Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les demanderesses, la Fédération de la police nationale (FPN) et l’Association des Membres de la Police Montée du Québec (AMPMQ), ont chacune présenté une demande afin de solliciter leur accréditation comme agent négociateur des membres réguliers de la GRC – la FPN a présenté une demande en vue de représenter tous les membres réguliers et les réservistes partout au Canada – l’AMPMQ a présenté une demande en vue de représenter uniquement les membres réguliers en poste dans la province du Québec – l’AMPMQ conteste également la constitutionnalité de l’article 238.14 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, qui exige un seul agent négociateur pour les fonctionnaires qui sont membres réguliers de la GRC – l’AMPMQ a également demandé une suspension de la procédure d’accréditation en attendant la décision de la Commission sur la question constitutionnelle – la Commission a décidé d’entendre la question constitutionnelle – la Commission a jugé que, selon le cadre actuel, la FPN est la seule demanderesse qui répond aux exigences législatives en matière d’accréditation – la Commission a déterminé qu’au moment de trancher une demande de suspension, elle tiendra compte de l’ensemble des circonstances, y compris les questions liées au caractère sérieux de l’enjeu, au préjudice irréparable et aux répercussions d’un délai, et qu’elle tirera une conclusion fondée sur ce qui est juste et en fonction de la prépondérance des inconvénients – la Commission a noté que, parmi les quelques 17 000 membres réguliers de la GRC, seuls 800 étaient au Québec – par conséquent, elle a jugé qu’une vaste majorité de ces membres ne seront pas touchés par la question constitutionnelle, peu importe l’issue – la Commission a jugé que la procédure d’accréditation ne devrait pas être indûment retardée – un scrutin sera tenu afin de déterminer si les membres réguliers de la GRC souhaitent être représentés par la FPN – la Commission a jugé que, pour réagir à l’incertitude créée par la question constitutionnelle, une suspension partielle serait accordée – la Commission a ordonné que la procédure d’accréditation soit suspendue immédiatement après la tenue du scrutin, avant le dépouillement des bulletins de vote – elle examinera de nouveau la suspension de la procédure après avoir tranché la question constitutionnelle.

Le scrutin d’accréditation sera tenu.
La procédure d’accréditation sera suspendue après la tenue du scrutin, avant le dépouillement des bulletins de vote.
Une audience sera tenue sur la question constitutionnelle.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180417
  • Dossier:  542-02-12 et 13
  • Référence:  2018 CRTESPF 31

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

FÉDÉRATION DE LA POLICE NATIONALE

demanderesse

et

ASSOCIATION DES MEMBRES DE LA POLICE MONTÉE DU QUÉBEC

demanderesse

et

CONSEIL DU TRÉSOR

défendeur

Répertorié
Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor du Canada


Affaire concernant une demande d’accréditation prévue à l’article 54 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral


Devant:
Catherine Ebbs, Stephan Bertrand et Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la Fédération de la police nationale :
Christopher Rootham, avocat
Pour l’Association des Membres de la Police Montée du Québec :
Marco Gaggino, avocat
Pour le défendeur :
Simon Deneau et Sean Kelly, avocats
Décision rendue sur la base d’arguments écrits déposés
les 7, 11 et 20 décembre 2017, les 4, 5 et 8 janvier et les 2 et 19 février 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

1        L’Association des Membres de la Police Montée du Québec (l’« AMPMQ ») et la Fédération de la police nationale (la « FPN ») ont chacune présenté une demande en vertu de l’article 54 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; l’« ancienne Loi »), afin de solliciter leur accréditation comme agent négociateur des membres réguliers (définis comme excluant les officiers et les membres civils) de la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC »). Le 18 avril 2017, la FPN a présenté une demande en vue de représenter les fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC partout au Canada. Le 5 avril 2017, l’AMPMQ a présenté une demande en vue de représenter uniquement les membres réguliers en poste dans la province de Québec (la « Division C »).

2        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9 (projet de loi C-7); la « Loi modificative »), a reçu la sanction royale. Elle a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’ emploi dans la fonction publique et de l’ancienne Loi pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »). La Loi modificative a également établi le régime de négociation collective à l’égard des fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC, à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada (la « CSC ») dans Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1 (« APMO »).

3        Dans une décision antérieure, Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor du Canada, 2017 CRTESPF 34 (la « décision de jonction »), la Commission a joint  les deux demandes. À la suite d’une requête déposée par la FPN, la Commission a également déterminé quelle serait l’unité de négociation appropriée. Elle a déclaré que l’unité de négociation aux fins de cette accréditation serait décrite comme suit :

L’unique unité de négociation nationale habile à négocier collectivement est le groupe composé exclusivement de l’ensemble des fonctionnaires qui sont des membres de la GRC (hormis les officiers et les membres civils) et des fonctionnaires qui sont des réservistes.

4        À la suite de cette décision, la Commission a demandé aux parties de présenter des arguments écrits afin de déterminer si chacune des demanderesses est une « organisation syndicale » au sens de la Loi, si chacune des demanderesses répond aux exigences supplémentaires applicables à une organisation syndicale, conformément au cadre législatif les régissant, et si le représentant a été dûment autorisé à présenter la demande. Les parties ont chacune fourni des arguments relativement à ces questions.

5        En plus de ses arguments, l’AMPMQ a demandé officiellement à la Commission de déterminer si l’article 238.14 de la Loi, qui exige une seule unité de négociation pour les fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC, est valide sur le plan constitutionnel et si la Commission devrait l’appliquer. L’AMPMQ a demandé une suspension de la procédure d’accréditation jusqu’à ce que la question constitutionnelle soit tranchée. Les parties ont été invitées à présenter des arguments relatifs à cette question.

6        Pour les motifs qui suivent, la Commission a décidé d’entendre la question constitutionnelle et de poursuivre la procédure d’accréditation. Comme la FPN est la seule demanderesse qui répond aux exigences législatives en matière d’accréditation, un scrutin sera tenu afin de déterminer si les fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC partout au Canada souhaitent être représentés par la FPN à titre d’agent négociateur. Toutefois, les procédures d’accréditation seront suspendues immédiatement après la tenue du scrutin et avant le dépouillement des bulletins de vote. La Commission examinera de nouveau la suspension de la procédure une fois qu’elle aura entendu et tranché la question constitutionnelle et, au besoin, après un réexamen de la décision relative à l’unité de négociation appropriée.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour la FPN

7        Dans ses arguments, la FPN vise à établir qu’elle répond aux exigences préliminaires relatives à l’accréditation à titre d’agent négociateur pour les membres réguliers de la GRC. La seule question qui reste à trancher est celle de savoir si « […] la majorité des fonctionnaires de l’unité de négociation souhaitent que l’organisation syndicale les représente à titre d’agent négociateur; […] », tel qu’il est énoncé à l’alinéa 64(1)a) de l’ancienne Loi.

8        Comme condition d’accréditation, l’agent négociateur doit être une organisation syndicale. Le paragraphe 2(1) de la Loi définit l’expression « organisation syndicale » comme suit, à l’alinéa b) de cette définition :

b) s’agissant de fonctionnaires qui sont des membres de la GRC ou des réservistes, organisation qui les regroupe en vue, notamment, de réglementer les relations entre eux et leur employeur pour l’application des parties 1, 2 et 2.1. […]

9        Les règlements administratifs de la FPN confirment cet objectif. En outre, la Loi modificative, à l’alinéa 63(1)b), prévoit que l’organisation syndicale doit répondre aux exigences suivantes :

63(1)b) […] cette organisation syndicaleet, dans le cas dun regroupement dorganisations syndicales, chacune de celles-ciremplit les conditions suivantes :

(i) avoir pour mission principale de représenter les fonctionnaires qui sont des membres nommés à un grade, à l’exclusion des officiers, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada,

(ii) ne pas être affiliée à un agent négociateur ou à une autre association n’ayant pas pour mission principale de représenter des policiers,

(iii) n’être accréditée comme agent négociateur pour aucun autre groupe de fonctionnaires.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

10        La FPN soutient qu’elle répond à toutes ces exigences. Tel qu’il est déclaré dans ses règlements administratifs, sa mission est de représenter les membres réguliers de la GRC dans le cadre de leurs relations avec l’employeur. Elle n’est affiliée à aucune association ou à aucun agent négociateur et elle n’est accréditée comme agent négociateur pour aucun autre groupe de fonctionnaires.

11        Enfin, aux termes de l’alinéa 64(1)b) de la Loi, la personne qui a présenté la demande doit avoir été dûment autorisée à le faire. Brian Sauve, qui a présenté la demande, est le fondateur de la FPN en vertu du régime de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif (L.C. 2009, ch. 23) et un membre du premier conseil d’administration de la FPN, qui a décidé à l’unanimité de demander l’accréditation à titre d’agent négociateur. En conséquence, M. Sauve était dûment autorisé.

B. Pour l’AMPMQ

12        L’AMPMQ a demandé à la Commission de trancher  la question liée à la validité constitutionnelle de l’article 238.14 de la Loi avant de déterminer si les trois conditions préliminaires ont été respectées.

13        L’AMPMQ avait déjà soulevé la possibilité de remettre en question la validité constitutionnelle de l’article 238.14 de la Loi en mai 2017, en réponse à la demande de la FPN. En août 2017, l’AMPMQ a de nouveau réitéré que la Loi modificative l’empêchait de défendre l’ unité de négociation qu’elle proposait, malgré la décision APMO qui, selon l’interprétation de l’AMPMQ, appuie le principe que les fonctionnaires devraient être en mesure de créer ou de faire partie de l’association de leur choix.

14        L’AMPMQ fait valoir qu’elle s’est réservé le droit de soulever une question constitutionnelle devant la Commission, tel qu’il est indiqué dans la décision de jonction. En outre, elle avait indiqué à la Commission son intention de contester la validité constitutionnelle de la disposition contestée avant une audience sur le fond de l’affaire, dans l’éventualité où les efforts déployés dans le cadre de la médiation avec la FPN échouent.

15        Dans la décision de jonction, la Commission a offert ses services de médiation afin d’aider la FPN et l’AMPMQ à parvenir à une entente en ce qui concerne la représentation des fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC. Une seule séance a été tenue. Selon l’AMPMQ, la médiation n’a rien réglé.

16        L’AMPMQ soutient que la Commission peut trancher le caractère constitutionnel des nouvelles dispositions de la Loi,conformément aux décisions de la CSC dans lesquelles la Cour a fait valoir que le pouvoir d’interpréter les dispositions législatives comprend le pouvoir d’examiner la question de savoir si la loi est constitutionnelle en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en tant qu’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, ch. 11) (R.-U.) (la « Charte »).

17        L’AMPMQ souhaite que la Commission tranche la question suivante : L’article 238.14 de la Loi contrevient-il à l’alinéa 2d) de la Charte?

18        L’AMPMQ demande un échéancier pour les arguments des parties. Si la Commission décide de trancher les trois questions soulevées dans les arguments de la FPN, elle soutient qu’elle est également une organisation syndicale dont la principale mission est de représenter les membres réguliers de la GRC au Québec, qu’elle n’est pas affiliée à une association ou à un agent négociateur et qu’elle n’est accréditée comme agent négociateur pour aucun autre groupe de fonctionnaires, et qu’elle a été dûment autorisée à présenter la demande d’accréditation, comme en témoignent son affidavit et ses règlements administratifs.

C. Réplique de la FPN

19        La FPN fait valoir que la demande de l’AMPMQ de trancher la validité constitutionnelle de l’article 238.14 de la Loi équivaut à une demande de réexamen de la décision de jonction, même si elle n’est pas formulée ainsi. Le critère pour réexamen n’a pas été rempli et, par conséquent, la Commission n’a aucun motif d’entendre la question de la validité constitutionnelle.

20        La Commission ne peut pas faire une déclaration générale d’invalidité; elle ne peut que refuser d’appliquer une disposition qui, à son avis, n’est pas constitutionnellement valide. La possibilité est passée – la question aurait dû être soulevée lorsque la Commission examinait la définition d’une unité de négociation.

21        Si la Commission entend la question constitutionnelle, elle devrait néanmoins, et à des fins d’intérêt public, poursuivre la demande d’accréditation de la FPN. Le raisonnement de la FPN est fondé principalement sur la décision de la CSC dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110 (« Metropolitan Stores »), qui a conclu que l’examen d’une question constitutionnelle dans le contexte des relations de travail n’entraîne pas nécessairement la suspension de l’instance dans laquelle la question constitutionnelle a été soulevée.

D. Réplique du défendeur

22        Le défendeur, le Conseil du Trésor, a répondu à la demande de l’AMPMQ le 2 février 2018.

23        Le défendeur soutient que, bien que la Commission ait déjà déterminé l’unité de négociation appropriée (conformément aux modalités de la Loi modificative), une [traduction] « […] contestation constitutionnelle constitue un motif exceptionnel et convaincant pour la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’examiner une description d’une unité de négociation déjà déterminée. » À cet égard, il invoque Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, dans laquelle la CSC a déclaré que les délais de prescription ne s’appliquent pas aux questions constitutionnelles.

24        Le défendeur a également renvoyé, à titre d’illustration, à deux décisions du Conseil canadien des relations industrielles (le « CCRI ») dans lesquelles il fallait déterminer si les conflits de travail étaient de compétence fédérale ou provinciale, à la lumière de la décision récente de la CSC (voir Hospital Employees’ Union c. Gitxsan Health Society, 2014 CCRI 748, et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Dilico Anishinabek Family Care, 2012 CCRI 655).

25        Le défendeur soutient également qu’une suspension de la procédure d’accréditation ne devrait pas être accordée puisque l’AMPMQ n’a pas démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable si la suspension n’était pas accordée; elle n’a pas non plus démontré comment la prépondérance des inconvénients favorise une telle suspension. Au contraire, la prépondérance des inconvénients aurait tendance à favoriser le refus de la suspension puisque, autrement, tous les membres réguliers de la GRC se verraient privés du droit à la représentation, ce qui est contraire aux objectifs de la Loi.

E. Réplique de l’AMPMQ

26        L’AMPMQ a répondu aux arguments de la FPN et du défendeur le 19 février 2018.

27        L’AMPMQ est d’accord avec le défendeur que la Commission a l’obligation d’examiner la question constitutionnelle, malgré sa décision antérieure de déclarer l’unité de négociation appropriée aux termes des nouvelles dispositions législatives. Elle invoque Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 574 (SEPB) CTC-FTQ c. Association syndicale des employés(es) de production et de services (ASEPS), 2017 QCCA 737 (« SEPB ») qui fait valoir qu’il incombe à une commission des relations de travail, en tout premier lieu, de trancher une question constitutionnelle dans la mesure où elle touche les personnes qui comparaissent devant elle.

28        L’AMPMQ fait également valoir qu’un réexamen de la décision est justifié puisque la Commission n’a jamais examiné l’aspect constitutionnel, et qu’il est essentiel qu’elle le fasse afin de rendre une décision appropriée en l’espèce.

29        L’AMPMQ soutient que la Commission devrait suspendre la procédure d’accréditation. Elle invoque Canadian Union of Public Employees, Locals 189 and 408 v. Alberta Health Services, [2009] Alta L.R.B.R. 266 (la « décision sur la suspension de l’ALRB ») dans laquelle cette commission a conclu que la perte de la possibilité de représenter des membres pourrait causer un préjudice irréparable aux syndicats, qui cesseraient de représenter les fonctionnaires en vertu des nouvelles dispositions législatives, ce que les syndicats ont également contesté en application de l’alinéa 2d) de la Charte.

30        En ce qui concerne la prépondérance des inconvénients, la suspension de la procédure ne causerait aucun préjudice à la FPN, contrairement au préjudice irréparable que subirait l’AMPMQ et, par conséquent, la prépondérance des inconvénients favorise manifestement une suspension.

III. Motifs

A. Cadre législatif

31        En ce qui concerne les demandes déposées avant l’entrée en vigueur de la Loi modificative, la procédure d’accréditation pour les fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC est régie par la Loi et par les dispositions transitoires de la Loi modificative. Selon ce cadre législatif, la Commission doit décider si une demanderesse est une « organisation syndicale » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi et si elle répond aux exigences des organisations syndicales énoncées à l’alinéa 63(1)b) de la Loi modificative.

32        Si la demanderesse remplit ces conditions, la Commission doit ensuite déterminer si la demanderesse représente la majorité des fonctionnaires de l’unité de négociation. À cet égard, la Commission doit tenir compte des dispositions de la Loi modifiant le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail au Parlement, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la Loi de l’impôt sur le revenu (L.C. 2017, ch. 12). Lorsqu’une demande d’accréditation a été déposée avant le 22 juin 2017, comme en l’espèce, l’article 16 de la Loi poursuit l’application des dispositions de l’ancienne Loi relativement à l’exigence de tenir un scrutin secret de représentation avant l’accréditation.

33        L’AMPMQ a remis en question la validité constitutionnelle de l’article 238.14 de la Loi, qui exige une seule unité de négociation pour les fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC. Puisque la demande d’accréditation de l’AMPMQ a été déposée sous le régime de l’ancienne Loi, sa demande d’accréditation est régie à cet égard par les dispositions transitoires de la Loi modificative. L’alinéa 63(1)a) de ces dispositions transitoires exige une seule unité de négociation. Cependant, l’essentiel de la question demeure le même.

B. La Commission devrait-elle trancher la question constitutionnelle?

34        L’AMPMQ n’a pas soulevé officiellement la question constitutionnelle avant la décision de jonction, mais elle le fait maintenant. Comme l’a déclaré le défendeur, à titre de décideur chargé par le Parlement de trancher les questions d’accréditation dans le secteur public fédéral, la Commission ne peut esquiver son obligation  d’examiner la question de manière approfondie. Contrairement aux décisions du CCRI invoquées, en l’espèce, il n’y a eu aucun changement dans la jurisprudence de la CSC depuis la détermination de l’unité de négociation par la Commission en octobre 2017. Toutefois, l’importance de la question constitutionnelle est telle que la Commission conclut qu’il existe un motif convaincant de la trancher.

35        Il existe des précédents selon lesquels les commissions des relations de travail examinent la constitutionnalité de dispositions législatives qui régissent la composition des unités de négociation, notamment Canadian Union of Public Employees, Locals 189, 408, 3197, 3421, 3671 c. Alberta Health Services, [2010] Alta L.R.B.R. 1, et Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux (CSN), 2011 QCCA 1247. Il existe également une jurisprudence qui fait valoir qu’une commission des relations de travail commet une erreur lorsqu’elle évite de trancher une question constitutionnelle qui touche directement une affaire dont elle est saisie (voir SEPB).

36        Même si la Commission n’a pas le pouvoir de faire une déclaration quant à l’invalidité constitutionnelle (voir Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson; Casimir c. Québec (Procureur général); Zorrilla c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 16), elle peut, tel que l’a fait valoir l’AMPMQ, déterminer si la disposition porte atteinte au droit à la liberté d’association prévu à l’alinéa 2d) de la Charte. Si la Commission détermine que la disposition qui exige une seule unité de négociation contrevient à la Charte, elle peut la déclarer inopérante dans la mesure où elle s’applique à la présente demande d’accréditation (voir Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54). Dans ce cas, d’autres arguments devront être reçus des parties quant à l’unité de négociation ou aux unités de négociation appropriées.

C. La Commission devrait-elle accorder une suspension?

37        Une suspension a également été demandée en attendant la décision de la Commission quant à la question constitutionnelle. Plus précisément, l’AMPMQ a demandé que la Commission s’abstienne de trancher les questions préliminaires quant à savoir si la FPN répond aux exigences d’une organisation syndicale, conformément aux dispositions législatives, jusqu’à ce que la question constitutionnelle soit tranchée.

38        Le critère appliqué par les tribunaux relativement à une suspension de l’instance est bien établi (voir RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311), et mentionne ce qui suit : une question sérieuse à trancher, un préjudice irréparable pour la partie demanderesse si la suspension n’est pas accordée et la prépondérance des inconvénients quant à l’accord ou au refus de la suspension. Le critère établi dans RJR-MacDonald Inc. a été plus particulièrement appliqué à une affaire dans laquelle un argument fondé sur la Charte a été soulevé en vue d’empêcher la mise en œuvre d’une disposition législative. En même temps, il faut tenir compte du contexte particulier des relations de travail, comme dans Metropolitan Stores.

39        Dans Alliance de la Fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 125-02-41 (19851113), [1985] C.R.T.F.P.C. no 255 (QL), on contestait la compétence de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) dans le contexte de demandes d’accréditation. La CRTFP a décidé qu’elle irait de l’avant avec les accréditations, puisqu’il était dans l’intérêt supérieur des relations de travail de le faire. Dans cette affaire, elle a examiné la jurisprudence et a formulé les observations suivantes :

[…]

21.     [] Loin de dire que la Commission n’était pas fondée à poursuivre son examen de la demande d’accréditation tandis que sa compétence avait été contestée, la Cour d’appel a expressément déclaré que la Commission [des relations de travail de l’Ontario] pouvait adopter les procédures qui lui paraissaient justes et adaptées.

22.     Dans l’affaire Windsor Airline Limousine Services Limited (supra), la Commission des relations de travail de l’Ontario a avait été priée d’ajourner une demande d’accréditation, vu qu’il y avait une contestation constitutionnelle en instance devant les tribunaux […] Rien n’est plus fondamentalement une contestation de compétence qu’un débat constitutionnel et pourtant, la Commission, en s’appuyant sur Re Cedarvale Tree Services Limited (supra), a refusé de reporter son examen de la demande […]

23. La thèse selon laquelle que, même lorsque les commissions de relations de travail sont aux prises avec une contestation constitutionnelle, elles ont le droit de continuer d’examiner une demande d’accréditation semble avoir été acceptée par le Commission des relations de travail de l’Ontario dans l’affaire Canada Dry Bottling Company (Kingston) Limited (supra), à la page 978 :

[Traduction]

Les retards peuvent souvent causer un préjudice grave et irréparable au demandeur. Comme le juge Estey, juge en chef de l’Ontario (telle était alors sa qualité), l’a fait remarquer dans Journal Publishing Co. of Ottawa Ltd. et al c. Ottawa Newspaper Guild Local 205, OLRB et al (non publié), le 31 mars 1977, C.A.),   « tout retard dans les relations de travail constitue un déni de droit en la matière ».

24.     […] La Commission est convaincue que, même s’il s’agit d’une question de compétence, elle peut cependant continuer à se prononcer sur les demandes si elle juge que la prépondérance des preuves l’impose. […]

[…]

[Je souligne]

40        Selon ces extraits, il est évident qu’au moment de trancher une demande de suspension, une commission des relations de travail tiendra compte de l’ensemble des circonstances – y compris les questions liées au caractère sérieux de l’enjeu, au préjudice irréparable et aux répercussions d’un délai – et qu’elle tirera une conclusion fondée sur ce qui est juste et en fonction de la prépondérance des inconvénients. En l’espèce, la Commission est d’avis qu’il est juste et opportun d’entendre la question constitutionnelle, sans nuire à la procédure permettant la représentation de la majorité, sinon la totalité, des fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC.

41        L’AMPMQ fait valoir qu’elle subira un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée puisqu’elle perdra la possibilité de représenter ses membres, tandis que la FPN bénéficiera de l’avantage de représentation, si les membres votent en sa faveur.

42        Dans la décision sur la suspension par l’ALRB, la commission des relations de travail de l’Alberta a accordé une suspension partielle pendant que certains syndicats contestaient la structure de négociation prévue par la loi. La situation était quelque peu semblable à celle en l’espèce puisque le pouvoir législatif avait imposé une seule unité de négociation professionnelle dans les services de santé. Antérieurement, les employés étaient représentés par différents syndicats au niveau local. Dans les cas où des unités de négociation étaient déjà en place, la Commission a ordonné que la représentation par les anciens syndicats soit maintenue et que les conventions collectives continuent de s’appliquer en attendant sa décision.

43        Une différence importante distingue cette affaire  de celle en l’espèce, soit que les fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC ne font pas actuellement partie d’une unité de négociation. Il ne peut y avoir, comme dans la décision sur la suspension de l’ALRB, une perte de possibilité de représenter, puisque la représentation n’a pas commencé. Si la Commission décide que la disposition en litige contrevient à l’alinéa 2d) de la Charte et si elle reconnaît en outre la nécessité d’une unité de négociation pour le Québec, la situation de l’AMPMQ ne sera pas pire que sa situation actuelle. Si les conditions sont remplies, les membres du Québec seront en mesure de participer au scrutin de représentation de l’AMPMQ.

44        La Commission n’est pas portée à accorder une suspension complète des procédures d’accréditation. Elle souligne qu’à cette étape de la procédure, elle doit tenir compte des intérêts de l’employeur, de l’agent négociateur et des fonctionnaires touchés. Elle reconnaît que le temps est fondamental dans les questions de relations de travail. Le droit des fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC d’être représentés par un agent négociateur est un droit que plusieurs associations, y compris l’AMPMQ, défendent depuis longtemps.

45        Il y a environ 17 000 membres et réservistes partout au Canada et environ 800 au Québec. Peu importe l’issue de la question constitutionnelle, une vaste majorité de ces membres ne seront pas touchés par cette décision. Néanmoins, ils subiront définitivement les conséquences d’un retard dans la réalisation de leur droit constitutionnel à la négociation collective.

46        En s’appuyant sur le raisonnement dans Metropolitan Stores, et après avoir tenu compte de l’ensemble des circonstances, il est clair pour la Commission que les intérêts de la majorité devraient l’emporter et que la procédure d’accréditation ne devrait pas être indûment retardée. En conséquence, la Commission entend maintenant déterminer si la FPN répond aux exigences relatives à une organisation syndicale, tel qu’il est prévu par la loi.

47        Après avoir examiné l’affidavit déposé par M. Sauve, ainsi que les statuts constitutifs et les règlements administratifs de la FPN, la Commission est convaincue que la FPN a répondu aux exigences préalables aux fins de l’accréditation. La FPN est une organisation syndicale dont le principal mandat est de représenter les membres réguliers de la GRC, elle n’est affiliée à aucun autre agent négociateur et elle n’est accréditée comme agent négociateur accrédité pour aucun autre groupe de fonctionnaires. La FPN répond aussi à l’exigence mentionnée dans les dispositions législatives contestées, soit qu’une seule unité de négociation représente tous les fonctionnaires qui sont membres réguliers et réservistes de la GRC.

48        En outre, la FPN répond à l’exigence prévue à l’alinéa 64(1.1)a) de l’ancienne Loi. Cette disposition prévoit que la Commission doit ordonner la tenue d’un scrutin secret de représentation auprès des fonctionnaires de l’unité si elle est convaincue « […] que, sur le fondement de la preuve du nombre de fonctionnaires membres de l’organisation syndicale, à la date du dépôt de la demande, au moins quarante pour cent des fonctionnaires de l’unité souhaitaient que l’organisation syndicale les représente à titre d’agent négociateur […] ». Selon les éléments de preuve déposés, la Commission est convaincue que cette condition a été remplie. En conséquence, un scrutin sera ordonné. Le scrutin entraîne beaucoup de temps et d’efforts et sa préparation devrait être amorcée immédiatement.

49        En même temps, en raison de l’incertitude créée par la question constitutionnelle, qui va au cœur de la définition de l’unité de négociation appropriée, la procédure d’accréditation sera suspendue immédiatement après la tenue du scrutin et avant le dépouillement des bulletins de vote. La Commission examinera de nouveau la suspension de la procédure après avoir entendu et tranché la question constitutionnelle et, s’il y a lieu, après un réexamen de la décision relative à l’unité de négociation appropriée.

50        La Commission tiendra une téléconférence avec les parties pour planifier les prochaines étapes.

51        Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

52        Le scrutin d’accréditation sera tenu afin de déterminer si les fonctionnaires qui sont membres réguliers (défini comme excluant les officiers et les membres civils) et réservistes de la Gendarmerie royale du Canada souhaitent être représentés par la Fédération de la police nationale.

53        La procédure d’accréditation sera suspendue après la tenue du scrutin et avant le dépouillement des bulletins de vote.

54        Une audience sera tenue sur la question constitutionnelle. Une téléconférence sera organisée avec les parties, dès que possible, aux fins de la mise au rôle de cette audience.

Le 17 avril 2018.

Catherine Ebbs, Stephan Bertrand et Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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