Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé vivait à Ottawa, en Ontario – il a été embauché par l’employeur en tant que travailleur social clinique à temps plein au Pénitencier de Kingston, à Kingston, en Ontario, pour une période déterminée de neuf mois; la nomination a ensuite été prolongée à 18 mois – avant l’expiration de sa période de nomination prolongée, le fonctionnaire s’estimant lésé a été nommé à un poste pour une période indéterminée – il a vendu sa maison et est déménagé à Kingston – l’aide financière à la réinstallation lui a été refusée – la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte (CNM) (la « Directive ») est présumée faire partie de la convention collective – l’article 1.4.2 de la Directive stipule que le remboursement des frais de réinstallation est autorisé pour les employés qui occupent un poste pour une période indéterminée qui sont nommés à un poste pour une période indéterminée – le fonctionnaire s’estimant lésé était visé par la Directive puisqu’il était un employé occupant un poste pour une période déterminée et qu’il a été nommé pour une période indéterminée – le mot « réinstallation » est défini comme le « déménagement autorisé d’un fonctionnaire […] de son lieu de résidence à son premier lieu de travail à sa nomination à un poste » – l’argument de l’employeur, soit que cette définition renvoie à la première nomination d’un fonctionnaire à un poste de la fonction publique, exigerait que la Commission interprète le libellé en fonction de termes qui n’y apparaissent pas – de plus, l’aide financière à la réinstallation serait alors non disponible pour tous les employés occupant un poste pour une période déterminée qui sont nommés à un poste pour une période indéterminée, ce qui irait directement à l’encontre du libellé clair de l’article 1.4.2 de la Directive, qui crée une obligation pour l’employeur. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

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  • Date:  20171220
  • Dossier:  566-02-12049
  • Référence:  2017 CRTESPF 48

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

JONATHAN GAGNON

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Gagnon c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Tony Jones, Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Marc Séguin, avocat, contentieux, Conseil du Trésor
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 7 octobre et les 5 et 19 décembre 2016.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Résumé

1        Le fonctionnaire s’estimant lésé, Jonathan Gagnon (le « fonctionnaire »), habitait à Ottawa, en Ontario, et a été embauché à temps plein pour une période déterminée d’environ 9 mois, en tant que travailleur social clinique pour le Service correctionnel du Canada (l’« employeur »), au Pénitencier de Kingston (PK), à Kingston, en Ontario. Sa nomination pour une période déterminée a été prolongée pour un total cumulatif d’environ 18 mois, après quoi son lieu de travail a été transféré à un autre établissement dans la région de Kingston.

2        Avant l’expiration de sa nomination pour une période déterminée prolongée, le fonctionnaire a été nommé à un poste pour une période indéterminée. Dans sa lettre de nomination, on lui a recommandé de communiquer avec un représentant de l’employeur pour déterminer s’il était admissible à une aide à la réinstallation. L’employeur a répondu qu’il n’était pas admissible. Le fonctionnaire a alors présenté un grief auprès du Conseil national mixte (CNM) contre l’employeur. Peu après, il a vendu sa maison à Ottawa et il est déménagé à Kingston.

3        Le CNM a établi qu’il n’avait pas compétence pour trancher le grief étant donné que, selon lui, il s’agissait d’une première nomination pour le fonctionnaire. Le fonctionnaire a alors renvoyé son grief à la Commission aux fins d’arbitrage. Pour les motifs précisés plus loin dans la présente, je conclus que le fonctionnaire n’en était pas à sa première nomination et qu’il était assujetti à la « Directive sur la réinstallation » (la « Directive ») au moment de sa nomination pour une période indéterminée.

4        En appliquant les termes de la Directive aux circonstances du fonctionnaire, je conclus qu’il était admissible à l’aide à la réinstallation et, par conséquent, le grief est accueilli.

II. Contexte

5        Le grief a été présenté au CNM le 8 janvier 2014, et contestait le refus de l’employeur d’accorder au fonctionnaire l’aide à la réinstallation prévue par la Directive. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 8 janvier 2016.

6        La Directive mentionne ce qui suit : « La présente directive est considérée comme faisant partie intégrante des conventions collectives conclues entre les parties représentées au sein du CNM. Les fonctionnaires doivent pouvoir la consulter facilement ».

7        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique par, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de lemploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

8        L’article 1.4.1 de la Directive précise qu’elle s’applique à tous les ministères et autres secteurs de la fonction publique du Canada mentionnés aux annexes I et IV de la Loi sur la gestion des finances publiques.

9        L’article 1.4.2 précise que le « remboursement des frais de réinstallation est autorisé pour les fonctionnaires […] pour une période déterminée nommés à des postes pour une période indéterminée ». La directive définit « fonctionnaire » en partie comme « une personne au service de la fonction publique fédérale qui exerce les fonctions de son poste à plein temps et en permanence et dont le traitement est payé sur le Trésor ».

10        L’article 2.8 (« Nomination initiale ») précise en partie que « les dispositions sur la réinstallation des nouveaux fonctionnaires de la fonction publique ou de quiconque n’est pas un fonctionnaire, avant qu’ils ne soient autorisés à déménager aux frais de l’État, figurent dans le Programme de réinstallation intégré pour les nouveaux fonctionnaires de la fonction publique (PRINE) ».

11        La politique du Conseil du Trésor qui présente les modalités du PRINE précise ce qui suit à l’article 1.03 :

Tous les nouveaux employés nommés à la fonction publique (à l’exception des EX et GIC) doivent être réinstallés sous le programme de réinstallation pour les nouveaux employés de la fonction publique […].

Le terme personne nouvellement nommée désigne une personne recrutée à l’extérieur de la fonction publique et nommée ou affectée à un ministère ou à un organisme mentionné aux Annexes I et IV de la Loi sur la gestion des finances publiques, pour une période d’un an […] ou plus.

[…]

12        L’article 1.2 indique que « [pour] une période d’affectation fixe si celle-ci est en deçà de deux ans, le remboursement sera proportionnel à la période qu’il manquera à l’employé pour terminer la durée du terme original ».

13        La Directive précise également que, dans les cas d’allégations selon lesquelles la Directive a été mal appliquée, la procédure de règlement des griefs applicable à tous les fonctionnaires syndiqués en vertu de la Loi est celle décrite à l’article 15.0 du Règlement du CNM.

14        Le fonctionnaire souligne également que l’article 15.1.2 du Règlement du CNM prévoit qu’un grief déposé devant le CNM et portant sur sa Directive est également un grief prévu par la Loi. Il souligne également que le grief devant le CNM a été entendu au dernier palier le 23 décembre 2015, et que, par conséquent, son renvoi à l’arbitrage devant la Commission est permis. L’employeur n’a pas présenté d’argument sur la question de ma compétence à entendre ce grief.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

15        Le fonctionnaire affirme que, pendant toutes les périodes pertinentes, il était soit un fonctionnaire à temps plein nommé pour une période indéterminée, soit un fonctionnaire à temps plein nommé pour une période déterminée assujetti à la Directive. Il affirme subsidiairement que si, en réalité, il en était à sa première nomination, je devrais déclarer que le PRINE fait partie de la Directive et que, par conséquent, le CNM avait compétence pour entendre son allégation selon laquelle les prestations du PRINE lui ont été refusées.

16        Je souligne que, à tous les moments pertinents, le fonctionnaire était employé à Kingston ou dans les environs. L’exposé conjoint des faits des parties indique qu’il a tout d’abord été embauché au Pénitencier de Kingston, situé au 560, rue King Ouest, à Kingston. Plus tard, le 30 septembre 2013, son lieu de travail a été transféré à l’Établissement de Collins Bay, au 1455, chemin Bath, à Kingston.

17        Environ deux mois plus tard, le 2 décembre 2013, le fonctionnaire a été nommé à un poste à temps plein pour une période indéterminée, à partir du 9 décembre 2013. Par conséquent, il a présenté sa première déclaration d’intérêt visant la réinstallation de sa résidence à Kingston et sa demande d’aide à la réinstallation auprès de l’employeur. Cette demande a été refusée par l’employeur. Le fonctionnaire a présenté son grief, a vendu son logement en copropriété situé à Ottawa et, le 14 mars 2014, il a acheté une maison à Kingston.

18        Le fonctionnaire a affirmé que le PRINE faisait partie de la Directive, mais aucun élément de preuve ou de jurisprudence connexe n’a été présenté à l’appui de son argument. Je refuse de rendre une quelconque décision sur le PRINE, puisque j’estime que, au moment pertinent, lorsque le fonctionnaire a demandé l’aide à la réinstallation, il était assujetti à la Directive.

19        En ce qui concerne la question de savoir si le fonctionnaire est assujetti à la Directive, je remarque que l’article 1.4.2 de la Directive indique clairement que les frais de réinstallation doivent être autorisés pour les fonctionnaires nommés pour une période indéterminée, ce qui correspond à la situation précise du fonctionnaire, conformément à ce qui est présenté dans l’exposé conjoint des faits.

20        Je conclus que l’article 1.4.2 confirme sans équivoque que la Directive s’appliquait au fonctionnaire au moment de sa demande d’aide à la réinstallation puisqu’il était un fonctionnaire pour une période déterminée nommé à un poste pour une période indéterminée.

21        Je souligne de nouveau que la définition de « nomination initiale » prévue à l’article 2.8 ne comprend pas les circonstances du fonctionnaire, puisqu’il était un employé lorsqu’il s’est réinstallé à Kingston. Il s’agit d’une autre preuve que la Directive, et non le PRINE, s’applique à sa situation.

22        Je remarque également que la « réinstallation » est définie dans la Directive en partie comme le « déménagement autorisé d’un fonctionnaire […] de son lieu de résidence à son premier lieu de travail à sa nomination à un poste. »

23        Je remarque également qu’à l’article 2.6 (Réinstallation à la demande de l’employeur), les réinstallations demandées par l’employeur sont définies comme « toute réinstallation au Canada, y compris celles qui résultent de mesures de dotation, à l’exclusion des nominations initiales ». Selon ma lecture de la Directive, « nomination » n’est pas un terme défini. Cependant, « personne nommée » est présentée dans la partie « définitions » comme une « personne recrutée de l’extérieur de la fonction publique […] »

24        L’article 1.4.2 indique clairement que les frais de réinstallation devraient être autorisés pour les fonctionnaires pour une période déterminée nommés à des postes pour une période indéterminée. Qui plus est, la Directive définit en partie « réinstallation » comme le « déménagement autorisé d’un fonctionnaire […] de son lieu de résidence à son premier lieu de travail » lors de sa nomination à un poste.

B. Pour l’employeur

25        L’employeur a affirmé que le PRINE est une politique du Conseil du Trésor et que, par conséquent, elle n’a pas été élaborée conjointement avec les agents négociateurs et ne fait pas partie de la Directive. Il fait donc valoir que le CNM n’a pas compétence pour entendre les litiges relatifs au PRINE, et n’a aucun rôle à cet égard.

26        Comme il a été mentionné plus tôt dans la décision, j’ai établi que, à tous les moments pertinents, le fonctionnaire n’était pas un nouvel employé. Par conséquent, je ne rends aucun jugement quant à ma compétence à entendre un litige relatif au PRINE ou au droit du fonctionnaire à des prestations en vertu du PRINE.

27        L’employeur a également fait valoir que la nomination de décembre 2013 du fonctionnaire n’était pas sa première et que, par conséquent, cela ne correspondait pas à la définition de « réinstallation » prévue par la Directive. Plus précisément, aux paragraphes 29 et 30 des arguments de l’employeur, son avocat mentionne ce qui suit :

[Traduction]

29. En ce qui concerne le « premier lieu de travail au moment de la nomination », l’article 1.4.2 de la Directive précise que le « remboursement des frais de réinstallation est autorisé pour les fonctionnaires […] pour une période déterminée nommés à des postes pour une période indéterminée ».

30. Lorsque M. Gagnon a été nommé d’un poste pour une période déterminée à un poste pour une période indéterminée, il n’a pas été nommé à son « premier lieu de travail suite à sa nomination à un poste de la fonction publique ». La raison en est qu’il a été nommé à un poste dans la fonction publique à titre de fonctionnaire nommé pour une période déterminée presque 18 mois avant décembre 2013. L’employeur maintient que la lettre d’offre de M. Gagnon, en date du 2 juin 2012, était sa première nomination à la fonction publique.

28        J’estime que la logique derrière les arguments de l’employeur dans ces deux paragraphes est complètement indéfendable.

29        L’employeur cite l’article 1.4.2 de la Directive, qui précise que le paiement des frais de réinstallation devrait être autorisé pour les fonctionnaires nommés pour une période déterminée qui sont ensuite nommés à des postes pour une période indéterminée. Cependant, au paragraphe suivant, l’employeur indique que le fonctionnaire n’était pas admissible à la réinstallation lorsqu’il a été nommé pour une période indéterminée parce qu’il avait déjà été nommé par le passé. Par suite de cet argument, tous les fonctionnaires nommés pour une période déterminée qui sont ensuite nommés pour une période indéterminée sont inadmissibles à une aide à la réinstallation, ce qui est exactement le contraire de ce qui est précisé à par l’article 1.4.2.

30        La définition de réinstallation dans la Directive est le « déménagement autorisé d’un fonctionnaire d’un lieu de travail à un autre ou d’une personne nommée à un poste dans la fonction publique de son lieu de résidence à son premier lieu de travail. »

31        L’argument de l’employeur ajouterait le mot [traduction] « initial » à la définition, ce qui créerait un nouveau libellé, comme suit : [traduction] « déménagement autorisé d’un fonctionnaire d’un lieu de travail à un autre ou d’une personne nommée [initialement] à un poste dans la fonction publique de son lieu de résidence à son premier lieu de travail ».

32        L’arbitrage n’est pas le lieu pour ajouter ou supprimer des mots d’une convention collective.

33        Le fonctionnaire remarque, à juste titre, que la loi interdit expressément qu’une décision arbitrale produise cet effet non-voulu et il renvoie à l’article 229 de la Loi, qui précise que « la décision de l’arbitre de grief ou de la Commission ne peut avoir pour effet d’exiger la modification d’une convention collective […] »

34        Parmi les nombreuses autres décisions jurisprudentielles présentées par le fonctionnaire, que j’ai lues, je remarque avec approbation cette orientation relative à l’interprétation d’une convention collective. L’arbitre de grief Shannon s’est appuyée sur un arrêt de la Cour suprême du Canada (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21), qui concluait qu’il n’y a qu’une seule approche à l’interprétation d’une loi : il faut lire le libellé d’une loi dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Elle a alors jugé que cette même approche de l’interprétation s’applique également à l’interprétation des conventions collectives (voir Legge c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2014 CRTFP 47, aux paragraphes 38 et 39).

35        Compte tenu de l’intention générale de la Directive et des articles pertinents que j’ai cités dans la présente décision, je conclus que l’exposé conjoint des faits établit clairement que la Directive s’appliquait au fonctionnaire au moment de sa demande d’aide à la réinstallation.

36        L’article 1.4.2 de la Directive précise que le « remboursement des frais de réinstallation est autorisé pour les fonctionnaires […] pour une période déterminée nommés à des postes pour une période indéterminée » [je souligne].

37        Les faits convenus établissent clairement qu’il s’agissait de la situation du fonctionnaire lorsqu’il a demandé par écrit que l’employeur lui accorde une aide à la réinstallation pour son déménagement à Kingston.

38        Je conclus que l’article 1.4.2 crée une obligation pour l’employeur et, par conséquent, le grief est accueilli.

39        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

40        Le grief est accueilli.

Le 20 décembre 2017.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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