qu’elle ne croyait pas que cela ait pu se produire, puisqu’elle avait clairement vu que le fonctionnaire avait un dépôt de poudre blanche dans une narine seulement.

146        Mme Lawrence était également CX à l’établissement, ainsi qu’une collègue du fonctionnaire. Elle a joué un rôle crucial dans toute cette affaire, puisqu’elle a été la seule personne à avoir alerté la direction de l’incident lié à la présence de poudre blanche sur la narine du fonctionnaire.

147        Mme Lawrence a été informée de ce qui s’était passé lorsque sa bonne amie et collègue de travail, Mme Craigen, lui a mentionné au travail, le lendemain de la soirée, ses observations de la veille. Mme Craigen a souligné que Mme Lawrence lui avait demandé pourquoi elle avait quitté son appartement au moment où elle l’avait fait et, par respect pour son amie, elle lui a mentionné ce qu’elle avait observé au sujet du fonctionnaire et de la poudre blanche dans la narine de ce dernier et la salle de bain. Mme Craigen a ajouté qu’elle n’avait jamais discuté de l’incident avec qui que ce soit avant d’être interrogée par la direction de l’établissement à ce sujet.

148        Mme Craigen a mentionné que Mme Lawrence était devenue extrêmement fâchée lorsqu’elle a été informée de l’incident de la poudre blanche. Mme Lawrence a ensuite confirmé ce témoignage. Elle a expliqué qu’elle garde son appartement très propre et qu’elle passe l’aspirateur au moins une fois par jour. Dès qu’elle a été informée de l’incident par Mme Craigen, Mme Lawrence s’est rendue à la salle de bain et a noté la poudre blanche toujours visible sur le comptoir et le plancher. Elle a souligné qu’elle en avait encore été plus bouleversée étant donné qu’elle a des animaux de compagnie et qu’une amie et son jeune enfant la visitent souvent. Elle était énormément préoccupée par la question qu’un de ses animaux ou cet enfant puissent accidentellement ingérer ce qu’elle présumait être un narcotique nuisible.

149        Interrogée au sujet des jours qui ont suivi l’activité sociale, Mme Lawrence a souligné que quelques jours plus tard, au travail, le fonctionnaire l’a confrontée lorsqu’elle a communiqué par radio afin qu’un autre CX lui fournisse des services d’escorte vers la tour de garde. Elle a dit qu’il avait entendu son appel radio et qu’il avait répondu à la place de l’autre CX à qui elle s’était spécifiquement adressée aux fins de l’escorte. Par conséquent, elle était seule avec le fonctionnaire dans la tour de garde.

150        Mme Lawrence a mentionné que le fonctionnaire lui avait demandé [traduction] « C’est quoi ton fichu de problème? » et [traduction] « Sommes-nous en bons termes? » Elle a dit lui avoir répondu ce qui suit : [traduction] « Tu as pris de la cocaïne et manqué de respect envers moi et ma demeure et tu as fait un dégât. » Elle a ensuite mentionné que le fonctionnaire lui avait dit qu’il acceptait la responsabilité de ses actes et qu’il lui avait demandé de ne pas mentionner l’incident à qui que ce soit. Elle a expliqué qu’elle croyait qu’il ne voulait pas qu’elle dise à quiconque qu’il avait consommé de la cocaïne dans sa salle de bain. Elle a ajouté qu’en terminant cette difficile conversation, elle a réprimandé le fonctionnaire en lui disant : [traduction] « Tu ne mérites pas de porter le même uniforme que moi. »

151        Dans son témoignage, Mme Lawrence a mentionné que peu de temps après avoir été confrontée par le fonctionnaire dans la tour, elle a mentionné à l’ARS Korzenoski que le fonctionnaire avait consommé de la cocaïne dans son appartement. Toutefois, au lieu de lui expliquer que les observations au sujet du fonctionnaire avaient été faites par Mme Craigen, Mme Lawrence lui a raconté une [traduction] « histoire » afin de protéger l’identité de Mme Craigen, qui lui avait demandé de ne rien dire. Mme Lawrence a fait valoir qu’il existe un code strict entre employés CX selon lequel aucun d’entre eux ne doit partager avec la direction des renseignements susceptibles de faire mal paraître un collègue. Si un CX viole ce code, il ou elle sera désigné un [traduction] « rat » par ses collègues et sera ensuite ostracisé.

152        Lors du contre-interrogatoire concernant l’histoire racontée à l’ARS, Mme Lawrence a nié à trois reprises avoir dit à l’ARS qu’elle avait personnellement aperçu le fonctionnaire consommer de la cocaïne. Elle a aussi dit ne pas avoir divulgué à son employeur que quelqu’un d’autre lui avait parlé des agissements du fonctionnaire. Elle a également dit qu’elle ne se souvenait pas d’avoir mentionné à l’ARS que M. Keith avait consommé de la cocaïne chez elle ce même soir. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait informé l’enquêteur de l’employeur que sa colocataire lui avait dit que le fonctionnaire avait consommé de la cocaïne, Mme Lawrence a répondu de façon hésitante et quelque peu confuse. Mme Lawrence a aussi dit qu’elle avait avisé les enquêteurs que Mme Craigen lui avait mentionné que le fonctionnaire avait consommé de la cocaïne. Elle a aussi reconnu que Mme Craigen lui avait dit avoir vu de la poudre blanche sur la toilette. Lorsque confrontée à la proposition qu’elle n’avait jamais parlé au fonctionnaire dans la tour après la fête, elle a dit l’avoir fait, comme elle avait déjà témoigné à ce sujet.

153        Lors de son témoignage final, Mme Lawrence a admis avoir trompé l’ARS dans son rapport initial sur le fonctionnaire et la consommation de cocaïne. Toutefois, outre le fait d’avoir gardé secrète la source réelle de l’information, elle a catégoriquement maintenu avoir relayé les événements de la soirée de façon exacte au comité d’enquête. Elle a délibérément donné l’impression que l’information dont elle disposait découlait de ses propres observations.

154        Dans son argumentation au sujet de la fiabilité du témoignage et des déclarations de Mme Lawrence, l’avocat du fonctionnaire a mentionné le rapport d’enquête disciplinaire préparé par le comité d’enquête de l’employeur, sur lequel reposait la décision de suspendre le fonctionnaire, puis de le licencier. Selon ce rapport, Mme Lawrence aurait communiqué à l’ARS une version différente de ses souvenirs de celle offerte ultérieurement au comité d’enquête. Un aspect important de son récit avait changé, soit le fait que les observations relayées n’étaient pas les siennes. Il est aussi important de noter qu’elle a initialement dit avoir vu de la poudre blanche sur le visage du fonctionnaire et qu’elle l’avait vu consommer de la cocaïne, ce qui va à l’encontre de son témoignage devant moi. Compte tenu de ces incohérences, je n’accorde aucun poids à l’ensemble de son témoignage.

155        Dans son exposé définitif, l’avocat du fonctionnaire a laissé entendre que je devrais conclure à la crédibilité du témoignage du fonctionnaire étant donné sa cohérence au fil du temps. J’ai demandé à l’avocat comment il pouvait, de façon crédible, présenter un tel argument, compte tenu de la déclaration contradictoire du fonctionnaire quant à la question de savoir s’il avait quitté le Lou’s Bar avec son frère ou ses amis criminels. L’avocat a répondu que la ou les personnes avec qui le fonctionnaire a quitté le bar et pris un taxi n’était pas un élément important de preuve.

156        Je ne suis pas d’accord avec l’allégation que le fonctionnaire a offert un témoignage cohérent. Et je suis fortement en désaccord avec l’allégation que le fait qu’il soit parti en taxi avec des criminels reconnus ne soit pas important.

157        Selon les notes de l’enquêteur du comité d’enquête découlant de la première fois que le fonctionnaire a été interrogé relativement à ses actions, ce dernier a répondu qu’il ne se souvenait pas des détails de la soirée au Lou’s Bar. Il a ensuite dit au comité d’enquête que son frère et lui-même étaient partis ensemble, dans un même taxi, et qu’il y avait possiblement d’autres personnes à bord du taxi. Environ deux ans plus tard, il a présenté un témoignage détaillé de la soirée. Dans son interrogatoire principal, il a confirmé ce qui figurait dans le rapport de police sur l’incident, faisant valoir que, en réalité, il était parti en taxi avec les trois criminels avec qui il avait discuté.

158        Je note aussi le témoignage du fonctionnaire selon lequel son frère et lui-même avaient choisi de se rendre au Lou’s Bar ce soir-là pour prendre un verre et souper et possiblement rencontrer des amis qui, selon son frère, y seraient peut-être.

159        L’ensemble des éléments de preuve concernant le départ du fonctionnaire alors qu’il a été informé qu’il n’avait pas à partir, le hochement de tête secret et le départ de son frère et le retour à la maison en taxi sans avoir pris de verre ou mangé, laisse entendre qu’il se produisait quelque chose de beaucoup moins innocent qu’une brève conversation fortuite avec des amis d’école d’une époque révolue.

160        Bien que le fonctionnaire ait affirmé qu’il avait bu toute la journée et toute la soirée et qu’il était très intoxiqué, il se souvenait très clairement d’un échange avec Mme Craigen lors de la réception mondaine. Il a témoigné avoir exprimé la crainte que des membres d’un gang de criminels violent, soit les frères Bacon, arriveraient bientôt purger leurs peines à l’établissement. Pour une raison inconnue, il a dit que sa sécurité pourrait être compromise. Il espérait être muté à un établissement près de la ville où il avait grandi, soit Abbotsford. Selon son témoignage, il lui a demandé des conseils sur la façon de parler à ces gens une fois arrivés à l’établissement.

161        Je trouve aussi problématique le témoignage du fonctionnaire selon lequel il aurait régurgité lors de la rencontre. Il a témoigné avoir été très intoxiqué. Il a dit au comité d’enquête de l’employeur (voir la page 8 du rapport) qu’il avait commencé à boire dès le matin. Dans le cadre de son témoignage devant moi, il a mentionné qu’il avait bu toute la journée et toute la soirée et qu’à un moment donné, tard en soirée, alors qu’il se trouvait chez Mme Lawrence avec des collègues de travail, il se serait senti mal, serait allé à la salle de bain et aurait régurgité. Jusque-là, son témoignage est logique. Toutefois, il a aussi offert un témoignage détaillé selon lequel il aurait nettoyé la salle de bain et se serait rincé la bouche avec du rince-bouche.

162        Selon le témoignage de Mme Craigen, le fonctionnaire est demeuré dans la salle de bain pendant environ cinq minutes avant de retourner à la cuisine. Elle a expliqué qu’elle se tenait à deux pieds de lui lorsqu’il est sorti de la salle de bain et qu’elle n’a pas détecté l’odeur de régurgitation et n’en a pas vu sur lui. Elle a aussi dit que très peu de temps après qu’il soit sorti de la salle de bain, elle y est entrée et n’a pas détecté l’odeur de régurgitation et n’en a vu nulle part.

163        Ce qui est le plus problématique au sujet de cet épisode de la salle de bain, c’est que si Mme Craigen n’a pas détecté l’odeur de régurgitation et n’en a pas vu immédiatement après que le fonctionnaire ait quitté la salle de bain, elle a clairement observé, alors qu’elle se trouvait à deux pieds de lui, des morceaux de poudre blanche dans une de ses narines. Il n’a offert aucun élément de preuve permettant d’établir, d’une façon quelconque, un lien entre la présence de cette poudre blanche et le fait qu’il ait régurgité ou autre chose. Il n’a pas été question de poudre blanche dans sa narine lors de son témoignage.

164        Même si le fonctionnaire avait été en mesure, tout en étant très intoxiqué, de vider son estomac sans faire de dégâts, ou de très bien nettoyer son dégât sans en faire un autre en nettoyant, on se serait attendu soit à une odeur nauséabonde indiquant le récent vomissement ou à une odeur de produit nettoyant, mais le témoignage de Mme Craigen ne mentionnait aucune telle odeur lorsqu’elle a été questionnée à ce sujet.

165        Dans son témoignage, M. Pelham a dit qu’il s’était fondé en grande partie sur les déclarations de Mme Craigen et du gendarme Ramsden dans le cadre de son examen minutieux de l’enquête sur les allégations contre le fonctionnaire. Il a expliqué qu’il avait accepté les versions définitives des déclarations de Mme Lawrence, car elles semblaient correspondre à ce que lui avait dit Mme Craigen. Il a ajouté qu’il ne s’était pas fié aux déclarations des autres participants à l’activité sociale qui n’ont pas témoigné devant moi.

166        M. Pelham a aussi noté que le fonctionnaire avait eu trois occasions de fournir des explications, mais qu’il a essentiellement nié toute consommation de drogues tout en faisant valoir qu’il ne se souvenait pas de la soirée en question à Abbotsford.

167        Il a aussi dit que le fonctionnaire avait répondu à plusieurs des questions du comité d’enquête par [traduction] « Je ne sais pas. » ou [traduction] « Je ne me souviens pas. » M. Pelham a également mentionné que, étant donné la divulgation volontaire du fonctionnaire à l’ARS selon laquelle son père et son oncle avaient tous deux été incarcérés et de son engagement à être complètement ouvert et transparent, le fonctionnaire aurait également dû divulguer la rencontre du 12 février 2014, au Lou’s Bar.

168        Le dossier indique que le fonctionnaire a reçu une note en date du 19 septembre 2014, à laquelle le rapport d’enquête disciplinaire du comité d’enquête était joint, aux fins de consultation préalable à l’audience disciplinaire où il aurait l’occasion de répondre aux allégations. Le fonctionnaire a aussi été informé qu’il pouvait réfuter les allégations par écrit. Dans son témoignage, le fonctionnaire a dit qu’il était incapable de répondre de façon appropriée aux allégations parce que les détails de l’enquête avaient largement été caviardés, ce qui l’empêchait de répondre. Son avocat a soutenu ce point avec véhémence.

169        À un niveau très élevé, je partage les craintes soulevées par de nombreux plaignants à qui on refuse parfois l’accès aux détails des allégations formulées contre eux. Un des aspects les plus fondamentaux de notre système juridique (en droit administratif, comme c’est le cas en l’espèce) est la maxime latine audi alteram partem, qui postule que la personne a le droit d’être entendue et que, pour être entendue, elle doit connaître la nature des accusations portées contre elle. Je crois que de nombreux griefs pourraient être résolus plus rapidement si les plaignants et les représentants de leurs agents négociateurs pouvaient obtenir une divulgation plus opportune et complète sans être contraints de tenter d’obtenir les documents eux-mêmes par les lois sur l’accès à l’information.

170        Même si j’ai noté qu’il est bien établi dans la jurisprudence que cette audience règle toute irrégularité procédurale précédente subie par le fonctionnaire, son avocat a fait valoir que, en réalité, l’absence de réfutation aux allégations a été utilisée contre le fonctionnaire dans la décision de l’employeur de le licencier.

171        Ayant écouté attentivement les témoignages et les arguments à ce sujet, je note que les éléments suivants ont été inclus dans les détails divulgués au fonctionnaire, en sus des nombreux caviardages apportés au rapport qui lui a été remis :

  • la journée de golf des employés, la liste des activités et des nombreux établissements visités ce jour-là, et le fait que les employés, y compris le fonctionnaire, se sont rendus chez quelqu’un pour une rencontre;
  • le fonctionnaire a dit avoir eu des discussions pendant son temps chez [caviardé];
  • le fonctionnaire a été interrogé à savoir s’il avait consommé de la cocaïne pendant la soirée en question;
  • le fonctionnaire a été interrogé à propos de ses liens avec des organisations criminelles;
  • lorsque le fonctionnaire a été interrogé au sujet de l’incident au Lou’s Bar, il a tout d’abord répondu qu’il ne s’en souvenait pas;
  • lorsque le fonctionnaire a été interrogé au sujet de ses interactions avec la police lors de la soirée au Lou’s Bar, il a dit qu’il était avec son frère [caviardé];
  • le fonctionnaire a dit avoir fréquenté la même école que [caviardé];
  • le fonctionnaire a dit avoir pris place à table avec son frère au Lou’s Bar et que la police s’était présentée quelques minutes plus tard. Le fonctionnaire a déclaré à la police qu’ils étaient des amis, mais qu’il ne se souvenait plus de ce qui avait été dit par la suite;
  • lorsque le fonctionnaire a été interrogé à savoir s’il avait montré son insigne du SCC aux agents de police, il a dit qu’il l’avait accidentellement montré, car ses pièces d’identification et son insigne se trouvent dans le même portefeuille;
  • lorsque le fonctionnaire a été interrogé à savoir s’il avait quitté le bar avec les personnes identifiées par la police d’Abbotsford comme étant des membres affiliés à des organisations criminelles, il a confirmé qu’ils avaient partagé un taxi.

172        Comme cette information a été partagée avec le fonctionnaire, je suis satisfait qu’il était suffisamment au courant des allégations portées contre lui pour avoir une occasion juste et raisonnable de répondre aux conclusions et de les réfuter. S’il ne se souvenait honnêtement pas des détails de ses mésaventures lors de ces deux dates, c’était à cause de sa consommation excessive d’alcool, et l’employeur n’en est pas responsable.

173        Nonobstant la divulgation des particularités du rapport du comité d’enquête par l’employeur au fonctionnaire, ce dernier ne peut, à la fois, maintenir qu’il n’avait pas de souvenir clair ou aucun souvenir de l’incident en question alors qu’il se trouvait devant le comité d’enquête, quelques mois plus tard, puis me fournir un témoignage très détaillé, deux ans plus tard, sur ce qu’il avait dit et fait exactement.

174        C’est simplement l’un ou l’autre. Soit le fonctionnaire ne se souvient pas des événements de la soirée en question, alors qu’il a été observé avec de la poudre blanche dans une narine, soit il se souvient précisément de ce qu’il a fait et dit.

175        Compte tenu de son témoignage voulant qu’il ait commencé à boire de l’alcool dès le matin, et ce, toute la journée et la soirée, et qu’il était extrêmement intoxiqué, je crois qu’il est plus probable que le témoignage qu’il a présenté au sujet de cette soirée devant le comité d’enquête soit le plus exact, c’est-à-dire qu’il ne se souvenait pas de ce qu’il avait dit ou fait lors de l’activité sociale.

176        Ayant décrit les éléments de preuve sur lesquels je m’appuie pour conclure que le fonctionnaire a bel et bien commis les trois actes fautifs allégués par l’employeur, je conclus qu’il y avait en effet des motifs valables de lui imposer des mesures disciplinaires.

B. Étant donné l’ensemble des circonstances, la décision de licencier le fonctionnaire était-t-elle une réponse excessive?

177        Dans son témoignage, M. Pelham a mentionné que les actions du fonctionnaire au Lou’s Bar avaient jeté le discrédit sur le SCC aux yeux du Service de police d’Abbotsford. Il a aussi conclu que les actions du fonctionnaire après la journée de golf des employés avaient eu un effet délétère sur les relations des employés et de travail à l’établissement. Et, surtout, M. Pelham a fait valoir qu’il devait pouvoir faire entièrement confiance à ses employés, sans quoi il ne peut assurer la sécurité de l’établissement. Compte tenu des conclusions de l’enquête et du manque apparent de responsabilité ou de remords de la part du fonctionnaire. M. Pelham a conclu que ce lien essentiel d’emploi avait été irrémédiablement rompu.

178        Dans son témoignage sur les motifs de licenciement du fonctionnaire et dans le cadre de son argumentation fondée sur le témoignage de ce dernier, l’employeur a soulevé des incohérences et fait valoir qu’il n’était pas un témoin crédible.

179        En premier lieu, le fonctionnaire a souligné que les motifs disciplinaires n’avaient pas été établis et que, subsidiairement, s’ils l’avaient été, le licenciement était injuste, compte tenu de l’ensemble des circonstances. Ensuite, il a maintenu que si je concluais qu’il existait des motifs de discipline, une suspension d’une journée devrait remplacer le licenciement.

180        Le fonctionnaire a cité Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 138, et le contrôle judiciaire de la Cour fédérale dans 2013 CF 895, comme précédent pour une suspension d’un jour. Il a fait valoir que les actes fautifs antérieurs de M. Lapostolle avec le crime organisé avaient fait l’objet d’une suspension d’un jour avant que ce dernier ne soit licencié pour inconduite continue. La suspension d’un jour de M. Lapostolle découlait de plusieurs accès non autorisés à des dossiers et du fait d’avoir été observé par la police à partager une limousine et un souper tardif avec le propriétaire d’un club d’effeuillage et d’autres personnes « […] qui pourraient être mêlées aux milieux criminels […] » (voir 2013 CF 895, au paragraphe 20).

181        Le fonctionnaire en l’espèce a fait valoir que les allégations de l’employeur n’avaient pas été démontrées à l’aide d’éléments de preuve clairs, logiques et convaincants nécessaires pour soutenir une conclusion selon laquelle la décision de le licencier était raisonnable.

182        Plus particulièrement, le fonctionnaire a maintenu que, outre la rencontre fortuite avec d’anciens camarades d’école au Lou’s Bar, il n’y avait pas de preuve qu’il entretenait une association continue avec des gangs de crime organisé. Il a affirmé n’avoir aucun contact régulier avec les hommes avec qui il a discuté au bar, que la conversation avait été très courte et qu’ils n’avaient ensuite partagé qu’un bref trajet en taxi. Le fonctionnaire a maintenu qu’une brève rencontre fortuite et une conversation avec un ami d’enfance ne représentent pas un acte fautif et ne constitue pas un motif disciplinaire.

183        En réalité, en passant de la défensive à l’offensive, le fonctionnaire a mis en évidence les politiques du SCC qui visent sa mission de réadaptation et de réinsertion sociale des délinquants à titre de justification à l’appui de son témoignage que Mayhew lui avait demandé son aide pour se libérer d’une vie de crime. Le fonctionnaire a spécifiquement cité la [traduction] « Règle 11 », pièce 1, onglet 11, soit la règle du [traduction] « Code de conduite » du SCC qui stipule que les employés du SCC doivent aider et encourager activement les délinquants à devenir des citoyens respectueux de la loi. Le fonctionnaire a fait valoir que sa rencontre fortuite et sa brève discussion l’avaient décidé à aider un ancien ami qui disait vouloir se libérer de sa vie de crime.

184        Le fonctionnaire n’a pas poursuivi plus en détail l’allégation de biais de la part de l’employeur. Il est reconnu en droit administratif que l’arbitrage d’un grief est une audience de novo qui règle toute question procédurale antérieure entre les parties. Le fonctionnaire ne m’a fait part d’aucune préoccupation relativement au manque de divulgation de l’employeur en vue de l’audience.

185        Le fonctionnaire a aussi affirmé qu’il était injuste que l’employeur choisisse initialement de ne rien faire à la suite du rapport de la Police d’Abbotsford sur les événements au Lou’s Bar, puis, plus de quatre mois plus tard, qu’il s’appuie sur cet incident pour motiver sa décision de mener une enquête et d’imposer des mesures disciplinaires au fonctionnaire, notamment pour cet incident. Il m’a renvoyé à Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, à titre d’autorité pour le principe que les employeurs doivent sanctionner les individus pour leurs comportements inappropriés de façon raisonnablement expéditive. Brown et Beatty ajoutent que si l’employeur n’est pas en mesure d’expliquer un retard dans l’imposition de mesures disciplinaires, celles-ci pourraient être annulées (voir le paragraphe 7:2120).

186        En contre-interrogatoire, à la question de savoir pourquoi elle n’avait pas soulevé l’incident au Lou’s Bar plus tôt à titre d’affaire disciplinaire, la directrice intérimaire, Nancy Shore, a témoigné que le Service de police d’Abbotsford avait partagé avec le SCC l’information au sujet de son interaction avec le fonctionnaire, mais qu’il lui avait demandé de ne pas la divulguer à ce moment afin d’éviter de mettre en péril une enquête sur le crime organisé. Mme Shore croyait que la demande avait été faite par écrit, mais l’employeur n’a pas été en mesure de la produire à l’audience.

187        Pour résumer la question du retard soumise par le fonctionnaire, je ne considère pas que le retard d’environ quatre mois avant de donner suite au rapport d’incident soit problématique. Ce délai n’a nullement empêché le fonctionnaire de répondre aux allégations, une fois portées à son attention.

188        Qui plus est, je considère que lorsqu’un premier incident est lié à un incident subséquent en raison de la nature similaire du comportement, cela met en évidence une tendance d’inconduite susceptible de porter atteinte aux intérêts de l’employeur si on l’ignore. Dans ce cas, le temps accordé à l’employeur pour agir rétroactivement au rapport initial sera prolongé.

189        En réponse au témoignage selon lequel le fonctionnaire a été observé avec de la poudre blanche dans une de ses narines, le fonctionnaire a maintenu qu’aucun élément de preuve clair  et convaincant n’a été présenté à l’audience confirmant qu’il s’agissait de cocaïne. Il a aussi affirmé que s’il s’agissait réellement de cocaïne, alors quelqu’un d’autre en avait consommé et en avait laissé sur le comptoir de la salle de bain. Il n’a cependant pas réussi à offrir une seule raison logique, si ténue soit-elle, pour laquelle la cocaïne que quelqu’un d’autre aurait laissée sur le comptoir de la salle de bain se serait retrouvée, par inadvertance, séchée dans sa narine. Par conséquent, je considère cet argument et la série de questions de l’avocat du fonctionnaire sur M. Keith comme désobligeants.

190        Le fonctionnaire a laissé entendre que Mme Craigen était fatiguée et irritée lorsqu’elle a remarqué la poudre blanche dans sa narine et soulevé que cette dernière avait témoigné qu’elle n’avait jamais vu de cocaïne. Dans son témoignage, elle a dit avoir présumé que la poudre blanche dans son nez était de la cocaïne. Il a aussi mentionné que sa conversation avec Mme Craigen le matin après la fête n’était composée que de vagues déclarations dans le cadre desquelles il n’a aucunement reconnu avoir consommé de la cocaïne lors de la soirée.

191        À l’appui de son argument concernant l’observation de Mme Craigen relativement à la poudre blanche, le fonctionnaire a cité Brown et Beatty (voir le paragraphe 3:5130), et la règle de la preuve circonstancielle en droit pénal, connue sous le nom de [traduction] « règle de Hodge ». Celle-ci stipule que si la preuve produite est uniquement circonstancielle, elle ne constitue pas une preuve des faits à établir à moins de pointer de façon irréfutable aux conclusions tirées et qu’il soit impossible d’éliminer toute autre inférence rationnelle susceptible d’exclure la culpabilité. Brown et Beatty mentionnent aussi que lorsque le comportement en question constitue aussi un crime, les arbitres de griefs ont également appliqué cette règle. Ils notent cependant que dans d’autres contextes ne mettant pas en cause un comportement criminel, les arbitres de griefs évaluent normalement les preuves circonstancielles sans présomption ou règle particulière quant à leur caractère conclusif.

192        Le fonctionnaire a aussi fait valoir que le fait qu’il ait quitté le bar avec les membres d’un gang de crime organisé n’était qu’un malentendu innocent entre lui et les agents de police.

193        Le fonctionnaire a mentionné que je ne devrais pas accepter les observations du SCC, car elles sont insuffisantes pour établir le bien-fondé des accusations contre lui. Il a de plus déclaré que le processus d’enquête ayant mené à son licenciement était injuste et biaisé, car les détails des accusations contre lui ne lui ont pas été communiqués. Compte tenu de ce qui précède, il a affirmé qu’il était injuste que l’employeur utilise son absence de réfutation aux allégations contre lui pendant l’enquête.

194        Le fonctionnaire m’a renvoyé à F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, qui stipule clairement que je dois rendre une décision selon la prépondérance des probabilités, tout en ajoutant que les éléments de preuve sur lesquels j’appuie ma décision doivent être clairs, logiques et convaincants, ce qui, selon lui, est loin d’être le cas.

195        Le fonctionnaire m’a aussi renvoyé à Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 53, et Malisza et al. c. Conseil national de recherches du Canada, 2014 CRTFP 69, qui examinent des allégations qui, selon les conclusions, n’étaient pas corroborées par des éléments de preuve clairs, logiques et convaincants. En appliquant ces cas aux faits devant moi, le fonctionnaire a maintenu que le témoignage de Mme Craigen au sujet de la poudre blanche observée dans sa narine était fondé sur la croyance sincère, mais erronée, qu’il s’agissait de cocaïne.

196        Le fonctionnaire a cité Kinsey c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada, 2015 CRTFP 30, comme décision récente à l’appui de l’argument selon lequel il a reçu d’excellentes évaluations de rendement et qu’il devrait y avoir présomption en faveur de la réintégration. Kinsey concerne le cas d’un CX obèse. L’attitude de son gestionnaire a beaucoup préoccupé l’arbitre de grief (au paragraphe 103). M. Kinsey a fait l’objet d’un examen minutieux relativement à des questions qu’il aurait été plus approprié, selon l’arbitre de grief, de considérer comme des questions d’accommodement et de gestion du rendement (aux paragraphes 106 et 111). Autre que la bonne évaluation du rendement, les faits pertinents de Kinsey se distinguent de ceux en l’espèce; cette affaire n’est pas pertinente.

197        Le fonctionnaire a réfuté la jurisprudence de l’employeur en maintenant qu’elle portait sur des affaires de licenciement pour inconduite beaucoup plus graves que ceux en l’espèce.

198        Lapostolle porte sur le licenciement d’un CX (classifié CX-02) au motif qu’il avait été vu à plusieurs reprises avec des membres notoires d’un gang de criminels. Il avait aussi accepté un don de 10 000 $, d’une personne ayant des liens connus à des gangs de criminels, qui lui avait permis de participer à un tournoi de poker à Las Vegas. Dans une seule semaine, la police l’a aussi surpris deux fois à bord d’une voiture excédant la limite de vitesse en compagnie d’une personne ayant des liens à des gangs de criminels.

199        Enfin, deux ans auparavant, M. Lapostolle avait été aperçu dans une limousine arborant l’image de marque d’un club d’effeuillage local, avec la même personne avec des liens au crime organisé. Pour cet incident, il avait été suspendu du travail pendant une journée à titre de mesure disciplinaire et il avait été averti de ne plus se rendre dans ce bar et de ne plus côtoyer les personnes s’y trouvant, car certains avaient des liens à des gangs. Cet incident n’a pas été invoqué en guise de motifs pour le licenciement de M. Lapostolle.

200        Tout comme en l’espèce, M. Lapostolle a nié savoir que les hommes qu’il fréquentait étaient associés au crime organisé. L’arbitre de grief a conclu que, pour ce qui est des liens de son commanditaire de poker avec le crime organisé, ce déni constituait de l’ignorance volontaire.

201        Néanmoins, contrairement à la question en l’espèce, il a été conclu que M. Lapostolle avait eu d’autres contacts avec des membres affiliés au crime organisé et, surtout, qu’il avait accepté 10 000 $ de ce commanditaire pour un tournoi de poker. Autre facteur exacerbant, un des membres affiliés d’un gang de criminels avec qui il avait été aperçu portait un article l’identifiant clairement à un gang.

202        L’arbitre de grief dans Lapostolle a conclu qu’une personne qui obtient un emploi avec le SCC accepte les contraintes personnelles qui accompagnent cet emploi et qui favorisent l’employeur, et accepte d’agir avec intégrité en tout temps, même à l’extérieur des heures de travail. Elle a noté que même après les avertissements de l’employeur, M. Lapostolle a poursuivi ces fréquentations. Elle a aussi noté que, tout comme dans l’affaire devant moi, les connaissances étaient plus qu’occasionnelles, car M. Lapostolle connaissait les criminels depuis qu’il était jeune, ce qui le rendait particulièrement vulnérable aux gangs de criminels.

203        L’arbitre de grief a aussi souligné que, comme dans l’affaire devant moi, M. Lapostolle avait fréquenté des établissements reconnus comme lieux de rassemblement de membres d’un gang de criminels, en plus de la question aggravante de la personne arborant un article l’identifiant à un gang (qui n’est pas une préoccupation en l’espèce). En examinant ces deux questions, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur ne devrait pas être tenu d’interdire spécifiquement un comportement clairement répréhensible aux yeux de tous.

204        Ayant fait cette constatation, l’arbitre de grief a conclu qu’en fréquentant ouvertement des personnes associées au crime organisé, M. Lapostolle avait terni l’image du SCC. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, il a été conclu que M. Lapostolle n’était plus en mesure de s’acquitter de ses tâches avec intégrité et que, par conséquent, la relation de confiance avec l’employeur était irrémédiablement rompue (voir Lapostolle, aux paragraphes 90 à 93).

205        Enfin, l’arbitre de grief a conclu que le licenciement était motivé étant donné que M. Lapostolle ne reconnaissait pas la gravité de sa conduite, même à l’audience (voir le paragraphe 95).

206        Même si le fonctionnaire en l’espèce a correctement remarqué que, dans Lapostolle, le fonctionnaire avait eu plus d’interactions avec des personnes associées aux gangs de criminels, et que, dans un cas, un membre de gang portait un identifiant visible, et que le fonctionnaire avait fait l’objet d’une commandite considérable pour un tournoi de poker, les autres préoccupations mentionnées par l’arbitre de grief dans Lapostolle sont conformes aux préoccupations de l’employeur dans la présente affaire.

207        En l’espèce, le fonctionnaire a admis avoir été un ami d’enfance des membres d’un gang de criminels. Il a choisi de prendre un verre dans un établissement reconnu comme étant fréquenté par des membres d’un gang de criminels. Lorsque des agents de police l’ont avisé qu’il était assis avec des membres affiliés à un gang de criminels, le fonctionnaire a choisi de quitter l’établissement et de partager un taxi avec eux, poursuivant son association très publique à eux. Enfin, il a montré son insigne du SCC en public dans cet établissement.

208        Le fonctionnaire m’a ensuite expliqué qu’il avait accepté de faire un suivi auprès d’un membre affilié d’un gang de criminels très dangereux dans le cadre de leur amitié, prétendument pour l’aider à s’extirper de sa vie criminelle. Ainsi, le fonctionnaire aurait alors entretenu une relation continue avec cette personne, ce qui l’aurait contraint, à titre de CX responsable et diligent, de divulguer cette relation à l’ARS de son lieu de travail.

209        Lorsque la Cour fédérale a étudié la demande de contrôle judiciaire de M. Lapostolle en vue d’infirmer la décision arbitrale de maintenir son licenciement, elle a rejeté l’appel et, entre autres constatations, a souligné qu’il prétendait que la somme de 10 000 $ pour le tournoi de poker était en fait un contrat de commandite d’affaires. La Cour a souligné que même s’il acceptait l’argument de commandite de poker, M. Lapostolle avait omis de la divulguer à son employeur. La Cour a aussi noté dans une opinion incidente qu’il serait surprenant que M. Lapostolle n’ait pas été au courant, au début de sa carrière, que le caractère douteux de ses fréquentations pourrait mener à son licenciement.

210        Comme dans Lapostolle, l’argument principal du fonctionnaire était qu’il n’avait rien fait qui justifierait la prise de mesures disciplinaires.

211        L’arbitre de grief Olson en est venu à la même conclusion que Lapostolle dans Shandera c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 26, au paragraphe 211. Il a conclu que les employés du SCC sont assujettis à des règles de conduite plus rigoureuses et qu’ils sont au courant de ces attentes plus élevées à leur égard et dans leur conduite personnelle. Il a cité Brigden c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 92, et plusieurs autres affaires ayant mené à la même conclusion.

212        Ayant minutieusement examiné toutes les affaires sur lesquels s’est appuyé l’employeur et qui ont été réfutées par le fonctionnaire concernant les employés du SCC et les associations aux gangs de criminels, je rejette le corollaire nécessairement sous-entendu de l’argument du fonctionnaire selon lequel ses associations à un gang de criminels étaient d’une quelque façon que ce soit moins importantes que celles mentionnées dans ces affaires. Son argumentation implique nécessairement qu’il existe quelque chose de semblable à une échelle de gravité pour les associations des agents de la paix du SCC avec les membres de gangs de criminels et une échelle concomitante de conséquences pour les associations des employés du SCC à des gangs de criminels.

213        Je ne suis pas d’accord. Je considère toute association avec un gang de criminels par un employé du SCC comme troublante et complètement inacceptable. Ces associations présentent toutes de nombreux risques compromettants pour l’employé, soit par recrutement et incitation ou coercition et menace. Comme l’a mentionné le directeur Pelham dans son témoignage, si un employé du SCC est compromis par un gang de criminels, la sécurité de tous les détenus et employés de l’établissement est en danger.

214        De plus, dans toutes ces affaires et dans l’affaire devant moi, le SCC a fait valoir à juste titre que sa réputation et sa crédibilité aux yeux des organismes d’application de la loi partenaires et du grand public étaient considérablement atteintes chaque fois qu’il est découvert qu’un employé du SCC a des liens avec des criminels et, en particulier, des membres de gangs de criminels.

215        Si j’acceptais l’argument du fonctionnaire selon lequel ses associations à un gang de criminels sont moins graves, tous les agents de la paix pourraient se croire en droit d’avoir certaines associations avec des gangs de criminels qui pourraient être tolérées sans être visé, ou très peu, par des mesures disciplinaires, avant de faire face à la grave sanction qu’est le licenciement. Cela n’aurait pas de bons résultats.

216        À l’appui de l’argument du fonctionnaire selon lequel le licenciement était excessif même si je déterminais qu’il avait perpétré des actes fautifs, j’ai été renvoyé à Beliveau c. Conseil du Trésor (Commission des libérations conditionnelles du Canada), [1982] C.R.T.F.P. no 109 (QL), dossier de la CRTFP no 166-2-12955 (19820706), où un employé de la Commission des libérations conditionnelles du Canada habitait avec un détenu sous responsabilité fédérale en libération conditionnelle. Alors qu’elles enquêtaient un vol à main armée, les forces policières ont exécuté une perquisition chez l’employée et y ont découvert un révolver 357 Magnum, 14 cartouches, des outils d’introduction par effraction, un sac de seringues, un récepteur des fréquences de police, des sommes considérables d’argent et des pesées. Des accusations au criminel ont été portées contre elle à la suite de la fouille de sa demeure. Toutefois, elle n’a pas été reconnue coupable.

217        Bien que l’employeur dans Beliveau ait cité les risques associés au travail de Mme Beliveau à la Commission des libérations conditionnelles du Canada et son accès à des renseignements délicats sur les délinquants, l’arbitre de grief a conclu qu’aucune inconduite n’avait été prouvée et, par conséquent, son licenciement a été annulé.

218        Je ne suis ni contraint à suivre cette affaire ni enclin à être persuadé par elle. Beliveau date d’une époque différente, en 1982. L’affaire devant moi porte sur une personne présente dans un établissement fédéral qui travaille face à face avec les détenus. J’ai entendu des témoignages sur des gangs extrêmement violents qui cultivent des liens avec des détenus sous responsabilité fédérale dans le cadre de leurs réseaux criminels, ce qui constitue une importante différence par rapport à Beliveau.

219        Le fonctionnaire a aussi maintenu que le processus d’examen interne de l’enquête de l’employeur sur ses actes fautifs allégués était injuste. Il a témoigné qu’il n’avait pas pu voir l’ensemble des détails de l’enquête et de ses conclusions et qu’on lui avait demandé par la suite de répondre aux allégations. Il a dit ne pas avoir été en mesure de répondre pleinement aux allégations en raison du manque de divulgation et que l’employeur a ensuite interprété cette absence de réponse comme facteur aggravant pour décider de le licencier.

220        Comme l’employeur l’a noté dans sa réponse, il est très bien établi que l’audience d’un grief devant la présente Commission est une audience de novo, qui comprend la pleine divulgation de toute la preuve. Tout manquement procédural antérieur est réglé par la nouvelle audience de l’affaire (voir Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), Cour d’appel fédérale, [1985] A.C.F. no 818 (QL) (C.A.), au paragraphe 2).

221        Le fonctionnaire a mentionné des éléments de preuve selon lesquels il a reçu une très bonne évaluation de rendement pendant sa brève affectation en tant que CX à l’établissement. Il a également cité une jurisprudence soulignant qu’un si bon dossier d’emploi devrait agir comme facteur atténuant important pour déterminer s’il était un candidat approprié pour la discipline corrective et progressive. Compte tenu de la gravité des questions soulevées en l’espèce, je ne suis pas convaincu par cet argument.

222        Subsidiairement, le fonctionnaire a fait valoir son déni complet de toute inconduite. Il a maintenu que même si j’acceptais toutes les conclusions de l’employeur concernant son inconduite, le licenciement n’est pas justifié et devrait être remplacé par une suspension d’un ou deux jours.

223        Le directeur Pelham a présenté un témoignage clair relativement aux motifs qui sous-tendent sa décision que le fonctionnaire ne pouvait pas continuer à occuper son poste à SCC. Il a indiqué que pour les raisons examinées dans la présente décision, le lien de confiance avec le fonctionnaire avait été irréparablement rompu. Il a expliqué qu’il devait avoir entièrement confiance en son personnel, car leur sécurité et celle des détenus en dépendent.

224        Ayant minutieusement examiné le témoignage du fonctionnaire, j’accepte entièrement la décision de M. Pelham et les motifs la justifiant. Le fonctionnaire a présenté, par rapport à certains points critiques de son cas, un témoignage tout simplement incroyable qui allait parfois à l’encontre de ses déclarations précédentes. Il était parfois hésitant et évasif. Il n’a présenté aucun argument concernant la poudre blanche observée sur son visage, dans une narine, et a même suggéré qu’elle y avait été déposée par accident.

225        Le fonctionnaire a fait valoir que le fait d’être découvert par la police dans un lieu de rencontre fréquenté par des gangs, avec des membres connus de gangs de crime organisé, puis de partir avec eux en taxi constituait un malentendu innocent. Il a affirmé qu’après une journée de forte consommation d’alcool, le fait de se vanter de ses liens avec de [traduction] « mauvais sujets » qui pourraient fournir à sa collègue de travail tout ce qu’elle voulait était tout simplement les paroles d’un ivrogne.

226        Plus tard, pendant cette même soirée, le fonctionnaire est allé à la salle de bain pendant cinq minutes et en est ressorti avec de la poudre blanche clairement visible dans et autour d’une narine. Quelques minutes plus tard, on a découvert une poudre blanche sur le comptoir de la salle de bain. Le fonctionnaire a simplement affirmé que l’employeur n’avait pas établi qu’il avait consommé de la cocaïne. Cette déclaration et le commentaire sur les [traduction] « mauvais sujets » susmentionnés, si on les prend séparément, pourraient être vus comme étant moins préoccupants, mais ensemble, chacun d’entre eux révèle un thème constant de choix malavisés de relations et d’habitudes de vie pour une personne qui commence une carrière à titre de CX.

227        Si le fonctionnaire souhaite maintenir des amitiés d’enfance avec des membres connus d’un gang de criminels et aider l’un d’entre eux à remettre sa vie sur la bonne voie, il aurait dû le divulguer par écrit à son employeur de façon opportune. Le fait de faire autrement, en se vantant à ses collègues d’avoir des liens avec de [traduction] « mauvais sujets », est complètement incompatible avec les normes élevées de comportement que doit respecter un CX.

228        Le fonctionnaire a maintenu que les incidents sur lesquels l’employeur s’est appuyé à l’audience étaient soit des malentendus ou n’avaient pas été prouvés. Je ne suis pas d’accord. Des éléments de preuve clairs, logiques et convaincants m’ont été présentés selon lesquels le fonctionnaire aurait délibérément montré son insigne du SCC à des agents de la police d’Abbotsford qui s’étaient approchés de lui dans un bar fréquenté par des membres d’un gang de criminels. Il a de plus été établi que lorsqu’il a été avisé qu’il était inapproprié pour un CX de se trouver en compagnie de criminels affiliés à un gang, il a choisi de partir avec eux, même si la police venait de l’aviser qu’il était connu qu’ils étaient affiliés à un gang. Il a ensuite partagé un taxi avec eux.

229        Enfin, je considère la convergence de ces circonstances si impérieuse qu’elle me permet de conclure, par la prépondérance des probabilités, que la poudre blanche dans le nez du fonctionnaire était de la cocaïne ou un autre narcotique illicite. Il n’a pas nié l’existence de la poudre blanche dans sa narine et n’a offert aucune preuve disculpatoire pour expliquer comment elle est apparue ou de quoi il s’agissait, si non de la cocaïne.

230        L’avocate de l’employeur m’a renvoyé à Laplante c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 104, confirmée dans 2008 CF 1036. Elle a souligné la similarité du fonctionnaire dans cette affaire, dont le licenciement était fondé sur des éléments de preuve circonstanciels et spéculatifs selon lesquels il aurait aidé des membres de sa famille à passer de la cocaïne en contrebande par la frontière canado-américaine. Lorsqu’il a rejeté le grief, l’arbitre de grief a noté le manque de preuve directe de l’enquête policière, mais il a aussi noté des incohérences dans le témoignage du plaignant qui l’ont porté à conclure que le plaignant était en fait impliqué dans l’activité criminelle. Lorsqu’elle a confirmé la décision dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour fédérale a examiné les conclusions de l’arbitre de grief et a conclu qu’elles étaient raisonnables, tout en soulignant le besoin de déférence dans les conclusions de fait et de crédibilité.

231        L’employeur m’a aussi renvoyé à Société canadienne des postes c. Association des officiers des postes du Canada (1996), 56 L.A.C. (4th) 353, au paragraphe 47. L’arbitre de grief dans cette affaire avait conclu que lorsqu’on présente un cas prima facie d’inconduite d’un employé, celui-ci est contraint d’expliquer son comportement. L’arbitre de grief a conclu qu’en l’absence d’une telle franchise, le compte rendu des événements du plaignant ne correspondait pas à la prépondérance des probabilités et que son incapacité à présenter une explication à la police après son arrestation jouait fortement contre sa crédibilité et la vraisemblance de son récit.

232        Comme le fonctionnaire dans la présente affaire maintient qu’il n’a rien fait de mal et qu’il n’y avait pas de motifs de prendre des mesures disciplinaires, je dois conclure qu’il ne comprend pas ses erreurs, qu’il n’accepte aucune responsabilité et qu’il n’exprime aucun remords pour ses actions et pour le tort qu’il a causé à son lieu de travail et la façon dont il a terni l’honneur du SCC.

233        L’arbitre de grief Shannon, dans Rahim c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 121, au paragraphe 83, a examiné la question de savoir si la relation employeur-employé avait été irréparablement rompue. Elle a mentionné le rôle critique que joue l’acceptation de responsabilité dans cette évaluation. Elle a conclu qu’il est essentiel de déterminer si le plaignant accepte la responsabilité de ses actes et comprend leur impact sur la relation d’emploi pour déterminer s’il est susceptible d’adopter de nouveau un comportement fautif à l’avenir.

234        Étant donné l’argument principal du fonctionnaire dans son exposé définitif, en l’occurrence qu’il n’avait rien fait de mal qui justifierait la prise de mesures disciplinaires, j’en conclus qu’il n’apprécie pas le fait que son comportement lors des deux soirées en question était inacceptable.

235        Par conséquent, je conclus qu’en fonction des éléments de preuve clairs, logiques et convaincants, l’employeur a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait des motifs justes et raisonnables de licencier le fonctionnaire, car son lien de confiance avec lui a été irréparablement rompu. La mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire n’est pas excessive.

236        Pour tous les motifs précités, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

237        Les griefs sont rejetés.

238        L’employeur a demandé que l’on émette une ordonnance de mise sous scellés pour la pièce E1, onglets 2 et E2. Chacune des pièces contient des renseignements détaillés sur des séances de renseignement de sécurité de la police et du SCC portant sur des observations, des enquêtes et des renseignements recueillis sur le crime organisé. Il est dans l’intérêt public que ces renseignements ne soient pas divulgués pour éviter que des criminels s’en servent pour étudier les méthodes de collecte de renseignements de sécurité des forces policières et du SCC et leur niveau de connaissance des gangs de criminels.

239        J’ordonne que la pièce E1, onglets 2 et E2, soit mise sous scellés.

Le 20 décembre 2017.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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